CHAPITRE SECOND

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Conférence : du latin "conferre ", un échange de vues entre deux ou plusieurs personnes,

réunion ou exposé oral où l'on traite de questions politiques, scientifiques, philosophiques,

religieuses.


CONFÉRENCE

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" Il n'y a qu'une seule chose au monde qui puisse véritablement bien dormir : c'est un cadavre. "

Citation de Xavier Forneret, écrivain humoriste français


23 mars 2008, 10 heures 12, plage de Barcelone, Espagne.

Esperanza Alcazer ôta son t-shirt sous les sifflets admiratifs de ses accompagnateurs masculins, et dévoila son haut noir de maillot de bain, fondant comme une seconde peau sur la sienne, délicatement halée, et s'accordant à merveille avec ses longs cheveux bouclés qu'elle venait récemment de teindre en noir. Puis elle enleva son jean, dans lequel elle transpirait depuis bientôt une demie-heure, le roula en boule, et le fourra dans le panier en osier souple qu'elle venait d'acquérir. Son amie, Catalina, l'imita, avec bien moins de succès, cela dit. Tant mieux. Esperanza n'aimait pas vraiment qu'on lui vole la vedette. Quand aux garçons, ils s'étaient déshabillés dans la voiture, quelques minutes après s'être garés. La caisse, une charmante petite New Beetle Cabriolet de chez Volkswagen, couleur crème, ne leur appartenait pas. C'était celle de son père. Toutefois, pour sa fille, monsieur Alcazer avait fait de nombreuses concessions. Il avait même accepté de lui laisser les clés de sa dernière " pupuce " en date, comme il la surnommait si bien avec une tendresse toute paternelle.

Ils avaient quitté Madrid et étaient à Barcelone depuis un mois déjà, ce qui leur avait laissé le temps de prendre leurs marques. Le matin, baignade. L'après-midi, achats. Le soir, restaurant de luxe avant d'enchainer avec les boites de nuit. Des vacances par conséquent sensationnelles. Des vacances qui ne nécessitaient pas la moindre réflexion particulière, hormis bien entendu le type de question existentielle surgissant chez la femme moyenne dans une boutique Prada et concernant les divers produits exhibés dans les vitrines(est-ce que je prends celui-là ou l'autre ?). Le père d'Esperanza avait rempli le compte en banque de sa fille avec une somme royale, pour l'occasion. Elle et ses acolytes en avaient déjà évacué plus de la moitié. Pour l'occasion. On ne faisait pas dans les dentelles, avec les Alcazer.

Elle s'empara du tube de crème solaire et en étala une couche généreuse sur ses bras, ses épaules, son dos, son ventre et ses jambes. Hors de question d'attraper un coup de soleil. Elle lança le tube à Catalina, puis déplia sa serviette de plage, qu'elle étendit sur le sable brûlant. Antonio et Juan couraient en direction de la mer comme des dératés, avec force cris et éclats de rire. Ces mecs étaient complétement siphonnés, mais Esperanza appréciait cette folie douce. Elle échangea un regard faussement désespéré avec Catalina, avant de s'installer confortablement sur sa serviette et de rabattre ses lunettes de soleil sur ses yeux bruns. Juan avait docilement planté le parasol pour ces dames. Enfin, docilement. Avec crainte, plutôt, car la dernière fois qu'il avait omis ce détail, les deux donzelles l'avaient vertement tancé. Quand Esperanza Alcazer et Catalina Ramon réprimandaient un pauvre bougre, c'était tout sauf une partie de plaisir, et le concerné pouvait aisément sombrer dans un état catatonique s'il n'avait pas les nerfs bien accrochés. Certes, son frère avait l'habitude. Mais il n'en restait pas moins angoissé à la vue d'une Esperanza furibonde.

De l'ombre engendrée par le parasol ne dépassaient que ses jambes. Elle les épilait soigneusement deux fois dans la semaine à la cire, en compagnie de Catalina, dans la salle de bain de l'hôtel où ils avaient tous élu résidence. Un cinq étoiles, situé dans le centre-ville, à deux pas des boutiques de luxe. Pour Esparanza, ce n'était pas une nouveauté. Les vacances étaient pour elle indissociables de la somptuosité. En revanche, Catalina, issue d'une famille plus modeste, avait l'impression d'évoluer dans un palace digne du château de Versailles, en France, s'émerveillant un peu plus chaque jour de la richesse de l'endroit, des lustres en cristal, des boiseries, de l'or et de l'argent. Des serveurs également, au passage. Son frère râlait à chaque fois qu'elle les couvait des yeux lors des petits-déjeuners sur la terrasse baignée de soleil.

- Tu ne voudrais pas plutôt viser le fils d'un homme d'affaires, des fois ? Lui disait-il. On y gagnerait beaucoup plus.

Catalina roulait alors des yeux. Antonio n'avait rien à dire. Il sortait avec une fille qui n'avait même pas de quoi se payer un t-shirt chez Guess. Et puis Catalina avait, dans le fond, bien mieux à se mettre sous la dent qu'un serveur, aussi mignon fût-il.

- Qu'est-ce qu'on fait, ce soir ? Marmonna Esperanza, les mains jointes sur son petit ventre plat et bronzé.

Catalina se redressa un peu sur sa serviette. Le sable avait quelque peu refroidi, et ce grâce au parasol. Elle transpirait malgré tout. Le soleil de Barcelone n'avait aucune considération pour le sex-appeal des jeunes femmes de vingt ans.

- On pourrait essayer autre chose qu'une boîte de nuit, proposa t-elle. Disons, un truc un peu plus sportif.

- Chérie, je ne veux pas être désagréable, mais hier soir, c'était déjà suffisant, répliqua Esperanza. Tu m'as épuisée, je te signale.

Dans les toilettes de la boîte, accessoirement. Sur du David Guetta, entre autre.

- Je t'aide à perdre du poids, prétendit malicieusement Catalina. C'est toi qui me l'as demandé.

- J'en doute.

- Pourquoi ?

- Parce que les kilos ne sont pas liquides.

Elles se regardèrent un instant puis furent prises d'un fou-rire hystérique.

- Tu en as parlé à Antonio ? Demanda Esperanza lorsque la crise fut passée.

- Et toi ? Tu en as parlé à Juan ? Répliqua l'autre du tac-au-tac.

- Non.

Si Antonio Ramon était du genre open-minded, le fifils à papa Alcazer, en revanche, avait l'esprit aussi étroit en matière d'homosexualité que le cul d'une sauterelle, aussi Esperanza estimait-elle que ce n'était même pas la peine de lui en toucher un mot. Il le découvrirait assurément un jour. Et la jeune fille avait bien l'intention, ce jour-là, d'être très, très loin. Avec Catalina, si possible. Dans les îles des Caraïbes.

Catalina et elle, ça datait, de quatre ans précisément. Elles étaient dans la même classe au lycée, raison pour laquelle elles avaient eu l'occasion de faire connaissance. Catalina était une grande rousse, avec des yeux verts immenses. Et un caractère de pitbull, du moins à l'époque. C'était le temps où Esperanza s'imaginait hétéro à mort et ne sortait qu'avec la fine-fleur de l'établissement tout en ne fréquentant que les adolescents appartenant au même milieu social. Tout cela, bien sûr, c'était avant qu'elle ne tombe amoureuse de Catalina, de ses boucles et de son "ah, putain de bordel !" chaque fois qu'un coup de vent rabattait son épaisse chevelure sur son visage. Elle n'avait pas vraiment compris de quelle manière elle en était arrivée là, mais toujours était-il qu'elle avait arrêté de sortir avec des garçons et réservait les trous dans son emploi du temps qui en découlaient des heures de discussions avec Catalina. Téléphone, SMS. Elle n'en avait jamais assez. Avec l'esprit éclatant de sa compagne disparaissait la superficialité gerbante qui constituait son existence. Elle s'était mise à inviter la jeune fille durant ses vacances. Elles donnaient le change en contemplant de beaux jeunes hommes bodybuildés puis, dés qu'un instant se présentait, filaient quelque part pour y faire des tas de choses pas franchement catholiques mais excellentes pour le moral. Pour l'heure, la clandestinité ne les dérangeaient pas. Pas tant que ça, plutôt. Toutefois, lorsque la nuit tombait et qu'elles s'endormaient dans le grand lit king size de la suite de l'hôtel qu'elles occupaient, elles soupiraient, parfois, en se demandant ce que ça ferait, d'être toutes les deux à l'air libre.

