CHAPITRE DOUZIÈME
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Retenue : du latin " retinere ", action de garder ou
qualité d'une personne qui contient ses sentiments.
RETENUE
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" COOPER KEY, LA CLÉ DU MYSTÈRE ? "
" C'est à 900 mètres de profondeur, vers 5 heures du matin, qu'a été signalée la présence de
nouveaux morceaux du ferry chilien San Rafael, disparu au beau milieu du détroit de Magellan avec
à son bord près de 200 passagers au cours du mois de décembre 2007. Des premiers fragments avaient déjà
été retrouvés le 21 décembre de la même année, non loin des côtes espagnoles. Rien n'avait été ensuite repéré jusqu'à
aujourd'hui, où une équipe de scientifiques chiliens est tombée, tout à fait par hasard, sur ce qu'il restait
du navire alors qu'ils exploraient Cooper Key afin d'en lister les espèces animales et végétales.
Le détroit de Magellan et son point le plus profond seraient-ils en mesure de donner une explication
à toutes les funestes disparitions maritimes des dernières années ? Il s'agit en effet du lieu a où le San
Rafael a disparu, et les morceaux découverts à cet emplacement vont à l'encontre de toutes les situations
précédentes, où aucun autre fragment n'avait été retrouvé à l'endroit même de la disparition. Étaient-ils
déjà là avant qu'on les trouve ? Se sont-il déplacés un peu partout avant de revenir sur les lieux, portés
par les courants maritimes ? L'expédition à bord du Svetlana, dont nous avions mis précédemment l'existence en
lumière, se situerait actuellement sur les lieux, et prévoirait, d'après nos sources, de se rendre sur chacun des
des sites de disparitions au cours de ces prochaines semaines. Une décision pertinente, compte tenu
de l'apparition soudaine de morceaux que le monde croyait limités à trois exemplaires. "
The New York Times, quotidien américain
30 mars 2008, 13 heures 08, Quartier Général de L, Londres, Angleterre.
Mello, lassé d'être en permanence cloîtré dans l'appartement où L les avait installés - de force - ensembles, avait échappé une fois de plus à la vigilance d'Élisabeth après le repas de midi et s'était précipité dans le premier bar-tabac ouvert du quartier pour y acheter un paquet de cigarettes et les derniers journaux. À son retour, Matt et Near avaient pris place dans le salon, l'un affalé dans le canapé crème faisant face à la télévision, son attention happée par sa console de jeux, et l'autre assis à même le sol, les yeux rivés sur la tour de dés qu'il était en train de construire.
- Elle tombera au prochain, assurait Matt comme la main de Near s'était immobilisée au sommet de la tour, un dé maintenu entre ses doigts fins.
- Pas encore, répliqua ce dernier en le déposant doucement à son emplacement, et la tour ne bougea pas d'un cil.
Mello résista à l'envie aussi soudaine que stupide d'enlever un dé composant la base du gratte-ciel à six faces, pour le voir s'effondrer. Il jeta les journaux sur la table basse, n'obtenant pas le moindre battement de cil de la part des deux autres.
- Tu as acheté le dernier WIRED ? Demanda simplement Matt.
- Oui, mais on s'en fout, grinça Mello. Regarde un peu ça.
Il brandit le New York Times sous les yeux de son camarade, masquant l'écran de sa DS Lite.
- Excuse-moi, fit Matt, j'étais en train de soigner mes pokémons.
- Lâche ça et lis, ordonna sèchement Mello.
Matt saisit le journal, Mello fit volte-face pour aller donner un autre exemplaire à Near, qui le reçut d'une main distraite. Il y eu un moment de silence absolu, durant lequel les génies ayant obtenu le journal en parcouraient les lignes, tandis que celui les ayant déjà lues disparaissait dans la cuisine, à la recherche évidente d'une bouteille de Jack Daniel's. Élisabeth en avait ramené une la veille, profitant de l'absence prolongée de Roger. Elle avait toujours eu une assez bonne descente dans les périodes difficiles, en particulier lors de son arrivée à la Wammy's House, en 2000. Mello la revoyait sirotant un whisky dans la cuisine quand lui-même venait chiper une tablette de chocolat à l'insu de ses camarades de classe. Elle avait aussi un goût prononcé pour le scotch, probablement un héritage familial, et pour le plus grand plaisir de Mello, qui comptait sur elle pour le fournir en alcool tout au long de leur séjour en Angleterre. Il n'avait pas forcément envie de gaspiller ses fonds quand quelqu'un d'autre pouvait dépenser à sa place.
- Ils sont complètement stupides, décréta Matt quand Mello fit son retour dans le salon. Ils vont tout faire foirer. L va être furax.
- Je serais curieux de savoir qui est la fameuse " source ", fit remarquer Near, déposant le journal juste à côté de lui pour reprendre sa construction.
Mello vint se vautrer sur le canapé, tout près de Matt, la bouteille de Jack Daniel's trouvant tout naturellement sa place sur la table basse.
- Au final, probablement pas un politique. Un membre de l'équipage, à tout les coups, affirma t-il en sirotant son whisky. C'est toujours pareil.
Il présenta son verre à Matt.
- T'en veux ? Si tu refuses, tu renies tout ton patrimoine culturel.
- C'est une marque américaine et on hésite encore sur l'origine du whisky entre l'Irlande et l'Écosse. D'où tu vois mon patrimoine culturel, Blondie ? Se moqua Matt.
- T'as une tête à avoir inventé le whisky, répondit nonchalamment Mello. Comme Near a une tête à avoir inventé la lessive Vanish Cristal Blanc.
Le concerné ne répondit pas. Matt saisit finalement la bouteille de Jack Daniel's et en prit une gorgée.
- Où tu l'as trouvée ? Demanda t-il en s'essuyant la bouche.
- Élisabeth.
- Elle boit toujours ?
- Elle boit toujours. Et ne me dis pas que tu vas t'en plaindre.
Chez Matt, la consommation de cigarettes était plus élevée que celle d'alcool, mais il ne refusait jamais quand on lui proposait de se servir. Pour Mello, boisson et clopes étaient devenues complémentaires au fil des années.
- Non. Ce serait hérétique, déclara Matt, avant de se lever. Je vais fumer, tu viens ?
- On peut plus fumer ici ? S'indigna l'autre, désignant le salon des mains.
- Nope. Ça rend Élisabeth malade, et Near aussi.
- Near peut aller se faire foutre, maugréa Mello.
- Tu veux t'occuper de lui quand il fera des crises d'asthmes ? Roucoula Matt.
- Qu'est-ce que tu crois ? Je le soignerai, assura sarcastiquement Mello. J'attendrais que la crise passe définitivement.
Ils quittèrent le salon par la porte fenêtre donnant sur un balcon, étroit mais suffisamment long pour y être à l'aise à deux, laissant Near à ses dés et ses réflexions. Matt sortit son briquet de sa poche de veste, alluma sa cigarette, avant de le proposer à Mello. Puis il prit appui sur la rambarde, et observa l'autre rejeter un nuage de fumée dans l'air.
- Il faut qu'on se dépêche de finir l'enquête, Matty, finit par dire Mello après quelques bouffées. Je ne vais pas tenir très longtemps, Near va me rendre cinglé.
- Ah, c'était pas déjà fait ?
La plaisanterie tomba à l'eau, car Mello le gratifia d'un regard encore plus noir que son pantalon de cuir.
- Je plaisante pas.
- Je sais. Il y a eu du nouveau pendant que tu étais parti. C'est passé totalement inaperçu à cause des disparitions en mer, mais un type a été retrouvé brûlé vif au Saint-Sépulcre ce matin. Les médecins nous enverront leur rapport dés qu'ils auront fini l'autopsie.
- Near le sait ?
- C'est Near qui a vu le mail en premier.
- Pour ça aussi, il est à la première place ?
- Ça devient ridicule, tu le sais, ça ? Ta jalousie envers Near, lui signala Matt.
