CHAPITRE TROISIÈME
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Lancement : du latin "lanceare", action de jeter avec force quelque chose en l'air ou
mise à l'eau d'un navire par glissement sur un plan incliné.
LANCEMENT
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I'm sitting down here,
Je m'assieds ici,
But hey you can't see me, kinda invisible ?
Mais tu ne peux pas me voir, un peu invisible ?
You don't sense my stay
Tu ne sens pas ma présence
Not really hiding, not like a shadow
Pas vraiment se cachant, pas comme une ombre
Just thought I would join you for one day
J'ai seulement pensé que je te rejoindrais pour un jour
Extrait du morceau Sitting Down Here de Lene Marin
Date inconnue, heure inconnue, lieu inconnu.
Ça fait longtemps que tu es là mais t'es pas foutue de savoir depuis combien de temps exactement, parce que c'est noir, que tu ne vois franchement rien, et que personne n'a eu l'idée d'allumer une lampe de poche. Pas sûre qu'ils en ont, d'ailleurs, ici. Il ne fait ni vraiment chaud, ni vraiment froid. En fait, il ne fait rien, parce que la température, tu as l'impression qu'il n'y en a pas. Ouais, c'est exactement ça. Pas de température. Pas de lumière. Juste du noir et l'impression vague d'être présente. C'est un peu comme la phase de réveil après avoir dormi d'un sommeil profond. Tu ne sais plus où tu es, tu ne sens rien, même pas tes courbatures, et tu as la sensation confuse d'être à demie-consciente. Tu voudrais bien savoir l'heure, oh oui je voudrais bien savoir l'heure, mais il semblerait que personne n'ait de montre non plus. D'ailleurs, y a personne, là où tu te trouves, ma vieille.
Enfin, y a personne. C'est vite dit. Tu sens les autres, de manière obscure, incertaine, mais tu sais qu'ils sont là avec toi, le problème, c'est que tu ne les vois pas. Tu serais infoutue de dire où ils sont avec précision, mais bordel tu les sens, tu les sens constamment tout autour, envahissants sans vraiment l'être, invisibles mais pas complétement. Tu renifles leurs peines, leur errance, sans pouvoir dire quoi que ce soit. On dirait que ta bouche a disparu, cocotte. Ou plutôt, que tu n'as pas la possibilité de l'utiliser, un peu comme une cabine téléphonique hors-service.
Je ne comprends pas je ne comprends rien
Ça te panique parce que tu te sens sans te sentir, que tu sens les autres sans les voir, que tu as l'impression d'être là sans l'être. Rien n'est clair, ta pensée est presque aussi sombre que ce qui t'entoure, et ça t'effraie, parce que tu ne piges rien, que bordel tu aimerais bien mais que tu ne piges rien quand même. Tu veux bouger le bout de tes doigts, voir si ton corps te répond. Là aussi, c'est d'une confusion cauchemardesque. Tu sais que tes doigts bougent mais la sensation est imprécise, floue.
Oh mon dieu oh à l'aide pitié aidez-moi je ne sais pas où je suis
Il l'aurait sans doute su, lui, mais tu sais qu'il n'est pas avec toi, parce que les choses se sont passées différemment, pour lui. Au beau milieu de ton incompréhension et de ta panique, tu te mets à y repenser, à reconstruire, profitant de cet instant de lucidité t'ayant fait entrevoir ce qui t'arrive. Tu te souviens qu'il est parti avant toi. Impossible de te rappeler la date, mais ça, tu t'en fous, c'est du détail. Tu te concentres et ça te reviens. C'était là où il y avait tous ces ordinateurs, parce que l'autre n'était pas capable de faire sans. Et lui aussi, de toute façon. Tu n'étais pas là, mais on t'a raconté. Ils l'ont piégé et il l'a tué. Son nom dans le cahier, tu te souviens, maintenant. Il l'a écrit parce qu'il disait qu'il s'ennuierait, s'il allait en prison. Parce que les autres l'avaient mené droit dans une impasse.
Et tu as pleuré, tu as pleuré, tu as tellement tellement j'ai tellement pleuré mon dieu. On aurait dit un robinet ouvert en permanence, mais tu étais si triste, tu étais si malheureuse sans lui. Sans lui, c'était le Néant. La dernière chose dont tu te souviens, c'est l'immeuble. Ouais, l'immeuble. Et après, c'est fini. Tu te mets à pleurer, et tu sais que tu pleures, mais tu sens à peine les larmes.
Oh Light, je suis désolée je suis si désolée tellement désolée tellement tellement Misa est tellement désolée
Ils l'ont piégée, et tu te souviens que c'est de ta faute. Et puis tu replonges.
...
...
Ça fait longtemps que tu es là mais t'es pas foutue de savoir depuis combien de temps exactement, parce que c'est noir, que tu ne vois franchement rien, et que personne n'a eu l'idée d'allumer une lampe de poche. Pas sûre qu'ils en ont, d'ailleurs, ici. Il ne fait ni vraiment chaud, ni vraiment froid. En fait, il ne fait rien, parce que la température, tu as l'impression qu'il n'y en a pas. Ouais, c'est exactement ça. Pas de température. Pas de lumière. Juste du noir et l'impression vague d'être présente.
" La haine est l'amour qui a sombré. "
Citation de Sören Kierkegaard, philosophe et théologien danois
24 mars 2008, 13 heures 53, Miami, États-Unis.
- Mello ?
Le noir parce qu'il avait fermé les yeux. La chaleur du soleil qui caressait sa joue gauche et la fraîcheur du rebord de la chaise longue. Ouais, c'était vraiment le pied. Manquait plus que la bouteille de vodka et il pourrait se croire au paradis.
- Blondie ?
Ou presque.
- Oh, Blondie !
- Quoi, bordel ? Cracha t-il en faisant soudainement volte-face. Tu vois pas que je suis occupé, Matt ?
Sous ses lunettes de soleil, ses yeux lançaient des éclairs. Les coins de sa bouche s'étaient tordus en une moue contrariée. Debout juste à côté, lui tendant le téléphone d'une main, Matt ne broncha pas. Il avait vu bien pire de la part de Mello pour craindre les éventuelles représailles que ce dernier pourrait attenter contre lui après l'avoir tiré de sa pause bronzage dans le jardin de leur villa. Il secoua le portable sous son nez, sans pour autant décrocher les yeux de sa DS. C'est qu'il était compliqué, le dernier niveau de Super Mario Bros. Il le recommençait pour la quatrième fois depuis le début de la journée et ça le ferait vraiment chier de devoir se le retaper une cinquième fois juste à cause d'un coup de fil à la con.
- C'est pour toi, lâcha t-il.
