CHAPITRE ONZIÈME

x

x


Descente : du latin " descendere ", action de descendre, d'aller de haut en bas,

ou l'endroit par lequel on descend, un chemin en pente.


DESCENTE

x

x

Got a secret

J'ai un secret

Can you keep it ?

Peux-tu le garder ?

Swear this one you'll save

Jure que tu garderas celui-ci

Better lock it in your pocket

Ce serait mieux de l'enfermer dans ta poche

Taking this one to the grave

De l'emporter avec toi dans la tombe

If I show you

Si je te le montre

Then I know you won't tell what I said

Alors je saurais que tu ne raconteras pas ce que je t'ai dit

'Cause two can keep a secret if one of them is dead

Parce que deux personnes peuvent garder un secret si l'une d'elle est morte

Extrait du morceau Secret du groupe The Pierces


30 mars 2008, 12h41, quelque part dans le Cathare.

- Bon, alors, tu vois quelque chose ?

- Arrête de pousser, abruti, tu vas me faire tomber dedans !

- Tomber dedans, tomber dedans... tu parles, avec ton tour de taille, tu resterais coincée, ma pauvre vieille.

Meadra lui décocha un regard noir, auquel Gook répondit par un sourire déformé.

- Encore une réflexion comme ça et je vais tout raconter au roi, compris ?

- Ça va, j'ai pigé, maugréa son compagnon.

Mais entre ses dents se promenèrent les fragments d'une remarque suggérant le contraire, quelque chose équivalant à un " vraiment susceptible ". Si Meadra l'entendit, elle n'en donna cependant aucun signe, et replongea tête la première dans le vortex tandis que Gook s'appuyait sur son épaule, les yeux rivés sur la surface azurée et paisible d'un lac étincelant sous les rayons opiniâtre du soleil de midi.

- Qu'est-ce que vous fichez, encore ? Soupira Deridovely, traînant sa faux rapiécée derrière lui et amassant un petit tas de sable dans son dos.

Gook lui intima le silence d'un index sur la bouche, et lui fit signe de s'approcher sans délaisser son appui. Meadra, quand à elle, ne se redressa pas d'un poil. Seule son imposante carcasse se mouvait comme elle tournait et retournait sans cesse la tête à l'intérieur du vortex, de toute évidence à la recherche de quelque chose.

- On essaie de trouver le petit, lui rapporta t-il dés lors que l'autre shinigami se trouvât à sa hauteur.

- Quel petit ?

Deridovely avait un curriculum vitae des plus élogieux en ce qui concernait son aptitude à écrire des noms dans son death note personnel. Toutefois, il était hélas tout aussi tristement célèbre pour un intellect frôlant à quelques degrés près le niveau de la mer, ce à quoi il avait toujours répondu qu'il préférait sa situation à celle de Kinddara Guivelostain, leur infortunée collègue à qui il était toujours nécessaire de rappeler comment elle s'appelait, ce qu'elle faisait là, et pourquoi elle ne voyait le monde que d'un seul œil (l'autre, semblait-il, avait été perdu le jour de sa mort, brutalement et avec une hache d'après les souvenirs de la principale concernée lorsque sa mémoire ne lui faisait pas défaut).

- Le petit Light, l'informa Gook. Le nouveau !

- Celui qui ne parle jamais ?

- Non. Celui qui ne parle jamais, c'est Derdraom, et il est là depuis trente ans. Light Yagami, c'est celui que le vieux a envoyé sur la Terre pour l'histoire des bateaux. T'étais là quand il est parti, fais fonctionner un peu le reste de tes cellules grises, mon gars !

- Celui qui est toujours en noir ?

Meadra extirpa alors son énorme tête du vortex.

- Tout le monde est en noir, ici, gamin. C'est la couleur nationale. Si je te dis que c'est le seul ayant conservé son apparence humaine, ça frétille dans ta petite tête, ou bien tu es un cas désespéré ?

Les yeux de Deridovely brillèrent d'un éclat de réalisation soudaine.

- Light Yagami ! S'exclama t-il, et Meadra grommela dans sa barbe avant de retourner à son exploration.

- Tu vois, quand tu veux, fit Gook, tapotant amicalement le bras osseux de son confrère.

- Je fais de mon mieux, se défendit l'autre, vexé. J'étais très intelligent, à une époque. C'est cet endroit qui vous rend stupide. Vous verrez quand ça vous arrivera, d'ici quelques années.

- On sait, répliqua Gook.

La dégradation de l'intellect des dieux de la mort était un processus irrémédiable, mais sa rapidité dépendait de l'intelligence du shinigami concerné. Ceux disposant d'un esprit émérite se voyaient attribuer les plus hautes places du classement dans la hiérarchie et résistaient donc bien plus longtemps à la dégradation de ce même esprit que leur congénères.

Delidovely resta planté là le temps pour Gook de demander deux fois à Meadra si elle voyait quelque chose, récoltant une réponse exaspérée de la part de la shinigami et l'ordre incisif de rendre la liberté à son épaule, ce à quoi l'autre refusa d'obtempérer.

- J'aime bien tes épaules, lui expliqua t-il. C'est la seule partie de toi qui vaut la peine qu'on s'y intéresse.

- Et pourquoi vous cherchez le petit ? Enchaîna Delidovely, empêchant Meadra d'infliger à son compagnon une répartie sanglante.

- Tu devais pas aller voir Nu, toi ? Fit Gook. Tu m'avais dit hier qu'elle voulait te parler.

- Elle a décalé, elle a pas le moral. Elle est partie sur Terre pour faire un tour en Afghanistan, elle a dit que ça l'aiderait à se sentir mieux.

- À cause de la guerre ?

- Ouais, apparemment.

- Mais c'est pas Justin qui s'occupe de récupérer les noms ?

- Il ne veut plus, il s'occupe du conflit israélo-palestinien maintenant. Ça le met de meilleur humeur.

- Et le roi est d'accord ?

- Il s'en fout. Du moment qu'on remplit les cahiers.

Le roi des shinigamis, tout aussi passionné par la capacité de penser de ses sujets qu'il pouvait être, était aussi très à cheval sur le remplissage des death note et n'avait guère de compassion pour ceux qui ne respectaient pas leur quotas mensuels, tous plus ou moins adaptés aux aptitudes individuelles des dieux de la mort. Les malheureux ne parvenant pas à combler les exigences royales, pour des raisons diverses et variées, la première étant le manque de détermination et la seconde un manque d'inspiration (certains avaient hélas quelques lacunes en matière de création de mort humaine), héritaient d'un châtiment peu enviables qui, même s'ils revenaient vivants (ce qui était somme toute assez rare), les laissaient dans un état de détresse et d'effroi tel qu'ils ne pouvaient bientôt plus rien faire d'autre que s'asseoir et regarder passer leurs confrères d'un œil vide. On, autrement dit Nu, les envoyait alors errer dans les Limbes, dont la fonction, autre que de servir de lieu de naissance pour les nouveaux shinigamis, était d'être une sorte de pré de l'Asphodèle pour les dieux de la mort ayant survécu au courroux du monarque et étant devenus incapables de faire quoi que ce fut de productif.

- Tu m'as pas répondu, reprit Delidovely d'un ton agacé. Pourquoi vous cherchez le gamin ?

Le soupir de désespoir que produisit alors Meadra fit vibrer sa carcasse toute entière.

- Fais-le taire, par pitié ! Supplia t-elle. Il me déconcentre, avec ses foutues questions !

- Ça va, ma vieille, ça va. Calme-toi et continue de regarder pendant que je le mets au courant, puis il ajouta, en faisant signe à Delidovely de s'approcher encore : viens par là, toi, ça reste entre nous.

Delivodely retint une grimace. Il n'aimait pas trop les secrets, y voyant à chaque fois une menace pour sa survie, quoi que le terme de survie n'eut pas vraiment sa place dans le royaume. Au Cathare, les secrets n'existaient pas, à quelques degrés près. On pouvait difficilement cacher au monarque, tout aussi vieux et asthmatique fût-il, la moindre petite information. Nu récupérait tout. Jusqu'à présent, aucun shinigami n'avait été capable de savoir de quelle manière elle s'y prenait, et s'ils étaient nombreux à suspecter la torture ou bien d'autres méthodes éloignées d'une quelconque éthique, ils étaient en revanche très peu à vouloir s'entretenir avec elle pour lui arracher les informations. Nu leur faisait trop peur. Elle aurait fait peur à n'importe qui. Il n'y avait que le roi qui la supportait.

