DOWNTOWN ABYSS
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Abysse : du grec "abussos", fond océanique situé à plus de 2000 mètres de profondeur
PROLOGUE
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" Quand les monstres commencèrent à jaillir par centaines des eaux, Zeus demanda
à son frère, Poséidon, de remédier à ce problème. Alors Poséidon créa un vaste
gouffre tout au fond de la mer, les Abysses, où il enferma les créatures
abominables, afin qu'elles ne puissent plus troubler l'ordre entre les Dieux et
les hommes. Il donna la clé des portes des Abysses à Ecamété, qui en devint
le gardien.
Lors de la Guerre de Troie, Cassandre prédit que la porte des Abysses
se rouvrirait, et qu'en sortiraient les pires atrocités engendrées par
les flots. Personne ne la crut. "
Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster
18 mars 2008, 21h03, quelque part dans l'Océan Atlantique.
Le soleil s'était couché depuis moins de deux heures, après avoir fait du ciel un tableau incandescent, déchiré entre l'ocre et le bleu, le feu et l'eau, la mer. Elle n'était pas spécialement agitée, se disait Brendtsock, lui jetant un regard depuis la cabine de pilotage. On lui avait dit que ce serait le cas. Enfin, "on lui avait dit". Denis le lui avait dit, plutôt. Un vrai crétin, celui-là, même pas foutu de distinguer sa droite de sa gauche. "Mais capitaine, on devrait pas s'embarquer", geignait-il, "mais capitaine, la mer est agitée, ce soir, c'est pas prudent, je vous jure, je l'ai vu à la météo.". Un vrai crétin. La météo n'était qu'un ramassis de conneries. On prétendait pouvoir prédire le temps qu'il ferait le lendemain, le sur-lendemain, et ainsi de suite pour tous les jours de la semaine, alors que de fait, il y avait erreur une fois sur deux. En 2007, on avait prévu une sécheresse monumentale pour le mois de juillet. Résultat des courses, de la flotte jusqu'à risquer la grande crue de l'Amazonie. Oh non, on ne la lui faisait pas, à lui. Si les météorologues voulaient croire que la mer était agitée, c'était leur problème. Lui avait une cargaison urgente à trimballer jusqu'au port de Rotterdam. Et pour rallier Houston à Rotterdam, il fallait traverser le golfe du Mexique puis l'océan Atlantique, c'était pas une croisière thalasso-thérapie. Il dirigeait des bateaux depuis plus de vingt ans, qu'on ne vienne pas l'emmerder avec des histoires à dormir debout sur la mer-agitée-d'après-ceux-qui-font-la-météo.
En outre, il n'aimait pas la météo. C'était toujours une femme qui la présentait, en tout premier lieu. Toujours une gonzesse, avec de jolies jambes très longues et très lisses, épilées jusqu'à la racine, une tour de taille capable de concurrencer celui de cette actrice, Audrey Hepburn, et toujours en train de montrer la carte des États-Unis avec un sourire niais Colgate Total si éclatant qu'il vous donnait mal aux yeux. Elle s'adressait toujours à eux comme s'ils étaient attardés mentalement. Bon sang, il avait horreur de ça ! Chaque fois qu'il rentrait chez lui et devait se coltiner la météo en attendant de regarder sa série favorite, il changeait de chaîne. Il n'aimait vraiment pas qu'on le prenne pour un con. Et puis, en ce moment, la femme qui présentait la météo, Andrea quelque chose, lui rappelait sa femme.
Il ne voulait pas penser à Daniela. Ils s'étaient séparés depuis deux mois, et étaient en attente d'une procédure de divorce. Enfin, "étaient". Elle, surtout. Charly ne voulait pas divorcer, il ne voulait pas non plus la quitter. Certes, il ne l'aimait plus comme autrefois, mais ça n'avait rien de bien original. Au bout de dix-huit ans de mariage, on aime plus comme autrefois. Il y a de nouveaux éléments à prendre en compte au sujet de l'autre, des petits détails venus s'ajouter au premier, des bricoles, trois fois rien, mais qui ajoutés les uns aux autres forment un tout dont on ne désire que la moitié, autrement dit celle qui nous plaît.
