Disclaimer : MFB ne m'appartient pas.

TA-DAA ! Chapitre 3, deux semaines après le chapitre 2 !


Chapitre 3 : L'appel du lointain


Ginga soupira. Il regarda les paumes de ses mains. Elles ne tremblaient pas. Il aurait dû en être soulagé. Cela prouvait qu'il parvenait à garder sa fébrilité sous contrôle... pour un regard extérieur. D'ordinaire, sa capacité à dissimuler ses émotions négatives était importante pour lui. Comment ses amis pourraient compter sur lui s'il se laissait sombrer dans la mélancolie ou, pire encore, la colère ? Il fallait sourire, se montrer enthousiaste et plein de joie de vivre, enfouir profondément tout ce qui était négatif. Comme son mal-être face au calme actuel.

Ginga laissa échapper un autre soupir. La plupart de ses émotions étaient comme engourdies. Il ne parvenait pas à éprouver un murmure de soulagement.

- Ginga !

Un sourire, parfaitement automatique, orna ses lèvres. Il tourna la tête.

- J'arrive !


XXX


Ginga se trouvait dans le sous-sol du B-Pit avec Madoka. Il était assis sur la banquette – qu'il considérait presque comme sa banquette étant donné toutes les nuits où il y avait dormi – tandis qu'elle chantonnait à sa table de travail, en réparant une toupie. Elle ne semblait pas aussi heureuse quand elle devait réparer Pegasus, Leone, ou le bey d'un de leurs amis.

Bon, pour être parfaitement honnête, lorsqu'elle se voyait confier Pegasus ou Leone après un de leur duel tumultueux, elle affichait un air résigné qu'elle n'avait pas pour leurs amis.

Elle a l'air tellement à sa place ici.

Ginga... Envier n'était pas le mot. Madoka était son amie. Jamais il ne voudrait lui arracher ce qui faisait son bonheur. Mais il aimerait connaître la même chose.

Il ne se sentait plus à sa place.

Le constat lui faisait mal, surtout qu'il avait considéré Bey-City comme sa maison. Le pouvait-il encore, s'il avait l'impression que la ville n'avait plus rien à lui apporter ? Pire encore, qu'elle formait une cage qui se fermait peu à peu sur lui ?

Ginga ferma les yeux et convoqua un visage. Des yeux d'un bleu aussi profond et complexe que l'océan. Deux cicatrices rugueuses sur une peau lisse. Une bouche expressive. Des cheveux verts qui semblaient si doux que ses doigts le démangeaient de les toucher.

Kyouya Tategami.

Heureusement, son rival était là, et ils passaient du temps ensemble – pour la première fois de son existence, Ginga avait trouvé un intérêt aux maths et aux sciences. Quand il était aux côtés de Kyouya, Ginga parvenait à ignorer, même à oublier, son mal-être.

- Et voilà !

L'exclamation fière de Madoka perça ses pensées. Ginga ouvrit les yeux. Son amie rangeait les différents outils qu'elle avait avait utilisées. Elle pivota sa chaise pour lui faire face, un grand sourire sur le visage.

Tellement à sa place, pensa Ginga avec nostalgie.

Il avait connu ça, lui aussi. Il avait beau se le rappeler, il était incapable de se souvenir exactement comment il s'était senti à cette époque. Il savait seulement que c'était agréable.

- Tu ne t'es pas trop ennuyé ?

- Non.

Ginga s'efforçait de passer du temps avec ses amis individuellement. Il avait du mal à les gérer tous en même temps – ce qui faisait de lui une personne horrible – mais s'il les évitait trop, ils commenceraient à se poser des questions. Même Madoka, qui croyait pourtant tous ses mensonges.

- Tant mieux !

Madoka se leva. Ginga la précéda dans les escaliers. Ils atteignirent le rez-de-chaussée du B-Pit.

- Tu as rempli tes vœux ?

Ginga eut besoin d'un mouvement pour comprendre qu'elle parlait de son orientation scolaire et de ses souhaits professionnels. Il haussa les épaules.

- J'ai écrit la vérité.

- C'est-à-dire ?

- "Je souhaite mener plein de duels Beyblade avec mes amis."

Et Kyouya. Surtout contre Kyouya.

- Tu plaisantes ?

- Non.

Madoka soupira. Ginga sentait qu'il était la cause de son changement d'humeur, même s'il n'en comprenait pas la raison – ce qui ne l'empêchait pas de s'en vouloir.

- Tu aurais dû y répondre sérieusement... à moins que tu n'y aies pas pensé ?

- J'ai répondu sérieusement, répliqua Ginga sur la défensive.

Calme-toi, s'ordonna-t-il.

- Jouer au Beyblade avec ses amis est un passe-temps.