Dans le registre des rumeurs burlesques ayant pris racines dans le Cathare (car il y en avait, les shinigamis étant tout autant friands de ragots, encore plus s'ils étaient infondés et extravagants, que les êtres humains), il y en avait une qui faisait état d'une relation amoureuse passée entre sa divine mais déficiente pulmonaire Majesté et sa seconde, en d'autres termes Nu. L'histoire devait bien avoir une cinquantaine d'années désormais, et la majorité des dieux de la mort avaient oublié celui ou celle l'ayant propagé et qui par ailleurs devait également avoir omis agir de la sorte, car la mémoire était une victime tragique du temps passé dans le monde délabré des shinigamis. Toutefois, elle continuait d'aller de génération en génération avec un entrain toujours renouvelé. Parfois, quelques détails changeaient, comme les dates ou les lieux. Mais les événements se déroulaient dans le même ordre et aucun nom ne subissait de modification drastique.

On aimait à dire que Nu avait autrefois été une humaine réputée pour son intelligence et sa beauté, à tel point qu'elle séduisit deux figures emblématiques d'un empire majeur de son époque. Toutefois, les intrigues politiques se jouant alors auraient provoqué sa ruine, suivie de son suicide, sous-tendu par un shinigami et l'utilisation d'un cahier de la mort (dans d'autres versions, le propriétaire était mort et c'était un être humain qui avait fait usage du cahier). Une fois devenue shinigami, Nu aurait rapidement été remarquée par le monarque pour ses qualités, et on allait même jusqu'à prétendre que celle-ci avait tenté, à l'instar de Light Yagami, de conserver son apparence en défiant le souverain dans une partie de Prométhée. Son entreprise n'avait pas remporté le succès escompté, cependant le monarque, ayant été suffisamment impressionné par son esprit, lui avait accordé le droit de ne pas voir ses facultés intellectuelles réduites à néant par le climat malsain du Cathare.

Était-ce une si bonne chose ? La plupart des shinigamis répondaient par la négative, qu'ils soient situés dans les hautes sphères du classements ou non. Ils accusaient en cœur le bon fonctionnement de la mémoire de Nu, qui d'après eux la rendait d'autant plus maussade et assommante. Les plus vieux affirmaient que dans ses premières années, Nu avait dirigé le Cathare d'une poigne de fer, inspirant la crainte et le respect partout où elle passait. On plaisantait même à ce propos en surnommant cette période " les vacances du roi ", tant celui-ci s'était fait discret comparé à son bras droit. Toutefois, la mémoire de Nu, la forçant en permanence à se confronter à ses souvenirs, qu'ils fussent heureux ou dramatiques, avait été la cause principale de sa décrépitude, et si sa brillante intelligence n'avait pas disparu, elle en perdit toutefois son dynamisme. De tyran, Nu était devenu une ombre. Elle n'en faisait pas moins peur, mais traînait avec elle un tel flot de noirceur qu'il était presque impossible de la craindre comme autrefois. Sa passion s'était évaporée, sa volonté avait fondu comme de la neige en pleine canicule, submergée par les regrets.

Le roi, en dépit de cette mélancolie démoralisatrice dans laquelle se plongeait petit à petit sa plus fidèle associée, avait toujours été fasciné par elle. Elle était la seule qu'il recevait en privé pour d'autres affaires que le remplissage des cahiers de la mort, raison pour laquelle les shinigamis avaient vite émis l'hypothèse d'un lien affectif plus profond. Ces entrevues duraient de longues heures et personne ne savait de quoi il en retournait, si ce n'était que cela ne portait pas sur les death note. Certains racontaient à qui voulait l'entendre que le roi avait été jusqu'à composer des poèmes pour elle, auquel elle répondait par des histoires écrites de sa main, contant l'épopée de personnages mythologiques en tout genre, et que l'essoufflé monarque lisait avec un intérêt n'ayant jamais faibli. Ce n'était pas une preuve en soi, et il était difficile de supposer la naissance d'un sentiment amoureux dans un endroit où l'émotion n'était pas la bienvenue, mais les dieux de la mort se plaisaient à radoter sur ce type d'anecdotes, du moment qu'elle puisse faire fuir l'ennui pendant quelques instants.

- On cherche le petit pour pouvoir suivre nous aussi sa petite enquête, expliqua Gook.

- Ça vous intéresse ?

- À ton avis ? On se donnera pas autant de mal si on était pas intéressés.

- Mais pourquoi ?

- C'est pas possible, les termites te grignotent le cerveau plus vite que d'habitude ou quoi ? Parce qu'on s'ennuient, voilà pourquoi !

Delidovely le fixa, ou tout du moins donna l'impression de le fixer au travers de son casque.

- Mais moi aussi, je m'ennuie ! Répliqua t-il alors, de toute évidence scandalisé. C'est pas pour autant que je risque ma peau pour suivre les progrès d'un môme qui n'en fout pas une depuis quatre ans !

- Il a fait ses preuves, grogna Meadra, extirpant la tête du vortex pour lui jeter un regard noir. Il recommence à devenir intéressant, c'est bien la première fois depuis que Ryûk a balancé son cahier sur Terre.

Light Yagami avait été le sujet des conversations favoris des shinigamis durant la période où il avait sévit sous le pseudonyme de Kira. Il était l'un des premiers êtres humains depuis plusieurs dizaines d'années à utiliser un cahier de la mort, en premier lieu. Ensuite, il en avait fait le point de départ d'une croisade aux fondements relativement spectaculaires pour les shinigamis, qui tuaient sans autre véritable but que de remplir un quota ordonné par le monarque. La mort pour eux ne permettait pas concrètement d'atteindre un objectif particulier ou ne servait pas à autre chose qu'à de l'administratif. Jamais aucun shinigami n'avait pensé à associer death note et guerre sainte. Il fallait un temps soit peu d'émotions pour ce faire, capacité qu'on leur avait retiré depuis longtemps.

Aussi avaient-ils étaient profondément déçus de constater, à l'image de Ryûk, sans doute beaucoup plus dépité qu'eux, combien le Light Yagami ayant pénétré dans leur domaine manquait de piquant. Il avait autant de détermination qu'une pierre tombale, et les plus jeunes comme les plus vieux s'en étaient étonnés et désespérés, car ils avaient placés en la personne du " petit humain " des espérances s'étant élevés à des hauteurs presque vertigineuses. Quelle tristesse leur avait alors causé le fameux Kira lorsque, le pied à peine posé sur le sol du Cathare, il avait dégagé un manque de caractère plus prononcé encore que tous ses nouveaux homologues réunis.

- Ça ne marchera pas. Il va se désintéresser de l'affaire à un moment ou à un autre, fit Delidovely en haussant les épaules. Vous l'avez bien vu, il est complètement mou, ce petit.

- Pas mou, le reprit Gook. Amer. Il est comme Nu.

- Il le sera probablement toujours, ajouta alors Meadra, qui avait depuis repris ses recherches. Elle pétait le feu, quand elle était jeune, tout le monde nous l'a toujours dit et le roi est le premier à le reconnaître. Regarde-la maintenant : amorphe et aigrie, tout ça parce qu'elle ne voulait pas devenir bête.

- Le petit Yagami va aussi devenir idiot, vous croyez ?

- T'as rien suivi, c'est extraordinaire, gronda Gook. Il a gagné contre le roi, il garde tout. Tout. Son cerveau, son visage. Tout.

- Y aurait pas un moyen pour qu'on redevienne comme avant, nous aussi ?

- Laisse tomber. Le Prométhée est truqué, mon vieux, tu le sais bien. Toi, moi ou Meadra, on pourrait pas gagner, même si on essayait un milliard de fois.

- Mais je veux dire, autre que le Prométhée ?

- Tu as déjà vu le roi intéressé par autre chose que les jeux comme le Prométhée ?

- Non.

- Alors, oublie. Ça devrait pas être trop difficile.

Delidovely plongea dans un silence contrarié.

- Tu le trouves ? S'enquit Gook auprès de Meadra.

- Pas encore, je t'ai dis de ne pas me le demander tout le temps, ça me gêne ! Protesta l'autre.

- Ça va, calme-toi.

- Vous regardez où ? Demanda Delidovely, intéressé presque malgré lui.

- Un truc que les humains appellent le " Détroit de Magellan ". Paraît que le type qui l'a emprunté pour la première fois s'appelait Magellan. Vraiment pas originaux, ces humains, répondit Gook.

- Je l'ai ! S'écria tout à coup Meadra.

Et deux autres têtes de shinigamis vinrent rejoindre la sienne dans le vortex.


" Dormir, c'est du temps perdu. Dormir me fait peur. C'est une forme

de mort. "

Citation d'Edith Piaf, chanteuse française


30 mars 2008, 11 heures 27, détroit de Magellan.

L ? Tu m'entends ? Tu te

- sens bien ?

