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CHAPITRE SEIZIÈME

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Surprise : déverbal de "surprendre", du latin "prendere"

avec le préfixe "sur", état de quelqu'un qui est frappé par

quelque chose d'inattendu, ou événement inattendu.


SURPRISE

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D'après nos sources les plus récentes, l'expédition menée à bord du navire océanographique américain Svetlana, partie depuis

presque cinq jours du port de New-York/New Jersey pour enquêter sur les mystérieuses disparitions de bateaux de ces derniers mois, aurait enfin

mis la main sur des éléments intéressants pour la résolution de l'affaire. À Cabo Cooper Key, les chercheurs participant à l'expédition,qui devaient

au départ analyser les fragments retrouvés par hasard du ferry chilien San Rafael disparu en décembre 2007, ont fait une découverte

encore plus stupéfiante : une écaille géante, qui appartiendrait visiblement à la créature responsable des attaques, mais aussi et

surtout une pierre qui pourrait bien se révéler être un œuf. La suite dans un reportage signé Christophe Legrand et Hélène Petitpas.


30 mars 2008, 23h09, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

- Pourquoi penses-tu que l'oeuf se trouvait là ?

Conformément à leur emploi du temps habituel depuis leur premier jour en mer, L et Light avaient regagné le laboratoire immédiatement après le dîner en compagnie de l'équipage : cette fois, en revanche, ils avaient été imités par l'ensemble des chercheurs désirant poursuivre les analyses sur l'oeuf et l'écaille ainsi que l'observation du prétendu phénomène d'éclosion chez le premier, et qui, pour ne pas paraître plus suspects qu'ils ne l'avaient été au cours du repas, avaient chacun prétexté une raison insolite, à défaut de véritablement pertinente.

- Crise d'herpès, avait avancé Deville, qui était de toute évidence convaincu dur comme fer que l'excuse de la crise d'herpès pouvait résoudre le moindre de ses problèmes.

Il allait également sous-entendre que poser l'écaille sur l'endroit touché pourrait constituer une méthode de guérison potentielle, mais Newton l'avait interrompu subtilement en lui proposant du sel pour ses tortellini.

- Aider le français à se remettre de sa gueule de bois, avait enchaîne Al-Qasim, n'ayant toujours pas décollé de l'état antérieur de Deville et que ce dernier avait alors gratifié d'un regard noir et boudeur.

- Vérifier ma culture de cellules atteintes d'un nouveau virus de la rage, avait annoncé Van Lunet, provoquant une réaction d'effroi pure et simple dans la salle à manger mais parvenant à faire oublier un bref instant les nouvelles découvertes à la totalité de l'équipage.

La remarque du biologiste lui valut par ailleurs de nombreuses questions emplies d'angoisse de la part de l'équipage sur la situation de la dite culture cellulaire (la plus fameuse étant celle d'un des quatre graisseurs travaillant sous les ordres de Ber, Thalaathah, qui voulut absolument savoir si les chameaux pouvaient contracter la maladie) et manqua de peu d'entraîner l'annulation de l'expédition, l'évacuation du navire dans les six canots de sauvetage ainsi que son immolation par napalm, le tout sur la Rhapsody in Blue de Gershwin car, comme l'avait précisé Langlois, "les feux d'artifices, c'est vachement mieux en musique ! ". Cette extrémité fut empêchée par un commentaire suffisamment bien tourné de Van Lunet, qui leur assura à tous que ce virus précise de la rage ne pouvait être transmis qu'en cas d'ingestion de thon rouge, principal vecteur de la nouvelle de la maladie.

- Mais, si vous me permettez cette correction, cher collègue, la rage se transmet entre animaux à sang chaud, avait objecté plus tard Newton, qui craignait pour la validité de l'excuse de son confrère.

- Absolument, lui avait certifié Van Lunet, parfaitement sûr de lui. Mais cela, l'équipage l'ignore, et je doute que leurs natures respectives les amènent à faire des recherches plus poussées sur le sujet.

- Il est à tout à fait avéré qu'ils suivent beaucoup plus qu'ils ne réfléchissent, avait renchérit Al-Qasim d'un ton de conspirateur.

- Et en outre, j'interviens en faveur de l'environnement. Le thon rouge est en danger d'extinction : moins il est mangé, plus il peut se reproduire. Je fais d'une pierre deux coups.

- Tout à fait brillant, mon vénéré confrère, l'avait admiré Newton.

L et Light, échangeant un coup d'oeil, gardèrent pour eux l'idée qu'il suffisait d'un démenti d'une personne un peu plus éclairée auprès de l'équipage pour faire voler en éclats la couverture de Van Lunet. De plus, l'excuse de Newton résidait dans le fait qu'il souhaitait étudier la dynamique des tartes aux pommes dans le laboratoire, ce qui rentrait fortement en contradiction avec à la fois le fait que le laboratoire était, justement, dépourvu de nourriture et plus particulièrement de tartes aux pommes, mais aussi le fait que Newton n'avait demandé aucune préparation culinaire à Pronto.

Pour leur part, ils n'avaient eu aucun besoin d'inventer la moindre excuse. Ils étaient entrés malgré eux dans une routine à bord du Svetlana qui était connue de tous et leur statut de représentants du plus grand détective mondial leur assurait une forme de respect de la part de l'équipage dont ils étaient pleinement satisfaits. En effet, sous l'épaisse couche apparente de leur démence incompréhensible, les membres de ce dernier les laissaient étonnamment tranquilles en comparaison des quatre autres chercheurs. Chacun d'eux avait eu le droit à un nombre indécent de questions sur sa vie privée, ses goûts, son travail, à n'importe quel moment de la journée et de la part de n'importe qui. Il n'avait pas été rare au cours de ces quatre jours de navigation qu'un membre de l'équipage surgisse au beau milieu du laboratoire pour demander à Al-Qasim s'il avait déjà essayé de coudre ensembles des parties de corps humain et de leur faire prendre un coup de jus, ou pour savoir si Van Lunet était précisément myope ou atteint d'un strabisme prononcé. Dans tous les cas, L comme Light n'avait pas eu à subir la moindre remarque. Les membres de l'équipage les traitaient avec une déférence qui frôlait la vénération religieuse, L en particulier. En son for intérieur, Light soupçonnait que l'étrangeté du détective était à l'origine de cette considération : l'équipage du Svetlana avait probablement reconnu en L un semblable en termes de comportements, à défaut d'intellectuel, bien que le shinigami commençait à entrevoir chez certains des capacités prometteuses, sous-jacentes à un esprit beaucoup plus vif qu'il n'y paraissait. Lui même avait joué la carte du masque pendant longtemps et il en reconnaissait encore plusieurs signes distinctifs.

En ce qui le concernait, il lui semblait que l'équipage avait un peu peur de lui. La fascination qu'ils avaient pour L se muait en une crainte révérencieuse dès lors qu'ils s'adressaient au shinigami. Il ne pouvait guère le leur reprocher, car son séjour prolongé au Cathare l'avait rendu amer, froid, et avait impacté son physique jusqu'à lors engageant, mais il ressentait toutefois les relents acariâtre d'une ancienne jalousie lui enserrer le cœur quand il se voyait faire un maximum d'efforts pour rester courtois auprès de l'équipage et n'en récoltait que plus de méfiance, alors que L, distant et excentrique, raflait toute son affection.

Et la tienne avec

Mais il ne voulait pas penser à ça, pas maintenant.

Tout le monde aime L, mais lui n'a jamais aimé personne, même pas toi.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il lui fallait penser à autre chose, se remplir la tête de théories et de possibilités à mille lieux d'aborder ce qui était venu avec lui dans le Cathare, l'avait poursuivi sans relâche, et lui donnait parfois l'impression d'être dévoré vivant. À sa question, L lui adressa un regard appuyé, comme s'il se doutait que le seul but de Light était de dévier le cours de ses idées par une réplique banale et, au fond, sans véritablement intérêt, car il savait parfaitement ce que le détective voulait dire.

- Il n'y avait aucune trace de nid, expliqua alors L. Pas plus que d'un spécimen adulte de la créature que nous cherchons. Van Lunet a raison. Quand on y regarde de près, ça n'a pas de sens.

Le tableau avait été vidé et nettoyé grâce à la prise de notes de Deville, qui s'était révélé d'une efficacité sensationnelle sur ce point et d'une précision chirurgicale ayant stupéfié tous ses collègues, L et Light compris. Les notes, rassemblées sur un powerpoint, étaient détaillées et soigneusement organisées par thème, par importance et selon la personne ayant formulé l'hypothèse ou la remarque. Par sécurité, Deville les avait même copiées sur un fichier Word et envoyé par mail, par le biais d'un message codé, à la totalité des chercheurs présents sur le Svetlana. Ni L ni Light n'étaient les seuls à s'être procuré un ordinateur portable pour travailler à bord du navire ou communiquer à l'extérieur : les experts en étaient également équipés de manière individuelle, et chacun y avait intégré des éléments propre à sa profession et susceptible d'être utile pour l'enquête. Celui de Deville, auquel ils avaient involontairement eu accès lorsque ce dernier l'avait branché au projecteur du laboratoire, contenait, au delà des fiches informatives sur les maladies de peau, une série de documents relatifs aux mouvements des masses d'eau, à la faune et à la flore sous marine, aux phénomènes des littoraux, mais plus particulièrement sur les fonds abyssaux. En fouillant dans ses fichiers pour enregistrer le powerpoint, Deville avait également révélé qu'il avait écrit plusieurs articles sur le sujet.

- Êtes-vous spécialisé dans l'étude des grands fonds océaniques, très cher collègue ? S'était permis Van Lunet, en réajustant sa paire de bésicles sous l'intérêt.

- En effet, lui avait confirmé Deville. C'était mon sujet de thèse de doctorat. Et je suis fasciné en particulier par la faune abyssale, surtout par la découverte d'espèces jamais mises en avant jusqu'ici. C'est l'une des raisons qui m'ont poussé à accepter cette expédition, sachez-le. Quelle que soit la chose que nous allons découvrir, je compte bien mettre mon nom dessus.

- Plaît-il ? Était alors intervenu Al-Qasim.

