[NdA]
Bon bah... j'ai ma réponse. Je me demande depuis combien de temps je parle dans le vide n'empêche. C'est déjà déshumanisant de publier un texte aussi long dans le silence, mais si, en réalité, personne ne lisait mdr... ça ne sert évidemment à rien de m'imposer ça plus longtemps. Je suis contente d'avoir demandé pour en avoir le coeur net, ça m'évitera bien des frustrations et des anxiétés.
Puisque le but reste que cette histoire soit (un jour) accessible si quelqu'un a envie de lire un truc pareil, je reviendrais probablement par ici (dans très très longtemps) pour poster le reste d'un seul et unique coup lorsqu'il me sera possible de le faire, mais, en attendant, je vais arrêter la publication sérielle sur ce site.
Chapitre 37
Deuxième semaine de janvier
Une fois à l'intérieur des Trois Balais, je repérai rapidement la table des filles. Au moins, elles en avaient trouvé une plutôt en retrait et, surtout, très éloignée de celle de Griffin et Gray qui étaient déjà bien alcoolisés au vu des cris d'animaux qu'ils s'amusaient à imiter. Ou peut-être était-ce juste comme ça qu'ils communiquaient l'un avec l'autre, difficile de savoir.
C'était assez frappant de voir la répartition des élèves à l'intérieur du bar. Je n'aurais su tous les placer dans leurs maisons respectives sans leurs uniformes, mais les élèves que je reconnaissais étaient très mélangés. À l'exception des Septièmes Années où la distinction entre Gryffondor et Serpentard était très marquée, ne serait-ce que physiquement - les deux tables étaient à l'opposée l'une de l'autre - les autres tables n'étaient jamais composées d'élèves d'une seule maison. Dès que nous sortions du château et de la Grande Salle, les élèves s'emparaient très différemment de l'espace à disposition, mais la différence n'avait jamais été aussi marquée que cette année. Combien d'amitiés Poudlard avait-elle compliquées, à l'image de Mattew et Carter, voire complètement empêchées ? L'idée d'avoir une Grande Salle qui ressemblerait plus à ces attroupements d'élèves qu'aux longues tables uniformes avait quelque chose d'agréable.
Quelques têtes curieuses eurent l'air intriguées par la présence de Lilith et les regards devinrent rapidement assez insistants. Je jetai un œil à Lilith qui ne flancha pas d'un pouce. Elle me glissa rapidement à l'oreille :
— Cela te gêne-t-il si je vous rejoins dans une minute ?
Je secouai la tête, me doutant bien qu'elle allait parler avec Rosmerta comme elle l'avait fait avec la vendeuse de Scribenpenne, et elle se dirigea effectivement vers le bar. Je rejoignis les filles tandis que Lilith serrait la main de la tenante des lieux.
— Qu'est-ce qu'elle fait ? demanda aussitôt Alice, le corps complètement tourné vers le bar.
À en juger par les élèves autour de nous, elle n'était pas la seule à être intriguée par le comportement de Lilith. Je m'installai à table.
— Elle a fait ça à Scri…. dans d'autres boutiques, m'empressai-je.
Mr. Kristof les rejoignit, mais Rosmerta ne sembla pas surprise de le voir. Il paraissait vraiment petit à côté du bar.
— C'est Mr. Kristof, indiquai-je aux filles.
— Ils devraient plus le nourrir, enchérit la blonde.
— Ils se nourrissent eux-mêmes, soupirai-je ennuyée, ne les infantilise pas sous prétexte qu'ils sont petits. Ce sont des adultes.
Alice s'assura que je la vois lever les yeux au ciel avant de se réinstaller convenablement à table. Plusieurs sacs estampillés Honeydukes étaient posés à ses côtés.
— Vous avez fait le plein ? demandai-je.
— Le plein de douceur, s'amusa aussitôt Emily.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Mark était chez Zonko en même temps que nous.
— C'était gênant, soupira la blonde.
— C'était mignon, corrigea Emily.
— Ils ont sorti un nouveau produit, expliqua Alice. Enfin, je ne sais pas, ce n'est pas vraiment le leur, c'est une autre marque de fabrication mais peu importe. Ce sont des bonbons, donc déjà ils marquent des points, pas vrai ? Des langues de chat : la personne qui donne le bonbon prête sa voix pendant une vingtaine de secondes à celle qui le mange.
— Ils se sont salués, continua Emily, Mark a jeté un œil dans le panier d'Alice, il a vu qu'il y avait déjà trois paquets de langues de chat, et il a reposé celui qu'il tenait en main sur le présentoir avec une moue ennuyée.
Je ne pus retenir un sourire amusé, pauvre Mark.
— Il connaît tes goûts et il a pensé à toi, c'est plus mignon que gênant. Quel est le problème ?
— Je suis plus une Higgins qu'une Shadlakorn, c'est tout, répondit Alice comme si ces mots avaient le moindre sens. L'ambiguïté, ce n'est vraiment pas pour moi. À chaque fois, j'ai l'impression qu'il y a un lutin de cornouailles qui bouffe mes intestins. Et tu sais comment c'est chiant à attraper une fois en liberté, ces choses-là ? Vraiment très chiant. Je suis sûre qu'il est toujours là, d'ailleurs. J'ai pensé à « Caramel » ou « Rick », mais je ne sais pas trop si ça se fait de donner un prénom sorcier à une créature magique.
Mon sourire attendri fut très vite accueilli par un regard noir et je levai les yeux au ciel à mon tour.
— Qu'est-ce que tu comptes faire de trois paquets, de toute manière ? enchéris-je. Tu ne sais même pas si ils sont bons.
— Je suis contente que tu poses la question, très fine observation, s'amusa-t-elle avec une excitation non-feinte. Puisque je suis une personne très chaleureuse qui aime partager ses découvertes, je compte en faire la distribution gratuite avant le cours d'O'Connell la semaine prochaine.
— Ne me dis pas que c'est pour te venger du retrait de points de hier…
— Il va nous enlever des points quand il comprendra que c'est toi qui les a distribués, en plus, ajouta Emily.
— Déjà, c'est typiquement un truc que feraient des Gryffondors, il ne pensera pas tout de suite à nous. Et ensuite, vous ne comprenez pas, les filles. Nous ne pouvons pas laisser les professeurs gagner. Il en va de la bonne tenue de ce château. Ce sont des professeurs, nous sommes des élèves. Nous avons chacun notre fonction à remplir. La fonction d'O'Connell, c'est de faire face à 30 élèves qui auront tous ma voix. Bon, pendant quelques secondes, ajouta-t-elle avec une moue ennuyée, mais imaginez un peu 30 Alice lui dire bonjour. J'ai déjà tellement envie de rire. Honnêtement, vous me remercierez d'avoir pu avoir ma voix pendant une vingtaine de secondes.
— L'avantage avec toi, c'est que tu n'as pas besoin de te concocter ta propre amortentia, m'amusai-je.
— Et puis, entre nous, esquiva Alice tout en m'envoyant un regard noir, si O'Connell ne veut pas que je discute pendant son cours, il n'a qu'à parler avec sa collègue et lui faire comprendre que c'est franchement inapproprié de flirter avec des gens devant des élèves. C'est injuste d'être punie pour ça. C'est la faute de Shadlakorn.
— Tu n'y as même pas assisté directement, m'indignai-je.
Elle n'était franchement pas croyable, sa vie dépendrait de sa capacité à assumer ses responsabilités qu'elle trouverait le moyen d'accuser autrui de la mettre dans cette position.
— Honnêtement, ça devrait nous faire nous poser des questions, continua la blonde sans même donner l'impression de m'avoir entendue. Comment est-ce qu'on est censés avoir la moindre chance de gagner la Coupe des Quatre Maisons quand ils font tout pour privilégier Serpentard et Gryffondor ? s'agaça-t-elle. Ils comptabilisent les points du Quidditch dans la Coupe, alors évidemment que les Serpentards et leurs « ruses » pendant les matchs leur font gagner beaucoup de points. La plupart du temps, les professeurs ne nous donnent même pas de points pour une bonne réponse, parce qu'on est de Serdaigle donc c'est attendu, rien d'extraordinaire, pas besoin d'attribuer des points, alors que dès qu'un de ces autres idiots donne une réponse attendue, ils gagnent des points, eux ! Les Poufsouffles, ils sont gentils tout le temps et restent sagement dans leur coin, personne ne les félicite, c'est attendu de leur part. Ils n'ont pas de points pour ne pas imposer leur présence à tout le reste de la classe. Clyde ferme sa gueule pendant deux heures, il fait gagner 5 points à Serpentard. Stewart s'énerve une seule fois en cours de toute l'année parce que Clyde l'a agacée, elle fait perdre 5 points à Poufsouffle alors que l'autre fait l'idiot depuis 15 minutes. Si les choses étaient justes, toutes les années la Coupe se partagerait entre les Poufsouffles et nous. Mais non, les Serpentards sont toujours favorisés parce qu'il est normal pour eux de tricher, alors ça ne sert à rien de leur retirer trop de points quand ils le font et ils en gagnent facilement d'autres quand ils font un truc bien. Et puis les Gryffondors perdent rarement des points tant qu'ils ne font pas d'énormes bêtises, parce que c'est tout à fait normal pour ces idiots de faire des trucs cons, ils sont juste « un peu trop têtes brûlées et maladroits mais ils sont bien intentionnés »… C'est vraiment chiant. La Coupe est faite pour que ce soit difficile de retirer des points aux Gryffondors ou aux Serpentards et difficile d'en gagner pour les Poufsouffles et nous.
Il était vrai que les professeurs donnaient ou retiraient majoritairement des points pour récompenser ou punir un comportement, ce qui influençait forcément des maisons comme Gryffondor et Serpentard, où les élèves étaient poussés à se mettre en avant - d'une bonne comme d'une mauvaise façon. Cela dit, Alice grossissait beaucoup trop le trait.
— Il y a des Serpentards et des Gryffondors qui sont punis lorsqu'ils font des conneries, nuançai-je. C'est aussi qu'à force d'encourager la compétitivité et l'ambition chez les élèves de Serpentard, ces élèves finissent par donner plus d'importance à la Coupe des Quatre Maisons que nous autres et font bien plus attention à leurs pertes et gains de points.
— C'est ce que je dis, enchérit Alice, c'est franchement dégueulasse de nous laisser participer à un truc pareil quand on a aucune chance de gagner. Tout le système est foireux.
Des pas s'approchèrent de notre table et je relevai les yeux, quelque peu stressée.
— Bonjour, fit aussitôt Lilith.
— Oh, salut Lilith, sourit Emily en se tournant vers elle.
— Je vous présente mes excuses, continua Lilith en prenant place à mes côtés, me présenter à Mme Rosmerta fut un peu plus long qu'envisagé.
— Tu dois faire ça à chaque fois ? demanda Alice manifestement confuse.
— Comme le veut la bienséance, en effet. Mme Rosmerta m'a fait savoir que si vous souhaitiez commander des bièraubeurres, il valait mieux attendre quelques minutes. Une question de fin de fût, il me semble.
— De quoi avez-vous parlé pendant tout ce temps ? demandai-je à mon tour, bien trop contente de ne pas devoir passer par des présentations pour combler le silence.