- C'est du discours pré-mâché, Matty, déclara Mello. Tu sais très bien ce que je pense des discours pré-mâchés.
- C'est pré-mâché parce que tu n'as toujours pas laissé tomber. Ça va te ruiner.
- Je m'en fous.
Matt se tut un instant. Mais quand il ouvrit à nouveau la bouche, Mello manqua de s'étouffer avec sa cigarette.
- Et si Near ne s'en foutait pas ?
- Arrête de raconter des conneries, grinça Mello. Near n'en a rien à foutre de personne.
- Le transfert de L à toi n'a jamais été parfait, Blondie. Qui te dis qu'il l'a été pour Near ?
- Near est une coquille vide.
- Il est amoureux de toi.
Il lui fallut se rappeler, alors, comment on s'y prenait pour respirer et avoir l'air de maîtriser la situation en même temps. La mafia avait l'avantage d'offrir une amélioration rapide des compétences dans ce domaine, et ce d'autant plus que ce qui en dépendait était votre existence.
- Near. Est vide, énonça t-il froidement. Il n'y a rien à l'intérieur. C'est pour ça que L l'a choisi.
- N'essaie pas de te défiler, Mello, de nous trois, c'est moi qui suis le plus observateur. L a choisi Near pour son vide, il t'a choisi pour y mettre quelque chose. Tu l'as toujours su. L savait que Near ne serait bon à rien s'il n'y avait pas quelque chose pour le motiver véritablement à travailler, quelqu'un de suffisamment bon et de suffisamment moins bon que lui pour lui donner le frisson du challenge. Il t'as trouvé. C'est pour ça qu'il vous a demandé de bosser ensembles.
À la fin de son discours, Mello le fixait presque avec effroi, comme s'il venait de lui pousser un troisième œil au beau milieu du front, si ce n'était un quatrième.
- Tu délires, Matty, articula t-il finalement. C'est la dernière fois que je te fais boire du whisky.
- Quand on a quitté la Wammy's, reprit l'autre malgré tout, tu m'as dis que tu refusais de suivre le système et d'être un pion dans les mains L. Mais je ne crois pas que tu bats vraiment contre lui, plutôt contre Near.
- Bien sûr que je me bats contre Near, cracha Mello avec animosité. Je n'arrête pas de me battre contre Near pour cette foutue première place.
- C'est pas la première place, Mello.
- Je vois pas ce que ça pourrait être d'autre.
- Tu sais très bien. Near le sait aussi. Et moi aussi. Ne m'insulte pas, Blondie, c'est un peu vexant.
Depuis la porte-fenêtre, Mello pouvait voir Near agenouillé sur le tapis, une jambe repliée contre son torse. Les premiers boutons de sa chemise blanche étaient défaits, sa gorge était visible. Juste en y jetant un coup d'œil, et même si ce coup d'œil fut plus court que le battement d'aile d'un oiseau, Mello sentit revenir cette même, vieille et terrible envie de l'effleurer du bout des doigts, et il la retrouva non sans une once de colère et d'angoisse.
L'acceptation de l'existence de son désir pour Near était un processus pour le moment encore inachevé et douloureux, ainsi qu'affreusement irritant. Il lui fallait remonter toute la chaîne de sa vie à l'orphelinat pour en distinguer les causes, le début, possiblement les conséquences. Il n'était pas aussi bon que Matt pour comprendre les gens. Il était juste là pour le chaos, se contentant la plupart du temps de l'éprouver sans chercher à l'expliquer. Il savait, d'une certaine manière et depuis plusieurs années, le désordre qu'il engendrait chez Near, et parfois s'en voulait de mettre à mal la structure si rigoureuse de son rival. Sa culpabilité passagère ne l'empêchait pas non plus d'apprécier le pouvoir que ce bouleversement lui procurait alors, mais rapidement, son plaisir sauvage était gangrené de mélancolie.
Matt ne pouvait pas dire plus juste que lorsqu'il affirmait que le transfert de L à ses deux héritiers comportait de graves défaillances. Il n'avait pas réussi à les autonomiser. Si Mello était capable de mettre Near en marche, Near était à son tour en mesure de rendre Mello meilleur, en tirant sur son esprit de compétition. Il avait créé un système à deux pièces. Et donc, par extension, une organisation prompte à la destruction.
Mello ne voulait pas être un simple élément compatible dans les rouages d'une succession bancale. Il ne pouvait pas travailler avec Near parce qu'il savait parfaitement que sa soif de pouvoir et de reconnaissance finirait par le détruire. Near n'avait pas à se pousser à bouts pour être le meilleur, il l'était en permanence. La situation avait été la même pour Mello avant l'arrivée de l'albinos. Se maintenir au niveau de Near, c'était devoir travailler - peu comparé aux autres, mais travailler malgré tout -, et il n'en avait jamais eu besoin jusqu'ici. C'était s'exposer au danger des ravages d'une folie furieuse déjà présente auparavant. Dans cette constatation se trouvait l'une des principales raisons l'ayant poussé à abandonner la place de premier à son rival. Ça, conjugué au ras-le-bol général du à l'attitude paresseuse de L et une étrange certitude qu'il avait mieux à faire ailleurs.
Et pourtant, il était revenu. Kira et la menace qu'il continuait de faire planer à la fois sur L et par conséquent sur leur avenir aurait du tout expliquer. Mais il y avait aussi Near, à qui il ne voulait pas laisser la place à l'international quand ils pouvaient l'obtenir tous les trois. Near, que L continuait sans arrêt d'agiter devant ses yeux en attendant qu'il morde à l'hameçon, comme une foutue carpe. Near, qui n'avait pas donné la moindre nouvelle ni n'en avait demandé pendant ces quatre dernières années. Il savait ce que Near ressentait pour lui, il s'en doutait, il n'était pas idiot. Et Near savait très certainement que sous sa couche de ressentiment, Mello éprouvait la même chose, car en dépit de ses lacunes sociales, il savait repérer les émotions chez les autres, à défaut de pouvoir communiquer avec eux.
Il avait fui le classement scolaire de la Wammy's, mais il avait surtout fui le classement que Near avait imposé. Il l'avait, le soir où Mello lui avait proposé de les accompagner, fait passer au second plan, après L. Il l'aimait, mais il était le second dans sa liste des priorités. Dire que Mello l'avait mal pris était sous-estimer l'impact que la réalisation avait eu sur lui. Il ne supportait déjà pas d'être le second de la Wammy's, être le deuxième pour Near avait morcelé son ego et son cœur. Rester à la Wammy's aurait été se confronter tous les jours à cette idée qui, dans tous les cas, ne devait pas changer, parce que Near était un point fixe dans le temps.
- C'est un suicide, conclut-il amèrement.
- Quoi ? Fit Matt.
- Aimer Near, répéta t-il. C'est du suicide.
- Un suicide d'ego.
- Un suicide tout court.
- Mais tu l'aimes quand même. Tu es maso.
- Pas totalement. Je me suis cassé, je te signale.
Il l'avait fait pour se mettre à l'abri de son propre anéantissement. Aimer Near, rester auprès de lui, aurait fait de lui une supernova dont le seul destin envisageable aurait été l'explosion définitive.
- Et on se débrouille pas trop mal, renchérit Matt.
- On se débrouille putain de bien, répliqua Mello.
Matt rit.
- Si L te propose de gros contrats après ça, tu travailleras pour lui ? Demanda t-il après s'être calmé.
- Non.
- Pas envie de redevenir son larbin, hein ?
- Si on résout ce cas, on aura nos propres affaires, donc notre propre pognon. L n'aura rien à dire.
- Et Near ?
- Je sais pas. Tu vois, jusqu'à ce que L nous recontacte, je n'y pensais pas tant que ça. Avec la mafia, ça a été la première fois où j'étais meilleur dans un domaine que Near ne possédait pas.
- Tu es meilleur dans un certain nombre de domaines qu'il convient de taire, Mel, lui fit remarquer Matt.
- C'est pas forcément avec ce genre de domaines que j'ai envie de me faire connaître à l'international, Matty.