Il s'était procuré une pipe pour la soirée, celle-ci faisant vraisemblablement partie de ses bagages, mais ne la fumait pas, en accord avec les consignes à bord, ce qui lui donnait l'air d'un intellectuel un peu à la masse.

- Je rêve de ça depuis que je me suis engagé dans cette discipline, avait alors avoué Deville non sans une pointe d'émotion dans la voix. Tous mes confrères ont un animal ou une plante à leur nom : certains vont même jusqu'à nommer des formations rocheuses ! Je n'y peux rien, ça me donne des complexes.

- Des complexes ? S'était moqué Al-Qasim. Vous en auriez moins si vous arrêtiez de prétendre que les cachalots peuvent manger des hommes !

- J'ai dit que j'étais spécialisé dans la faune abyssale, s'était défendu Deville. C'est mon domaine, mes connaissances, mon courant !

- Très beau jeu de mot, cher confrère, avait admiré Newton, sans doute pour essayer de calmer un peu le jeu entre les deux autres chercheurs.

- Votre courant ? Avait renchérit Al-Qasim, haussant la voix pour exprimer de toute évidence son indignation. Mais vous êtes océanologue, mon vieux ! Vous êtes supposé avoir des connaissances sur tout, je me trompe ?

Deville avait ouvert des yeux ronds comme des soucoupes, se donnant l'air d'un hibou outré.

- J'ai suffisamment de connaissances pour dire que vous allez beaucoup trop loin, monsieur ! S'était-il écrié. Je suis passionné de faune abyssale et je suis spécialisé dans la faune abyssale, un point, c'est tout. Tout ce qui se passe au dessus de 2000 mètres ne m'intéresse plus depuis que j'ai réussi les examens sur le sujet !

- Et ce qui détruit les bateaux vit au dessus des 2000 mètres, au cas où vous l'auriez oublié ! Lui avait alors rappelé Al-Qasim. Vous comptez toujours lui donner votre nom ?

- Mais oui ! Avait crié Deville, plus rouge de colère qu'une bouteille de bordeaux. Parfaitement, monsieur !

- Et pourquoi donc, peut-on savoir ? Avait insisté Al-Qasim, qui prenait lui aussi de belles couleurs malgré sa peau hâlée.

- Parce qu'elle va dans les abysses, tout simplement !

Le constat avait jeté un froid absolu dans tout le laboratoire. Van Lunet, abasourdi, avait ôté sa paire de binocles et l'avait gardée à la main, maintenue entre son pouce et son index, tandis que Newton, qui énumérait jusqu'à lors leurs dernières trouvailles à l'aide de powerpoint de Deville avec une longue baguette d'acier, maintenait cette dernière en l'air à l'endroit même où avait été inscrite l'interjection " quoi ?". L, accroupi sur un des tabourets de la paillasse où avaient été installés oeuf et écaille, avait observé Deville de ses yeux noirs comme s'il avait voulu lui percer un trou dans le crâne et rentrer au cœur même de son cerveau. Al-Qasim, quand à lui, eut la bonté d'exprimer l'état général en ouvrant la bouche pour émettre un superbe :

- Pardon ?

Qui rompit le silence et fit que Newton se tourna avec une moue dubitative vers la présentation numérique, probablement décontenancé que le médecin-légiste n'ait pas eu recours au "quoi" qu'il désignait si généreusement.

- Quoi, "pardon" ? Avait repris Deville, visiblement un peu mal à l'aise.

- Comment le savez-vous ? L'avait interrogé L.

- Comment je sais quoi ?

Le regard de L s'était rétrécit. Light avait pris la parole, se faisant violence pour ne pas se montrer trop cassant.

- Que l'espèce I va dans les abysses.

- Et surtout, comment se fait-il que vous n'en parliez que maintenant ? Avait grondé Al-Qasim, ayant repris du poil de la bête et prêt à relancer le combat.

- Vous m'avez poussé à bout, s'était justifié Deville. C'est une supposition forte, mais pas un fait vérifié, c'est également pour cela que j'ai choisi de ne pas en parler tout de suite. Je comptais le faire quand nous aurions fini le récapitulatif des caractéristiques de l'espèce après quelques tests supplémentaires.

- Avec tout votre respect, mon bien-aimé confrère, il s'agit là d'une caractéristique majeure, était intervenu Van Lunet, qui n'avait par ailleurs toujours pas remis ses bésicles. Pourriez-vous prendre le temps de nous expliquer ce qui vous a mis la puce à l'oreille ? Je crois que nous serions tous très intéressé de le savoir, et si besoin, nous ferons les tests tout de suite.

Un bref instant, Light avait cru, en voyant le visage de Deville se fermer légèrement, que celui-ci bluffait pour légitimer son droit de nommer la créature. Il avait cependant réprimé ses soupçons à compter du moment où l'expert s'était repris et s'était adressé à son assistance d'une voix déterminée, un fait rare de la part de l'océanologue qui n'avait alors pas vraiment eu l'occasion de briller par son caractère.

- J'y ai pensé tandis que je me remettais de ma gueule de b...ma crise d'herpès foudroyante, s'était-il repris immédiatement avant d'apostropher Light et L. Vous nous avez dit que l'écaille luisait quand vous l'avez vue dans la zone mésopélagique, or, comme vous le savez, il n'y a pas de lumière possible à cette profondeur. La plupart des espèces abyssales, et j'entends par là les espèces qui vivent dans la zone abyssale qui est comprise entre 4000 et 6000 mètres de profondeur, ont pour caractéristiques la bioluminescence, c'est-à-dire la capacité à produire eux-même leur propre lumière. Comme les rayons du soleil peuvent pénétrer dans les étages supérieurs des océans, cette aptitude n'y a jamais été observée. Qui plus est, la nouvelle espèce est supposée être suffisamment massive pour réduire un bateau en miettes, et les cas de gigantisme des profondeurs sont très fréquents.

- C'est une théorie tout à fait remarquable, cher collègue, avait reconnu Newton. Et très probablement avérée, puisqu'elle pourrait expliquer en partie, je dis bien en partie, la présence de l'œuf et de l'écaille à cette profondeur.

- J'ai néanmoins quelques réserves, avait avoué Deville. Le problème réside dans la validation du phénomène : tout d'abord, tant que nous n'aurons rien testé, rien ne prouve que la lueur que vous avez aperçue n'était pas du aux projecteurs du sous-marin. Ensuite, la difficulté réside dans le test lui-même. Qu'il s'agisse de bioluminescence intracellulaire, extracellulaire ou de bactéries symbiotiques, la capacité est très souvent perdue lorsqu'une partie du corps de l'espèce en est détachée.

- Par conséquent, si l'écaille ne produit pas de la lumière pendant les tests, nous ne pourrons rien affirmer tant que nous n'aurons pas vu un spécimen dans les profondeurs abyssales.

- Si le test échoue, j'en ai bien peur, oui, avait soutenu Deville d'un ton penaud. La question réside également dans l'œuf que vous avez ramené : s'il s'agit bien d'une espèce douée de bioluminescence, nous sommes en droit de nous demander pourquoi ce qui vit sous cette épaisse coquille ne luisait pas quand vous l'avez repéré.

- À cela, mon honorable confrère, permettez-moi d'émettre une hypothèse, avait avancé Van Lunet, et il remit diligemment ses lorgnons en place sur le bout de son nez. Pour ma part, je suis persuadé que tout réside dans cette coquille : elle est tellement dure et consistante qu'à mon sens, aucune lumière ne pourrait filtrer au travers. Le spécimen se trouvant à l'intérieur doit alors grandir, si nous admettons la théorie de la bioluminescence, avec sa propre lumière.

- Que nous ne pourrions pas voir à cause de la coquille, avait complété Al-Qasim. Je suis forcé de reconnaître que malgré vos défauts, Deville, votre hypothèse tient la route.

Deville avait grommelé quelque chose en français qui s'apparentait fortement à un juron.

- Nous devrions le noter, avait lancé Newton. Si cela peut vous rassurer, cher collègue, toutes les caractéristiques de l'espèce I que nous avons répertorié pour le moment sont théoriques, et ne pourrons de toute façon être vérifiées qu'avec un véritable spécimen sous les yeux, ce qui, je l'espère, ne saurait tarder d'arriver. Je pense qu'il serait également judicieux de procéder dès à présent au test de la bioluminescence, si vous n'y voyez pas d'inconvénients. Il me semble qu'il éclairerait, sans mauvais jeu de mot cette fois, plusieurs éléments de cette enquête et nous permettrait d'envoyer à L un compte-rendu beaucoup plus détaillé, à moins que vous ne l'ayez déjà fait, Ryûzaki.

- Pas encore, avait annoncé le détective. Je prévoyais de le faire en fin de soirée, suite à nos analyses, ainsi que nous l'avions prévu.

- Light ?

- Je n'ai rien transmis non plus, lui avait confirmé le shinigami d'un ton rassurant.

- Parfait, avait conclut Newton. Cela nous laisse donc la possibilité de tester la bioluminescence sans devoir ensuite refaire un rapport, ce qui je pense sera beaucoup plus intéressant pour L que de recevoir des informations en décalé. Bien, je vous propose de commencer dès maintenant, si vous êtes tous d'accord ?

- Nous en serions ravis, mon cher confrère, avait affirmé Al-Qasim. L'ennui, c'est le test.

- Comment donc ?

- Le test, Newton, avait répété le médecin, visiblement un peu agacé par l'incompréhension de son homologue. Comment comptez-vous vérifier de la bioluminescence, surtout sur un spécimen non vivant ?

- Si mes souvenirs sont bons, s'était manifesté Van Lunet, le test dépend du type de bioluminescence. Ainsi que Deville nous l'a expliqué plus tôt, il peut s'agir d'un phénomène intracellulaire, c'est-à-dire que la réaction est provoquée soit par des cellules spécialisées soit amplifiées par des systèmes réfléchissants, comme chez les lucioles, par exemple. Ou alors, la bioluminescence est extracellulaire, et dans ce cas, elle provient d'une réaction entre une molécule, appelée la luciférine, et une enzyme, la luciférase, et je prie pour que ce ne soit pas celle-ci car le test pour la vérifier nécessite de synthétiser les deux, ce qui nous prendrait un temps infini et requiert du matériel très spécifique. Et pour finir, elle peut être lié aux photophores : ce sont de minuscules cavités qui renferment des bactéries luminescentes et qui sont reliées au système nerveux, pour que l'animal puisse contrôler le phénomène.

