Séduire. Draguer. Emballer…
Autant de mots qui étaient soigneusement restés à la marge de son vocabulaire ces dernières années.
Il aurait payé cher pour redevenir Shinichi, et qu'un coup de baguette magique suffise à ce que leur relation évolue aussi simplement que possible vers la construction d'un couple.
A la place de quoi, il se retrouvait dans la peau d'un adolescent qui demeurait un enfant dans les yeux de Ran.
Alors, quand elle aborda d'elle-même le sujet d'une potentielle petite amie au cours d'un dîner organisé chez lui, il sut qu'il avait plutôt intérêt de ne pas botter en touche comme le jour où il avait dû laisser son identité derrière lui.
« Tu sembles si souvent obnubilé par les enquêtes…tu n'as jamais eu envie de te consacrer à autre chose ? Une petite-amie, par exemple ? »
« Une petite-amie, dis-tu…oui, c'est vrai. Il y a bien quelqu'un avec qui j'aimerais… »
« Oh ? »
La réponse de Conan résonna étrangement en Ran. Où ai-je entendu cette phrase…
Elle posa sa main sur la sienne. Shinichi en était à la fois heureux et navré. Les contacts physiques s'étaient raréfiés entre eux, mais il voyait bien qu'elle espérait simplement l'inciter à la confidence. Pourtant, il entrelaça ses doigts aux siens. Partagé entre son désir de poursuivre la conversation et celui de dévier le sujet, il choisit un entre-deux en détournant la conversation autour d'elle et d'un sujet qui le tourmentait régulièrement.
« Et toi, Ran ? Il n'y a personne ? Cela fait si longtemps… »
Elle baissa la tête, masquant ses yeux.
« …Non, personne d'autre. Je l'attends toujours, tu sais… »
Nous y voilà. Depuis quelques temps, il était à la torture : devait-il lui révéler son identité et lui faire courir des risques inconsidérés, ou la pousser - à supposer qu'il y parvienne – à tromper Shinichi avec Conan ? Comment se sentirait-il, si elle renonçait à Shinichi pour Conan ? Serait-il condamné à être jaloux de lui-même pour une période indéterminée ? Pouvait-il se permettre de jouer avec les sentiments de la jeune femme de la sorte ?
Quoiqu'il arrive, je la fais souffrir. Il aurait été infiniment plus charitable de m'éloigner d'elle…
Aux légers soubresauts qui agitaient ses épaules, il comprit qu'elle commençait à pleurer.
Il n'y tint plus. Il posa ses lèvres sur ses joues, cherchant à capter et stopper le flot des sillons salés, remontant doucement vers ses yeux, prenant garde à ne pas la heurter avec ses lunettes tout en attrapant délicatement son visage entre ses mains.
Ran entrouvrit les lèvres, électrifiée par le contact initié par Conan.
Ce n'est pourtant pas la première fois que nous sommes dans les bras l'un de l'autre. Pourquoi je ressens ce que j'ai ressenti lorsque j'ai embrassé la joue de Shinichi ?
Il embrassait avec une infinie douceur ses paupières closes.
Conan est comme mon frère. Je ne devrais pas…
Ses mains se posèrent sur son torse, sans savoir si elle voulait le repousser ou prolonger ce moment.
Il écarta lentement son visage du sien, restant à portée de son souffle, conservant son visage au creux de ses mains. Elle ouvrit les yeux. Elle vit sans les voir ses pupilles dilatées, ses joues roses, sa respiration agitée, son air résolu et ses lèvres, si proches des siennes.
« Ran…ne pleure pas. Ne te rends pas triste pour Shinichi. »
« On…on ne devrait pas être si proches l'un de l'autre. Ce n'est correct ni envers lui, ni envers cette fille que tu aimes… »
« Shinichi ne voudrait pas te savoir seule et triste. Quant à la fille que j'aime… »
Il déplaça légèrement l'une des mains posées sur son torse pour lui faire entendre son cœur qui tambourinait dans l'espoir de sortir de sa cage thoracique.
« …elle est déjà dans mes bras. »
Il approcha encore plus son visage du sien, sans oser aller au bout de son geste, guettant et espérant le plus petit signe de sa part. Il relâcha doucement ses mains pour lui laisser la possibilité de se détourner de lui.
Elle s'approchait, pourtant. Ses paupières se fermèrent instinctivement.
Lorsque leurs lèvres se trouvèrent, il fut incapable de penser à qui elle adressait ce baiser. Pendant quelques secondes, aucun d'entre eux n'osa faire quoi que ce soit avant que le manque d'air ne leur fasse entrouvrir les lèvres. Attirés par le souffle de l'autre, leur baiser s'anima, les mains de Ran se glissent contre sa nuque, provoquant des frissons dans sa colonne vertébrale.
Lorsqu'il comprit qu'elle souhaitait explicitement le garder contre elle, il descendit ses mains vers sa taille pour la presser davantage contre lui. Il retrouvait les sensations qui l'avaient envahi lorsqu'elle avait approché son corps du sien durant le voyage entrepris à la fin du lycée, largement décuplées.
Il est des moments où une partie de soi demeure pour toujours. Shinichi savait que ces instants figuraient parmi ceux-là.
Lorsqu'ils furent à court de souffle, ils s'éloignèrent légèrement l'un de l'autre, jusqu'à ce que Ran prenne conscience de ce qui venait de passer et se détache de lui avant de s'éclipser.
