Le soleil du mois de mai brillait d'un blanc éclatant dans le ciel. Un vent printanier souffla sur la ville, et la nature auparavant grisonnante et morne resplendit d'une couleur jade aussi lumineuse qu'une pierre précieuse.

Peter contemplait New York depuis le sommet d'un immeuble de son quartier, vêtu de son costume de Spider-Man, assis sur le rebord du toit et laissant ses pieds se balancer dans le vide. C'était un samedi banal et ordinaire, un de ces jours qui donnait envie de s'allonger sur l'herbe de Central Park et de s'endormir sous la brise en se purgeant de toute pensée. Ce mois-ci était le plus tranquille pour le jeune homme : en plus de l'arrivée des beaux jours qui lui conférait de plus en plus de temps libre pour se consacrer à son rôle de superhéros, aucun danger du niveau du Vautour ou des ennemis des Avengers ne menaçait la paix de la mégalopole. Seuls quelques petits criminels de bas-étages semaient le trouble dans l'ordre public, mais rien d'insurmontable pour le garçon-araignée. Qu'ils soient seuls ou en groupe, Peter parvenait toujours à les arrêter par son intelligence et sa ruse.

Cela étant, bien qu'il soit devenu un héros bien plus fort et expérimenté par le biais de la boucle temporelle, l'adolescent demeura extrêmement prudent… Ses patrouilles avaient beau se ressembler entre elles, arborant majoritairement les mêmes mobiles et avec des armes dont il connaissait désormais les paternes d'attaques, il n'était jamais complètement à l'abri de se prendre une balle perdue dans le cœur ou un coup de poignard dans le ventre à la moindre erreur d'inattention. Il suffisait qu'un ennemi soit un peu plus malin que les autres pour qu'une intervention en apparence normale et contrôlée se change en chaos en l'espace de quelques secondes. Le premier signe de relâchement de sa part pouvait signer sa mort à tout instant. Ainsi, Peter resta constamment sur ses gardes, que ce soit sous le masque de son alter-ego superhéroïque ou dans sa vie quotidienne qu'importe l'intensité de son sens de l'araignée, le jeune homme prit l'avertissement systématiquement au sérieux, et il s'assura que ni ses gestes corporelles ni ses paroles - pratiquement absentes lorsqu'il est Spider-Man - ne trahissent ses deux identités. Il préférait être excessivement méfiant que de subir un coup bas aux conséquences catastrophiques à cause d'une confiance mal placée.

Après plusieurs minutes de réflexion silencieuse, le gardien de New York sortit son portable de la poche de sa veste pour se rendre compte de l'heure : dix heures trente. Il avait encore toute la journée devant lui pour aider et protéger la population. Sa seule contrainte était de rentrer avant la tombée de la nuit afin de ne pas inquiéter sa tante. Le garçon-araignée se leva alors, dégaina son lance-toile vers l'avant, tira une toile vers le sommet d'un immeuble proche, puis se laissa emporter par la gravité et se balança dans les airs avec vitesse et agilité.

La matinée fut sans grands artifices pour Peter. Hormis des bagarres de rues créées par des petits délinquants qu'il a déjà croisé de temps à autres lors de ses boucles et quelques vols à l'étalage, pas de crimes majeurs ne s'est manifesté au Queens. Le jeune homme resta plus souvent immobile en hauteur à regarder ce qu'il se passait en contrebas qu'à réellement intervenir. Etant donné sa réputation de fantôme masqué et de puissant justicier auprès des citoyens, les brigands réfléchissaient maintenant à deux fois avant de commettre des crimes. Personne n'a été capable de le blesser ni même de le ralentir, car il arrivait toujours à déjouer les plans les plus élaborés ou les pièges les plus improbables… Il n'était donc pas surprenant que les individus malveillants fassent désormais profil bas à la mention du nom de Spider-Man. Le garçon-araignée ne s'en plaignit pas la chute de la criminalité signifiait que le nombre de tragédies tomba avec lui, lui offrant une preuve que ses actions, aussi infimes au premier abord soient-elles, ne furent pas totalement vaines.

Puisqu'il n'y avait aucun mouvement suspect dans son quartier, Peter décida d'explorer les autres arrondissements de la mégalopole histoire d'étoffer sa patrouille. Le Bronx demeura tout aussi paisible que le Queens et même les rues grouillantes de monde de Manhattan ne montraient pas de signes anormaux, si ce n'est les sempiternels embouteillages intempestifs sur les routes. Cependant, en voltigeant tout autour de Brooklyn, l'adolescent sentit soudainement son sens de l'araignée s'activer près d'une zone d'habitation reculée. Il atterrit alors immédiatement sur le toit d'un immeuble afin d'observer les environs. Le superhéros remarqua plusieurs mètres plus bas trois hommes vêtus de vêtements sombres, se dirigeant à l'intérieur d'un bâtiment désaffecté vouée à la démolition. L'un d'entre eux s'arrêta puis regarda vers l'arrière, comme pour garantir l'entière discrétion de son escouade, avant de rejoindre ses pairs dans l'obscurité des fondations vétustes. Aux vues de leurs gestuelles et de son sixième sens en ébullition, il était évident pour Peter que ces individus manigançaient un projet peu vertueux.