- Laquelle serait la plus simple à vérifier ? S'était inquiété Newton.

Deville avait répondu par une grimace d'embarras éloquente, signe qu'il avait lui même étudié la question et que toute l'authenticité de sa théorie y était attachée.

- La troisième, avait asséné Van Lunet. C'est la plus répandue, et elle ne demande aucune manipulation trop complexe. Si nous avons de la chance, il nous suffirait d'éteindre toutes les lumières de cette pièce et nous pourrions facilement jauger de la véracité de votre théorie, cher collègue, avait-il soutenu en s'adressant à Deville.

- Je vous avouerais que je n'ai pas trop d'espoir, avait soupiré Deville. Comme je vous l'ai dit, il est très difficile, si ce n'est extrêmement rare, d'observer de la bioluminescence sur une partie seulement d'un animal ayant cette aptitude, et qui plus est sur une partie séparée de l'animal concerné. Nous ne pourrons la valider concrètement que si nous parvenons à dégoter un spécimen vivant de l'espèce I, et compte tenu de sa taille et de son agressivité, à moins qu'il n'y en ait un dans cet oeuf, je n'ai spécialement envie d'aller le chercher dans les profondeurs des océans.

Van Lunet lui offrit un visage compatissant.

- Tu ne voudrais pas y aller, Light-kun ? Avait demandé tout bas L en japonais.

Ils se trouvaient côte à côté sur la même paillasse, à la différence que Light y était nonchalamment appuyé, les bras croisé, et regardant l'échange entre les différents chercheurs comme il aurait pu suivre un cours quelconque en biologie sous-marine.

- Où ça ?

- Chercher le spécimen. Tu ne risques plus rien, maintenant.

Il y avait une sorte d'aigreur dans la voix de L, qui lui semblait dater du moment où ils étaient revenus de leur promenade à 1000 mètres sous le Svetlana.

- Et toi, tu ne voudrais pas venir ? Avait alors contre-attaqué Light. Si tu as décidé de t'embarquer sur ce bateau de cinglés, c'est que tu dois aussi pouvoir descendre suffisamment profond pour trouver un monstre mangeur d'hommes.

L n'avait pas répondu, les yeux rivés sur les quatre experts qui hésitaient toujours sur la marche à suivre.

Parle-moi. Dis-moi. On ne s'est jamais parlé.

N'y tenant plus, Light avait insisté.

- Pourquoi tu es venu ? L'avait-il pressé.

- Tu changes de sujet, Light-kun.

- Ça ne te ressemble pas. Tu as toujours été beaucoup mieux dans ta tour que sur le terrain. Je n'arrive pas à comprendre, c'est tout.

- Tu n'as jamais réussi à comprendre quoi que ce soit, Light-kun, avait sifflé L.

- Parce que tu ne m'as jamais laissé entrer, avait répliqué le shinigami.

L avait alors daigné lui faire face. Ses yeux noirs, immenses, luisaient à la manière de l'écaille quand ils l'avaient découverte, mais tout ce que Light pouvait y voir était de la colère, et autre chose qui ne demandait qu'à sortir, et qu'il aurait appelé de la tristesse.

- Tout va bien, messieurs ?

Ils avaient perdu le fil du débat sur la bioluminescence. Van Lunet les observait, perplexe.

- Oui, l'avait tranquillisé Light, se plaquant sur le visage la même expression amicale qu'il avait utilisée quand il était encore vivant. Nous sommes en désaccord sur le test, c'est tout.

- En désaccord, mon cher ami ? Avait répété Newton. Sur quel point ?

Light ne pouvait pas le voir, car il était dans la ligne de mire des chercheurs, mais il sentit presque le coin des lèvres de L s'étirer vers le haut en un sourire narquois.

Allez, vas-y poussin, disait ce sourire. Je te regarde t'enfoncer dans tes mensonges et briller en société, mais si tu n'y arrives pas, tu permettras que je rigole.

Il y avait quelque chose dans malsain dans ce genre de sourire qui lui faisait froid dans le dos, déjà avant et encore aujourd'hui, car il avait l'impression que l'expression n'appartenait pas à L, qu'elle venait de quelque d'autre et qu'elle se greffait sur son visage comme un masque de Venise, de manière tordue et décalée.

- Sur les informations à transmettre à L, avait-il improvisé, jugeant plus prudent d'intégrer une dispute à ce propos plutôt qu'à celui de la bioluminescence, pour lequel il aurait du fournir des justifications dont il préférait se passer. Ryûzaki pense que nous devrions y aller étapes par étapes, en lui détaillant les résultats de tous les tests que nous allons faire pour la bioluminescence, mais en ce qui me concerne, j'estime beaucoup plus pertinent de tout lui transmettre une fois terminé.

- Oh, avait alors lâché Deville. Ma foi, c'est un problème qui, si mes chers collègues m'autorisent à le formuler ainsi, ne pourra bénéficier d'aucune de nos aides. Nous ne connaissons pas bien L, sauf de nom et de réputation bien entendu, et nous ne voudrions en aucun cas le froisser en vous suggérant quoi que ce soit.

L se souvint de la requête du chercheur visant à obtenir le contact direct avec le détective pour mieux profiter de ses conclusions. Si Deville ne lui en avait pas reparlé depuis, il y avait cependant dans sa dernière remarque la même effluve de ton doucereux qui était apparue lorsqu'il avait requis de quoi communiquer rapidement avec L.

Et si c'était lui, le traître ?

Depuis qu'ils savaient pour la taupe, L avait éliminé d'office Van Lunet et Newton, pour la simple et bonne raison que ses pourcentages ainsi que leurs deux natures respectives les rendaient strictement incapables du plus petit acte de malhonnêteté possible. Al-Qasim était presque blanchi : sous ses devants colériques, il affichait une personnalité beaucoup trop droite et un dégoût beaucoup trop sincère des médias pour être le responsable des fuites d'informations. Il avait également innocenté Light presque tout de suite : le shinigami n'avait rien à y gagner, et le Cathare l'avait beaucoup trop changé pour qu'il puisse avoir recours à ce type de méthodes juste pour embêter le détective.

L'équipage était une autre paire de manche. Ses membres avaient tendance à disparaître dans un esprit commun qui rendaient les personnalités et les mœurs de chacun quelque peu difficile à faire ressortir. Il avait déjà mis sur la touche Smirnov, Langlois, le lieutenant Seashell, ainsi que le capitaine Diessel, Pronto, le technicien Watt, ainsi que Wankel, Spider, le maître d'équipage Zarka et trois de ses matelots, Lobster, Ping, et Pong, mais aussi les deux électriciens et les garçons de service, Pierre et Lellou. Il n'était pas loin d'y ajouter Tailcoat. Tous n'avaient pas le profil : ils étaient trop ouverts dans leurs émotions et trop expansifs dans leurs discours. Aucun n'avait suffisamment de jugeote, dans le fond, pour dissimuler le fait qu'il transmettait secrètement les actualités du Svetlana aux journaux, qu'ils soient papiers ou télévisés. Quand aux autres, L ne les connaissait pas encore assez pour les absoudre complétement. Une fois passé - pour un temps - l'orage de leur première prise de bec dans le laboratoire, Light l'avait informé que Ber lui avait donné l'article faisant sa critique, et bien que flatté par la loyauté que lui avait témoigné le graisseur en chef, L avait trouvé singulier l'intérêt d'un tel homme pour la presse en ligne, en particulier à son sujet. Il y avait aussi Stein, qui visiblement avait la rancœur solide contre tout l'équipage, ou plutôt contre la folie de l'équipage, ce que L pouvait comprendre sans pour autant considérer qu'il s'agissait d'une raison suffisante pour le disculper de toute mauvaise action à leur égard.

Et il y avait l'assistant de Pronto, avec son si joli visage et ses yeux verts qui brillaient étrangement quand Light lui avait servi l'excuse des mouvements de l'œuf pour justifier son utilisation de la langue japonaise.

Il est intelligent. Light l'aime bien. Ça renforce les pourcentages, ça, pas vrai ? Pas de bol pour lui d'avoir tapé dans l'œil de ton tueur en série.

Pas maintenant, Beyond.

Il ne voulait pas y penser.

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Il avait fallu à peine dix minutes aux chercheurs pour se mettre d'accord : ils testeraient la bioluminescence dès ce soir, les résultats devant ensuite être transmis à L qui, peut-être, pourrait suggérer un test plus rapide ou aider à synthétiser de la luciférine et de la luciférase beaucoup plus vite que tout autre laboratoire auquel les experts étaient rattachés. Une fois fixés sur ce point, ils avaient ensuite décidés du test, en l'occurrence le plus simple de tous, consistant à plonger la pièce dans le noir le plus total et à observer une éventuelle réaction organique de la part de l'écaille ou, potentiellement, de l'œuf. Qui plus est, l'heure avançant indiquait 20h02, et le prochain mouvement de l'œuf ayant été prévu pour 21h, les scientifiques étaient visiblement prêts à retarder autant que possible leur départ du laboratoire pour leur cabines, et le test leur avait paru être la solution idéale.

- Nous devons éteindre toutes les lumières et mettre des cache sur les hublots, avait annoncé Van Lunet, très solennel dans sa blouse blanche et avec, au bout du nez, sa nouvelle paire de bésicles rouge pétantes qu'il avait été cherché dans sa cabine spécialement pour l'occasion. Même dans le couloir. La moindre source pourrait annuler la réaction ou l'amenuiser au point que nous ne pourrions plus la voir.

- Nous devrions aussi, avait ajouté Deville, enlever tous les objets qui pourraient potentiellement causer un reflet de la lumière, comme les miroirs.

- Je ne vois pas en quoi un miroir pourrait être un danger pour le test, avait protesté Al-Qasim.

- Très simple, monsieur, avait déclaré Deville, qui semblait refuser à présent d'appeler le médecin-légiste par les termes flatteurs dont usait le reste des experts. Le miroir va renvoyer à l'écaille sa lumière. Or, si les photophores perçoivent de la lumière d'une source extérieure à eux, ils en produiront logiquement beaucoup moins, ou plus du tout.