Un mode de vie, la corrigea Ginga intérieurement. Ma raison d'être.

La vérité de ces pensées le frappa. Et s'il était là, le cœur du problème ? Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas lancé Pegasus contre un adversaire. Il était un blader dans l'âme. Comment pouvait-il se sentir bien s'il ne jouait pas au Beyblade ?

Et, surtout, comment il avait pu ne pas y penser plus tôt ?

Madoka reprit la parole, l'empêchant de creuser cette piste. Il se promit d'y réfléchir plus tard.

- Il existe des vrais métiers en rapport avec le Beyblade, y compris des métiers où il faut savoir utiliser une toupie.

Ginga n'aimait pas la tournure que prenait la discussion.

- Le Beyblade, c'est la liberté. Pegasus est mon partenaire. Jamais je ne l'enverrai sur une cible qu'on m'a désignée.

- Tu t'es battu contre Nemesis, Daidouji et Ziggurat.

- Parce que je sentais que c'était juste, répondit Ginga, plaçant une main sur son cœur. Pas parce qu'on me l'avait demandé.

Madoka plissa le front. Elle ne comprenait pas la différence. Elle pensait que l'AMBB était uniquement motivée par des causes nobles.

- Tu pourrais utiliser tes talents pour l'AMBB, dit-elle, prouvant qu'il la connaissait bien. Ils ont besoin de bladers comme toi.

- Daidouji cherche à exploiter les toupies comme des armes. Je le lui reproche à chaque fois que je le croise.

Et arrête ses plans.

- Ce serait plutôt hypocrite de devenir le... bras armé de l'AMBB dans ces conditions, tu ne crois pas ?

Ginga avait été tenté de dire chien d'attaque, mais il s'était retenu juste à temps. Il ne voulait pas choquer Madoka.

Son amie parut encore plus confuse.

- Mais... l'AMBB et Daidouji, c'est différent.

Ginga se contenta de sourire. Madoka n'avait pas tort... mais il savait qu'il avait raison. S'il ne s'accrochait pas à ses convictions, que lui restait-il ?

- Si tu ne veux pas un travail en rapport avec le Beyblade, reprit-elle d'un ton laissant entendre à quel point elle trouvait l'idée étrange, qu'est-ce que tu comptes faire ? Travailler dans un bureau ? Un magasin ?

Si Bey-City lui faisait l'effet d'une prison, ces questions ressemblaient à des chaînes qui entravaient ses jambes et ses poignets. Ou à des plumes arrachées.

Ginga continua de sourire.

- À plus tard Madoka.

Il se leva et partit. Par chance, cette discussion avait eu lieu le jour où il devait retrouver Kyouya. Ginga pourrait l'oublier d'ici quelques heures.

Il avança dans les rues de Bey-City, se fondant dans la foule. Essayant de se fondre dans la foule. Sa célébrité l'empêchait d'être invisible. Des coups d'œil lui rappelaient sans cesse qui il était. Qui il était censé être.

Il avait l'impression que des plumes étaient semées sur son passage.

"Qu'est-ce que tu comptes faire ? Travailler dans un bureau ? Un magasin ?"

Ginga secoua la tête. Les ailes de Pegasus étaient intactes. Il pouvait toujours s'envoler et parcourir librement le ciel.

Librement.

XXX

- Tu es arrivé tôt.

Ginga ouvrit les yeux et leva la tête. Kyouya se tenait debout à côté de lui. Ginga l'avait entendu approcher mais il avait profité un peu plus de l'odeur des embruns et de leur fraîcheur sur sa peau.

- J'arrive toujours plus tôt que toi, lui fit-il remarquer, rieur.

Kyouya roula des yeux.

- Tu es arrivé plus tôt que d'habitude.

Ginga ne lui demanda pas comment il le savait. Kyouya et lui... Leur relation se passait souvent de mots. Ils se comprenaient.

Ginga rejeta la tête en arrière. Le ciel était bleu, parcouru de quelques nuages seulement. L'été s'annonçait clair.

- J'avais besoin d'un endroit où réfléchir tranquillement.

- Et ça fonctionne ?

- Oui.

Ginga n'avait pas trouvé toutes les réponses qu'il cherchait, mais cette pause lui avait permis de se détendre. Ici, entre l'océan et le ciel, sans humains à proximité, il pouvait abandonner son masque et être simplement lui-même.

Kyouya posa un sac près de ses jambes et s'assit en face de lui. Ils n'étaient qu'à deux mètres l'un de l'autre. Si Ginga se penchait en avant et qu'il tendait le bras, il pourrait le toucher.

Il regarda Kyouya fouiller dans le sac. La question que Madoka lui avait posée lui brûlait les lèvres – comment Kyouya envisageait son avenir ? – mais il craignait de le froisser.