— Je me suis simplement présentée avant de la remercier d'avoir laissé Mr. Kristof prendre commande l'autre fois. Nous avons discuté de la Guerre et de ses influences sur son établissement. Tu sauras que les Trois Balais ont connu leur lot de conflits à travers le temps. Elle m'a demandé ce qu'il en était de Poudlard, étant donné ce qu'elle avait l'occasion de voir chez les élèves après quelques bièraubeurres et m'a assuré que nous ne serions pas dérangées aujourd'hui. À ce sujet, ajouta-t-elle en se penchant légèrement vers les filles, je dois vous avouer une chose : Eyrin ne me pense pas capable de tenir plus de dix minutes en ce lieu. Si je regarde régulièrement ma montre ces dix prochaines minutes, ce n'est pas que je m'ennuie en votre présence, mais simplement que je veille à ce que ma victoire soit reconnue. Afin de m'assurer que tu ne trouves aucun prétexte à la délégitimation de celle-ci, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, je n'ai pas compté le temps passé avec Mme Rosmerta.
Les filles me lancèrent toutes deux un regard mi-surpris mi-amusé et je rougis. Merlin, quelle idée stupide j'avais eue. Lilith était bien trop à l'aise dans ce genre d'exercice, j'avais été naïve de croire une seule seconde le contraire, et les filles n'allaient jamais me laisser tranquille. Je ne savais déjà plus où me mettre.
— C'était une blague, dis-je précipitamment. Ce n'était pas sérieux, c'était au début… J'ai tenté de faire une blague et elle est un peu restée dans le temps… Je n'ai jamais pensé qu'elle ne tiendrait vraiment que dix minutes…
Heureusement, Rosmerta me sauva d'une vaine tentative de bredouiller quelque chose d'autre sous les regards amusés de toute la tablée. Une fois la commande passée, Alice ne put s'abstenir d'un commentaire :
— C'est la première fois qu'elle vient prendre commande à table.
Son regard en direction de Lilith fut très insistant. Cette dernière sourit en réponse.
— C'est ce qui arrive lorsque nous reconnaissons l'existence des personnes autour de nous : leur dire bonjour, s'intéresser un peu à leur activité, et ne pas s'adresser à eux uniquement lorsqu'il s'agit d'être servi ou de se plaindre.
— Oh, rien à voir avec le fait que tu sois une Sang-Pur donc.
— Je n'ai pas vu Mme Rosmerta prendre commande à la table de Greengrass, mais j'admets ne pas y avoir prêté grande attention. Il est vrai, cependant, que Mme Rosmerta a bien raison de ne pas s'imposer les mœurs d'une Greengrass plus que nécessaire.
— Ce n'est qu'une question d'éducation, rien à voir avec la pureté du sang, conclut Alice sur un ton absolument pas convaincu. J'imagine donc que, comme nous autres, tu es très indignée par la libération des Malfoy.
Je soupirai. J'aurais dû me douter qu'Alice rebondirait spécifiquement sur ce sujet avec Lilith.
— Les Malfoy avaient Voldemort à leur table. Penses-tu sincèrement que ce ne soit pas le cas ?
— Penses-tu sincèrement qu'on ne vous voit pas vous dédouaner les uns les autres depuis des siècles ?
— Alice, intervins-je.
— Quoi ? enchérit-elle. Ils se défendent constamment les uns les autres, c'est comme ça que ça marche. Tous les Sang-Purs accourent pour défendre l'un des leurs, histoire de s'assurer que le jour où ils se font prendre, les autres viendront également à la rescousse. C'est comme ça qu'ils s'en sortent pour ne jamais répondre de rien.
Je jetai un œil à Lilith qui ne donnait pas l'impression de se sentir véritablement concernée par les propos d'Alice. Si cela me rassura sur le moment, probablement que son stoïcisme avait la conséquence additionnelle d'agacer plus encore Alice.
— Les récents évènements peuvent questionner beaucoup de choses du fonctionnement de notre société, répondit simplement Lilith. Il est tout à fait compréhensible d'être à fleur de peau. Cela ne me gêne pas de parler des actualités. Néanmoins, évitons les généralisations faciles. Elles ne sauraient traduire la réalité.
— Ouais ouais, on peut éviter les généralisations, enchérit immédiatement Alice, les Grandes Familles défendent toutes la moralité des Malfoy.
— Tu es très informée pour quelqu'un qui n'a pas accès aux archives du procès.
— On sait toutes très bien ici que le procès des Malfoy s'est joué en-dehors de la salle d'audience. Ca fait des mois que des journalistes font des chroniques sur la vie des Sang-Purs, comment ils cuisinent, de quoi ils ont peur, comment sont leurs relations sociales, comment ils sont en adoration devant leurs crapauds. La disparition des Black, la discrétion des Harper, les réceptions des Greengrass, les animaux des Nott. On a même eu le droit à des histoires d'amour impossibles. Comme par hasard, après la Guerre, on se lance dans une opération d'humanisation des Sang-Purs par médias interposés sous le prétexte de « comprendre ce qu'il s'est passé » et « comment des gens si distingués peuvent prendre le parti des mangemorts ». « Vous voyez ? Ils ne sont pas si différents de nous ». Ca fait des semaines que vous préparez le procès des Malfoy. Peut-être que les Parker ne partagent pas les idées des mangemorts, mais ça ne rend que la chose pire encore : vous êtes prêts à tout pour sauver votre cul, même si ça veut dire tolérer dans la société ce que vous ne tolérez pas au sein de votre propre famille.
Lilith esquissa un sourire, le dos malgré tout bien droit, et Rosmerta arriva avec nos boissons. Je récupérai la bièraubeurre que me tendit Emily, puis Lilith s'empara de son sirop de cerise soda qui était un nom sorcier bien trop élaboré pour un simple diabolo à la cerise. Elle le mélangea un instant avant d'informer, toujours très calme :
— Les Greengrass n'ont pas de quoi apporter une quelconque caution morale aux Malfoy et tout le monde le sait. Les deux familles ne se voyaient que dans certains évènements mondains, dans lesquels elles savent toutes deux se tenir à minima et, de surcroît, les Greengrass aiment à maintenir l'illusion. Les Malfoy tenaient probablement ce genre de propos avec les Crabbe ou les Nott, ils forment un petit cercle bien connu dans ces évènements.
— Et pourtant, le Magenmagot a accepté la caution morale des Greengrass comme ils ont donné du crédit à cette histoire d'Elfe de Maison, ne pus-je m'empêcher d'ajouter.
— Les Greengrass n'ont pas fait cela pour convaincre le Magenmagot de l'innocence des Malfoy. Vous faites l'erreur de croire que ce procès visait à reconnaître la culpabilité des Malfoy, mais ce n'est pas comme cela que les familles au pouvoir analysent la situation. Tout le monde les sait coupables. Les Greengrass ont témoigné pour permettre de donner une justification à la non-sanction. Aucune autre famille de cet acabit ne peut se targuer d'avoir été neutre durant la Guerre, ni les Nott ni les Crabbe n'auraient eu de crédibilité aux yeux du Magenmagot. À leurs yeux, les Greengrass se sont probablement sacrifiés en acceptant de prendre le poids des réactions publiques négatives sur leur nom.
— Oh, donc à leurs yeux, il ne s'agissait pas de prouver que les Malfoy ont collaboré avec Voldemort, enchéris-je, mais simplement que ce n'était pas si mal de collaborer avec Voldemort étant donné les circonstances des Malfoy. On enlève tout jugement moral à leurs actions. J'imagine que les autres petites mains des mangemorts n'auront pas le droit au même traitement de faveur : ce n'est pas pour rien qu'on les traque jusqu'au dernier.
— Les familles au pouvoir n'ont en effet aucun intérêt à protéger les petites mains des mangemorts et très certainement pas celles qui ont versé du sang.
Lilith marqua un temps d'arrêt, jeta un œil à sa montre et se tourna vers moi avec un grand sourire. Cela devait donc faire dix minutes que nous étions aux Trois Balais. Je secouai la tête, amusée malgré tout par son air plus que fier.
— Pourquoi est-ce que c'est la mère Greengrass qui a témoigné et qui doit se prendre tout ça dans la figure ? demanda rhétoriquement Emily. C'est pareil avec les Malfoy, c'est elle qui sauve l'issue de la Guerre en mentant à la face de Voldemort, quand même, on excusera du peu, et c'est soudainement toute la famille qui est sauve ? Ce sont toujours les femmes qu'on envoie au casse-pipe et quand elles font quelque chose de positif, on noie ça dans le collectif. Si ça avait été l'inverse, on parlerait de l'acte héroïque du père Malfoy qui a menti à Voldemort sur quelque chose d'aussi important que la mort de Potter, mais non, on parle de la famille Malfoy qui s'est rangé du bon côté avant la Bataille Finale. En vrai, les rares fois où on parle d'elle, c'est pour dire qu'elle a fait ça parce qu'elle est mère, que c'est son instinct maternel qui l'a poussé à cet incroyable acte de bravoure, instinct maternel qui suppose qu'elle n'avait évidemment pas de contrôle sur son propre comportement. Jamais on entend qu'elle a menti parce qu'elle est courageuse, qu'elle a sciemment, volontairement et en connaissant très bien les risques décidé de faire ce que son mari était incapable de faire pour sauver leur fils alors même qu'il a fait partie de ceux qui l'ont confronté à cette guerre en premier lieu.
Le regard mi-amusé mi-surpris que nous échangeâmes avec Lilith ne passa pas inaperçu.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Alice, inquiète.
— Non, c'est juste que c'est un peu ce que sous-entendait Higgins, dis-je.
— Higgins m'a l'air d'être quelqu'un de très bien, acquiesça-t-elle en réponse.
Évidemment que qui que ce soit qui allait dans le même sens qu'Alice avait son approbation instantanée. Nous rîmes avec Emily, puis la brune continua en direction de Lilith :
— Quel intérêt ont les grandes familles à défendre les Malfoy ?
— Eh bien, Alice n'a pas tout à fait tort. Certaines familles se soutiennent indépendamment de leurs opinions réelles à ce sujet. Cependant, nous sommes plusieurs familles à ne pas être intervenues durant ces procès. Seuls les Greengrass sont directement intervenus. Quelques familles seraient indirectement intervenues, mais il est difficile d'être certains de leurs actions réelles. La réticence générale à prendre position pour les Malfoy est suffisamment rare pour s'astreindre d'une vision manichéenne des Sang-Purs, continua-t-elle en direction d'Alice qui secoua la tête en réponse. Il faut admettre, cependant, que nous aurions pu faire contrepoids à certains témoignages. Si très peu de grandes familles ont facilité la tentative des Malfoy de s'en sortir, je dois admettre, par honnêteté intellectuelle, qu'aucune n'a pour autant tenté de la freiner.
— Pourquoi ?
