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CHAPITRE QUINZIÈME
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Incertitude : du latin "incertitudo", caractère de ce qui ne peut être
déterminé, connu à l'avance, ou état d'une personne incertaine
INCERTITUDE
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" L'amour demeure la seule force qui transforme un individu en un être
extraordinaire et irremplaçable. "
Citation de Francesco Alberoni, journaliste et professeur de sociologie italien
18 octobre 2004, 22 heures 07, appartement de L, dixième étage du QG de Tokyo.
À la Wammy's, si l'on s'en tenait aux déclarations mi-déchirantes mi-risibles de Roger - dont l'état de nerfs semblait ne plus pouvoir s'améliorer depuis le passage de L au sein de l'orphelinat -, les choses allaient bon train dans un enchevêtrement tranquille de chaos et d'humeur joueuse. Les enfants, galvanisés à l'approche des fêtes de fin d'années et en conséquence par la moindre importance (temporaire, certes, mais existante) accordée au classement au travers de la fin des examens écrits de mi-trimestre (car chaque trimestre à la Wammy's House comportait, depuis le départ de L, trois périodes d'évaluations, soit en d'autres termes une évaluation permanente), avaient pris d'assaut trois après-midi plus tôt la grande salle commune où avaient lieu d'ordinaire les repas, et en avaient refusé l'accès aux enseignants et personnel jusque tard dans la soirée, durant laquelle une première vague de gosses surexcités avait jailli hors de la pièce. Bondissant dans tous les sens comme des cabris et échappant au personnel, qui désespérait à rétablir l'ordre, ils avaient rejoint leurs chambres en riant, et s'étaient couchés en chantant des berceuses dans toutes leurs langues maternelles, créant une cacophonie infernale qui avait résonné dans les couloirs au delà de minuit. Le mouvement, orchestré sans surprise par Mello qui supervisait la moindre action depuis une chaise elle-même installée sur une table, avait entraîné chez Roger une quasi-irrépressible envie de quitter les lieux sur le champs pour rejoindre les Maldives, tandis que madame Victoria déplorait la situation des gosses à grand coups de " mais les pauvres petits, ils sont sûrement épuisés par tous ces examens de mi-trimestre, et ils vont mourir de faim s'ils ne sortent pas. ".
Oui, mais non.
Car, quand bien l'idée eût traversé l'esprit rompu de Roger (qui dans un élan de psychopathie inavoué avait songé fermer la salle à double tour et y laisser tous les héritiers potentiels y dépérir, pour le maintien de sa santé physique et mentale et la survie de tous les membres du personnel de l'établissement), les "pauvres petits" n'étaient absolument pas morts de faim : car toute l'opération avait été montée par Mello, suivi de près par Matt, et tous deux étaient capables d'une ingéniosité remarquable dès lors qu'il s'agissait de mener à bien une anarchie. Ils avaient demandé à chaque élève de réunir plusieurs quantités de nourriture, piochant dans leurs repas et discrètement dans les cuisines, qu'ils avaient ensuite mis en commun avant le coup d'état et utilisé pour tenir tout au long de l'événement. Matt, attaché à fournir à ses camarades une ambiance propice à la rébellion, avait jugé opportun d'embarquer sa chaîne hi-fi compacte et ses enceintes afin d'accompagner musicalement la révolution. Le rythme singulier des Pink Floyd n'avait pas tardé à envahir la Wammy's, porté par les élèves qui scandaient à haute voix combien ils n'avaient pas besoin, non, d'éducation, et qu'il fallait laisser les mômes tranquilles.
La révolte avait duré jusqu'à 23h. Par delà les portes de la salle commune, les surveillants, rassemblés dans l'espoir de pouvoir attraper le moindre enfant dont la tête aurait le malheur d'apparaître dans l'embrasure, avaient entendu Mello beugler à son assemblée "Est-ce qu'il reste de la bouffe ?". Comme un "non, votre Majesté " unanime avait constitué sa réponse, il avait décidé de mettre tout simplement fin à l'insurrection. Sur ses directives, Matt avait éteint la musique, les portes s'étaient ouvertes, et, passé le premier flot de gamins survoltés, Mello et lui avaient regagnés posément leur chambre à l'étage, le tout sous les regards tout autant consternés qu'admiratifs des membres du personnel.
Depuis, Roger et le reste des individus adultes de la Wammy's House étaient, sans la moindre exception, sous tension. La crainte qu'un second soulèvement n'éclate jouait de toute évidence un rôle dans l'apparition de cette méfiance collective exacerbée, mais il y avait par dessus tout une impression de l'ensemble du personnel que la jeunesse s'était soudainement mise à bouder l'institution et ses principes.
- Les élèves fixent leurs enseignants pendant les cours d'un air mauvais, expliqua Roger, et sa voix tremblait comme s'il avait peur qu'une guerre civile prenne place entre les murs de l'orphelinat. Ils ne répondent plus aux questions qu'on leur pose, font le minimum en terme de devoirs, et les plus téméraires vont jusqu'à réfuter les allégations de leurs professeurs et t'insulter dans les couloirs. Un groupe a même déchiré les résultats du classement il y a deux jours. Je ne sais pas bien ce qu'il se passe, mais je suis prêt à parier que M leur a dit quelque chose pour les échauffer encore plus.
L et lui s'étaient donnés rendez-vous à 21h30 devant leurs ordinateurs respectifs, pour un bilan à distance concernant les derniers examens. Les informations échangées ne pouvant être communiquées à quiconque d'extérieur, le détective avait dû se résoudre à abandonner le temps de leur discussion la chaîne qui lui permettait de surveiller Light pour se rendre dans les quartiers de Watari, où avait lieu la rencontre, mais avait en compensation demandé à ce dernier de surveiller le jeune homme, tout en interdisant au second de quitter son appartement, même en cas d'urgence. Light avait accepté le règlement provisoire avec un haussement d'épaules, comme il acceptait généralement toutes les conditions de L. Il y avait de la suspicion dans sa soumission, et il n'y en avait pas en même temps. En vérité, L ne savait plus quoi penser, mais cela, c'était un autre problème, et ce n'était très certainement pas Roger qui pourrait l'aider à le résoudre.
Il ne comprend pas
Roger savait parfaitement ce qui se passait : il n'osait juste pas en parler ouvertement à L, car cela impliquait une critique contre Watari et ce qu'il avait mis en place. Or le directeur de l'orphelinat refusait de la faire ou craignait de l'exprimer. La rébellion des enfants étaient somme toute assez gentillette, si l'on prenait en compte toute la pression qu'ils subissaient au quotidien. La Wammy's, sous ses airs doucereux de refuge pour gamins surdoués, les forçait à entrer en compétition les uns contre les autres et à mettre leur génie au service d'une transformation en un prétendu modèle intellectuel. Le craquage général ne datait pas d'hier, il avait débuté bien avant, avec la première génération.
Ah, tu vois Lawlita, que j'étais un premier machin-chouette, finalement
La ferme, Beyond
Beyond avait craqué. A avait craqué. Les premiers du classement étaient toujours les premiers concernés, et un à un, ils se faisaient la malle, doucement mais sûrement, à l'image des papillons qui se brûlent les ailes en s'approchant trop près des bougies. Mais jusqu'ici, les mutineries avaient été discrètes, individuelles : les génies pétaient les plombs seuls dans leur coin et faisaient bien moins peur dans leur isolement qu'un groupe entier de jeunes prodiges menés par l'agressivité de Mello et le sens incroyablement aiguisé de l'observation que possédait Matt. La responsabilité de Near dans cette histoire était même potentiellement à mettre sur le tapis, car L se doutait bien que sous la vaste couche d'inexpression du garçon se dissimulait une attirance vis-à-vis de Mello et des perturbations qu'il créait autour de lui. Il avait lui même fait les frais de cette fascination pour la destruction et s'inquiétait de la subir à nouveau.
L n'avait jamais cautionné la métamorphose de l'orphelinat pour surdoués qu'il avait connu en usine à héritiers. Il avait toute confiance en Watari, excepté sur ce sujet, et il n'était pas rare qu'il refuse de se plier au rôle du défenseur de la justice idéal que les enseignants faisaient miroiter auprès des gamins en suivant les consignes de Watari. Il n'avait jamais été docile dans son enfance, le pire étant que cette facette de son comportement se retrouvait même chez ses successeurs potentiels, dans leur volonté de bouleversement, chez Mello, Matt et, quoi qu'il puisse en laisser paraître, chez Near. Aussi comprenait-il la démarche des enfants, sans forcément être d'accord avec les méthodes. Il l'acceptait d'autant plus qu'il y était déjà engagé : ses absences prolongées loin de la Wammy's de ces dernières années et ses refus de plus en plus fréquents de rencontrer ou d'échanger avec les élèves allaient dans ce sens. Il avait pour eux une certaine affection, renforcée par le fait qu'ils partageaient une même solitude intellectuelle. Toutefois, il éprouvait également à l'égard des gamins une appréhension doublée d'angoisse, car ils étaient lui, ou tout du moins étaient conditionnés pour être lui, et tout ce qui avait jusqu'à lors fait son unicité disparaissait dès lors qu'il se trouvait en face d'eux. Les génies de la Wammy's étaient une aide comme une menace les uns pour les autres, mais principalement pour qu'on les élevaient ainsi. Quand il les regardait, et surtout quand il écoutait Watari en parler, L se sentait vulnérable, et par dessous tout remplaçable.
Lawlita, je suis toi, et toi, tu es moi, et on doit devenir plus que l'autre. Ça veut dire que si L est un génie, alors B doit être un génie extrême. Si L est une bête de foire, alors B est une super bête de foire.
Oh, tais-toi Beyond, tais-toi tais-toi tais-toi tais-toi
Les enfants de la Wammy's étaient là pour remplir son rôle à partir du moment où il ne serait plus en capacité de l'assumer. Watari protégeait ce qu'il symbolisait par dessous tout, mais ne protégeait pas L en lui-même, et de toute façon personne ne l'avait jamais protégé pour ce qu'il était, à défaut de ce qu'il représentait. Aussi L ne pouvait-il s'empêcher d'éprouver à l'égard de l'orphelinat, qu'il avait jadis considéré comme un refuge, un mélange d'antipathie et de peur contre lequel même l'affaire Kira ne parvenait pas à faire le poids.
- L ? Faut-il que je punisse M ? Insistait Roger derrière son écran.
Punir ne servirait à rien. La punition était là depuis le départ, dans l'écrasement identitaire. Qui plus est, affliger Mello d'une énième sentence ne ferait sans doute que renforcer son désir de guérilla. Mello ne pouvait décemment être l'ordre quand Near occupait déjà cette fonction, et vouloir lui en imposer n'engendrerait que plus de chaos, soit la seule réponse que son héritier était à même de donner.
- Non, répondit le détective. Je parlerai à M. Merci, Roger.
Mais Roger n'éteignit pas son écran, signe habituel d'une fin de conversation.
- L, commença t-il non sans hésitation. Avec tout mon respect, M devient de plus en plus instable. Je ne crois pas que lui parler résoudra quoi que ce soit. Maintenant que j'y pense, le punir non plus.