Le numéro était masqué. Mello soupira, et dans son irritation, sa tête cogna contre le dossier de la chaise longue. Il réagissait exactement comme une diva dont l'emploi du temps venait d'être modifié suite à un contretemps. Marmonnant un juron, si ce n'était plus, en russe, sa langue natale, il retira ses lunettes avant de les poser sur la petite table de jardin blanche à côté de lui, où traînaient un verre de wisky, un cendrier et un paquet de cigarettes à moitié entamé, puis saisit le téléphone d'un geste rageur. Matt était déjà reparti dans le salon, étant bien moins friand de soleil que lui, ce qui était par ailleurs assez comique quand on savait que Mello venait d'un pays de l'Est.
- Ouais ? Maugréa t-il, espérant qu'un tel salut abrégerait singulièrement la conversation.
- Bonjour Mello, répondit une voix psalmodique à l'autre bout du fil. Ici L.
Manquait plus que ça, tiens. Mello se redressa sur la chaise.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Il n'avait jamais fait dans la dentelle avec le détective, s'adressant toujours à lui avec franchise, brusquerie ainsi qu'ironie. Il n'avait par ailleurs jamais fait dans la dentelle avec personne, et n'en avait strictement rien à faire. Il n'était pas là pour s'entendre avec les autres. Aucun des génies de la Wammy's House n'était fait pour ça, c'était un principe de base. Performances intellectuelles au top niveau, mais pour le social, zéro, nada, que dalle. Le néant. Ils étaient tous comme L. Ce dernier ne s'offusqua pas de son impolitesse, tout d'abord parce qu'il avait l'habitude, et ensuite parce qu'une part de lui fonctionnait de la même façon, avec une brutalité semblable, bien que contenue cependant.
- C'est au sujet d'un cas en Israël, expliqua t-il calmement. Je vais malheureusement être dans l'incapacité de le résoudre et j'apprécierai que toi, Matt et Near vous en chargiez.
- Tiens donc, se railla Mello. Ça y est, tu prends ta retraite ?
- Non. Je suis simplement obligé de me concentrer sur une autre affaire, c'est tout.
- Les bateaux ?
- Oui.
À la télévision passaient régulièrement des reportages traitant des disparitions récentes, le tout assaisonné de la mine apocalyptique des journalistes américains et des hommes politiques interrogés, donnant aux téléspectateurs l'impression que la fin du monde était proche. Mello suivait toute l'histoire avec un intérêt modéré. Il était certes amateur de faits insolites et d'énigmes glauques, mais pas au point de vouloir quitter la terre ferme. Non pas qu'il soit aquaphobique, loin de là. Il était simplement plus à l'aise dans un champs de mines qu'au beau milieu d'une tempête dans l'océan Atlantique. Question d'habitude. Et puis de toute façon, il avait d'autres chats à fouetter.
- Écoute, L, t'es gentil mais là, ton enquête, tu peux te la carrer dans le cul, lâcha t-il tout en s'allumant une cigarette. Matt et moi, on a arrêté de bosser pour toi à partir du moment où on a quitté l'Angleterre, au cas où t'aurais toujours pas compris.
- Il a été convenu d'un commun accord qu'une coopération persisterait entre nous, quelles que soient les circonstances, lui rappela L d'un ton ferme.
- Ça, c'était avant qu'on devienne tes poubelles et que tu nous jettes les trois quarts de tes affaires.
Lui, Matt et Near avaient été habitués dés leur quatorze ans à se pencher sur des affaires judiciaires traitées par L. À la Wammy's House, eux seuls avaient ce privilège, si l'on pouvait appeler cela ainsi. Après résolution d'un cas, L leur transmettait le dossier volontairement incomplet à chacun, puis exigeait leurs conclusions respectives, leurs théories. Si leurs hypothèses s'avéraient justes, il leur renvoyait la partie manquante du dossier, celle-là même contenant la solution, avec ses félicitations. Si, en revanche, mais c'était rare, ils avaient tout faux, L exigeait qu'ils retravaillent les éléments fournis, et ce jusqu'à ce qu'ils parviennent à la bonne réponse. Ils ne bossaient pas tous les trois, compte tenu des relations chaotiques entre Near et Mello. Matt et lui étudiaient le cas ensembles, mais Near faisait bande à part. Ou plutôt, Mello refusait catégoriquement de travailler avec lui. Roger déplorait son attitude, L passait l'éponge. Le détective n'en avait pas grand chose à faire du moment que leurs déduction étaient identiques, ce qui en d'autres termes signifiait qu'ils étaient aussi intelligents l'un que l'autre et pouvaient reprendre le flambeau sans encombres. Il lui fallait des successeurs. Qu'ils s'entendent bien ou non, ce n'était pas son problème. Il ne faisait pas dans le social, lui.
Il arrivait parfois, lorsqu'ils se croisaient tous les deux dans les couloirs de l'orphelinat, que l'un fasse une réflexion à l'autre. " J'ai trouvé. " ou " J'ai presque terminé. " étaient parmi les plus courantes. La plupart du temps, L recevait en fait leurs conclusions à quelques minutes d'intervalles. Celles de Matt arrivaient en revanche une à deux heures plus tard. Le geek avait en outre pris la mauvaise habitude d'y joindre une image de smiley différente selon l'humeur dans laquelle l'affaire l'avait plongé, et L ne savait jamais s'il devait en être amusé ou agacé.
En 2005, un an après la mort de Kira, ils avaient résolus leur premier véritable cas sous l'alias de leur mentor, étant estimés trop jeunes par Watari pour se faire connaître publiquement. Une histoire de meurtres en série à Las-Vegas, perpétrés par un organisme criminel dont le chef n'était autre qu'un puissant homme d'affaires hongrois. Le 21 avril, l'arrestation de ce dernier avait été proclamée par les médias. Le 16, L était passé à la Wammy's pour leur annoncer qu'ils l'aideraient sur certaines affaires. À l'époque, aucun des trois n'avait refusé. En juin 2005, leurs ordinateurs personnels, offerts par Watari afin de communiquer en toute tranquillité avec le détective, étaient surchargés de dossiers en tout genre.
On ne l'aidait pas, on faisait son boulot
2006, 2007, toujours plus de cas accumulés les uns sur les autres, ajoutés à leurs études. Si Roger et Watari se réjouissaient de cette association, eux n'avaient plus fini que par y voir des désagréments. Ils travaillaient sans enthousiasme, envoyaient à L leurs analyses, et le regardaient en tirer les bénéfices. Les médias avaient affirmé que le détective n'avait réduit ses investigations que de moitié, alors qu'en réalité, il ne devait pas faire plus de cinq cas par lui-même en un an. Tout le reste allait à Mello, Matt et Near, les trois petits orphelins génies et inconnus de la Wammy's House. En guise d'affront supplémentaire, leur supposé modèle les sommait de rendre leurs conclusions à une date précise. Pas de retard toléré.
Rapidement, les nerfs de Mello avaient lâché. Ceux de Matt avaient tenu bon deux mois de plus. Quand à Near, il demeurait à son habitude inexpressif, mais le blond pouvait deviner sa profonde irritation lorsque les professeurs se mettaient à glorifier L dés que l'occasion se présentait. Durant leurs discours élogieux, Mello apercevait les doigts de Near froisser sèchement l'une de ses boucles de cheveux blancs.
