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Chapitre 4
Un secret contre un secret
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Jeudi 27 juin 1985
Inspectant son reflet dans le miroir de sa chambre, peigne dans une main, cigarette non allumée dans l'autre, Billy Hargrove se rendit soudain compte que c'était bien la première fois à Hawkins qu'il s'apprêtait autant pour sortir à l'extérieur avec un autre mec. C'était un train-train habituel quand il avait rendez-vous avec des nanas du coin ou bien avant d'aller au lycée, mais ça faisait des mois et des mois –quand il était encore en Californie, c'est dire- que ça n'avait pas été pour un autre type.
Il se l'était juré pourtant, tout un tas de fois dans sa tête, que ça ne se reproduirait plus dans ce sens-là, surtout dans ce genre de petite ville, mais finalement, comme il l'avait suspecté, il allait bien y avoir un moment où les vieilles habitudes allaient revenir au galop. Après tout, du moment que son père n'était au courant de rien, et qu'il continuait d'entretenir sa réputation comme il le faisait, ça ne ferait de mal à personne.
Hormis si cette chose qu'il construisait lentement mais surement avec Harrington prendrait de plus grosses proportions, ce qu'il ne pourrait certainement plus contrôler et ça, c'était un autre problème bien plus conséquent.
Néanmoins, en se remémorant dans un coin de son esprit que si les choses tournaient mal il aurait rapidement dix-huit ans au beau milieu d'août et qu'il pourrait enfin quitter cette ville de merdre, Billy haussa les épaules en jetant sans douceur le peigne sur la table aux eaux de Cologne et spray en tous genres.
« J'me casse, » lâcha Billy une fois dans le salon, ayant reposé la veste en jean contre le porte-manteau, concédant qu'il faisait bien trop chaud dehors pour porter quoi que ce soit par-dessus sa chemise légère noire aux traits faiblement colorés de feuilles estivales, ouverte sur une large partie de son torse –oui là il n'allait pas se gêner, il faisait vraiment trop chaud-.
Max qui était dans la cuisine en plein nettoyage des outils qu'elle avait utilisé dehors pour remonter son skate, referma le robinet, et tira un peu la tête sur le côté pour voir son frère enfiler ses chaussures. Intriguée, elle croyait que Billy dormirait jusqu'à son heure de boulot, puisqu'il était encore rentré tard cette nuit. Mais visiblement non, il était onze heures cinquante et le voilà déjà paré à sortir.
« T'vas où ? » l'interrogea Max en s'essuyant les mains sur le torchon de la cuisine, d'un ton un peu détaché. « Si tu reviens pas pour midi trente, je mange la fin de la pizza. »
Billy finissait de lasser sa seconde sneaker noir et jeta un bref regard vers sa sœur qui pourtant, continuait d'essuyer ses mains l'air de rien. Jamais il ne lui dirait qu'il partait à la rencontre de Steve Harrington, ça non. Il avait bien trop l'impression que ses yeux de fouine l'inspectaient deux fois plus depuis qu'il avait sauvé Steve d'une noyade assurée.
« J'vais grailler dehors, fais-toi plaiz' avec ta pizza froide, moi j'ai des ailes de poulets bien chaudes qui m'attendent, » lui fit-il, conscient que sa sœur aussi raffolait beaucoup du KFC.
Maxine tourna la tête vers lui, sourcils froncés dans la menace, et Billy partait déjà vers l'entrée de la maison. À vrai dire, il avait encore du mal à croire qu'il partait retrouver Harrington, il avait aussi du mal à se souvenir de ses paroles exactes à la soirée du 25. Bon sang, il avait bien trop bu pour avoir filtré correctement ses paroles et il espérait n'avoir pas dit de conneries.
Il se rappelait pourtant parfaitement du rendez-vous qu'il avait un peu forcé, et des remerciements de Steve envers son sauvetage. Mais sinon, c'était encore un peu flou.
En refermant la porte d'entrée derrière lui, il poussa un soupir agacé, et descendit les marches du perron, sentant sa peau déjà être brûlée par le soleil –et pourtant il était habitué à dix degrés de plus en Californie-. D'un geste vif il récupéra les lunettes dans la poche arrière de son bermuda et les enfila pour ensuite se diriger jusqu'à sa Camaro garée seule devant l'entrée.
Ça avait beau être les vacances, Susan et son père travaillaient toute la journée.