— Il faut bien comprendre qu'une opposition serait très coûteuse politiquement pour une famille. Bien que nous ayons des divergences parfois très fortes entre nous, il est plutôt attendu de ne pas nous nuire les uns aux autres. Dans le pire des cas, nous nous tolérons car nous sommes dépendants les uns des autres vis-à-vis de la perpétuation de nos lignées. Cela a toujours été comme ça, seules certaines familles comme les Weasley ont dérogé à cette règle générale car ils ne valorisent plus la pureté du sang et ne sont, de fait, plus dépendants de nous autres pour concevoir. Il faudrait donc que la situation soit suffisamment grave pour prendre le risque de nous opposer plutôt que de simplement nous contenter de ne rien faire. Mais si cela vous intéresse, dans le cas présent, il existe deux motivations qui poussent certaines familles à ne surtout pas s'opposer aux malversations des Malfoy.
Lilith me jeta un regard interrogateur absolument adorable et je souris avant d'acquiescer. Elle était entourée de Serdaigles, bien sûr que ça nous intéressait.
— La première, c'est que la guerre a fait beaucoup de victimes, y compris chez les Sang-Purs. Certaines familles attachées à la préservation du sang pur sont inquiètes des conséquences de la guerre sur nos lignées. Entre les disparitions de lignées, comme les Black, ou la disparition des héritiers, risquer l'enfermement d'autres hommes et femmes à Azkaban durant les années où ils peuvent concevoir, c'est risquer un appauvrissement du sang pur. Cela est moins grave pour les hommes, évidemment, mais pour les femmes, c'est particulièrement dommageable. Si nous prenons en compte les incarcérations liées à la première guerre, cela fait très vite beaucoup de Sang-Purs hors de la société ou qui l'ont été suffisamment longtemps pour ne pas concevoir à l'époque. La difficulté étant que réduire la natalité sur une génération, c'est risquer une natalité plus faible encore sur celle qui suit puisque les enfants Sang-Purs qui auraient dû naître de ces unions ne l'auront pas été, créant un déficit sur le long-terme et les forçant à une consanguinité intergénérationnelle bien plus forte qui ne peut pas tenir très longtemps. C'est notamment avec ce genre de considérations que certaines familles dont les actes étaient moins violents que d'autres s'en sont sorties après la précédente guerre, en oubliant de mentionner qu'elles se restreignaient consciemment à concevoir entre anglais, évidemment. Bien sûr, ce n'est pas une raison suffisante pour prendre le risque de défendre publiquement les Malfoy. Ils ne sont d'aucune importance stratégique en termes de préservation du sang pur : ils n'ont qu'un seul héritier et n'ont pas de filles, or notre génération actuelle manque de filles. Cela dit, certaines familles réalisent très bien que si les Malfoy s'en sortent grâce à leurs petites magouilles, l'issue du procès déterminera en partie celle des autres procès de Sang-Purs à venir. Elles ne sont donc pas incitées à s'opposer à la tentative des Malfoy.
Ces familles avaient participé à valoriser la pureté du sang pendant des siècles et utilisaient maintenant la valeur sociale qu'ils avaient eux-mêmes créée de toute pièce pour faire une sorte de chantage étrange, c'était ahurissant. Sans leurs idées, notre société ne donnerait peut-être aucune espèce d'importance à la pureté du sang. Ils avaient décidé que ce qui les distinguaient des autres était important et nous avions bêtement suivi, en sachant très bien que, par définition, cela limitait le pouvoir à ces seules familles ; ce n'est pas comme si nous pouvions subitement « purifier » notre sang. Au fil des siècles passés, le pouvoir s'était retrouvé monopolisé entre des mains de moins en moins nombreuses, agrandissant – dans le même temps – le pouvoir des familles toujours pures.
— … Ce qui nous amène à la seconde raison que portent surtout les familles les plus moralement décentes, continua Lilith. Ces familles ont peur des effets négatifs d'un procès trop violent. Azkaban est une peine très forte, y être enfermé est souvent synonyme de s'y perdre, peu importe le temps que nous y restons. Le fait d'avoir déclaré Potter mort alors qu'il ne l'était pas a complètement modifié l'issue de la Guerre. Certaines familles pensent qu'en se montrant cléments envers les Malfoy, cela encouragerait les grandes rédemptions en temps de conflit. Ces familles ont conscience du fait que beaucoup de familles de Sang-Purs auront tendance à se perdre moralement et qu'elles constitueront une menace importante en temps de conflit, puisque leurs connivences avec les mages noirs signifient souvent que beaucoup de ressources et d'influences se retrouvent entre leurs mains. Récupérer ces ressources et ces influences pour les « gentils » est crucial en temps de Guerre et constitue la majorité de nos efforts de guerre. Mais comment quelqu'un comme Malfoy pourrait bien basculer du bon côté lorsqu'il sait que, s'il venait à le faire, il serait aussitôt jugé et encourrait une peine à Azkaban ? En un sens, ces familles pensent qu'il faut prouver à ceux qui détiennent le pouvoir d'infléchir le cours d'une Guerre que s'ils le font dans le « bon » sens, ils ne seront pas punis, afin de les encourager à se ranger du côté du bien dans le futur. Ici non plus, les grandes familles n'ont aucun intérêt à freiner la tentative des Malfoy, surtout si les Greengrass se sacrifient déjà… peu importe les réelles raisons qui les motivent, d'ailleurs.
— C'est un non-sens complet, ne pus-je m'empêcher d'objecter aussi vite, ça n'a… vraiment aucun sens de penser comme ça. Les mages noirs n'arriveraient pas au pouvoir aussi facilement si ce genre de famille ne mettaient pas tout à leur disposition pour qu'ils gagnent ce pouvoir. Les Malfoy ont permis à Voldemort d'avoir l'influence qu'il a eu. À quoi pensent ces Grandes Familles ? m'offusquai-je. En quoi ne pas punir les Sang-Purs qui font le jeu des mangemorts les encourageraient-ils à aider les gentils ? C'est l'inverse : quoiqu'ils fassent, ils sont gagnants, ça ne peut que les inciter à massivement encourager les mages noirs. Dans le pire des cas, si ça se passe mal et que les méchants perdent, ils pourront revenir du côté des gentils sans jamais connaître de sanctions réelles contrairement à toutes les vies qu'ils auront participé à détruire. Et puis, entre nous, il y a un aspect symbolique à un procès que tu ne peux pas nier. En les laissant libres, le Magenmagot les a déclaré non-coupables. Symboliquement, historiquement, et humainement, les Malfoy seront des personnes innocentes qui n'ont pas collaboré avec Voldemort. Le procès doit être une forme de justice et doit reconnaître les actes des personnes jugées et pas juste être instrumentalisé comme si la moralité des actions des Malfoy n'avait pas d'importance.
Lilith s'était entièrement tournée moi. Ses yeux étaient brillants et si son sourire était discret, elle ne trompait personne ; mon indignation l'attendrissait. Je secouai la tête avec un sourire et elle concéda finalement :
— Les conséquences de ce jugement seront d'ailleurs nombreuses sur notre société et il est certain que nous en connaîtrons les conséquences dans les années à venir. Cette erreur a déjà été faite lors de la première guerre et nous avons tous été témoins de ses conséquences, appuya-t-elle. Cela dit, ce ne sont que les enjeux dont j'ai connaissance, nuança-t-elle. Je n'ai pas encore eu accès aux archives des décisions prises par ma famille. Il se sait peut-être des choses en interne dont je n'ai pas connaissance et qui expliquerait la relative distance des Grandes Familles, surtout des Parker, des Harper et des MacMillan, vis-à-vis de ce procès. Il me paraîtrait étrange que ma famille n'ait pas pris en compte dans leur analyse les répercussions sociopolitiques d'une seconde libération des Malfoy. Peut-être existe-t-il des enjeux de politiques internes aux Grandes Familles, je ne sais pas. Cela dit, nuançons un peu les choses : le Magenmagot a, cette fois-ci, explicitement conditionné la liberté des Malfoy à leur reconnaissance de leur implication avec Voldemort, rappela-t-elle. Ils ne sont pas lavés de tout soupçon et l'Histoire reconnaîtra leur rôle dans l'ascension au pouvoir de Voldemort.
Néanmoins, les Malfoy étaient libres pendant que les victimes des mangemorts ne pouvaient profiter de leurs vies ou de leurs proches. C'était un peu trop facile.
— J'entends que certaines familles seront du côté des mages noirs quoiqu'il arrive car elles veulent avant tout s'assurer d'être en haut de la hiérarchie, peu importe à quoi ressemble cette hiérarchie, avançai-je. Il est important d'avoir conscience de cette réalité et il faut l'avoir à l'esprit en temps de conflit… mais ça n'enlève rien au fait que ce n'est pas à ces « Grandes Familles » de décider de ce que la justice devrait, ou non, se porter garante. Nous ne devrions pas attendre d'avoir votre autorisation pour mettre des coupables en prison. Et puis, il y a également une bataille morale. C'est votre conservatisme qui vous fait croire que tout n'est qu'une question d'intérêts personnels et que les choses ne sont à interpréter que sous ce prisme, parce que c'est comme ça que vous êtes habitués à concevoir les sorciers à Serpentard, mais au-delà des intérêts personnels, il y aussi des idées qui sont en jeu. Ce qu'il faudrait aussi accepter, c'est que nous avons un problème de fond à régler dans notre société : il y a depuis des siècles des idées néfastes sur certaines personnes, comme une certaine vision de ce que devrait être la magie et ce que devrait être un sorcier qui sont propagées, maintenues, cultivées. Ce genre d'idées persistent parce que nous refusons véritablement de les combattre et de mettre en avant d'autres façons de concevoir la magie, ce que devrait être une sorcière ou ce que devrait être notre société. Ne serait-ce que considérer normal que des Sang-Purs partagent des idées néfastes sur les Nés-Moldus est un problème : nous normalisons ces idées en faisant une question de « sang », au lieu d'en faire une question d'idées. Il n'y a pas que les Sang-Purs qui partagent ce genre de préjugés, car ce n'est pas parce qu'ils sont Sang-Purs qu'ils les tiennent. Ce n'est pas naturellement qu'un Sang-Pur déteste les Nés-Moldus comme si, je ne sais pas, c'était un truc génétique et qu'ensuite, il y a les bons Sang-Purs qui se battent contre leurs instincts et les mauvais qui ne le font pas. C'est tout un système qui est en jeu, tout un système qui produit et maintient en place ce genre d'idées stupides. Croire que seuls les Sang-Purs, du fait-même d'être Sang-Purs, ont un problème avec les moldus, c'est faire le jeu de Voldemort. Certes, les Sang-Purs sont les seuls à véritablement profiter de ce genre de système et d'idées, comme ils peuvent en jouer volontairement le jeu, mais cela ne change rien au fait que plein de Sang-Mêlés suivent, sont devenus rafleurs, que notre Ministère lui-même trouve tout à fait normal de se servir de psychiatres moldus comme si c'étaient juste des outils… parce que les préjugés contre les Nés-Moldus, les moldus, ou cette idée de se servir de la magie pour dominer autrui sont cultivés dans notre société depuis des siècles et que nous ne nous en sommes jamais débarrassés. Nous devrions faire en sorte qu'il soit clair que, même lorsque l'on est une Sang-Pur, ce genre d'idées sur les Nés-Moldus ou les moldus est absolument inacceptable. Plus ces idées sont propagées, plus cela facilite la montée au pouvoir des mages noirs et la propagation des utilisations néfastes de la magie, voire de la magie noire elle-même, pour dominer des personnes qu'on jugerait inférieures. Plus ces idées gagnent en pouvoir et sont cultivées, plus ces familles uniquement motivées par elles-mêmes les utiliseront pour se maintenir en place et continueront de jouer le jeu des mages noirs.