Les garçons s'étaient trouvés des partenaires de jeux pour une partie de beach-volley. Les yeux clos, Esperanza pouvait entendre le ballon rebondir avec force contre leurs mains, et les cris de joies de ceux qui marquaient des points faisaient écho aux glapissements de chiots de ceux qui en perdaient. De temps à autre, leurs voix se taisaient, et c'était alors que le roulement des vagues contre le sable en profitait pour percer le silence, que la mer ne semblait pas tolérer, parce que le silence était inéluctablement lié à la mort, et que la mer, l'eau, source de vie, en était l'exact opposée.

- Je vais me baigner, annonça Esperanza, jugeant avoir suffisamment sué pour le moment. Tu viens ?

- Vas-y, je te rejoins dans cinq minutes, répondit sa compagne en tendant une main pour lui caresser le haut de la cuisse. Vas donc te mouiller pour moi.

La jeune femme rit et ne se fit pas prier. Elle se leva, ôta ses lunettes de soleil, qu'elle laissa tomber sur sa serviette, puis courut se réfugier dans la fraîcheur marine. L'eau, joueuse, l'enveloppa comme une robe, de manière amicale. Elle aspergea d'abord ses bras, puis sa nuque, son buste. Avant de plonger dans l'étendue bleue de tout son long.

Mmm

Un délice après toute cette chaleur. Elle fit quelques brasses. Elle n'avait jamais su nager sous l'eau autrement qu'en se bouchant le nez, et en avait eu honte jusqu'à ce que Catalina lui fasse remarquer que c'était mignon. Catalina s'en foutait, elle, qu'Esperanza ne soit pas capable de rester sous l'eau plus d'une minute ou qu'elle ne puisse pas faire une longueur de piscine sans s'arrêter en plein milieu pour reprendre son souffle. Au cœur de son entourage si pompeux, si fier, sa compagne et ses opinions désintéressées étaient un grand bol d'air frais.

Elle pinça son nez de son index et de son pouce avant de plonger la tête sous l'eau. Les yeux clos, elle sentait tout son corps flotter et l'exquise douceur du bien-être se répandre en elle. Elle replia ses jambes contre sa poitrine, en position fœtale, se laissant ballotter. L'eau, c'était aussi le liquide amniotique. Si elle exerçait une si forte attraction sur l'homme, c'était parce qu'elle lui rappelait, sans cesse, la protection et la chaleur du ventre maternel.

Toujours recroquevillée sur elle-même, Esperanza bascula légèrement en avant, et son front percuta quelque chose de dur. Quelqu'un. Quelqu'un d'allongé dans l'eau et qui faisait sans doute la planche. Elle émergea aussitôt, confuse, et ouvrit la bouche pour présenter ses excuses.

La referma net.

Oh

Son souffle se bloqua sèchement dans sa gorge.

Oh mon

Elle crut qu'elle allait rendre son petit-déjeuner dans l'eau.

C'était bien une personne, une femme plus exactement, et elle faisait bien la planche. Ses lèvres bleues accompagnaient un teint cireux. Ses vêtements étaient en lambeaux, et l'eau tout autour de son corps était d'un rouge profond, ce rouge carmin colorant les rideaux de l'hôtel où ils séjournaient. Son ventre avait été ouvert. Non, pas ouvert. Déchiqueté. De haut en bas. Quelque chose qui paraissait être son intestin(le gros ou le grêle ?) s'agitait comme un serpent de mer à la surface de l'eau. L'odeur qu'elle dégageait était insoutenable. Un moignon sanglant lui faisait office de bras droit. Esperanza pouvait voir l'os blanc et brillant au centre d'un amas de chair. Elle pensa à une boucherie-charcuterie et à l'abattage des animaux. À un couteau de boucher pour taillader la viande fraîche du ventre.

Le sang qui gicle, le chuintement de la chair

Il lui manquait une chaussure, une sandale blanche à talon aiguille. Dans un éclair de lucidité terrifiant, Esperanza réalisa qu'elle avait exactement les mêmes, au fond de sa valise. Ses yeux grands ouverts sur le ciel n'étaient plus que deux orbites sans éclat, et l'eau entrait à l'intérieur comme dans un moulin. Les cheveux bruns du cadavre effleurèrent son nombril.

Oh-mon-DIEU !

Retrouvant sa voix, elle ouvrit la bouche pour hurler de toutes ses forces.


" DÉCOUVERTE D'UN CADAVRE NON LOIN DE LA MER MÉDITERRANÉE ! "

" Le corps sans vie d'une jeune femme a été trouvé ce matin même sur l'une des plages de Barcelone, ventre ouvert et

bras droit manquant. Des analyses sont actuellement en cours pour déterminer l'identité de la défunte, mais il semblerait

qu'elle ait été une passagère du ferry ayant disparu dans le Golfe du Saint-Laurent, entre les États-Unis et le

Canada, et dont le monde est sans nouvelles depuis trois jours. "

El País, quotidien espagnol


23 mars 2008, 15 heures 28, morgue de l'institut médico-légal de Barcelone, Espagne

Pascual Dantès travaillait à l'institut depuis une petite dizaine d'années, à tout casser, et il en avait vu des vertes et des pas mûres. Des morts par asphyxie. Des coups de couteau un peu partout. Des égorgés. Des éviscérés. Des démembrés. Toutes les atrocités de l'être humain étaient passées sur sa table d'autopsie pour y être minutieusement examinées. Tous les jours. Il n'avait jamais bronché. Jamais. Il mettait entre lui et les morts une distance plus grande encore que celle séparant la Terre du Soleil, une barrière salvatrice et obligatoire. Il étudiait les cadavres avec autant de compassion que pour un moule à gaufres, ce que lui reprochaient la plupart des ses condisciples. Toutefois, Pascual estimait qu'un médecin légiste, quelle que fût la monstruosité du crime auquel il était confronté, ne pouvait pas se laisser distraire par l'indignation, le dégoût ou l'accablement. Seules la précision, la curiosité et la sobriété d'esprit permettaient de délivrer une analyse en bonne et due forme. Il suffisait de vérifier la machine humaine, d'en trouver le problème, de voir ce qui avait bien pu le causer. Quand il était à l'université de Salamanque, en troisième année, l'un de ses professeurs avait affirmé que tout bon médecin était d'abord un bon mécanicien. Il n'aurait jamais pu trouver meilleure description.

Il déboucha dans le couloir menant à la morgue et dépassa la petite pièce étroite qui servait de coin détente. Il avait fêté ses cinquante ans le mois précédent, au même endroit, avec ses collègues. Ils avaient bu jusqu'à deux heures du matin avant d'aller chanter l'hymne national, la Marcha Real, sur les trottoirs enveloppés d'obscurité de Barcelone. Le lendemain, sa gueule de bois l'avait empêché d'aller travaillé. Il avait raté une éviscération des plus "élégantes" d'après Carlos, son remplaçant habituel. Fait chier, quand même.

Virant à gauche, il fit irruption dans la grande salle glacée que les autres surnommaient son "nid". La femme était allongé toute droite sur une des tables, les yeux clos. Pascual détestait viscéralement le regard des morts. Sa fixité, plus exactement. Il avait vu quelque chose du même type une fois, dans un hôpital psychiatrique. Un homme d'une trentaine d'années était passé dans le couloir, son bras tenu par une infirmière qui lui parlait et le faisait avancer avec une grande douceur. Il avait la bouche ouverte et la bave dégoulinait le long de son menton, mais Pascual n'avait accordé d'attention réelle qu'à ses yeux, deux immenses orbites bleus totalement et définitivement vides.