Daniela voulait divorcer parce qu'ils "ne se voyaient plus". En fait, c'était à cause de son boulot. Il était souvent en mer. Non. Il était tout le temps en mer. Mais il adorait ça, la mer était sa raison de vivre, il y était pratiquement né. Sa mère, Clara, avait eu ses contractions alors qu'elle se baignait dans le lac Tahoe, entre la Californie et le Nevada. Avec son mari, ils avaient emménagé à Sacramento lorsqu'ils avaient appris qu'elle était enceinte. Ils avaient acheté une maison plus grande. Ils se rendaient au lac tous les week-ends. Le père de Charly, Baltimore, était un passionné de navigation. Chez les Brendstock, on était marin de père en fils, point final.
Sauf que son amour pour les navires, la houle, les mouettes, avait pris en chasse celui qu'il avait à l'égard de Daniela. Il l'avait rencontré à vingt et un ans, lors d'une réunion des Alcooliques Anonymes. Il buvait depuis la mort de son père dans un naufrage, en plein océan indien. Mais cet évènement n'avait pas réussi à le faire renoncer au grand large, et jamais Daniela n'y parviendrait non plus, quoi qu'elle fasse. Ils s'étaient fréquentés pendant cinq ans, puis s'étaient mariés. Daniela était une jolie fille, qui n'avait rien à voir avec les mannequins squelettiques qu'on désignaient comme les "canons de beauté" de l'époque, mais qui cultivait un caractère vif, enjoué, d'une fraîcheur équivalente à une brise de printemps. Ils avaient eu deux enfants, une fille et un garçon, de quoi assurer la relève. Ce que Charly n'avait pas compris, c'était qu'aujourd'hui la relève se passionnait davantage pour des consoles, le foot et les sites pornographiques que pour la carcasse puissante d'un porte-conteneur. Son fils de quatorze ans, Mickey, Michael de son vrai nom, voulait devenir footballeur. Il allait souvent jouer au terrain de son école avec des camarades de classe.
- Je suis plutôt bon, tu sais, p'pa, disait-il.
Là-dessus, Charly n'avait aucun doute. Il se doutait que Mickey était doué, c'était son fiston. Il était du genre sportif, comme lui. En revanche, il avait tendance à bouder le foot, et aurait préféré que son gosse s'intéresse à la marine, afin qu'il puisse lui prodiguer son enseignement et faire de lui un futur capitaine Haddock. Le problème, c'était que le môme n'avait aucun intérêt ni pour Tintin, ni pour les bateaux. Il s'éloignait de plus en plus de lui, d'autant que les absences répétées de son père n'arrangeaient rien. Quand à sa fille, Nicole, ce n'était même pas la peine d'en parler. Elle était branchée fringues et guitare électrique. Autant parler à un mur.
We don't need, no, education
C'était un peu ce qu'il ressentait vis-à-vis de ses gosses. Ils ne voulaient pas de lui en tant que pédagogue. D'ailleurs, c'était à se demander s'ils voulaient de lui tout court. Charly savait bien que son métier flinguait ses relations familiales. Mais quand il sentait la mer l'appeler, il ne lui résistait jamais. Personne d'autre qu'un marin n'était foutu de comprendre d'où venait cette émotion dense, ce besoin. Du fond de ses tripes, il était lié à la mer. Il avait besoin d'elle et elle avait besoin de lui. Sa mise en valeur dépendait des gens comme lui, il lui fallait quelqu'un pour l'explorer, la goûter, la découvrir. La mer. La mère, car après tout elle avait donné naissance aux premières formes de vie. On l'oubliait parfois un peu trop.
- Capitaine.
Le lieutenant Carlon, chargé de surveiller la passerelle, venait d'entrer dans la cabine.
- Qu'est-ce qui se passe, garçon ? Soupira Charly.
Il avait laissé tomber les titres honorifiques, jugeant qu'ils n'avaient absolument aucune utilité.
- La mer, capitaine, lui répondit Carlon. Le vent est de plus en plus fort et la taille des vagues de plus en plus impressionnante. Je crois qu'on va avoir le droit à une bonne tempête.
- Et alors ? C'est pas nouveau, bougonna Charly.
Le temps s'était en effet dégradé, le ciel était à présent recouvert de gros nuages, et les vagues cognaient violemment contre la coque du navire. Trop absorbé dans ses réflexions, Charly n'y avait pas vraiment prêté attention. Décidément, même lorsqu'elle n'était pas là, Daniela s'échinait à vouloir l'arracher à la barre.