Je me raclai la gorge après cette énorme logorrhée, légèrement gênée. S'il nous arrivait de discuter de ce genre de choses avec les filles, je m'étais tout de même laisser emporter alors que le contexte ne s'y prêtait pas vraiment. Elles semblèrent toutes deux très amusées et je rougis. Lilith, elle, acquiesça à ses pensées avant de continuer aussitôt :
— C'est une perspective intéressante qui nécessiterait d'envisager la possibilité que nous participions toutes, au moins indirectement, à une forme de dévalorisation des moldus. Et « notre » conservatisme ? répéta finalement Lilith. Je ne suis pas conservatrice. Enfin, pas dans le sens généralement entendu, corrigea-t-elle. Je n'ai rien du conservatisme moral habituellement attribué aux Sang-Purs dont tu fais mention.
Sa réaction de défense me surprit, Lilith avait toujours assumé sa position. Peut-être que lui rappeler son conservatisme la rapprochait trop des autres familles de Sang-Purs qu'elle semblait mépriser. À bien y penser, elle tentait très souvent de s'en distinguer d'une manière ou d'une autre, ne serait-ce qu'aujourd'hui vis-à-vis de Greengrass.
— Que tu n'aies pas de préjugés contre les moldus ou les Nés-Moldus ne change rien au fait que la majeure partie de tes interventions quand on discute toutes les deux peuvent être résumées par « le statu quo, c'est bien » ou « on ne peut pas faire autrement », répliquai-je.
— Si on peut admettre que réfléchir théoriquement aux enjeux que poserait une rupture du Secret Magique est intéressant, pour l'exercice intellectuel que cela représente comme pour l'agréable compagnie que tu offres, ajouta-t-elle en se penchant légèrement vers moi, tu ne peux pas te soustraire de la réalité et des vies sorcières en jeu dans une rupture du Secret Magique. Ce n'est pas défendre le statu quo qu'avoir conscience de nos responsabilités.
Elle avait déplacé son verre en se rapprochant de moi et j'eus le réflexe de jouer avec du bout des doigts.
— Tu manques d'imagination pour être autre chose que conservatrice. Peut-être que, fut une époque, les Parker faisaient partie de celles et ceux qui envisageaient une société différente mais de nos jours vous faites partie de celles et ceux qui la maintiennent…
— Ton « imagination » te rend trop ahistorique pour pouvoir comprendre les déterminants de ce fameux statu quo que tu es si prompte à remettre en question. Tu ne peux pas éternellement poser des hypothèses et des « et si… » sans prendre en considération ce que nous savons déjà des forces complexes qui nous ont amenés là où nous en sommes. Forces complexes toujours à l'œuvre, dois-je ajouter. Et puis, entre nous, certaines choses méritent d'être préservées : les droits des créatures magiques, l'éducation magique pour tous les sorciers de ce pays, récita-t-elle.
— …Votre statut dans les sociétés sorcières, ne pus-je m'empêcher de continuer sur le même ton.
Alors qu'elle suivait jusque-là mes doigts du regard, elle releva soudainement les yeux vers moi. C'était fou ce que la bièrauberre donnait chaud malgré le peu d'alcool que cette boisson contenait.
— J'admets que certaines traditions ou certaines choses méritent d'être préservées, continuai-je la bouche quelque peu sèche, ce n'est pas une mauvaise chose en soi que de vouloir préserver certaines pratiques. Comme j'apprends ces dernières semaines qu'il est important de faire attention à l'origine des choses qui nous entourent pour mieux les comprendre, comme les maisons ou Poudlard… Mais tu restes conservatrice et absolument adorable, dois-je ajouter.
Elle sourit avant de jouer à son tour avec le verre, ses doigts bien trop proches des miens.
— Il est possible que j'apprenne ces dernières semaines que, si le passé peut éclairer le présent, il n'est pour autant pas une fatalité, concéda-t-elle à son tour. Les sociétés évoluent ou involuent constamment. Après tout, nous sommes bien placés pour le savoir : nous ne mettrions pas autant d'énergie à préserver les relations intercommunautés magiques si elles n'étaient pas constamment mises en danger. En ce sens, le passé ne doit pas servir de prétexte à refuser le changement et nous fermer des portes sur d'autres façons de faire.
Touchée par ce qu'elle admettait entre les lignes et encouragée par ses doigts qui frôlèrent les miens, je me penchai pour l'embrasser, avant d'entendre le bruit caractéristique d'une mastication. Surprise, je reportai mon attention sur les filles, les joues rougies tant par notre échange que le fait de nous être involontairement données en spectacle. J'avais complètement oublié où nous étions et me liquéfiai sur place. Alice mastiquait évidemment une baguette à la réglisse et était en train d'en proposer une autre à Emily, le bras tendu par-dessus la table. Elles se figèrent toutes les deux sous le silence soudain.
— On ne voulait pas vous déranger, s'amusa la brune en s'emparant enfin de la sucrerie qui lui était proposée.
— Clairement, enchérit Alice en acquiesçant, la baguette de réglisse toujours en bouche, vous pouvez continuer comme si on était pas là : c'est très informatif.
— … et divertissant.
— Après tout, vous nous offrez « une compagnie très agréable », termina Alice en reprenant les mots de Lilith.
— … et vous êtes toutes les deux « absolument adorables », ajouta Emily en reprenant les miens.
Je secouai la tête, les joues toujours aussi chaudes, et les filles éclatèrent de rire. Pour une fois, Lilith semblait aussi ennuyée que moi, elle s'était raidit et se tenait à nouveau parfaitement droite. À croire qu'être perçue adorable n'était définitivement pas valorisant pour une Parker. Je me réinstallai convenablement à ma place et Lilith récupéra son verre.
Les filles faillirent toutes deux s'étouffer avec la baguette à la réglisse qu'elles avaient toujours à la bouche - je ne donnais d'ailleurs pas cher de l'estomac d'Alice devant son mélange réglisse-bièraubeurre, et elles finirent par se calmer tant bien que mal. Emily demanda aussitôt :
— Alors comme ça vous avez discuté d'une rupture du Secret Magique ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
— Oh, vrai, reprit Lilith qui avait déjà reprit contenance, ton petit-ami est moldu. Theo, c'est bien cela ? vérifia-t-elle.
Emily acquiesça.
— Puis-je demander comment vous vous êtes rencontrés ?
Alice leva les yeux au ciel devant la formulation de la question avant de se reprendre devant mon regard accusateur. Sûrement pouvait-elle prendre sur elle cinq minutes au lieu de réagir comme si les habitudes de langage de Lilith lui faisaient saigner les oreilles… surtout après le numéro qu'elle venait de nous faire.
— À Amsterdam, pendant l'été. On était dans le même hôtel. Avant de partir visiter la ville avec ses parents, il restait dehors le matin pour faire des choses étranges le long des canaux.
— Donc évidemment, Emily est allée lui parler, m'amusai-je.
— Ne sait-on jamais s'il était en train d'utiliser une forme de magie ancestrale permettant de voir l'avenir dans les mouvements de l'eau du canal ou de voir les morts dans les tulipes, ajouta Alice.
Emily secoua la tête avant de lancer un regard ennuyé à Alice.
— J'ai effectivement cru qu'il était peut-être sorcier et qu'il utilisait une forme de magie qui n'était pas très connue en Angleterre, concéda-t-elle. Il s'est avéré qu'il prenait juste des photographies.
— Et qu'il était mignon, accessoirement, s'amusa la blonde.
— Il l'est toujours, s'offusqua faussement la brune.
— Si je comprends bien ce qu'Eyrin disait, tu es celle qui a fait le premier pas ? demanda Lilith.
Emily acquiesça.
— On partait le lendemain, sinon je n'aurais jamais osé aller lui parler. Il était surpris que je ne sois pas très familière avec tout son matériel, mais très content de pouvoir me montrer comment ça fonctionnait. Il prenait des photos d'endroits qu'il aimait bien mais surtout le matin, parce que son petit frère et ses parents ne restaient pas en place s'il s'arrêtait en pleine promenade. Alors il profitait du fait d'être seul. On a beaucoup discuté d'Amsterdam et de la culture locale, des endroits qu'on avait apprécié ou non. Je lui ai dit qu'il y avait une belle vue à un endroit que nous avions visité quelques jours avant, un petit coin près de l'eau, et… il y est allé, le lendemain. Il a beaucoup aimé l'endroit et a pris des photographies qu'il m'a envoyé. Je les ai reçues une fois de retour en Angleterre. Nous avons continué à discuter par courriers interposés.
— Il me semble assez peu probable que vous ayez eu le temps d'échanger vos adresses respectives…
— C'est la meilleure partie de l'histoire, enchéris-je.
— Quand on a discuté ce matin-là et qu'on a découvert qu'on était tous les deux anglais, on a discuté de nos villes respectives, mais il n'avait pas mon nom de famille. Visiblement, sa mère a insisté auprès de l'accueil pour qu'ils puissent l'avoir. La poste a réussi à retrouver notre adresse avec seulement mon prénom, mon nom et la ville à cause du collège de ma petite sœur. Une des femmes de la poste se souvenait du nom et de notre adresse parce que nous n'avions pas de boîte aux lettres comme les moldus à l'époque, alors elle coinçait toujours les lettres pour le collège de Charlotte dans la porte.
— Je comprends mieux l'importance du destin et des coïncidences dont Eyrin parle de temps en temps, sourit Lilith.
Je n'avais jamais fait le lien entre l'obsession d'Emily pour les magies étranges, ou même cette idée de destin, et sa rencontre avec Theo et, vu le regard surpris d'Alice, je n'étais pas la seule.
— Tu mentionnais le « collège » de ta petite sœur, continua Lilith. Est-elle cracmole ?
— Elle a dix ans et n'a toujours pas fait de magie, alors nous ne savons pas si elle est cracmole ou non. Mes parents ont préféré prendre les devants et l'inscrire chez les moldus. L'attente est difficile pour Charlotte, elle ne sait pas trop si elle peut se préparer pour Poudlard ou non, alors ils préfèrent la laisser se préparer pour l'école moldue. Ils ne veulent pour le moment pas l'amener chez Ollivanders, enfin… chez celui qui a repris, parce qu'ils ont peur que ça lui donne de faux espoirs. Comment savoir si ce n'est pas la bonne baguette ou si elle ne peut pas utiliser la magie ? Alors bon, se préparer pour le collège lui fait penser à autre chose et, dans le pire des cas, elle sera contente d'aller faire du shopping sur le Chemin de Traverse s'il s'avérait qu'elle était sorcière.
— Ca ne doit pas être évident, surtout lorsque tout le reste de la famille est sorcier…
— Il y a quelques années, c'était un peu difficile. Mais ces derniers mois, elle est contente de découvrir des choses que nous ne connaissons pas sur les moldus ou les écoles moldues et de nous les apprendre. Et puis je crois que la Guerre l'a un peu effrayée de Poudlard, même si elle n'ose pas vraiment l'avouer. Elle avait l'air presque soulagée à Noël devant la perspective de ne pas venir ici.
