Je promène dans la campagne. J'ai décidé que le meilleur moyen de chercher quelqu'un est d'aller sur le terrain. Et je sais que personne ne trouverait. Je ne suis pas un lâche. Je vais moi-même mener les recherches.
C'est un beau jour d'été. Le soleil flamboie dans le ciel. Les oiseaux chantent. Les paysans moissonnent. Ils s'arrêtent à mon passage, me saluent. Mais ne me parlent pas.
Je rentre dans un bois. Je sais que j'ai toujours aimé les clairières. Je m'assois sur une souche. Profitant du calme. Il y a du silence au manoir, mais jamais de calme. Toujours un domestique devant accomplir une besogne. Une sonnette qui retentit.
Un garçon entre dans la clairière et s'arrête ne me voyant. Je le fixe. Je vois … une image … je le connais … je l'ai déjà vu … il était en colère … son visage furieux me parle. Je cligne rapidement des yeux. Il n'a pas bougé. Je me lève doucement. Il recule d'un pas. J'avance. Il recule encore. Un nom s'impose dans mon esprit. Il s'imprime sur le visage furieux qui crie.
« … Ron ? »
Il s'arrête. Me regarde. Ses yeux sont froids. Accusateurs. Pourquoi ? Qu'ai-je fait ?
Il se retourne subitement et s'enfuit en courant. Après un instant d'hésitation, je le suis en courant. Il doit me donner des réponses.
J'ai du mal à courir. Mes jambes sont encore maladroites et faibles. Je dois faire attention aux efforts, a dit le docteur. Il prend de l'avance. Je le perds de vue entre deux arbres. Je m'arrête. Impossible de continuer. Mes jambes ne me portent plus. Je m'écroule par terre.
Au bout d'un long moment, je me relève. Je dois savoir où est allé ce Ron. La forêt s'arrête subitement pour me laisser dans un champ. Au fond, une maison. Petite. Branlante. Prête à s'écrouler. De nombreuses personnes s'activent. Certains rentrent les animaux. D'autres coupent du bois. Un groupe range la moisson du jour dans un hangar. Tous des garçons.
C'est celui qui rentre les bêtes qui m'aperçoit. Il pousse un cri et me montre du doigt. Les autres s'arrêtent et m'observent. Je m'avance lentement. Ron sort du hangar. Ses cheveux sont plein de paille.
Un homme d'une cinquantaine d'année et une femme du même âge sortent. Ils disent quelque chose et tous les garçons rentrent. La porte de la maison se ferme.
« Bonjour. »
Je suis poli. Pas distant. Neutre. Ils me regardent. Pas un mot.
« Je cherche des réponses. »
Aucune réaction. Ils me regardent. Me dévisagent. Leur regard est perçant.
« Que venez-vous faire ici ? »
La question m'étonne. Je croyais avoir été clair.
« Je cherche des réponses. »
La femme laisse glisser quelques larmes. L'homme la soutient.
« Ne serait-ce pas plutôt le contraire ? »
Je suis perdu. Je ne comprends pas.
« Vous connaissez Ron. Je dois lui poser des questions. »
Les yeux de l'homme s'emplissent de douleur.
« Après ma fille, mon fils ? »
Leur fille ? Celle de mon rêve ?
« J'ai perdu la mémoire. Je cherche des réponses à un rêve. »
Ils sont surpris. Moi aussi. Je n'ai pas l'habitude d'aller me confier au premier venu. J'en suis sûr.
« Vous êtes Drago Malfoy. »
Un début de dialogue.
« Je sais. »
Réponse courte mais véridique.
« Elle vous aimait. »
Qui ? Qui était-elle pour m'aimer ainsi ?
« Elle s'appelait Ginny. »
Ce nom … Ginny … Je peux clairement entendre un déchirement dans ma mémoire. L'homme continue. Insensible à ma douleur.
« Vous vous êtes rencontrés dans ce bois. »
« Comment tu t'appelles ? Tu es perdu ? »
« Vous vous êtes revus plusieurs fois. »
« Tu ne devrais pas être là. » le ton de la jeune fille est grave. « Tes parents vont se douter de quelque chose. »
« Elle vous aimait. »
« Drago Malfoy, je crois que je t'aime. »
« Vous avez accepté de nous rencontrer. »
« Tu verras, ils sont gentils. Ils t'accueilleront à bras ouverts ! »
« Et un jour, Ginny est morte. Et vous avez eu un accident. Vous êtes tombé du toit de votre manoir. »
Les souvenirs affluent. J'ai mal à la tête. Le monde autour de moi tourne. Je tombe à genou.
Et je me souviens.
« Et si nous nous envolions ? »
Ginny Weasley, jeune rousse joyeuse, franche et souriante, se tient devant moi. Quand je la vois, je sens mon regard s'adoucir. J'ai envie de la prendre dans mes bras. De la protéger.