- Non, bien sûr, capitaine, mais c'est l'équipage, insista Carlon.
- Quoi, l'équipage ?
- Les matelos disent qu'ils entendent des hurlements, capitaine.
Charly tourna vers lui un visage perplexe.
- Comment ça, des hurlements ? C'est le vent, bon sang de bois ! Aboya Charly. Vous croyez tout de même pas qu'on puisse entendre des hurlements humains à cette distance, Carlon ?
- Non, capitaine.
- Alors allez dire à ces imbéciles qu'il n'y a pas de quoi s'en faire, et que si jamais ils recommencent avec leurs putain d'angoisses, c'est moi qui viendrait leur hurler dans la gueule, compris ?
- O-oui, capitaine.
Mais alors que Carlon ouvrait la porte de la cabine, une énorme vague frappa le navire, le propulsant à toute vitesse sur le côté. De l'eau s'engouffra dans la cabine, mouillant le visage et les vêtements de Charly. Les deux hommes, déstabilisés, roulèrent contre le mur. Un coup de tonnerre explosa au dessus de leurs têtes. Les cris des marins leur parvenaient depuis le pont. Le navire se mit à tanguer dangereusement, poussé par des vagues surpuissantes.
- Bordel de dieu de merde ! S'écria Charly.
La politesse n'avait jamais été son fort, et de toute façon, dans une situation comme celle-ci, il n'en voyait pas l'intérêt. Il se précipita pour rejoindre la barre, et la fit tourner à tribord. Il enclencha le micro puis gueula à plein poumons :
- Du calme, bande de dégonflés ! C'est qu'une grosse tempête, pas de quoi en faire tout un plat ! Retournez à vos postes, tout le monde au travail, on se dépêche ! J'ai survécu à bien pire que ça, croyez moi, c'est pas aujourd'hui que mon navire coulera ! Du nerf ! Vous êtes quoi ? Des marins ou des lopettes ?
Les marins s'immobilisèrent quelques secondes, surpris, terrifiés. Puis, comme Charly se remettait à hurler sa mauvaise humeur, ils semblèrent reprendre leurs esprits, et s'agitèrent, malgré la tempête dont la force avait redoublé d'intensité. Il pleuvait des cordes.
- Lieutenant ! Appela Charly.
- Oui, capitaine ?
- Tenez-vous prêt à envoyer un message de détresse, on sait jamais. Mieux vaut prévenir que guérir, je suis quelqu'un de prudent.
- À vos ordres, capitaine.
Brendstock avait peur des tempêtes, autant l'avouer. Son père était mort à cause d'une de ces saloperies, et à chaque fois il les redoutait, craignant que quelque chose de similaire ne lui arrive. À chaque coup de tonnerre, il pensait à ses gosses. Et il donnait le change, en hurlant. Hurler comme une bête l'apaisait. Sa propre violence détonait face à celle de l'orage, elle le rassurait.
Le bosco, le maître d'équipage, s'y était mis, lui aussi. Un brave type, celui-là, de la même trempe que Charly. Sa voix déchirait les rafales de vent, s'y frayait un chemin. Ils naviguaient depuis une dizaine d'années ensembles. Le Cottage Ballet, un vraquier de type Handymax, était leur compagnon actuel. Avec lui, ils avaient traversé l'océan Atlantique, Indien, la Manche, la Méditerranée, pour amener les marchandises d'un pays à un autre. Manquait plus que le Pacifique pour achever le tableau. Ils avaient même fait Singapour. Son port à la pointe de la technologie les avait cloués sur place. Là où ils attendaient parfois quatre heures avant que le déchargement des conteneurs ne se termine, à Singapour, ils n'avaient patienté qu'une heure et demie. Un putain de port, ouais. La preuve parfaite de l'émergence des pays d'Asie. Après la Seconde Guerre Mondiale, à commencer par le Japon, ils avaient grimpé l'échelle du développement économique à toute allure, comme si on les avaient dopés, de la même manière que certains athlètes. Ancien "dragon" asiatique, Singapour était devenu le premier port mondial, rattrapé précipitamment par Shanghai en 2005. Rotterdam, le port européen, avait écopé de la troisième place au classement. Quant aux ports américains, ils étaient loin derrière. Ce n'était qu'une fois descendu à la treizième place qu'on pouvait lire le nom du port du sud de la Louisiane. Au seizième rang, Houston trimait dur. Et les chinois dominaient le classement sans la moindre pitié.