— Et qu'en est-il de tes parents ?
— Eh bien, ça va, c'est un peu plus difficile pour mon père, ils doivent accepter qu'elle n'aura peut-être pas la vie qu'ils imaginaient pour elle mais je crois, qu'en vrai, ils ont déjà accepté l'idée qu'elle était cracmole. Mes grands-parents, c'est une autre histoire.
— Comment ça ? enchérit Alice.
— Ils ont reproché à mes parents de m'avoir laissé être avec Theo. Comme quoi c'était de ma faute si Charlotte préférait ne pas utiliser la magie, parce que je lui fais indirectement comprendre qu'être moldu est une chose « cool » et qu'il n'y a pas besoin d'utiliser la magie. Elle s'entend bien avec Theo, expliqua-t-elle à Lilith, je veux dire c'est une enfant de dix ans qui est intéressée par tout et n'importe quoi, tu lui montres quelque chose avec passion, elle est aussi excitée que toi et Theo peut parler des heures de photographie et de comment les appareils numériques vont révolutionner les usages de la photographie. En vrai, je crois que ça la rassure qu'il soit moldu étant donné les circonstances. Ca lui donne l'impression de ne pas être toute seule.
— Tu ne nous as jamais parlé de ce que tes grands-parents ont dit, ne pus-je m'empêcher de constater à voix haute.
— C'était l'année dernière pendant les vacances de Noël, j'étais tellement épuisée aux fêtes que je crois que je suis juste passée au travers d'une bonne partie des vacances. Honnêtement, je m'en suis souvenue il y a quelques jours quand j'ai reçu une lettre de mes grands-parents dans laquelle ils parlaient de Poudlard, avoua-t-elle gênée. C'est un peu bizarre, des fois des souvenirs un peu morcelés me viennent à l'esprit. Enfin bon, c'est mon grand-père. Comme quoi, avec les mangemorts, au moins, le sang magique était préservé et que Poudlard sous la direction des Carrow me passerait l'envie de traîner avec des moldus. Et puis que les cracmols sont une influence indirecte du fait d'être trop souvent au contact de moldus et que plus nous côtoyons les moldus, plus les cracmols deviennent nombreux… ce genre de choses quoi. À l'époque, mes parents lui avaient dit que s'il disait un mot de plus, ils n'enverraient plus leurs petits-enfants chez eux pendant les vacances alors il a tout de suite arrêté et je n'y ai plus vraiment réfléchi.
— Je croyais que ça s'était réglé pour Charlotte vu que tu n'en parlais plus, enchérit Alice.
— Pas vraiment, non, et il n'y a rien à régler.
— Tu aurais pu nous le dire, continua la blonde.
— Vous auriez pu demander.
Nous échangeâmes un regard avec Alice et je déglutis, reposant aussitôt mon verre. Dire que je me sentais stupide était un euphémisme. J'avais toujours pensé qu'il ne s'agissait que d'une question de temps et n'avais pas considéré la possibilité que Charlotte soit réellement cracmole. C'était tellement rare que ça semblait un peu bizarre que ça puisse arriver juste comme ça. Nous avions toujours pris beaucoup de place avec Alice, et Emily avait toujours semblé s'en accommoder, mais ne pas prendre la juste mesure de la situation de Charlotte dépassait largement ces habitudes… surtout quand on considérait la tension que nous avions imposé à Emily au début de l'année.
— Il y a eu beaucoup de bouleversements cette année, commença Lilith, surtout entre… ajouta-t-elle en nous montrant Alice et moi d'un geste de la main, il est malheureusement facile de passer à côté de choses pourtant importantes par ailleurs. Ta famille donne l'impression de bien s'entendre avec Theo malgré les difficultés que peut représenter la nécessité de cacher la magie à un moldu.
Emily nous jeta tour à tour un regard dont il était franchement difficile de faire sens, elle ne semblait pas être en colère mais c'était parfois difficile d'en avoir le cœur net ; elle prenait beaucoup trop sur elle pour cela. Elle accepta finalement le changement de sujet de Lilith.
— Oui, mes parents l'apprécient beaucoup. Enfin, ils le considèrent déjà comme leur gendre, ce qui est franchement bizarre parfois. Surtout mon père, il parle déjà mariage et enfants, comme si il se projetait très bien dedans, alors que nous… pas du tout, en fait. Ca m'effraie un peu et Theo déteste avoir l'impression qu'on lui met la pression. Ma mère essaye de calmer mon père un peu mais bon, ça le rassure probablement de pouvoir se projeter là-dedans à défaut de pouvoir le faire avec Charlotte. Je veux dire… Il est en train d'apprendre toutes les matières que font les moldus au collège et les différents métiers moldus que pourraient faire Charlotte, mais malgré tous ses efforts, il n'y comprend vraiment pas grand-chose. Il a ses moments de panique de ne pas vraiment savoir ce qui pourra advenir de Charlotte ou de savoir concrètement quel genre de vie elle pourrait avoir chez les moldus. La famille de Theo… c'est plus compliqué.
Elle ne donna pas l'impression de vouloir continuer sur ce terrain et Lilith en prit tout de suite la juste mesure :
— Theo fait-il toujours des photographies ?
— Oui, il en fait de bâtiments maintenant. Il m'envoie toujours celle qu'il préfère dans le tirage.
— C'est ce que tu dois apprécier dans ces fameux romans, constata Lilith.
Emily me jeta un regard et je me raclai la gorge, gênée. Vu le terme employé par Lilith, il était évident que je n'avais pas été très tendre avec les romans en question.
— Ce genre d'histoire romantique doit te procurer un sentiment nostalgique assez familier, continua Lilith.
— Je n'y avais jamais pensé comme ça, mais oui, effectivement… même si certaines préfèrent faire semblant de ne pas les lire, accusa Emily.
— C'est Alice qui les lit quand tu ne la vois pas, m'offusquai-je.
— N'importe quoi, elle dit ça parce que Lilith est là.
— Je prends grand soin de mes livres et il y a régulièrement des pages cornées, reprit Emily. Je ne dis rien, mais je les vois.
— J'en ai lu un seul en quatrième année, répondis-je. Alice t'en emprunte tous le temps. Et je te signale que je ne maltraite pas les livres : je sais utiliser des marques-pages.
Emily se retourna vers la blonde qui nous jeta tour à tour un regard avant de soupirer.
— Déjà, je ne les emprunte pas, je les range. Juste, parfois, les ranger prend du temps, c'est tout. C'est parce que je suis une personne très consciencieuse qui réfléchit à la meilleure méthode de rangement dans ta bibliothèque. Tu sais, vu la poussière partout dans le dortoir, c'est important de vérifier régulièrement les étagères pour ne pas que la poussière s'incruste dans tes livres. Vraiment, je te rend service. Et puis, ensuite, je ne range que ceux où y'a du sexe dedans.
Je secouai la tête, Alice était aussi consciencieuse que Lilith était bordélique en potions, et Emily éclata de rire. Lilith n'avait pas l'air de savoir si elle devait prendre Alice au sérieux ou non, ce qui rajoutait beaucoup de comique à la scène. Après tout, il fallait côtoyer Alice un certain temps avant de s'habituer aux nombreuses idioties qui lui venaient spontanément à l'esprit pour se justifier, avoir ce qu'elle voulait ou se sortir d'une situation délicate.
— Il est plus facile pour toi d'assumer lire des choses sexuelles que des histoires romantiques, c'est incroyable, reprit Emily, et la majorité des pages cornées ne sont pas sur les histoires où il y a du sexe.
Alice eut l'air gêné – ce qui était une vision franchement bizarre, avant de jeter un œil certainement pas aussi discret qu'elle l'aurait voulu à Lilith. Cette dernière s'engouffra évidemment dans l'ouverture.
— Je promets de ne pas informer nos camarades de classe de tes penchants romantiques, dit-elle avec un sourire amusé qu'elle ne prit pas la peine de cacher pour une fois.
— Je sais où Eyrin garde ses correspondances dans le dortoir alors je ne pense pas avoir besoin de compter uniquement sur ta bonne parole, rétorqua Alice. Des lettres pareilles entre de mauvaises mains pourraient t'humaniser aux yeux de nos camarades de classe.
— Entre nous, je crains que ce soit déjà le cas. Depuis qu'ils savent que nous sommes ensemble, certains élèves ont déjà eu la drôle idée de me dire bonjour.
Lilith n'avait pas pu s'empêcher de grossir le trait ; elle avait parlé d'un ton très suffisant et l'avait accompagné des mimiques du visage qui allaient avec. Il n'y en avait pas une pour rattraper l'autre.
— Je n'arrive pas à savoir si tu es sérieuse ou si c'est le fameux humour dont Eyrin parlait, soupira la blonde. J'espère en tout cas que tu as eu la politesse de leur répondre. Pauvres élèves.
— Leur répondre ? répéta Lilith en accentuant à nouveau la condescendance. Au risque qu'ils se sentent encouragés à entretenir ce genre d'habitudes désagréables ?
La blonde me jeta un regard interrogateur, ne sachant manifestement plus sur quel pied danser et je me retins de rire devant le spectacle qu'elles offraient toutes les deux.
— Oh, souffla aussitôt Alice en reconcentrant son attention sur Lilith, tu es en train de te moquer de moi. En tout cas, je suis contente que tu sois avec nous aujourd'hui, j'apprends de première main être bien plus drôle que toi.
Elle se tourna vers moi avec un regard entendu comme si elle venait de gagner une bataille dans une guerre imaginaire et je ne pus empêcher un sourire attendri. Je crus un instant que Lilith, elle, allait répliquer quelque chose, son dos s'était raidit et elle jouait étrangement avec ses doigts sur la table, mais elle resta silencieuse malgré sa fierté piquée.
— Je crois que tu as offert de la fiction à Eyrin pour Noël, dit Emily. Est-ce que tu apprécies lire ?
— Je lis beaucoup lorsque j'ai le temps, acquiesça Lilith. Un peu de tout, mais rarement des livres dont les pages seraient cornées dans votre dortoir.
Alice leva les yeux au ciel et je ris doucement.
— Quel est le dernier livre que tu as apprécié ?
— Je dirais « La Frontière » de Nascimento.
— Oh, je ne savais pas que des gens connaissaient ce livre.
— Il est très populaire au Brésil.
— … mais beaucoup moins chez nous, continua Emily.
— C'est parce que nous avons tendance à avoir une littérature bien plus complaisante que d'autres cultures, dit Lilith. Beaucoup d'aventures héroïques dans d'autres contrées que les nôtres ou de découvertes avec d'autres formes de magies et de créatures magiques, beaucoup de romances, peu de récits qui s'ancrent dans les enjeux de notre société actuelle. Nous avons bien moins de place pour la création artistique et ce genre de littérature attire peu, ce n'est pas le cas de toutes les sociétés sorcières.
— En même temps, on a une vision si instrumentale de la magie qu'il est difficile d'imaginer un art qui ne soit pas, lui aussi, instrumental, enchéris-je en pensant à ma propre surprise de voir un enchantement purement décoratif - et inutile - dans le bureau de Flitwick.