- Dommage, on aurait pu rentabiliser.
- Et mon poing, tu veux que je le rentabilise ?
- Ça ira, merci.
Meli Melo, toujours le deuxième, toujours le perdant, même en amour
- BB me l'a dit, une fois.
- Quoi ?
- Que l'amour, pour les enfants de la Wammy's, c'était de la gangrène. Surtout pour les premiers. Il m'a dit que c'était un suicide.
Matt écrasa le bout de sa cigarette dans le cendrier qu'ils avaient emporté.
- Si ça peut te rassurer, Blondie, je t'aime et mes poignets vont super bien, déclara t-il.
Ce n'était pas la première fois qu'il le lui disait. C'était, en revanche, la première fois que la formule prenait toute son ampleur. Et Mello, sans doute, ne devait pas s'y attendre, car le baiser qu'il lui donna, à défaut d'une réponse verbale adéquate, en l'attirant contre lui et en plongeant ses longs doigts dans ses cheveux, fut bien plus somptueux que tous ceux qu'il avait pu recevoir auparavant.
" L'amitié est une forme d'égalité comparable à la Justice. Chacun
rend à l'autre des bienfaits semblables à ceux qu'il a reçus. "
Citation d'Aristote, philosophe grec
3 octobre 2004, 21 heures 17, appartement de L, dixième étage du QG de Toyo.
- Tu les aime bien.
L leva à peine les yeux de son ordinateur.
- Qui ?
- Les autres. Mon père. Aizawa. Même Mastuda. Tu les aimes bien, en fin de compte.
À nouveau, pas de réaction. Au fil des jours, pas forcément de son plein gré, Light s'était plus ou moins fait à l'idée que le détective était atrocement limité en terme d'expressions. À l'évidence, seul un shinigami était en mesure de faire naître une once de surprise chez Ryûzaki. Et à présent qu'il avait admis leur existence, Light en était venu à se demander, non sans ironie, s'il lui faudrait invoquer l'Olympe toute entière, ses quatorze divinités et ses monstres pour arracher à L un semblant d'émotion.
- Quelque chose te faisait croire le contraire, Light-kun ? S'enquit ce dernier, tendant une main pour saisir la tasse de thé posée sur la table de chevet tout près de lui.
Ils s'était retirés après avoir passé la journée à se renseigner sur le groupe Yotsuba, sans grand succès. Trois semaines auparavant, la mort brutale par maladie de Junichi Yaibe, directeur d'une grande entreprise japonaise récemment implantée aux États-Unis et au Maroc, avait été signalée par les médias. Il était connu, outre son amour des casinos internationaux et plus particulièrement situés à Monaco, pour avoir fréquenté régulièrement un réseau de prostitution où la moyenne d'âge était dangereusement proche d'une quinzaine années. Arrêté en 1999, il avait échappé à la prison par le miracle de la libération sous caution. Il laissait derrière lui sa petite amie, Julia Barner, une jeune femme d'une vingtaine d'années à la crinière flamboyante et ayant été capable, au moment de l'enterrement, de pleurer l'équivalent des précipitations indiennes lors de l'été 1861. Son ex-épouse, une femme à l'allure majestueuse, n'avait pas bronché durant toute la cérémonie, observant par coups d'œils en biais Julia comme si elle avait autant de substance qu'une petite pierre. Les deux enfants de Yaibe, pour leur part, avaient gardé le silence, entourant leur mère dans une imitation macabre de la sainte Trinité.
Light, comme la majorité des japonais au même moment, avait prêté à la nouvelle une attention distraite. Ce n'était que par la suite, alors qu'il se concentrait sur les décès en lien avec trois compagnies japonaises, dont Yotsuba, qu'il avait repéré la croissance du chiffre d'affaire de celle-ci et l'impact significatif que chacun décès avait eu sur lui. En outre, trois des morts avaient été causées par crise cardiaque, la signature typique de Kira. Il n'en avait pas fallu davantage. Ryûzaki, chez qui l'ennui et inévitablement la déprime commençaient à s'installer, avait semblé renaître de ses cendres à la manière d'un phénix.
Leur enthousiasme avait été de courte durée. Entre temps, Kira en avait profité pour menacer le gouvernement et la police. Le père de Light avait ainsi reçu l'ordre de ne pas continuer l'enquête et d'interrompre tout contact avec L ou tout autre personne souhaitant dévoiler l'identité du tueur en série. Fidèle à son éthique, Soichiro Yagami avait pris la décision de démissionner afin de pouvoir continuer à travailler avec L, suivi de près par Mogi et Matsuda. Aizawa, ayant une famille à charge dont une petite fille, ne pouvait en revanche pas se permettre d'abandonner son travail, quand bien même il approuvât le choix de son chef et de ses collègues de tout son cœur. Light pouvait parfaitement comprendre que la méfiance du détective, compte tenu de son statut, le pousse parfois à ce genre d'initiatives - sans forcément toutes les cautionner - mais il y avait eu dans la mise à l'épreuve d'Aizawa quelque chose de bien trop injuste pour qu'il demeure impassible. En y repensant, Light avait été forcé de constater que L avait obligé Aizawa à effectuer l'un des choix les plus abominables du monde : sa morale, ou sa famille. Stupidité ou maladresse due à une difficulté de communiquer, Light n'arrivait pas encore à faire la différence, mais toujours était-il que la famille, à partir du moment où elle aimait et était aimée en retour, devenait la morale de n'importe quel individu y appartenant. C'était un choix impossible.
- Ce que tu as fait subir à Aizawa, répondit-il alors. C'était cruel.
- C'était nécessaire, le corrigea L.
- Mais cruel quand même.
L posa sur lui ses grands yeux noirs, dilatés par la fatigue.
- Je n'ai jamais dit que j'étais gentil, Light-kun, dit-il calmement. Je ne sais même pas si on peut appliquer ce genre de qualificatif pour décrire quelqu'un de manière générale. C'est juste une question de contexte.
- Mais tu as prévu des pensions, répliqua Light. C'est plutôt gentil, ça, non ?
- Les pensions seront versées uniquement s'il vous arrive quelque chose. Ça n'a rien de gentil, c'est simplement une question de justice.
Light leva les yeux de son livre pour mieux le regarder.
- Tu n'es très gentil avec toi-même, lui fit-il doucement remarquer.
- C'est ce que je te disais, Light-kun, répondit simplement L, retournant à son écran d'ordinateur.
Light éprouva, sans doute pour la première fois, une pitié désarmante pour le détective.
- Tu n'as pas franchement l'air d'un monstre à mes yeux, Ryûzaki, lui dit-il avec sincérité.
- Tu es beaucoup trop optimiste à mon sujet, Light-kun. Tu t'es basé sur mon statut et tu en a déduis qu'un détective pourchassant les criminels était nécessairement quelqu'un de bien. Ta vision tient du manichéisme pur et simple, et c'est exactement la façon de penser de Kira.
Oh, c'est pas vrai
Ils s'étaient déjà battu à ce propos, deux mois auparavant et au beau milieu d'un rendez-vous avec Misa. L était déprimé par le manque de résultat, Light à nerfs depuis qu'il les avait enchaînés ensembles, et la suspicion permanente du détective à son égard ajouté à son abattement l'avaient poussé à bout. C'était stupide, mais ça lui avait fait du bien. Quand à L, lui non plus n'avait pas semblé éprouver le moindre embarras quand à cet épisode, et semblait même y avoir pris un certain amusement.
- Je ne suis pas en train de dire que tu es un saint, Ryûzaki, se défendit-il. Tu utilises des méthodes que je n'approuve pas et tu as un sérieux problème de tact, mais ça ne fait pas toi quelqu'un de mauvais.
- Dans ce cas, si je ne suis pas mauvais, je suis gentil ?
- Je n'ai pas dit ça non plus, Ryûzaki. Tu interprètes mal.
- Et alors ? Si je ne suis ni gentil, ni méchant, qu'est-ce que je suis, Light-kun ?