Kyouya leva les yeux vers lui et haussa un sourcil.

- Oui ?

Trouver un autre sujet ou se lancer ? L'étincelle d'agacement qui brilla dans le regard de son rival le poussa à choisir la seconde option. Il n'avait pas d'idées pour un autre sujet, de toute façon, et le blader de Leone n'était pas réputé pour sa patience.

- Tu as des idées de projets professionnels ?

L'agacement de Kyouya mourut. Il se redressa et délaissa son sac.

- Vous avez aussi dû donner vos vœux d'orientation dans ton école ?

Ginga hocha timidement la tête.

- Je vais reprendre l'entreprise de mon père.

Ginga essaya d'imaginer Kyouya dans un bureau et... si ça ne lui semblait pas d'une cohérence absolue, l'image ne lui semblait pas complètement décalée non plus. Sûrement grâce aux cours de soutien, qui lui avaient permis de fréquenter un aspect de Kyouya différent de son rival féroce et explosif.

- Et ça te convient ?

- Évidemment.

Kyouya eut un sourire.

- La TC a une place importante maintenant, mais j'ai de nombreuses idées pour la faire monter encore plus haut. J'en ai un cahier entier, ainsi qu'une liste d'entreprises pour le M&A. Bien sûr, continua-t-il un brin plus sérieusement, si une occasion vraiment belle se présente et que Père n'y a pas pensé, je lui en parle. Heureusement que ça n'arrive pas souvent. J'ai mieux à faire que travailler à sa place.

Ginga n'avait pas compris la moitié de ce que Kyouya avait dit, mais son rival semblait satisfait de sa situation. Il se détendit. Il détestait l'idée de le voir souffrir. Toutefois... Kyouya était le blader qui lui ressemblait le plus. Ils avaient la même passion, la même rage de vaincre, le même lien avec leur toupie. Si la vie professionnelle ne le rebutait pas...

Ça veut dire qu'il y a vraiment un truc qui cloche chez moi.

- Et si Benkei persiste dans son projet de restaurant, je vais devoir le surveiller. Père accepterait sûrement de s'en occuper mais Benkei a peur de lui.

Ginga fut soudainement ramené au présent. Il dévisagea Kyouya, les sourcils froncés.

- Pourquoi Benkei aurait peur de ton père ?

Kyouya haussa les épaules.

- Tout le monde a peur de mon père. Enfin, presque.

- Tu as évité la question.

Kyouya le fixa. Ginga haussa un sourcil. Kyouya soupira.

- Peut-être qu'il l'a un peu kidnappé.

- Un peu kidnappé ? répéta Ginga, incrédule. "Un peu" kidnappé, ça n'existe pas. Et c'est quoi le problème de ta famille avec les enlèvements ?

Kyouya voulut répliquer mais Ginga balaya ses futures paroles – des récriminations indignées, d'après son expression – d'un revers de main. Il n'avait pas envie de perdre son temps avec ça, même s'il avait d'excellents arguments, par exemple quand Kyouya avait beynappé Sagittario et cette autre fois où Kakeru avait décidé que capturer Ginga était le meilleur moyen de lui proposer un duel Beyblade.

Les Tategami avaient un problème avec les enlèvements.

- Laisse tomber. Pourquoi ton père a un peu kidnappé Benkei ?

Kyouya fronça le nez.

- Il voulait être sûr que j'étais digne d'hériter de la TC.

Son nez se fronça un peu plus. Ginga avait envie de l'embrasser pour en effacer les plis.

- Comme si j'étais indigne de la TC, grogna-t-il.

- Une épreuve donc. Et tu l'as réussie.

Kyouya se rengorgea.

- Évidemment.

Même si Ginga s'efforçait de ne pas le comparer à un chat – fierté de lion oblige – il y avait des moments où il ne pouvait s'en empêcher. L'attitude de Kyouya ordonnait cette comparaison parfois. Comme sa manière de ronronner devant ses compliments.

- C'est pour ça que ton père est sévère sur les résultats scolaires ?

- Je ne me suis jamais posé la question. Ce que je sais, c'est que de bons résultats le mettent de bonne humeur, sans me prendre la tête.

Kyouya lui adressa un sourire de connivence.

- Et ça équilibre avec certaines... mésaventures.

- Autrement dit, tu fais attention à tes résultats scolaires pour te permettre des écarts de comportement.

- Exactement.

Chacun ses motivations je suppose.

Ils laissèrent passer quelques instants de silence, que seuls le murmure des vagues et le souffle du vent interrompaient.

- Tes profs l'ont mal pris quand tu as répondu que tu jouerais au Beyblade ?

Ginga adressa un regard surpris à son rival. Comment avait-il deviné ?