Il fallut attendre de longues minutes pour que l'orage s'apaise et que la pluie cesse. Les cirés bleus des marins luisaient de gouttes de pluie. Brenstock détestait ces machins-là, c'était rigide et ça le faisait toujours transpirer comme une vache.
- Tu vois, je te l'avais dis, fit-il, s'adressant à Carlon.
Mais Carlon ne l'écoutait pas. Il regardait quelque chose par la fenêtre. Il avait l'air horrifié.
- Il y a un problème, garçon ? Demanda Charly.
Il y eut alors une gigantesque détonation. De l'eau gicla à profusion sur le navire, éclaboussant les vitres, les marins, le pont, chaque millimètre. Les fenêtres explosèrent et Brendstock fut propulsé en arrière.
Bordel de
Sa tête heurta si fort le mur qu'il perdit connaissance. Il se souvint juste d'une masse noire et difforme et des hurlements de son équipage, avant de sombrer dans l'inconscience.
" Après trois jours de recherches, le navire Cottage Ballet, qui avait disparu en plein océan Atlantique après une tempête, a finalement
été retrouvé. Il a été aperçu par des touristes lors d'une croisière dans les Caraïbes. Le bateau a été sauvagement mutilé et
son équipage demeure introuvable pour le moment. Les autorités sont sur place et explorent actuellement le navire pour
découvrir où il était durant ces trois jours et, si possible, retrouver des membres survivants de son équipage. D'après les
scientifiques, il est impossible que les courants aient pu porter l'épave non loin des côtes jamaïcaines compte tenu de la
distance entre ces dernières et le lieu de la disparition. On s'interroge, les marins sont inquiets. C'est la quatrième fois
qu'une telle chose se produit cette année. "
21 mars 2008, 4 heures du matin, Winchester, Angleterre.
Ce n'était pas Vakaroff. Il était gaucher, or l'arme ayant servi pour démembrer la femme du baron de Stembardum avait été très nettement utilisée par un droitier, et à moins d'être ambidextre, ce qui paraissait très étonnant venant de ce type, ça ne pouvait pas être lui. Il eut un sourire méprisant. On lui avait dit que les meilleurs étaient sur cette affaire, et désormais il comprenait pourquoi celle-ci n'avançait plus depuis des mois. Les " meilleurs " étaient un cache servant à dissimuler l'incompétence des détectives du pays. Ou alors, ils étaient les meilleurs pour ne pas voir l'essentiel.
La porte de la pièce s'ouvrit avec un grincement. Portant un petit plateau sur lequel étaient posés un bol de caramels et un autre de truffes au chocolat, le vieil homme se coula jusqu'à lui, évitant les montagnes de dossiers et de sucreries qui lui barraient le passage. Arrivé devant lui, il se baissa et lui présenta son chargement.
- Tout droit de chez Candy's N Sugar, la meilleure confiserie de la ville, comme tu me l'avais demandé, L.
L'autre s'arracha à la contemplation de son écran d'ordinateur pour jauger les deux bols en cristal d'un air gourmand.
- Merci, Watari, répondit-il d'un ton monocorde.
Watari déposa chaque bol sur le bureau qu'occupait L. Celui-ci tendit une longue main aux doigts très fins, et piocha un caramel du bout de son pouce et de son index, qu'il goba par la suite. Watari avait entreprit de ranger les affaires qui traînaient dans la pièce, L ayant toujours eu une légère tendance bordélique.
- Alors, ce démembrement tchécoslovaque ? Lança t-il.
- Le suspect n'est pas le coupable, répondit L. Ils se sont précipités et sont passés à côté d'une montagne de détails importants, comme toujours.
- Qui est-ce, dans ce cas ?
- Le mari.
- Le baron de Stenbardum ? Fit Watari, fronçant les sourcils d'incompréhension.