Le Néant

C'était le genre de regard qui vous rendait fou dans la minute. Il avait accéléré le pas, se pressant d'aller retrouver son domaine, ses morts. Et leurs yeux fermés pour l'éternité.

Il s'immobilisa devant la défunte et son corps nu, recouvert d'un drap blanc, dont l'éclat faisait ressortir la couleur abominable de sa peau. Les morts n'avaient aucun charme, surtout lorsqu'ils avaient barbotés près de deux jours dans l'eau. Il jeta un coup d'œil distrait à la brève fiche de renseignements qu'on lui avait fourni une heure plus tôt, créée à partir des informations qu'il avait pu lui même récolter à partir du corps.

Nom : Katheryn Smeter

Âge : 26 ans

Date de naissance : 7 juillet 1982

Taille : 1m71

Poids : 59 kilos

Nationalité : Américaine

Signes particuliers : Était à bord du ferry américain le jour de sa disparition

26 ans. Elle était jeune. C'était malheureux. Pascual repoussa le drap et regarda le ventre soigneusement recousu. Le bras arraché. L'os qui en dépassait. Il avait déjà eu affaire à beaucoup de cas, mais pour celui-ci, il avait totalement été pris au dépourvu. Le corps présentait de nombreuses traces de morsures, de bleus, de coupures sans doute faites par des vitres brisées du bateau, des marques qui ne l'avaient pas étonné plus que ça, mais pour le reste, il ne savait pas quoi penser.

Le ventre.

Le bras.

La façon dont on les avait ouvert, arraché, ça n'avait rien d'habituel.

Pas d'arme. Les armes laissaient des traces précises.

Il manquait des organes. L'estomac. Le foie. Le pancréas. Le cœur. Les ovaires. Et on ne les avait pas enlevé avec un couteau ou quoi que ce soit d'autre, Dantès en aurait mit sa main à couper. Les côtes avaient été violemment écartées, certainement pour pouvoir attraper le cœur ou faciliter l'accès aux autres organes. Elle était déjà morte auparavant, d'un violent coup reçu sur le crâne. Elle avait dû se cogner quelque part. Elle n'avait pas souffert.

Le bras

Le bras et le ventre. Ces deux détails-ci le préoccupaient. On avait fait ça vite, sauvagement, ce qui laissait supposer une grande avidité. C'était un travail sale, grossier, sommaire. Pour ouvrir le ventre, un homme avait besoin d'une arme, les mains étant incapables de trancher. Ici, on avait affaire à une ouverture brutale, beaucoup plus irrégulière.

Comme si on voulait se nourrir

Un homme n'était pas en mesure de réaliser un tel carnage. Plutôt un animal. Un animal qui lui aurait bouffé le bras et l'intérieur du bide.

Un requin ?

Non. Les requins, tout aussi hostiles qu'ils pouvaient être, ne faisaient pas des êtres humains leurs casses-croûtes. Et c'était ça, le problème.


" Trois autres cadavres, un homme et deux enfants, ont été découverts cet après-midi sur les côtes italiennes ainsi que tunisiennes, dans

un état similaire à celui du premier corps, trouvé sur une plage de Barcelone, en Espagne. Les examens s'accordent pour dire que les victimes faisaient

effectivement partie des passagers présents sur le Sunshine, un ferry appartenant aux États-Unis, permettant de rallier Chicago à Terre-Neuve et s'étant évanoui

dans la nature dans le Golfe du Saint-Laurent. Les corps seront rendus à leurs familles pour les obsèques après une expertise plus poussée, visant

à déterminer la cause du décès, de même que l'endroit d'où ils proviennent. "


23 mars 2008, 15 heures 30, siège d'Interpol, Lyon, France.

Ils étaient tous rassemblés, et ils avaient tous cette même impression de déjà-vu remontant très exactement à quatre ans. Depuis que L avait annoncé le décès de Kira dans un communiqué international, début novembre 2004, les membres d'Interpol avaient pensé que rien de pire ne pouvait se produire, et que tous les cas qui se présenteraient par la suite ne leur poseraient plus le moindre problème. La confiance s'était progressivement réinstallée au sein de l'organisation, intarissable, tout du moins jusqu'à aujourd'hui.

Le brouhaha s'éteignit, et la conférence mensuelle fut inaugurée par un discours habituel de bienvenue du nouveau président d'Interpol, Arturo Herrero Verdugo, qui avait reprit en hâte le poste depuis la triste affaire de corruption ayant mené son prédécesseur derrière les barreaux. Il laissa ensuite sa place à l'américain Ronald Noble, secrétaire général depuis 2000, qui enchaîna sur un récapitulatif des dernières donnés obtenues à propos des cadavres retrouvés sur les plages. Feuille sous les yeux, à la table centrale, il affirma que tous présentaient, après analyses des experts, des blessures semblables les unes aux autres. Ventre ouvert. Bras, jambes, tête pour l'un des enfants, manquants. Les rapports d'autopsie indiquaient clairement que ces ravages corporels avaient pour origine une voracité vraisemblablement animale, non humaine. En outre, tous les médecins légistes ayant eu les corps entre les mains avaient affirmé qu'un être humain, homme ou femme, quelque que fût l'âge, n'était pas en mesure d'être l'auteur d'une pareille ignominie.

Autres points commun : le lieu où on les avait découvert, et l'endroit d'où ils venaient. Tous passagers du Sunshine, et tous retrouvés morts non loin ou sur une plage ayant une ouverture sur la mer Méditerranée.

- Vous croyez à des meurtres ? S'enquit un officier américain.

Les britanniques avaient un instant envisagé la possibilité, avant de recevoir les rapports d'autopsie. De la même manière, une majorité des pays occidentaux et asiatiques, dont le Japon et la Chine, rejetaient l'hypothèse d'un tueur en série. Les nations africaines et sud-américaines, malheureusement plus familières à ce type de violences, acceptaient plus facilement la théorie.

- Ça pourrait être une organisation criminelle ou terroriste, proposa un délégué colombien, qui aurait une base de ralliement quelque part dans le monde et jetterait ses victimes à la mer pour qu'on ne les retrouve pas.

- Oui, mais dans ce cas, elle aurait attaqué le ferry Sunshine et on l'aurait repérée, répliqua un autre, un russe, cette fois. Et puis comment expliquez-vous la disparition du navire avec tous ses passagers ? Ça n'a pas de sens.

Chacun se tourna vers son voisin, l'air embarrassé. La situation prenait une tournure de plus en plus désagréable et incompréhensible.

- Quelqu'un pourrait manipuler les satellites pour dissimuler les véritables auteurs des disparitions.

- Impossible, affirma un policier japonais. Tout ce qui touche à la technologie spatiale est sous contrôle extrême, la moindre modification sur un appareil est enregistrée et signalée, quelque que soit le pays.

- Alors qu'est-ce que c'est, bon sang ? S'exclama t-on depuis la tribune des délégués américains. Nous avons déjà treize disparitions maritimes sur les bras, dont cinq rendues publiques, et près de cinq cent personnes dont nous sommes sans nouvelles, en comptant les équipages ainsi que les passagers du Sunshine. Qui fait ça et pourquoi ?

Il n'y eut pas de réponse concrète, rien que des murmures incertains échangés à droite et à gauche, des soupirs de lassitudes, des regards anxieux. On se serait cru revenus quatre ans en arrière, au commencement de l'affaire Kira, alors qu'une cinquantaine de criminels venaient de mourir par crise cardiaque et que la moindre explication rationnelle se cassait la figure. À l'incompréhension se mêlaient l'incertitude, la colère. La peur, aussi.

S'éleva alors, dans le tumulte, la voix hésitante d'un policier italien.

- Nous pourrions contacter L.

- Il refusera, répliqua un japonais d'un ton catégorique.