Kyouya eut un sourire doux, bien différent de ceux qu'il avait affichés plus tôt. Ginga ne comprenait pas pourquoi les gens le qualifiaient de renfrogné. Il avait toute une palette d'expressions, et les sourires n'étaient pas les plus rares – même si les sourires doux étaient d'une incroyable rareté.

- Je te connais.

Le cœur de Ginga eut de drôles de réactions, comme s'il virevoltait.

- L'inverse est vrai aussi.

Ils se regardèrent. Ginga était happé par le regard d'un bleu tumultueux, comme à chaque fois.

- Plusieurs... personnes m'ont fait comprendre que c'est une réponse de gamin.

- Ils attendaient une autre réponse de Ginga Hagane ? s'étonna Kyouya. Tu es un blader.

- Toi aussi.

Kyouya secoua la tête.

- Pas depuis mes premiers pas. C'est toi qui as fait de moi un blader. Je te l'ai déjà dit.

Des mots qui touchaient profondément Ginga. À chaque fois.

- Tu avais ça en toi. Tu ne t'en étais pas encore rendu compte, voilà tout.

- Si tu le dis...

Kyouya secoua la tête. Il darda de nouveau un regard acéré sur lui.

- Bref. Nous parlions de toi. Ils s'attendaient à quoi au juste ?

- Que je travaille.

- Dans un magasin ou un bureau ? se moqua Kyouya.

Ses paroles étaient si proches de celles de Madoka que cela perturba Ginga.

- Comme tout le monde.

- Tu n'es pas tout le monde.

- Toi non plus. Et tu es un excellent blader, un des meilleurs que j'ai rencontrés. Pourquoi j'aurais droit à un traitement de faveur et pas toi ? Ça ne te frustre pas ?

- J'ai toujours su que j'allais reprendre la TC.

- Ça ne ressemble pas à un choix, murmura Ginga, mal à l'aise.

- Tu regrettes d'être un blader ?

- Non !

Pourquoi Kyouya posait cette question ? D'où pouvait lui venir une idée pareille ? Le Beyblade... Le Beyblade était toute sa vie. Ça faisait intimement partie de son identité. Qui il serait sans cela ?

- Pourtant, tu pratiques le Beyblade depuis toujours. Ce n'est pas vraiment ta décision.

Oh.

Ginga adressa un sourire d'excuses à Kyouya.

- Je vois.

- Pégase doit voler librement dans le ciel. Ce serait contraire à ta nature de te laisser enfermer.

- Et ça convient à un Lion ?

Une étincelle féroce brûla dans les yeux de Kyouya. Il s'adossa contre un plot d'amarrage, dans un mouvement souple et – en tout cas, Ginga le pensait – sensuel.

- Je suis le Roi des Animaux. De quoi aurais-je l'air sans un royaume à diriger ?

Aussi léger fut-il, son sourire était communicatif et Ginga ne put s'empêcher d'y répondre.

- Tu n'as pas abandonné l'idée après les Face Hunters ?

- J'ai décidé de voir plus grand.

Ginga secoua la tête, amusé. Son rival !

- Et j'arrive à conjuguer le Beyblade avec les résultats scolaires. Ce sera pareil quand je dirigerai la TC.

Cette assurance. Du Kyouya tout craché.

- Pour en revenir à toi, même si tu fais de ton mieux pour concentrer la discussion sur moi...

- J'aime en apprendre plus sur toi.

Kyouya tenta – sans succès – de réprimer son sourire.

- ...tu ne devrais pas te prendre la tête pour faire plaisir aux autres. Tu es fait pour être blader. Ne te force pas dans quelque chose qui te rendra malheureux.

- Sacré conseil.

- Il ne te plaît pas ?

- Si, bien sûr que si. C'est un peu égoïste par contre, non ?

- Ça te fera du bien d'être un peu égoïste. Tu dois travailler là-dessus.

Kyouya le disait avec un tel sérieux que Ginga laissa échapper un rire. Son rival eut l'air perplexe. Il fronça lentement les sourcils, le toisant d'un air sévère, avant de se remettre à fouiller dans son sac. Il en sortit un manuel de mathématiques qu'il tendit à Ginga. Le rouquin fit la moue.

- Je croyais devoir éviter ce qui me rend malheureux.

- Arrête tes bêtises.

Ginga poussa un long soupir, parfaitement exagéré.

- Tes pauvres futurs employés...

- Ils seront ravis de travailler pour moi. Comme les Face Hunters l'ont été.

Ginga se demandait ce que cela signifiait pour le futur de la TC.

Bah. Ils ont de la chance de pouvoir travailler avec Kyouya.

Ça ne l'aurait pas tellement dérangé d'être à leur place.