« Évite d'asphyxier ta copine avec tout ton parfum, Billy ! » s'exclama soudain Maxine qui avait ouvert la fenêtre de la cuisine pour le saluer de son torchon blanc, sourire sournois sur les lèvres. « Même si ça me ferait plaisir de te voir en taule, qui est-ce qui me conduira à l'école et à la salle d'arcade ? »
« Je sais, je suis bien trop essentiel dans ta pauvre vie, Maxine, » lui répondit Billy en haussant le ton pour qu'elle puisse l'entendre, tout en ouvrant la portière de sa voiture. « Je vais te manquer ! »
Pour toute réponse, la rousse lui brandit un doigt d'honneur même si au fond d'elle, elle avait comme l'impression que ses propos avaient une autre signification. Après tout, elle avait très certainement bien deviné, Billy était susceptible de quitter le cocon familial dès fin août.
Billy ne perdit pas plus de temps à bavarder et s'installa confortablement sur le siège de sa voiture, et alluma le contact, heureux d'avoir eu l'intelligence de garer la Camaro un peu en arrière afin qu'elle soit protégée du soleil et que le volant ne lui brûle pas les doigts. De ce fait, après une longue inspiration, il fit vrombir le moteur, et quitta sa place de stationnement.
Il ne se rappela pas avoir donné d'heure de rendez-vous avec Harrington, mais avait tout simplement considéré que ça serait dans les alentours de midi, et ce fut ainsi qu'à midi cinq, Billy Hargrove passait l'insigne KFC et pénétrait dans le parking. Une fois garé à l'ombre et hors du véhicule qui paraissait être un vrai four à micro-ondes, Billy aperçut sans difficulté l'homme de ses pensées, adossé contre le poteau rouge qui portait le logo du fast-food, bras croisés contre sa poitrine, lunette de soleil sur le nez.
Quand il se dirigea vers lui à grandes enjambées qu'il voulut confiantes et déterminées, il prit un temps pour détailler l'autre garçon des yeux, qui était quant à lui en short, portant un t-shirt jaune sur les épaules, aux bandes blanches qui allait de paire avec ses sneakers –des nouvelles aurait parié Billy, ne les ayant jamais vus jusque-là-, et visiblement, il semblait avoir fait un effort vestimentaire lui aussi.
Quand Steve l'aperçut, son dos quitta le poteau derrière lui et Billy crut voir que la joue de l'autre garçon était rougie et presque violacée.
« J'espère t'as masse de monnaie sur toi, j'ai grave la dalle, » fut les premières paroles du Hargrove en se plantant alors devant lui, mains dans les poches, maintenant qu'il avait terminé sa cigarette qui aurait pu occuper ses doigts. « Rappelle-toi, c'est toi qui régales, Harrington. »
Un sourire entre amusement et ironie se dessina sur les lèvres de Steve et de sa position, Billy remarqua clairement que la joue de Steve n'était pas rougie par le soleil, mais plutôt, égratignée.
« En vrai, je croyais que tu ne te pointerais pas, » lui avoua Steve près un bref haussement d'épaules. « Que tu aurais oublié ou je ne sais quoi. »
Sa réflexion était on ne peut plus légitime, mais Billy mima l'offense, une main se pressa contre son torse près de son cœur.
« Pour qui me prends-tu ? » lui lâcha-t-il sous le ton de la plaisanterie. « J'étais pas si bourré mardi. »
Derrière ses lunettes, Steve sembla le juger profondément du regard, mais finalement, il laissa couler cette ineptie et prit direction des portes de l'entrée tout en lâchant un petit « mouais ».
Billy le suivit, et malgré tout il pouvait sentir que l'autre garçon était plutôt tendu. Il avait en effet raison, rares étaient les fois où leur discussion avait fini sans haussement de ton ou menace de se taper dessus.
« Relax, si ça avait été une connerie j'serais pas venue te demander de grailler avec moi, » crut bon d'ajouter Billy d'une voix toujours plate en suivant Steve à l'intérieur.
Une fois au comptoir, Steve passa un de ses bras contre le meuble et retira ses lunettes, mais tourna à peine le regard vers lui et l'observa d'un œil toujours suspicieux. OK, il y avait toujours moyen que la fin de leur journée se termine sous les poings, mais Billy se dit que finalement, il y avait aussi moyen que cela se déroule tout autrement.
Puis, Billy poussa un bref petit soupir, ses yeux se levant vers le menu accroché derrière le comptoir, récapitulant toutes les formules ainsi que leurs prix.
« Par contre j'avais zappé j'ai taf à 15h, » lâcha Billy qui lors de la réalisation ce matin, en avait été un peu irrité. « Je vais devoir te faire faux bond vers 14h40. »
« Je me disais bien que tu n'avais pas toute ta tête y'a deux jours, » ricana Steve en tourna un peu la tête vers lui.