Par "instabilité", Roger voulait parler des désobéissances au règlement de l'orphelinat que Mello avait accumulé au cours des derniers mois, et avaient la dangereuse tendance à se rapprocher les unes des autres. L était déjà au courant, car Watari lui en avait touché deux mots. Mais il n'y avait pas que Mello qui posait problème : de son côté, Near était petit à petit en train de se refermer sur lui-même. Dire qu'il était porté vers les autres était franchement exagéré, mais il lui arrivait parfois de communiquer, notamment avec une fille de son âge prénommée Linda, dont les résultats au classement n'étaient pas flagrants mais qui disposait d'un don exceptionnel en matière de dessin et peinture, alimenté par une mémoire eidétique. Or, du jour au lendemain, à l'instar de Mello qui avait tout à coup décidé de mettre l'établissement sens dessus dessous pour une durée indéterminée, Near avait cessé de parler, ou tout du moins avait réduit ses échanges de façon drastique, ne répondant plus que par monosyllabe et passant la majorité de son temps enfermé dans sa chambre, à construire des tours de dés. En vérité, les premiers changements dans leurs comportements étaient apparus en août, alors que l'affaire Kira subissait un point mort considérable et que le moral de L était au plus bas de sa carrière.
Tic-tac, tic-tac, le système, et patatra
Matt avait été intégré pour tenir Mello en place et avait très bien réussi jusqu'ici. Mello avait été intégré pour mettre Near en mouvement et avait très bien réussi jusque là. Le système s'était montré fiable, sans trop de surprises. Watari ne comprenait pas où était le problème, pas plus que Roger ou n'importe quel membre du personnel de la Wammy's. Il fallait être un de ces enfants particulier pour en trouver l'origine.
- À quoi pensez-vous, Roger ?
- Je ne sais pas si Watari acceptera, avoua Roger. Ni même si tu seras d'accord. Mais je ne sais plus quoi faire pour le contenir, et j'ai peur qu'il ne finisse par agir comme BB.
- M n'est pas aussi extrême que BB, intervint L.
- Pas pour l'instant. Mais il a de grandes capacités sociales, y compris un don pour la manipulation, et beaucoup de goût pour la destruction, exactement comme BB. S'il continue à avoir accès à un auditoire, surtout de ce type, il pourrait bien tous les entraîner sur une mauvaise pente, et à terme causer de gros problèmes à la Wammy's House. Je suggère de l'isoler au maximum, surtout du deuxième M qui lui fournit toujours son aide à chaque mauvais coup.
- Le mettre en quarantaine ? Reprit L.
- Oui. Réduire ses contacts sociaux de telle sorte qu'il ne soit plus concentré que sur ses performances scolaires. Être avec les autres lui donne beaucoup de pouvoir, parce qu'il sait qu'il le meilleur d'entre eux à l'exception de N et qu'il peut les manipuler beaucoup plus facilement. Si nous parvenons à limiter cette ressource de pouvoir, pour le ramener vers une situation où il est plus vulnérable, autrement dit vers son infériorité à N, je crois que nous pourrons le tenir davantage sous contrôle.
Patatra
- C'est une mauvaise idée, Roger, asséna froidement L.
- C'est la seule qui me paraît efficace, malheureusement.
- Elle vous "paraît" efficace : dans les faits, elle ne le sera jamais. M n'est pas isolable. Son complexe d'infériorité occupe une grande place dans ses comportements, ses réactions et ses choix : pour fonctionner convenablement tout en étant performant, il a autant besoin de le nourrir que de l'affaiblir, et pour l'affaiblir, il a nécessairement besoin de se comparer à moins bon que lui, c'est-à-dire aux autres. Si nous coupons cette possibilité et le forçons à se tourner uniquement vers la source d'inconfort que représente N pour lui, alors nous risquons de l'amener à un point de pression tel qu'il finira, non pas comme BB, mais comme A, parce qu'il a conscience, en son fort intérieur, qu'il ne sera jamais meilleur que N, et il ne peut pas le supporter autrement qu'en se sachant au dessous des autres enfants de la Wammy's.
- Tu penses que ça pourrait arriver ?
- J'en suis certain. M peut être BB comme il peut être A. Ce sont les autres qui l'empêche de sombrer d'un côté ou d'un autre. L'autre M et les autres enfants de l'orphelinat le maintiennent du côté de BB tandis que N le tire en direction de A. Le priver de l'un comme de l'autre serait déséquilibrer la balance et l'entraîner vers un danger plutôt qu'un autre. C'est tant qu'il conserve les deux qu'il est maîtrisable.
- Je vois, soupira Roger. Mais je n'ai aucune solution, dans ce cas, pour le calmer. Watari t'a aussi parlé de N, n'est-ce pas ? Je ne sais pas non plus quoi faire pour lui. Quelqu'un a suggéré de l'envoyer voir la psychologue, mais Mme Lector ne doit pas venir ici avant le mois prochain, et je ne crois pas qu'il serait bien prudent d'attendre en ce qui le concerne.
L'explication quand à Near était la même que celle sous-tendant l'attitude de Mello : tous deux étaient au courant des incertitudes de L vis-à-vis de l'affaire Kira et de l'exclusivité absolue de cette situation pour leur mentor. Ils étaient parfaitement avertis du fait que c'était un premier véritable cas difficile pour L, que le contrôle de celui-ci lui échappait doucement mais sûrement à mesure que ses hypothèses relatives à l'identité du suspect tombaient à l'eau, et du danger qui planait potentiellement sur tous si L ne résolvait pas très vite l'enquête, cette dernière ayan exigé qu'il s'expose. De plus, la dernière option impliquant éventuellement que la vie du détective soit menacée, ils vivaient désormais avec l'éventualité que l'un d'eux soit obligé de reprendre le flambeau plus tôt que prévu, et le fait que L ne se soit pas prononcé sur l'identité de son successeur représentait une source d'appréhension supplémentaire.
Les génies de la Wammy's, et en particulier les premiers du classement, avaient un besoin pathologique de diriger leurs existences selon leurs souhaits et d'en contrôler le moindre élément, y compris les conséquences découlant d'une décision quelconque. Or, de part sa complexité, l'affaire Kira repoussait dans ses tranchés l'organisation intellectuelle méthodique de L et limitait considérablement sa possibilité de maîtriser les événements. Bien qu'envisageant toutes les alternatives imaginables, l'élimination progressive de ses théories avait réduit le détective à ne plus être en mesure de déterminer laquelle était la plus probante, et ainsi de prédire de quelle manière pourrait se terminer l'enquête : en d'autres termes, L savait qu'il avait un train de retard, et le doute conjugué à sa nécessité de dominer le moindre détail de sa vie contribuait à l'enfoncer dans une déprime de plus en plus prononcée alors que Mello et Near, parfaitement avertis de l'impasse dans laquelle il se trouvait, s'enfermaient tous les deux dans des attitudes à l'apparence inquiétante, mais qui leur permettaient en vérité de regagner une part leur empire sur - au moins - une partie de leur réalité. Pour Mello, c'était reproduire la prise de la Bastille au cœur de l'orphelinat, tandis que Near empilait ses dés les uns sur les autres et atteignait presque le plafond de l'établissement.
Et puis il y avait autre chose, que Near et Mello avaient du sentir au cours de leurs derniers échanges avec L, et qui était bien plus menaçant qu'une n'importe quelle histoire de délai prolongé.
- N comme M ont appris ce qu'il se passe ici, dit L. Mes difficultés les inquiètent. Ça ne durera pas, Roger.
- Et si c'était le cas ? Répliqua ce dernier. Et si tu n'y arrives pas ?
Tu n'y arrives déjà plus, Lawlita. À chaque fois qu'il ouvre la bouche ou qu'il te bat aux échecs, tu sais que tu
Tais. Toi. Beyond.
Il revenait toujours à la charge quand L était coincé. Les barreaux de la prison lui avaient interdit de quitter sa cellule jusqu'à sa mort, mais lui tenait L en cage depuis bien plus longtemps, et ce n'était pas le genre de geôle pour lequel il existait un moyen de s'enfuir.
- Vous doutez de ma capacité à réussir, Roger ?
- Dans ce cas, oui. Je préfère ne pas te cacher que je suis soucieux. Parce que tu t'es exposé, d'une part, mais aussi parce que c'est la première fois qu'une affaire te demande autant de temps.
- Il y a eu beaucoup de progrès au cours de ces derniers jours, objecta L. La piste avec Yotsuba a tout l'air d'être concluante.
- Combien d'autres pistes étaient concluantes depuis que tu as accepté ce cas, L ? Ta suspicion à l'égard de Light Yagami et Misa Amane manque de preuves et tu n'es pas plus sûr de leur culpabilité que de leur innocence. Vous ne savez toujours pas comment Kira s'y prend pour tuer. Et sous prétexte de le surveiller, tu as inclus ton principal suspect dans ton intimité.
- C'était le seul moyen. Light Yagami n'aime pas ça plus que moi, si ça peut vous rassurer.
- C'est dangereux, L, très dangereux. Toute cette affaire est dangereuse pour toi, pour nous, pour les enfants et pour la Wammy's.
- Vous voulez que j'abandonne ? Suggéra sèchement le détective.
Il y eut un moment de silence, un nouveau soupir de la part de Roger. L regretta que Mello ne fût pas dans le coin pour déclencher une nouvelle émeute entre les murs de l'orphelinat et coller à son directeur un terrible mal de crâne.
- Je ne sais pas, L.
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Le calme plat régnait dans l'appartement lorsque L y entra à nouveau. Conformément à sa demande, Watari n'avait pas quitté Light Yagami d'une semelle, et le salon était vide de toute présence. Les cliquetis des doigts de son suspect sur le clavier provenaient de leur chambre. Il était un peu plus de 23 heures : sa conversation avec Roger s'était étendue au delà de l'heure unique qu'il avait escompté. Elle aurait parfaitement pu aller au delà, mais L y avait mis fin beaucoup plus tôt que ce que le directeur de la Wammy's aurait voulu. Ses accusations quand à l'incapacité du détective à résoudre l'affaire Kira, ou vis-à-vis du bouleversement que le cas avait causé à ses méthodes, avait coupé à L toute envie de porter plus loin la discussion. Il n'avait jamais aimé les reproches, tout particulièrement si ces derniers provenaient de son entourage direct et s'ils étaient fondés.
La mise à mal de la confiance de Roger dans ses aptitudes à dénicher le coupable des meurtres de criminels était désagréable, mais acceptable. Le directeur n'avait eu de cesse d'être plus méfiant avec lui que ne l'était Watari, pour la simple et bonne raison qu'il ne vivait pas avec lui et n'avait pas appris à le connaître en tant que tel : il avait retenu ses méthodes parfois drastiques, son absence de tact et son égocentrisme, sans chercher à en savoir davantage. Il se souvenait du gamin qui mettait ses professeurs dos au mur face à leurs erreurs, comme pouvait le faire Mello, et dont l'œil avait brillé d'une lueur malsaine à l'instant où il était tombée sur une première enquête difficile. Si Roger respectait L, il ne l'aimait pas vraiment pour autant. De plus, l'intérêt premier de Roger était la Wammy's House, alors que celui de Watari était le L. Dans le secret de leurs échanges, dont certains auxquels même L n'avait pas accès, ils s'étaient répartis les tâches très tôt, laissant au détective une illusion de contrôle quand celui-ci avait nommé Roger directeur de l'établissement, et même si toutes deux étaient, dans les faits, supposées avoir la même importance, il n'en était pas moins que les deux hommes en avaient l'un comme l'autre redéfini les contours, en suivant leur propre subjectivité.