« Voler, c'est risquer de tomber. »
Ma remarque ne semble pas l'arrêter. Elle fait quelques pas sur le bord du toit. J'ai peur pour elle, mais je sais qu'elle est agile.
« Mais si nous tombons tous les deux, moi ça me va. »
Je lui souris et l'invite à venir. Elle s'installe confortablement mes bras. Je pose ma tête sur ses cheveux. Il n'y a qu'avec elle que je peux le faire.
« Quand partons-nous ? »
Ma demande la ravit et la surprend.
« Tu viendrais ? »
Je lui souris. Elle n'a pas l'air de se rendre compte qu'elle est la seule qui compte pour moi. Mon père ne s'occupe que de savoir si mes notes sont bonnes, si je fraye avec la 'bonne société', trouver la fille à qui me marier. Ma mère n'ose pas le contredire mais m'étouffe dès qu'il est parti.
« Parce que tu es tout. »
Elle comprend ma phrase. Elle m'a toujours compris, même quand on se connaissait à peine. Elle se met face à moi.
« Drago Malfoy, je crois que je t'aime. »
Mon cœur fait un bond. Il chauffe, surchauffe. Va exploser de trop de bonheur. Pour trois petits mots.
« Ginny Weasley, il me semble que je t'aime aussi. »
Elle rougit, n'y croit pas vraiment. Nous ne sommes pas du même monde. Nous le savons.
« Soyons fous et volons jusqu'aux cieux ! »
Voilà ce qu'elle me dit, des étoiles plein les yeux.
« Volons jusqu'aux cieux pour être toujours ensembles ! »
Sûr que si on reste là, être à jamais ensembles tiendrait du parcours du combattant.
« Et nous ferons notre bonheur, à notre image et à notre rythme ! »
Ces paroles m'enthousiasment. Je suis heureux qu'elle veuille partir avec moi. Qu'elle m'aime à ce point.
« Et comment volerons-nous ? »
Je préfère lui poser rapidement la question. Mais elle ne se laisse pas abattre par mon air désabusé.
« Avec les ailes de notre cœur. »
Mon cœur n'a pas d'ailes, sinon je l'aurais déjà emmenée hors de chez elle. Très loin.
Un homme surgit sur le toit du manoir. Mon père. Il n'est pas censé être là. C'est pour cela que j'ai invité Ginny.
« Que faites-vous tous les deux ici ? »
Sa voix est glaciale. Le spectacle d'une fille dans les bras de son fils ne doit pas lui plaire, surtout une fille du peuple. Je le comprends au moment où je le vois.
« Nous observons le ciel. »
Ma voix est calme. Je sais qu'il faut que je garde mon sang-froid pour imposer ma décision à mon père.
« Cette fille n'a rien à faire ici. »
Je sens Ginny se serrer contre moi, comme si elle voulait disparaître. Pourtant nous savions que notre relation provoquerait ce genre de réactions.
« Je vais l'épouser. »
Ginny se retourne brusquement pour me regarder. Mon père hausse un sourcil, signe de stupéfaction totale pour un Malfoy.
« Jamais. »
La réponse est nette. Catégorique. Irréfutable. Mais je ne veux plus subir. Pour la première fois, les paroles que je n'arrive jamais à prononcer sortent. S'envolent. Eclatent.
« Vous n'avez rien à m'imposer. Je suis libre d'épouser qui je veux. »
Mon père s'étouffe de rage. La main de Ginny presse la mienne avec amour. Elle me donne envie de résister.
« Tu dois te marier avec la petite fille de Lord Voldemort. Elle s'appelle Pansy Parkinson. »
Je me rappelle de cette fille. Elle ne vaut pas ma Ginny.
« Je dirai non à toutes les alliances que vous prévoirez. Dans un mois, j'épouserai Ginny. »
Je la prends dans mes bras. Elle se serre contre moi pour m'embrasser.
« Tu dois m'obéir. Ou il lui arrivera malheur. »
Nous nous figeons.
« Nous avons décidé de voler à notre propre bonheur, Père. »
Le visage de mon père prend un air ironique et cruel. Il s'avance rapidement et empoigne Ginny par le bras.
« Alors elle volera. »
Il la détache de ma poigne d'un coup sec et la jette dans le vide.
Ginny tombe. Du toit du manoir. De trois étages. Je saute à sa suite. Mon père ne peut me retenir. Elle tourne le dos au sol. Elle me regarde avec amour. Comme si elle savait qu'elle ne survivrait pas à cette chute.
« Avec les ailes de notre cœur. »
Je hurle. La chute semble s'arrêter. Je la regarde. Elle me regarde. Nous nous aimons.
Puis le noir.