En décembre 2007, le lendemain des dix-huit ans de Mello, le détective leur avait soumis trois cas à la suite. Mello lui avait répondu par un e-mail particulièrement virulent, usant de toutes les figures de styles fleuries qui composaient alors son langage ainsi que de deux ou trois jurons en russes, ses favoris, en l'occurrence.
Fais ton boulot, putain de merde, on est pas tes larbins.
Il aurait parfaitement pu se contenter de cette simple phrase qui, dans le fond, résumait à la perfection l'état d'esprit général, mais il avait choisi de déverser toute sa mauvaise humeur dans son message, afin de bien faire comprendre à L que putain bordel de merde, ça allait bien cinq minutes. Avant de l'envoyer, il avait fait lire l'intégralité du e-mail à Matt, lui provoquant un fou-rire mémorable, puis en avait expédié, malgré tout, une copie à Near. Dans la soirée, lorsqu'il l'avait croisé dans les couloirs de l'orphelinat, son rival l'avait salué d'un bref hochement de tête, signifiant par là qu'il partageait son opinion au sujet de L et qu'il l'encourageait vivement à lui imposer ses états d'âme. Pour une fois, en raison de l'attitude de leur mentor, ils avaient été d'accord.
Bombe larguée à 22 heures 30, le 14 décembre 2007.
Renvoyée le 15 à 10 heures 45 du matin. L avait demandé à lui parler après le petit-déjeuner, et la discussion avait tout naturellement viré au pugilat. Au bout d'une demie-heure de rugissements, le blond, fulminant, avait quitté en trombe le bureau de Roger, laissant l'écran d'ordinateur orné du grand " L " noir l'appeler dans le vide. Il avait traversé le couloir, rejoint la chambre qu'il occupait avec Matt, où ce dernier l'attendait en jouant avec sa Playstation, et sorti de l'armoire où ils rangeaient leurs vêtements son sac de voyage.
- Tu fais quoi, là, Blondie ? S'était enquis Matt sans abandonner son jeu pour autant.
- Je me casse.
Il balançait sans la moindre tendresse ses fringues à l'intérieur du sac. Matt, de surprise, avait levé les yeux vers lui.
- T'es sérieux ?
- Ouais, avait-il répondu. Tu vois, Matty, j'adore la violence, les meurtres, et tout le bordel, mais là j'en ai ma claque d'être la bonniche de L. Je ne sais pas ce qui lui arrive et honnêtement je m'en fous, mais c'est pas une raison pour nous refourguer la quasi-totalité de ses enquêtes. Je veux bosser pour moi. Conclusion, je me casse.
- L est au courant ?
Mello s'était alors tourné vers lui. Ses yeux bleus luisaient de détermination.
- Tu sais quoi ? L peut aller se foutre. J'ai dix-huit ans, et le règlement de la Wammy's indique que les élèves majeurs peuvent tout à fait quitter l'établissement si ça leur chante. Tu devrais faire péter le champagne, c'est peut-être bien la seule règle de cet orphelinat de bargos que je vais suivre.
Le roux s'était redressé sur le matelas de son lit.
- Mais tu vas aller où ? T'as pas de contacts à l'extérieur, pas de boulot, pas de toit, que dalle. Tu vas faire comment ?
- Franchement, j'en ai pas la moindre idée, mais je me tire quand même. J'en ai marre, Matt, tu piges ? De L, de la Wammy's, des affaires, du classement. Ça me soule, tu comprends ?
Ils avait échangé un regard long, lourd de sous-entendus. Le silence était tombé dans la pièce jusqu'à ce que Matt pose sa Playstation et se lève.
- Tu accepterais un compagnon de voyage ? Avait-il demandé d'un ton nonchalant en se dirigeant vers l'armoire. Au cas où tu t'ennuierais.
Mello avait souri.
Ils étaient partis dans la nuit, clope au bec, et avec l'argent de poche de Mello s'étaient payés deux tickets de train pour Londres. Hors de question de rester à Winchester. Une fois là-bas, ils s'étaient rendus dans un cybercafé, afin de vérifier l'état de leurs finances. Là était sans doute l'un des avantages majeurs de leur " collaboration " avec L. Une partie de l'argent qu'il gagnait avec les enquêtes que ses successeurs résolvaient allait directement sur leurs comptes en banque respectifs. Near, parce qu'il terminait toujours en premier, avait les sommes les plus élevées, mais à eux deux, Matt et Mello réunissaient une belle cagnotte. Ils avaient acheté des billets d'avion pour les États-Unis et quitté l'Angleterre le 16 décembre 2007, dans l'après-midi.
Ils étaient d'abord allé à New-York, où Mello n'avait pas tardé à se lier avec des dealers, qui se fil en aiguille les avaient conduit à la mafia américaine. Mello avait adhéré, Matt n'avait fait que suivre. En moins d'un mois, le blond avait étendu son emprise sur la quasi-totalité du réseau mafieux de la capitale. Son intelligence aiguisée, ajoutée aux compétences en informatiques de Matt, avait don de plaire aux chefs des différents groupes répartis dans les rues de New-York, et les premiers chèques étaient arrivés fin janvier. Par la suite, le dirigeant central de la mafia de New-York, un type nommé Dannie Schnell, avait offert à Mello d'occuper sa vieille villa à Miami pour le remercier de l'avoir brillamment tiré d'affaire lorsque des flics étaient venus l'interroger. Il ne l'utilisait presque plus, mais souhaitait la conserver de part sa position stratégique(elle était en effet située à Miami Beach, avec par conséquent un accès direct sur les îles Caraïbes et le Mexique, facilité par la présence d'un quai pour bateaux), or il s'avérait que les agents immobilier menaçaient de la faire remplacer par un hôtel s'il n'y habitait pas régulièrement.
Mi-février 2008, Mello et Matt avaient rejoint la Floride, où le grand patron de la mafia locale, Stevie Wargner, les avait accueilli à bras ouverts. La réputation de Mello avait fait du chemin, allant jusqu'à atteindre les bas-fonds de San-Francisco. À Miami, il avait tout de suite été à l'aise et ses actions illégales s'étaient multipliées, à l'instar des récompenses d'ordre financier. À présent que l'argent n'était plus un problème, il envisageait de racheter définitivement la villa à Schnell. C'était une belle bête, disposant de deux étages, lumineuse. Le salon, immense, adjoint à une cuisine américaine moderne, s'ouvrait largement sur un jardin de taille fort agréable avec une vue panoramique sur Downtown Miami, où se trouvait une piscine à éclairage nocturne entourée par une terrasse au revêtement fait de carrelage clair. Là, Schnell avait eu le bon goût d'installer plusieurs banquettes d'extérieur où pouvaient aisément se poser huit personnes, ainsi que des chaises et des chaises longues. À l'étage, une chambre presque aussi volumineuse que le salon, donnant sur un large balcon, une salle de bain et l'ancien bureau de Schnell, qui avait été ré-aménagé pour Matt avec toutes les dernières technologies informatiques.