Il était en revanche plus difficile de digérer le scepticisme de Quilish. Roger et lui communiquaient très fréquemment, et dans les propos du directeur se dessinait une préoccupation commune évidente. Jamais Roger n'aurait avoué ses craintes à L sans l'accord explicite de Watari, car dans le fond, il demeurait la tête de toutes les opérations et de toutes les décisions. Il avait trouvé et recueilli L, fondé la Wammy's House, construit en grande partie le symbole. Tout ce qui pouvait concerner L ou l'orphelinat passait par lui, y compris - et surtout - les alarmes de Roger. Or, il l'avait laissé les exprimer là où, d'ordinaire, il aurait plutôt choisi de les museler. La conclusion était limpide : Watari était aussi perplexe que Roger face aux hésitations de son protégé, et peut-être même le croyait-il, à l'instar de Roger, inapte à capturer Kira après l'écoulement d'une telle période de temps.
- Il faudrait peut-être envisager de laisser quelqu'un d'autre t'aider, avait proposé Roger dans un élan de courage ou de bêtise (ce que le détective n'était toujours pas parvenu à déterminer).
- Non, avait répondu L derechef.
Aider, dans le contexte, avait semblé être un synonyme de "faire à ta place".
- N pourrait...
- Non.
Non, N ne pourrait pas, pas plus que M ou que n'importe quel autre enfant de la Wammy's. Kira martyrisait l'ego de L, son intelligence et, dans une certaine mesure, ses nerfs : de publique, l'affaire était devenue personnelle. Si L ne pouvait en venir à bout, aucun autre gamin sorti des bancs de l'école n'en serait plus à même. Un miracle adviendrait-il avec l'union des deux M et de N que la chose ne serait pas plus réglée pour autant, et de toute façon L ne les autoriserait pas à se mettre ainsi en travers de son chemin. Comme un enfant, il voulait Kira et la victoire pour lui, mais se rassurait en sachant pertinemment que son infantilité n'était pas nouvelle.
Pas tout pour toi, hein ? Tu partages avec
Light était allongé sur le lit, son ordinateur sur les genoux, paisible paisible à l'image de l'Apollon du Belvédère, bien à l'abri au cœur de l'écrin doré que constituait le Vatican. Watari l'avait enchaîné au pied de lit le plus proche, de sorte que le moindre de ses mouvements était perceptible, et il patientait installé sur un fauteuil en face du lit, son propre ordinateur en fonctionnement près de lui, diffusant les images des caméras de surveillance placée aux quatre coins de l'immeuble. Tous deux levèrent les yeux vers le détective quand il se traîna dans la pièce, les mains enfoncées dans ses poches de jean, mais comme Light replongeait quasi aussitôt dans son travail après ce bref coup d'œil, Watari lui lança un regard plus appuyé et scrutateur.
- Tout s'est bien passé ? Demanda t-il.
L hocha brièvement la tête en guise de réponse, mais il n'en fallut pas plus à Watari pour deviner que visiblement, non, tout ne s'était pas si bien passé que ça. Il devait très probablement s'attendre à la réaction du détective, puisqu'il en connaissait le motif et avait lui-même contribué à le mettre en place, aussi ne se montra t-il pas insistant. En outre, la présence de Light Yagami et les soupçons portant encore sur lui tempéraient sa volonté d'échanger avec L pour le moment. Avec une lenteur délibérée, il se leva et entreprit de rassembler ses affaires. Light ne réagit pas, gardant les yeux rivés sur l'écran de son portable. Sur sa table de nuit se trouvait Le Petit Prince de Saint-Exupéry, à moitié entamé. L l'avait vu lire plusieurs ouvrages depuis qu'ils étaient enchaînés ensembles : tous avaient été ramenés par son père depuis la bibliothèque que Light entretenait dans sa chambre, mais c'était le premier dont le détective ignorait l'origine, car la majorité des livres apportés abordaient des sujets de philosophie ou étaient des romans policiers, non des contes pour enfants.
Mettant volontairement de côté la surveillance de Light, il suivit Watari alors qu'il s'apprêtait à quitter l'appartement pour rejoindre ses propres quartiers.
- Quelque chose ne va pas, L ? Le ré-interrogea t-il, cette fois d'un ton plus inquiet.
- Tu aurais pu m'en parler.
Les yeux de Watari observèrent un point dans le dos de L, qui ne pouvait être autre que l'ouverture du couloir menant vers la chambre.
- Et Light Yagami ?
- Il est enchaîné au lit et je sais tout ce qu'il y a dans cette chambre. Je re-vérifierai en revenant. Si l'un d'entre nous meurt, on saura à quoi s'en tenir, asséna t-il avec un détachement glacial avant d'en revenir au sujet principal. Toi non plus, tu ne me crois pas capable d'arrêter Kira ?
Watari soupira, en une imitation déplaisante de Roger quelques instants plus tôt.
- Je vois qu'il n'aura pas tardé à t'informer de ses inquiétudes, comprit-il.
- De vos inquiétudes, le corrigea L. Je sais qu'il n'aurait rien dit sans ton accord.
- Ce n'est pas que je ne te crois pas capable de mettre fin aux agissements de Kira, L, reprit Quilish, et sa voix avait pris une intonation paternaliste que L trouva particulièrement irritante. Je constate simplement que les choses sont beaucoup plus complexes que nous ne l'avions prévu.
- Et tu ne pouvais pas m'en parler directement ?
- J'avais espoir que Roger attendrait un peu. Nous nous étions mis d'accord la semaine dernière pour aborder le sujet avec toi dans un futur proche, mais je ne pensais pas qu'il le ferait si tôt.
- Mauvaise pioche. Mello est en pleine révolution et a pris toute la Wammy's à parti, ils ont interdit l'accès à la salle commune à tout le personnel il y a trois jours et l'ont gardé tout l'après-midi. Roger est à cran, entre lui et Near qui s'isole de plus en plus. Quand je lui ai dit que leurs problèmes venaient du manque d'avancement dans l'affaire Kira, il en a déduit qu'il valait mieux que je me retire et que je laisse ma place. C'est ce que tu veux aussi ? Que je laisse tomber comme la police et les gouvernements mondiaux ?
- Ce n'est pas ce que je veux, L, se lamenta Quilish. Je ne me suis encore suffisamment penché là dessus pour te répondre avec précision. Je voudrais que tu mènes à terme cette enquête, sois-en bien certain, mais je ne peux pas ignorer les dérèglements qu'elle entraîne et les dangers potentiels.
- Sur ma façon de faire ? Devina L.
- Pas seulement. Il y a notre exposition, bien sûr. Le délai. Le rejet de toutes tes hypothèses les unes après les autres quand à l'identité du tueur ou sa méthode. Et l'implication de Light Yagami dans notre quotidien qui, je dois te l'avouer, me préoccupe au plus haut point.
- Nous étions d'accord sur le fait qu'il n'y a pas d'autre alternative possible. Light-kun est notre principal suspect, tous les éléments jusqu'ici convergeaient dans sa direction.
- Je ne dis pas le contraire, le temporisa Quilish. Je suis simplement mal à l'aise quand au fait de le laisser accéder à une partie de nos vies qui, s'il se révèle être effectivement le Kira originel, pourrait bien l'amener tôt au tard vers la Wammy's.
- Aucune information ne lui a été divulguée.
- Pour l'instant, objecta Quilish.
Quelque chose dans sa façon de le regarder, un halo qui avait des airs de réprobation, provoqua une étrange fissure dans la confiance de L envers celui qui l'avait élevé et l'immobilisa sur place.
- Tu insinues que je pourrais volontairement dire la vérité à Light ?
- Peut-être pas volontairement, reconnut doucement Quilish. Mais il faut considérer toutes les options, L, et tu es devenu très proche de Light Yagami, ces derniers temps.
Si je t'embrassais, maintenant, est-ce que ça augmenterait son pourcentage ?
Les caméras situées dans la chambre qu'ils partageaient étaient trop nombreuses, et Quilish trop observateur, pour qu'il n'ait pas remarqué ce qui s'était passé entre eux en début de mois. La situation était alors déplorable, car les forces de police japonaises avaient mis fin sans autre explication valable que la terreur à l'enquête sur les meurtres de Kira, et avaient en parallèle ordonné à leurs agents de ne plus travailler aux côtés de L. Ce dernier savait que la perte de ses alliés, associée à l'apparition d'une soumission internationale aux pratiques justicières de Kira et par extension d'un affaiblissement de son influence, l'avaient fragilisé plus qu'il ne l'avait espéré. Il s'était un instant demandé si le fait que Light ait permis un progrès notable dans l'affaire, ainsi que son désir de rester auprès de lui jusqu'à l'arrestation du responsable, pouvait être à l'origine de son absence de résistance quand il avait demandé un contact plus intime.
- Je ne dirais rien à Light-kun, assura t-il.
- Tu lui en as déjà dit beaucoup, répliqua Quilish. Tu lui as confié certaines choses qu'il pourrait, s'il en avait l'occasion, utiliser contre toi. Plus l'enquête a du mal à avancer, et plus il apparaît que tu souhaites te rapprocher de lui.
- J'essaie de comprendre, se défendit L. Je ne vois pas d'autre solution pour découvrir comment il est devenu Kira et de quelle façon il a agit pour tuer ses victimes.
- En le laissant t'embrasser ? Pardonne-moi, mais ces derniers temps, tes limites sont floues entre la suspicion et la séduction.
L, sentant l'irritation gagner petit à petit les recoins de sa rationalité, fit un pas en arrière. Le visage de Quilish se crispa imperceptiblement, signe de sa contrariété évidente face au recul, tant physique que psychologique, du détective.
- J'aurai augmenté son pourcentage. De toute façon, je ne veux pas en parler.
- L, appela Quilish sur un ton presque suppliant. Ne te ferme pas, s'il te plaît. Ton attitude est la preuve qu'il est temps d'en parler, peut-être pas ici mais sous peu, et tu le sais très bien. Tu te tiens à distance depuis le début de cette affaire, et surtout depuis que tu es enchaîné à Light Yagami. Je peux comprendre que tu t'investisses au point de mettre de côté nos échanges personnels, mais j'ai peur que cette fois, il y ait autre chose, qui aurait également un lien hypothétique avec les comportements de N et M. Light et toi avez beaucoup de points communs, c'est indéniable, il serait parfaitement compréhensible que tu...
- Il n'y a rien, le coupa L. Rien du tout. Je suis juste impressionné par ses capacités, ça ne va pas plus loin.
Quilish eut l'air peiné par son déni manifeste, néanmoins le contexte ne se prêtait pas bien à la poursuite d'une conversation plus privée relative aux sentiments de L. Light Yagami était toujours seul dans la chambre, et bien que Watari l'eût attaché au lit et qu'il y eût pléthores de caméras aux quatre coins de la pièce, il demeurait risqué de le laisser plus longtemps sans une surveillance rapprochée.