XXX


Un après-midi entier passé aux côtés de Kyouya, à discuter et à profiter de sa compagnie, était plus que Ginga avait osé espéré pendant les Championnats du Monde... et à la suite de son départ tempétueux pendant la quête des bladers légendaires.

Finalement, ils se tenaient côte à côte.

Ginga avait réalisé que c'était leur destin juste avant d'affronter Nemesis pour la première fois, en Amérique du Sud.

Le soir tombait et Ginga longeait tranquillement le canal. Un autre coin désert et naturel de Bey-City – son préféré.

Ginga s'aventura sur la pente herbeuse. Il s'allongea, regardant le ciel virer à l'orange et les étoiles les plus opiniâtres commencer à scintiller. Il profita du spectacle du ciel qui s'assombrissait et des étoiles qui se multipliaient. Des blanches, des bleutés, des rougeâtres. Plus ou moins grandes. Plus ou moins brillantes.

- Bonsoir Ginga.

Le rouquin leva la tête et vit Kenta derrière la barrière. Si Madoka avait changé, ces derniers temps, ça n'avait rien de comparable avec la croissance fulgurante de leur ami. D'enfant craintif au début de leurs aventures, il était devenu un adolescent confiant.

- Bonsoir.

Kenta contourna la barrière, descendit quelques marches et le rejoignit. Contrairement à Kyouya et lui – et la majorité des bladers à vrai dire – il respectait scrupuleusement les règles.

Il prit place à côté de lui.

- Ça me rappelle le jour où on s'est rencontrés.

- C'est vrai.

- Est-ce que tu vas bien Ginga ?

Arg !

Évidemment. Ginga ne s'attendait pas à pouvoir cacher indéfiniment son état à ses amis, surtout à Kenta ou à Benkei. Ils étaient drôlement perspicaces à son sujet – un peu trop même.

- Je travaille dessus.

Kenta le regarda tristement.

- Ce n'est pas très positif ça.

- Peut-être, mais c'est sincère.

Et Ginga avait déjà dit davantage qu'il n'en avait eu l'intention.

- D'accord, soupira Kenta. Mais souviens-toi que nous sommes tes amis. Tu peux nous faire confiance.

- Je sais.

Et, parce qu'ils étaient ses amis, Ginga refusait de gâcher leur bonheur actuel parce que combattre lui manquait.

Kenta ne semblait pas convaincu, mais son expression indiquait qu'il laisserait couler. Ginga lui en était reconnaissant. Il ne voulait pas que tous ses efforts soient vains.

- ...Tu as eu des problèmes avec Kyouya ?

Le nom de son rival emplit Ginga de joie, balayant les traces de son malaise. Il afficha un immense sourire.

- Aucun ! Kyouya et moi...

Son sourire s'élargit. Il ne pouvait s'en empêcher : il adorait cette formulation – Kyouya et lui.

- Kyouya et moi, répéta-t-il, passons beaucoup de temps ensemble.

Pas autant que Ginga aimerait mais bien plus que pendant leurs aventures. Il fallait bien que cette vie calme – trop calme – comporte quelques avantages.

- Pourquoi cette question ?

- D'habitude, quand tu es triste, c'est en rapport avec Kyouya.

Le sourire de Ginga se crispa et ses joues le brûlèrent. Il leva la tête vers le ciel étoilé, comme s'il l'intéressait soudainement.

- Ah oui ? Ha ha. Drôle de coïncidence.

Ginga sentait un regard fixé sur lui. Il résista près d'une minute mais la curiosité l'emporta et il tourna la tête. Kenta le dévisageait d'un air atterré, qui vexerait même une personne moins fière que lui.

- Ça veut dire quoi ça ?

- Rien, marmonna le blader de Sagittario.

- Tu viens de dire qu'on ne fait pas de cachotteries entre amis, lui rappela Ginga, soupçonneux.

Qu'est-ce que Kenta pouvait bien penser pour faire une tête pareille ?

- Ce n'est pas une coïncidence.

Ginga se figea. Il osait à peine respirer. Seul son cœur, qui battait un peu plus vite, ne semblait pas avoir reçu le message de passer inaperçu – ou alors, il s'en moquait allègrement.

Kenta posa sur lui un regard apitoyé.

- Et tout le monde est au courant.

Ginga s'étrangla. Comment ça tout le monde?

Kenta lui tapota le bras.

- On est tous avec toi. Tu peux compter sur notre soutien.