- Tu viens de le dire. Ni l'un, ni l'autre.
- Tu penses vraiment ça ?
- Oui.
Il hésita un instant, incertain quand à la réaction de L face à une remarque de la sorte, puis ajouta finalement :
- Peut-être un peu seul, aussi.
- Je ne suis pas tout seul, affirma presque immédiatement L, sur un ton qui aurait presque pu s'apparenter à de la défensive.
- Je ne vois pas beaucoup de monde autour de toi.
- Si par " être seul ", tu entends " ne pas être ami avec suffisamment d'individus pour remplir le Colisée ", alors oui, je suis seul.
- Tu parles de moi ?
- À ton avis ?
- Je n'ai pas beaucoup d'amis, se défendit Light.
- Tu étais populaire à l'université.
- Être populaire et avoir des amis ne sont pas forcément synonymes. J'étais populaire à cause de mes notes, tu l'étais toi aussi.
- Dans ce cas, tu es peut-être aussi seul que moi, Light-kun, conclut L.
- Non. J'ai ma famille.
- Moi aussi, répondit le détective. J'ai grandi entouré.
- On peut grandir entouré sans communiquer.
- Et je serais seul à cause de ça ? Parce que je ne communique pas ?
- Peut-être. Tu ne te sens pas seul ?
L le dévisagea. Il tenait son ordinateur en équilibre sur ses cuisses, comme à son habitude depuis ses derniers mois.
- Et toi, Light-kun ? Tu ne te sens pas seul ? Lui renvoya t-il. Comme tu l'as dit, vivre entouré ne veut pas nécessairement dire communiquer.
- Non, je te l'ai dit, dit Light, presque étonné par la question de Ryûzaki. J'ai ma famille. On communique.
Apparut alors dans les yeux noirs de L comme une petite lueur moqueuse.
- Entre une famille et des amis, il y a une différence, tu ne crois pas ?
- Oui. Mais on peut très bien s'entendre avec sa famille et s'en contenter, argumenta Light.
L se débarrassa de son ordinateur, dont il abaissa l'écran et qu'il déposa ensuite prudemment à sa gauche, sur la couverture. Puis il porta son pouce à ses lèvres.
- Tu m'excuseras pour cette remarque, Light-kun, mais je n'ai pas l'impression que tu puisses simplement te limiter à être ami avec toute ta famille.
- Tu m'as dit que tu ne croulais pas sous les amis non plus, Ryûzaki. Et pourtant, tu t'en accommodes.
- Ce n'est pas la même chose.
- C'est la même chose, affirma Light.
- Non. Je n'ai pas besoin des autres. Toi, oui, mais tu sélectionnes. Tu ne deviens ami qu'avec ceux que tu estimes suffisamment intelligents pour ne pas t'ennuyer.
- Et Misa ? On peut difficilement dire que ce soit Einstein, ça ne m'empêche d'être ami avec elle.
- La nature de ton lien avec Misa tient davantage dans le fait que vous ayez tous les deux été Kira que dans une symbiose intellectuelle. Si ça n'avait pas été le cas, vous ne vous seriez jamais rencontré, et tu ne lui aurait jamais accordé ton attention. Ou alors, tu t'en serais débarrassé rapidement.
- Quel portrait !
- C'est ce que je t'ai dit, Light-kun. Je ne suis pas gentil.
Le jeune homme ne sut pas quoi dire pendant un bref instant, trouvant dans l'aigreur avec laquelle Ryûzaki se dépeignait quelque chose d'étrangement touchant et dramatique.
- Et moi ? Demanda t-il finalement. Tu me trouves gentil ?
La conversation tendait dangereusement vers le puéril, et finirait très probablement par les ramener au fait que L le suspectait toujours d'être Kira, mais il ne voulait pas s'arrêter maintenant.
- Je pense que tu es attentionné, répondit L avec application. Par intérêt ou sincèrement, j'ai encore du mal à le déterminer. Je n'utiliserai pas le terme " gentil ". Comme je te l'ai dit, c'est une question de contexte.
- Si ça peut te rassurer, je n'ai jamais pensé que j'étais gentil, pas plus qu'attentionné.
- Qu'est-ce que tu penses être, Light-kun ?
- Je ne sais pas, avoua t-il honnêtement. Je ne suis pas assez objectif, je crois.
- Alors peut-être que tu es comme moi, observa L. Ni gentil, ni méchant. Juste entre les deux.
Light, contrairement à L, vivait à l'extérieur, mais il n'en restait pas moins aussi caché que le détective, à un autre niveau. En public, il écartait de ses paroles le moindre reproche, les commentaires mesquins, les insultes gratuites et les soupirs exaspérés. Il fonctionnait à la vitesse du SCMaglev quand les autres étaient des locomotives à vapeur. Il avait appris à s'adapter et à ne pas faire de mal, ses parents ayant été les meilleurs professeurs possibles dans le développement de ses relations avec autrui, cependant il y avait de ces moments où son irritation était trop forte et où, involontairement, il devenait agressif. Il s'en voulait toujours ensuite, plus ou moins. Il y avait eu cette fois où sa mère avait pris des cours de cuisine, parce qu'il avait le palais fin et qu'il voulait toujours mieux. Il devait avoir 10 ans. Pour démontrer à sa mère que les cours étaient une idée qu'il ne fallait pas négliger, il avait petit à petit réduit ses rations au moment des repas. Il avait en effet, trois semaines auparavant, été chez un ami d'école pour le dîner, et avait été troublé face aux talents culinaires de la mère de celui-ci, effectuant immédiatement une comparaison avec ceux de sa mère et trouvant là un point de faiblesse qui lui déplaisait. Pour Light Yagami, qui avait déjà été habitué à être le meilleur presque partout, ce renversement de situation était inconcevable.
Par la suite, il avait appris que la mère de son ami était cheffe cuisinière au China Blue, l'un des cinq restaurants du prestigieux hôtel Conrad Tokyo, un cinq étoiles situé au cœur du quartier de Minato. Sa maîtrise de la gastronomie en devenait parfaitement compréhensible, mais cela, Light n'avait pas voulu y prêter attention. Il n'avait retenu qu'une seule chose : que sa mère cuisinait mal comparé à cette femme et que son manque de compétence pouvait rejaillir sur le prestige de son fils. Sa réflexion n'avait pas même tenté un seul instant d'inclure d'autres éléments, comme le parcours professionnel de Sachiko Yagami. Il avait également envisagé que cette dernière, en l'entendant vanter les mérites de la mère de son ami, puisse prendre mal une telle supériorité culinaire, et veuille y remédier. Mais cela, bien entendu, n'avait été qu'une projection de son désir sur la personne de Sachiko.
Ce n'était que quand il l'avait vu sangloter quelques mois plus tard devant un canard au gingembre, un plat français, qu'elle avait raté, qu'il s'était senti affreusement coupable et qu'il s'en était voulu. Il s'était excusé en pleurant, à grand renfort de " je suis désolé, maman, je ne voulais pas te faire de peine, je suis vraiment désolé ", ce à quoi sa mère avait répondu en séchant ses propres larmes " mais ce n'est pas grave, mon chéri, vraiment pas grave, tu veux que ta maman soit la meilleure du monde, c'est normal, moi aussi je veux être la meilleure du monde pour toi ". Ce soir-là, abandonnant la cuisine de luxe avec une étrange satisfaction, ils avaient mangé des ramens devant le journal télévisé, Light à gauche de Sachiko, pelotonné contre elle, et Sayu à droite. En y repensant, il se disait parfois que ce repas-ci avait été l'un des meilleurs de toute sa vie.
- J'essaie de faire de mon mieux. Avec les autres, dit-il. J'essaie de ne pas les blesser, mais des fois, je n'y arrive pas, même si je n'en ai pas envie, et ça me fait un peu peur. C'est comme s'il y avait un fossé entre eux et moi. Je dois tout le temps me retenir si je veux pouvoir m'intégrer. Parfois, j'ai l'impression que c'est de ma faute s'ils sont aussi...