- Pourquoi pas ?

Un policier anglais prit la parole.

- L rejette tous les cas proposés par Interpol depuis trois ans, qu'ils soient difficiles ou non. Les États-Unis l'ont déjà sollicité pour cette affaire et il n'a pas répondu. Qui plus est, il y a fort à parier que le domaine maritime le laisse de marbre, ce ne sont pas ses préférences.

Brouhaha de nouveau.

- Ça ne nous coûtera rien d'essayer, insista l'italien. Au point où nous en sommes...

Il y eut un silence, un moment d'hésitation, comme il y en avait toujours eu chaque fois qu'ils avaient dû faire appel au détective. Puis, comme personne ne disait rien, on entendit :

- Très bien. Demandons à L.


" L'ennui est un des visages de la mort. "

Citation de Julien Green, écrivain français


23 mars 2008, 20 heures 05, Winchester, Angleterre.

- L, j'ai en ligne le président des États-Unis, indiqua Watari. Il dit que c'est urgent.

L releva à peine les yeux de sa construction en cubes de sucres. Grande tour toute droite dont les couleurs vives étaient celles des emballages, elle tanguait dangereusement depuis bientôt une minute et ne tarderait sûrement pas à s'écrouler sur son bureau. Il ajouterait alors les morceaux de sucres restés debout dans son café.

- Connecte-le, ordonna t-il.

Après l'achat de la maison et la fin des rénovations, alors qu'ils passaient leur premier séjour à Winchester depuis plusieurs mois, Watari, pragmatique, avait jugé bon d'installer dans le bureau une télévision murale à écran géant, reliée aux ordinateurs. Étant donné qu'ils passaient le plus clair de leur temps dans la pièce, il avait estimé qu'elle devait contenir tous les éléments propices aux enquêtes de L, à commencer par un support de dialogue permanent avec ses interlocuteurs.

Le vieil homme hocha la tête, fit les branchements nécessaires. Le visage de George W. Bush, étrangement amaigri, aux traits tirés par la fatigue et comportant des cernes égalant en tous points celles du détective, apparut. Il sembla à L que les cheveux blancs du président américain étaient de plus en plus nombreux. Il vieillissait, le bonhomme, à mesure que sa gloire se ternissait au sein même du pays qui l'avait porté à la présidence.

- Monsieur le président, ici L, lança t-il d'un ton robotique. Que puis-je faire pour vous ?

La lèvre supérieure de Bush eut un frémissement, et L ne parvint pas à déterminer s'il découlait de la rage, de l'épuisement ou du découragement. Un peu des trois, probablement.

- L, on m'a informé que vous aviez une nouvelle fois décliné la demande faite par les États-Unis au sujet de la vague de disparitions maritimes, déclara t-il d'une traite.

- Effectivement, répondit l'autre, laconique.

- Pour quelles raisons ?

L s'octroya une cuillerée de glace au chocolat.

- Ça ne m'intéresse pas.

Watari, assis à son propre bureau, eut un élan de désespoir. Voilà qui n'allait guère aider L à améliorer sa relation déjà ô combien tendue avec le président des États-Unis d'Amérique, qu'il jugeait pédant et dont il n'aimait pas les idées politiques, à commencer par la définition de son prétendu " Axe du mal ", une vision bien trop manichéenne, simpliste et conservatrice pour le détective, et qui, étrangement, se rapprochait à quelques détails près de l'idéologie de Kira.

Light Yagami avait quitté le domicile dans la nuit, après avoir récupéré autant d'informations qu'il lui avait été possible de trouver sur les disparitions. Il n'avait ouvert la bouche que pour signaler à L qu'il avait tout ce qu'il lui fallait, et que par conséquent il n'avait plus aucune raison de rester ici. Il était parti comme un coup de vent, tel que l'avait ordonné le détective, laissant dans son sillage une odeur amère ayant englué la pièce. Avec son retour, Light avait fait rejaillir des souvenirs qui n'avaient rien de réjouissants. Par ailleurs, Watari était toujours sur ses gardes et appréhendait le moment où lui ou L s'effondrerait, éventuellement terrassé par une attaque cardiaque. Il était persuadé que l'épaisse couche de sa neutralité, le détective partageait ses inquiétudes. Par le passé, le gamin avait à maintes reprises prouvé à quel point il excellait dans l'art du mensonge, et ce n'était très certainement pas après être devenu un dieu de la mort qu'il en irait autrement. Il trouverait bien un moyen d'outrepasser les limites du "Code" dont il leur avait parlé, et ce afin de perpétrer sa vengeance. À la manière de L, Light n'était pas du genre à se soumettre aussi aisément.

Seigneur

Ils n'auraient sûrement pas autant de chance qu'en 2004 si Kira venait à sévir de nouveau. Enfin, toujours était-il que le shinigami n'était plus là, c'était déjà ça. Pas de criminels dans la maison de Winchester, encore moins lorsqu'ils exprimaient leur immense désir de les voir mourir l'un comme l'autre.

Bon débarras

- Je crois que vous n'avez pas bien compris ce que nous attendons de vous, L, reprit sèchement Bush. Je me suis entretenu avec les chefs d'États Européens, Asiatiques et Africains. Il semble que vous n'ayez pas le choix, cette fois.

- Sauf votre respect, monsieur le président, j'ai toujours été libre de décider sur quels cas j'allais porter mon attention, et il se trouve que la situation n'a pas changé, répliqua L.

Watari pinça les lèvres. Oh non, ça n'allait pas s'arranger de sitôt, avec les États-Unis. Sur l'écran de télévision, les yeux de George Bush brillèrent d'un éclat de fureur.

- Ce n'est pas une requête, gronda t-il, c'est un ordre de nature internationale. Les autres nations et la nôtre se sont mis d'accord. Nous ne voulons pas de votre avis, L, nous voulons une enquête en bonne et due forme. Ce qui était contenu dans le message du secrétaire à la Défense est toujours valable, que vous le vouliez ou non. Vous êtes détective et nous sommes votre gagne-pain. Sans nous, vous n'êtes rien. C'est vous qui devriez être à nos pieds, et non l'inverse.

Mieux vaut mes pieds que ceux de Kira, imbécile

L mordit dans son pouce avec un peu plus de vigueur, signe de sa contrariété. En accord avec son caractère puéril, il ne pouvait supporter qu'on lui donne des ordres, tout particulièrement lorsque ces mêmes ordres provenaient des politiciens, qui la plupart du temps venaient gémir dans son giron au moindre problème. Si on lui reprochait son côté infantile, il ne pouvait s'empêcher de penser que les dirigeants internationaux avaient des tendances équivalentes. Comme des enfants, ils pleurnichaient sans cesse auprès de lui pour une éraflure, un bleu, en d'autres termes une faille judiciaire dans leurs gouvernements. Déjà trop absorbés par leurs propres conneries, ils en reléguaient une partie à L, en l'occurrence celle qui concernait la Justice.

Parfois, lorsqu'il en était lassé, le détective se demandait ce qu'ils auraient tous fait s'il avait été tué par Kira. Il hésitait. Il se disait par moments qu'ils se seraient mis à danser une gigue en kilt et tutu rose tout en criant " Victoire pour le peuple ! ". Puis, plus tard, il les imaginait au comble du désespoir, telles des pleureuses professionnelles, se lamentant sur leur avenir sous la coupe d'un dictateur ayant confondu Bien et Mal.

Sans moi, vous non plus, vous n'êtes rien

Ils avaient besoin de lui et il avait besoin d'eux, point final. Et il ne rampait aux pieds de personne.

- Je ne peux pas, déclara t-il brutalement. Je suis déjà sur une autre affaire.