— La romance peut parfois remettre certaine choses en question, objecta Emily, comme s'ancrer dans des enjeux très modernes.
Certaines de ces histoires concernaient une élève de sixième année qui voyageaient dans le temps pour « séduire » son joueur de quidditch préféré lorsqu'il était lui-même en sixième année, ce qui lui donnait nécessairement un ascendant sur elle de par l'admiration qu'elle avait pour lui avant d'entreprendre son voyage dans le temps ; ce n'était pas les enjeux les plus modernes du monde et ce n'était pas les quelques passages discrets avertissant sur le voyage dans le temps qui y changeaient quoique ce soit. D'ailleurs, même dans ce genre d'histoires, la magie n'était présente que lorsqu'il s'agissait d'avoir ce que l'on voulait.
— Certains des résumés de tes livres sont tout de même assez étranges, ne pus-je m'empêcher d'ajouter.
— Oui, acquiesça Emily, il y a beaucoup de sexisme parce que, généralement, on lit de la romance pour se détendre et pas pour rédiger un parchemin de 60 centimètres sur les relations humaines.
Je lui lançai un regard peu convaincu et elle se pencha légèrement par-dessus son verre avant de continuer sur un ton bien plus sérieux :
— Je suis d'accord, Eyrin... La romance dépeint une certaine vision des relations et de l'humain, de nos envies et de nos besoins. Elle influence beaucoup notre façon de percevoir les relations, l'amour, nos attentes, ce que nous considérons normal ou non, la féminité ou la masculinité. C'est typiquement des guides, comme l'est Sorcière Hebdo. Certains en usent pour véhiculer une certaine idée de ce qu'être une femme et ce qu'une femme peut se permettre d'attendre ou non des hommes, par exemple. En fait, la romance est un outil d'influence très important parce qu'on se laisse influencer sans opposer la moindre résistance. On se divertit, on se laisse happée par les émotions agréables et on ne fait pas trop attention à ce qu'on lit. C'est ce que certains ont compris et ils en abusent pour bien rappeler à la sorcière sa place. Mais ça veut aussi dire que si quelqu'un s'en empare convenablement, une romance peut être très efficace pour proposer d'autres façon de concevoir les relations et être une vraie opposition à nos normes actuelles. L'autre fois, je suis tombée sur une histoire où le personnage principal divorce alors même qu'elle a quasiment 40 ans et tout à perdre, tu as souvent entendu parler de divorce ? Theo était surpris de voir à quel point ça existait peu chez nous. Le problème n'est pas la romance en elle-même, mais ce qu'on en fait.
Je ne pus m'empêcher de secouer la tête ; je me souvenais très bien du résumé d'une histoire d'amour entre une Née-Moldue raflée par un mangemort durant la Première Guerre et ce même mangemort, c'était franchement glauque cette façon d'essayer d'humaniser des mangemorts à travers des « histoires d'amour impossibles ». Il y avait les grands principes d'Emily et la réalité de certains de ces livres, tout de même.
— Encore faut-il que certains s'en emparent convenablement…
— J'admets que c'est assez rare, acquiesça-t-elle à nouveau, mais cela ne change rien au fait que c'est très agréable d'en lire et de se laisser porter par les émotions des personnages. Certaines histoires peuvent être, parfois, assez problématiques et d'autres sont niaises comme il faut et sont juste toutes mignonnes même si elles reposent sur des clichés. Il suffit de prendre de la distance par rapport au contenu… comme pour tout ce qui existe. Le livre dont Lilith parlait est assez noir, par exemple. Les univers défaitistes ou presque dystopiques peuvent indirectement véhiculer l'idée aux gens qu'il ne sert à rien de se battre et que le pouvoir en place aura toujours l'avantage sur les résistances locales. Pourtant, personne ne remet ce genre en question.
— Oui enfin ce que je retire de tout ça, c'est plutôt qu'on devrait avoir des écrivaines qui font plus attention à ce qu'elles véhiculent entre les lignes parce qu'elles participent indirectement à ces abus dont tu parles. Elles pourraient divertir avec une bonne romance, où toutes les émotions que tu apprécies sont présentes, ou d'autres histoires, sans non plus véhiculer des trucs problématiques qui reposent sur des gros clichés. « Prendre de la distance », tout le monde ne peut pas le faire et puis personne n'aurait à le faire si les écrivaines prenaient leurs responsabilités.
— Ouais mais ça demande de vouloir faire l'effort, enchérit Alice. Tout le monde n'est pas Jeannette. Divertir sans abrutir, c'est un art. Et puis, en vrai, il faut peut-être donner un peu plus de crédit aux femmes que ce que ces écrivaines donnent pour écrire un truc qui soit pas problématique. Je veux dire, c'est facile de faire reposer tout ton récit sur des clichés et des rôles genrés, mais ne pas le faire suppose que tu ne vois pas les femmes par ces clichés et ces rôles genrés de base. Honnêtement, des fois on croirait qu'elles croient elles-mêmes que les femmes se ressemblent toutes, c'est super bizarre. Je suis sûre que ça ne m'a pas aidée, moi, toutes ces histoires.
— C'est vrai, concéda Emily. Après, la romance est souvent le seul genre où le personnage principal est une femme. Ca joue beaucoup, je pense.
— Cela dit, restreindre le rôle de la femme à la gestion des relations interpersonnelles renforce justement les rôles de genre, opposa Lilith. C'est précisément ce qui est attendu d'une femme.
— Ouais bah comme Eyrin disait, que les écrivaines arrêtent d'écrire de la merde, conclut Alice.
Nous rîmes et Emily secoua la tête, exaspérée. Elle finit sa bièraubeurre avant d'avancer dans ma direction :
— Peut-être que tu apprécierais bien plus ce genre de romans si tu te sentais concernée par l'histoire.
Je me figeai, gênée par le sous-entendu, et les filles échangèrent un regard. Ce n'était encore pas de ma faute si ces histoires concernaient toutes les mêmes genres de personnages et je répliquai aussitôt, légèrement agacée sur le moment :
— Peut-être que je me sentirais plus concernée par ces histoires si la vision des femmes et des relations de ces écrivaines était plus diversifiée.
— Tu as raison. Cela vient dire autant de notre société que de mes choix de lecture, concéda la brune, les moldus ont un peu plus de choix ou… font d'autres choix d'écriture comme de lecture.
Je soupirai, il y avait quelque chose de désagréable dans cette comparaison aux moldus, même si je ne saurais véritablement mettre les mots dessus. Lilith me jeta un regard soucieux avant de venir à la rescousse, une fois de plus.
— Quelqu'un mentionnait Sorcière Hebdo tout à l'heure, il me semble que nous en avons justement une fan autour de la table. Cet hebdomadaire est une bonne illustration d'évolution des mœurs. Fut une époque, les thématiques n'étaient pas aussi variées. J'y ai même vu une rubrique sur les sortilèges expérimentaux.
— Ouais, c'est chouette, répondit Alice après m'avoir lancé un regard à son tour. Les lectrices envoient les sortilèges qu'elles ont inventés. Honnêtement, ça ne marche pas toujours, mais c'est intéressant. Après bon, y'a beaucoup de mères de familles qui en inventent surtout à propos de la maison, mais j'ai l'impression qu'ils essayent de sélectionner les lettres qu'ils reçoivent pour avoir plus de diversité. Juste des fois… bah ils ont pas le choix que de boucler le numéro avec ce qu'ils ont. En tout cas, tu fais beaucoup parler les autres pour ne pas trop te dévoiler, continua aussi abruptement Alice.
Je relevai vivement les yeux, surprise par le changement de sujet.
— Je me disais également que tu semblais bien trop sage pour le nombre de fois où Eyrin a souligné ta curiosité, répondit simplement Lilith. Et à en juger par cette fin d'après-midi, c'est une habitude que nous partageons toutes deux.
— Oh, elle parle beaucoup d'elle, enchéris-je.
— Elle sait très bien parler d'elle, s'amusa dans le même temps Emily.
La blonde nous lança des regards accusateurs avant de se reconcentrer sur Lilith.
— Comment va ton frère ?
— Il va mieux. C'est gentil de prendre de ses nouvelles, comme c'était très gentil d'être passée l'autre jour.
Alice eut l'air contente que Lilith prenne le temps de marquer l'événement.
— Déjà, il faut que me tu me confirmes quelque chose parce que c'est toujours sous-entendu entre les lignes.
— Si quelque chose est sous-entendu, ça ne peut être autrement qu'entre les lignes.
Alice marqua un temps d'arrêt, me jeta un rapide regard et continua comme si de rien était, décidant manifestement qu'il valait mieux ne pas rebondir sur la correction de Lilith :
— Vous êtes tous cousins, pas vrai ? C'est ce qui explique les têtes du genre de Parkinson ou Crabbe. Je veux bien que leurs parents soient moches mais, quand même… des visages aussi affreux, ça ne peut pas être l'œuvre d'une seule génération.
J'éclatai de rire devant la spontanéité de la blonde, avant de me reprendre, gênée. Pourquoi fallait-il toujours que ce genre de choses me fasse rire ? Surtout que Crabbe avait perdu la vie lors de la Bataille Finale. Je crus un instant que Lilith allait rire à son tour mais elle se reprit bien vite.
— Il faut admettre que la nature n'a pas vraiment fait de cadeaux à Parkinson, concéda-t-elle. La plupart des familles de Sang-Purs anglaises se marient entre cousins, mais nous sommes plusieurs à avoir arrêté de le faire suite à des découvertes moldues sur la génétique et certaines déconvenues de familles royales moldues.
— Les autres familles ont trop de préjugés envers les moldus pour donner du poids à ces découvertes ? demandai-je.
— Il y a un peu de ça. À vrai dire, je pense surtout qu'il s'agit d'une question d'habitude. Ils ont toujours fonctionné comme cela et faire autrement est assez coûteux. Leur illusion de liberté et de choix s'effondrerait s'ils devaient envisager des mariages avec des familles extérieures : il est difficilement possible de tisser des liens « par hasard » avec des sorciers japonais ou états-uniens. Et puis, cela nécessiterait d'arrêter de considérer que seule la culture sorcière anglaise a de l'importance, ce qui n'est pas chose aisée pour la plupart de ces familles. Mais si nous sommes tout à fait honnêtes, il faut également admettre qu'il n'est pas exceptionnel pour des sorciers lambdas de se marier entre cousins éloignés étant donné le petit nombre de sorciers que nous sommes en Angleterre.
— Alors une partie de ta famille n'est pas anglaise ? demanda Emily. Je veux dire, les Grandes Familles anglaises sont toutes plus ou moins liées les unes aux autres, non ? Pour ne plus vous marier entre cousins, ça nécessite de sortir de l'Angleterre…
— Effectivement. Ma mère était australienne, ma tante est serbe, et ma grand-mère est sud-africaine. Mon arrière grand-mère était irlandaise.
— Tu parles d'autres langues que l'anglais ?
— Non, à part quelques mots ou quelques formules de politesse. Il y a des enchantements pour les communications plus complexes. Il est généralement plus important de connaître les coutumes de différents pays que leur langue.