- Ennuyeux ? Devina L.
Il y avait eu comme de la douceur dans sa voix.
- Ouais, maugréa Light. Quelque chose comme ça.
L le regarda fixement pendant une minute, peut-être deux. Puis, lentement, il leva une main, et ses doigts vinrent se glisser dans les cheveux de Light, un peu au dessus de son oreille, comme pour les remettre en place. L'autre ne fit pas le moindre mouvement de rejet ou d'appréciation. En vérité, il ne s'attendait pas au moindre contact de la part du détective, et s'il appréciait cette soudaine bienveillance, il préféra ne rien en laisser paraître, principalement par crainte que L n'augmente son pourcentage.
- Tu ne t'es jamais senti comme ça ? S'enquit-il néanmoins.
- Pas vraiment, Light-kun, confessa L. Je n'ai jamais vraiment été avec les autres jusqu'ici, et par conséquent je n'ai jamais ressenti le besoin de me museler.
- Veinard, se moqua t-il avec affection.
L eut une ébauche de sourire. Ses doigts continuaient de caresser les cheveux de Light avec un naturel déconcertant.
- Je ne crois pas, répliqua t-il. C'est une lacune de ne pas être bien adapté au monde extérieur.
- Tu t'es plutôt bien adapté à l'équipe.
- J'applique des codes sociaux basiques, lui fit remarquer le détective. Ceux qu'on m'a enseigné, comme les formules de politesse. Ça ne m'empêche pas de penser que c'est une perte de temps considérable.
L, s'il saluait les policiers en arrivant le matin, ne leur demandait jamais s'ils allaient bien, s'ils avaient passé une bonne nuit, ou comment se portaient leurs familles respectives. Il ne se renseignait pas sur eux, à moins que ces informations puissent être bénéfiques à l'enquête. Light ne serait pas allé jusqu'à dire que le détective n'avait pas le moindre intérêt pour les membres de l'équipe qui l'entourait, cependant il était évident que celui-ci se basait essentiellement sur la capacité de chacun d'eux à résoudre l'affaire Kira.
- Les codes sociaux sont enseignés à tout le monde, rappela Light. Ils ne sont pas innés.
- Mais personne ne sait véritablement à quoi ils servent, objecta L. La plupart du temps, si tu demandes à n'importe qui pourquoi il ou elle te dit bonjour le matin, il te répondra que c'est une question de politesse, mais ce n'est pas une explication complète. Les codes sociaux sont utiles à la survie. S'ils n'existaient pas, ce serait le chaos, tout le monde essaierait de s'entre-tuer.
- Tu exagères un peu, tu ne crois pas ? S'amusa Light. Ne pas dire bonjour le matin ne va pas mener à la Troisième Guerre Mondiale.
- Est-ce que tu as déjà eu l'occasion d'observer la réaction d'un seul être humain qui n'a pas reçu son bonjour du matin ? Que ce soit de la part d'un membre de sa famille, d'un collègue, ou d'un ami ?
- Je t'avoue que non.
- C'est chimique, Light-kun. Les taux de phénylétilamine, l'hormone de la bonne humeur, et d'ocytocine, l'hormone du bien-être et de la disparition du stress, subissent une chute. Les codes sociaux ont une influence sur leurs niveaux quotidiens. Imagine l'état de quelqu'un confronté en permanence à l'absence de codes et donc à la baisse continue de ces hormones. Tu vois où je veux en venir ?
- Tu utilises les codes sociaux juste pour faire en sorte que tout le monde soit content et continue de faire son travail, en déduit Light. Tu vois leur utilité scientifique, pas sociale.
- Je vois leur utilité sociale, affirma L. Je ne m'en sers pas, c'est tout.
Light pencha alors la tête sur le côté, vers les doigts du détective qui n'avaient pas quitté ses cheveux.
- Et ça ? Dit-il. C'est pour que je travaille mieux ?
Le mouvement ne s'interrompit même pas.
- Si ça te gêne, tu n'as qu'à me le dire, déclara L, évinçant habilement la question. J'arrêterai.
- Ça ne me gêne pas, répondit Light. Seulement, je ne m'y attendais pas.
Le rythme régulier avec lequel les doigts de L s'enroulaient autour de ses cheveux, sans tirer ni s'imposer, lui procurait une sensation pareille à celle qu'il avait éprouvé un jour de printemps, quand il avait quinze ans. Après une semaine où il avait fait horriblement lourd, la température avait brutalement chuté, retombant à une quinzaine de degrés. Cette nuit-là, il avait plu pendant des heures, et le bruit de l'eau s'écrasant contre la vitre de sa chambre, le toit et les murs de la maison, l'avait apaisé.
- J'imagine que, dans un sens, je ne m'attendais pas à toi non plus, reconnut L, après un court silence.
Light tourna la tête pour pouvoir mieux le regarder. Le visage du détective, auparavant insondable, montrait à présent des traces d'une tristesse qui ne le surprit pas autant qu'il l'aurait escompté, mais aussi d'une émotion nouvelle et beaucoup plus profonde.
- Moi aussi, je ne m'attendais pas à toi, fut tout ce qu'il trouva à dire.
L sourit. Il y eut quelque chose dans ce sourire, d'inexplicable, qui donna à Light l'envie de passer ses bras autour de sa taille et de le tenir serré contre lui pour le reste de la soirée. Il sentirait probablement ses côtes au travers de son t-shirt blanc. Ça n'avait pas de sens.
- Si je t'embrassais, maintenant, commença t-il d'une voix douce, est-ce que ça augmenterait mon pourcentage ?
- Le pouvoir de Kira se transmet, répondit L. Tu as été Kira et je n'exclus pas que tu puisses le redevenir. Mais je n'ai aucun moyen pour prouver que m'embrasser ne fait pas partie d'un scénario que tu prévoyais d'appliquer pour m'éliminer. Je te rendrai ton baiser. Mais j'augmenterai ton pourcentage. C'est le seul moyen que j'ai.
Il n'y avait pas la moindre mesquinerie sur le visage du détective, pas la moindre joie. Light lui-même n'était ni en colère, ni déçu, là où il avait pris l'habitude de l'être chaque fois que Ryûzaki le désignait comme étant Kira. Au fond, il avait prévu cette réponse, elle n'avait ainsi rien de brutal ou d'affligeant. C'était, en fin de compte, une simple énonciation des faits. Néanmoins, le détective n'avait pas l'air plus heureux que lui face à cette conclusion.
Il aurait pu embrasser L ce soir-là. Il ne l'avait pas fait.
Sous l'océan, sous l'océan
Quand la sardine " begin the beguine "
Ça balance, ça swingue
Ils ont le sable, ça c'est certain
Nous le jazz-band et les copains
On a les clim-clams pour faire une gym-jam
Sous l'océan
Les limaces des mers au rythme d'enfer
Sous l'océan
Et les bigorneaux pour donner l'tempo
C'est frénétique, c'est fantastique !
On est en transe, faut qu'ça balance
Sous l'océan...
Extrait du morceau Sous l'Océan, chanté par Henri Salvador
30 mars 2008, 13 heures 09, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key
Les projecteurs, au cours de la descente, n'eurent au final qu'une utilité très limitée, se contentant d'éclairer dans le vide. Il faisait totalement noir, et la température s'était abaissée. Ce n'était pas tant un puits qu'un nouveau canyon dans lesquels ils avaient plongé, à l'exception que les parois de celui-ci étaient si éloignées qu'on ne pouvait les apercevoir. De temps à autre, un petit poisson se faufilant souplement vers la surface provoquait chez Langlois une vive réaction de terreur absolue, et elle braquait à chaque reprise les projecteurs sur lui avec un affolement qui n'avait pas tardé à taper sur le système de Light, en dépit du fait que l'attitude du lieutenant soit amplement justifiée de par la présence éventuelle d'un monstre sous marin à l'endroit où ils se rendaient. Quand à L, il était demeuré silencieux. Il n'avait bougé que pour piocher les uns après les autres les amaretti jusqu'à ce qu'il n'en reste plus.