Light Yagami fut la première chose qu'il vit en se réveillant. Pas franchement la personne qu'il aurait eu envie de trouver en première ligne à son chevet, mais c'était toujours mieux qu'un des membres de l'équipage ou un des scientifiques. Il commençait à trouver Smirnov supportable, à la rigueur. Van Lunet aussi, probablement parce qu'il était le plus rationnel de tous, quand bien même ce fût un grand mot pour la situation. Pronto le laissait dans un état de confusion oscillant entre la crainte et la vénération en permanence. Ses pâtisseries étaient formidables et lui rappelaient les gâteaux de madame Victoria, à la Wammy's. En meilleur. Madame Victoria ne savait pas cuisiner de tiramisu. Le chef les cuisinait mal. Ici, ils étaient parfaits. De quoi rendre l'expédition beaucoup plus tolérable.

Son dos lui faisait moins mal. Il se sentait comme une vitre de voiture embuée. Les contours de Light mirent quelques secondes avant de devenir nets. Il était assis sur son lit, juste en face de lui. L ne parvint pas à déchiffrer l'expression de son visage. Sans doute parce qu'il était allongé.

- Tu as perdu connaissance, commença Light, répondant à sa question muette. Apparemment, ce serait la fatigue. On t'a ramené dans notre cabine.

Et pas assez de café. Surtout, pas assez de café. Il était peut-être temps de demander à Watari des fonds pour doter le navire de provisions en conséquence.

- Je suis resté longtemps comme ça ?

Il avait la voix pâteuse, la gorge sèche. Et parallèlement, ses muscles étaient totalement décontractés, à tel point qu'il avait l'impression de ne avoir suffisamment de forces pour bouger.

- Une petite demie-heure, répondit Light.

Trop

C'était beaucoup trop comparé à ses standards. Il lui arrivait de s'évanouir de fatigue pendant les affaires les plus denses, mais il ne restait jamais plus d'un quart d'heure inconscient. Il n'aimait pas ça. C'était une perte de temps. Il ne pouvait pas travailler inconscient, et donc n'était pas en mesure d'avancer sur l'enquête. L'absence de contrôle sur son temps de sommeil frôlait l'hérésie. C'était un luxe qu'il ne pouvait pas se permettre dans les conditions actuelles, pas avec un hypothétique monstre marin rôdant sous la surface tranquille des océans.

- Ne te lève pas, lui exhorta Light lorsqu'il tenta de se redresser. Dors encore.

- Je ne peux pas.

- Si je t'enfermais ici, tu serais bien obligé, soupira l'autre en se levant et en se dirigeant vers la porte de la cabine.

- Tu ne le ferais pas, Light-kun, répliqua L, catégorique. Ça nuirait à l'enquête et à tes intérêts.

- Pas plus qu'un nouvel évanouissement, répondit Light du tac au tac, immobile devant la porte.

Seigneur, je déteste ça quand il

a raison ? Dis donc, Lawlita, c'est pas beau de mentir. Tu l'as toujours trouvé mignon quand il te renvoyait dans tes tranchées.

La ferme, Beyond.

- Ça ne se reproduira pas.

- Si tu dors.

- Si je dors, l'enquête n'avance pas.

- Quand tu t'évanouis non plus.

À l'évidence, Light Yagami prenait un certain plaisir à lui faire la morale et à lui rappeler que son brillant intellect ne le mettait pas à l'abri de la vulnérabilité physique. La façon dont le coin de sa lèvre s'étirait vers le haut dans une ébauche de sourire narquois lui donna envie de le frapper, parce que L avait toujours eu une sainte horreur qu'on lui mette sous le nez la défaillance de son corps et la supériorité de cette même défaillance sur son esprit.

- Je suis parfaitement fonctionnel, Light-kun.

- Pour combien de temps ? Demanda alors le shinigami. Vingt minutes ? Tu n'es pas en état de faire quoi que ce soit de pertinent, L.

La vague de fatigue traversant L l'instant suivant lui ôta toute éventuelle inspiration pour une réponse sensée. Le sourire de Light disparut.

- Tu es livide, lui dit-il, la voix exempte de toute ironie. Dors. Je dirais aux autres que tu t'es réveillé et que je t'ai conseillé de te reposer. On est en route pour Cooper Key, on en a bien pour une heure encore. Ça devrait te suffire.

- Cooper Key ?

- Oui. Je leur ai dis d'avancer pendant tu dormais, ça nous fera gagner du temps. C'est ce que tu aurais fait.

- Tu prends ma place, alors, Ligh-kun ?

Il n'y avait pas de méchanceté dans sa remarque, pas de pique, pas le moindre soupçon de provocation. Juste une sorte de plaisanterie lasse à la limite de l'indécence et qui, pourtant, entraîna la réapparition du sourire moqueur sur le visage du dieu de la mort.

- Ne me tente pas, répondit-il, presque gentiment. Ça pourrait être drôle.

L lui aurait probablement rendu son sourire si l'ensemble de son corps n'avait pas été d'une lourdeur épouvantable à la simple perspective de bouger un muscle.

- Repose-toi, préconisa Light. Je vais voir au labo si je ne peux pas trouver autre chose.

La porte se referma. L avait déjà sombré.

x

x

Langlois le rattrapa. Pas Smirnov, qui amorçait pourtant le mouvement et tendait les bras aussi loin qu'elle le pouvait. Pas non plus Tailcoat, qui avait reposé à toute vitesse son plateau sur lequel traînaient encore biscuits et thé pour se ruer en direction de L. Encore moins Van Lunet, dernier scientifique à ne pas avoir quitté la salle de conférence et dont le visage s'était mué en une expression de terreur absolue à l'instant où L avait basculé. Et surtout pas lui, bien sûr, ce que Langlois ne manqua pas de lui reprocher énergiquement.

- J'arrive pas à y croire, vous étiez à ça de lui, à ça ! S'exclama t-elle, resserrant l'espace entre le pouce et l'index de sa main libre de manière à signifier une distance minimale. Pourquoi vous ne l'avez pas empêcher de tomber ?

Smirnov eut la délicatesse d'intervenir, empiétant sur le manque cruel d'inspiration saisissant Light Yagami et son irrésistible envie de lâcher spontanément " Si je le touche, il me passe au travers. Oui, je suis transparent. Ça peut marcher avec les murs, si je me concentre. ".

- Arrête de l'engueuler, il est haptophobe, au cas où tu t'en souviendrais pas, indiqua t-elle à Langlois et d'un ton étrangement sec pour quelqu'un ayant jusqu'à lors présenté un timbre vocal en forte ressemblance avec une flûte traversière.

- Hapto-quoi ? C'est quoi, ce truc-là, encore ?

- Une affection de type phobie, qui se caractérise par une peur intense du contact physique avec quelqu'un d'autre, expliqua alors Van Lunet, venu s'agenouiller tout près de L. Je ne savais pas que vous en souffriez, jeune homme. Peut-être serait-il plus sage de prévenir le reste de l'équipage ainsi que mes chers confrères afin d'éviter toute bévue au cours de l'expédition.

- Je l'ai dit à l'équipage, affirma Smirnov, penché au dessus de Langlois et vérifiant le pouls de L. Semblerait qu'ils aient pas tous écouté, par contre.

Langlois maugréa comme un ours des cavernes.

- Vous savez ce qu'il a ? Demanda Light, désignant L du menton.

- Le pouls est régulier, fit Smirnov. C'est pas un arrêt cardiaque.

- Pas de signe de fièvre non plus, et je n'ai pas l'impression qu'il ait manifesté une douleur quelconque avant de perdre conscience ou de symptôme d'un accident vasculaire cérébral, ajouta Van Lunet, avant de se tourner vers Light. Auriez-vous à tout hasard remarqué quelque chose à son sujet pouvant expliquer son état ?

- Il n'a pas dormi depuis plusieurs jours, déclara Light. À cause des recherches.

- Il sait que c'est dangereux ? Grommela Langlois.

- Il travaille comme ça, répliqua froidement le shinigami.

Ça va, Light-kun, tu peux me lâcher maintenant.

Tu devrais aller dormir.

Plus tard.

- Eh bin, s'il continue, il va pas continuer à travailler longtemps.

Smirnov eut une espèce de hochement de tête approbateur.

- Vous devriez le ramener dans sa cabine, suggéra Tailcoat. Je m'occupe d'aller prévenir les autres.

- N'allez pas dramatiser la situation, Carlton, lança Smirnov.

Ce à quoi Tailcoat répondit que jamais, ô grand jamais il n'oserait lui voler la vedette. Smirnov décréta qu'elle bouderait jusqu'à ce qu'il revienne la voir avec des crackers. Quand à Langlois, elle souleva L comme s'il n'était qu'une poupée de chiffon et prit la direction des cabines d'un pas assuré, escortée de près par Light et Van Lunet.