- Ah, avait laissé échapper Al-Qasim, qui s'était probablement attendu à voir mouliner Deville pour trouver une explication valable.

Avec application, ils s'étaient mis à l'ouvrage. Ils avaient d'abord couvert les hublots du laboratoire avec des serviettes aussi épaisses que possible et des morceaux de cartons issus de paquet renfermant du matériel scientifique, et n'ayant jamais été utilisé jusqu'ici. Les morceaux, à l'instar des serviettes, étaient tenus par du ruban adhésif.

- Il ne faut surtout pas que la lumière passe au travers, les avait prévenu Newton. N'hésitez pas à mettre plusieurs couches si vous avez le moindre doute.

Ils avaient pris la décision de n'éteindre les lumières du laboratoire qu'une fois tous les autres éléments en place. Par sécurité, la personne qui se chargerait d'appuyer sur l'interrupteur resterait à côté de lui, et dans le cas où l'écaille ou l'œuf produirait de la lumière, elle ferait ensuite un échange avec l'un des experts ayant pu voir le phénomène, ce dernier se retrouvant alors chargé à son tour de l'interrupteur.

- Ce sera le noir total, les avait averti Van Lunet. Personne n'y verra rien, et je préfère éviter que l'un d'entre nous se casse quelque chose.

Light avait gardé pour lui une remarque cinglante impliquant qu'il ne pouvait plus se casser quoi que ce soit. Il se demanda un bref instant si sa maturité s'en était allée quand il imagina brièvement L, titubant les bras levés dans le noir pour se repérer, et lui, shinigami depuis quatre ans, le gratifiant d'un magnifique croche-pied qu'il nierait en bloc avoir exécuté par la suite. De préférence, pas loin des escaliers. Il avait presque pu voir le crâne ensanglanté du détective une fois celui-ci tombé au sol, son corps désarticulé, et l'image lui avait apporté une satisfaction féroce en même temps qu'autre chose, toujours l'autre chose qui, tout en ravivant sa colère, distinguait dans le meurtre de L une douleur sourde.

Tu n'aurais jamais du postuler pour devenir l'émissaire pour cette enquête

Il avait eut l'impression peu logique de ne pas avoir véritablement le choix lorsqu'il s'était présenté. Soit il saisissait l'opportunité, soit il succombait définitivement à l'ennui et à l'amertume dans les plaines du Cathare, entouré de shinigamis tous plus bêtes et dépressifs les uns que les autres. Il ne voulait pas mourir une seconde fois. Puis L avait refusé son baiser (il n'aurait pas pu le lui donner, mais c'était tout comme), et depuis, qu'il s'agisse de ses pensées, son ressentiment, sa vengeance, ou même Kira, tout allait de travers.

Je te hais mais je ne sais plus, seigneur

Conformément à la consigne de Deville, ils avaient ôté tous les objets réfléchissants de la pièce ainsi que ceux pouvant potentiellement renvoyer la lumière. Tubes à essais, miroirs, et toute autre surface s'étaient ainsi retrouvés relégués dans la salle adjacente au laboratoire, dont ils avaient aussi par précaution recouvert le seul hublot. Enfin, Van Lunet avait préconisé de placer l'écaille et l'œuf sur deux paillasses éloignés de telle sorte qu'ils ne puissent pas trop influencer la production éventuelle de lumière de l'un ou de l'autre, tandis que les scientifiques se diviseraient en deux groupes de trois et de deux et feraient barrière de leurs silhouettes pour isoler davantage chacune des deux trouvailles.

L avait choisi d'observer l'écaille, sans surprise. Light, pour faire bonne figure, s'était dirigé vers l'œuf. Quand à Newton, il avait écopé de la place de l'interrupteur, mais cela avait semblé lui convenir.

- Je suis physicien, avait-il dit. Je m'y connais davantage en électricité qu'en organisme produisant de la lumière.

Van Lunet avait contemplé leur placement d'un air critique, comme s'il était un chef d'orchestre venu confirmer la répartition de chacun de ses musiciens. Puis il avait fini par hocher la tête en approbation. Al-Qasim, absent, était allé éteindre les lumières du couloir, qui fonctionnaient indépendamment pour chaque niveau du Svetlana.

- J'éteins les lumière ? Avait demandé Newton.

- Une minute, que j'aille me placer, cher collègue, s'était excusé Van Lunet.

Sans surprise, il avait opté pour l'écaille. Deville, qui revenait alors tout juste de la pièce adjacente dont il vérifiait l'obscurité et en avait fermé la porte, s'était littéralement précipité vers la dernière place vacante auprès de celle-ci avant qu'Al-Qasim ne s'y installe. Comme le médecin-légiste était de retour du couloir, il avait remarqué l'affluence autour de l'écaille et avait grommelé dans sa barbe en rejoignant Light auprès de l'œuf.

- Vous échangerez, avait bien tenté de l'amadouer le shinigami, mais la moue du médecin ne s'était pas départie de sa structure boudeuse.

- À trois, mon cher Newton ! S'était exclamé Van Lunet, la voix vibrante d'effervescence infantile.

Deville paraissait lui aussi être au bord de la crise de nerfs. Il se tenait plié en deux devant l'écaille, les mains en poings jointes devant ses lèvres en une parodie de prière. L, qui se tenait à côté de lui, avait les yeux rivés sur l'écaille.

- Un...deux...et trois ! Éteignez !

Il n'avait guère eu besoin de se répéter. Le clic de l'interrupteur basculant en position ouverte avait retentit dans le laboratoire, et le noir était tombé, absolu, opaque, à peine interrompu par les respirations des chercheurs penchés sur les découvertes de la journée. Light pouvait les voir, tout du moins identifier leurs positions, car au dessus de leurs têtes flottaient les chiffres rougeoyants de leurs durées de vie, beaucoup plus visibles à présent qu'ils étaient dans le noir.

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- L'avantage d'être un shinigami, lui avait dit Ryûk quelques semaines après son arrivée dans la Cathare, alors qu'il était encore à peu près actif, c'est que notre transformation a modifié une partie de notre cerveau. Les chiffres de la durée de vie qui apparaissent aux humains quand ils font l'échange des yeux n'ont aucun sens pour eux, mais pour nous, c'est différent. Elle est décodée automatiquement par notre cerveau quand on la voit pour qu'on puisse ensuite la traduire en années, en jours ou en heures.

- Donc si je vois une durée de vie, avait poursuivit Light, mon cerveau fera automatiquement le calcul pour que je sache précisément ce à quoi elle correspond.

- Oui, avait ronronné Rûk. C'est un petit tour de passe-passe qu'on doit à sa Majesté. Il ne nous a jamais expliqué quel était le calcul, ni à quel type d'intervalle de temps sont associés les chiffres. Peut-être que lui même ne sait pas. Il était là quand tous les autres shinigamis que je connais sont arrivés, mais qui sait s'il n'est pas là depuis encore plus longtemps et s'il n'a pas instauré toutes les règles du Cathare ? Et par dessus le marché, comme notre cerveau fait la traduction intuitivement, la grande majorité des dieux de la mort se foutent comme de l'an 40 de résoudre le problème. Ils disparaîtront sans savoir à quoi ça rime.

- Et pas toi ? L'avait interrogé Light, presque certain de la réponse qui allait suivre.

- J'ai laissé tombé un cahier sur Terre parce que je m'emmerdais, avait répondu l'abominable sourire difforme de Ryûk. Je ne suis pas la "grande majorité des dieux de la mort", mon petit Light. Et j'espère que toi non plus, sinon je serais vraiment déçu.

Light lui avait demandé la durée de vie de L, celle qui était apparue au dessus de sa tête alors que lui-même était en train de mourir. Les lèvres de Ryûk étaient montées jusqu'à ses oreilles.

- Il va vivre longtemps, avait-il dit d'un ton moqueur. Quand tu es mort, j'ai cru voir les chiffres bouger. Mais je ne suis pas sûr, j'ai vu tellement de durées de vie bouger pendant que tu faisais joujou avec mon Death Note que je n'ai pas fait attention.

- Tu le fais exprès, espèce de saloperie, avait grondé Light.

- Pourquoi ça t'intéresse tant que ça, hein ? Avait répliqué le shinigami, à peine vexé par l'insulte. Il va mourir de toute façon, il est humain. La seule certitude de votre existence, c'est qu'elle va prendre fin un jour ou l'autre. Et c'est pas comme si il allait venir te rejoindre et continuer votre petit jeu intellectuel, à moins d'utiliser un Death Note à son tour, mais faudrait un miracle pour ça, maintenant. C'est malsain, tu sais ?

- Quoi ?

- Ton obsession avec L, avait asséné Ryûk.

Light avait senti sa mâchoire se contracter douloureusement.

- Il s'est mis en travers de mon chemin, avait-il répondu froidement. Ce n'est pas de l'obsession : il m'a battu et j'ai envie de m'en débarrasser. Ça n'a rien de malsain.

- Y a pas que ça, gamin, avait insisté Ryûk. Tu le sais très bien.

Il n'avait pas souhaité poursuivre la discussion.

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Les chiffres indiquaient clairement qu'aucun d'eux ne devaient mourir lors de l'expédition, ce qui, en soi, constituait un élément encourageant, à moins que celle-ci ne s'étale par miracle sur des décennies. Deville vivrait jusqu'à 75 ans, un record si l'on considérait sa consommation d'alcool. Al-Qasim et ses emportements devaient lui survivre 4 ans. Van Lunet, dont la longévité était la plus élevée du groupe, se pousserait jusqu'à 91 ans, et Newton atteindrait les 85 ans. Light avait hésité, puis avait ensuite tourné les yeux pour la énième fois vers la durée de vie de L. Il l'avait déjà traduite depuis qu'ils s'étaient revus à Winchester. Ryûk était parti trop tôt le jour de sa mort, ou bien il avait menti délibérément, mais Light ne voyait pas de raison à la dernière option. L parviendrait jusqu'à ses 43 ans, pas plus. Les chiffres étaient stables pour le moment. Light, quand il avait calculé l'espérance de vie du détective en Angleterre, n'avait pas été véritablement surpris : le métier était dangereux, et qui plus, lui-même avait été à deux doigts de le tuer en 2004. La seule chose qui l'en avait empêché avait été cette conversation de L avec le cinglé aux yeux rouges, Beyond Birthday. Et autre chose, mais il ne voulait surtout pas y penser.