- Ça va, en bas ?
La voix de Smirnov vibra dans l'intérieur du Vladimir pour la douzième fois depuis qu'ils avaient entamé la descente. Langlois poussa un soupir exaspéré, tandis que Light, au téléphone, hésitait à raccrocher.
- Dis-lui d'aller se faire voir ! Lui lança Langlois avec sa compassion habituelle.
- Qu'est-ce qu'elle a dit ? S'enquit la russe, qui avait entendu la voix du lieutenant.
- Rien, rien du tout, lui assura Light. Tout va bien. Et pour vous ?
- Oh, à merveille ! S'exclama t-elle joyeusement. On vient de finir une partie de baccalauréat avec Deville, Seashell et les jumeaux, c'était fantastique ! Ah, si vous aviez vu ça, assistant numéro 2, je ne connaissais pas ce jeu, mais c'est dingue ce que les français peuvent être imaginatifs quand il s'agit de comparer leur culture !
- Fascinant, lâcha Light, regrettant amèrement d'avoir demandé des nouvelles.
Ou plus exactement, il regrettait de les avoir prises auprès de Smirnov, là où Newton aurait pu lui répondre de manière concise. Il était sur le point de mettre fin à la communication, n'ayant rien d'autre à ajouter et ne souhaitant pas, dans tous les cas, inviter le second du commandant à déblatérer une nouvelle fois sur ses activités, lorsque le sous-marin s'immobilisa.
- Hé, assistant numéro 2 ! Intervint alors Langlois en se tournant vers lui, la vivacité de son mouvement entraînant le frémissement de son épaisse chevelure frisée. Dis-lui qu'on a touché le fond.
- Qu'est-ce qu'elle a dit ? Demanda à nouveau Smirnov.
Le Death Note, qu'il conservait dans la poche intérieure de son manteau, devint alors une tentation aguichante.
- Qu'on a touché le fond, répéta Light.
- Mais qu'on creuse encore ?
- Pardon ?
- Vous ne connaissez pas l'expression " on a touché le fond mais on creuse encore " ? S'étonna Smirnov. Mon prof de maths l'avait écrite sur mon bulletin quand j'étais en 5éme. Quoi qu'en y réfléchissant bien, marmonna t-elle tristement, vous ne l'avez très certainement jamais eu sur le vôtre, vous.
- Qu'est-ce qu'on en a à foutre ? S'impatienta Langlois. Dis-lui d'aller chercher Newton.
- Qu'est-ce qu'elle dit ? Renchérit Smirnov. C'est dingue, je l'entends mais je ne comprends pas ce qu'elle raconte, ça va me rendre cinglée !
Light se retint pour ne pas souligner à quel point elle l'était déjà, n'ayant pas la moindre envie de s'attirer les foudres de Langlois. Si elle mettait en avant de manière régulière les défauts de l'équipage et ne se privait pas pour s'adresser à eux avec toute la complaisance d'un pitbull, il était néanmoins avéré qu'elle ne supportait pas les critiques extérieures. Al Qasim avait bien tenté de se lamenter au sujet du manque de sérieux de l'équipage, mettant habilement de côté ses propres crises de colère et sa paranoïa, mais s'était heurté immédiatement à Langlois, qui avait alors défendu ses collègues avec un dévouement insoupçonné jusqu'à lors. De toute évidence, elle estimait être la seule à pouvoir se plaindre de leur absurdité.
- Newton est avec vous ? Demanda Light.
- Non, il est dans la salle d'à côté, avec les autres experts. Je vais le chercher, annonça Smirnov.
- Pas trop tôt, grommela Langlois. J'ai cru qu'on en aurait pour deux heures avant qu'elle ne pige.
Elle leur fit signe de s'approcher.
- Raccroche et venez voir ce qu'on a devant nous, tous les deux. Ça vous occupera en attendant.
Ils obtempérèrent, et vinrent se placer chacun d'un côté du siège de Langlois tout en prenant garde à ne pas avoir le moindre contact l'un envers l'autre. L porta son pouce à ses lèvres. Il avait repris quelques couleurs grâce aux amaretti. Par le hublot central, le paysage éclairé grâce aux projecteurs était d'un macabre frôlant le ridicule. Hormis le sable et les pierres, la végétation abondante qu'ils avaient pu contempler autour de la fosse n'existait plus. Il n'y avait pas non plus le moindre signe de vie aquatique, quand bien même Van Lunet leur eût assuré, peu avant leur départ, qu'ils croiseraient probablement quelques espèces abyssales capables de résister aux fortes pressions de leur environnement.
- Le manque de flore n'implique pas nécessairement le manque de faune, avait-il attesté. L'évolution permet l'adaptation à tous les types de milieux possibles et inimaginables. Les animaux qui vivent au sein de la zone mésale, ou crépusculaire, se nourrissent essentiellement d'organismes planctoniques, à défaut de pouvoir être herbivores. À la profondeur où vous vous trouverez, vous devriez observer essentiellement des poissons plats et, si vous avez un peu de chance, des crustacés de type galathées.
La sonnerie du téléphone retentit, signe que Smirnov avait ramené Newton. Light abandonna le tableau lugubre des abysses, qui n'était pas sans lui rappeler le Cathare, pour aller décrocher.
- Light ? Vous êtes arrivés ?
La voix de Newton se répandant dans le Vladimir, avec son accent cartésien promettant un minimum de bon sens et de réflexion, fut accueillie non sans enthousiasme.
- Très bien, c'est parfait, dit-il après que Light ait acquiescé quand à leur position. Langlois, ainsi que je vous l'avais dit avant de descendre, les morceaux sont éloignés de quatre mètres de l'endroit où vous vous êtes posés. Je vais donc vous demander d'avancer un tout petit peu, afin de pouvoir distinguer le premier morceau.
- Ça roule, doc, fit Langlois, ne prenant pas en compte le fait que Newton ne pouvait pas l'entendre.
Le sous-marin se remit en marche, en progressant très lentement et en dégageant un nuage de poussière à l'instant où il commença à avancer. L se tenait toujours aux côtés de Langlois. Comme l'avait annoncé Newton, ils n'eurent guère à attendre longtemps pour que, inondé de la lumière des projecteurs, le premier morceau du San Rafael n'apparaisse. Lorsqu'ils furent tout près, Langlois ne put retenir une exclamation épouvantée. Le shinigami abandonna le téléphone pour considérer l'état dans lequel se trouvait les restes du San Rafael.
Le fragment devait mesurer, à l'œil nu, près de deux mètres de haut sur trois mètres de large. La dentelure présente sur les contours suggérait davantage qu'il avait été arraché du ferry, et non qu'il s'en était séparé au cours du naufrage, auquel cas les traces auraient été moins régulières. Des vestiges de la peinture rouge ayant jadis entouré le bateau étaient encore visibles. Si les micro-organismes sous-marins n'avaient pas encore entrepris de ronger la surface du bloc, des sédiments étaient en revanche en train de le recouvrir, lui donnant l'aspect d'une relique vétuste.
- Vous les avez trouvé ? La voix de Newton vint rompre le silence presque commémoratif s'étant installé dans l'habitacle.
- Oui, le prévint Light, reprenant pour l'occasion le téléphone.
- Bien. Langlois, vous serait-il activer la liaison entre les caméras du Vladimir et le Svetlana ? Van Lunet et moi-même aimerions pouvoir examiner dés maintenant les morceaux, et ce afin de formuler des hypothèses que nous espérons tester au cours de notre propre plongée.
- Je fais ça, doc.
" Doc " était devenu en très peu de temps le qualificatif favori de Langlois pour désigner les quatre experts montés à bord du Svetlana. Au départ utilisé pour s'adresser à Al Qasim, elle l'avait rapidement étendu à la totalité des scientifiques, sans faire la moindre distinction. Deville, d'un ton hésitant, avait essayé de lui faire comprendre que le terme de docteur, bien que valide de part le fait qu'ils eussent chacun en leur possession un doctorat, devait par souci de compréhension s'appliquer de préférence au médecin-légiste, mais Langlois n'avait rien voulu savoir.