Le jeune homme se balança alors jusqu'au bâtiment abandonné et s'accrocha au mur en face de lui grâce à ses mains collantes. Il remonta ensuite le long de la paroi en briques avant de s'arrêter au niveau d'une ouverture béante, lui permettant ainsi de rentrer discrètement dans les décombres sans passer par l'entrée. Il fit attention à éviter tous les débris et résidus de plâtres au sol, puis il utilisa de nouveau ses toiles pour atteindre le point le plus haut qu'il ait repéré. L'adolescent vit depuis son emplacement les trois hommes qu'il a débusqué à l'extérieur, ainsi que la présence d'une quatrième personne : ce dernier parut plus âgé qu'eux, en témoigne les traces de cheveux blancs à l'arrière de sa tête et des cernes visibles sur son visage, arborant de ce fait la stature du chef du groupe. Spider-Man s'approcha au plus proche du bord de la rambarde afin d'entendre ce que l'inconnu racontait.

- Alors ? Avez-vous trouvé les matériaux explosifs ? Demanda le chef.

- Oui. Répondit l'un des bandits. On a dû piller quelques laboratoires pour les obtenir, mais nous avons ce qu'il faut pour améliorer nos bombes.

- Bien. L'homme âgé afficha un sourire satisfait. Grâce à cela, nous pourrons enfin nous débarrasser de ce trouble-fête de Spider-Man. Ce vaurien n'a de cesse de contrecarrer les plans de tous les criminels qu'il croise, certains d'entre eux étant nos partenaires d'affaires sur le marché noir… Il faut couper court à ses agissements le plus vite possible.

Des mafieux de parures qui veulent attenter à ma vie ? Quelle originalité. Pensa le jeune homme d'un air sarcastique.

- Cependant, même avec des bombes sophistiquées, il va être difficile de le prendre par surprise. Continua l'un des criminels.

- C'est vrai. C'est rageant à admettre, mais ce type en spandex est futé. Voilà pourquoi il faut faire en sortes de l'attirer dans une de ces bâtisses délabrées que l'on aura au préalable remplie de mines. Il arrivera en tintamarres pour nous arrêter, mais au moment où nous nous serons échappés par les ouvertures, les bombes se chargeront de détruire l'immeuble et de l'emporter avec lui dans sa chute. Il a beau apparaître invincible, il n'en reste pas moins un humain… Tout comme les Avengers, par ailleurs. Il suffit d'un regrettable accident pour que leur grandeur s'effondre et que le sang les macule.

Je ne vous laisserai pas mettre votre plan à exécution. Le garçon-araignée serra les poings suite à ces mots.

Peter détacha une des bombes fumigènes accrochées à sa ceinture, activa le mécanisme et laissa la bombe descendre jusqu'au niveau du groupe de contrebandiers. Après plusieurs mètres de chute, l'arme explosa en plein air et rejeta une quantité phénoménale de fumée rouge, ce qui aveugla instantanément les quatre hommes. Le garçon-araignée sauta par la suite par-delà la rambarde, dégainant son bâton de combat en plein vol, puis il profita de l'invisibilité procuré par la fumée pour assommer ses adversaires les uns après les autres avec son arme.

Alors qu'il venait de réduire le troisième larbin hors d'état de nuire, son sens de l'araignée l'avertit subitement d'un danger imminent. Peter tourna rapidement la tête en direction de la source de la menace… Et c'est là qu'il aperçut l'ombre d'une grenade se dessiner à travers le rideau carmin, dirigé tout droit vers lui. Le chef des criminels a repris ses esprits plus vite qu'escompté et a gardé un explosif sur lui en cas d'attaque imprévue. L'absence de goupille lui indiqua qu'elle s'apprêtait à exploser… Le corps de l'adolescent se figea sous l'effet du choc, sentant son cœur louper un battement et ses iris se réchauffer. Cependant, malgré la vision de l'arme à quelques centimètres de lui bien visible au niveau de ses yeux, le superhéros araignée remarqua quelque chose… D'étrange. La bombe semblait avoir été lancée à pleine force, pourtant elle ne montrait aucun signe d'accélération. Elle paraissait même se mouvoir avec une extrême lenteur, comme si les lois de la physique n'avaient aucune emprise sur elle… La fumée environnante connut le même phénomène, se dissolvant et disparaissant de manière presque imperceptible.