- Vous voyez quelque chose ?

La question de Van Lunet l'avait tiré de ses réflexions morbides pour le ramener au test de la bioluminescence. L'œuf, ce qui n'avait rien d'étonnant, n'émettait pas la moindre source de lumière. Al-Qasim avait poussé un petit soupir de dépit, pas si différent de ceux que produisait Deville à la moindre contrariété.

- Rien, l'avait informé Light. Et vous ?

- Rien non plus, avait répondu Deville, et jamais le shinigami n'avait entendu quelqu'un d'aussi déçu. Je ne comprends pas.

Light aurait aimé croisé le regard de L et voir son visage pour y lire sa pensée, mais il faisait trop noir.

- L'écaille ne produit pas de lumière non plus ? S'était alarmé Al-Qasim.

- Aucune, avait asséné L, et au soufflement de sa voix, Light devina qu'il avait le pouce sur les lèvres.

- Peut-être qu'il ne fait pas assez noir ? Avait suggéré Newton.

- Oh, je vous en prie, avait grondé Al-Qasim. Il ne pourrait pas faire plus noir. Je n'arrive même à distinguer le contour de mes mains !

- Je ne pense pas que le problème réside dans le noir, avait alors articulé Van Lunet. Peut-être tout simplement que la production de lumière est extracellulaire.

- Dans ce cas, est-ce quelqu'un aurait une enveloppe ? Avait lancé Deville.

Même Light avait eu un moment de flottement.

- Pourquoi avez-vous besoin d'une enveloppe, mon cher collègue ? S'était enquis Van Lunet, plein de sollicitude.

- Pour rien. Me tailler les veines, avait lâché Deville.

Newton avait émis un "oh" consterné. Le shinigami, pour sa part, avait été pris d'une envie de rire qu'il avait contenu de justesse, estimant qu'elle ne lui apporterait rien, si ce n'était le scepticisme des chercheurs à son égard. En revanche, Al-Qasim s'était esclaffé, et sans même tenter de le dissimuler à ses confrères.

- Voyons, mon vénérable collègue, avait essayé de le tranquilliser Van Lunet. N'en venez pas à de telles extrémités, je vous en prie !

- Mais oui, mon vieux, s'était moqué Al-Qasim. Surtout quand une créature de la taille d'un immeuble fait son petit bonhomme de chemin sous les vagues et pourrait nous anéantir d'une seconde à l'autre. Soyez généreux, laissez-la vous manger.

- Monsieur ! S'était exclamé Deville, choqué par le manque de compassion de son confrère quand lui même manquait de crédibilité.

- Avouez que vous êtes ridicule, Deville ! Avait poursuivit Al-Qasim. Il n'y a pas de raison d'en faire tout un foin : si la bioluminescence est extracellulaire, il nous suffit de faire synthétiser de la luciférine et de la luciférase, voilà tout.

Deville eut un hoquet d'incrédulité.

- "Voilà tout" ? S'était-il indigné. Vous savez combien de temps cela va prendre ?

- Pas du tout, avait répliqué Al-Qasim. Combien ?

- Mes bien-aimés collègues, avait bredouillé Newton sans succès.

- Trop de temps ! Avait beuglé Deville, à mille lieux d'être aussi précis qu'une montre suisse. Ça demandera trop de temps et nous n'en avons pas !

- Parce que vous préférez sans doute attendre de nous retrouver devant un spécimen authentique, c'est ça ? Qui nous dévorera tous les uns après les autres ? S'était exclamé Al-Qasim à son tour.

- Messieurs, voyons, messieurs ! S'était écrié Newton, pétrifié par la violence de l'échange. Nous disputer ne servira à rien, en particulier dans le noir ! Gardons notre sérieux et essayons de résoudre ce problème de la manière la plus intelligente qui soit ! C'est en nous crêpant le chignon sur de telles broutilles que nous risquons de finir dans le ventre de l'espèce I.

Le silence retomba dans le laboratoire, alimenté par les angoisses de chacun relatives à la créature. L'arrêt des sonars actifs les protégeaient, mais aucun d'eux n'était absolument certain que leur interruption soit suffisante pour maintenir l'espèce I totalement à distance du Svetlana.

- Vous pouvez rallumer les lumières, mon cher Newton, avait ordonné tristement Van Lunet. Je crois que nous n'aurons rien d'autre pour ce soir. De toute façon, il sera 21h dans 10 minutes : nous devrions nous préparer au possible prochain mouvement de l'œuf.

Mais Light, une fois le laboratoire de nouveau éclairé, avait croisé les yeux noirs de L, et il avait songé à ce que ce dernier avait fait au moment où les chiffres de la durée de vie de l'œuf avaient commencé à chuter. Il n'était pas certain que la même règle s'appliquerait pour l'écaille, et craignait de ré-utiliser la réflexion du détective pour que celle-ci se révèle finalement inadaptée à la situation. Toutefois, ils avaient bien trouvé l'écaille, luisante, sous l'eau et dans le noir le plus complet, or l'une des conditions n'avait clairement pas encore été testée.

- Attendez, avait-il informé ses collègues. J'ai une idée.

Tous s'étaient interrompus dans leurs activités. Deville, qui s'était avachi sur un des tabourets de la paillasse où avait été installé l'écaille, perdit son air affligé pour lui accorder toute son attention. Al-Qasim avait arrêté d'enlever les épaisseurs recouvrant les hublots. Quand à Newton, qui avait fait un premier pas dans le couloir pour aller rallumer les lumières de celui-ci, il était réapparu brusquement dans l'encadrement de la porte, le visage illuminé d'un espoir naïf. Même L l'avait regardé comme s'il s'était mis à parler une langue incompréhensible, ce qui avait empli ses entrailles d'une joie féroce.

Il s'était dirigé vers l'écaille et l'avait saisie. Elle n'était pas spécialement lourde, mais très large, ce qui l'avait obligé à écarter largement les bras pour qu'il puisse la tenir. Il lui avait semblé également qu'elle était de nature beaucoup plus souple qu'elle n'y paraissait au premier abord, et il s'était demandé s'il serait capable, avec assez de force, de la plier en deux ne serait-ce qu'un petit peu. Une fois qu'elle avait été sous ses yeux, il avait pu deviner d'où venaient les beaux reflets verts qu'ils avaient aperçu lors de leur plongée à bord du Vladimir. Une sorte de bande passait au milieu de la trouvaille, beaucoup plus clair que le reste, et se divisait en plusieurs rainures qui atteignaient les rebords de l'écaille. Nul doute que la créature, compte tenu de la taille et dotée de toutes ses écailles, devait ainsi produire une lumière assez puissante pour éclairer les fonds abyssaux et s'y frayer un chemin sans difficulté.

Il avait ensuite été déposer l'écaille dans l'aquarium contenant l'œuf, en veillant bien à ce que les deux ne soient pas complétement en contact. Van Lunet poussa un petit cri d'enthousiasme.

- Oh, avait lâché Deville, ayant lui aussi saisi la théorie sous-jacente. Mais vous pensez vraiment que ça fonctionnera ?

Light sentit le regard de L sur lui, scrutateur et aux aguets, et il avait eu l'impression fugace d'être une souris venant tout juste d'être repérée par un chat.

Si tu vérifies la théorie, tu redeviendras le chat, et lui la souris, lui avait soufflé sa rancune, caressante. Tu pourrais le manger, si seulement tu avais encore faim.

Laisse-moi tranquille

- Je ne sais pas, avait-il avoué. Mais il me semble qu'il nous faut au moins réunir les deux conditions de départ vous ayant permis d'arriver à la conclusion de la bioluminescence avant d'entamer un autre test.

Tous, dans leur déception de la première tentative, lui avaient accordé le bénéfice du doute, et étaient revenus en hâte se placer en cercle devant l'aquarium. L'expression des chercheurs trahissaient leur impatience, mais celle de L était demeurée indéchiffrable. Newton avait repris sa place auprès de l'interrupteur, attendant docilement le signal de Light.

- Allez-y, éteignez, avait lancé le shinigami après avoir jeté un bref coup d'œil panoramique dans la salle, pour s'assurer qu'aucune autre source de lumière n'avait eu le temps d'être libérée.

Le noir était retombé. Aucun faisceau lumineux n'était venu le percer.

- Il faut peut-être la mettre toute seule dans un aquarium, avait suggéré maladroitement Van Lunet.

- Je ne pense pas, avait riposté L. C'est le fait qu'elle soit en milieu aquatique ou non qui compte, pas ce qu'il y a dans ce milieu. Et nous avons vu que l'oeuf ne produisait aucune lumière qui risquerait d'annuler la réaction de l'écaille.

- Attendez, leur avait demandé Light.

Ils avaient patienté, une minute, deux. Deville avait fini par exhaler un gros soupir de déconvenue. La frustration avait gagné Light, qui pouvait déjà voir le sourire ironique de L éclore sur ses lèvres et étirer ses joues. Il avait entendu la bouche de Van Lunet s'ouvrir pour demander que Newton rallume les lumières.

C'était alors qu'un flamboiement délicat avait jailli en leur centre.


" À la longue, de toute manière, ce qui est secret est connu par tout le monde."

Citation d'Ahmadou Kourouma, écrivain ivoirien.


30 mars 2008, 23h14, Cambridge, États-Unis

Lana somnolait, les muscles délivrés de toute tension par le miracle de la phase de pré-sommeil, quand elle avait entendu la porte d'entrée s'ouvrir et des chaussures taper contre le plancher du vestibule. Joe était reparti au bureau tout de suite après leur repas de midi et leur conversation avec L : il avait besoin de vérifier un élément en lien avec l'enquête sur les bateaux disparus, et comme il n'était toujours pas rentré à 20h, elle avait assumé qu'il travaillerait encore jusque tard dans la soirée et ne s'étonna donc pas, dans un premier temps, qu'il revienne à cette heure avancée. Elle avait lu dans leur lit commun pendant une heure, puis s'était couchée à 22h30, comme elle avait toujours eu l'habitude de le faire. C'était une femme qui, sans être rigide, aimait à respecter ses horaires. Joe lui disait souvent qu'elle aurait fait, en cela, une meilleure militaire que lui, mais elle répliquait alors qu'elle aimait trop sa liberté de mouvement et de paroles pour venir grossir les rangs de l'armée américaine.