Il y eut des acclamations appréciatives lorsque l'image parvint jusqu'aux ordinateurs du Svetlana.
- Ma chère, pouvez-vous vous déportez un peu sur votre gauche ? S'enquit cette fois Van Lunet. Ainsi, vous devriez apercevoir le deuxième morceau.
Langlois s'exécuta, les projecteurs se braquèrent dans la direction imposée. L'état du second fragment du San Rafael, une fois visible, se révéla semblable à celui du premier. En revanche, il présentait des déchirures indiquant que la connexion entre lui et le reste du ferry avait été naturelle, et non provoquée. En s'approchant, on pouvait également noter sur la structure du morceau une série de cavités exceptionnellement profondes qui, même sans trop de réflexion de la part d'un individu lambda, étaient spontanément reliées à des traces de dents. Ces mêmes enfoncements se retrouvèrent sur le troisième fragment, situé un peu plus loin, et qui comportait lui aussi des signes de déchirure.
Le rapport, leur avait appris Newton, faisait mention de la découverte d'une large trace de sang, aussi inattendue qu'à la limite de l'impossible, sur le troisième morceau. Aucun des scientifiques chiliens ayant eu accès aux débris n'en avait prélevé, préférant laisser cette tâche à l'équipage du Svetlana. Obligés de céder rapidement la place au navire océanographique, ils n'avaient eu le temps de réaliser qu'une description sommaire de l'état des morceaux, sans pouvoir les déplacer pour les étudier plus avant ni même faire le tour des lieux afin de trouver d'autres éléments.
Langlois, obéissant à la requête de Van Lunet et Newton, réalisa plusieurs clichés de chacun des fragments, sous différents angles. Light, fatigué de devoir répéter après le lieutenant, avait déroulé l'intégralité du fil du téléphone - d'une longueur de cinq mètres, une information qu'avait fini par leur transmettre Smirnov alors que Langlois prenait les premières photos - pour déposer le combiné juste à côté du tableau de commande, permettant à Langlois de parler directement aux experts.
- Le prélèvement de sang va être difficile, annonça Newton. Le Vladimir n'est pas équipé pour la récupération d'échantillons de cette sorte. Cela ne me plaît pas, mais il va falloir remonter ce morceau, sans quoi nous ne pourrons jamais faire des analyses plus poussées.
- On ne va pas l'endommager ? S'inquiéta Langlois.
- Non, intervint L. Les bactéries n'ont pas encore attaqué suffisamment l'acier pour empêcher un déplacement.
- Et le reste, on le remonte aussi ?
- Non, non, laissez-les où ils sont, ma chère, lui enjoint Van Lunet. Nous vous demandons simplement d'indiquer où se trouvait le troisième morceau à l'aide d'un rocher suffisamment gros.
- Et je le trouve où, le rocher, doc ? Grogna Langlois. Je vois juste du sable. Tu veux pas plutôt que je te construise une petite tour avec les bras du p'tiot ?
L pensa à Near et à ses colonnes infinies de dés. Il avait appris, un peu plus tôt dans la matinée et par le biais de Watari, qu'un nouveau corps avait été découvert au beau milieu de la chapelle de la Crucifixion du Saint-Sépulcre. L'individu, vraisemblablement de sexe masculin, avait été brûlé vif au cours de la nuit. C'était un pèlerin catholique se rendant en direction du monastère franciscain pour y célébrer la messe qui l'avait trouvé aux alentours de 4 heures du matin.
Mello était irrémédiablement braqué contre lui. Matt, sous l'épaisse couche d'indifférence qui le caractérisait, soutenait le russe. Quand à Near, il avait, d'après Roger, confectionné une marionnette à doigt le représentant d'une laideur épouvantable, celle-ci constituant la preuve de l'aversion que l'albinos, au fil des années, avait pu développer envers lui. Les contacter pour demander où ils en étaient ne reviendrait qu'à consolider leur ressentiment. Il avait agi de cette façon auparavant, et remettre ses héritiers dans la situation à laquelle ils avaient tenté d'échapper - tout du moins, deux d'entre eux - créerait une brèche entre lui et eux qui, dans les conditions où il se trouvait, ne devait en aucun cas voir le jour. Light Yagami, s'il n'avait pas la possibilité d'utiliser son Death Note sur lui ou Watari, constituait avec le responsable des disparitions une menace assez conséquente pour que L veuille éviter d'y ajouter trois adolescents en pleine rébellion contre l'autorité parentale.
Alors, Lawlipop, on arrive pas à jouer à la maman ? Pourtant, t'étais assez convaincant quand t'étais sur le dos
La ferme, Beyond
- Au risque de vous décevoir, votre édifice ne tiendra pas longtemps, les courants se chargeront de son effondrement, expliqua Newton. Voilà pourquoi une pierre serait plus appropriée. Cherchez autour de vous. La zone mésopélagique est dépourvue de verdure, mais pas de roches. Vous devriez en trouver une qui fasse l'affaire. Vous remonterez ensuite avec le bloc.
- Et t'aurais pas une idée d'où je dois aller pour trouver ton caillou ?
- Absolument aucune, déclara Newton. En revanche, nous pouvons faire un pile ou face pour déterminer dans quelle direction vous devriez vous orienter.
- Laisse tomber, maugréa Langlois. On va à droite, la gauche porte malheur.
- Ah, avant que je n'oublie, fit Van Lunet. Madame Fusili est passée. Elle voulait savoir si vous accepteriez de manger des pâtes carbonara pour le dîner.
- J'ai une tronche à ne pas vouloir manger des pâtes carbonara ?
- Ça, ma chère, je n'en sais rien, jura Van Lunet. Je vous entends, mais ne peut pas vous voir.
- Faudrait vraiment que je te fasse réviser les bases de l'humour, doc. Dis à Pronto que c'est oui. Assistant numéro deux, j'imagine que c'est oui aussi ?
Light, étant revenu à l'observation du terrain par le hublot situé de son côté, formula brièvement une réponse positive.
- Elle prévoyait également, reprit Van Lunet, de préparer un fraisier et des muffins au chocolat pour Ryûzaki, si cela lui convient.
Pas besoin de regarder le détective pour deviner son point de vue au sujet du menu lui étant réservé.
- C'est d'accord pour les desserts, doc, l'informa Langlois. Si jamais Pronto repasse ou envoie Lamelbidule, demande-lui si elle accepterait de me faire aussi une part de fraisier. C'est pas que je ne surveille pas ma ligne, mais j'ai toujours envie d'un truc sucré après avoir utilisé le p'tiot.
- Je m'en souviendrais, lui promit Van Lunet.
Le sous-marin reprit précautionneusement sa route, chacun des trois passagers gardant les yeux rivés à l'extérieur à la recherche d'une pierre dont la taille serait adaptée au remplacement du morceau allant rejoindre la surface. Les dix premières minutes, rien ne se présenta. Alors qu'ils passaient au dessus d'un champs d'éponges de verre, se dessina à leur gauche une structure colossale, qui s'avéra être, une fois mise sous la lumière des projecteurs, un cadavre de baleine.
Il était fort probable que la carcasse soit celle d'une baleine à bosse, indiqua un Van Lunet émerveillée par la trouvaille, principalement en raison de sa taille, comprise entre 10 et 14 mètres et qui la différenciait d'une baleine bleue (atteignant quand à elle la vingtaine de mètres), ainsi que de sa mâchoire, beaucoup plus longue que celle d'une baleine boréale qui se rencontrait généralement dans les eaux de l'Arctique. Les individus de l'espèce vivaient généralement seuls, ou ne faisaient que transiter dans de petits groupes pour une durée d'à peine quelques heures. La cause du décès était impossible à déterminer, cependant Van Lunet exprima de l'étonnement quand à l'emplacement du cadavre, là où la majorité d'entre eux étaient signalés dans les eaux plus profondes des océans, soit à une distance de plus de 1000 mètres sous la surface. Non loin du squelette, ils tombèrent sur un petit ensemble rocheux où les pierres leur parurent adaptées.