Ces petits détails eurent pour effet de le sortir de son état de gel. La grenade allait s'enclencher à tout instant. Il n'avait qu'une poignée de secondes pour réagir. Peter dirigea alors son lance-toile vers la bombe, puis tira une de ses toiles spéciales qui lui permit d'emprisonner ce type d'armement à l'intérieur d'un cocon afin de réduire le plus possible la puissance de feu de la déflagration. Au moment où l'arme fut entourée d'une couche épaisse de fils, le flux du temps s'emballa et un bruit de détonation résonna entre les murs l'explosion perdit en intensité, mais l'énergie dégagée par cette dernière évapora les nuages colorés d'un simple coup de vent et entraîna le superhéros et le chef des criminels deux mètres en arrière, ne laissant derrière elle que des morceaux de toiles calcinées. Le garçon araignée saisit sa chance créée par la confusion pour accourir vers le bandit et lui asséner un puissant coup de bâton qui le rendit inconscient après sa chute au sol.

Lorsque le silence revint dans le bâtiment abandonné, Peter reprit progressivement son souffle… Quelques millisecondes s'étaient écoulées entre le début et la fin de son intervention, pourtant le jeune homme eut l'impression qu'elles ont duré des minutes entières. Ce groupe de criminels s'était révélé plus coriace que prévu… Heureusement pour le gardien de New York, aucun des adultes ne paraissait taillé pour le combat rapproché, rendant dès lors leur arrestation plus rapide. Il devait probablement s'agir d'une simple réunion d'information stratégique entre brigands, seulement connus des concernés et dont l'utilisation de pistolets n'apparut pas comme une haute probabilité.

Dès lors que Peter retrouva une respiration régulière, des bruits lointains attirèrent soudainement son attention… Ces derniers ressemblaient à des pas, dont le son émis sur le bitume se rapprochait de plus en plus de son emplacement.

Des personnes arrivent… Je dois vite partir d'ici !

Le superhéros remonta alors immédiatement jusqu'au dernier étage de l'immeuble délabré grâce à ses toiles, ressortit par un trou béant afin d'atteindre le toit et repartit finalement au Queens en un vol. Il aperçut sur son chemin le cimetière des autobus, et il décida de s'y arrêter quelques temps pour se reposer. Peter atterrit ainsi juste à côté de son repère d'un geste assuré, faisant s'envoler quelques grains de poussières à sa réception. Une fois invisible aux yeux du monde à l'intérieur du bus gris, le jeune homme s'allongea de toute sa longueur sur la rangée de sièges, son bras droit recouvrant ses yeux…

Ce devait être la première fois que Peter se retrouve dans une situation compliquée en tant que Spider-Man depuis qu'il a recommencé la boucle. S'il était resté immobile trop longtemps, l'explosion de la grenade lui aurait causés d'importantes brûlures en plus de potentiellement révéler son identité par le souffle du feu qui aurait détruit son masque. Certes, le jeune homme possédait des souvenirs du futur et il savait où, quand et comment tel grand événement tel que la signature des Accords de Sokovie, la Guerre Civile des Avengers ou la Guerre de l'Infini allait se produire, mais ses patrouilles de superhéros demeuraient changeantes d'une itération à une autre : les criminels et les lieux où étaient commis les délits ne restaient pas systématiquement les mêmes. Peter n'avait par ailleurs jamais croisé ce groupe d'hommes auparavant malgré tout le temps qui s'est écoulé depuis qu'il est piégé dans la boucle temporelle… Ce genre d'affaires échappait au peu de contrôle que le garçon araignée gardait sur son destin.

Cela étant, au-delà de cette attaque surprise, ce fut ce qu'il s'est passé avant la déflagration de la bombe qui occupa l'esprit de l'adolescent… Comme d'un simple claquement de doigts, le monde se mit à tourner au ralenti, absout de toute notion de relativité, à la seule exception de son corps qui continuait à bouger normalement. Au départ, Peter pensa que ses sens ont été altérés par l'adrénaline et la stupéfaction intense qu'il a ressentie à la vision de l'arme si proche de lui, lui donnant ainsi simplement l'impression que son environnement se mouvait à un rythme différent du sien… Cependant, cette sensation d'être plongé dans une dimension hors de la réalité ne lui était pas étranger. Cela lui rappela l'océan de vide où son âme dérivait après que Thanos l'ait réduit en poussières, de même que l'état d'anesthésie générale qui l'envahissait juste avant qu'il se réveille dans une nouvelle timeline. Tout semblait trop figé pour n'apparaître que comme le fruit d'une suspension de son instinct.

Le superhéros rejoua plusieurs fois la scène dans son esprit afin de chercher une explication à ce phénomène, mais aucune réponse concrète n'en ressortit. Au bout d'un quart d'heure à marcher à l'aveugle dans un brouillard épais, Peter finit par soupirer de lassitude… Il possédait tellement de questions sans réponses liées à la boucle temporelle qu'il ne trouva plus aucun intérêt d'y accorder la moindre pensée. De toute façon, même s'il réussissait à dissiper ses doutes sur ces dernières, il savait que cela ne changerait rien aux événements les plus importants de la timeline. Il a déjà essayé tant de fois de changer leur cours d'une manière ou d'une autre, répétant un nombre considérable de mois qui parurent avoir duré plus d'une décennie… Tout ce qu'il obtenait à la fin de la guerre n'était que du sang et la mort de ceux qu'il aime, encore et encore et encore.

Pourquoi cette boucle serait différente des autres ?