- Très bien, capitula t-il, prenant conscience que continuer plus avant, tout du moins pour ce soir, ne ferait qu'élargir le fossé que L était en train de construire entre eux dans sa tête depuis l'expression des doutes de Roger. Nous verrons plus tard, dans ce cas, mais ce sujet devra être abordé à un moment ou un autre, L.
- Je sais, répondit-il, et sa voix était distante.
- J'ai simplement peur pour toi, lui avoua Quilish.
- Tu as peur pour L, siffla le détective.
- Tu es L, persista le vieil homme, passant sur le seuil de la porte et se tournant pour faire face au détective.
Cependant, défiant les attentes de Quilish, celui-ci refusa de s'adoucir.
- Non, affirma t-il. Tout le monde peut être L. Je suis juste le plus efficace pour l'instant.
Il n'eut le temps que de remarquer l'affaissement de la douceur sur le visage de Watari avant de refermer la porte, puis le silence retomba, à peine interrompu par le passage irrégulier des doigts de Light Yagami sur les touches de son clavier. Quand il revint dans la chambre, ce fut comme si le temps s'y était figé, car la position de Light ne s'était pas modifié d'un iota. Ses yeux parcouraient son écran comme si rien d'autre n'avait jamais existé. Dans un élan de paranoïa et de colère ne trouvant aucune autre explication que le fait d'avoir été considérablement renforcé par les réprimandes de Roger et Watari, il apostropha Light :
- Tu prépare un discours, Light-kun ? Grinça t-il. Au cas où tu serais Kira et où tu gagnerais à la fin ?
Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs
Mais Light ne s'énerva pas, contournant avec une cruauté n'étant perçue ainsi que par le détective les espoirs de ce dernier dans le fait qu'il sorte de ses gonds et ne cherche à le frapper. Car s'il avait effectivement certifié qu'un comportement violent de sa part ne pouvait découler que du précepte de l'Exode, le mondialement célèbre "œil pour œil", il lui était néanmoins déjà arrivé d'avoir recours à l'agressivité pour évacuer des frustrations. BB en avait déjà eu une démonstration du temps où il était à la Wammy's : L n'attaquait pas nécessairement avec ses poings, leur préférant la brutalité verbale d'un commentaire assassin. Il avait plus d'une fois testé la démarche avec BB, qui en dépit de sa ressemblance frappante avec lui conservait des nerfs particulièrement fragiles et sensibles aux critiques, surtout si elles étaient formulées par le modèle en chef. BB avait été une cible facile par excellence, ses réactions se répétaient en boucle avec une prévisibilité effarante: à chaque critique, il se jetait en hurlant avec la puissance d'une tornade sur L et faisait pleuvoir les coups. Il était plus fort que le détective, mais moins agile, et il avait peur malgré lui de la sentence pouvant résulter à la suite d'une agression contre l'idéal de justice de l'orphelinat. Aussi retenait-il ses attaques, mais L ne se privait pas, et BB était souvent le plus amoché des deux bien qu'il ait cogné davantage. Il était aussi arrivé à L de tester sa méthode sur A et Naomi Misora, cette dernière faisant partie des très rares personnes extérieures au système de la Wammy's ayant pu le voir de près. A, élève modèle à la différence de Beyond, s'effondrait toujours : frapper L en réponse à ses critique était contraire à tout ce qu'on lui avait enseigné et par conséquent strictement inconcevable. Naomi lui avait déjà collé une gifle, mais ça n'avait pas été pareil : il n'avait pas eu envie de frapper en retour, ne sachant pas exactement si la cause de son apathie était le genre même de Naomi ou le simple fait qu'il avait pensé, pour une fois, définitivement mériter la baffe en question.
Il avait essayé une seule fois sur Watari, au cours d'une affaire de cannibalisme très corsée durant laquelle il avait manqué de sucreries et blâmé sans relâche le vieil homme pour sa potentielle situation de déficience intellectuelle. Celui-ci avait répondu à son tour par une remarque particulièrement acerbe ayant ôté à L toute envie de poursuivre en un duel physique. Du reste, la méditation lui offrait un recours en cas de tension, mais rien de véritablement comparable à une lutte des corps, et si L jugeait qu'il se rendait d'une certaine façon esclave du sien en s'autorisant à évacuer ses insatisfactions de la sorte, il n'avait toutefois jamais complètement réussi à s'en passer.
Light, comme BB, présentait un panel de réactions face à ses assauts qui se trouvait à même de les mener vers le genre d'accrochage que L recherchait. Leurs premiers échanges, plus froids et calculateurs du temps où Light était clairement en possession des pouvoirs de Kira, n'aurait jamais pu les entraîner vers un schéma de ce type, tout simplement parce Light maîtrisait ses émotions à la perfection dans un but de contrôle des autres et de son environnement. Il savait que le moindre dérapage, même infime, pouvait augmenter la vigilance de L, aussi se montrait-il excessivement prudent dans ses comportements et n'avait jamais osé lever la main sur lui. Son attitude, guidée par le complot, exhalait des volutes d'hypocrisie vis-à-vis desquels le détective était parvenu à se mettre à distance. Le pouvoir de Kira n'avait rien ôté de sa beauté à Light Yagami, mais il l'avait rendue froide et distante, à l'image des empusai qui, en prenant l'apparence de superbes jeunes femmes, attiraient leur proie pour mieux les dévorer. L nourrissait également l'idée que ce pouvoir ait pu renforcer certains aspects de la personnalité de Light jusqu'à un point extrême.
J'essaie de faire de mon mieux. Avec les autres. J'essaie de ne pas les blesser, mais des fois, je n'y arrive pas, même si je n'en ai pas envie, et ça me fait un peu peur. C'est comme s'il y avait un fossé entre eux et moi. Je dois tout le temps me retenir.
Tu ne pense pas, pas quand ça le concerne. Tu espères, Lawlita. Tu espères trèèès fort.
Tais-toi, Beyond.
Mais depuis qu'il avait perdu les capacités de Kira, soit depuis qu'il avait été emprisonné, Light se donnait à voir dans un tout autre registre, et le changement était si drastique que c'en était effrayant, à tel point que le père du garçon s'était permis de confier son étonnement à L alors que celui-ci l'interrogeait un soir. Cela faisait bientôt deux semaines qu'ils avaient libérés Light et Misa de leur détention.
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- Vous n'avez rien remarqué chez votre fils depuis qu'il est sorti de confinement ? Avait demandé L, les doigts englués à sa petite cuillère et le cerveau à vif dans l'attente d'une réponse.
- Si, avait alors affirmé Soichiro Yagami, l'expression de son visage traduisant une sorte d'angoisse quand à ce constat. Si, il est différent. Pas beaucoup, s'empressa t-il de rajouter, mais je le trouve moins sombre. Beaucoup moins même qu'avant le début des actions de Kira. J'ai l'impression de revoir mon fils d'il y a plusieurs années, quand il était petit garçon.
- Comment était-il ?
- Enfant ?
- Oui.
Le chef de la police japonaise eut un sourire en coin. Dans un bouquin relatif au langage corporel et aux expressions faciales, celui-ci aurait eu une place de choix dans la catégorie " je regrette mon passé et j'aimerai inventer une machine à remonter le temps pour être comme j'étais avant ".
- Plutôt solitaire, avoua t-il. Il n'avait pas beaucoup d'amis...le fait est qu'il n'en a jamais eu beaucoup, mais il a toujours été très apprécié auprès de tout le monde. Il avait déjà une grande capacité d'adaptation et une très vive compréhension des gens qui lui permettait de savoir comment se rendre agréable. Il était moins discret, je crois. Nous jouions beaucoup ensembles quand j'étais à la maison et ce jusqu'à ce qu'il entre au collège. Avec Sayu, nous avions l'habitude de construire des forts dans le salon, en utilisant des vieux cartons et des draps : il jouait toujours le roi-chevalier, j'étais le dragon, et Sayu la princesse. C'était un gentil gamin. Je crois qu'il était heureux, à cette époque.
- Et maintenant, vous pensez que ce n'est plus le cas ? Comprit L.
- Je ne sais pas. On est toujours moins heureux en grandissant qu'en étant enfant, mais pour Light, ça n'a pas été la même chose. Mais j'imagine aussi que c'est du au fait qu'il n'est pas comme tous les autres. Ça a commencé au collège, je ne m'en suis pas bien rendu compte avant que Sachiko ne m'en fasse la remarque. Il avait bien quelques amis en primaire, mais il n'a jamais réussi à se lier avec personne une fois arrivé au collège. Il s'est complètement isolé dans son travail, mais aussi de nous.
- Vous avez cherché à savoir s'il s'était passé quelque chose au collège ? Du harcèlement, par exemple ?
- Non, nous..., il hésita. Je ne sais pas comment vous l'expliquer, mais nous nous sommes dit avec Sachiko que ce n'était pas le genre d'attitude que Light aurait eu s'il avait subi la violence de ses camarades, ou pire. Il a simplement pris de la distance avec nous, avec moi surtout plus qu'avec sa mère et sa sœur, pour la simple et bonne raison que j'étais beaucoup plus absent à cause de mon travail. Ça aurait pu être une crise d'ado ordinaire si on ne parlait pas de Light.
- Il ne vous a jamais dit qu'il vous détestait ? Qu'il aurait voulu être le fils de quelqu'un d'autre ? Ou à votre femme ?
- Non, jamais. Ou du moins, il ne l'a jamais exprimé verbalement, réalisa Soichiro d'un ton douloureux. Peut-être qu'en s'éloignant, c'était tout comme. Je me demande parfois s'il m'en veut de faire passer mes idéaux de justice avant lui.
- Vous n'en avez jamais parlé ?
- Non. Light est comme vous. Il préfère être discret vis-à-vis de ses sentiments, sauf dans des cas extrêmes. Et je suis pas un grand bavard moi même, donc j'imagine que ça n'a pas arrangé les choses.
- Vous pensez que votre fils aurait pu devenir Kira en partie à cause du fait que vous ayez fait passer vos devoirs avant votre famille ?
Les yeux de Soichiro Yagami luirent de douleur.
- C'est une question très pénible, Ryûzaki, articula t-il.
- Et nécessaire, répondit L du tac-au-tac. La psychologie du premier Kira était celle d'un enfant qui déteste perdre. Vous pourriez très bien être une chose perdue pour lui, monsieur Yagami, et le déclencheur involontaire de toute cette histoire. Light a vu votre dévouement complet à une cause, et la mise de côté de votre famille que vous avez vous-même opéré sans mauvaise intention. Il aurait pu se tourner vers n'importe quoi, mais étrangement, c'est la justice qu'il a choisit, comme vous, et le fait qu'il s'y soit dirigé de manière scolaire pourrait bien être lié à ses intentions en tant que Kira. Il est possible qu'il ait cherché à vous atteindre en devenant Kira, en supprimant les criminels qui vous avaient éloigné de lui et des vôtres, peut-être pas pour vous faire du mal, mais simplement pour vous ramener et vous permettre de redevenir le père qui jouait avec lui au Moyen-Âge dans le salon.