Le brouhaha tout autour de Billy sembla se taire, ou bien être étouffé par la vision qu'il venait de capter. Maintenant que Steve n'avait plus ses lunettes de soleil, il pouvait clairement voir qu'au-dessus de sa joue écorchée, se trouvait aussi des croutes de sang proche de son œil mais aussi près de sa tempe. Certes ça paraissait superficiel, mais ceci intrigua hautement Billy.
« En parlant de tête, qu'est-ce-que t'as foutu à la tienne ? » l'interrogea-t-il en désignant son visage d'un geste du menton. « Tu t'es fait taper dessus ? »
Inconsciemment, Steve tourna la tête sur le côté visiblement réticent à en parler.
« C'est rien, » lui répondit-il simplement d'une voix lasse. « Rien du tout. »
« Ouais ouais, rien du tout, » répéta Billy en plissant les yeux dans la suspicion.
Mais il ne put finalement pas creuser un peu plus puisqu'une dame arrivait vers eux en sollicitant leurs commandes. Les deux garçons se décidèrent à prendre un bucket pour deux, avec frites et des boissons fraîches.
Quand la serveuse leur demanda s'ils préféraient prendre sur place ou à emporter, Billy fut le premier à répondre « à emporter, ma mignonne » ce qui valut un levé d'yeux au ciel de la part de Steve et un petit sourire timide de la jeune serveuse. Ainsi, une fois les sacs prêts, Billy les récupéra et fit signe à Steve de le suivre.
Steve quant à lui, ne fut pas réellement surpris que Hargrove ait sauté sur la question pour ordonner manger à l'extérieur. Ceci aurait été trop bizarre, voir les deux rivaux du lycée manger en tête à tête dans le fast-food. Ça aurait jasé.
Alors, sans se poser plus de questions et intérieurement satisfait que finalement, Billy n'ait pas oublié leur deal et qu'il s'était pointé au KFC du coin sans même rechigner, Steve le suivit hors du fast-food.
« Suis-moi en bagnole, » lui intima Billy en se retournant vers lui tout en reculant vers sa Camaro. « Et fait gaffe à la chaleur ne t'évanouit pas au volant, ça serait vraiment une mort stupide. »
Steve arqua un sourcil, exaspéré, et se demanda dans un coin de son esprit si Billy n'avait pas l'idée de se barrer seul avec la commande en ayant profité de ses sous.
« Où est-ce qu'on va ? » lui demanda donc Steve qui se dirigeait lentement vers sa propre voiture sans lâcher l'autre homme des yeux.
« Tu verras, » lui répondit Billy en lui tournant le dos, sac de nourriture dans une main, clé de voiture tournoyant autour du doigt de la seconde. « Et avant que tu ne paniques, non je ne t'emmène pas dans un coin isolé pour te tuer et manger le bucket sur son cadavre. »
« Avec toi, je m'attends à tout, Hargrove, » lui répondit Steve sous le même ton en cherchant sa clé dans la poche arrière de son short. « Mais me voilà à demi rassuré. »
De sa position, il entendit Billy rire et la portière de la Camaro s'ouvrir.
Mais finalement, Billy ne sembla pas l'emmener jusqu'à un piège. Steve l'avait suivi en voiture, fenêtre entrouverte, la musique de la Camaro devant au son de Mötley Crüe venant tacher sa propre musique tant elle était forte, et Steve remarqua qu'il prenait la direction du complexe sportif de Hawkins.
Ils se garèrent l'un à côté de l'autre à l'ombre des arbres sur le parking plutôt vide suite à l'heure du repas, et Steve récupéra deux bières dans son coffre.
« Je savais que je pouvais te faire confiance, Pretty Boy ! » s'exclama Billy en voyant Steve le rejoindre à l'entrée du complexe, les bières en main.
Steve répondit à son sourire et regarda ailleurs alors que Billy s'engouffrait dans la forêt, là où quelques terrains de basket, de foot et de tennis se tenaient, entre les arbres qui apportaient de douces ombres un peu partout autour d'eux.
Lorsque Billy se laissa tomber contre le grillage qui le séparait du terrain de basket vide, il n'y avaient qu'eux, et un couple qui jouait au tennis un peu plus loin, ainsi qu'une vieille femme qui était assise sur un banc à lire un livre. Hormis cela, Steve eut l'impression d'être loin de toute vie, loin du monde et loin de Hawkins. Son cœur s'accéléra à cette réalisation, il déglutit et prit sur lui pour ensuite s'assoir à côté de Billy contre le grillage.
Tout en mangeant, Steve trouva cela étrangement facile de commencer une discussion avec Billy. Plus facile que les autres fois au lycée où ils avaient été parfois seuls en détention, ou bien encore dans les vestiaires. Ceci ressemblait étrangement aux très courtes discussions qu'ils avaient pu parfois avoir quand tous deux regagnaient leurs voitures après un match de basket, cependant, cette fois-ci, leurs échanges perduraient dans le temps, et avaient été recherché.