- Il n'est pas trop lourd pour vous ? S'inquiéta Van Lunet d'un ton à mi-chemin entre l'admiration et la frayeur.

- Tu me prends pour qui, doc ? Gronda Langlois, à l'évidence vexée. Il a que la peau sur les os. N'importe qui pourrait le porter.

- Je ne voulais pas vous offenser, se défendit alors Van Lunet. Mais il est assez rare, je dois dire, de...

- Pitié, épargne-moi le stéréotype sexiste, à moins que tu n'aies très envie de te prendre mon poing dans la figure, le coupa Langlois, aussi aimable et compréhensive qu'une porte de prison.

L couché sur son lit, Van Lunet entreprit de re-vérifier son pouls tandis que Langlois montait la garde devant la cabine.

- Si jamais Pierre ou Lellou nous voient, ils vont ameuter tout le bateau, leur avait-elle dit. Vous ne voulez pas voir ça, croyez-moi.

L'expression faciale de Van Lunet avait été suffisamment éloquente pour traduire à la fois son opinion quand une perspective aussi critique et celle de Light, qui vint alors prendre place sur son lit dans l'attente du verdict de l'autre.

- Le pouls est toujours normal, l'informa t-il en se remettant debout. Je serais d'avis que nous le laissions se reposer aussi longtemps qu'il le souhaite, sa présence n'est pas obligatoire pour le moment et il a bien mérité quelques heures de sommeil, je crois. Par ailleurs, je vous conseille de faire de même, jeune homme. Vous avez mauvaise mine.

- Je me sens bien, affirma Light.

Je suis mort, vous savez ? Je ne peux pas être au mieux de ma forme. C'est lui qui m'inquiètes.

- L'assistant numéro un aussi devait se sentir très bien. Avant de rencontrer le lino, se moqua Langlois, adossée à la porte de la cabine.

- Elle a raison. Un peu de repos ne vous ferait pas de mal.

- Je dormirai quand il sera réveillé, assura Light. Je préférerais être sûr qu'il ne lui arrive rien. Dîtes au capitaine de mettre les voiles sur Cooper Key. Il doit y avoir une heure et demie de trajet, ça lui laissera le temps de se reposer.

L'argument parut recevable aux yeux de Van Lunet, qui acquiesça alors d'un signe de tête.

- Très bien, dans ce cas. Je transmettrai votre requête au commandant Diessel, et je vais demander à Tailcoat de vous amener des cookies et du thé, il me paraît important qu'il mange. D'après Langlois, il est un peu maigrichon.

- C'est un sac d'os, ouais ! Renchérit aussitôt le lieutenant. Il serait anorexique que ça ne m'étonnerait pas !

- Allons, ma chère, la reprit Van Lunet avec un rire scandalisé, évitons les conclusions hâtives et surtout, trop extrêmes. Vous n'êtes pas sans ignorer qu'il existe des métabolismes brûlant les calories beaucoup plus vite que d'autres et engendrant une certaine finesse corporelle, sans toutefois tomber dans une maigreur maladive.

- Je te dis que c'est un sac d'os !

Van Lunet croisa les mains et poussa un petit soupir de demoiselle en détresse, ayant une étrange ressemblance avec ceux produit par Deville et traduisant à merveille son désespoir face à l'obstination de Langlois.

- Je vous expliquerai tout cela en chemin, ma chère, déclara t-il en avançant vers la porte. Notre discussion risque de réveiller ce jeune homme et il serait préférable dans sa condition qu'il dorme sans la moindre interruption.

- Là dessus, on est d'accord, doc, fit Langlois.

Van Lunet la poussa amicalement dans le couloir et, après un " prévenez-nous si quelque chose ne va pas " à Light, referma en douceur la porte derrière lui. L s'était pelotonné sur le matelas. Il ne faisait pas froid, pourtant, mais Light ne retint pas son geste lorsqu'il étendit une légère couverture sur les épaules du détective, sans le toucher une seule fois.


" On se croirait devant un aquarium. "

" Non, répondis-je, car l'aquarium n'est qu'une cage, et ces poissons-là sont

libres comme l'oiseau dans l'air. "

Extrait de Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne


30 mars 2008, 12 heures 04, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

- Vous comprenez, à présent, pourquoi j'ai préféré vous contacter personnellement, conclut Joe Campa.

Il n'avait pas dormi longtemps, tout juste vingt minutes de plus, et d'un sommeil beaucoup plus agité que le premier, mais il était désormais suffisamment reposé pour que sa tête puisse fonctionner sans risque de malaise. Quand à Light, il n'était pas repassé. Il y avait de fortes chances pour qu'en dépit de sa bonne volonté, il n'ait rien trouvé de véritablement convaincant au labo. Les données recueillies avaient été minutieusement examinées et à plusieurs reprises, respectivement par lui, le shinigami, ainsi que les scientifiques présents à bord. Il leur fallait du matériel neuf. Cooper Key et ses fragments de navire disparu n'aurait pas pu mieux tomber.

Il était tout juste réveillé que Watari lui envoyait un mail, dans lequel il lui demandait de joindre le plus rapidement possible Joe Campa, qui avait d'après lui des informations de la plus haute importance à lui transmettre concernant l'enquête. Dix minutes plus tard, L écoutait avec une vive attention les suspicions du militaire vis-à-vis du gouvernement des États-Unis, qui aurait d'après lui et son épouse (une femme au visage charmant que le détective, grâce à la caméra, avait aperçu passant brièvement derrière son époux, laissant ainsi deviner que Campa était chez lui) quelque chose à voir dans le fait que les disparitions aient été gardées loin des yeux et des oreilles du public pendant près de trois ans. La possibilité que les USA aient conclu un marché avec une autre puissance capable de répondre à leurs intérêts était tout à fait envisageable, en particulier en cette période agitée de conflits dans les pays du proche-Orient. Toutefois, une zone où convergeaient les affrontements n'était pas le signe incontournable d'une transaction de ce genre, et si elle était peut être à surveiller davantage que les autres, elle n'était pas la seule avec qui les États-Unis pouvaient effectuer des négociations souterraines. Tous les pays capables de produire les ressources utilisées par les américains étaient à prendre à compte, et dans ce cas, la liste devenait effroyablement longue. En procédant par élimination, soit en classant les biens par valeur, L se retrouvait avec le pétrole en première ligne, ce qui n'avait rien d'une surprise. Le gaz naturel venait ensuite.

À la fin de leur entrevue, Joe Campa l'informa qu'il récolterait pour lui et du mieux qu'il pourrait des informations au sujet des précédentes disparitions et de la façon dont elles avaient été gérées, quitte à prendre contact avec les nations concernées. À cela, L répondit qu'il se chargerait lui-même de joindre les pays touchés, mais le remercia néanmoins pour son aide et lui conseilla d'envoyer ses mails non plus à partir de son domicile, mais depuis des ordinateurs ne lui appartenant pas, donc dans des bibliothèques ou des cyber-cafés, afin de garantir sa protection.

- Créez également une nouvelle adresse-mail que vous n'utiliserez que pour m'envoyer des données et qui ne sera connue que de vous, pas même de votre épouse, lui dit-il. On se porte toujours mieux quand on sait peu de choses.

Madame Campa avait l'air d'être tout sauf une bécasse, et son jugement était des plus correct, raison pour laquelle il ne voulait pas la mettre dans l'embarras en la laissant en savoir trop. Si par malheur le gouvernement devait remonter jusqu'à Campa et qu'il l'empêchait de parler à L, il aurait besoin de quelqu'un capable de faire la navette entre lui et son mari. Moins elle en savait, et moins il y avait de chances pour qu'elle se retrouve derrière les barreaux en sa compagnie, si agréable soit-elle. Avantage ou inconvénient, le débat était encore d'actualité, mais le fait que l'on ait tendance à sous-estimer la femme d'un militaire pouvait se révéler relativement pratique dans des situations de ce genre.

Il n'alla pas déjeuner. Lui et Light s'étaient mis à éviter la salle à manger comme la peste aux heures de repas, soit les moments où l'équipage était presque au complet et au top de ses capacités intellectuelles, autrement dit à un niveau si terriblement bas qu'il en donnait presque des migraines au détective. Si, au départ, Pronto avait paru s'offusquer (d'après les dires de Lellou - ou Pierre, elle avait martyrisé quelques casseroles), elle ne leur avait cependant pas fait de remarque désobligeante et envoyait à chaque fois le ravissant Lameloise leur porter une assiette et trois desserts différents au laboratoire ou dans leur chambre. L'assiette était pour Light. Deux des desserts étaient réservés à L.

- Tu lui as parlé italien, lui avait fait remarqué le shinigami, alors qu'ils dînaient ensembles dans le laboratoire, la veille de la découverte de l'importance des sonars dans les attaques. C'est pour ça qu'elle te laisse tranquille. Pas un seul des membres de cet équipage de cinglés ne doit savoir comment dire " bonjour " dans sa langue.