- C'est une création de Luis Bosch, et j'ai déboursé pas mal de fric pour l'avoir, c'est pour ça que j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux, leur avait expliqué Schnell alors qu'il leur faisait une visite guidée. J'en ai également besoin pour mes petites affaires, à cause du quai, voilà pourquoi je refuse qu'on la démolisse. J'accepte de vous y laisser à une condition : que vous gériez les arrivées de marchandises qui doivent se faire environ toutes les deux semaines. Elles avaient lieu avant à partir du port, mais comme c'est risqué et que vous êtes là, maintenant, on a dévié le trajet. Faîtes en sorte que le matos soit rapatrié à New-York en passant par Atlanta, Washington et Philadelphie. Si j'apprends qu'un transfert n'a pas eu lieu, je vous fous dehors, c'est compris ?
Il n'avait jamais eu à se plaindre. Le geek et Mello vivaient ici depuis bientôt deux mois, aucun problème n'avait fait son apparition. Dans la journée, Mello partait faire son petit business avec les divers gangs de la ville, tandis que Matt " couvrait " en quelque sorte le réseau par le biais de son ordinateur. Virtuose en matière de hacking, il avait accès à toutes les caméras de Miami et pouvait à tout moment prévenir Mello au cas où la police débarquerait.
Ils n'avaient pas eu de nouvelles de L avant leur installation provisoire à New-York fin décembre 2007, dans un immeuble mal famé dont les occupants étaient tous, sans exception, des jeunes gens peu recommandables. Le détective avait retrouvé leur trace après arrestation d'un mafieux ayant déjà travaillé avec eux, et qui se trouvait à ce moment-là en Angleterre, où il avait dérobé un Gainsborough d'une valeur inestimable pour le remplacer par une contrefaçon. Ils avaient fait changer leurs numéros de portables, mais L était remonté jusqu'à eux en interrogeant la société britannique qui prenait en charge ce genre de démarches. Il leur avait demandé de revenir en Angleterre, mais Mello avait refusé. Il lui avait affirmé que ni lui ni Matt ne voulaient plus entendre parler de lui, que c'était terminé, qu'ils voulaient la paix. Il avait fini par lui raccrocher au nez.
Ils n'avaient plus eu aucun contact avec L par la suite, plus aucune demande de prise en charge de cas. C'était la première fois qu'il appelait depuis trois mois.
- Mello, Light Yagami est revenu.
Le blond s'étouffa avec la fumée de sa cigarette pendant deux bonnes minutes.
- T'as dit quoi, là ? Reprit-il avec difficulté.
- Light Yagami est de retour, répéta calmement L, mais pas en tant qu'être humain. Il est devenu un dieu de la mort.
- Ça veut dire quoi, ça ? Qu'on ne peut pas s'en débarrasser à coups de kalachnikov ?
- Entre autres. Watari et moi avons reçu sa visite il y a maintenant trois jours, mais il n'a visiblement pas le droit d'écrire les noms des personnes qu'il a fréquenté de son vivant dans son death note. Il est ici à cause des disparitions de navires, on lui a demandé de se renseigner.
- Qui, " on " ?
- Celui qui gouverne le monde des dieux de la mort. Il se fait appeler le roi de la Mort.
- Génial. Alors là, c'est le vraiment le bouquet, maugréa Mello.
Concernant l'affaire Kira, L était resté distant. Une fois le meurtrier hors d'état de nuire, le détective ne leur avait fourni que son nom, celui de sa complice et leur modus operandi, mais pas davantage. Mello aurait souhaité en apprendre plus, mais l'accès au dossier lui avait été froidement refusé par L.
- Il est passé à la Wammy's House pour me retrouver.
- Il a...
- Non, répondit L d'un ton catégorique. Il ne sait rien à propos de vous, je suis le seul qui l'intéresse.
- Mon cul, oui, grogna Mello. Tu es le seul à l'intéresser parce qu'il ne sait pas encore qu'on existe, mais si jamais il l'apprend, qui sait s'il ne va pas essayer de nous tuer ? On est tes successeurs, L, autrement dit des cibles prioritaires.
- Il ne le fera pas.
- Tu n'en sais rien.
- C'est moi qu'il veut, affirma sèchement L. Le reste lui est complétement égal. Quand bien même il aurait la possibilité de tuer n'importe qui, il ne s'attaquerait qu'à moi. C'est moi qui me suis opposé à lui et qui ai entraîné sa mort. Tout ce qu'il veut, c'est me mettre au tapis. Les autres ne l'intéressent pas.
Me, me, me
Le blond tendit la main pour écraser sa cigarette dans le cendrier. Il hésitait sérieusement à s'en allumer une deuxième. Il n'était pas un gros fumeur, mais la pensée qu'un des pires meurtriers de masse, supposé mort, venait de faire son come-back et était à présent totalement invincible, le poussait tout naturellement vers le paquet grand ouvert de gauloises. C'était sa marque favorite, Matt préférant quand à lui les Chesterfield.
- Mello, reprit L, je sais que nos relations ne sont pas au beau-fixe, mais j'ai besoin que toi, Near et Matt résolviez cette affaire en Israël.
- T'as toujours besoin de nous, L, répliqua amèrement le blond. Surtout depuis ces dernières années.
Tant pis pour le cancer. Une autre cigarette vint rejoindre l'entrée de ses lèvres.
- Si je veux pouvoir garder un œil sur Kira tout en enquêtant sur les disparitions, c'est la seule solution, continua le détective. Aucun de vous ne sera sous mon alias, vous travaillerez à votre propre compte et recevrez l'intégralité des honoraires.
- Et si je dis non ?
- Near avait prévu une réaction de ce genre.
La mâchoire de Mello se contracta.
- Ne me parle pas de Near, siffla t-il.
Il n'a pas dit oui, il n'a pas voulu venir, ne me parle plus JAMAIS de Near
- Near n'est pas comme Matt, Mello, déclara L. Ce n'est pas quelqu'un que tu peux avoir à ta guise.
- Je t'ai dit de ne pas m'en parler.
- Il a déjà donné son accord, lui apprit cependant le détective. Il espérait avoir un rival à sa hauteur, mais si je comprends bien, tu es décidé à ne pas participer à l'enquête ?
Il n'en fallut pas plus.
- Ça va, L. Ça. Va. Arrête ton char, j'ai compris.