Le chef de la police ne dissimula pas sa stupéfaction - et son émotion - quand à l'analyse de L.
- Pardonnez-moi, avait-il lâché. Je ne croyais pas que vous pouviez...
- Comprendre ça ? Le coupa L. Les meilleurs atouts sont ceux qu'on cache, monsieur Yagami. D'ordinaire, je ne donnerai pas dans quelque chose d'aussi intime, mais je suis obligé de reconnaître que je me sens suffisamment en sécurité avec vous pour l'aborder. J'aimerai être aussi indifférent aux rapports sociaux que vous le pensez, cependant force m'est de constater que ça n'a jamais été le cas, et personne ne s'en doute, pas même mon entourage proche à l'exception de Watari et de vous à présent, ce qui est très bien ainsi. Maintenant, je vais vous demander de répondre.
Il y eut un silence, le temps pour Soichiro de rassembler ses pensées et d'en tirer une conclusion. De toute évidence, celle-ci ne lui fut en rien agréable, car quand il posa de nouveau les yeux sur le détective, ses traits s'étaient affaissés, en proie à une nouvelle désolation.
- Oui, avoua t-il. Oui, je..de ce point de vue, je pense que c'est possible. Peut-être.
L ne trouva pas plus de satisfaction dans cette confession que le père de Light.
- Ne le lui dîtes pas, demanda ce dernier. Ne le dîtes à personne. Tant que nous n'avons aucune autre preuve, je vous en prie. C'est mon fils. Il ne doit jamais savoir que je le soupçonne, ne serait-ce qu'un minimum.
- Vous estimez que le savoir pourrait le faire basculer du côté de Kira, s'il avait une seconde occasion d'en posséder les pouvoirs ?
Le chef de la police hocha silencieusement la tête.
- Vous croyez qu"il accepterait d'être à nouveau Kira maintenant, s'il ignorait vos soupçons ?
Le temps sembla une éternité avant que Soichiro ne réponde.
- Non. Plus maintenant. Son emprisonnement nous a rapprochés, et puis il y a l'équipe, Misa, et tu es là. Ce n'est plus pareil, désormais.
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Light était superbe, allongé sur le lit, concentré. Il était beau des pieds à la tête, et dans sa tête, ce que L ne serait jamais. Mais il y eut un éclat dans le regard du jeune homme quand il leva les yeux vers lui suite à sa remarque, un crépitement que L n'aima pas et qui le fit penser au garçon qu'il avait rencontré au début de l'enquête, celui qui était Kira.
- Bien sûr, prétendit-il. D'ailleurs, étant donné que je suis en train de rédiger tout un paragraphe sur les bienfaits du totalitarisme, je me disais que tu pourrais peut-être m'aider ?
Ils s'observèrent froidement comme deux chats sauvages visant un même territoire. Ce fut Light qui, en premier, abandonna finalement la lutte avec un soupir, sans doute trop fatigué par les récents événements pour se perdre en affrontements verbaux et corporels. L, accusant la morsure de la frustration liée à une absence de combat, se dirigea alors vers le pied de lit où était attachée la seconde menotte de la chaîne, et l'en retira pour la passer derechef à son propre poignet. Il fit ensuite le tour du lit, Light tendant le bras au maximum pour qu'il puisse se mouvoir sans trop de difficultés, et rejoignit sa place habituelle, la gauche, où il s'installa dos contre la tête en bois lustré, les jambes repliées contre son torse et les bras passés autour. Sur sa table de chevet était posé un boîtier par le biais duquel il pouvait entrer en contact avec Watari, mais il n'appuya pas sur le bouton central pour quémander, comme à son habitude, des bonbons, des gâteaux, du café, et son PC portable qui se trouvait sur le bureau d'en face sans qu'il éprouve pour autant le désir d'aller le chercher lui-même.
Alors, on boude ?
La ferme, Beyond.
- Tu n'as pas l'air bien, remarqua Light après une pause.
- Qu'est-ce qui te faire dire ça, Light-kun ?
- Tu ne fais rien, répondit le jeune homme. En général, tu ordonnes toujours à Watari de t'amener des sucreries et ton ordinateur, puis il attendit avant d'ajouter : Et tu as l'air triste.
- Tu trouves que j'ai l'air triste ? Sur quels critères ?
- Sur le critère que tu ne le nie pas tout de suite, c'est amplement suffisant. J'étais persuadé que tu allais le faire.
- Je ne suis pas triste, Light-kun, démentit alors L en se maudissant intérieurement pour son erreur et en pensant aux réprimandes de Watari l'accusant de dévoiler trop de choses à son suspect.
Pas ma faute s'il est brillant
- Trop tard pour le nier. Tu as la même tête que quand tu déprimais pour l'affaire Kira, en août. C'est ça qui te tracasse ?
- Toute l'affaire me tracasse, Light-kun.
- Même avec les progrès qu'on a pu faire ?
- Les avancées ne me posent pas de problème. Les failles, en revanche, oui.
- Tu fais référence à la méthode de Kira et à la transmission de pouvoir ?
- Oui, lui concéda L. Si tu avais été Kira quand ton père a menacé de vous exécuter, toi et Amane, j'aurai eu au moins une chance de découvrir sa méthode. Mais comme je te l'ai dit, son pouvoir a été transféré à quelqu'un d'autre, ce qui nous oblige à repartir de zéro. Aucun progrès réalisé dans l'enquête n'aura véritablement d'importance tant que nous n'avons pas le modus operanti de Kira, sachant que le connaître nous amènerait également à apprendre de quelle façon il s'y prend pour transmettre son statut. Et tu as déjà souligné le fait que tant que nous ne savons rien sur ce processus et sur comment y mettre fin, les meurtres pourront toujours être perpétrés, puisque Kira aura toujours l'opportunité d'atteindre quelqu'un d'autre sans que nous ne l'en empêchions.
- Donc il faut absolument attraper celui qui occupe le rôle de Kira maintenant et mettre en lumière sa méthode, au risque de devoir tout recommencer à nouveau, comprit Light. Je me souviens que c'était la possibilité de reprendre tout au point de départ qui te déprimait il y a deux mois, j'aurai du me douter que ce serait encore le cas.
- Entre autre. Cette fois, j'estime que nous n'avons pas le droit à l'erreur. Le laisser filer reviendrait à nous lancer à sa poursuite pour une durée indéterminée : je ne peux pas le permettre.
- Je suis d'accord, dit Light. Et l'autre point qui te contrarie, c'est que je ne sois plus Kira.
Je voulais que tu sois Kira
- Oui.
- Tu voudrais que je redevienne Kira ?
Le ton de Light s'était durci, et il n'avait pas cherché à le dissimuler. Pris au dépourvu, L abandonna son observation appuyée des draps du lit, avec lesquels il jouait du bout des doigts, pour jeter un coup d'œil au jeune homme à côté de lui.
- C'est une question-piège, Light-kun ? S'enquit-il.
- Tu es expert des questions-pièges, se railla Light. À ton avis ?
- Compte tenu de la situation, je serais tenté de dire oui, articula prudemment L. Tu as l'air de mauvaise humeur.
- Difficile de ne pas l'être quand tu passes à ton temps à m'accuser d'être un criminel de masse. Et à souhaiter que je le sois, par dessus le marché.
- J'aurai aimé que tu sois Kira pour la même raison que j'aurai aimé qu'Amane soit le second : valider mes hypothèses, comprendre ses méthodes, et boucler l'enquête. Je déteste avoir tort, Light-kun. Tu ne peux pas me le reprocher.
- Non, c'est juste que...
Il ne continua pas sa phrase, au grand dan de L qui n'avait jamais apprécié les déclarations incomplètes, en particulier lorsque celles-ci prenaient la forme d'aveux dans la bouche d'un individu occupant le rôle de premier suspect d'une affaire de meurtres en série.
- Juste que quoi, Light-kun ? Insista t-il.
- Non, c'est stupide.
- Tu es viscéralement incapable de dire quelque chose de stupide, objecta fermement le détective. C'est juste que quoi ?
Light laissa échapper un soupir. Un instant, il eut l'air de son père, quelques semaines auparavant, alors que celui-ci pesait le pour et le contre avant de confesser sa méfiance vis-à-vis de son fils.
- Écoute, je sais que tu es déçu par le fait que je sois plus Kira et que tu ne me fais pas confiance depuis le début. Je peux comprendre. Simplement, j'ai l'impression que tout le monde aurait préféré que je sois Kira après mon emprisonnement, et ça me pèse.
- Je ne te suis pas, avoua L.
- Tu voudrais que je sois Kira, pour résoudre l'affaire, reprit Light. Ton intérêt pour moi vient de là. Sans lui, tu ne m'aurais jamais regardé. Et il y a mon père, dont je n'ai jamais été aussi proche depuis que je suis le suspect numéro un. Quand je fait le bilan, Kira est tout ce que tout le monde recherche.
- Light-kun, serais-tu en train de nous reprocher, à moi et ton père, d'accorder plus de temps à Kira qu'à toi ?
- Je constate juste que de toute évidence, Kira est beaucoup plus intéressant pour toi et mon père que Light Yagami. Tu l'aurais laissé t'embrasser ?
- Quoi ?
La conversation dérivant doucement vers trop d'intimité, L songea à faire venir Watari ou un membre de la cellule d'enquête, mais quelque chose, peut-être l'expression blessée - et affreusement, oh si affreusement sincère - qu'arborait le jeune homme, l'en empêcha.
- Tu m'aurais laissé t'embrasser, si j'avais été Kira ?
Les caméras
- Ne sois pas ridicule. Je t'ai laissé le choix, tu as pris la décision de ne pas le faire, c'est tout. Je croyais que nous en avions terminé.
- Je n'ai rien fait parce que tu m'as comparé à Kira avec tes pourcentages, répliqua Light. Maintenant que j'y pense, il est même possible que tu m'aies laissé aller aussi loin avec toi parce que tu sais que j'ai été Kira et que je pourrais l'être à nouveau. Si tu avais eu Kira ce soir-là, il n'y aurait pas eu besoin de pourcentages. Tu n'aurais vu que lui, pas moi.
- Si j'avais eu Kira ce soir-là, Light-kun, je l'aurai fait arrêter. Je ne l'aurai très certainement pas invité à m'embrasser. Ce que tu prétends n'a aucun sens.
- Mais tu l'aurais vu lui, continua Light d'un ton amer. Pas moi. Tu m'associe avec Kira, mais tu ne fais pas l'inverse. Je n'existe pas en Kira pour toi, alors que tu le vois chez moi en permanence.
L n'avait jamais fait l'expérience de ce que le jeune homme lui présentait, aussi lui fallut-il un moment avant de prendre conscience du contenu sous-tendu dans son discours.
- Tu es jaloux ? Demanda t-il, et fut surpris d'en retirer une forme de satisfaction qui lui avait été jusqu'ici inconnue.
- Je n'en sais rien, maugréa Light. Je voudrais juste que tu me vois, moi. Et que mon père me voit, sans Kira. J'aimerai avoir de l'intérêt pour vous deux sans qu'il soit dans mon dos.
- Tu as changé, lâcha doucement le détective, soudainement incapable d'ajouter autre chose. J'en ai discuté avec ton père après ta libération.