Pas complétement faux, pour une fois. Il avait plutôt reçu un dossier qui lui avait paru intéressant : en 2005, à Jérusalem, à l'intérieur du tombeau du Christ, abrité dans l'Église du Saint-Sépulcre, un prête avait trouvé le corps d'un homme, allongé sur le dos, mains jointes sur le ventre et percées de deux trous sanglants, à l'instar de ses pieds. Pour seul vêtement, un linge blanc comme neige sur les hanches. Portant les cheveux longs et la barbe, il ressemblait à s'y méprendre au Jésus de Nazareth peint par le danois Bloch. Sa découverte morbide avait suscité l'effroi, la panique et la colère des chrétiens, qui en appelaient au scandale. Certains croyaient qu'il était le véritable Jésus, d'autres pensaient qu'il s'agissait d'un signe du courroux divin à l'égard de leurs pêchés. La nouvelle avait fait le tour du monde et des millions de croyants souhaitaient voir le cadavre de leurs propres yeux. Personne ne savait qui l'avait mis là ni pourquoi. La police israélienne avait mené l'enquête, mais n'avait obtenu aucun résultat. Ils avaient abandonné au bout de deux ans de recherches.

En janvier 2006, on avait placé un cochon sur le rocher du calvaire. Sur le ventre de l'animal mort, un grand triangle sanglant avait été découpé dans la chair. Aujourd'hui, c'était un second cadavre qui avait fait son apparition. Un jeune homme entièrement brûlé, toujours dans la même église, mais cette fois sur le sol du déambulatoire. L'enquête avait repris avec une nouvelle vigueur. Et on avait envoyé le cas à L.

- Votre excuse n'a rien d'original, grinça Bush. Nous nous sommes renseigné et savons pertinemment que vous n'avez accepté aucune affaire, du moins pour le moment.

- Je m'apprêtais à le faire.

La lèvre du président eut un nouveau spasme.

- Ne jouez pas au plus fin avec moi, L. Nous ne vous demandons pas la lune, simplement une enquête, à moins que cela ne soit devenu trop compliqué pour vous.

Le détective le gratifia d'un regard noir, que Bush ne vit évidemment pas, son ordinateur ne lui renvoyant que l'image du grand " L" noir en écriture gothique.

- Tu ferais mieux d'accepter, lui conseilla Watari, suffisamment bas pour que le président ne l'entende pas.

L ne daigna pas lui répondre.

- Soyez raisonnable, s'il vous plaît, dit alors le président d'un ton plus doux. Nous vous paierons le prix que vous voulez et nous vous fournirons toute l'aide dont vous aurez besoin sur-le-champs.

- Je ne travaille pas pour l'argent, répliqua froidement L.

Je travaille parce que je m'ennuie je m'ennuie je m'ennuie je m'ennuie je m'ennuie oh je m'ennuie tellement

- C'est admirable, lui concéda le président, et l'agacement était réapparu dans sa voix. Toutefois, nous tenons à vous payer pour résoudre ce cas, c'est le minimum que nous puissions faire. Vous avez déjà rendu bon nombre de services aux États-Unis, et pour cela, nous vous sommes éternellement reconnaissants.

- Monsieur le président, inutile de vous essayer à la flatterie. Je vous ai déjà dit non.

Les yeux de Bush flamboyèrent. Il joignit les mains sous son menton tout en prenant une grande inspiration, une tentative sans doute éperdue afin de garder son calme. Watari avait fréquemment noté ce genre de réaction parmi les politiques, lorsque ceux-ci avaient une conversation privée avec L.

- Écoutez-moi bien, commença t-il. Si vous persistez dans votre refus, je contacterai les autres nations du monde et ferai en sorte que plus aucun cas ne vous soit jamais attribué, c'est bien clair ? Depuis trois ans, vous jouez à la diva et refusez 90 % des affaires qui vous sont proposées, je crois que vous n'avez pas conscience d'à quel point ce genre d'attitude vous discrédite. Nous vous offrons une chance de réparer cela, acceptez-la, bon sang !

Il disait vrai, au grand dam de Watari. Les critères de choix de L au fil des années s'étaient considérablement réduits, étaient devenus de plus en plus exigeants. Il prenait non seulement des cas difficiles, mais faisait également en fonction de son humeur, de la dose de sucre qu'il avait ingurgité dans la journée, de la température, de l'heure qu'il était, de la couleur du papier-peint. Il lui arrivait même de choisir en fonction du temps qu'il faisait à l'extérieur. Et, le plus souvent, ses réponses étaient négatives. Là où il avait pris l'habitude de résoudre une trentaine de cas par an, il n'en faisait aujourd'hui plus qu'une quinzaine. Sa réputation en avait grandement souffert, aussi bien auprès du public, des médias, que des politiciens. Un quotidien en Nouvelle-Zélande avait récemment titré " L the Lazy", autrement dit " L le Paresseux ", le tout doublé d'une photo très éloquente de l'animal en question.

Pas terrible, pour se faire des amis.

L ne réagissait pas face au mécontentement de la population et des autorités. Il avait pour eux autant d'indifférence que pour la marque de son ordinateur. Les autres, L s'en était toujours foutu, de toute façon. Ce qui était bien plus problématique, en revanche, c'était l'opinion que les élèves de la Wammy's House risquaient d'avoir de lui. Supposés reprendre le flambeau, il y avait peu de chances que ces derniers veuillent soutenir un mentor dont la lettre n'évoquait plus pour eux qu'une extrême fainéantise. Quillish tentait par tous les moyens de maintenir l'orphelinat à l'abri des commérages, mais c'était sans compter les télévisions, les ordinateurs, en somme toute la technologie permettant d'accéder aux informations du monde entier, ainsi que la curiosité presque maladive des gosses. Ils filaient entre les doigts de Roger et ébruitaient la moindre critique formulée à l'égard de L par le reste du monde. Roger pestait alors puis s'empressait d'envoyer un message de détresse à Quillish. Ces temps-ci, il en recevait près d'un par jour.

Des fois, Watari se sentait très, très fatigué.

Il était vieux, il allait avoir 76 ans, et veillait sur L depuis une vingtaine d'années. Vingt ans de sucreries à outrance, d'affaires judiciaires tordues, de tentatives d'assassinat et d'infantilités, c'était beaucoup pour quelqu'un de son âge. Des fois, il avait envie de se poser un peu, juste un peu. Et de pouvoir finir une tasse complète d'Earl Grey d'un coup, si possible. Jamais il n'en avait eu l'occasion depuis qu'il accompagnait le détective, étant toujours interrompu par ce dernier pour un service quelconque.

- Faîtes-le si ça vous amuse, répondit L avant de se murer dans le silence

Vas-y, tue-moi, tue-moi !

Je m'ennuie tellement tellement tellement

George Bush avait haussé le ton et son visage était devenu rouge de colère, mais L n'y accordait pas d'attention. Le vieux pouvait bien s'égosiller à perdre haleine, il ne le ferait pas changer d'avis.

Vous êtes tous devenus si ennuyeux

- Monsieur le président, déclara soudainement Watari d'un ton ferme, L prendra en charge cette affaire.

La tête du concerné pivota brusquement dans sa direction, et tout dans son expression indiquait la surprise et la sensation d'avoir été trahi par un ami de longue date.

- Il en est hors de...

- Il le fera, le coupa sèchement Watari, l'empêchant d'ajouter quoi que ce fût qui aggravât davantage la situation. Je puis vous assurer que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour le convaincre.

Il usait d'un ton bienveillant et chaleureux, signifiant très clairement " Je sais ce que vous ressentez, c'est la même chose de mon côté. À moi aussi, il me colle des maux de crâne. ". De manière presque instantanée, les traits de Bush se détendirent. Watari parvenait sans difficulté à amadouer les politiques en contact avec le détective, tout d'abord parce qu'il était bien plus habitué au contact humain que ce dernier, et ensuite parce que la plupart du temps, il savait exactement ce que pouvait éprouver son interlocuteur face à L, à savoir une immense irritation. Lui même était passé par là. C'était une étape obligatoire lorsque l'on côtoyait le détective vingt quatre heures sur vingt quatre.

- Avec votre permission, je vous recontacterai demain pour vous donner sa réponse définitive, continua le vieil homme.