L était un enfoiré. Il avait toujours su l'avoir par le fond des tripes, il avait toujours su où frapper, où tirer. D'abord Kira, et puis Near. Le premier argument était le plus fort, celui qui avait le plus d'impact et qui était le plus apte à motiver sa décision, mais c'était le deuxième qui, comme un bouquet final dans un feu d'artifices, venait l'achever. Sa rivalité avec le gosse aux cheveux blancs était une faille dans sa muraille de Chine dressée contre L. Presque contre son gré, l'idée que Near décroche tous les Oscars après la résolution de l'affaire en Israël lui donnait envie de vomir. Matt et lui les méritaient tout autant, si ce n'était plus. Ils se débrouillaient seuls depuis un an, tandis que Near était encore couvé par les poules de la Wammy's House. Hors de question qu'un gosse de dix-sept ans incapable de s'habiller autrement qu'avec des pyjamas devienne le second " Numéro Un ". Car s'il réalisait l'investigation non plus sous le nom de L mais sous son propre alias, comme l'avait indiqué le détective, il y avait de fortes chances pour qu'il obtienne la reconnaissance mondiale. Il deviendrait l'héritier en ligne directe de L, à l'inverse de Mello et Matt, probablement reniés à vie au profit de successeurs plus jeunes et plus dociles.
C'est un test, c'est un test pour voir si on est dignes de lui, si on est digne de la Wammy's, si on est dignes de notre Q.I et si on dit non
Mello vivait à merveille sans L et l'orphelinat sur le dos, mais il ne supportait pas l'échec, le détestant de manière maladive, tout comme il détestait Near. Tant que les enquêtes étaient bouclées sous l'alias de leur mentor, tout allait parfaitement bien, car une certaine égalité était préservée entre les trois successeurs, mais désormais, les enjeux étant devenus nettement plus importants, la résistance du blond s'en trouvait considérablement amenuisée. L agitait sous ses yeux la plus formidable des épingles lui ayant jamais été proposée, tout en s'assurant de l'autre côté, par le biais de Near, d'attiser sa fureur. Car Mello carburait aux sentiments, c'était sa colère, sa rage, qui le faisaient avancer. Il avait besoin d'émotions fortes pour fonctionner. Avec Kira à droite, Near à gauche, et une enquête destinée à lui apporter une réputation des plus élogieuses au centre, L venait de lui en offrir un paquet.
Je te hais N je te hais je te hais je te hais je te hais je
- Je marche.
- Tu m'en vois ravi.
Il lui sembla qu'à l'autre bout du fil, L souriait.
" Le Néant existe bel et bien, mais à nouveau, il y a erreur sur le patronyme. Le
terme exact pour désigner cet endroit où sont envoyées les âmes humaines après
leurs morts est le Nantengen. "
Extrait du Code des Dieux de la Mort, article VII
24 mars 2008, 14 heures 26, Londres, Angleterre.
Sonnerie de téléphone. Décroche.
- Near.
- L.
- Il a accepté.
Raccroche. Un sourire. Un index qui se tend et qui saisit une boucle de cheveux blanche comme la neige en décembre.
Il semblerait que le détective mondial L, après avoir à de nombreuses reprises refusé de prendre en charge l'enquête devant
avoir lieu au sujet des disparitions maritimes, ait finalement donné son accord au cours de la matinée. Les raisons de son
inacceptation, tout autant que celles de son approbation, demeurent encore inconnues. Rappelons qu'au cours des quatre dernières
années, le comportement de L n'a cessé de faire polémique, tout d'abord en raison de sa paresse, puis de sa discrétion. Depuis
l'affaire Kira, le meilleur enquêteur du monde n'a pas fait long feu. D'après le président des États-Unis, travailler sur ces
surprenantes volatilisations de navires au quatre coins de la planète lui permettrait de regagner tant le cœur du public que celui
des autorités internationales.
24 mars 2008, 20 heures 48, New-York, États-Unis.
Le jet privé qu'ils avaient emprunté à Londres les avait déposé à l'aéroport international John F. Kennedy aux alentours de dix neuf heures 30, et il leur avait fallu moins d'une demie-heure pour rejoindre le Plaza, le célèbre hôtel new-yorkais du début du XXéme siècle situé en face de Central Park, à Manhattan. Durant les trente minutes qui composèrent le trajet, L ne fut pas en mesure de déterminer s'il détestait New-York depuis sa naissance ou si l'animosité qu'il nourrissait à l'égard de la ville lui était venu au fur et à mesure des années. Les États-Unis lui avaient toujours paru hostiles d'une manière générale, mais s'il y avait bien une métropole qu'il ne pouvait pas supporter, c'était celle-ci. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Probablement parce qu'elle symbolisait le pays dans sa globalité, avec son amour de la démesure, de l'argent, du profit. Plus, plus et toujours plus, voilà ce qu'avait l'air d'exiger New-York. Monumentale avec ses gratte-ciels aux airs de titans, elle rayonnait tout autant que le soleil au beau milieu du désert du Sahara. À L, qui avait l'habitude d'évoluer dans des espaces sombres, la lumière expulsée par la cité donnait juste mal aux yeux.
Watari, connaissant par cœur les goûts de L, leur avait pris une suite luxueuse au vingtième étage du Plaza. Ils n'étaient pas sortis depuis qu'ils étaient arrivés. Au cours de l'après-midi, à Winchester, après être revenus de la Wammy's House, il avait été convenu avec George Bush, le président d'Interpol Arturo Verdugo ainsi que le président de la Commission Européenne, Romano Prodi, que L prendrait part à une expédition en mer, visant à déterminer ce qui provoquait les disparitions. Toutefois, certains détails n'étant pas encore réglés, les trois hommes l'avaient pressé de se rendre à New-York dans la journée, car ils avaient visiblement l'intention de faire du port de New-York/ New Jersey le point de départ du voyage et souhaitaient garder L pour ainsi dire vulgairement à " portée de main ". Le président des États-Unis souhaitait effectivement régler les choses au plus vite, et avoir L tout près devait y contribuer. Vers vingt deux heures, il envoya au détective un message l'invitant à la Maison-Blanche.
Watari s'y rendit seul, en tant qu'intermédiaire.
" Aucune âme ne peut s'échapper des Tunnels de Dorine. De
même, le roi de la Mort n'est pas en mesure d'intervenir en leur faveur. "
Extrait du Code des Dieux de la Mort, article VIII
24 mars 2008, 23 heures 05, Washington D.C, États-Unis.
Le tapis rouge déroulé dans le hall central de la résidence présidentielle était soigneusement nettoyé trois fois par jour, lui avait apprit Robert Gates. Bien qu'il fût assez tard, des hommes en costumes, des femmes en tailleurs, parfois seuls, parfois en groupes, arpentaient encore les couloirs de la Maison-Blanche. La politique était toujours en mouvement, comme les aiguilles d'une montre. Emmitouflé dans son manteau de cuir noir, le visage dissimulé par son col haut et son chapeau et transportant avec lui la valise contenant un ordinateur relié à celui de L, Watari suivait docilement le secrétaire à la Défense à travers les dédales de la demeure, admirant au passage le mobilier historique pour lequel il avait un attachement prononcé. Ils passèrent au deuxième étage, dont le calme contrastait avec l'agitation régnant au rez-de-chaussée. Plus intime, on y trouvait notamment les chambres du président, de son épouse et de leurs enfants, ainsi que le salon ovale jaune, réservé à de simples réceptions avec des chefs d'États, et le salon des Traités, qui faisait office de bureau privé de George Bush. Ils traversèrent le hall central, débouchèrent dans la salle d'attente ouest, avant de pénétrer dans la salle à manger du président. Là, Bush, attablé, une serviette sur les genoux, se faisait servir du lapin provenant tout droit de la cuisine adjacente, et dont l'odeur rehaussée par des épices embaumait la pièce entière. À sa droite se trouvait Donald Winter, le secrétaire à la Marine. Il était plutôt pâle, et semblait affamé et frustré de devoir attendre la fin de la distribution de la viande par un jeune serveur.