— Est-ce que tu connais quelques mots suédois ?
— Cela ne me semble pas nécessaire, je suis pratiquement sûre qu'il est possible de tenir une conversation en suédois en utilisant seulement des interjections.
Je secouai la tête, à la fois agacée, le suédois n'était franchement pas si bizarre, et amusée malgré tout par le fond de vérité. Alice, elle, éclata de rire avant de s'arrêter net, réalisant probablement qu'elle venait de rire à une blague de Lilith.
— Je veux dire… ton père a déjà eu des conversations entières à coup de « hey », « tac », « hmh », « aaaaah ? », « mhm mhm », « oh », « huh » avec tes grands-parents.
— Hej et tack sont des mots, répliquai-je.
Sans faire cas de mon intervention, Alice jeta un œil peu convaincu vers le fond de son verre dont la bièrauberre avait complètement disparue.
— Quelqu'un a de toute évidence mis quelque chose dans mon verre… ou est très bon au rictusempra informulé, ajouta-t-elle avec une moue ennuyée.
Je souris, évidemment qu'il lui était difficile d'admettre avoir sincèrement ri à quelque chose que Lilith avait dit, et Emily rit à son tour.
— C'est très probablement ce qu'il vient de se passer, acquiesça ironiquement la brune.
— Tu dis ça sur ce ton, mais en vrai c'est dangereux. Qui sait ce que cette personne pourrait bien faire si elle s'amuse à lancer des sortilèges informulés comme ça sur des gens au hasard ? En tout cas, on sait que c'est probablement un élève de sixième ou septième année. Les petits ne savent pas lancer de sortilège informulé.
Je secouai la tête avant de rire.
— Ne te moque pas Eyrin, s'indigna Alice. Si ça se trouve, il commence avec un rictusempra histoire de vérifier qu'il est à bonne distance pour lancer discrètement un sortilège informulé sans se tromper de cible et après il passe aux choses sérieuses. C'est peut-être juste un test pour un sortilège plus dangereux.
Je levai les yeux au ciel et, à défaut d'avoir des coussins à disposition autour de nous, elle me fit un doigt d'honneur.
— Oh, tu vois, fit-elle innocemment, il m'a lancé un impero.
— J'allais la faire, m'offusquai-je.
— Tu es trop lente. L'avantage c'est que, visiblement, sous impero je n'ai de compte à rendre à personne, héhé.
Nous éclatâmes de rire et Lilith se redressa légèrement. Bien que son visage était à peine expressif, quelque chose me disait que nous n'allions pas apprécier ce qui allait suivre.
— Si nous étions en classe de sortilèges, c'est le moment où un certain coussin bleu volerait à travers la classe, j'imagine ?
Emily rit doucement et nous eûmes le même réflexe, avec Alice, de nous retourner vers Lilith avec un air particulièrement dépité. Bien sûr qu'au bout de six ans, elle nous avait vu plus d'une fois nous lancer des coussins à la figure. Je rougis et Alice soupira.
— Je me suis toujours demandé pourquoi Flitwick ne les enlevait pas. D'une certaine façon, il nous provoque.
— Vous faites ça depuis toujours, soupira Emily, vous n'avez très certainement pas eu besoin que Flitwick laisse des coussins partout. Vous êtes censées vous entraîner aux enchantements avec, pas vous le lancer à la figure. Au début, on dirait qu'on est face à des personnes responsables, continua-t-elle en se tournant vers Lilith, deux secondes après, on a l'impression d'être face à des sœurs de 8 ans qui se chamaillent.
— Au moins notre dortoir est plein de vie, rétorqua Alice. Vanessa et toi vous ennuieriez sans nous. Ca ne doit pas être la même histoire chez les Serpentards. Trois Sang-Purs dont deux qui se pensent mieux que les autres Sang-Purs et une pauvre Sang-Mêlée qui n'a rien demandé à personne… En parlant de Serpentards, continua-t-elle rapidement comme si elle avait attendu cette transition, nous sommes d'accord que tu as l'air de mépriser les mangemorts...
— C'est le cas, répondit Lilith.
— … et que tu utilises « Voldemort » pour parler… eh bien de Voldemort. Le moldu a dit à Eyrin que seuls les élèves qui avaient résisté le faisaient, expliqua-t-elle rapidement. Pourtant, je ne me souviens pas t'avoir vue dans la salle sur demande…
— Tu n'as pas à te justifier, m'empressai-je aussitôt en direction de Lilith. Plein d'élèves n'étaient pas dans la salle sur demande, continuai-je pour Alice sur un ton un peu plus abrupt qu'envisagé, cela ne veut rien dire, tu ne peux pas attendre de tout le monde de résister.
— Je sais bien, je n'ai pas dit le contraire. C'est toi qui interprètes mal les choses.
— Mal interpréter les choses ? Tu ne lui poserais même pas cette question si elle n'était pas Sang-Pur ou à Serpentard. C'est littéralement le lien que tu as fait en commençant ta phrase : Serpentard et mangemort.
— Pourquoi est-ce que tu es autant sur la défensive ? Je ne lui poserais pas cette question si son attitude n'était pas ambivalente. Si Wright a raison, alors elle a bien résisté d'une façon ou d'une autre l'année dernière. Je suis juste curieuse de savoir ce qui se cache là-dessous. Je ne lui reprochais pas de ne pas avoir été avec nous. C'était juste une façon détournée de lui demander ce qu'elle avait fait. Tu en as interprété je-ne-sais-quoi parce que tu as décidé que j'allais être un problème aujourd'hui.
Je jetai un œil autour de la table. Manifestement, la tablée avait l'air de considérer que j'étais celle en tort. Je soupirai.
— Je suis désolée.
— Ouais ouais, peu importe, souffla Alice manifestement blessée, je vais nous chercher à boire. Tout le monde reprendra la même chose ?
Elle n'attendit pas vraiment de confirmation et se leva aussitôt en direction du bar. Lilith s'empara de ma main sous la table et je soupirai à nouveau, triturant ses doigts.
— Je suis vraiment la seule à avoir interprété ce qu'elle a dit de cette façon ?
J'eus le droit à deux « oui » à l'unisson. Je pris congé des filles et rejoignis Alice au bar. Elle m'entendit approcher mais ne prit pas la peine de se tourner vers moi. Je vins face à elle.
— Je suis désolée, Alice.
Elle leva les yeux au ciel puis secoua la tête, refusant de me regarder. Je soupirai, le ventre serré. Elle ne rendait pas les choses faciles et les sorciers assis au bar semblaient un peu trop curieux. Je pris sur moi de les ignorer tant bien que mal.
— Je me suis mis dans la tête que tu ne l'aimerais pas et j'ai mal interprété ce que tu as dit, je suis désolée. Ce n'était pas juste de ma part de te prendre à partie comme ça devant tout le monde.
Alice se tourna enfin vers moi avant de se rapprocher légèrement, nous permettant de discuter de manière plus discrète.
— Tu sais à qui elle me fait penser ? soupira-t-elle en se penchant vers moi. À Alex. Elle a un air suffisant insupportable qui me donne envie de lui balancer ma bièraubeurre à la tronche et, en même temps, elle a quelque chose de touchant quand elle te regarde comme ça qui fait qu'on ne peut pas vraiment la détester… ce qui me donne encore plus envie de lui envoyer ma bièraubeurre dans la tronche. Tu aurais pu choisir Harper, ça aurait été plus facile de la détester. Enfin quoique, elle a l'air d'être une connasse, je te souhaite pas ça non plus, mais quand même, insista-t-elle sans finir sa phrase.
Je dus m'y reprendre à plusieurs fois pour m'assurer que je n'avais pas rêvé et qu'elle venait bien de comparer Lilith à son frère. Elle me regarda d'un air faussement sérieux qu'elle avait uniquement lorsqu'elle faisait semblant de faire la tête et nous finîmes par éclater de rire.
— Tu l'aimes bien, m'amusai-je.
— Je ne l'aime pas, répliqua-t-elle immédiatement. Elle est agaçante. Qui parle comme ça, Eyrin ? Je veux dire, si elle utilise une seule contraction de mots, tu crois que des boutons lui poussent sur le visage ou quelque chose ? Ou qu'un de leur Elfes de Maison meurt ? Peut-être qu'ils ont été maudits sur des générations entières, genre s'ils n'utilisent pas trois synonymes dans une phrase, ils deviennent tous comme Edgecombe. Les relations entre Grandes Familles, c'est pas joli joli, tu sais, c'est tout à fait probable qu'ils aient été maudits. On devrait lui demander. Enfin, tu devrais lui demander, à toi elle ne te dira pas non.
Ce n'était ni le moment ni l'endroit, mais pourtant je ne pus m'empêcher de partager aussitôt :
— Elle m'a dit qu'elle m'aimait. Enfin, je l'ai dit d'abord, ça m'a échappé mais… hm, elle a dit qu'elle m'aimait aussi.
— Oh Merlin, c'est exactement ce que je craignais. Ta tête, Eyrin, ajouta-t-elle rapidement. J'avais peur de te voir toute coulante de caramel aujourd'hui, ça n'a déjà pas manqué tout à l'heure mais alors là... Je suis sûre que si on te touche, tu colles aux doigts.
Elle joua avec mon épaule, prétendant avoir quelque chose de dégoûtant sur les doigts après m'avoir touché, et je levai les yeux au ciel. Elle eut l'air très fière de sa blague et rit toute seule.
— De te voir comme ça, continua-t-elle, je me sens déjà mal à l'aise à l'idée de me moquer de toi ce soir pour cette discussion très intense de tout à l'heure. Je ne savais pas que tu étais du genre à te mordre les lèvres comme ça. Honnêtement, on pouvait sentir toute la « tension », fit-elle en mimant les guillemets de sorte à ce que je comprenne très bien de quelle tension elle parlait. C'était comme assister à vos préliminaires.
— Alice ! m'offusquai-je.
J'eus un coup de chaud et vérifiai d'un coup d'œil que personne n'avait entendu ses idioties autour de nous. Si je le pouvais, je serais celle qui lui enverrais ma bièraubeurre au visage, elle n'était franchement pas possible. Elle rit à nouveau avant d'avoir, enfin, pitié de moi. Elle s'arrêta et se pencha.
— C'est vraiment super Eyrin. Vu comment elle te regarde, tu es la seule personne sur toute cette planète qui avait besoin d'une confirmation orale, mais c'est vraiment super. Je suis contente pour toi… enfin pour vous, j'imagine. Dis-moi juste qu'elle ne te l'a pas dit en te déclinant un poème ou quelque chose : on a déjà une Emily, on a vraiment pas besoin d'en avoir une autre. Elles gagneront toujours contre nous après, ce sera un véritable enfer. Regarde-les : elles rigolent déjà.
Je me retournai à mon tour vers les filles. Lilith ne riait pas réellement, mais elle souriait bien – ce qui devait revenir au même pour Alice qui n'avait pas l'habitude de la voir aussi expressive.
— Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai plutôt l'impression que c'est vous deux qui risquez plus souvent de vous liguer contre Emily et moi que quoique ce soit d'autre.