XXX


Aussi perturbantes et gênantes qu'aient été les paroles de Kenta, elles avaient eu le mérite d'obliger Ginga à penser à autre chose que le calme régnant et le manque de combats. Il n'avait été capable de penser à rien d'autre jusqu'à s'endormir... et cela faisait une éternité qu'il n'avait pas aussi bien dormi, ses soucis mis de côté pour un temps. Il ne s'était toujours pas remis le lendemain, s'inquiétant de qui Kenta avait désigné "tout le monde" – leurs amis proches ? l'ensemble de leurs amis ? leurs connaissances ? ou littéralement le monde entier ?

C'était agréable de s'inquiéter pour une chose aussi futile.

Au fil du temps, malheureusement, cette inquiétude fut remplacé par des vraies préoccupations, comme l'approche d'examens trimestriels et le risque de devoir suivre des cours de soutien pendant l'été – des vrais, avec des professeurs professionnels.

Ginga s'encourageait intérieurement. Il se raccrochait à la certitude qu'il était un blader avant tout – certitude que Kyouya avait renforcée – et que tout ça n'était qu'un mauvais moment à passer.

Ginga se dirigea vers les quais, si fatigué qu'il en avait mal à la tête.

Plus que deux semaines et ce sera les vacances...

Malgré les cours d'été, il aurait davantage de temps libre que pendant la période scolaire. Il fallait voir le bon côté des choses !

Ginga se laissa tomber à sa place habituelle. Il était tellement fatigué...

Il se passa les mains sur le visage, essayant de se réveiller ou de chasser l'agitation ou il ne savait quoi.

Ce geste ne le calma pas. Il ne servit à rien. Ginga ne savait pas trop pourquoi il s'attendait à un autre résultat.

- Tu vas plus mal.

Ginga réprima un sursaut. Il baissa les bras et ouvrit les yeux. Kyouya se tenait à quelques pas de lui. Il ne l'avait pas entendu approcher.

Il se passa une main tremblante sur le visage. Il se sentait fébrile. Sa gorge était sèche. Kyouya était juste là, à côté de lui, mais Ginga devait se concentrer pour lui prêter attention.

- Je...

Il ne savait même pas ce qu'il voulait dire.

Kyouya le regardait avec tristesse. Ce fut un électrochoc. Ginga se retrouva pleinement dans le présent, sur le quai désert. Le vent soufflait sur les vagues, des nuages blancs se déplaçaient silencieusement dans le ciel et l'odeur de la mer se répandait dans l'air. Les yeux de Kyouya, et son visage si expressif, mettaient son âme à nue. Ginga ne voulait pas qu'il soit triste, surtout pas à cause de lui.

- C'est bientôt les vacances. Ça ira mieux après.

Il s'agissait plus d'un souhait que d'une certitude, mais Ginga devait y croire. Sinon...

Autrement, il ne savait ce qu'il lui resterait.

Kyouya ne paru pas convaincu. Le cœur de Ginga se serra. Il ne pouvait pas effacer ses doutes, pas alors que son rival les partageait.

Chose qu'il n'aurait pas faite un mois plus tôt, Ginga tendit la main et prit celle de Kyouya. Le blader de Leone ne se dégagea pas. Il se contentait d'observer son visage de ses yeux si bleus. L'attrait de l'horizon paraissait moins fort à Ginga. Ce n'était plus qu'un murmure, facile à ignorer. L'attraction qui le tirait vers Kyouya balayait tout le reste. Elle agissait autant sur son corps que sur son âme.

Ginga serra la main de Kyouya. Il tira légèrement dessus. Kyouya accéda à se demande silencieuse. Il s'approcha d'un pas. Ginga sentait son corps se relaxer. Bien que Kyouya se tenait debout et qu'il était assis à même le sol, il n'avait pas l'impression d'être dans une position d'infériorité. Kyouya et lui étaient égaux. Il le savait au plus profond de lui.

Et il lui faisait tellement confiance qu'il était certain de ne jamais se sentir comme une proie, même s'il se sentait vulnérable.

Une autre pression et Kyouya s'assit en face de lui. Ginga garda sa main dans la sienne. Son contact était apaisant. Avoir Kyouya près de lui rendait son sentiment d'enfermement supportable. Il lui apportait de l'espoir.

Kyouya.

Son rival qui, selon les circonstances, se tenait à ses côtés ou le défiait – le renforçant quel que soit le rôle qu'il choisissait. Cette personne qui avait changé sa vie pour le meilleur et dont il serait incapable de se passer. Il ne pouvait imaginer un futur où Kyouya n'était pas à ses côtés.

Il ne le voulait pas.

Ginga le regarda. Le visage de Kyouya avait beau lui être familier, il ne se lassait pas de le contempler. Ses yeux, d'un bleu intense et profond, entourés de cils noirs, qui étaient de véritables fenêtres sur son âme. Ses cheveux verts épais qui, bien qu'ébouriffés, semblaient si doux. Sa queue-de-cheval que Ginga avait envie de détacher pour voir à quoi il ressemblait les cheveux lâchés. Ses cicatrices qui enlaidiraient n'importe qui d'autre mais qui rehaussaient sa beauté en lui donnant un côté sauvage. Sa bouche, souvent arrondie par une moue, parfois étirée par un sourire, mais jamais inexpressive.