- Oui. Un crime passionnel. Marguerita de Stembardum avait un amant, le majordome, pour être plus précis, expliqua L. Ils se retrouvaient dés que le baron s'absentait, autrement dit presque tout le temps. Il l'a découvert en rentrant de voyage plus tôt que prévu. Il était la seule personne à avoir en fait la clé du tiroir des couteaux d'argent, contrairement à ce qu'il a raconté aux autorités. Et il était droitier. L'arme du crime a été utilisée par un droitier. Vakaroff était gaucher.
Watari hocha la tête.
- Tu as envoyé tes conclusions au bourgmestre d'Amsterdam ?
- Pas encore. Je le ferais dans quelques heures, le temps qu'il se réveille.
- Ne te montre pas trop condescendant, s'il te plait, lui conseilla le vieil homme. Essuyer la mauvaise humeur de tes interlocuteurs mondiaux n'a rien de plaisant, crois-moi.
La semaine passée, à la suite d'une remarque quelque peu malencontreuse provenant du détective et visant tout particulièrement l'organisation policière défaillante de Johannesburg, le maire de la ville, monsieur Masondo, avait littéralement rué des quatre fers. La conversation s'était achevée sur les hurlements de rage de ce dernier, et Watari avait passé deux longues heures à le raisonner. L n'avait pas présenté ses excuses, les jugeant inutiles.
- Je ne fait qu'énoncer un fait véridique, monsieur le maire, avait-il déclaré sans la moindre compassion. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison de me faire pardonner.
L détestait faire ses excuses. Il les considérait comme un signe de faiblesse, et la preuve d'une lacune dans son génie. Or son génie n'avait pas de lacune, il le savait parfaitement, et devoir prétendre le contraire l'exaspérait au plus haut point.
- Il y a eu une nouvelle disparition en mer, dit Watari, qui regardait les dernières nouvelles internationales à partir de son ordinateur portable
- Je sais, répliqua L. Ils en ont parlé à la télévision.
- Ça t'intéresse ?
- Je ne sais pas, répondit le détective.
Il venait de terminer le bol de caramel et s'attaquait à présent aux truffes.
- " Tu ne sais pas " ? C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire que la disparition des navires ne fait pas vraiment partie de ma sphère d'intérêt, Watari.
- L'équipage disparaît aussi, lui fit remarquer le vieil homme.
- Si on regarde l'état dans lequel sont retrouvés les bateaux, ça semble logique, non ? Et l'équipage ne "disparaît" pas, ajouta t-il. Les membres se noient durant la tempête.
- Les marins sont entraînés pour ce genre de situation, et les nouveaux appareils installés sur les navires devraient pouvoir les répèrer avant le naufrage.
L fit pivoter la chaise de bureau en cuir noir pour le dévisager.
- Watari, pourquoi essaies-tu de m'orienter vers cette affaire ? Demanda t-il.
Le vieil homme eut un sourire en coin. Tenter de cacher quelque chose à L était peine perdue, et lui-même n'excellait pas particulièrement dans ce domaine.
- J'ai reçu un message du secrétaire à la Marine des États-Unis, déclara alors Watari.
- Rien que ça ? Se railla le détective en retournant à son écran d'ordinateur
- En effet. Monsieur Winter m'a demandé si tu pouvais jeter un coup d'œil rapide au dossier sur les disparitions en pleine mer. Il aimerait avoir ton opinion.
- Que lui as-tu répondu ?
- Que tu t'en occuperais dés que tu aurais le temps.
- Et je ne l'ai pas, c'est regrettable.
- L, insista Watari. Ça ne te prendra qu'une minute.
- Si je lui écris pour lui dire que je n'ai pas le temps, effectivement, ça ne prendra qu'une minute, affirma le détective.
- Je suis sérieux, L. Tu devrais le contacter, ne serait-ce que pour échanger quelques mots au sujet de l'affaire. Il veut juste ton opinion, et non que tu réalise une enquête.
L ne répondit pas. Il savait parfaitement ce qui se passerait s'il donnait son avis au secrétaire Winter. Cela commencerait par une discussion relativement abstraite, puis Winter se mettrait à lui poser des questions de plus en plus précises au sujet des disparitions, et L, par vanité davantage que par intérêt, se sentirait obligé d'y répondre. Ne pas répondre à une question avait dans la bouche du détective le goût amer de l'échec, et il n'aimait pas échouer, oh non. De fil en aiguille, il en viendrait à résoudre l'affaire en totalité. Les américains étaient loin d'être stupides, ils avaient parfaitement compris son mode de fonctionnement, basé sur l'amour-propre, et s'y étaient adaptés, à l'instar des britanniques et des allemands. Les français, à l'inverse, s'imaginaient encore qu'il acceptait n'importe quel cas, pour peu qu'il provienne d'Interpol.