- Et toi ?

- Je suis allée la voir, lui apprit-il. Juste après notre premier dîner ici. Je l'ai félicitée et je lui ai demandé ce qu'elle avait mis dans son tiramisu pour qu'il soit aussi bon.

- En italien ?

- En italien.

- Tu ne m'avais pas dit que tu savais le parler.

- J'ai bien peur qu'il y ait un grand nombre de choses que je ne t'ai pas dites, Lawliet.

L n'avait pas souhaité poursuivre la discussion, se sentant glisser sur la pente délicate de l'amertume. Light n'avait rien ajouté non plus.

Ils avaient pris l'habitude de converser en anglais avec l'équipage, en dépit des divergences de nationalités, mais la majorité de leurs échanges se faisaient en japonais. Ils n'avaient jamais utilisé d'autre langue auparavant, et c'était pour ainsi dire L qui, au retour de Light, avait spontanément fait usage de la langue maternelle du jeune homme au lieu de la sienne. De même, lorsqu'ils étaient ensembles au laboratoire, ils se parlaient en japonais, provoquant parfois la confusion des quatre autres scientifiques qui, néanmoins, avaient le bon goût de ne pas se mêler de leur conversation. Sur les conseils de Newton, entre autres, qui avait pour l'occasion cité le fameux " surtout, ne pas réveiller un chat qui dort ". Deville, qui prétendait-il avait quelques notions en la matière, s'improvisait dans ces cas-là traducteur pour le reste, mais ils avaient été plutôt soulagés en remarquant que sa compréhension de la langue se limitait à quelques mots à peine. Une dizaine, pour être précis, en comptant les suffixes honorifiques. La plupart du temps, il se contentait d'indiquer aux autres l'état d'esprit de ses deux interlocuteurs par le biais de leurs gestes, ce qui était tout sauf aisé compte tenu du fait que ni L, ni Light, ne faisaient beaucoup de gestes quand ils parlaient. À l'inverse de Deville, qui semblait reproduire un ballet classique chaque fois qu'il ouvrait la bouche.

En parvenant au labo, il fut forcé de constater que Light ne s'y trouvait plus, mais sur la paillasse la plus proche était posée une note indiquant qu'il avait regagné la cabine de pilotage dés leur arrivée à Cooper Key. Il précisait, en outre, que ses recherches n'avaient produit aucun résultat concluant, mais il, avait-il écrit ensuite, " ne s'en étonnait pas compte tenu de l'état d'avancement actuel ".

Les dosettes de cafés avaient été renouvelées, donnant à L l'opportunité de se servir un expresso volluto. Toutes les machines à café du Svetlana étaient des Nespresso. Fétichisme de George Clooney, simple goût pour le luxe, ou volonté définitive de rendre l'expédition aussi agréable que possible pour mieux faire oublier à ceux peuplant le navire que leurs risques de mort étaient aussi élevés que l'Empire State Building, cela, L ne l'avait pas encore déterminé. Toujours était-il que Luz et Licht, un jour qu'ils venaient se servir chacun un expresso depuis la machine à café du salon, avaient affirmé que Pronto était à l'origine du choix, puisque d'après elle, " ma qué una macchina da caffè qui fait le sue capsule con nomi italiani, c'est magnifico ! " . L avait objecté que la marque Nespresso était d'origine suisse, mais les deux électriciens étaient déjà repartis dans les couloirs à la vitesse de l'éclair.

C'était un couloir de falaises escarpées qui entouraient le navire à présent, et l'eau avait pris des teintes obscures là où elle était plus profonde. Un peu plus loin, où les falaises s'éloignaient, se profilait comme un carrefour, provoquant la séparation des eaux en deux voies. Cooper Key était une des brèches dans la terre conduisant tout droit à l'océan Pacifique, mais elle n'était emprunté que rarement de part le chemin malaisé qu'elle offrait à la navigation.

- Assistant numéro un, vous tombez à pic ! L'accueilli t-on dés son entrée dans la cabine.

Light était là, bien sûr. Le capitaine, aussi, accroché à la barre comme si sa vie en dépendait, ce qui à quelques nuances près n'était pas si éloigné de la vérité. Il y avait également Newton, Smirnov, Seashell, le maître d'équipage Zarka, et Ber.

- Ça va mieux ? S'enquit Ber, coupant court à toute autre question de ses homologues.

- Mais c'était moi qui était supposé le lui demander ! S'exclama alors Smirnov.

- Tu vas quand même pas me piquer une crise pour une question, oui ? Répliqua Ber, une veine sur sa gorge se mettant soudainement à palpiter.

- J'ai piqué des crises pour moins qu'une question, tu devrais le savoir.

- Ouais, bin justement...

- Je vais mieux, répondit L, souhaitant de toutes ses forces éviter un pugilat ayant des bases aussi bancales.

Les autres reçurent l'information d'un hochement de tête quasi-unanime, à l'exception de Light qui ne semblait pas le croire, et dont les yeux ne cessaient de l'examiner de haut en bas. L ne lui rendit pas son regard.

- Messieurs, commença le capitaine, rapidement interrompu par un " et madame ! " de Smirnov, les équipes de recherche ayant été sur place jusqu'à notre arrivée nous ont laissé le champs libre pour effectuer nos propres prélèvements. Le rapport qu'ont reçus vos collègues Van Binocle et Newpom...

- Van Lunet et Newton, commandant, le reprit Seashell d'une petite voix timide et pas tout en phase avec son apparence physique de colosse.

- Oui, bon, vous savez bien que j'ai des soucis de mémoire des noms quand je passe trop de temps en mer, lieutenant Vaisselle !

- Seashell.

Le capitaine le gratifia d'un regard noir. Le lieutenant baissa le sien pour contempler ses chaussures luisantes.

- Je disais donc, les rapports reçus par vos collègues experts et ayant été rédigés auparavant par d'autres experts présents sur les lieux n'apporteraient d'après eux rien de nouveau. Monsieur, si vous voulez bien continuer, proposa t-il à Newton en désignant L et Light.

Les mains de Newton élevèrent alors jusqu'à son visage un ensemble de deux feuillets recto-verso sur lesquels étaient entourés ou soulignés en rouge des mots ou des phrases entières.

- Oui, oui. Effectivement, il a été constaté que les morceaux du San Rafael, situés très exactement 896,56 mètres de profondeur, présentent des dégâts très similaires à ceux observés sur les fragments déjà retrouvés. Mes vénérés collègues font état d'une distance réduite entre les morceaux, le premier et le deuxième étant à un mètre soixante de distance et le second et le troisième à un mètre douze. Ce qui les a laissé perplexes à nouveau, mais ce n'est pas surprenant, c'est la distance entre le lieu de disparition du bateau et l'endroit où les fragments ont été retrouvés, ajouté au fait que le reste du ferry a été découvert près des côtes espagnoles. L'hypothèse la plus communément émise jusqu'ici reste la responsabilité des courants marins dans ce déplacement. Autre fait notable, ils ne sont visiblement pas là depuis longtemps, puisque leur surface est exempte de toute trace de développement de faune marine.

- Ils ont estimé la durée de présence ? Demanda Light.

- Environ trois jours, peut-être même moins. Mon honorable collègue Van Lunet pourra sans doute vous donner une estimation plus précise de part sa spécialisation lorsque vous irez inspecter les morceaux. Voyez-vous, ces rapports ne sont pas très complets, l'équipe de recherche n'a pas été sur les lieux très longtemps avant de nous céder la place et n'a pas pu récupérer beaucoup de choses. Nous sommes pour ainsi dire en première ligne.

Il avait été convenu, une fois la présence des fragments connue des scientifiques, que la remontée à la surface de ces mêmes fragments était dans un premier temps proscrite et que la seule manière de pouvoir obtenir davantage de données sur le mode de fonctionnement de l'espèce à l'origine des carnages était d'abord d'examiner les morceaux sous l'eau, " au naturel " tel que l'avait souligné Deville. Le Svetlana était équipé de ce que l'équipage de plaisait à appeler " le p'tiot ", soit un sous-marin de taille réduite capable de transporter une à trois personnes à des profondeurs excédant rarement 5000 mètres. De son vrai nom, le Vladimir, il était parfaitement adapté à l'exploration sous-marine des morceaux de navire de part son équipement scientifique dense.