- Vous imaginez si j'étais passée à gauche, hein ? Ne manqua pas de se vanter Langlois. On ne l'aurait jamais trouvée !
Ils choisirent la pierre placée au milieu du bloc, plus grosse et plus large que les autres. Langlois, actionnant les bras du Vladimir, entreprit d'ôter les petites pierres bloquant l'accès à celle qu'ils avaient privilégiée, et libéra par la même occasion un nuage de poussière.
- Lieutenant, dit tout à coup L, arrêtez.
- Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Protesta t-elle, les mains cramponnées aux leviers permettant de bouger les bras comme si sa vie en dépendait.
- J'ai vu quelque chose. Arrêtez tout.
Light lâcha son hublot pour rejoindre le détective, l'idée du monstre marin traversant son esprit sans qu'il puisse l'en empêcher.
- Qu'est-ce que tu as vu ? Demanda t-il.
L tendit son index à la gauche du hublot qui lui avait été attribué.
- Là, lui montra L.
Il y avait quelque chose qui flottait dans le vide, ballotté par les mouvements provoqués par le déplacement des pierres et éclairé à moitié par les projecteurs étant essentiellement réservés à l'avant du sous-marin. C'était plat et fin, légèrement courbé. Ce n'était pas un monstre marin, mais ça pouvait, éventuellement, y être lié.
- Lieutenant, pouvez-vous pivoter sur votre droite, s'il vous plait ? S'enquit L.
Langlois obéit immédiatement. Lentement, le Vladimir tourna sur lui-même, s'immobilisant à la hauteur de leur découverte. L et Light se rendirent auprès du poste de pilotage. Dans la lumière, l'objet luisait à la manière d'une pierre précieuse polie. Quand Langlois la saisit délicatement avec l'un des bras du sous-marin, il renvoya par le hublot central un éclat vert mordoré.
- Qu'est-ce qui se passe ? S'affola Newton. Langlois, qu'est-ce que vous avez trouvé ?
Cette fois-ci, ce fut L qui saisit le combiné pour répondre.
- Une écaille, dit-il, de la fascination perçant dans sa voix. Elle doit faire 90 centimètres de long et peut-être 50 centimètres de large.
- C'est plus une écaille, c'est un plateau repas pour géant, marmonna Langlois.
- Seigneur, elle appartiendrait à l'animal que nous cherchons ? Souffla Van Lunet.
- C'est fort probable. Il faudrait la remonter à la surface pour faire des examens plus poussés, déclara L. Light, qu'est-ce que tu en penses ?
Mais Light, curieusement, ne lui répondit pas. Il regardait droit devant lui, les sourcils froncés.
- Lieutenant, finit-il par dire, vous pourriez avancer un peu ?
- Si tu veux, assistant numéro deux. Pourquoi ? Tu as trouvé un truc, toi aussi ?
Le sous-marin progressa de quelques mètres, jusqu'à ce que devant lui surgisse une pierre ronde et luisante, d'une taille équivalente à celle qu'ils avaient vu près de la carcasse de baleine. Les yeux de Light ne la quittait pas.
- Light-kun, tout va bien ? L'interrogea L, le téléphone toujours en main.
- Ce n'est pas une pierre, lui dit Light, cette fois-ci en japonais. Je peux voir sa durée de vie.
" Les yeux du shinigami permettent de voir la durée de vie
et le véritable nom de tout être humain. De manière
générale, ils offrent la possibilité de voir la durée de vie de
tout être dont le langage comprend une double articulation et
dont les signes renvoient à une signification, comme le langage
humain. "
Extrait du Code des Dieux de la mort, article XIII
Indications :
- Le WIRED est un magazine qui traite essentiellement de l'impact de la technologie sur la culture ou encore la politique, donc parfaitement adapté aux goûts de Matt.
- Moi, faire une référence à Supernova ? M'enfin, que nenni, je n'oserai jamais !
- J'ai fait un chapitre-dialogue, pour une fois. Ça devait s'arrêter après la conversation avec Matt et Mello, mais j'ai bêtement perdu le contrôle.
- Le Conrad Tokyo existe (c'est une merveille absolue tant qu'on ne voit pas les prix), mais je n'ai malheureusement pas réussi à trouver sa date de construction. Étant donné qu'il appartient au cercle des hôtels Hilton et au groupe Conrad (les deux sont liés, le deuxième a été fondé en 1982) et que les hôtels Hilton étaient présents dans 76 pays en 2009, je me suis dit qu'en ajouter un à Tokyo en 2008 ne poserait pas de problème.
- Le quartier de Minato est surtout un quartier chic d'affaires (un peu notre Défense à Paris). On peut notamment y voir la Tokyo Tower, la tour Eiffel japonaise.
- Le SCMaglev, ou JRMaglev, est un type de train à suspension magnétique japonais. En 2003, l'un des modèles (MLX01) a atteint 581 km/h. C'était le seul que je pouvais utiliser pour la métaphore, le précédent datant de 1997 (un peu trop vieux) et le suivant amenant directement au record du monde 2015 (603 km/h).
- J'ai vraiment envie de travailler davantage sur la relation entre Light et sa mère (comment ça, je suis influencée par mes études de psychologie ?). Y a tout un tas de choses qui n'ont pas été développées dans l'histoire originale concernant Light et sa famille et c'est dommage, donc je suis certaine de revenir dessus à un moment ou un autre pour voir ce que je peux en tirer.
- Pour la réaction chimique due à l'utilisation des codes, je n'ai pas fait de recherche particulière, mais ça me paraissait approprié. Si vous en savez davantage, n'hésitez pas, je ne voudrais pas dire de bêtises.
- Oui, le fil du téléphone est très long. Certains peuvent même mesurer une centaine de mètres (véridique).
- La zone mésale débute à 200 mètres de profondeur et se termine à 1000 mètres, c'est un écosystème marin tandis que la zone mésopélagique (qui comprend la zone mésale) désigne la zone où la photosynthèse n'est plus possible, et jusqu'à la profondeur où la lumière naturelle devient inexistante (vers 1000 mètres).
- Les galathées ressemblent à des crabes croisés avec des araignées. C'est pas super sexy, je vous l'avoue.
- Retenue, c'est pour les sentiments de Mello envers Near, le fait que Light n'ai pas embrassé L, mais aussi son ressenti quand à l'équipage du Svetlana.
En terme de pages, ce chapitre là est équivalent au deux derniers, mais y a moins de mots à cause des dialogues. J'espère que vous prendrez autant de plaisir à les lire que moi à les écrire, même si je ne suis pas très douée pour rédiger les joutes verbales (alors que, paradoxalement, j'adore ça). Au départ, Light ne devait pas proposer à L de l'embrasser, j'avais prévu de finir sur quelque chose d'un peu plus joyeux, mais ça rendait beaucoup moins bien que cette scène-ci, donc je l'ai gardée. J'ai même un temps penser à les faire aller un peu plus loin, mais on virait dans l'OOC, donc j'ai fini par arrêter là.
Je crois que c'est l'un des rares chapitres où la fin me satisfait complétement, avec le onzième, et où je n'ai pas envie de rajouter pleins d'autres trucs derrière. À propos du treizième chapitre, j'aimerai beaucoup le terminer pour septembre, mais je préfère éviter de promettre, on ne sait jamais. Je vous tiens au courant dans tous les cas, comme d'habitude, par le biais de l'introduction. Au sujet des Noces de Soie, comment dire ? C'est le néant total depuis deux semaines. Vous la verrez un jour, mais je reviens tellement dessus pour la perfectionner que je n'ai aucune idée de quand (hello darkness my old friend !).
Enfin, d'ici là, j'espère que vous aurez apprécié ce chapitre, et je vous souhaite de bonnes vacances d'été !
Negen