- Je sais, admit Light. Je me sens perdu. J'ai des trous de mémoire, tu m'as fait remarquer qu'il m'arrive de penser comme Kira, mais je n'ai pas envie d'être Kira, et je ne comprends pas ce qui a pu faire que je le devienne.
Ça, tu sais, Lawlita. On le sait tous, nous, à l'orphelinat, et il le sait aussi, mais c'est tellement inapproprié de le dire à voix haute.
Tais-toi, Beyond.
Les facteurs pouvant expliquer la conversion de Light au rôle de Kira étaient multiples, tendant à la fois vers l'émotionnel et l'intellectuel, mais l'un d'eux ne pouvait se deviner qu'à condition d'être soi-même doué de facultés similaires aux siennes. La seule réponse plausible à la question, du point de vue du détective, était l'ennui, un ennui profond et diffus qu'il connaissait, que les enfants de la Wammy's House devaient avoir côtoyé au moins une fois dans leur vie, et par lequel Light était très probablement passé à maintes reprises. Le garçon était brillant, mais seul dans son génie jusqu'à ce que L se manifeste. Un génie isolé et ennuyé était capable du meilleur comme du pire, tout dépendait des moyens à sa disposition.
- Je n'aurai jamais laissé à Kira la possibilité de m'embrasser, répéta alors le détective. Et je ne lui aurais jamais suggéré de me succéder en tant que L. Je ne m'adressais qu'à toi. Il n'y avait pas de test.
Light eut un sourire en coin.
- Je ne veux pas devenir L, je te l'ai déjà dit.
- Tu ne veux pas être L, ni Kira. Tu ne veux pas être grand-chose, Light-kun.
- Je veux être moi, sans Kira, ce serait déjà pas mal, reconnut-il.
- Tu ferais un très bon L. Sans doute meilleur que moi.
- Ne dis pas ça. Personne d'autre que toi ne peut être L.
- Tout le monde peut être L, répliqua le détective. Il suffit d'y mettre le quotient intellectuel.
Cette fois, ce fut Light qui, sous le coup de l'incompréhension, lâcha son écran des yeux pour l'examiner.
- Tu es L, soutint fermement le jeune homme, avec une conviction davantage prononcée que Watari lorsque ce dernier avait affirmé la même chose.
- Je suis juste le premier, Light-kun. Un jour viendra où je serais dans la tombe et où quelqu'un aura pris la place vacante.
Watari devait très probablement s'arracher les cheveux, tout du moins métaphoriquement, en observant son protégé révéler de manière assez implicite d'existence de ses héritiers, mais curieusement - et après un très court débat intérieur -, L en était arrivé à la conclusion aussi dramatique que catégorique qu'il n'en avait strictement rien à foutre, pour peu que Light conserve le restant de sa vie le ton soucieux ayant enveloppé ses dernières remarques et l'arrangement troublé des traits de son beau visage comme il le laissait voir au détective. Il y avait probablement aussi une trace infime de sa perte dans l'expression de Light Yagami, mais il l'ignora délibérément, comme il avait mis de côté un peu plus tôt les avertissements de Watari. Il avait conscience d'agir à la manière d'un enfant, toutefois il n'avait eu de cesse de fonctionner ainsi depuis qu'il avait fait la connaissance de Quilish, et Light, dans tous les cas, était amené à devenir un caprice, peut-être le plus important de sa vie si les choses poursuivaient leur cours.
- Tu penses à ça aussi ? En plus de l'affaire Kira ?
- Je ne me souviens pas avoir dit que seule l'affaire Kira me posait problème. Qui plus est, il y a un lien évident entre les deux.
Light fronça les sourcils. La réponse de L, à l'évidence, ne lui plaisait pas.
- Tu ne vas pas mourir, déclara t-il, et c'était une affirmation. Je comprends que ça te préoccupe, c'est le cas pour tout le monde, mais ça n'arrivera pas. Personne ne prendra ta place.
- Au risque de te décevoir, Light-kun, je suis juste détective, pas immortel. Et mon métier est loin d'améliorer mon pourcentage de survie. Il faudra bien que quelqu'un prenne le relai un jour.
Near, pour occuper la tête de poste et la tête tout court. Mello à gauche, victime et bourreau, le revolver. Et Matt, le joker, la carte qui permettait de maîtriser les deux autres. Depuis qu'avait débuté le conditionnement des gosses de la Wammy's House, les systèmes avaient été en permanence composés de trois pièces, mais aucune association n'avait été véritablement performante (et fonctionnelle) jusqu'à ce qu'ils atteignent la quatrième et actuelle génération. Light, en revanche, était un assemblage individuel. L ne doutait pas de sa capacité à lui succéder, pas plus que son aptitude à le surpasser en raison de compétences dans le domaine social qu'il était incapable de déployer. Il lui apparaissait toutefois qu'il la craignait davantage que tous les enfants de l'orphelinat réunis, parce qu'il souhaitait garder Light auprès de lui, certes en tant qu'égal, mais non en tant que L.
- Il n'y aura jamais personne comme toi, certifia Light.
- Tu vois L en moi de la même manière que je vois Kira en toi. J'ai bien peur que nous soyons coincés sur ce point, Light-kun.
- Tout ce que je vois maintenant, c'est toi, énonça très doucement le jeune homme. J'aimerai que tu le sois plus souvent. Sans L, ni Ryûzaki, ni Ryûga, parce que je sais que ce sont des noms d'emprunts et que ça ne me rapproche pas de qui tu es. Ça me suffit pour dire que personne ne pourra jamais être toi. Pas pour moi.
- Tu es tellement différent, souffla L. Je ne comprends pas.
La lèvre de Light trembla imperceptiblement. Leurs regards se croisèrent.
- Moi non plus, avoua t-il, puis il eut un rire nerveux et triste. Je ne comprends rien du tout.
Tu sais quoi, Lawlita ? Tu es foutu.
L hésita, rien qu'une brève seconde, sur la conduite à adopter, en ayant envie sans véritablement savoir comment faire. Il y avait bien eu Beyond, mais c'était difficilement comparable. Il se rapprocha très lentement de Light, se pencha en avant, et sa tête atteignit l'épaule du jeune homme pour s'y appuyer, lui offrant une vue rarissime sur sa gorge. Il aurait aimé y poser un baiser, mais n'osa pas. Il resta un moment dans cette position, immobile, persuadé par un instinct qu'il avait rarement compris que les choses n'iraient pas plus loin. En outre, il se sentait épuisé par leur échange, abattu, et terriblement vulnérable en dépit de toutes les caméras de surveillance et la présence, d"ordinaire rassurante, de Quilish derrière les écrans de la salle de contrôle. Puis Light, qui avait mis fin à ses recherches (à présent que L voyait ce qui s'affichait sur l'écran, il se rendit compte que Light était depuis le début en train de résumer les derniers éléments de l'enquête pour mieux y trouver une faille), ferma son ordinateur, le déposant sur sa table de chevet. Il murmura :
- Viens.
Ce n'était pas un ordre, mais une demande timide aux effluves de supplique. Le détective ne lui opposa aucune résistance. Quand le bras du garçon passa avec précaution autour de ses épaules, effleurant du bout des doigts ses cheveux noirs, il se rapprocha à son tour, plus près, blottissant son visage dans la chaleur du cou de Light et glissant une longue jambe entre les siennes. Il entendit son cœur battre dans sa poitrine, régulièrement, chaque pulsation l'empêchant de réfléchir. Le corps de Light, pressé contre le sien, à peine plus musclé, dégageait une chaleur voluptueuse et sereine, purement humaine, contre laquelle Lawliet ne trouvait pas la force de lutter. Le premier Light avait été glacial, son cœur était gelé. Kira était brûlant, bouillonnant, à l'image d'un volcan en éruption ou d'un feu de forêt dévastant des centaines d'hectares. Mais Light était parfait. Il était doux et tiède, il lui faisait peur, le mettait en colère, et il le rendait infiniment malheureux et unique.
Le soupir d'aise de Lawliet buta contre son cou, attirant son attention. Sa tête pivota, leurs fronts se collèrent l'un contre l'autre. L garda les yeux baissés vers sa main, sur le torse de Light, dont l'autre main caressait son avant bras. Il ne voulait pas regarder plus haut, car il se doutait de ce qu'il y verrait, et ne se sentait pas prêt. Il avait aperçu sa chute sur le visage de Light. Ses yeux lui renverraient sa mort.
- Oh, Light, je ne veux pas de Kira, chuchota Lawliet.
Je pourrais te sauver. Si tu me laisses faire, je voudrais te sauver.
- Je ne veux pas de L non plus, murmura Light en retour, tout proche, si proche, d'une voix rauque. Je sens tes côtes. Tu es maigre.
Lawliet ferma les yeux, loin de tout, les bras de Light autour de lui.
" Le silence des Bateaux ! "
" Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, comme dirait le proverbe. C'est toutefois une première journée sans réelle progression
vis-à-vis de l'enquête portant sur les disparitions en mer. Envoyées sur les lieux depuis hier matin dans l'objectif d'entrevoir
le Svetlana, pour rappel le navire océanographique ayant reçu la charge de traiter l'affaire sur le terrain, notre équipe nous a signalé
en début de matinée son arrivée au port de Porvenir, au Chili. Après de brèves informations relatives aux caractéristiques
des disparitions de la part des chercheurs embarqués, dont les noms figurent dans la suite de l'article ci-dessous,
le navire a précipitamment quitté le port pour rejoindre Cooper Key, où avaient été découverts plus tôt
d'autre morceaux du ferry chilien San Rafael, disparu en 2007 avec 190 personnes à son bord. Depuis,
aucune équipe journalistique n'a pu avoir accès au bateau. Reste à déterminer si ce mutisme implique la découverte d'éléments
fondamentaux pour l'enquête devant être traités rapidement ou au contraire signale une difficulté inquiétante à formuler des conclusions valables... "
Libération, quotidien français
30 mars 2008, 18h30, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key
Le tableau, d'organisé et concis, n'avait mis qu'un temps négligeable à ressembler à une peinture abstraite tant les détails s'y étaient accumulés. Passée une heure de réflexion à lister, au cours d'une sorte de séance de brainstorming, les différents attributs de qu'ils avaient jusqu'à lors qualifiée d'espèce "Inconnue", Deville était revenu au laboratoire, le teint blafard et en se frottant le visage avec insistance. En entendant la poignée de la porte de salle tourner, les trois chercheurs s'étaient dans un premier temps immobilisés, échangeant des coups d'œils pleins d'effroi, puis avaient visiblement pris la décision de battre le record du monde de dissimulation des preuves, pour peu qu'il en existe un, en se ruant dans tous les sens afin de les faire disparaître une par une. Des serviettes, dont disposait le laboratoire depuis le début de l'expédition mais qui n'avaient hélas pas encore trouvé d'utilité, furent jetées à la hâte sur le tableau, l'écaille et l'aquarium contenant l'oeuf. Elles étaient trop courtes pour véritablement avoir une utilité en terme de paravent, aussi Light entreprit-il de tout simplement retourner le tableau, de sorte à ce qu'il ne soit pas visible pour les visiteurs au niveau de la porte. L'écaille fut placée dans un l'angle le plus proche du tableau, et agrémentée d'une deuxième serviette. Quand à l'aquarium, L le souleva, aidé automatiquement d'Al-Qasim et Newton, pour le replacer dans l'évier de la paillasse où lui et Light étaient installés. Il n'était pas particulièrement fâcheux que les membres de l'équipage aient accès à ce dernier, car ils l'avaient déjà vu, mais les experts s'étaient apparemment tous mis d'accord d'une manière incompréhensible sur le fait que devoir cacher une preuve, c'était devoir camoufler nécessairement toutes les autres.