— Oh, on va vous botter le cul à nos parties de cartes, acquiesça Alice. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée pour mon foie, cela dit, toutes ces chocogrenouilles qui devront être mangées…, soupira-t-elle faussement ennuyé à l'idée de remporter nos parties de cartes.
La tête de Rosmerta apparut soudainement au-dessus du comptoir et je me raclai la gorge.
— Trois bièraubeurres et un sirop de cerise soda, s'il vous plaît.
— Pour la table de Miss Parker ?
— C'est… ça… la table de Miss Parker, répondit Alice en me jetant un regard appuyé.
— Je vous apporte ça dans quelques minutes les filles.
— … mais le statut n'a rien à voir là-dedans, souffla ironiquement Alice tandis que nous nous dirigions vers les filles. On vient ici depuis trois ans durant nos sorties, je suis sûre qu'elle ne remet même pas nos visages, Lilith lui dit une seule fois bonjour et t'inquiète pas qu'elle se souvient de son nom. Je devrais la remercier de ces opportunités professionnelles, quand on y pense. Je suis sûre que si les gens apprennent que j'ai bu un verre avec Miss Parker, j'aurais des propositions d'apprentissage au département de coopération magique internationale. On devrait toutes la remercier si tu veux mon avis.
Je secouai la tête avant de rire, elle n'était franchement pas possible. Une fois à leur hauteur, Emily et Lilith arrêtèrent de parler… ce qui n'était jamais très bon signe. Alice me lança un regard entendu, l'air de dire « je te l'avais dit », avant de s'installer à table. Je me penchai rapidement vers elle pour lui glisser à l'oreille :
— Tu l'aimes bien.
Elle me pinça aussitôt la hanche avant de se tourner vers Lilith, visiblement bien moins intimidée qu'elle l'avait été jusqu'à présent.
— J'espère que tu réalises dans quoi tu t'engages : elle a la maturité d'une enfant de trois ans. Ne te laisse pas berner par sa relative intelligence.
— C'est toujours mieux qu'avoir la maturité émotionnelle d'une mandragore, rétorquai-je tandis que je m'installais à mon tour.
— Qu'est-ce que je disais ?
— Et « relative intelligence » ? Merci bien.
— Aux dernières nouvelles, je suis celle qui a les meilleures notes autour de cette table, répliqua-t-elle.
— Je ne pensais pas les Serdaigle méritocrates, s'amusa Lilith.
— Oh non, Merlin, enchérit aussitôt Alice avec dégoût, le travail et les efforts, c'est bon pour les Poufsouffle.
Nous rîmes et Lilith secoua la tête, manifestement amusée.
— Ne dîtes pas que j'ai dit ça à Mattew, continua la blonde. D'ailleurs, il va falloir être en forme contre eux, ajouta-t-elle dans ma direction, ou on va l'entendre nous narguer pendant des semaines.
— Très en forme, accentua Lilith.
Je lui lançai un regard désabusé, évidemment que cela l'arrangerait bien que je sois en forme contre Poufsouffle.
— Tu sais, Lilith, ça ferait très plaisir à Eyrin de pouvoir gagner la Coupe de Quidditch cette année, enchérit Alice d'une voix bien trop mielleuse pour que je ne ris pas aussitôt.
— Je suis pratiquement certaine qu'Eyrin détesterait gagner parce que l'adversaire avait pitié d'elle. Ta meilleure amie a plus grande dignité que se rabaisser à tricher pour gagner.
— Dignité ? Vous ne donniez pas l'impression de savoir ce que c'était lorsque vous avez jetée Eyrin dans le vide, rétorqua la blonde sans se laisser démonter.
— Eyrin est tombée dans le vide, corrigea Lilith alors qu'Alice leva les yeux au ciel, et il me semble que, sans cet incident, tu n'aurais pas matière à tenter de m'acheter.
— Tout de suite les grands mots, soupira la blonde. Vous voyez ? C'est ça les Serpentards : ils trichent et fautent, mais quand on ne fait que leur parler, on essaye de les acheter. Je ne fais que te rappeler que ta petite-amie serait très heureuse de voir sa maison gagner quelque chose pour une fois. Tu sais, après neuf ans, je la connais bien : je partage simplement quelques conseils pour que votre relation se passe au mieux.
— Tu n'es pas possible, m'amusai-je.
— La meilleure amie de ma petite-amie serait très heureuse de voir sa maison gagner quelque chose pour une fois, corrigea à nouveau Lilith.
— Oh, je serais très heureuse de voir Serdaigle gagner la Coupe, enchéris-je.
Emily rit doucement et Alice lança un regard victorieux à Lilith avant de continuer :
— Tu viens d'une famille de diplomates, non ? On ne vous apprend pas qu'il faut parfois compromettre un peu pour que les relations se passent bien ? Vous prenez la Coupe des Quatre Maisons et vous nous laissez la Coupe de Quidditch, proposa-t-elle. Franchement, tellement de choses se passent cette année, tu dois être fatiguée, Lilith. Être attrapeuse demande beaucoup d'attention et nos conditions d'études actuelles ne nous permettent pas d'être au top de nos capacités. Il n'y a pas de honte à avoir. Il est tout à fait normal que certaines performances soient loin de refléter tes capacités réelles. Un vif d'or est si vite perdu de vue.
Lilith parut amusée par les tentatives d'Alice et finit par entrer dans son jeu :
— Techniquement, je devrais plutôt attraper très rapidement le vif d'or et refuser de jouer le jeu des points pour vous « donner » la Coupe de Quidditch. C'est le seul scénario dans lequel vos adversaires auraient si peu de points que vous pourriez dépasser votre très impressionnant retard.
Je lui envoyai un regard désabusé – ce « très impressionnant retard » n'était pas tout à fait anodin - et elle sourit, bien trop amusée.
— Cela dit, vous permettre de remporter la Coupe de Quidditch reviendrait quasiment à vous donner la Coupe des Quatre Maisons. Quelque chose me dit que tu as très bien conscience de cette réalité.
Alice soupira, vaincue, et Rosmerta arriva avec nos boissons. Une fois en possession de son soda, Lilith reprit :
— Tu sembles très rôdée à l'exercice.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Alice sur un ton faussement innocent.
— Tu as tendance à changer de sujet lorsque tu cherches à obtenir des informations. Tu noies le vrai sujet de discussion dans différents sujets, si bien qu'on ne sait plus trop quel était le sujet de départ… ce qui est exactement ce que font certains journalistes, très ennuyants par ailleurs.
— Je vais prendre ça comme un compliment : quand quelqu'un de la haute trouve un journaliste ennuyant, c'est que ce journaliste est efficace.
— C'en était un.
Alice marqua un temps d'arrêt avant de simplement boire une nouvelle gorgée de sa bièraubeurre en silence. Je ne pus m'empêcher de lui lancer un regard entendu qui fut très vite répondu par un regard noir, forme d'aveu très net : Lilith était définitivement en train de gagner des points. Après tout, Lilith n'aurait pas pu choisir meilleure thématique... mais j'imaginais que, comme elle l'avait prétendu plus tôt, elle ne cherchait pas du tout à plaire à Alice, bien évidemment.
— Alors Eyrin change de sujet lorsqu'elle veut éviter de parler d'un sujet spécifique et Alice change de sujet lorsqu'elle veut parler d'un sujet spécifique… vous devez avoir beaucoup de quiproquos.
— Oh oui, souffla aussitôt Emily.
Nous nous retournâmes vers elle avec Alice, à la fois surprises et confuses. Je n'avais aucune idée de ce dont elle pouvait bien parler.
— Cet été, vous avez mutuellement changé de sujet pendant dix minutes sans vous en rendre compte. C'était comme assister à deux discussions en parallèle mais vous pensiez pourtant parler de la même chose.
— Chez Alice ? vérifiai-je.
— C'est pour ça que tu riais cette fameuse soirée ? enchérit la blonde tandis qu'Emily acquiesçait à ma question. J'ai cru que Theo s'était soudainement fait pousser un sens de l'humour mais en fait, c'était pas du tout sa lettre qui te faisait rire quand t'étais dans le pouf. Tu te moquais de nous.
— Theo est très drôle, rétorqua la brune.
— Autant que Lilith.
La phrase eut l'air de lui avoir échappé, car Alice se figea aussitôt, son verre à quelques centimètres de son visage et les yeux qui faisaient des allers-retours entre Lilith et moi. Cette dernière se redressa, le dos bien droit. Sa fierté avait été piquée et elle ne comptait manifestement pas se restreindre d'intervenir cette fois.
— Ai-je le droit de faire remarquer que tu as ris tout à l'heure ou est-ce déjà trop menaçant pour ton estime ?
— Je n'ai pas ris parce que c'était drôle, répliqua aussitôt Alice en reposant son verre. C'était un rire de surprise parce que j'ai été… surprise… par la violence dont tu as fait preuve envers la culture paternelle d'Eyrin et le manque de considération que tu as eu à l'égard de la langue suédoise. Ce n'était vraiment pas digne d'une Parker, entre nous, un tel manquement à la décence devrait être menaçant pour ton estime de Sang-Pur.
— Hm hm, répondit simplement Lilith.
Évidemment qu'elle lui répondit par une interjection ; je ris, bien vite suivie par Emily et Alice leva les yeux au ciel.
— Ce n'était pas drôle les filles. Franchement je commence à m'inquiéter, vous êtes un public trop facile.
— Il me semble que cela en dit plus sur toi que sur Emily et Eyrin.
La blonde ouvrit la bouche, la referma et se tourna vers moi. Je dus prendre sur moi pour ne pas éclater de rire devant son air à la fois surpris et indigné et finis par boire une gorgée de ma bièraubeurre pour cacher mon visage. À force de chercher Lilith, elle l'avait trouvé et c'était particulièrement drôle à voir.
— Tu vas la laisser me parler comme ça ? s'offusqua enfin Alice.
Lilith se raidit et je m'empressai :
— Elle rigole, elle ne l'a pas mal pris. La culpabilisation est sa dernière tentative lorsqu'elle est prise au piège. Et tu as ouvert les hostilités, continuai-je en direction d'Alice, tu es la définition-même du culot.
— Tu parles, ça n'a rien à voir avec qui a commencé quoi : tu la regardes toute amoureusement, tu aimes quand elle est comme ça.
Je rougis, franchement gênée d'être aussi transparente. Entre le sourire fier de Lilith qui prenait bien trop de plaisir à la situation et le regard victorieux d'Alice qui m'informait très clairement que « si tu m'embêtes, j'en ai encore d'autres en stock », je ne savais plus où me mettre.
— … mais qu'est-ce qu'il se passerait si je l'avais mal pris ? continua la blonde en direction de Lilith. Est-ce que ton éducation te forcerait à faire preuve de clémence et à attraper très vite le vif d'or demain ? Parce que tu sais, je ne suis pas sûre de savoir comment je me sens vis-à-vis de tout ça. On ne se connaît pas, tu te permets des petites piques, ça pourrait très vite être vexant, quand on y pense.
Je secouai la tête, amusée malgré moi. Lilith se tourna dans ma direction avec un regard interrogateur.
— Elle essayera tant qu'il y aura de l'espace pour essayer, acquiesçai-je.
— Tu dis ça comme si c'était une mauvaise chose, râla Alice.