Ils discutèrent de groupes de musique, des chemisiers toujours scandaleusement moulant de leur professeur d'anglais, d'anecdotes hilarantes –surtout vis-à-vis du groupe de Dustin pour la part de Steve, ce qui avait l'air de bien faire rire Billy-, du petit boulot de Billy à la piscine, des meilleurs alcools qu'ils avaient dégustés jusque-là…
« Qu'est-ce que tu révises à ce point en ce moment ? » finit par lui demander Billy, une frite entre deux doigts, tête tirée en arrière contre le grillage derrière lui, ses yeux perdus vers la cime des arbres. « Max' m'a dit t'avoir vu hier à la bibli'. »
Steve prit le temps d'avaler sa gorgée de soda encore frais et mordilla légèrement la paille avant de jeter un regard vers Billy. Il se rappela qu'il lui avait posé la même question la première fois qu'il l'avait croisé à la piscine de Hawkins et il n'avait pas eu le temps de lui répondre –ayant aussi été sur le cul face à la question du Hargrove-.
« Je prépare un concours de psychologie, c'est le 11 juillet, » lui expliqua Steve en déposant le gobelet près de lui, laissant lui aussi retomber l'arrière de son crâne contre la grille. « Ne crois pas que je fais ça pour le plaisir. »
« Wo, psychologie ? » répéta Billy avec un petit sourire moqueur en se redressant pour voir l'expression de Steve. « Tu veux devenir psy ? Remodeler l'esprit d'autres types et faire joujou ? »
Steve haussa un sourcil, ressentant comme un brin d'agacement dans les propos de Billy, et il se redressa aussi, assis en tailleur et secoua négativement la tête.
« Non, pas faire joujou. J'ai simplement envie d'aider les gens à aller mieux, faire quelque chose de productif et peut-être m'ouvrir un peu à tout ce qu'il y a autour de moi. »
Billy plissa les yeux, expression suspicieuse sur le visage et Steve se sentit soudain comme mis à nu. Il n'avait eu aucune formation pour apprendre à décrypter les signes et ce n'était pas avec ses livres de chimie et de psychologie cognitive qu'il allait pouvoir analyser correctement et comprendre ce que Billy pensait à cet instant-là.
« Toujours le bon samaritain, hein ? » lâcha ensuite Billy en récupérant son sachet de frites pour en piquer deux. « Fait attention à ce que tu souhaites, tu pourrais apprendre des choses que tu n'aurais jamais aimé apprendre. »
Ce fut à Steve de paraître dubitatif, et il fronça les sourcils, regardant l'autre garçon terminer son sachet de frites. Il ne savait pas trop ce qu'il voulait dire par là, et Steve eut comme l'impression que ce sujet de conversation était un autre sujet plutôt tendu, sur lequel il valait mieux éviter de s'aventurer. Tout comme le sujet de son père Neil Hargrove, des saveurs de glace et le film Blade Runner. Ça, Steve l'avait vite appris.
« De toute manière, les places sont chères, j'ai peu de chances d'intégrer cette école, » lui avoua finalement Steve après un petit soupir.
S'il ne parvenait pas à remporter une admission, il avait postulé pour une école de langue, mais sinon, il se verrait contraint à bosser sous les ordres de son père dans sa grande compagnie, et ça, il en était hors de question.
« T'es loin d'être con, Harrington, » répliqua Billy, roulant en boule le sachet de frites maintenant vide. « Tu as toutes tes chances. »
Alors que Billy se levait tout en époussetant son bermuda en jean de la poussière et de l'herbe, Steve le suivit du regard, abasourdi par ce qu'il entendait là, mais aussi, touché. Il était pourtant loin d'avoir de bonnes notes même s'il s'était un peu rattrapé durant les derniers mois, mais voilà que Billy lui sortait ce genre d'encouragements. Et il savait pertinemment que Billy n'aurait jamais sorti ça sans vraiment le penser, ou du moins, de façon si sérieuse.
« Ça te dit une p'tite partie ? » lui demanda soudain Billy en le tirant hors de sa rêverie. « Avant que je ne parte bosser ? »
Steve suivit son regard et vit un ballon de basket échoué près du poteau portant le panier. Ça faisait bien un moment qu'il n'avait pas joué, puisque pendant les examens, il avait préféré sauter quelques entrainements pour rattraper son long retard. Ainsi, il se leva en souriant, ravi de pouvoir reprendre un peu le jeu, et hocha la tête :
« Prêt à te prendre une raclée comme au bon vieux temps ? » reprit Billy après un ricanement en déboutonnant sa chemise noire.