Puis le brushing brun de Deville, abîmé mais encore visible pour peu que l'on connaisse le personnage, était apparu dans l'entrebâillement de la porte, et tous avaient poussés un soupir commun de soulagement.
- J'ai loupé quelque chose ? S'était enquit fort judicieusement Deville, d'une voix beaucoup plus enraillée que de coutume, mais avec une naïveté stupide paraissant incapable de faiblir dans son cas.
- Vous n'avez pas loupé la bouteille, de toute évidence, se railla Al-Qasim, avant de partir dans un éclat de rire tonitruant à sa propre blague, dans une parodie presque misérable de Vincent Price.
Les yeux de Deville lancèrent des éclairs dans sa direction.
- Vous êtes très impoli, cher confrère, se plaignit-il. C'est une crise d'herpès qui ne m'a pas loupé.
- Pourtant, je ne vois pas la moindre trace distinctive sur votre visage, mon vénéré collègue, s'aventura Newton, sur un ton se voulant amical.
- Mes crises sont très courtes, mentit Deville avec aplomb. Fulgurantes, mais brèves.
- À l'image de votre gueule de bois, ré-intervint Al-Qasim, repartant de plus belle vers son fou-rire. Vous venez sans aucun doute d'établir un nouveau record, mes félicitations ! Il faudra me donner votre astuce.
Deville, tout aussi indigné qu'il fut, parut manquer cruellement d'arguments.
- Je ne ferais aucun commentaire, finit-il par lâcher. Comme dit le proverbe, oblitus sum perpolire clepsydras.
Light, qui avait fait du latin durant ses études, leva un sourcil interrogateur. Van Lunet, pour sa part, réajusta des binocles, signalant indirectement - et malheureusement - qu'il avait compris la citation de Deville. Quand à Newton et Al-Qasim, ils semblaient eux aussi un brin perplexes.
- Votre proverbe consiste à polir les horloges ? Lança L, accroupi sur l'une des chaises les plus confortables de tout le labo.
- Hein ? Répondit Deville avec maturité et esprit.
- Ce que vous avez dit se traduit littéralement par " J'ai oublié de polir les horloges ", l'informa Light, se sentant obligé de faire une remarque dès lors que L prenait également la parole.
Et aussi, dans un sens, parce qu'il n'était pas totalement contre le fait que lui et le détective malmènent ensembles un esprit moins brillant, bien que Deville soit en possession d'un doctorat en océanologie. Du temps de l'affaire Kira, ils avaient pris un plaisir malsain à se faire les crocs sur le pauvre Matsuda, en particulier en période creuse où aucun élément ne permettait d'avancer.
- Ça ne veut pas dire " rira bien qui rira le dernier " ? Bredouilla lamentablement Deville, cherchant des yeux un soutien parmi ses trois collègues.
- J'ai bien peur que non, mon cher confrère, dit Van Lunet. On traduit généralement cette expression par Ride, si sapis , soit " Ris, si tu en as le goût ".
- Oh, fut tout ce que put ajouter Deville.
- Et bien moi, j'ai un autre proverbe latin pour vous, puissiez-vous le comprendre, s'anima Al-Qasim. C'est le Sum, ergo bibo; bibo, ergo sum, littéralement " je suis, donc je bois; je bois, donc je suis ". Parfaitement adapté à votre cas !
- Vous êtes outrageant, monsieur ! S'emporta Deville.
S'il avait eu un gant à portée de main, nul doute qu'il l'aurait jeté à la figure du médecin-légiste en un effet dramatique.
- Mes très chers collègues, par pitié, pas de dispute, les supplia Newton en agitant les bras pour capter leur attention. Nous avons bien mieux à faire que de nous crêper le chignon sur du latin. Songez que ce que nous pourrions découvrir avec cet œuf et cette écaille pourraient nous mener à résoudre partiellement l'affaire des disparitions marines.
Les deux duellistes potentiels reçurent l'hypothèse de Newton et la jaugèrent pendant trois bonnes minutes, suspendant régulièrement leur réflexion pour se dévisager férocement. Puis, comme Deville n'arrivait pas à dénicher la moindre réplique cinglante et qu'Al-Qasim, dans l'attente notable de cette réplique, refroidissait, ils acceptèrent de se plier bon gré mal gré à la revendication de leur collègue, comme le témoignèrent les grognements du médecin-légiste et le soupir de diva de l'océanologue.
- Je vous remercie pour votre bon sens, mes bien-aimés confères, roucoula Newton, à qui le conflit n'agréait visiblement pas. Deville, prenez donc place et fermez soigneusement la porte derrière vous, nous allons tout vous expliquer.
Ils se ré-arrangèrent dans le laboratoire, ôtant les serviettes, remettant le tableau et l'écaille à leur places d'origines et soulevant l'aquarium pour le remettre en évidence aux yeux de tous. Deville, comme il passait devant, se pencha pour l'observer, mais n'y repérant aucun changement, il alla s'asseoir à la paillasse voisine de celle de Light et L. Al-Qasim occupait celle juste derrière, et comme il la ré-investissait, Light l'entendit marmonner " je suis peut être outrageant, mais moi au moins, je ne suis pas un poivrot ". Il fut heureusement le seul à percevoir sa critique, auquel cas elle aurait enclenché une nouvelle altercation, probablement plus exaltée que la première.
Van Lunet et Newton se chargèrent de rapporter à Deville tout ce qui s'était passé depuis son départ : ils insistèrent sur la présence d'une taupe au sein même de l'équipage du Svetlana et sur le fait qu'il leur fallait désormais être extrêmement prudents dans la transmission des informations, avant de présenter à Deville le tableau récapitulatif de leurs dernières avancées. Celui-ci, perdu au milieu des mots, flèches, phrases, questions et petits dessins ajoutés par les chercheurs pour distinguer qui avait formulé quelle remarque, du s'approcher afin de pouvoir tout lire, au risque de faire dégringoler sa vue à un niveau plus bas que la fosse des Mariannes.
- Donc, vous l'avez vu bouger à nouveau, retint-il en s'adressant à Light.
- Oui. C'est calme depuis que nous l'avons mis dans l'eau.
Les chiffres étaient stables, plus paisibles encore qu'une vierge Marie à l'enfant.
- Les deux premiers mouvements ont été séparés de plusieurs heures, commença alors Deville, saisissant le dernier marqueur disponible, d'un beau rose pétant, ainsi qu'une petite place sous la question "pourquoi une si grosse coquille ?". Si je me souviens bien, vous avez signalé l'avoir vu bougé au début, quand vous étiez dans le sous-marin, vers 13h. Puis vous l'avez vu une seconde fois après l'avoir ramené, environ quatre heures après, et ça ne peut pas être parce qu'elle manquait d'eau étant donné que son mouvement initial a justement eu lieu dans son élément naturel. Elle bouge peut-être à intervalles réguliers en vue de l'éclosion prochaine, ce qui pourrait nous amener à observer une autre de ses manifestations dans quatre heures. En partant de 17h, cela nous amènerait donc à 21h.
Il traça ainsi son raisonnement : M-13h - M2-17h - M3-21h ?, puis ajouta après le point d'interrogation une parenthèse dans laquelle il écrivit "à vérifier". Puis, comme il reposait le marqueur pour estimer la pertinence de son idée auprès des autres, Newton s'en empara pour dessiner à côté de la nouvelle annotation une petite tour Eiffel.
- Votre théorie est très intéressante, cher collègue, releva Van Lunet, index et pouce sous le menton. Et tout aussi probable que les autres, étant donné qu'il s'agit d'une nouvelle espèce et que nous ne savons pas comment elle fonctionne. J'ajoute qu'elle est tout bonnement prodigieuse compte tenu du volume d'alcool que vous avez ingurgité ce tantôt.
- C'était une crise d'herpès, gronda Deville, ses doigts se serrant convulsivement autour de son marqueur.
- Bien sûr, c'est ce que je voulais dire, se corrigea Van Lunet, optant pour la prudence.
Light n'était pas spécialement pour laisser les chercheurs établir des théories erronées sur la base d'un mensonge, surtout dans un cas où leur survie pouvait en dépendre, mais ne voyait pas comment faire autrement, et il devait reconnaître qu'avoir L de son côté facilitait la chose.
- Si nous souhaitons la vérifier, je suggère une surveillance constante, fit Newton. Nous pourrions nous relayer en cette fin de journée, cette nuit, et pendant, disons, deux jours, afin de voir ce qu'il en est. Il suffit de nous organiser en fonction de notre ténacité, et ceux ayant généreusement gardé un œil sur l'œuf cette nuit dormiront demain, en journée.
- Et s'il ne bouge pas ? Tenta Light malgré tout.
- Il est vrai que nous avons envisagé la possibilité de l'éclosion comme une évidence, reprit Van Lunet d'un ton dubitatif et un peu déçu. Mais un œuf qui bouge n'implique pas nécessairement une sortie prochaine, vous avez raison. Je me suis laissé emporter par mon enthousiasme, j'en ai peur. Il nous faut aussi penser au fait que cet œuf n'est peut-être pas prêt de s'ouvrir, ou peut-être ne s'ouvrira jamais.
- Que voulez-vous dire ? S'étonna Newton. Le spécimen serait mort ?
- Non, je n'irai pas jusque-là, soutint Van Lunet. Il doit être vivant, puisque Light l'a vu très clairement bouger, mais j'avoue que je n'arrive pas à comprendre sa présence sur les lieux. Nous avons fait le point sur un bon nombre de caractéristiques, et aucune d'elle ne parvient à expliquer selon moi ce phénomène, ce qui me semble problématique. Je crois que nous devrions revenir dessus, essayer de nous projeter vers davantage de traits comportementaux de cette espèce.
- Au risque de vous offenser, je ne vois plus assez de place sur ce tableau pour y ajouter des éléments comportementaux, répliqua Al-Qasim.
- Il suffit de tout ré-organiser, déclara Deville. Laissez moi faire. J'ai un certain goût pour la mise en page, et nous avons un vidéo projecteur juste derrière. Je pourrais y relier mon ordinateur et taper au propre toutes les données dans un nouveau tableau en séparant le comportemental du physique, tout au long de nos analyses.
Tous approuvèrent l'idée.
- Il nous faut aussi continuer à examiner l'œuf, décréta Al-Qasim. Faire quelques prélèvements, si possible.
- C'est un œuf, cher confrère, objecta Van Lunet. Je crains qu'il n'y ait pas grand-chose à prélever jusqu'à son éclosion, et nous n'allons très certainement pas forcer quoi que ce soit.
- Si éclosion il y a, lui rappela Al-Qasim.