Ginga se pencha vers lui, l'attraction le tirant naturellement vers lui,...

...une main sur son torse l'immobilisa.

Les épaules de Ginga se raidirent. Sa tension descendit le long de sa colonne vertébrale et se répandit sur sa nuque. Ses yeux s'arrondirent de choc. Sa respiration se bloqua.

Qu'est-ce qu'il avait fait ?

Oh non. Oh non. Non, non, non.

Il ne pouvait pas avoir été stupide au point de tout gâcher.

Il se redressa. Une part de lui lui hurlait de se lever et de fuir. Une part importante. Sauf que ça empirerait la situation. Il refusait de perdre plus que ce qu'il avait déjà perdu. Il devait trouver un moyen. Son esprit n'arrivait pas à lui fournir une solution. Aucun prétexte ne pourrait changer la réalité et il refusait à mentir à Kyouya.

Peut-être devrait-il s'excuser ? S'il lui disait qu'il était désolé – et il l'était sincèrement – Kyouya lui pardonnerait peut-être.

- Ginga !

Le ton agacé de Kyouya trancha ses pensées et lui indiqua qu'il l'avait déjà appelé à plusieurs reprises. Ginga papillonna des yeux et inspira. Il se rendit compte que Kyouya serrait sa main dans la sienne. Ses sourcils se froncèrent. Si son geste avorté avait dégoûté Kyouya, il l'aurait lâché. Il se serait même éloigné – il n'était pas du genre à faire dans la dentelle.

Le regard de Ginga passa de leurs mains liées au visage de Kyouya. Ses sourcils froncés témoignaient d'un certain agacement, mais il semblait surtout inquiet.

- Kyouya.

Ginga n'arrivait pas à deviner si son rival l'avait ou non rejeté. Que devait-il penser ? Et comment devait-il réagir ?

- Désolé ?

Des excuses étaient forcément un bon point de départ.

L'agacement de Kyouya s'effaça au profit d'une profonde tristesse. Il secoua la tête.

- Tu ne vas pas bien Ginga.

Cette minuscule phrase frappa Ginga en plein ventre. Il apitoyait Kyouya. Il aurait préféré être rejeté franchement. Ça aurait été moins douloureux.

- Si j'acceptais maintenant, ce serait profiter de la situation. Et, bien que j'aime les avantages de terrain.

Kyouya sourit brièvement. Une étincelle amusée brilla dans le regard bleu avant de s'éteindre aussitôt.

- Je ne suis pas ce genre de minable. Quand nous sortirons ensemble, c'est parce que tu l'auras décidé. Pas parce que tu es désespéré au point de chercher du réconfort n'importe comment.

- Je ne...

Le regard acéré de Kyouya poussa Ginga à se taire. Quelque chose bouillonnait en lui, autre que l'agitation et le mal-être. Il lui fallut un moment pour l'identifier. La colère. Il n'en avait pas éprouvé depuis une éternité. Il n'avait même pas ressenti une once d'agacement ces derniers mois.

Mais les paroles de Kyouya étaient injustes. Il avait voulu l'embrasser uniquement parce que Kyouya était Kyouya. Pas parce qu'il se sentait perdu ou triste ou...

Une minute. Kyouya avait dit quand ils décideraient de sortir ensemble ?

- Tu vas mal, continua son rival, sans s'apercevoir qu'il l'avait fait bugguer. Ça fait un moment que ça dure et ça empire. Tu devrais te concentrer sur toi et régler le problème.

- Je ne sais pas quoi faire.

Kyouya le regarda de ses yeux pénétrants.

- Tu es sûr ?

Le cœur de Ginga se serra brièvement. Avant d'avoir pu s'en empêcher, il tourna la tête vers l'horizon. Son appel devenait plus tangible chaque jour.

Lorsque Ginga tourna de nouveau son visage vers Kyouya, son rival semblait avoir compris, et il continuait de lui tenir la main.

- Je sais, soupira Ginga.

L'aveu, au lieu de le libérer, pesait sur son estomac. Parce que la solution était d'un égoïsme sans limites.

- Pégase est le cheval ailé qui parcourt librement les cieux, lui rappela Kyouya. Tu n'es pas fait pour vivre en cage.

- Je suis censé considérer Bey-City comme ma maison.

Le blader de Leone haussa les épaules.

- La situation a pas mal changé.