« Je n'en suis pas si sûr, toutes les ailes de poulets que t'as mangé vont te ralentir, Hargrove. »
Steve partit donc jusqu'au portail du terrain après avoir déposé ses lunettes de soleil sur son sac et ouvrit la porte en fer. Une fois le ballon en main, il testa quelques uns de ses rebonds et vit qu'il était parfaitement bien gonflé.
Il regarda par la suite le panier au-dessus de sa tête et au moment où il le lança pour tester aussi l'entrée du ballon dans le cercle en fer rouge, l'ombre de Billy passa furtivement devant lui et le blond agrippa fermement le ballon entre ses mains avant qu'il ne puisse atteindre son but. Ne l'ayant pas entendu arriver jusqu'à lui, Steve se retourna et vit Billy, langue entre les dents penché légèrement en avant tout en faisant rebondir plusieurs fois le ballon, narguant explicitement son adversaire.
Steve lâcha un rire ironique en se mettant lui aussi en position. Décidément, Billy Hargrove ne pouvait pas jouer au basket une seule fois dans sa vie sans être torse dénudé.
Et ils jouèrent. Ce fut intense, éreintant et presque violent. L'adrénaline ne cessait de filer dans les veines du Harrington qui tenait bon, refusant de montrer quelconque faiblesse face à Billy –l'affaire de la piscine était déjà bien assez-. Aucun des deux ne sembla prendre en considération le chaud soleil au-dessus de leur tête, trop concentré à essayer de détrôner l'autre, et Steve fut heureux de constater qu'il n'avait pas perdu ses marques malgré le manque d'entrainement des derniers jours.
Ils avaient beau avoir tous les deux un jeu totalement différent, Steve et lui semblaient avoir à peu près le même niveau.
Quand Steve s'arrêta au milieu du terrain, deux mains contre ses cuisses tremblantes, totalement éreinté, il ne sut pas combien de temps s'était écoulé depuis le début de la partie. Il suait à grosses gouttes et son souffle était rapide et presque douloureux.
« Attention à ne pas chopper une autre insolation, Princesse, » fit Billy près du panier qui avait toujours la balle en main. « Ça serait fâcheux de tomber sur un sol aussi dur, tu as des neurones à préserver. »
« Je pense que c'est plus judicieux qu'on arrête là, » lâcha Steve entre deux souffles, montrant le soleil du bout de son index. « Ce sont les horaires où le soleil tape le plus fort. »
Car oui, même de sa position, Steve pouvait voir que Billy était tout aussi essoufflé que lui, son torse brillant de sueur. Il mit un poing d'honneur à ne pas égarer son regard sur sa peau dorée et commença déjà à se diriger vers la porte en fer afin d'aller boire un coup.
« Alors ça abandonne déjà ? » s'exclama Billy de sa position en ricanement, visiblement satisfait de voir Steve déclarer forfait en premier.
Pour pousser le bouchon encore plus loin, il lança le ballon de basket dans la direction de Steve qui se retourna à peine et se le reçut en plein dans le front. Il lâcha un cri de surprise en tombant en arrière sur le sable orangé et dur du terrain de basket. Un second cri étouffé s'échappa de sa gorge lorsque son dos rencontra le sol et le ballon alla rebondir plus loin.
Il entendit par la suite le rire clair de Billy un peu plus loin.
« Tes pieds, Harrington, tes pieds ! Plante-les ! »
Steve grimaça en pressant une main contre son front soudain rouge, restant allongé de tout son long par terre.
« Ça y est, je t'ai tué ? » reprit la voix de Billy un peu plus proche de lui.
Marmonnant quelque chose, surement une sorte d'insulte envers Hargrove, Steve se redressa difficilement en position assise, une main pressée contre son front et envoya un regard noir à l'adresse de Billy qui s'accroupit à sa hauteur, à moins d'un mètre de lui.
« Un coup tu me tabasses, un autre tu me sauves, et à présent, tu veux ma mort, Hargrove, » énuméra Steve en abaissant sa main. « Tu es une personne vraiment complexe. »
Bien que Billy ait sourcillé au souvenir de la bagarre chez lez Byers, il finit par ricaner à nouveau en haussant les épaules.
« Peut-être que dans quelques années, quand tu auras ton diplôme, tu pourras enfin déchiffrer l'homme que je suis. »
Son ton offrait un challenge, ça Steve pouvait le ressentir. Mais au fond, il espérait pouvoir en apprendre davantage sur lui bien avant la potentielle obtention de diplôme. Puis, Steve frotta ses mains l'une contre elle pour retirer le sable orange, vérifiant qu'il ne s'était pas écorché dans la chute.