- C'est vrai, soupira Van Lunet. Pour être tout à fait honnête avec vous, la simple perspective que cette éclosion ne se produise pas me déprime au plus haut point. Ce serait un crève-cœur que de l'avoir trouvé pour ne jamais découvrir son contenu en chair et en os.
- Je pense que nous sommes tous de votre avis, mon cher collègue, déplora Newton. Ce serait véritablement dramatique, à la fois pour nous chercheurs, pour la science, et pour l'enquête.
- Il nous reste toujours l'écaille, leur signala Deville, étrangement optimiste (une conséquence probable de l'alcool dans son organisme). C'est loin d'être un spécimen, j'en conviens, mais elle pourrait donner des réponses satisfaisantes à certains de nos questionnements. L'avez-vous examiné durant mon absence ?
- Oui, répondit Van Lunet. Mais très peu, nous nous sommes concentrés majoritairement sur l'œuf, principalement par anticipation d'une éclosion qui nous aurait empêché de tirer des conclusions à partir de son état initial.
- Dans ce cas, le programme est tout tracé, annonça Newton. Surveillance de l'œuf pendant deux jours pour en décrire les mouvements, analyses complémentaires sur l'écaille, et je suggère également de transmettre notre progression quotidienne à L, chaque soir, en commençant par aujourd'hui. Nous devrions dès ce soir lui envoyer des clichés, car il me semble que c'est ce qu'il espérait, et lui demander s'il souhaite que nous les communiquions de même à ces messieurs du gouvernement.
- Je suis d'accord, dit L. Light-kun et moi pouvons nous charger de rédiger un premier compte-rendu de ce que nous avons pu établir dernièrement et le lui faire connaître en fin de soirée. Nous vous tiendrons informés de la sélection des informations à diffuser auprès de l'équipage et de la presse internationale dès demain.
- Ils vont nous tomber dessus pendant le dîner, râla Al-Qasim. Soyez-en sûrs. Mieux vaut dire que nous n'avons rien de vraiment concluant pour l'instant, ça fera bien l'affaire jusqu'à demain.
Deux coups à la porte les empêchèrent de prolonger leur discussion. Excepté Deville, pour qui la vivacité physique, à défaut d'intellectuelle, était vraisemblablement hors de portée suite à sa consommation de vin, tous se tinrent prêts à recouvrir tableau, œuf et écaille, mais l'individu n'entra pas. Ils entendirent en revanche la voix de Lellou - ou Pierre, même leurs voix étaient indissociables - traverser les murs avec la puissance d'un orchestre symphonique et leur annoncer l'acheminement imminent du dîner dans la salle à manger. Après avoir acquiescé, ils attendirent patiemment que le bruit des pas du garçon de service s'éloigne (et qu'Al-Qasim se soit assuré grâce au judas que ce dernier n'était pas resté subtilement derrière la porte afin de récolter des brides de conversation), puis Van Lunet reprit la parole.
- Allons manger, mes chers confrères, proposa t-il. C'est ce que nous ferions si nous n'avions aucune donnée pertinente à traiter, autant jouer le jeu. Nous reprendrons ensuite, et tâchons par ailleurs de revenir avant 21h pour pouvoir mesurer la fréquence des mouvements de l'œuf.
Avant de se rejoindre les membres de l'équipage, ils choisirent à l'unanimité de laisser tableau, écaille et œuf, bien à l'abri dans son aquarium, dans la pièce secondaire du laboratoire, là où ils ne seraient pas visibles directement, tout en conservant leurs protections au cas où un individu non identifié aurait l'idée de venir y fouiner. Puis, comme ils quittaient la salle, Deville en premier suivi de très près par Al-Qasim, L fit volte-face, clé de la porte en main. Light ne s'en étonna même pas.
Tout est toujours secret avec L, pensa t-il, retrouvant dans son constat une amertume dont il se serait volontiers passé. C'est lui qui pose les cadenas depuis le début.
Le verrou s'enclencha. L glissa la clé dans sa poche. Light, et il savait combien son désir n'était pas original, aurait donné son statut de shinigami pour voir ce qu'il y avait dans sa tête.
" Se tromper est humain : persister dans son erreur est diabolique. "
Proverbe latin
30 mars 2008, 19h07, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key
Toute petite, et un coup, un tout petit coup, contre la paroi, mais parce qu'elle est si impitoyable cette paroi, elle est épaisse, tellement épaisse, trop épaisse, et puis fatiguée, si fatiguée et petite. Mais où est maman, ne la sens plus, ne l'entend plus, et si petite dans ce minuscule espace, et un tout petit coup contre la paroi parce qu'il le faut. Doit sortir vite, et manger, mais sortir avant, puis manger après, parce que faim, très faim, depuis plusieurs jours, ne s'est pas senti bien, et un tout petit coup contre la paroi, et un autre, et un autre, et un autre.
Sortir.
" Je vis ! "
Mushu, Mulan, Tony Bancroft et Barry Cook
Indications :
- Les scènes de ce chapitre sont tragiquement disproportionnées, j'en ai conscience. J'ai même envisagé à un moment d'en faire un chapitre spécial "Souvenirs de Kira ", puisque la première scène n'arrêtait pas de s'allonger, mais je me suis rendue compte qu'il fallait vraiment ré-aborder les tâtonnements des scientifiques vis-à-vis de la nouvelle espèce pour éviter de surcharger d'informations les prochains chapitres (et j'avais déjà prévu la dernière scène, que je ne me voyais insérer comme ça à la fin de la première :P ).
- Beyond a littéralement envahi le chapitre. Il a atteint le stade de cheval de Troie pour fanfiction.
- Les empusai ("empusa" au singulier) proviennent de la mythologie grecque (quelle surprise extraordinaire ! Pardon, je suis victime de mes références) sont des démons féminins qui, selon l'orateur romain Philostrate, peuvent prendre l'apparence d'une femme pour séduire les hommes et ensuite s'en faire un rôti. Je trouvais que ça correspondait bien à Light, qui cache des désirs mégalomaniaques et meurtriers sous un très beau physique.
- Pour info, la chanson des Pink Floyd n'est autre qu'Another Brick in the Wall (part 2).
- Le Petit Prince est une sorte de référence à la relation entre L et Light : le petit prince découvre en effet que l'amour (pour sa rose), même très beau, peut avoir des épines (comme Light, parfaitement oui, Light a des épines), et je trouve que le personnage du petit prince est assez similaire avec celui de L, en terme d'étrangeté et de solitude.
- La citation de BB qui le compare à L (génie et bête de foire) est extraite du Death Note Another Note: The Los Angeles BB Murder Cases.
- Je vous ai dit que j'aimais très fort Al-Qasim, mais force est de constater que je m'attache aussi beaucoup à Deville (qui flingue allégrement la réputation française, mais ça, c'est une autre histoire). C'est le côté drama queen, je crois.
- Je ne parle pas du tout, mais alors pas DU TOUT, latin. C'est le fait de tomber par hasard en surfant sur internet sur un site de citations complétement loufoques en latin qui m'a inspiré la seconde scène (je suis un être très influençable, surtout pour les conneries).
- Incertitude, c'est d'abord pour période 2004, comprenant le ressenti de Roger et Watari vis-à-vis de Mello, Near et L, en plus des doutes de L quand à sa confiance envers Watari et sa relation de plus en plus ambigüe avec Light. Ça concerne également les soupçons de père de Light envers son fils. Côté années 2008, c'est une référence au fait que les chercheurs (et L et Light) ne savent pas ce qu'il va se passer avec l'œuf, ni qui pourrait être la taupe sur le bateau.
- Oui, vous avez bien lu, j'ai utilisé une citation de Mushu. J'assume totalement ;).
- Bande-son : première scène à compter du moment L-Light, Whispers and Confessions de Trevor Morris (toujours la BO des Tudors)
Tout d'abord, une très bonne année 2017 à toutes/tous !
Je vous présente toutes mes plus plates excuses pour mon retard de ce début d'année (il semblerait que ce soit récurrent, shame, shame, shame !) et vous remercie mille fois pour votre patience et vos reviews : comme vous avez pu le voir, la première partie de ce chapitre est très longue (elle a été beaucoup plus dense que prévu), et j'avoue avoir eu beaucoup de mal à l'écrire, étant donné que je n'ai pas cessé de me demander si je n'entrais pas trop dans l'OOC à chaque nouvelle ligne (oui, c'est pathologique, complètement, je désespère). Cela dit, cette scène constitue un premier fragment pouvant expliquer la rancœur de L et Light l'un envers l'autre, et je me suis dit que je ne pouvais pas laisser deux tentatives de baisers (ratées, MWOUHAHAHA, oh, navrée) sans un contenu plus étoffé derrière. Dans tous les cas, je savais que je devais aborder cette scène à un moment ou un autre, et j'ai conclu que c'était à cet endroit qu'elle serait la plus appropriée :). Mais ce n'est pas fini, bien sûr : comme je vous l'ai dit, j'ai prévu encore quelques retours sur l'affaire Kira pour développer un peu plus en détail la relation entre L et Light. J'espère quoi qu'il en soit que vous aurez aimé ce chapitre et que vous l'aurez trouvé aussi cohérent que possible !
Je nourris malheureusement les mêmes craintes de retard (je vais finir par m'acheter des t-shirts et des sweaters pour bien mettre en avant mon non-respect des délais initiaux) vis-à-vis du seizième chapitre, puisque je suis effectivement supposée effectuer un stage de 500h à compter du mois du mars, à temps plein, ce qui devrait m'amener à terminer vers le mois de juin/juillet, tout en continuant mon mémoire de recherche pour une soutenance en mai, avec en parallèle la présentation de ma candidature à des financements doctoraux (je vous épargne les détails XD) et des partiels de fin de semestre vers avril/mai. Du coup, je suis quasiment certaine de manquer de temps pour pouvoir écrire correctement jusqu'aux vacances d'été :( . Toujours en suivant mon délai habituel, le seizième chapitre devrait paraître en juillet, mais je préfère le décaler au mois d'août (fin mois d'août, je ne me connais que trop bien, je suis vraiment, vraiment désolée !) par sécurité, et vous tiendrais bien entendu au courant si je suis obligée de reculer encore la date au mois de septembre.
Quand aux Noces de Soie...oh, dîtes-donc, est-ce que vous avez vu Rogue One dernièrement (va se chercher une corde) ? Plus sérieusement, à moins d'un miracle me permettant de gérer correctement les deux histoires à la fois (mais je ne me fais pas d'illusions), je ne la publierai qu'à la fin de Downtown Abyss, ce sera beaucoup plus prudent. Surtout que plus je travaille dessus, et plus je me rends compte qu'elle devient aussi étendue que DA (que voulez-vous, on s'emballe, on s'emballe, et puis voilà :P).
Sur-ce, en attendant qu'il fasse un peu plus chaud (quand je pense que le dernier chapitre est sorti alors qu'il faisait 40 degrés...mais où sont-ils ?), je vous souhaite pleins de bonnes choses pour cette nouvelle année, et vous remercie encore pour votre indulgence quand à mon retard et vos encouragements ! Je croise les doigts pour vous retrouver tranquillement en août avec le seizième chapitre !
Negen