Elle s'apprêtait à se rendormir, rassurée que son époux soit rentré à bon port, lorsque quelque chose l'avait gênée. Ce n'était pas les couvertures, si sa position, si quoi que ce fut qui se trouvât alors avec elle dans la chambre ou dans la charmante maison de style méditerranéen qu'ils avaient acquis 20 ans plus tôt, forts de leurs deux carrières respectives. Son malaise prenait racine dans l'étrange précipitation des pas de Joe qu'elle percevait depuis le rez-de-chaussé, de la fébrilité avec laquelle il ôta son manteau et du silence qui suivit.

Il s'est passé quelque chose, se dit-elle immédiatement, et bien qu'elle aurait aimé ne pas y croire et retourner dans les bras de Morphée comme si de rien n'était, elle était beaucoup trop intelligente pour l'ignorer.

L'inquiétude montant en elle et les rouages de ses réflexions se mettant en place impitoyablement dans son cerveau la poussèrent à se réveiller totalement. Elle fut d'abord un peu groggy en ouvrant les yeux sur leur grande chambre plongée dans le noir, mais n'eut guère besoin de beaucoup de temps pour recouvrer ses pleines capacités de concentration. En bas, elle entendit clairement Joe s'agiter, extraire ses affaires hors de la sacoche de cuir noir qu'elle lui avait offert pour ses 40 ans. Elle se leva, se vêtit de sa robe de chambre en soie bordeaux, puis descendit doucement, n'oubliant pas de se munir du taser qu'elle conservait toujours dans le tiroir de sa table de chevet. Elle n'avait jamais entendu Joe rentrer de la sorte, et bien qu'elle eût vécu suffisamment longtemps avec son mari pour reconnaître son pas, elle préférait toujours prendre ses précautions. Joe l'y avait encouragée. Le métier de militaire n'était pas particulièrement reposant, et le statut de Joe, surtout dans le contexte actuel, pouvait les amener à se retrouver dans des situations difficiles.

Elle descendit lentement et prudemment, s'efforçant de ne pas faire de bruit, le taser bien maintenu dans sa paume. Elle ne transpirait pas. Elle se disait qu'elle était encore trop ensommeillée pour avoir véritablement peur, tandis que l'autre part d'elle même mesurait combien les chances que ce fut une autre personne que Joe en bas étaient minimes. Elle finit par le voir, dans son uniforme, le dos tourné à elle. Il avait les yeux rivés sur un document papier imprimé.

- Joe ? Demanda t-elle dans un soupir, soulagée qu'il n'ait pas été question d'un intrus indésirable et desserrant sa poigne autour du taser.

Son mari tourna vers elle son visage familier. Il avait les yeux écarquillés et était visiblement sur le qui-vive, à l'image d'un animal traqué. Lana s'alarma aussitôt.

- Tout va bien, mon chéri ?

La mâchoire de Joe se crispa. À l'évidence, non, tout n'allait pas bien.

- Oh, Lana, ma chérie, j'ai découvert..., commença t-il, et il s'interrompit, en proie à un doute que Lana ne connaissait que trop bien. Il avait l'air catastrophé.

- Viens t'asseoir, dit-elle fermement, le saisissant par le bras.

- Non, je veux d'abord vérifier qu'il n'y a rien.

- Il n'y a aucun micro, Joe, rien, pas l'ombre d'une surveillance. Je suis restée toute la journée à la maison et on a fait assez de fouilles comme ça pour que je puisse te jurer qu'il n'y a rien. Maintenant, assieds-toi et dis-moi.

Elle le poussa dans un des fauteuils du salon, puis alla auparavant jeter un coup d'œil aux fenêtres. Elle avait de bons yeux, et ne vit aucun silhouette étrange se détacher de l'obscurité du jardin et des bosquets entourant la maison. Bien que légèrement isolée du reste de la ville, elle n'avait rien d'une forteresse de défense, et pénétrer dans son enceinte en passant le porte principal n'avait rien de bien sorcier. En revanche, Lana avait reçu quelques bases de la part de Joe, et elle savait reconnaître un jardin vide autant qu'une infiltration de soldats américains dans leur propriété. Joe se cala dans le fauteuil, la feuille toujours entre les doigts.

- Qu'est-ce que c'est ? S'enquit Lana, s'asseyant les bras croisés en face de lui.

Joe regarda le document, puis sa femme. Il hésita une millie-seconde. Puis se décida enfin à parler.

- J'avais des doutes, expliqua t-il d'une voix qui ne tremblait plus d'angoisse. Depuis que je suis en contact avec L, en fait.

- Depuis plus longtemps que ça, chéri, se permit de le corriger Lana.

- Oui, soupira tristement son mari. Tu m'as mis la puce à l'oreille avec ces histoires de tempêtes et le fait de garder sous clé l'état des disparitions en mer. Quand nous en avons parlé à L, il m'a confirmé que c'était suspect et qu'il allait se pencher sur le problème. Mais ça me semblait étonnant.

- Quoi donc ?

- L n'est pas idiot. Il m'a dit qu'il savait pour les autres disparitions, mais qu'il avait été mis au courant de manière indirecte, ce qui veut dire que ni Gates, ni Winter, ni Roughead ne l'ont averti du nombre véritable des disparitions. Pas même le président. Et ça, ce n'est pas normal : ça me travaille depuis qu'on en a parlé ce midi. Je suis retourné au bureau parce que je voulais voir le dossier qu'on avait transmis à L et le nôtre, celui que j'ai en commun avec les trois autres et le président. Je voulais comparer, précisa t-il, et voir s'il n'y avait pas d'autres informations qu'ils auraient pu, disons, oublier de transmettre à L.

- Et alors ? Le pressa Lana. Il y en avait ?

- Aucune à première vue, répondit son époux. Tout était en règle. Les fichiers correspondaient, tous les documents étaient les mêmes, c'était parfaitement agencé.

- Trop bien agencé ? Avança Lana.

- Exactement. J'ai un dossier en commun avec Roughead, Winter, Gates et le président en termes d'informations sur les disparitions qui concerne leurs nombres, l'état des navires, les lieux des disparitions, les victimes, les endroits où ont été retrouvés les morceaux...j'ai tout, ou presque. Je me suis rendu compte qu'il me manquait quelque chose, mais je n'y avais pas vraiment fait attention jusqu'ici.

Lana n'eut pas besoin d'en entendre davantage. Elle connaissait la réponse de Joe avant même qu'il ne la formule dans sa propre tête.

- La gestion auprès du public, asséna t-elle d'un ton ferme.

Joe hocha gravement la tête.

- Je n'ai rien là dessus. Ça m'a sauté aux yeux. Pas le moindre fichier sur les transmissions médiatiques. Alors je me suis dit que les informations devaient forcément venir de quelque part, de préférence d'une source sûre qui aurait eu connaissance de toutes les disparitions et des détails, et qui aurait été en mesure de s'adresser à la population par le biais de la télévision et des journaux sans risque de filtrer des éléments compromettants.

Là encore, Lana visa juste : Roughead, Winter et Gates étaient les plus indiqués.

- Tu as vérifié s'ils avaient un dossier supplémentaire ? Demanda t-elle, imaginant de mieux en mieux à quoi correspondait le document que Joe tenait entre ses mains comme une relique sacrée.

Elle sentit une panique acide et une étrange exaltation envahir son ventre à l'idée que son mari, militaire respectable, ne se faufile dans les bureaux de ses supérieurs afin d'infiltrer leurs ordinateurs et mettre sens dessus dessous leurs dossiers papiers confidentiels, à la recherche d'une preuve supplémentaire dans l'affaire " le gouvernement américain n'est pas net " qu'il menait depuis sans doute plus longtemps qu'il ne voulait bien l'admettre. Joe avait ouvertement exprimé ses doutes quand aux instances supérieures à partir du moment il avait lui même atteint un niveau capable de lui offrir un nouveau panorama sur la politique aux États-Unis, soit en 2006, quand il avait été nommé onzième représentant des Officiers Mariniers Supérieur. Dans les faits, il était sûrement aux aguets depuis la guerre du Golfe.

- Ça n'a pas été une partie de plaisir, lui confirma t-il d'une voix grave. Nos bureaux sont très éloignés, trop pour que je puisse m'y rendre rapidement, et les ordinateurs sont très protégés. J'ai demandé de l'aide.

Le visage de Lana se décomposa.

- Tu as fait hacker les ordinateurs d'officiers de la marine américaine ? S'écria t-elle, s'efforçant toute fois de maitriser sa voix pour qu'elle ne soit pas audible.

Elle n'en revenait pas et avait vraiment peur. Joe lui intima de baisser d'un ton en posant un doigt sur ses lèvres, puis il regarda tout autour de lui avant de reprendre.

- Chérie, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond avec cette histoire, vraiment pas, s'expliqua t-il. C'est dangereux pour tout le monde, il y a déjà des centaines de victimes et presque personne ne réagi. Comment es-ce que tu expliques que les États-Unis aient eu le monopole d'une enquête ? N'importe quel autre pays aurait pu en lancer une, rassembler une équipe et un navire, et les lancer sur les océans. Ça n'a aucun sens, Lana, absolument aucun ! Tout ce que tu disais est vrai !

Elle lui saisit les mains, les yeux écarquillés de frayeur.

- Joe, articula t-elle, quand je t'ai dit que c'était bizarre, je le pensais. Et je pense aussi qu'il faut faire quelque chose. Mais ça ! C'est trop, Joe, tu te mets en danger ! Je t'avais dit de ne rien faire qui pourrait te poser problème !

- Lana, attends que je finisse, essaya t-il de la tranquilliser. J'ai été très prudent. Je n'ai rien hacké moi-même, d'abord parce que je n'ai pas les compétences, et ensuite, parce que je n'ai pas envie de me jeter dans la gueule du loup. J'ai fait appel à un professionnel.