« Quand est-ce que tu vas te décider à me dire ce qui est arrivé à ton beau visage, » reprit soudain Billy.
Le rouge lui montant soudain aux joues, Steve se figea dans ses gestes et porta un regard dérouté jusqu'à Billy qui scrutait pensivement les croutes sur la partie droite de son visage. Surement pensait-il qu'il s'était battu, pour quelqu'un comme Billy dont le quotidien était souvent constitué de bagarre de rue.
« Je suis tombé, » avoua Steve en détournant alors les yeux, prétendant vérifier si leurs sacs étaient toujours contre la grille du terrain de basket. « Ni plus ni moins. »
« Non sans dec' ? » ironisa Billy qui ne pouvait pas avaler ça. « Pour s'abimer le visage comme ça il faut vraiment être un imbécile et ou bien n'avoir absolument aucun réflexe. »
« J'ai pas eu le réflexe de me protéger, non. »
Steve se remémora les événements qui avaient suivi la soirée, après avoir quitté Billy il y a deux jours de cela. Il se rappelait avoir marché un long moment seul dans le noir, et puis… et puis voir un ciel rouge, des Demodog, du brouillard, un décor désolé. Il se rappelait avoir couru. Et puis, se réveiller à même le sol alors que le matin commençait à se lever.
« T'as pas eu le réflexe ? » répéta Billy en plissant les yeux à son égard.
À vrai dire, à son réveil, et même à aujourd'hui, Steve ne savait plus trop ce qu'avait été réel ou non. S'il racontait cela à un ami ou un médecin, surement lui dirait-il qu'il avait trop bu et qu'il avait trébuché et écorché au visage par la même occasion. Cette histoire de l'Upside Down n'était donc qu'un rêve ou bien un bad trip, rien de plus.
« Ouais, ça arrive, » répondit Steve, l'air ailleurs.
Il se rappela aussi se réveiller le nez en sang, ou plutôt, sale de sang séché. Ses oreilles aussi étaient dans le même état et il avait presque paniqué seul dans sa salle de bain.
Mais après mure réflexion, Steve Harrington devait se faire à l'idée que ce n'était surement qu'un stupide rêve qu'il faisait. Que sa chute était due à l'alcool. Que son saignement de nez provoqué par la chaleur. De plus, voyager dans l'Upside Down comme ça ? Impossible. Nancy lui avait expliqué l'existence de portes spécifiques, et Steve n'avait fait que marcher. Rien de tout cela n'était donc réel.
« Et la vérité ? Cap' de me la raconter ? » insista Billy en poussant légèrement l'épaule de Steve en arrière.
Steve sursauta à ce toucher, étant encore une fois perdu dans ses souvenirs troubles. Il déglutit et reporta un regard vers les yeux bleus de Hargrove qui semblaient lui dévorer l'âme. Soupirant donc, il fut résigné à lui expliquer. Quelque chose au fond de lui, voulait tout lui lâcher. Voulait se confier à lui. Et Steve écouta cette petite voix.
« Avant-hier soir, après la soirée, » commença à lui raconter Steve en détournant les yeux. « Je suis rentré à pieds, et… C'était vraiment très bizarre, j'ai rêve que j'étais prisonnier d'un monde étrange, que des créatures m'attaquaient. Et quand je me suis réveillé, j'étais devant chez moi, le nez et une partie de mon visage en sang. »
Durant tout le long de son récit, Steve s'était attendu à entendre Billy se moquer de ce stupide bad trip qu'il avait eu. Mais non, il était resté silencieux tout du long, puis la voix du Hargrove se fit finalement entendre :
« J'ai déjà entendu Max parler de ça elle aussi. De créatures et de monde parallèle. C'est quoi votre délire ? »
Steve reporta un regard prudent vers lui, se rappelant que Billy ne devait pas être mis au courant pour l'Upside Down et que pourtant, il avait été si proche de toute cette histoire.
« Rien du tout, » fut sa réponse, mais il se maudit pour paraître si peu convaincant.
« Est-ce que ça a quelque chose à voir avec votre attitude hautement douteuse chez les Byers en novembre ? » lâcha Billy, sourcils froncés, visiblement très soupçonneux. « Et avec la batte étrange qui traine dans le coffre de ta BM ? Ou bien ton-… »
« Wo wo wo, c'est moi la psycho, » le coupa vivement Steve avec un rire jaune. « Ça n'a rien à voir, arrête de te torturer le crâne. »
Et le mensonge était nécessaire, Steve le sentait. En plus de ça, évidemment il avait fallu qu'un jour Steve eut le coffre ouvert que et Billy passait par-là avec Aden. Visiblement, le petit saligot semblait ne pas l'avoir oublié.