Il n'avait pas été en lien avec ses membres depuis bientôt quatre ans. Depuis la clôture du "dossier Kira", plus exactement. Il recevait parfois des propositions d'enquêtes, mais n'avait pas de contact direct avec l'organisation, en particulier depuis que son président, Jackie Selebi, avait été accusé de corruption en janvier et avait été contraint de démissionner, endommageant grandement l'image d'Interpol.
L reprit une truffe au chocolat. On sonna à la porte d'entrée. Watari et lui échangèrent un regard méfiant.
- Tu as dit à quelqu'un où nous étions ? S'enquit L.
- Non. Hormis Roger, personne ne sait où nous nous trouvons, pas même les enfants de l'orphelinat.
Deuxième sonnerie, plus appuyée cette fois.
- C'est peut-être lui, dit L. Va ouvrir, mais ne dis rien à notre sujet si c'est un étranger.
- Compris.
Watari quitta le bureau et descendit les escaliers. Après la mort de Kira, L avait demandé la destruction du bâtiment où s'était déroulée l'enquête, ne lui trouvant plus aucune utilité et estimant que sa structure particulière finirait par attirer l'œil des nombreuses personnes étant à sa recherche, parmi lesquelles plusieurs partisans de la mafia. En outre, il n'appréciait pas de devoir se fixer définitivement quelque part et se sentait plus en sécurité lorsqu'il alternait les résidences. Aussi avait-il acheté, fin 2006, une maison à Winchester, à quelques kilomètres de la Wammy's House. Isolée, petite, la bicoque était ancienne et n'avait rien d'exceptionnel, abstraction faite de la quantité phénoménale de poussière qui les avaient accueillis lors de leur première visite. Au cours d'une enquête en Argentine, L en avait profité pour faire rénover l'intérieur. Il avait laissé à Watari le soin de l'ameublement et de la décoration. Quand le besoin de se reposer l'envahissait, il y passait un certain temps. Le quartier était paisible, peu fréquenté. Il acceptait même parfois de sortir un peu en compagnie de Watari.
Il entendit les pas du vieil homme alors que celui-ci remontait les marches, accompagné de quelqu'un d'autre.
Roger ?
Non. La démarche du directeur de l'orphelinat était nettement plus lourde. La porte du bureau s'ouvrit.
- L ?
Il eut la surprise de constater que la voix de Watari était moins assurée. Il se retourna.
- Ça ne va pas Wa...
Il s'interrompit.
Là, derrière Watari, une silhouette, élancée, funèbre, une silhouette qui avait un parfum de nostalgie. Et des yeux qui n'avaient pas changés.
- Ça faisait longtemps, pas vrai ?
L ouvrit la bouche, mais sa voix s'en extirpa non ferme, telle qu'il l'avait espérée, mais rauque et désorientée.
- Light-kun...
" Toute personne ayant fait usage d'un cahier de la mort deviendra automatiquement un Dieu de la mort après
avoir expié ses fautes en éprouvant la douleur de ses victimes "
Extrait du Code des Dieux de la Mort, article I
Indications :
- Écamété n'existe pas, c'est un personnage inventé par mes soins ^^.
- Cassandre est un personnage féminin de la mythologie grecque à qui Apollon avait accordé le don de voyance mais qu'il condamna également à ne jamais être crue car elle avait refusé ses avances. Zeus était le roi des dieux de l'Olympe, et Poséidon, son frère, le dieu des Mers.
- Un navire de type Handymax mesure entre 150 et 200 mètres de long, et un vraquier est un navire de charge transportant des marchandises(surnommés les "chevaux de trait des mers"(dixit Wikipédia :P).
- Candy's N Sugar n'existe pas, et je sais, le nom est vraiment débile.
Voilà donc pour ce prologue, j'espère qu'il est potable et qu'il vous a plu. Le premier chapitre arrivera comme indiqué dans l'introduction d'ici deux semaines :).
Negen