- Ah, Watari ! S'exclama le président avec un certain entrain. Veuillez m'excuser de vous recevoir ainsi, mais messieurs Winter, Gates et moi même avons été dans l'incapacité de dîner à une heure convenable aujourd'hui. Je vous en prie, asseyez-vous.
Il désigna la chaise située juste en face de lui. Une petite chaîne hi-fi diffusait un morceau de jazz particulièrement décontractant.
- Souhaitez-vous manger quelque chose ? S'enquit le serveur avec déférence.
- Non, non, je vous remercie, répondit le vieil homme tout en prenant place.
Le président, sourire bienveillant imprimé sur les lèvres, attendit patiemment le départ du jeune homme avant d'en venir à la raison pour laquelle il avait exigé la présence de L à la Maison-Blanche. Watari extirpa alors l'ordinateur portable de sa sacoche, l'ouvrit, et dévoila l'écran où s'affichait le grand " L " gothique. Winter, après plusieurs bouchées de lapin et de pommes de terre, paraissait bien plus apte à suivre une conversation sans craindre de tourner de l'œil.
- Monsieur le président, messieurs, les salua la voix totalement robotisée du détective. Ici L.
George Bush choisit de ne pas perdre son temps en fioritures verbales.
- L, j'ai passé l'après-midi entière à m'entretenir avec messieurs Verdugo et Prodi, asséna t-il, et nous sommes tombés d'accord sur le fait qu'une expédition devait partir enquêter sur les lieux des disparitions.
- Les risques sont les mêmes que pour les navires ordinaires, objecta L. Il y a près de soixante quinze pour cent de chances que le bateau en charge de cette entreprise disparaisse à son tour, à la manière de la première expédition envoyée dans le système des Grands Lacs.
- Nous en avons parfaitement conscience, lui assura le président des États-Unis. Mais s'il reste vingt cinq pour cent de chances de mettre fin à toute cette histoire incompréhensible, nous en profiterons. Comprenez que nous avons un grand nombre de disparus et qu'il est de notre devoir d'apporter aux familles autant de réponses que possible.
- En outre, renchérit Gates, il en va de la sécurité mondiale. Les flottes des diverses nations pourraient bien se volatiliser d'un moment à l'autre, ce qui serait un avantage considérable pour nos ennemis.
La Corée du Nord, régime communiste. L'Iran. L'Irak de Saddam Hussein, diabolisée depuis les attentats du 11 septembre 2001. Autrement dit les pays formant l'Axe du mal selon Bush. À ceux-là s'ajoutaient également les pays de " l'avant-poste de la tyrannie " d'après la secrétaire d'État Condoleezza Rice, à savoir la Birmanie, le Zimbabwe, Cuba et la Biélorussie.
- Je comprends, dit L, bien que son ton n'exprimât pas franchement la compassion.
George Bush s'octroya une gorgée de vin avant de reprendre.
- Nous avons pensé qu'un navire océanographique serait le plus approprié pour ce genre de mission, déclara t-il. À cause de l'équipement scientifique, bien sûr. Monsieur Winter m'a apprit que nous disposions d'un bâtiment appelé le Svetlana, terminé depuis un an et testé à l'occasion d'une recherche sur la faune et la flore de la mer des Caraïbes. C'est un navire pluridisciplinaire, disposant notamment de deux laboratoires et d'un sous-marin. Nous l'avons réservé, il est amarré au port de New-York/New Jersey depuis cet après-midi.
- L'équipage ? Demanda L.
- Nous avons eu quelques ennuis à ce propos, intervint Winter. Depuis que la dernière disparition a eu lieu, beaucoup de marins hésitent à retourner en mer, en particulier pour des recherches, et nous avons dû faire avec.
- Vous n'avez trouvé personne ?
- Si, bien sûr que si. Mais le seul équipage ayant accepté de prendre part à l'expédition est, comment dire, un peu rustique.
- C'est-à-dire ?
Si aucun des trois hommes politiques ne s'en rendit compte, Quillish devina quand à lui la soudaine tension de L, qui était tout sauf friand de contacts humains.
- Nous n'en savons pas plus, dit le président. Ce sont là les mots de monsieur Roughead, le chef des Opérations Navales. Vous verrez par vous-même s'ils sont justifiés ou non.
- Et pour les chercheurs ?
- Quatre, pas plus. Tous les autres ont refusé ou sont trop occupés, pensez-vous, répondit Gates. La terre ferme est plus sécurisante, ces derniers temps.
- Vous serez une quarantaine au total, et je puis vous assurer que vous disposerez de tout le confort nécessaire, continua Winter. Le Svetlana est un bâtiment large, vous y serez à l'aise.
Peu avant l'arrivée de Watari à la Maison-Blanche, le président, qui sortait alors d'une réunion du cabinet, les avait prévenu que L, à la manière d'un enfant, était devenu encore plus malaisé à convaincre qu'auparavant. Il leur avait raconté son entretien tumultueux avec le détective datant du jour précédent, et aussi bien Winter que Gates avaient été scandalisés par sa conduite éhontée face au chef de l'État. De même, il avait été tout sauf facile de le convaincre de participer à l'expédition, impliquant la suppression de son anonymat. La proposition, faite par Gary Roughead, n'avait dans un premier temps remporté qu'un sucés mitigé. Au courant du hasard des disparitions et de la menace pesant sur tout navire présent en mer, George Bush avait d'abord été contre l'idée du chef des Opérations Navales, avant de reconsidérer la question suite à une entrevue urgente exigée par Michael Leavitt, le secrétaire à la Santé et aux services sociaux des États-Unis. Ce dernier lui avait fait part de la situation catastrophique dans laquelle le laissait le manque d'informations au sujet des disparitions, puisque les familles des victimes l'inondaient un peu plus chaque jour de courriers déchirants. La plupart voulaient que soit réalisée une enquête conforme, et nombre d'entre eux réclamaient la présence de L.
Puisqu'il n'a rien à faire, envoyez-le !
Le pessimisme du détective, s'il irritait la planète toute entière, tapait tout particulièrement sur le système des américains. De manière générale, un homme non-productif s'auto-proclamant représentant de la Justice leur cassait les pieds.
- Le départ ?
- Demain matin, à onze heures et demi, répondit Winter. L'équipage arrivera plus tôt pour préparer le navire. Tout sera fait dans le plus strict incognito, comme vous nous l'avez demandé.