Il avait été conçu par un architecte naval camerounais spécialisé dans la création de sous-marins militaires, et dont les derniers chefs-d'œuvre étaient observables sur les plus imposants navires de guerre de la flotte américaine et anglaise. Nyalla Mendoua, tel était son nom, avait été victime d'une sévère dépression suite à la destruction de ce qu'il estimait être sa pièce maîtresse, le sous-marin Cyclone, lanceur de missiles de croisière, suite au passage de l'ouragan Katrina alors qu'il était, avec son bâtiment, amarré au port de la Nouvelle-Orléans en attendant de rejoindre New-York. Le choc avait été si rude qu'il en avait abandonné totalement la conception de submersibles à vocation militaire pour leur préférer, des mois plus tard, les sous-marins servant à la recherche scientifique. Le premier avait été réservé à l'Allemagne. Le Vladimir, pour sa part, était son sixième rejeton.

- Nous devons nous mettre d'accord sur l'heure de l'exploration, sa durée et ceux qui iront dans le sous-marin, les informa Newton. Je puis déjà vous dire que notre bien-aimé confrère Deville ne sera pas en mesure d'y prendre part en raison d'une claustrophobie d'une rare intensité s'étant déclenchée il y a peine quelques minutes.

- Le sous-marin se pilote facilement ? S'enquit Light.

- Justement, non, répondit Smirnov. C'est vraiment technique. D'ailleurs, on est très peu sur le Svetlana à avoir suivi la formation, six à peine. Ça coûtait un peu cher, vous comprenez.

- Voilà qui réduit considérablement les possibilités, marmonna tristement Newton. Lesquels d'entre vous sont capables de le manœuvrer ?

- Moi, Langlois, l'un des deux techniciens mais je ne sais plus lequel, Licht, Zarka et Tailcoat. Maintenant, vous savez qui vous devez maintenir en vie si jamais on coule.

- Tailcoat aussi ? Intervint Zarka. Je l'aurai jamais cru.

- Tailcoat est un ninja. Point, fit Ber, et le discussion en resta là avec toutefois la promesse de revenir très bientôt sur le tapis.

Le temps de descente fut estimé à une trentaine de minutes, sans compter la durée de préparation du sous-marin qui devait être nettoyé (" il a pas servi depuis, quoi, quatre mois ? " avait fait remarquer Ber) . Il fut convenu que le Vladimir disposerait des soins du chef mécanicien ainsi que des deux techniciens ayant accepté de prendre part à l'expédition, et dont Light avait brièvement fait connaissance la veille. Le premier répondait au nom de Watt, était d'origine écossaise et semblait entretenir des rapports excellents avec Licht et Luz, avec qui il prétendait aimer discuter et prendre le thé. Le second, Stein, était un homme à l'air sévère et à la bouche pincée à qui les fanfaronnades de l'équipage ne paraissaient pas convenir. Tous deux avaient été prélevés sur d'autres équipages et, si celui de Watt n'avait pas l'air de lui manquer, on sentait chez Stein la tendance inverse. Ensembles, ils assuraient le fonctionnement de l'équipement de recherche, dont les ordinateurs pour les traitements de données et, bien entendu, le sous-marin auquel ils n'avaient pour le moment pas touché.

La descente fut prévue à 12h45, afin de laisser suffisamment de temps à l'équipage pour préparer le matériel. Seashell, plein de bonnes volontés, fit remarquer aux autres qu'il serait vraiment malheureux que le Vladimir tombe en panne à une telle profondeur, puisque qu'une pression équivalente à 87 bars avait de grandes chances de les faire exploser. Light se mordit la langue pour ne pas faire de remarque. Quand on en vint à ceux qui effectueraient la première exploration, le nom des assistants de L vinrent en premier.

- Nous ferons d'autres passages avec le reste des chercheurs, déclara Newton en tripotant ses feuilles de rapport. Bien que je brûle d'envie de voir les dégâts, je reconnais que L devrait avoir toutes les informations d'abord. Je crois me souvenir qu'il n'était guère particulièrement enthousiaste à l'idée de s'occuper de cette affaire, et je m'en voudrais de le faire attendre.

Ni L, ni Light ne se montrèrent particulièrement exaltés quand à leur participation à l'exploration sous-marine dans l'espace prodigieusement réduit du sous-marin et à une profondeur largement en mesure de provoquer à quiconque d'un tant soit peu rationnel une désagréable sensation d'être englouti, mais aucun ne formula de protestation. L'état de l'enquête était au point-mort, et leur besoin de données ainsi que leur aversion commune de l'ennui qui commençait tout juste à s'installer depuis qu'ils ne pouvaient plus formuler de nouvelle hypothèse l'emportaient étrangement sur leur besoin de confort. L devait sans doute être plus incommodé que Light, déjà mort et donc en proie à des risques bien moins élevés, mais il n'en laissa voir aucun signe.

- Si ça peut vous consoler, intervint Ber, les caméras du Vladimir sont reliées aux ordinateurs des salles informatiques. Vous devriez vous installer dans l'une d'entre elles, avec ceux qui n'iront pas sous l'eau. Vous pourrez traiter les infos plus rapidement et voir ce que ça donne.

- On a des ordinateurs ? S'exclama Seashell. Bon sang, moi qui rêvait de rejouer au Solitaire depuis qu'on a quitté New-York !

- Toi et ton solitaire, maugréa Zarka.

- Douglass, ça fait un an qu'on est sur ce bateau et t'as jamais remarqué qu'on avait des ordinateurs ? S'inquiéta Smirnov en le toisant d'un air ahuri.

- Mais je ne suis payé que pour vérifier l'extérieur du Svetlana, moi, pas l'intérieur ! Répliqua vivement Seashell.

- Ça t'empêche pas de faire un tour dans les cabines pour voir ce qu'on a !

- Bwarf, répondit Seashell de manière aussi simple que distinguée.

- Bon, alors disons qu'un des assistants de L réalise la première expédition. Ma question est : lequel ? Reprit Newton.

Light décroisa les bras.

- Qui prévoyez-vous d'envoyer en deuxième ? Demanda t-il.

- Je pensais à mon honoré collègue Van Lunet, pour faire cette vérification du temps de présence des morceaux. Si Ryûzaki était choisi, vous voudriez descendre en premier également, Light ?

Les scientifiques étaient presque les seuls à utiliser leurs prénoms, les membres de l'équipage préférant les désigner par " assistant numéro un " ou "assistant numéro deux ".

- J'avoue que l'idée ne me déplairait pas, répondit le shinigami. Mais je ne voudrais pas abuser, si...

- Oh non, non, le coupa Newton. Ne vous inquiétez pas, mon cher, que vous souhaitiez descendre en compagnie de monsieur Ryûzaki est parfaitement compréhensible et ne pose absolument aucun problème. J'irais avec Van Lunet pour une seconde expédition, dans ce cas. Nous avons le temps, je pense.

- On a quartier libre pour le temps passé à Cooper Key, les informa Smirnov. Les autorités chiliennes ne viendront pas nous faire de remarques. Apparemment, monsieur Roughead a contacté monsieur Winter, qui lui même a contacté monsieur Gates, qui lui même a contacté le président des États-Unis pour faire valoir l'importance du passage du Svetlana sur les lieux dés qu'on les a avertis de la présence des morceaux.

- Merveilleux, fit Newton. Maintenant, nous devrions décider quel membre de l'équipage serait le plus à même de vous accompagner en bas, messieurs.

- On devrait envoyer Langlois, dit Smirnov. On a un lieutenant de secours avec Seashell et elle sait piloter le p'tiot mieux que nous tous réunis.

Light tout autant que L eurent comme une hésitation à l'idée d'explorer les profondeurs du détroit de Magellan sous le commandement de ce qui se rapprochait dangereusement d'une paranoïaque aussi sympathique qu'un missile nucléaire.

- Je vais aller la prévenir, décréta Seashell. Elle sera contente, ça va lui changer les idées, je la trouve un peu à cran, en ce moment.

- Ah, toi aussi ? Je me disais bien qu'elle était encore plus enjouée que d'habitude. Hier, elle m'a traitée d'alcoolique communiste quand je lui ai dit que je rachèterais de la vodka à notre prochaine escale.

- Et tu y es allée ?

- Non. Je le ferais quand on sera à terre plus longtemps.

- Je viendrais avec toi. Je voudrais me racheter des arlequins, je n'en ai presque plus.

- Déjà ?

- Oui, je sais. Mais moi, le stress, ça me donne faim.

x

x

Contrairement à ce qu'avait prévu Seashell, Langlois n'eut aucune réaction notable face à la perspective de diriger le sous-marin pour l'expédition. En revanche, elle acquiesça avec énergie lorsque le lieutenant surfeur la désigna comme étant la meilleure pilote de tous, et ajouta qu'il fallait bien qu'elle rattrape le niveau général de toute la bande, reproche auquel Seashell éclata de rire au lieu de se vexer.