- Qui ? Pitié, ne me dis pas que tu as appelé les anonymous !

- C'était tentant, mais non, plaisanta Joe, à qui la remarque scandalisée de Lana arracha un sourire. J'ai appelé L.

D'un coup, toute la tension que son épouse ressentait s'évapora, ou presque, comme un nuage de pluie après une bonne averse. Ses épaules se relâchèrent, ses traits perdirent leur expression effarée.

- Tu m'en vois rassurée, lui affirma t-elle. Il a accepté ?

- Je ne l'ai pas eu directement, avoua Joe. Je suis tombée sur Watari, comme de coutume quand j'essaie de joindre L, mais il m'a dit que ce dernier n'était pas disponible.

- Des ennuis à bord ? S'inquiéta Lana.

- Non, j'aurais été informé s'il y avait eu un problème, lui assura Joe. Mais je pense que c'est en lien avec les fragments de bateau retrouvés à Cooper Key. Dans tous les cas, quand j'ai soumis la proposition à Watari, il l'a trouvé tout à fait pertinente et m'a ensuite signalé que L avait aussi des soupçons très prononcés à l'égard du gouvernement en ce qui concerne la gestion des disparitions auprès du public.

- C'est bon signe, dit Lana. Mais si L n'était pas joignable, qui a hacké les ordinateurs pour toi ?

- Tu as entendu parler de l'affaire en Israël ?

- Oui, au Saint Sépulcre, j'en ai entendu parler. Ça passe presque inaperçu face aux disparitions de navires, mais j'ai vu un reportage il n'y a pas longtemps.

- Tu sais que L est aussi en charge de l'affaire.

- Bien sûr : les médias se sont moqués de lui en disant que c'est grâce à cette enquête qu'il a échappé à l'expédition sur le navire océanographique et qu'il a pu y envoyer des assistants.

- Aussi, oui. Mais il ne se contente pas que d'assistants en mer : apparemment, il en a aussi pour l'affaire en Israël.

Lana fronça les sourcils.

- Tu veux dire qu'il mène les deux fronts par le biais d'intermédiaires ?

- Exactement. Mais il les protège : les noms des assistants sont des allias, d'un côté comme de l'autre.

- Et c'est vers l'un d'eux que Watari t'a dirigé ? Se douta Lana.

- Oui. Watari m'a dit que l'une des personnes travaillant avec L sur l'affaire en Israël était spécialisée dans le hacking et l'informatique, et qu'il allait nous mettre en contact tout de suite pour qu'il puisse m'aider.

- Tu as fait ça au bureau ? S'exclama Lana. Joe, grands dieux, tu es devenu complétement cinglé ?

- Chérie, calme-toi, tout va bien, la tempéra t-il sans véritablement y parvenir. J'ai vérifié la pièce, il n'y avait aucun micro et aucune caméra. Et j'ai utilisé mon propre ordinateur portable avec la fausse adresse mail que L nous avait conseillé de créer. Et l'assistant a aussi scanné mon ordinateur à distance, il n'a rien trouvé.

Cependant, Lana n'en perdit pas pour autant son air épouvanté.

- Il est entré dans l'ordinateur de Winter, continua Joe. En tant que secrétaire à la marine, c'était à la fois le plus simple et aussi celui qui risquait d'avoir le plus d'informations. Ne me demande pas comment il s'y est pris, la supplia t-il, je n'y connais rien et il est allé tellement vite que je n'ai même pas eu le temps de dire "ouf". Il m'a juré qu'il était indétectable et je l'ai cru sur parole. Je crois qu'il a déjà du le trafiquer avant en passant d'un ordinateur de politicien à un autre, ou récupérer toutes les informations nécessaires auprès de L. Je ne veux pas savoir. Qui plus est, il n'était pas vraiment bavard, comme L, à vrai dire. Ça lui a pris un peu moins d'une demie-heure. Il m'a mis en réseau pour que je puisse voir ce à quoi il avait accès. Ça n'a pas été facile. Winter code ses dossiers, à l'instar de beaucoup d'entre nous, mais il en a énormément. C'était comme de chercher une aiguille dans une meule de foin. Ça nous a pris une heure et demie pour mettre la main sur quelque chose d'intéressant, et devine qui a trouvé ?

- Sans vouloir me montrer infidèle, Joe, je dirais l'assistant.

- Bien vu, pas d'infidélité là dedans. Il l'a déniché dans un dossier caché, codé, avec mot de passe à chaque niveau. Il les a tous craqué avec autant de facilité que s'il récitait son alphabet. Je n'ai jamais vu ça.

- Et ?

- Et on a trouvé, lui confirma Joe. Tout. Le dossier de L et le mien sont tellement incomplets que ça frôle l'hérésie. L'assistant m'a copié celui de Winter, en a fait une copie pour lui, une pour L, une pour Watari, et une pour moi. Il m'a tout transmis par le biais d'un réseau privé que je connaissais pas, mais qu'il a créé et dont il m'a assuré la sécurité. J'ai tout sur mon ordinateur, en codé et avec des mots de passe que m'a transmis l'assistant et que nous sommes les seuls à connaître pour l'instant. Quand il chargeait les fichiers, j'ai lu un peu, je n'ai pas eu le temps de faire grand chose étant donné qu'il a fait très vite.

Lana sentit l'impatience la gagner, prendre le pas sur ses craintes et les balayer à l'image d'un typhon qui dévaste les terres sur son passage.

- Tu as vu quelque chose ?

Sans un mort, il lui tendit la feuille qu'il ne lâchait pas depuis qu'il s'était installé dans son fauteuil. Lana la parcourut rapidement des yeux, déchiffrant les mots, les noms de codes pour lesquels Joe avait inscrit une traduction, puis assemblant une à une les phrases. Elle leva ensuite vers Joe, qui la regardait posément, un visage ébranlé.

- Chéri, bredouilla t-elle, mon sieur. S'ils découvrent qu'on a ça entre les mains...

- Je sais, lui dit-il. Il va falloir être très prudents, Lana, vraiment très prudents. Watari m'a assuré qu'on serait protégés, mais je ne me fais pas d'illusions. Il en va de la sécurité du pays. Tout ce qui concerne la sécurité du pays est dangereux à savoir.

Lana parvint à se remettre du choc, mais elle garda les yeux fixés sur les informations que contenait le document. Si Joe ne la connaissait pas, il aurait pu jurer qu'elle était incapable d'y croire.

- Il faut que tu contacte L tout de suite, finit-elle par dire d'un ton ferme et sans appel. Il ne faut pas perdre de temps. Et si tu n'arrive pas à l'avoir, demande l'assistant qui a hacké l'ordinateur pour toi, si tu as son nom.

- Oh, je l'ai, lui affirma Joe. Il me l'a dit. Il s'appelle M.

- Ça ne m'étonne même pas, lui confia Lana avec un petit sourire.

- Moi non plus. De toute façon, que je contacte l'un ou l'autre reviendra au même. Après tout, dit-il en se levant et en désignant le document papier, le deux sont liés.


" Le roi de la mort ne peut contacter un émissaire envoyé

sur Terre que par le biais d'un autre dieu de la mort, qui devient

alors son porte-parole. Ce dernier ne peut pas recevoir d'apparence

humaine, mais n'est visible que pour l'émissaire en question. "

Extrait du Code des Dieux de la Mort, article XV


30 mars 2008, 23h16, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

Les chercheurs avaient quitté le laboratoire vers 22h30 en dansant et en chantant comme des ivrognes dans un bar, en particulier Deville, qui ne s'était pas privé pour aller chercher dans la cuisine une bouteille de vin et proposer la tournée générale. Peu importait la menace de Pronto et de sa poêle à frire : obnubilé par son triomphe scientifique, l'océanologue avait perdu toute notion du risque et s'était montré déterminé à prendre une seconde et mémorable cuite.

- Il faut fêter ça ! S'était-il justifié d'une voix pleine d'entrain, en total opposition avec la langueur qu'il affichait jusqu'à ce que sa théorie soit prouvée.

La théorie de la bioluminescence était avérée : la lumière émise par l'écaille, à mi chemin entre le bleu et le vert ("un spectre de couleur tout à fait normal pour une espèce marine", avait affirmé Deville, les yeux brillants de joie), s'était manifestée un peu moins de cinq minutes après l'avoir mise sous l'eau, se répandant peu à peu sur toute la surface de l'écaille, et, bien que de nature peu puissante, elle avait suffit à faire pousser à Deville un cri aigu de contentement et à lui faire lever les deux bras en signe de victoire.

- La lumière n'est pas forte parce que l'écaille a été séparée de l'organisme capable de la produire, avait supposé Van Lunet. Ce que nous voyons ici doit être un simple résidu.

- Comme un réflexe post-mortem, le signe de Lazare par exemple ? Avait demandé Al-Qasim, qui paraissait aussi admiratif que les autres devant le phénomène.

- Je n'aurai guère dit mieux, mon honorable confrère, lui avait concilié Van Lunet.

Ils avaient réitéré l'opération à deux reprises, Light changeant de place avec Newton pour lui permettre de contempler à son tour l'événement. Pour le grand plaisir de Deville, qui ne tenait plus en place à l'image d'une poule en pleine crise d'hystérie, le résultat s'était révélé le même, l'écaille prenant toujours un peu de temps avant d'émettre son chatoiement discret. Ils avaient ensuite rallumé les lumières, rassérénés par leur découverte, tandis que Deville se précipitait vers son ordinateur et son diaporama pour consacrer tout une partie à la bioluminescence ainsi qu'aux théories sur l'espèce en découlant.

À 21h, ils s'étaient réunis autour de l'œuf dans l'espoir d'un mouvement et d'un autre miracle. Ils avaient attendu une demie-heure, sans résultat, mais cet échec n'avait pas amoindri l'allégresse des chercheurs, probablement à défaut de leurs capacités de réflexion puisque Van Lunet avait soutenu mordicus que, peut-être, la créature reposant dans l'œuf dormait et ne produirait aucun mouvement jusqu'au lendemain. Un instant, Light avait trouvé l'idée saugrenue et décalée, puis il lui avait fallu y repenser dans le calme du laboratoire abandonné par les experts pour en retirer toute la logique.