« Tout me semble pourtant bien lié, Harrington, » maugréa Billy sans le lâcher des yeux.
« Je peux vraiment pas t'en parler, Hargrove, » lui fit Steve sous le même ton.
Et ne pas savoir semblait irriter Billy. Steve eut soudain peur que cette discussion se finisse dans le sang et il avala difficilement. Mais étrangement Billy sembla contre-attaquer de façon tout à fait différente, et surprenante.
« Dit moi ton secret, Pretty Boy. Et je t'en dirais un à moi. »
Sur la défensive, Steve resta un instant silencieux, tout un tas de questions s'offrant à son esprit. Tout un tas de questions qu'il pourrait poser à Billy, afin de percer l'un de ses secrets.
« Et quel secret de ta part pourrait valoir le mien, hein ? » lâcha finalement Steve en penchant un peu la tête sur le côté.
« Alors tu admets que tu as bien un secret concernant je ne sais quel trip qui s'est passé dans vos têtes… » se moqua alors Billy, Steve se décomposant dans la seconde en comprenant la gaffe qu'il venait de faire. « Et ouais Harrington, moi aussi je sais manipuler les esprits. »
Et Billy bougea ses doigts pour accompagner ses dires, tel un médium devant une boule de cristal tout en ricanant, visiblement satisfait que Steve ait craché si facilement le morceau. Steve quant à lui, claqua sa langue contre son palais et poussa un profond soupir.
Pouvait-il réellement lui raconter l'histoire de l'Upside Down ? Après tout, les portes étaient fermées pour toujours, il n'y avait plus de danger. Et si Billy allait le raconter à quiconque après cela, qui est-ce qui irait le croire ?
« Un secret contre un secret, c'est ça le deal ? » tenta Steve avec un petit regard vers lui.
« Yep, allons-y Harrington. »
« Pourquoi as-tu quitté la Californie ? »
Cette question lui était venue toute celle à l'esprit et à vrai dire, parfois, il s'était mis à réellement se poser la question. Billy semblait détester Hawkins et fortement regretter la Californie. Même Maxine avait mis du temps à s'intégrer. Pourquoi quitter un si bel état tel que la Californie, bon sang ? La vibe Californienne qu'il dégageait avait attiré plus d'une fille jusqu'à lui, et même Steve parfois, s'était mis à presque le jalouser pour avoir eu le privilège d'avoir pu côtoyer la vie de l'ouest.
Cependant, sa question sembla prendre Billy de court qui eu un temps d'arrêt, alors que son sourire moqueur s'était aussitôt évanoui derrière une expression plus dure.
Et Steve su qu'il détenait le secret qu'il souhaitait.
« Tu veux le mien ? Alors le tien viens d'abord, » ajouta Steve en haussant un sourcil en signe de défi à son égard.
Il vit la mâchoire de Billy se compresser et soudain il se leva, tout en fixant quelque chose dans le lointain. Voici une autre question qui fâchait et Steve se prit à couper sa respiration, se demandant bien qu'elle allait être sa réaction.
Puis soudain, Billy tendit une main vers Steve toujours assis à même le sol.
« Un jour, on se partagera nos deux secrets, ça te va comme deal ? » lui demanda donc Billy à l'expression plus fermée, mais pourtant, loin d'être menaçant.
Finalement, cette conclusion ne déplut pas à Steve qui hocha la tête, et pour la seconde fois depuis sa rencontre avec Billy, accepta sa main chaude. Cette fois-ci, Billy le hissa sans douceur sur ses pieds contrairement la première fois où ça n'avait été qu'une feinte. Bien que le contact de leurs mains humides ne dura pas, Steve apprécia ce toucher.
Ce toucher qui le fit oublier la piqure de douleur qui traversa tout son bras tiré par Billy, provenant de la blessure de la seringue qu'il avait toujours derrière son pansement.
« N'empêche, t'as encore saigné du nez, t'es encore tombé dans les pommes, » fit Billy qui à présent était tourné sur le côté, à observer quelque chose entre les arbres. « C'est vraiment chelou. »
« Je te le fais pas dire. »
Et encore, Billy ne savait pas que systématiquement, pour les deux fois, il avait fait le même rêve étrange. Mais il préférait ne rien lui dire tout de suite, voulant essayer de régler cette étrange affaire tout seul.
« Ton visage en a assez d'être malmené, ménage-le un peu, » reprit Billy en lui jetant un regard en biais, sourire sournois sur les lèvres.