- Je l'attends avec impatience, et j'ose espérer que L saura prendre la bonne décision, répondit Bush un peu froidement. Je compte sur vous, Watari.

- Vous le pouvez.

L'écran s'éteignit, sonnant la fin de la conversation. L avait replongé le nez dans son ordinateur.

- L, commença Watari.

- Je ne le ferais pas, affirma le jeune homme. Je viens de donner mon accord pour les cadavres du Saint-Sépulcre.

- L, j'ai reçu un message urgent de la part d'Interpol, déclara calmement le vieil homme. Ils attendent également de toi que tu mènes l'enquête. J'ajouterai à cela que j'ai eu une discussion quelque peu houleuse avec le premier ministre japonais à ce propos au cours de l'après-midi.

- Et alors ? Qu'est-ce que tu as répondu ?

- Que tu allais le faire. Parce que c'est ce qui va se passer. Tu vas enquêter, L, que tu le veuilles ou non. Maintenant, ça suffit.

Cette fois, le détective leva les yeux vers Watari, et fut surpris de voir combien son visage était vieux, fatigué, et dans le même temps d'une fermeté implacable. Il remua un peu sur sa chaise, mal à l'aise. Il avait perdu l'habitude de voir Quillish ainsi, c'était quelqu'un qui sortait rarement de ses gonds, et sa colère était plutôt froide, sobre, sans excès de voix ni de gestes, mais malgré tout déroutante.

- Et pour l'affaire en Israël ? Tenta t-il.

- Disons que nous avons-là une très bonne occasion d'évaluer tes successeurs.


" Le Cathare est composé de trois niveaux : les Limbes, où se réveillent les nouveaux dieux

de la mort, les Plaines, où se regroupent la majorité des dieux de la mort, et enfin les Tunnels

de Dorine, où sont envoyés les utilisateurs du cahier de la mort s'étant ôtés la vie. "

Extrait du Code des Dieux de la Mort, article VI


23 mars 2008, 23 heures 45, Pentagone, comté d'Arlington, États-Unis.

Le dossier n'était pas complet, ces enfoirés d'américains, sans doute par souci de préserver leur notoriété et de ne pas être tournés en ridicule(car qu'y avait-il de plus risible qu'un pays dominant tous les autres et malgré tout incapable de protéger ses navires ?), avaient totalement omis de soumettre à L la totalité des cas de disparitions maritimes recensées. Light, infiltré à coup d'ailes et de passage au travers des murs dans le bureau de Donald Winter, le secrétaire à la marine des États-Unis, avait profité de son absence pour jeter un coup d'œil au contenu de son ordinateur. Il l'avait piraté. Ça ne lui avait pas pris plus d'une heure. Ses compétences en matière de hacking n'avaient pas disparu et il avait été rassuré de constater qu'il n'avait pas tant que ça perdu la main, contrairement à ce qu'il croyait au départ. Confortablement installé dans la chaise de bureau design de Winter, il attendait que le dossier complet sur les disparitions soit copié sur une clé USB, qu'il avait discrètement volé à L. Elle contenait quelques informations sur des meurtres divers auxquelles le shinigami n'avait pas prêté attention. De toute façon, le détective n'était pas du genre à engueuler quelqu'un pour une clé USB.

Le chargement en était à 75 %, et il avait sous les yeux les documents originaux. Photos des navires, des équipages, des passagers. Il n'avait rien noté de particulier, les bateaux étaient tous différents, allant du vraquier au brise-glace, certains des membres des équipages avaient parfois travaillé sur l'un puis sur l'autre, d'autres se connaissaient bien, mais ça n'avait rien d'extraordinaire. C'était le genre de relations qu'entretenaient des gens ayant un métier commun. Ensuite, ils ne partaient pas tous des mêmes ports. Les deux seules similitudes existants entre les disparitions étaient qu'elles avaient lieu en mer, et généralement à une heure fixe, entre 21 heures et 21 heures 30. Les deux seules exceptions à la règle concernaient le ferry Sunshine(4 heures 30 du matin) et l'expédition envoyée à sa recherche, qui s'était volatilisée à 14 heures 05 précises le 22 mars. Le mode de disparition était le même, mais l'heure différait.

On dirait quelqu'un qui se nourrit

C'était une théorie un peu tirée par les cheveux, mais Light avait commencé à la considérer avec plus d'attention. Tout d'abord en raison de la proximité de heures de disparition avec les heures des repas humains(20 heures chez les hommes, 21 heures ici) et la fréquence des disparitions des ferry. Ce genre de bateau transportait habituellement un nombre conséquent de passagers, et on en avait retrouvé trois pour ainsi dire en lambeaux. Le shinigami avait également pris la peine de se documenter au sujet des cadavres, Winter possédant un second dossier très complet sur le sujet, contenant les rapports d'autopsie ainsi les photos prises des corps. Il y avait fort à parier que tous les politiques liés à l'affaire disposaient de ces informations. De cette façon, Light avait été en mesure de constater que les médecins-légistes, après réunion, s'étaient tous accordés pour affirmer que les victimes avaient été dévorées. Et ce n'était pas du travail d'homme. Oh non.

Il y avait eu en tout treize disparitions, dont sept n'ayant pas été révélées au grand public.

Une non loin des côtes de l'Alaska.

Deux en mer Méditerranée, près de la Grèce et de la Corse.

Deux dans l'océan Indien, dans le Canal du Mozambique et non loin de l'Inde.

Deux dans l'océan Pacifique, près de Singapour et du Japon.

Parmi les navires disparus, trois d'entre eux étaient des ferry transportant une centaine de personnes. On décomptait aussi un porte-conteneur, deux chalutiers(en Mer Méditerranée) ainsi qu'un yacht. Et cette fois-ci, touts les disparitions avaient eu lieu dans la même tranche d'horaires, à savoir 21 heures et 21 heures 30, exactement comme pour les autres. Pas d'équipages. Plus de passagers. Cinq cent trente deux disparus...enfin, cinq cent vingt neuf, à présent qu'on en avait " retrouvé " trois. Ne restaient que des fragments de bateaux découverts là où personne n'aurait pu s'y attendre. Selon les analyses des chercheurs présents sur les lieux, il était strictement impossible que le courant soit responsable du déplacement des carcasses.

En complément, Light avait déniché l'adresse de l'endroit où les fragments de navires étaient regroupés : c'était dans un gigantesque entrepôt non loin de Boston. Il avait pris le temps d'y faire un saut à minuit. Immobiles et monumentaux, les débris des bateaux dans le silence et simplement éclairés par un rayon de lune profitant des grandes portes ouvertes, étaient monstrueux. Leurs états évoquaient sans conteste ceux des cadavres sur les plages. Lacérés de toutes parts, ils semblaient tourmentés.

Des bateaux en miettes pour des hommes en dépression

Les documents importants ne devaient pas être conservés ici. Plutôt dans un bureau. Il y en avait un dans l'entrepôt, Light pouvait en apercevoir la fenêtre au dessus de lui, dominant les épaves. Au fond du bâtiment, une double porte semblait pouvoir le mener jusqu'au premier étage. Elle était fermée à clés, sans surprise. Tant pis pour les principes : Light passa au travers.

Il déboucha sur un long couloir et prit à gauche. Tomba sur un escalier qui le mena directement devant la porte close du bureau. Coup de chance. Il laissa à nouveau tomber sa morale pour s'y glisser en douce. C'était une pièce sobre, carré, dont on se servait visiblement peu, si ce n'était pour passer des coups de fil ou vérifier quelques informations. Chaise, table, ordinateur et imprimante, téléphone, photocopieuse. Il n'eut pas à chercher longtemps, le rapport d'étude rédigé par les chercheurs se trouvait dans un tiroir.