- Le Vladimir descend de 0,5 mètres par secondes, expliqua Stein à L et Light après son entrée dans la cabine de pilotage, où ils attendaient que se termine la préparation du sous-marin. Vous en aurez pour un peu moins d'une demie-heure avant d'atteindre les morceaux.

Smirnov était allée aider au nettoyage de l'extérieur du Vladimir, à l'instar de Ber ainsi que de Pierre et Lellou, tandis que Zarka était reparti ordonner à ses matelots d'arranger l'immense portique arrière de 22 tonnes et le treuil océanographique pour la mise à l'eau du sous-marin. L'intérieur de ce dernier fut quand à lui minutieusement passé en revue et jugé apte à la plongée par les techniciens et Wankel. Les chercheurs avaient élu domicile dans la première salle informatique qu'ils avaient pu trouver sur les trois existantes, et Van Lunet, lorsque Newton lui avait annoncé qu'ils descendraient en seconds, avait émis plus de soulagement que de déception. Pronto, ayant appris la nouvelle, avait fait envoyer par le biais de Lameloise des amaretti à ces messieurs, sorte de petits macarons italiens, qu'elle leur avait conseillé de prendre avec du thé.

- On travaille toujours mieux quand on a bien mangé, avait-elle prétendu.

Elle avait également tenu à ce que les trois membres de l'expédition sous-marine emmènent avec eux des amaretti, ce que ni Langlois ni L n'avaient eu le cœur à refuser. Le détective avait à peine touché au plateau de nourriture posé sur la table de chevet à son réveil, et sentait à présent la faim prendre racine dans son ventre. Quand à Langlois, elle était poussée par une gourmandise amplement justifiée concernant la cuisine de Pronto.

À 12h44, Langlois prenait place dans le Vladimir, et montrait à Seashell à quoi servait chaque commande comme s'il devait passer la formation pour la première fois. Maintenu par les câbles du treuil, il était accessible depuis le haut par une petite trappe qui, en attendant la mise à l'eau, était ouverte. Blanc, long de 8 mètres, large de 3 mètres et d'une hauteur de 4 mètres, il offrait trois sièges situés chacun devant un hublot d'observation à l'avant et sur les côtés, entourés de sondeurs, de tableaux de contrôles et d'ordinateurs chargés de récupérer des données.

- Tu vois, expliqua Langlois à Seashell lorsque L et Light débarquèrent eux aussi dans le sous-marin avec les amaretti, quand tu avances, tu y vas doucement, pas comme un bourrin. T'as toujours eu la fâcheuse tendance de forcer sur les commandes, toi, c'est pour ça qu'il saute quand tu pilotes. Même chose pour les bras, tu les lances trop vite.

- Et le bouton rouge, là ?

- Bin ça, justement, c'est le bras gauche, elle se tourna vers lui et lui dit d'un ton dépité : T'es vraiment pas au point, mon pauvre.

- Hé, la plupart du temps, je me sers pas des bras, moi, se défendit Seashell. J'ai juste besoin des projecteurs et de l'appareil photo.

- S'il nous reste du temps, on redescendra un peu tous les deux pour te rafraîchir la mémoire. J'ai pas l'intention d'aller à chaque fois sous l'océan simplement parce que vous n'êtes pas capables de piloter cet engin, les gars.

Seashell ne parut pas franchement emballé à l'idée de re-travailler sa maîtrise du Vladimir avec Langlois, mais il ne quitta pas moins l'habitacle en chantonnant " Sous l'océan " avec entrain.

- Ils sont prêts, les enfants ! Hurla t-il à ses homologues avant de refermer la trappe, et un étrange silence s'abattit à l'intérieur du sous-marin.

Que Light prenne part à l'expédition en même temps que lui n'avait pas dérangé L, et il était, pour un peu, presque rassuré par la présence du shinigami durant la descente (" tu ne croyais tout de même pas que j'allais te laisser l'exclusivité d'une découverte majeure, non ? ", lui avait-il donné en guise de justification, bien que L sentît une autre raison sous-jacente à sa décision, mais qu'il choisît de ne pas aborder). Il se méfiait de Langlois, dont la mauvaise humeur permanente était le principal défaut, et s'il ne remettait pas en cause sa capacité à manœuvrer le Vladimir, il avait en revanche quelques appréhensions quand à ses fureurs et par là, sa stabilité psychologique. Ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils allaient découvrir en bas, et si Langlois, en mesure de contrôler le sous-marin, ne pouvait cependant pas contrôler ses réactions, il y avait de fortes probabilités pour que l'exploration ne court à la catastrophe, car ni lui, ni Light, en dépit de leur génie, n'avaient suffisamment de connaissances pour piloter un appareil de ce genre.

Le portique auquel étaient reliés les câbles du treuil bascula lentement en avant, amenant d'un même mouvement le sous-marin au dessus de l'eau sous l'œil attentif de l'équipage. Depuis le hublot devant lequel il se trouvait, L aperçut Wankel faire de grands gestes à ses matelots pour leur indiquer à quelle vitesse dérouler les câbles. Smirnov se tenait sur le bord du navire, et elle dut apercevoir L, ou imaginer l'apercevoir, car elle se mit soudainement à faire coucou de la main avec un grand sourire niais. L ne le lui rendit pas. Le Vladimir effleura tranquillement la surface de l'eau, Langlois fit craquer ses doigts avant de les poser sur les leviers de pilotage, et bientôt il n'y eu plus de second russe secouant bêtement la main ou d'équipage courant un peu partout sur le pont du navire, mais juste de l'eau à perte de vue, claire, et du sable, et le Vladimir se mit doucement à avancer sous le bateau, relâché par les câbles qui, quand à eux, retournèrent à l'air libre.

Les fragments étaient accessibles par le biais d'une gigantesque faille rocheuse sous-marine ayant des airs de ressemblances avec le Grand Canyon, dont la profondeur correspondait au point le plus profond de Cooper Key, soit près de mille mètres, et située à une dizaine de mètres de la poupe du Svetlana.

- Bon, les gars, commença Langlois, je sais pas si les techniciens vont ont tenu au parfum mais on en a pour une demie-heure de descente, alors si vous voulez pioncer, allez-y, mais ne ronflez pas, ça risque de me déranger.

- Je ne trouve pas le climat particulièrement propice à une sieste, répliqua Light avec justesse.

- Pas toi, mais l'assistant numéro un, ça lui ferait pas de mal, dit-elle en tournant la tête pour regarder L.

- Je me sens bien.

- Si ça ne tenait qu'à moi, je ne t'aurais pas emmené, râla t-elle. T'es encore tout blanc.

- Tu as mangé ? Lui demanda Light.

- Oui.

- Tu mens.

L ne répondit pas.

- Et par ici les amaretti, chantonna alors Langlois.

Le sous-marin, dans sa progression, ne faisait pas de bruit. Les projecteurs dont il était équipé, allumés par Langlois dés le début de la plongée, révélèrent bientôt la présence du sable et d'une végétation sous marine colorée, signe qu'ils avaient atteint le premier fond. À mesure qu'ils approchaient de la faille, le nombre de roches parcheminées peuplant le sol se mit à croître.

- Tiens, assistant numéro deux, tu peux appeler le bateau avec le téléphone à ta gauche et leur dire qu'on va arriver à la faille ? Je sais qu'il y a un point précis qui permet de descendre, mais j'aurai juste besoin d'un rappel sur sa localisation exacte. Tu décroches juste, l'appel est automatique.

Le téléphone ne permettait que la liaison entre le Vladimir et le Svetlana, mais produisait un effet de relaxation considérable de par le fait qu'il constituait la seule possibilité de communication avec la terre ferme, ou tout du moins la surface de l'eau. Il était directement relié à la salle de contrôle du sous-marin sur le navire, justement adjacente à la salle informatique accaparée par les chercheurs, et comportant notamment un ordinateur central qui, par le biais du GPS installé sur le Vladimir, suivait ses déplacements et pouvait donner son emplacement précis en cas de danger.

- Coucou poussin, ça gazouille en bas ? Roucoula Smirnov quand elle décrocha.

- Langlois aurait besoin de savoir exactement comment on peut atteindre les morceaux une fois qu'on a trouvé la faille, annonça t-il, ignorant admirablement le salut très - trop - décalé du second.

- Ah, oui, oui, bien sûr ! Bougez pas de là où vous êtes, je vais demander à Newton, c'est lui qui a les infos.

- Alors, qu'est-ce qu'elle dit ? Chuchota Langlois.

- Immobilisez le sous-marin, elle va chercher Newton.

- C'est pas possible, grogna le lieutenant avant de s'exécuter, et l'appareil fut rapidement statique au dessus d'une plaine d'algues vertes au sein de laquelle se déplaçaient de minuscules poissons dont l'apparence évoquait des anchois.