Voilà la réalité que Ginga ressentait au plus profond de ses os et que personne n'avait évoqué jusqu'à présent. Lui-même avait fait tout son possible pour l'ignorer.

Sa gorge se serra. Il se sentait tiraillé entre cette main qui tenait la sienne et partir. Le choix aurait dû être évident.

- Ginga.

L'interpellé releva la tête. Il n'y avait aucun jugement dans le regard de Kyouya. Pas le plus petit sentiment de trahison.

- Tu dois faire ce qui est bon pour toi, déclara-t-il avant d'afficher un sourire amer. À défaut de le faire pour toi, fais-le pour les autres. Qui pourrais-tu aider dans ton état ?

Kyouya avait raison bien sûr, mais...

Ginga leva la tête. Bey-City s'étendait au-delà des hangars. Tous ses amis proches y résidaient. Il ne pouvait pas partir et les laisser... si ?

Il avait beau observer la ville et ses bâtiments, convoquer tous les souvenirs heureux qui le liaient à Bey-City, il ne ressentait pas la même attraction que pour l'horizon. Il s'accrocha à la main de Kyouya et baissa des yeux hantés vers lui.

- Et si je ne revenais pas ?

C'était sa plus grande crainte, la raison pour laquelle il avait fait de son mieux pour ignorer cet appel qui résonnait dans son âme.

Kyouya afficha ce demi-sourire qui embrasait les veines de Ginga et lui donnait envie de répondre à son défi. Il resserra ses doigts sur les siens, étouffant son désir de le plaquer au sol et de l'embrasser.

- Je te promets de venir te chercher si tu te montres trop déraisonnable.

- Ha ! Et que signifie déraisonnable pour toi ?

Le sourire de Kyouya s'accentua sur un coin. Une lumière inonda ses yeux et le souffle de Ginga se coupa.

- Es-tu sûr que tu veux le découvrir ?

Ginga prit une inspiration tremblante. Se rendant compte qu'il avait encore resserré sa prise sur sa main, il s'efforça de déplier les doigts. Il se pencha vers lui. Il vit de l'hésitation dans les yeux de Kyouya. Son rival finit par lever sa main libre pour l'arrêter mais Ginga l'attrapa aussi. Il tint les deux mains de Kyouya contre sa poitrine.

- Je t'aime. Je ne changerai pas d'avis d'ici mon retour.

Il était intimement convaincu qu'il ne changerait jamais d'avis.

Kyouya regarda leurs mains, sans répondre. Ginga ne s'en offusqua pas. Il le lui prouverait à son retour.

- Je... Est-ce que je peux te prendre dans mes bras ? demanda-t-il.

- Je ne suis pas quelqu'un de si bien.

Ginga lâcha ses mains.

- Donc tu acceptes que je profite un peu de la situation.

Kyouya haussa un sourcil.

- Ce serait plutôt le contraire.

- Ha !

Ginga s'approcha de Kyouya, dressé sur ses genoux, et referma ses bras autour de lui. La ligne de sa mâchoire brossait la tempe de Kyouya. Le vert hésita avant de poser ses mains sur les hanches de Ginga. Il appuya son front contre son épaule puis nicha son visage contre son cou. Ginga ferma les yeux. Kyouya était agréablement chaud. Il respira profondément, s'imprégnant de son odeur.

Jamais Kyouya et lui n'avaient été si proches.

Je reviendrai.

Ne serait-ce que pour ça je reviendrai.


XXX


Ginga vérifia une dernière fois le contenu de son baluchon. Il ne possédait pas grand chose, mais les simples préparatifs de son départ lui apportaient une sérénité qu'il n'avait pas éprouvé depuis longtemps. Il referma le baluchon, passa la bretelle sur son épaule et se dirigea vers les escaliers. Il quitta le sous-sol du B-Pit, rejoignant l'espace boutique. Kenta et Madoka l'attendaient près de la porte vitrée.

- Alors c'est décidé ? demanda la jeune femme d'une petite voix.

- Ça l'est depuis un moment.

- Tu es sûr ?

Ginga hocha la tête. Il sourit sans avoir besoin de se forcer.

- Oui.

Kenta répondit à son sourire.

- Bon voyage Ginga !

- Merci.

- Reviens vite, l'implora Madoka.

- Je reviendrai.

Ginga ouvrit la porte du B-Pit et sortit dans Bey-City. Il s'engagea sur la route principale, prêt à quitter la ville, sans jeter un regard en arrière.


Fin du chapitre 3


L'enlèvement de Benkei par Gaou Tategami est dessiné dans une histoire bonus de Takafumi Adachi : Tategami Monogatari. Et si on prend en compte le fait que, dans le manga, c'est Kenta et non Sagittario que Kyouya a fait capturer, les Tategami ont en effet un problème avec les enlèvements XD