On n'avait trouvé aucun élément au sujet des passagers, ni sang, ni cheveux, ni empreintes. L'eau avait effacé toutes les preuves. Toutefois, les experts avaient insisté sur le fait que seule une tempête de grande envergure pouvait être à l'origine de tels dégâts, hypothèse à laquelle on s'était empressé d'opposer l'absence de signes de perturbations sur les images satellites prises le jour des disparitions.

Des bateaux mutilés mais pas par des aléas météorologiques.

Disparitions à des endroits divers et réapparitions à des endroits encore plus divers, toujours en morceaux.

Préférence pour les ferry.

Près de cinq cent trente disparus.

L allait probablement se jeter sur cette affaire comme un chien sur ses croquettes.

Il photocopia les trois pages, par précaution. Certes, sa mémoire était tout à fait correcte, mais pas au point de retenir ce genre de trucs mots pour mots. Il voulait conserver la moindre information, ou plutôt il devait conserver la moindre information. Le roi de la Mort lui avait indiqué qu'il viendrait aux nouvelles de temps à autre et Light ne pouvait décemment rester comme une carpe muette devant le divin monarque, tout aussi asthmatique et agaçant qu'il fût. Son égo en aurait bien trop souffert. En outre, s'il désirait garder son poste d'émissaire, il n'y avait pas trente-six solutions. Malgré son génie ainsi que son désir de pouvoir, il ne se voyait pas encore faire un coup d'état et détrôner le souverain, le tout coiffé d'un tricorne. Au bout de quatre années passées à méditer sur son échec, sa mégalomanie s'était quelque peu calmée, à la mesure de sa blessure narcissique, en fait.

Il retourna auprès des carcasses marines. Il devait y en avoir six ou sept, pas plus, mais leurs ombres étalées sur le sol donnaient l'impression qu'elles étaient nombreuses et qu'elles vous encerclaient. Il se tourna vers le ciel, regarda la lune. Elle était pleine et laiteuse, resplendissante. Avec cette enquête et son retour sur Terre, il se sentait comme elle : plein, entier. Vivant.

Il s'appelle L Lawliet, ce con


" La mer était capricieuse et intempérante, aussi fallut-il de longues années à Poséidon

pour parvenir à la dompter. Le trident d'or massif qu'il reçut de la part des Cyclopes lors de

la guerre avec les Titans contribua grandement à cet apaisement des ardeurs marines. Après

la guerre, il fut responsable de l'enfermement des Titans dans le Tartare, aux Enfers. Il obtint,

de la part de Zeus, un palais d'or et d'argent placé dans les fins fonds de

l'Océan.

Ce palais était vraisemblablement situé dans l'océan Atlantique, juste sous l'Île d'Hécate. Un

passage permettait d'y accéder, et les nombreux dédales du palace traversaient les mers,

les océans, les fleuves et les rivières. On prétend que ce même passager menait aux

Portes des Abysses, gardées par Écamété. "

Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster


24 mars 2008, 9 heures 30, Wammy's House, Winchester, Angleterre.

LY revenu, est un dieu de la mort, a les yeux et un cahier.

Pas le droit de se venger mais méfie-toi quand même.

Arrivons pour midi.

L veut des scones. Et du thé vert(du Sencha de préférence, m'a t-il dit). Ai pas compris non plus.

W.

Son poste de directeur d'un orphelinat de génies aussi intelligents qu'infernaux, ajouté à son expérience personnelle, avait forgé les nerfs d'acier de Roger Ruvie. Toutefois, après avoir rapidement parcouru des yeux le message de Quillish, il avait bien cru frôler la syncope, et frôler la syncope à seulement soixante deux ans, ce n'était pas terrible. Il avait eu besoin de s'asseoir. La surveillante qui avait pour habitude de lui porter un plateau sur lequel reposaient des cookies et un thé le trouva ainsi, blanc comme un linge, les yeux exorbités, affalé sur sa chaise. Lorsqu'elle lui demanda d'une voix douce s'il avait un problème, il lui répondit que non. Non, il n'y avait pas de problème. Un mort revenait les hanter, les bateaux disparaissaient tous seuls, mais non, il n'y avait pas le moindre problème. En Angleterre, et tout particulièrement à la Wammy's House, c'était un principe. Des météorites pouvaient vous tomber sur le coin de la gueule, mais du moment qu'il y avait du thé et des cookies, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Roger aimait beaucoup Aldous Huxley, au passage. Toujours pour le principe. Et le patriotisme, aussi.

Dans la matinée, la Wammy's rayonnait de quiétude. Les gosses étaient tous en cours et c'était le silence radio dans les couloirs. Roger fit appeler madame Victoria, l'adjointe du cuisinier en chef, et lui glissa à l'oreille de préparer une dizaine de scones et d'aller acheter une boite de thé vert en ville. Winchester disposait d'une respectable petite boutique à quelques pas de la cathédrale, dans la St George Street. Il était allé plusieurs fois en compagnie de Quillish, lorsqu'ils étaient plus jeunes. Aujourd'hui, le trop-plein d'occupations les empêchaient bien souvent de sortir et de se rendre en ville par eux-même. C'était regrettable.

Light Yagami est revenu

Apprendre qu'il était à nouveau sur Terre était un coup dur en soit, mais savoir en outre qu'il était mort et se présentait désormais en tant que shinigami, donc absolument inattaquable, était plus difficile à digérer. Roger avalait la nouvelle avec autant d'enthousiasme que ses cookies. Il les adorait, mais après pareille douche froide, plus rien n'avait vraiment de goût dans sa bouche. Il mâchouillait. Il ne toucha pas à son thé. Le thé lui faisait pour l'instant penser au Japon et à Kira. Pas envie. C'était déjà suffisamment dur à absorber, pas besoin d'en rajouter une couche, if you don't mind. Quand à L qui se mettait soudainement à vouloir du thé vert...eh bien, il ne pouvait pas dire grand-chose là-dessus, excepté le fait qu'il n'était pas certain que la petite boutique du centre-ville en vende des sachets.

Quoi que la consommation augmentât considérablement en Occident, c'était un fait. Enfin, de toute façon, les humeurs culinaires du détective, ce n'était pas son problème.

Il avait demandé à madame Victoria de ne pas ébruiter si possible la venue de L. Cette femme de cinquante quatre ans, vive, fraîche et ronde, était gentille comme un pain de sucre mais bavarde comme une pie, et le problème était que le chef cuisinier était toujours trop occupé par ses fourneaux pour venir dans le bureau de Roger. Quand au reste du personnel, mieux valait ne pas en parler. La dernière fois que L était passé et que Roger avait eu le malheur d'en toucher un mot à ses subordonnés, le détective s'était retrouvé avec des confettis dans les cheveux, des ballons et des guirlandes dans le hall du bâtiment, un petit coup d'hymne national(les compétences de chant des élèves, contrairement aux autres matières, étaient proches du néant, cela avait donc été abominable), des gamins pendus comme des jouvencelles transies d'amour à son t-shirt, ainsi qu'une grande banderole où il avait été écrit :

" Welcome, Lawlipop ! Désolé, on a plus de chupa-chups, on a fini le paquet en écrivant cette ***** de pancarte ! "

Pendue entre les deux grands lustres. Écriture du message réservée à ces deux affreux guignols, Mello et Matt. Quillish avait également dû changer de voiture, plusieurs mômes ayant eu l'excellente idée de dessiner une caricature de panda sur le capot.

Autant dire que L n'était pas revenu pendant six mois.

En d'autres termes, Victoria Bakershield était encore la personne la plus discrète à l'intérieur de l'orphelinat. Elle parut contenir une gloussement d'excitation quand il le lui apprit, ses yeux pétillèrent, mais elle promit de garder le secret. Restait ensuite à faire en sorte que les élèves soient absents au moment de l'arrivée de L, sans quoi ils iraient droit vers une émeute et le détective repartirait en hâte pour six mois, le temps de suivre une nouvelle thérapie et de surmonter le traumatisme. Car s'il n'était pas à l''aise avec les adultes, L Lawliet l'était sans doute encore moins avec les enfants, en particulier les adolescents. Il comprenait les chiffes, les pourcentages, les événements, mais pas les autres. Un génie avec une seule lacune : le social.