Dans un premier temps, le président avait évoqué un départ en grande pompe, avec présence des médias du monde entier, du public américain, ainsi que de lui-même, de Winter, Gates et Roughead. À cela, L avait répondu par une opposition farouche, menaçant de se retirer de l'expédition si celle-ci n'avait pas lieu dans la plus extrême des discrétions. George Bush avait fini par céder, non sans amertume. Retranscrire à l'international le départ du Svetlana avait en effet représenté à ses yeux une chance de redorer le blason des États-Unis, amoché par les disparitions, et le sien dans la foulée, puisqu'instaurer les recherches était un moyen de s'allier les familles des disparus en mer et donc, par extension, la compassion et la gratitude du peuple américain. D'un point de vue politique, en vue des élections présidentielles à venir, il tenait là une excellente stratégie. Néanmoins, L avait tenu à lui rappeler que si l'expédition s'évaporait à son tour, on ne tarderait pas à le lui reprocher, et son espoir de reconquérir le cœur des américains s'en verrait alors brisé. Mieux valait pour lui que tout se déroule dans le plus grand secret, il risquerait bien moins que s'il faisait du départ du bateau un immense événement médiatique.
Et L aussi, par la même occasion.
Hearts run right to the end
Les coeurs battent à l'infini
People come home you don't need to be scared
Venez à la maison, tout le monde, pas besoin d'avoir peur
'Cause you gonna love
Parce que vous allez aimer
You gonna love again
Vous allez aimer de nouveau
Extrait du morceau You're Gonna Love Again de Nervo
25 mars 2008, 11 heures 10, port de New-York/New Jersey, États-Unis.
Après avoir passé deux nuits sur le toit de l'entrepôt de Boston à regrouper ses données et à résumer tous les points communs existant entre les disparitions de navires, Light Yagami avait décidé de retourner voir L à Winchester. Il avait gardé en tête le message cinglant qu'avait expédié Robert M. Gates, le secrétaire à la Défense des États-Unis, au détective, et avait la certitude que ce dernier, malgré des réticences auxquelles le shinigami ne trouvait aucune explication valable, avait fini par céder. Tout aussi buté et orgueilleux qu'il pouvait être, L ne pouvait pas résister bien longtemps à une affaire d'une telle complexité. L'avoir sous la main représenterait un atout considérable pour boucler toute cette histoire. En outre, il se délectait d'avance de la menace qu'il ferait alors peser en permanence sur le détective, car quoi qu'il en dise, celui-ci avait bien conscience qu'à tout moment, si l'envie lui prenait, Light pouvait écrire son nom dans son cahier, et ce malgré le Code des Dieux de la Mort. Light se contrefoutait des règles qu'on cherchait à lui imposer depuis son enfance. Il n'allait certainement pas changer de méthode à cause de trois lignes. Pour le moment, il préférait concentrer toute son attention sur les disparitions, mais dés lors qu'il en aurait terminé, et désormais qu'il possédait le nom complet de L, le shinigami ne se priverait pas. Pas du tout. Il mettrait enfin un terme à tout ça. Il se vengerait. Il gagnerait comme il aurait dû gagner le 5 novembre 2004.
Je rends toujours les coups qu'on me donne
Lui aussi. Il attendait ce moment depuis quatre ans. Il avait moisi dans un champs de désolation appelé le Cathare pendant quatre ans et n'était pas devenu complétement fou pour cette simple et bonne raison : la partie n'était pas finie. Il était toujours là, plus personne ne pouvait l'atteindre. Il allait se farcir l'horripilant L Lawliet une bonne fois pour toutes. Mais plus tard. Plus tard. Chaque chose en son temps. Il ne voulait pas précipiter les choses, au risque d'en gâcher tout le plaisir. La souffrance lente était la plus effroyable. Il comptait bien faire vivre à L Lawliet un véritable enfer psychologique avant d'abréger généreusement ses supplices.
Il voulait le voir ramper.
Il voulait l'entendre crier.
Il le voulait soumis.
Ceci fait, il serait en paix pour l'éternité, même dans le Cathare.
Il allait quitter Boston pour l'Angleterre vers neuf heures du matin lorsqu'il avait surpris une conversation entre deux experts qui venaient de pénétrer dans l'entrepôt pour continuer d'étudier les épaves. L'un racontait à l'autre le départ imminent d'une équipe de collègues par bateau sur les différents lieux des disparitions, avant de lui confier qu'un assistant du détective L se trouverait à bord. Le navire, un bâtiment océanographique équipé tout spécialement pour faciliter la recherche scientifique, était en ce moment même en pleine préparation au port de New-York/New Jersey. Light n'avait pas eu besoin de davantage. Il s'était envolé pour la " Ville debout ", surnommée ainsi en raison de ses immenses gratte-ciels éternellement pointés en direction du ciel, comme des milliers de jambes humaines. Il aurait aimé s'y rendre plus lentement, par avion ou même par train, comme il l'avait fait pour rejoindre la Grande-Bretagne, mais l'heure n'était pas à la nonchalance. Tant pis.
Une explosion de couleurs criardes correspondant aux conteneurs au beau milieu d'une gigantesque zone industrielle grise, le tout d'une laideur bien entendu épouvantable, voilà ce qu'il aurait pu dire du port. Il avait toujours détesté les ports, viscéralement. Ils n'avaient pas la moindre élégance. Ce n'était en rien des endroits dignes d'un dieu. Même d'un dieu de la mort.
Il avait déjà vu auparavant des photos de navires océanographiques et avait par conséquent appris à les reconnaître. D'ordinaire blancs, presque raffinés et recouverts de tout un tas d'antennes et d'autres gadgets nécessaires à l'exploration, ils détonaient parmi leurs congénères marins, bien moins sophistiqués parce que plus souvent utilisés et en général considérablement plus massifs. Aussi ne lui fût-il pas difficile de trouver, dans le tumulte des navires, des hommes et des machines, celui qu'il cherchait. Sous les rayons d'un soleil plutôt timide, le blanc immaculé de la coque du Svetlana luisait comme s'il venait tout juste d'être enduit d'une huile de qualité.
Plusieurs personnes s'étaient regroupées près de la passerelle. Perché tout en haut d'une grue à conteneurs inutilisée et à l'abri des regards, Light reconnut le secrétaire à la Marine, Donald Winter, accompagné de deux autres hommes qu'il n'avait jamais vu et portant un uniforme militaire. Des membres importants de l'U.S Navy, probablement. Ils discutaient en compagnie d'une femme et d'un homme d'une quarantaine d'années, que le shinigami soupçonnait d'être le commandant du navire au vue de sa tenue vestimentaire.
Se faufilant discrètement entre les entrepôts, une cox coccinelle vint s'immobiliser non loin, dissimulée par la façade d'un des hangars. Un homme, en manteau de cuir dont le col était relevé au maximum, un chapeau posé sur la tête, en émergea puis s'empressa d'aller ouvrir la porte à celui qu'il transportait. Une silhouette décharnée dans des vêtements trop larges. Le dos voûté. Des cheveux noirs.