Hésitant à lui ressortir un petit souvenir concernant leur bataille chez les Byers, Steve abandonna et secoua lentement la tête. Puis, les deux hommes reprirent la direction du grillage, récupérèrent leurs affaires, jetèrent à la poubelle le sac ayant contenu leur repas, et partirent en direction du parking. Il était pratiquement l'heure pour Billy d'aller travailler, Steve vit qu'il était presque 14h30 sur sa montre et il aurait sincèrement voulu avoir un peu plus de temps avec lui aujourd'hui.
Ouais, il ne le nia pas cette fois-ci. Il savait très clairement ce que son cœur lui disait implicitement depuis des jours. Si seulement Billy pouvait être plus clair. Si seulement tout cela pouvait être réciproque. Mais Steve n'en avait qu'un faible espoir.
« Quelle est donc la nana que tu t'es péché pour le bal de promo ? » fit soudain Billy une fois qu'ils arrivaient près de leurs voitures respectives.
Le bal de promo. Steve grimaça à ce mot, ayant presque oublié cette fête. C'était le 30 juin, ainsi, dans trois jours. C'était un jour que tous les lycéens attendaient avec impatience folle, et Steve aussi quand il sortait avec Nancy. Mais à présent, il l'attendait un peu moins. Cependant, il avait dit à Nancy qu'il viendrait quand même, c'était un moyen de dire au revoir aux professeurs, de passer un dernier moment avec certains camarades qu'il ne reverrait plus, et puis, passer une dernière journée entre les murs d'un établissement qui avait construit sa vie.
Et tandis qu'avant les examens, durant les cours ou pendant les pauses, filles et garçons cherchaient un cavalier ou cavalière et partaient à cette conquête, Steve n'avait pas vraiment cherché, et avait décliné deux demandes. Pas parce qu'il ne les aimait pas, loin de là, mais parce que il n'avait pas vraiment la tête à ça, depuis Nancy il avait du mal à rouvrir son cœur.
Il passa une main contre son visage dans la réalisation qu'il allait très certainement se retrouver seul au milieu de tout à un tas de couples, lui, l'ancien King du lycée, et il entendit Billy rire à nouveau, ce dernier ayant atteint sa Camaro.
« Me dit pas tu avais oublié, » largua Billy hilare. « Ou bien qu'aucune gonzesse n'est venu sauter sur l'homme libre que tu es désormais. »
Steve se mordit l'intérieur des joues, ayant comme l'impression qu'il s'agissait d'un nouveau challenge entre lui et Billy. Challenge qu'il avait obligatoirement perdu.
« Il faut croire que je vais y aller en tant qu'homme libre, » fit Steve en haussant les épaules, prétendant s'en désintéresser.
Après tout, dans ce sens-là, ça voulait aussi dire que même s'il n'allait pas suivre la tradition d'aller chercher sa cavalière chez elle et de passer la porte du gymnase avec elle, il allait être plus libre dans ses mouvements et accepter quiconque souhaiterait danser avec lui au bal.
Inconsciemment, il jeta un autre coup d'œil vers Billy Hargrove. Il allait commencer à s'imaginer voir Billy passer les portes du gymnase décoré à ses côtés quand il s'offrit une belle claque mentale, et s'empressa de lui demander :
« Et toi ? Avec qui tu y as ? »
« J'ai eu un paquet de demandes, » fut la réponse de Billy qui pressa de façon nonchalante ses avant-bras contre le toit de sa voiture. « J'ai pas encore choisi. »
Si ça avait été quelqu'un d'autres, Steve ne l'aurait pas cru. Mais là, il s'agissait de Billy Hargrove qui avait la moitié des filles du lycée à ses pieds. Ainsi, le brun hocha lentement la tête et le regarda porter une cigarette à ses lèvres pour l'allumer à l'aide de son briquet en argent. Steve laissa cette étincelle de jalousie brûler ses entrailles et ouvrit la portière de sa voiture.
« On se voit dimanche alors, Harrington, » reprit Billy en lui faisant un bref signe de la main. « Hâte de voir ta petite face en smoking. »
Et sans attendre son reste, Billy rentrait déjà dans sa voiture en faisant gronder le moteur de sa douce Camaro tandis que Steve prétendit ne pas avoir réellement prêté attention à ses propos, tout en s'installant devant la volant de sa BWM. Il fit un effort monstre pour ne pas tourner la tête et voir la Camaro s'éloigner, et eut presque du mal à enfoncer la clé dans la serrure du contact tant ses mains étaient agitées.
Ce n'était pas juste. Si Billy Hargrove continuait de jouer avec son cœur comme ça, il allait tout autant souffrir que lors de la rupture avec Nancy.
Le bal de promo arrive lui aussi ;)
Avez-vous aimé le petit « rendez-vous » de Steve et Billy ?
Allez je vous laisse et je vous souhaite un très très bon week-end, profitez bien !