Smirnov ne revint pas avant cinq minutes, mais fit une entrée dans la pièce apparemment si tonitruante que Light l'attendit depuis le combiné. Quand enfin, elle reprit le téléphone, sa voix essoufflée ne fut pas sans évoquer au shinigami le souvenir du roi époumoné des dieux de la mort.

- J'ai Newton avec moi, déclara t-elle. C'est lui qui va vous donner la marche à suivre. Ne quittez pas, assistant numéro deux, je vous le passe.

- Allô, Light ?

La voix de Newton était tout aussi haletante que celle de Smirnov.

- Oui, je vous entends.

- Parfait, parfait. Veuillez mettre le haut-parleur du téléphone en appuyant sur le petit bouton immédiatement à côté du combiné, celui où vous devez voir dessiné un petit mégaphone.

- Je l'ai vu.

Il appuya. La voix du chercheur se répercuta dans tout l'habitacle avec un léger grésillement.

- Bien. Maintenant, Langlois, j'aimerai connaître votre position précise quand à la faille.

- À deux minutes, on est au niveau de la dune la plus proche, répondit Langlois.

Light répéta mot pour mot sa réponse à Newton.

- Merveilleux. Continuez tout droit, ma chère, vous devriez tomber sur la faille, et dés que vous serez juste au dessus, il vous faudra vous déporter de cent cinquante trois mètres sur la gauche. Nous vous guiderons depuis la salle de contrôle à l'aide du GPS.

- Ça roule, décréta Langlois.

Le Vladimir se remit en marche, soulevant un nuage de sable à son départ. Depuis le hublot, L vit peu à peu disparaître une végétation jusqu'ici plutôt dense au profit du monde minéral, et lorsque Langlois ouvrit la bouche pour faire remarquer qu'ils y étaient, il quitta son siège pour jeter un coup d'œil au travers du hublot du pilote.

- Impressionnant, hein ? Fit Langlois d'un ton un peu moqueur, mais elle n'aurait pas pu formuler de jugement plus correct.

Le terme de canyon sous-marin était parfaitement approprié à la faille, qui s'ouvrait largement comme la gueule d'un monstre de roches et d'algues sous leurs yeux et paraissait ne pas avoir de fin. Au dessus d'elle voguaient poissons de couleurs et de tailles innombrables, parfois en sortant et parfois y rentrant. Même Light abandonna une seconde le téléphone pour venir admirer le panorama qui leur était offert, tout en prenant garde à se tenir suffisamment éloigné de L, sous peine d'entraîner chez Langlois une potentielle crise d'hystérie s'il venait à lui passer au travers.

Ils vinrent se placer, ainsi que leur avait conseillé Newton, pile au dessus de la faille, dont on pouvait encore distinguer le fond de là où ils se trouvaient. En revanche, le terrain sur leur gauche dégénérait en pente, et plongeait très nettement en un gouffre vers des profondeurs déjà plus inquiétantes.

- Prenez à gauche, maintenant, leur indiqua t-il, et ils suivirent le tracé de la faille jusqu'à un endroit où l'eau s'assombrissait et où les projecteurs du sous-marin devenaient deux petits points de lumières quasi-insignifiants. Là où vous descendez, expliqua Newton, soit dans ce que nous appelons aussi zone mésopélagique, la lumière ne pénètre pas en quantité suffisante pour permettre la photosynthèse, ne vous étonnez pas par conséquent de l'absence de flore notable.

- On va avoir besoin d'un peu plus de lumière, alors, marmonna Langlois.

Sur le tableau de commandes de pilotage, elle pressa deux boutons situées un peu en dessous des leviers de déplacement, et la lumière produites par les projecteurs s'intensifia, éclairant distinctement les parois de la faille.

- Avancez encore un peu, ma chère, les morceaux sont éloignés de quatre mètres du début du gouffre devant lequel vous vous trouvez, conseilla Newton.

- On va pouvoir descendre sans risque ? S'enquit Light, tandis que Langlois faisait lentement parcourir au sous-marin la longueur demandée.

- Oui. Les rapports font état d'une immersion sans problème dus au relief, vous pouvez y aller tranquillement.

- Bon, eh bin puisqu'on peut y aller tranquillement, fit Langlois, allons-y tranquillement.

Elle enclencha le système de plongée automatique, qui devait lui éviter de maintenir sans cesse le levier déplacement haut-bas en position abaissée le temps qu'ils atteignent les morceaux. Le Vladimir, tout doucement, se mit à descendre.


" Est-ce qu'on peut paniquer, maintenant ? "

Ron Weasley, Harry Potter et la Chambre des Secrets, Chris Columbus


Indications :

- J'aime tellement utiliser les shinigamis.

- Vous ne trouverez pas Derdraom dans la liste des dieux de la mort de Death Note, et pour cause, il sort tout droit de mon imagination.

- Décidément, Beyond est incroyablement...pratique !

- Alerte prénoms, maintenant ! Carlton = vient du nom Ritz-Carlton, la très grande chaîne d'hôtels de luxe.

- Oui, Langlois est méga-musclée. Le nom de famille que j'avais choisi à la base pour elle, c'était Rambo, mais j'ai laissé tombé quand j'ai constaté après relecture que ça la décrédibilisait complétement.

- Pour les machines à café Nespresso, c'est simplement du au fait que je surfais au moment de l'écriture sur le site officiel, et quand j'ai vu les goûts proposés par les dosettes, j'ai craqué. C'est tellement fou que ça correspond parfaitement à l'équipage du Svetlana.

- Traduction de l'italien :

Ma qué una macchina da caffè = Mais une machine à café

le sue capsule con nomi italiani = ses capsules avec des noms italiens

magnifico = magnifique

- Nyalla Mendoua = " Nyalla " est un prénom camerounais masculin qui signifie " vent " (d'où la mauvaise blague de l'ouragan Katrina), et " Mendoua " vient de Jean Mendoua, le contre-amiral de la marine nationale camerounaise. Watt = référence à James Watt, notre cher ingénieur écossais qui a travaillé sur la machine à vapeur, et Stein = ça vient de la loi de Stein, qui décrit les limites d'un système en déséquilibre (Stein est tellement sérieux qu'il est à la limite en fait de l'équipage, qui lui par contre est un système déséquilibré)

- Deville est une vraie diva, et Tailcoat est vraiment un ninja.

- J'espère que je ne me suis pas trompée dans les conversions des mètres en bars. Par contre, pour l'histoire de la pression, c'est vrai. Au bout d'une certaine profondeur, le sang se met à bouillir et on finit par se transformer en feu d'artifice.

- Pour le sous-marin Vladimir (j'ai officiellement décidé que tous les équipements à venir du Svetlana auraient des noms russes), je me suis inspiré du sous-marin Nautile, de l'Ifremer.

- Il y a cinq zones dans les mers, lacs et océans qui sont caractérisées par leur profondeur. La zone épipélagique (surface jusqu'à 200 mètres), la zone mésopélagique (de 200 à 1000 mètres), la zone bathypélagique (de 1000 à 4000 mètres), la zone abyssopélagique (de 4000 mètres jusqu'à la croûte océanique) et la zone hadopélagique (profondeurs des failles océaniques = fosse des Mariannes, donc jusqu'à 11 000 mètres connus à ce jour). Pour info, les calmars géants, c'est la troisième zone ;).

- Oui, oui, il y a le téléphone et un GPS dans le sous-marin.

- Descente, c'est pour les shinigamis qui observent Light depuis le vortex, mais aussi et bien sûr pour l'exploration sous-marine.


Je n'ai qu'un mot à dire : alléluia !

Ce chapitre est aussi long que le dernier et pourtant, je n'ai pas arrêté de croire qu'il serait plus court. Je voulais m'arrêter un peu plus tard dans l'histoire, à la base, mais j'ai réalisé que le chapitre deviendrait indigeste, et j'ai préféré couper au moment où ils commencent à descendre. Des remerciements sucrés à vos pieds pour votre patience et vos encouragements, j'espère que le chapitre aura été à la hauteur de vos espérances.

J'ai réussi à tenir le délai, j'en suis très contente, et je pense que je vais pouvoir réutiliser ça avec le douzième chapitre. Mais comme le second semestre à l'université est beaucoup plus dense cette année, je préfère prévoir sa publication pour le mois de juin grand maximum. Ah, et concernant les Noces de Soie, j'ai tout repris depuis le début. Je bloquais sur la forme et j'ai décidé de tout changer, ce qui fait que ça va beaucoup mieux maintenant, mais je ne peux toujours pas vous dire quand elle sera terminée.

En attendant le mois de juin, je vous souhaite un très bon Nouvel An (et une bonne rentrée), et je continuerais bien entendu à vous tenir au courant de l'avancement du prochain chapitre par le biais de l'introduction !

Negen