Sonnèrent onze heures et demie. On relâcha les fauves qui se ruèrent par paquets de cent en direction de la cantine. Roger entendit le parquet trembler sous leurs chaussures et se dit qu'il allait de nouveau avoir une migraine. Les gosses lui collaient des maux de crânes. Surtout ceux-là, en fait.

La vie à la Wammy's était organisée. Cours toute la journée pour les plus âgés, après-midi libres pour les plus jeunes. Auparavant, les mômes étaient autorisés à quitter le bâtiment pour aller se promener dans la ville, mais désormais, étant donné que chacun d'eux était un potentiel hériter de L, Quillish avait mis fin à cette habitude, par sécurité. Pour les repas, il avait exigé une certaine discipline : tous les élèves devaient être réunis sans exception dans le grand réfectoire pour le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner, afin de faciliter le travail au chef cuisinier. L, qui avait toujours détesté cette règle du temps où il vivait à l'orphelinat, allait sans doute beaucoup l'apprécier aujourd'hui, puisqu'elle lui éviterait de croiser le moindre gosse dans les couloirs.

Ils arrivèrent à midi dix, dans la fameuse cox coccinelle de Quillish. Il avait toujours eu un faible prononcé pour les voitures anciennes. Roger vint les saluer à l'entrée de l'orphelinat puis les fit immédiatement passer dans son bureau, ne souhaitant pas être vu par un gamin quelconque. Quillish avait l'air fatigué. Lawliet, à son habitude, n'offrait à voir aucune expression. Ils prirent tous deux place dans les fauteuils que Roger avait fait monter pour eux, puis madame Victoria leur apporta les douceurs commandées par le détective, ainsi que le thé vert.

- La dame de la boutique m'a donné l'un de ses sachets personnels, expliqua t-elle. Elle avait l'air si ennuyée à l'idée de ne pas pouvoir me donner ce que je cherchais que je n'ai pas refusé.

- Elle a toujours été charmante, intervint Quillish, remuant sa petite cuillère dans son propre thé. Je me souviens, lorsque nous venions la voir, Roger et moi, elle nous invitait à prendre un thé dans le petit jardin adjacent à la boutique.

- Elle avait un très beau service à thé, par ailleurs, ne put s'empêcher de dire Roger. Porcelaine de chine, si mes souvenirs sont exacts.

- Oui. Elle recevait des sachets du monde entier et nous proposait de les goûter. C'était très agréable.

L ne parut pas franchement transporté par leur petit discours mélancolique. L'adjointe au cuisinier en chef le couvait des yeux comme une mère poule, ce qui devait s'expliquer par le fait qu'étant enfant, L avait passé les trois quarts de son temps devant son ordinateur et le dernier quart dans les cuisines, accroché littéralement à ses jupes dans l'espoir d'obtenir des pâtisseries ou quoi que ce fut contenant du sucre. Madame Victoria l'avait surnommé son petit " Loulou ". Encore aujourd'hui, le détective semblait avoir conservé une certaine affection pour elle. Il n'acceptait effectivement que les desserts qu'elle préparait elle-même, et il lui arrivait parfois de goûter les plats "complets" qu'elle cuisinait.

- Merci pour le thé et les scones, madame Victoria, lança Roger, sous-entendant qu'il était temps pour elle de les laisser.

Comme si on l'extirpait d'un joli rêve, elle leva brusquement les yeux vers lui, rougit, puis hocha la tête et se précipita à l'extérieur, refermant tout doucement la porte derrière elle. À peine eut-elle disparu que l'affolement de Roger jaillit à la surface.

- Light Yagami ? Vous en êtes sûrs ?

- Oui, répondit Quillish d'un ton catégorique. Il nous a rendu visite il y a trois jours.

- Il a obtenu votre adresse ?

- Nous pensons qu'il s'est infiltré ici et qu'il l'a trouvée dans ton téléphone portable. Tu le caches, bien entendu ?

- Oui, à l'endroit habituel.

- Ce n'est sûrement pas ça qui poserait problème à Light-kun, répliqua L avant de mordre dans un scone, il a dû se douter que vous gardiez les informations importantes à l'abri de tous les regards. À ce propos, changez de statue. Celle du dieu Janus mettrait la puce à l'oreille de n'importe qui.

Roger s'appuya un peu plus contre le dossier de sa chaise.

- Que faisons-nous ?

- Rien, déclara L. Light-kun est un shinigami, il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire contre ça.

- Il pourrait très bien essayer de vous tuer.

- Aucune chance. S'il pouvait me tuer, il n'aurait pas été aussi direct avec moi. Il semblerait qu'il soit contraint de respecter un " code " strict l'interdisant d'écrire dans son death note le nom de quiconque l'ayant côtoyé au cours de sa vie.

- Nous ne sommes pas certains qu'il ne rejettera pas cette règle à un moment ou un autre, rétorqua Quillish.

L trempa un scone dans son thé.

- Il a eu quatre ans pour le faire. Je pense que le fait que nous soyons toujours en vie est une preuve suffisante de son incapacité à agir.

- Et quelle est la raison de sa présence ici ?

- Les disparitions récentes de navires, répondit Quillish. Il nous a raconté que le roi de la Mort, l'être régnant sur le monde de shinigamis, l'avait envoyé en tant qu'émissaire, pour mener sa propre enquête et découvrir qui est le responsable. Il repartira dés qu'il aura remplie sa mission.

- Espérons que ce sera rapide, alors, soupira Roger.

- Ça devrait l'être, affirma son collègue. L va également enquêter.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Si Light Yagami fait la même chose...

- Je sais, l'interrompit Quillish, mais il n'a pas le choix. Nous avons reçu de nombreux messages à ce sujet, notamment de la part d'Interpol et du président des États-Unis. Je leur ai donné ma parole que L travaillerait sur ce cas.

Le détective n'avait pas l'air particulièrement enthousiaste, son apathie verbale était là pour le confirmer.

- Le problème étant que L a donné son accord pour une autre enquête en Israël, continua Quillish. C'est pour cette raison que nous sommes venus te voir.

- Vous aimeriez que les élèves travaillent dessus ?

- Non, pas les élèves. Seulement N et les deux M.


" Dans les Tunnels de Dorine résident les âmes des utilisateurs de cahier de la mort

s'étant suicidés. Les autres dieux de la mort ne sont en aucun cas autorisés

à les fréquenter. "

Extrait du Code des Dieux de la Mort, article VI


Indications :

- Dur dur, d'écrire la scène avec le cadavre. J'espère que ça passera.

- Au départ, je voulais me faire une fanfiction avec un trip du style " Dents de la mer ", mais j'ai laissé tomber. La référence au requin, c'est juste pour l'anecdote :P.

- Les personnages OC que je présente pour le moment ne me permettent que de montrer des choses que L ou Light ne pourraient pas voir. Ils sont juste des intermédiaires, en fait.

- Watariiiii ! Laissez tomber, je voulais juste l'écrire quelque part.

- Oui, Light s'infiltre au Pentagone. Là aussi, ça peut paraître surréaliste, mais puisqu'il passe au travers des murs, bin...

- Je me suis lâchée sur la scène de la visite de L avec la banderole, les ballons et tout le bordel. Fallait absolument que j'écrive ce truc.

- If you don't mind : si vous n'y voyez pas d'inconvénients

- Haha, les M'N'M's arrivent, déroulez le tapis rouge !

- Conférence, c'est pour la réunion des membres d'Interpol, ainsi que celle entre L, Roger et Watari.


Booooon, ça, c'est fait ! Je vous revois dans deux semaines pour le prochain chapitre, et j'espère que vous avez passé de bonnes vacances :). Des remerciements infinis aux revieweuses, j'ai aussi vu que les stats de l'histoire étaient très bons, merci beaucoup donc à tous ceux qui lisent ^^.

Negen