L.
- Asssistant, hein ?
Il s'était posé derrière eux. Si Watari pivota avec une certaine brusquerie, comme un chat prêt à sortir les griffes, L se retourna doucement, lentement, et son pouce vint se nicher au coin de ses lèvres.
- Je serais Ryûzaki, déclara t-il en guise de réponse.
- Ils n'avaleront jamais ça, répliqua Light. Tu vas être démasqué en moins de deux.
- Nous verrons bien, Light-kun. Tout le monde ne raisonne pas à ta façon.
Le vrai L travaille toujours dans l'ombre et ne se montre jamais. Il utilise la police en tant qu'arme, les contrôlant tout en restant à l'abri. Mais je pense que tu es L. Quand les gens pensent à L, ils s'imaginent un détective d'âge mûr, mais tu es tellement jeune et différent de l'image que le public se fait de toi. Ce serait une mauvaise idée d'utiliser une doublure comme toi.
Tais-toi, tais-toi, TAIS-TOI
Mauvais souvenir. Foutue mémoire, surtout, qui tournait à plein régime depuis son retour sur Terre, lui rappelant tantôt de bonnes choses, tantôt des mauvaises. Tout particulièrement des mauvaises, en fait. Avec l'ennui, la mémoire était sans doute le deuxième facteur de morosité des dieux de la mort dans le Cathare. Les yeux de L brillèrent, traversés par un éclair nouveau de curiosité.
- Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Demanda t-il.
- La même chose que toi. J'enquête.
Le détective lui parlait de manière mécanique, avec autant de froideur que lorsqu'ils étaient à Winchester, mais ils marchaient côte à côte à présent, Watari se tenant un peu en retrait. Au loin, on apercevait le dos des hommes que Light avait vu près du Svetlana.
- Tu savais pour l'expédition ?
- Un coup de chance, répondit-il en haussant les épaules. J'ai entendu deux spécialistes en parler ce matin à Boston.
- Que faisais-tu là bas ?
- Des recherches. J'ai trouvé des trucs assez intéressants à propos des disparitions en mer, deux ou trois infos que j'ai emmené avec moi. Tu savais qu'il y en avait en fait eu treize ?
L s'arrêta. La surprise et l'agacement avait jailli au fond des deux gouffres noirs qu'étaient ses yeux.
- Non, dit-il finalement. Je n'étais pas au courant.
- Les États-Unis ont gardés ça sous clé par peur de devenir la risée de toute la planète, expliqua Light. Je pense qu'ils n'ont informé presque personne du nombre réel de disparitions, je l'ai découvert en fouinant dans les dossiers du Pentagone.
- Je croyais que tu n'aimais pas t'infiltrer illégalement chez quelqu'un.
- Le Pentagone, ce n'est pas chez " quelqu'un ", répliqua le shinigami. J'ai moins de scrupules.
Il crut voir un sourire étirer les lèvres du détective.
- Tu vas suivre l'expédition ?
- Oui.
- Comment ?
- Pas la moindre idée. Ça dépendra de toi.
- Si tu attends de moi que je t'achète un billet, tu perds ton temps, Light-kun.
Impossible de déterminer si c'était de l'humour ou non. L le lui avait dit lui-même : il n'aimait pas plaisanter. De toute façon, Light n'était très branché humour non plus.
- En fait, j'espérais plus original de ta part.
L allait répliquer lorsque la voix de Donald Winter, toute proche, leur parvint.
- Êtes-vous l'assistant de L ?
Ses lunettes et son sourire irrégulier lui donnaient l'air chaleureux. Le vent faisait battre sa cravate bleue en soie. Les autres s'étaient retournés et regardaient dans leur direction. Les deux militaires, ayant tous deux probablement passé la quarantaine, possédaient chacun une veste recouverte de distinctions en tout genre et qui, assemblées les unes aux autres en carrés, faisaient penser à un petit drapeau.
- Mon nom est Ryûzaki, lança L en guise de confirmation.
Tous l'observaient de la tête aux pieds d'un air presque déçu, comme s'ils étaient en train de réaliser que la huitième merveille du monde n'était en fait qu'un objet immonde, avant de détailler Light à son tour.
- Et vous êtes ? S'enquit Winter.
- Light Yagami. L a décidé de m'envoyer à la dernière minute, répondit-il.
- Vous...vous êtes également un assistant de L ? Comprit l'un des militaires, le plus décoré en l'occurrence.
- On peut dire ça.
Tous les visages se précipitèrent vers Ryûzaki, dans l'attente d'une validation. Light avait envie de rire.
Même s'il dit que je ne suis pas un assistant de L, je viendrai. Et je lui rendrai la vie impossible. Et il le sait.
Au bout d'une minute, il hocha brièvement la tête. Dans son for intérieur, Light sourit. Un très grand sourire.
C'est alors que jaillit de nulle part une voix de femme, enraillée, brusque, qui évoquait vaguement celle d'un homme ayant abusé de l'alcool.
- Eh bin putain, si c'est ça les assistants, qu'est-ce que ça doit être, le grand patron, hein ?
" Poséidon fit du taureau et du cheval ses animaux favoris. Son char était conduit
par une douzaine de chevaux des mers, doté d'aîles et de queues de poisson, la crinière
remplie de coquillages, et dans son palais, il avait fait aménager une salle entière consacrée
aux soins des plus beaux taureaux lui ayant été offerts par les hommes.
La construction de son palace achevée, il courtisa la nymphe marine Thétis, qui prédit que le fils
qu'elle aurait serait plus puissant que son père. Dés lors, il reporta son attention sur la néréide
Amphitrite, mais celle ci s'enfuit dans les montagne de l'Atlas. Après avoir envoyé un messager qui
parvint à la convaincre, il l'épousa et obtint d'elle trois enfants. "
Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster
Indications :
- Seul rapport entre les chansons et l'histoire : les paroles.
- Ouais, le temps d'apparition de Near comparé à celui de Mello est dérisoire. Ça devrait s'arranger dans les chapitres à venir.
- Me, me, me : phrase culte de l'agent Smith dans Matrix signifiant " Moi, moi, moi. "
- Le Nantengen ? Vient du même mot que mon pseudo, Negen, qui signifie Néant.
- J'ai toujours rêvé d'écrire une scène de repas à la Maison-Blanche.
- Oui, L laisse voir son visage, mais me direz-vous, on est plus dans l'affaire Kira. Pour quelles raisons il y va ? Suite dans le prochain épisode :P.
- Light est salaud opportuniste. Mais je l'aime quand même XD.
- " Lancement ", c'est pour le départ de l'expédition et le retour de Mello dans le monde des enquêtes de L.
Un très très grand merci aux revieweuses et aux lecteurs. J'ai eu plus de mal avec ce chapitre, j'espère que ça ira quand même et que ça ne sera pas trop incohérent, auquel cas je rectifierai tout de suite le tir. Je ne m'attarde pas, on se retrouve dans deux semaines !
Negen