- La coquille est si épaisse, avait soutenu Van Lunet, qu'un petit de cette espèce doit déployer toute son énergie à la casser, en dépit d'un bec particulièrement robuste ou d'un diamant solide. Ce doit être épuisant, aussi je ne serais pas surpris si le petit en question s'autorisait des pauses pour reprendre des forces et continuer ensuite.

- Ou alors, il s'agit de ce que nous craignons : l'œuf n'est pas prêt d'éclore et les mouvements indiqueraient juste que la créature bouge et est bien vivante, mais pas sur le point de sortir.

La remarque d'Al-Qasim, qui d'ordinaire aurait jeté un froid, n'avait eu pour effet qu'un haussement d'épaules de la part de Van Lunet.

- Light affirme avoir vu la coquille se soulever, lui avait dit-il rappelé. Elle est tellement massive que je doute de l'aptitude du spécimen à la faire bouger en cas de simple mouvement autre que visant l'éclosion.

- Il va éclore, était alors intervenu Deville, qui tandis que durait le débat entre ses collègues au sujet de l'œuf était allé piocher une bouteille de bordeaux dans la cuisine. Mon écaille a prouvé la bioluminescence, alors votre œuf va éclore. C'est moi qui vous le dis !

Il avait passé familièrement un bras autour des épaules de Newton et de Van Lunet et s'était posté entre les deux, légèrement penché en avant, les joues empourprées.

- Auriez-vous bu à nouveau, cher collègue ? L'avait interrogé Van Lunet.

Deville avait affiché un air béat, proche de l'idiotie profonde, avant d'acquiescer. Il aurait difficilement pu se défendre, car son haleine capiteuse trahissait sans vergogne l'odeur du vin.

- Vous en voulez ? S'était-il enquis auprès des autres chercheurs.

Deville s'était décalé, offrant à tous une vue incomparable sur des éprouvettes graduées remplies de vin, chacune destinée à un expert : face à l'originalité du service et surtout à sa qualité scientifique, aucun d'eux n'avait eu le cœur à refuser. L et Light avaient porté avec eux un premier toast, mais n'avaient pas bu leurs deux éprouvettes respectives, qu'ils avaient vidé après le départ des chercheurs dans l'évier d'une paillasse. En revanche, Al-Qasim, Deville, Van Lunet et Newton avaient porté ensembles un nombre de toasts qui avait paru démesuré au shinigami, et la bouteille de vin n'avait pas tenu bien longtemps la distance. À 21h50, le laboratoire vibrait des hurlements de rire des scientifiques. Newton avait essayé de marcher, une pomme en équilibre sur la tête, et avait entraîné un fou-rire de ses collègues lorsque, l'ayant oublié, il s'était baissé pour refaire son lacet imaginaire. Van Lunet, guère mieux loti, avait tenté trois blagues sur les biologistes et n'était jamais parvenu à en finir une seule, car il était interrompu à chaque fois par Deville qui lui disait qu'il avait de beaux yeux. Quand à Al-Qasim, il s'était mis à les engueuler copieusement pour leur comportement décadent, et son propos aurait pu être respectable s'il ne s'était pas adressé à un ensemble de tubes à essais en lieu et place de ses confrères.

C'était Light qui les avait, subtilement mais fermement, poussé à rejoindre leurs cabines. Il n'avait pas eu à jouer des pieds et des mains pour les convaincre, car Deville, saisissant l'occasion de répandre son bonheur et sa réussite en dehors de l'espace confiné que représentait le laboratoire, avait spontanément entraîné tous les autres dans le couloir en chantant la Marseillaise. Van Lunet, pour l'accompagner, avait même commencé à danser le french cancan, ce qui se mariait ni avec le ryhtme de la chanson, ni avec le discours tenu dans cette dernière, mais représentait une tentative généreuse de suivre Deville dans sa frénésie patriotique. Light avait refermé la porte sur eux, non sans soulagement, après s'être assuré qu'ils avaient monté sans encombres l'escalier les menant au premier niveau du Svetlana et à leurs cabines. Étant les seuls à ne pas avoir bu jusqu'à l'ivresse, ils s'étaient rapidement mis d'accord pour réaliser la première nuit de surveillance de l'œuf et certifier aux chercheurs, quand ils les verraient le lendemain, que la coquille de celui-ci n'avait pas bougé d'un pouce. L n'était pas fatigué, au mépris du commentaire de Light selon lequel il était pâle et aurait du aller se coucher lui aussi.

La question du détective quand à l'endroit où ils avaient trouvé l'œuf ne l'étonna même pas, car elle était tout ce qu'il y avait de plus logique. Si l'espèce était abyssale, ainsi que le démontrait la bioluminescence, il y avait de fortes chances pour que sa progéniture soit mise au monde dans les profondeurs, à l'abri de l'activité humaine, des bateaux et de leurs sonars qui la dérangeait au point qu'elle les attaque. Aussi la présence de l'œuf à un niveau si proche de la surface n'avait-elle à première vue aucun sens, en particulier non loin de fragments de navires ayant été la cible d'un spécimen adulte auparavant.

- Je ne sais pas, dit Light, sincère. Soit il y a un problème avec les fonds marins, et l'adulte n'a pas pu laisser l'œuf plus profond ou mettre bas plus profond pour une raison bien précise, soit il y a un problème avec la surface. Si ce n'est les deux.

L le regarda fixement.

- Qu'est-ce que tu entends, par "problème avec la surface" ?

Light se rendit près du tableau, vierge de toute observation de part le transfert des données sur le powerpoint de Deville dont l'ordinateur était resté sur sa paillasse, éteint. Il prit un marqueur, et, après un court moment d'indécision, se mit à écrire.

- On sait que I est abyssale, commença t-il, ce qui implique, si on suit la logique des zones océaniques, qu'elle peut plonger jusqu'à au moins 6000 mètres de profondeur et potentiellement dans la zone hadopélagique, à plus de 6000 mètres. La bioluminescence nous a confirmé cette possibilité, puisqu'elle ne s'observe que chez des espèces marines présentes là où la lumière ne peut plus passer.

Il dessina une sorte d'échelle verticale, qu'il divisa en quatre parties nommées d'après les différentes couches des océans. Puis il traça un crochet à droite, délimitant les zones bathypélagique, abyssopélagique et hadopélagique. Il se saisit ensuite d'un marqueur rouge, et entoura la zone mésopélagique.

- Mais l'œuf a été trouvé ici : à la limite de la zone mésopélagique, donc même pas dans la zone bathypélagique et à plusieurs milliers de mètres de la zone abyssopélagique. Sa coquille est faite pour résister à une forte pression sous-marine, mais il a été découvert à un niveau où il y en a très peu. Je t'avoue que j'ai pensé au départ que I mettait bas à une profondeur moins importante, pour protéger son petit le temps qu'il soit en mesure de descendre plus bas, mais dans ce cas, pourquoi la coquille de son œuf serait aussi épaisse ?

L hocha la tête silencieusement, validant sa théorie.

- Et surtout, pourquoi I laisserait son petit, un œuf, seul dans un environnement accessible à l'homme, donc hostile ? Continua t-il, amenant son pouce à ses lèvres.

Il ne mentionna pas d'autres prédateurs. Les grandes profondeurs, dénués de photosynthèse et donc de végétation, avaient tout autant leur lot d'animaux marins carnivores que l'océan proche de la surface. Light inscrivit leur deux questions sur le tableau, l'une en dessous de l'autre, puis laissa entre elles un espace assez grand pour proposer une réponse commune.

- Je ne suis arrivé qu'à une solution relativement pertinente, annonça Light en se tournant vers L. Quelque chose dans les fonds marins a du pousser, d'une manière ou d'une autre, l'adulte à pondre ou à déplacer son œuf, dans le cas où la ponte aurait déjà eu lieu, vers un niveau moins risqué, plus proche de la surface. Et en parallèle, autre chose a du éloigner l'adulte de l'œuf, mais je doute que ce soit ce qu'il y a en bas.

- Un sonar de bateau, par exemple ? Suggéra L.

- Oui, par exemple. Ou un prédateur potentiel pour l'œuf, mais ça me semblerait plus étonnant, la coquille a l'air suffisamment épaisse pour le défendre contre les espèces de la zone épipélagique et mésopélagique. Et ce serait encore plus surprenant si l'adulte avait emmené l'œuf avec lui pour le laisser ensuite et fuir un prédateur.

- Et si l'espèce abandonne sa progéniture une fois pondue ? Le défia L. Les calmars sont réputés pour ce genre de comportements.

Light se délecta alors de posséder une réponse satisfaisante.

- Les calmars, oui, mais ils protègent malgré tout leurs œufs en les laissant à l'abri, dans des endroits isolés. L'œuf était visible pour tous quand nous l'avons trouvé, y compris pour n'importe quel prédateur. Et au delà de ça, les œufs des calmars sont très souples et pondus par milliers pour favoriser la survie de quelques individus. Cet œuf là est plus dur que du béton : il évoque davantage un oiseau ou un mammifère ovipare, comme l'ornithorynque, qu'un céphalopode.

- Un mammifère qui plongerait en zone abyssopélagique ? Attaqua L.

- Les cachalots descendent jusqu'à 3500 mètres.

- Les cachalots ne pondent pas, répliqua L, imperturbable. Il n'y a que deux espèces de mammifères qui pondent : les ornithorynques, et les échidnés, et ce sont des animaux de petite taille. Qui plus est, les cachalots sont des cétacés : ils n'attaquent pas l'homme et ne le mangent pas.

- Je n'ai jamais dit que j'étais sûr, L, gronda Light, qui sentait l'irritation poindre au fond de son ventre. Rien n'est sûr avec cette enquête. Ça pourrait très bien être les deux.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Les deux. Un céphalopode et un mammifère ovipare. Une nouvelle classe, répondit-il sèchement.

L lui adressa alors un regard étrange, infini, et Light se souvint tardivement qu'il l'avait déjà vu lorsque, quatre ans plus tôt, il avait découvert la culpabilité de Yotsuba dans les agissements de Kira. Le détective se leva doucement de son perchoir, puis, avec une lenteur calculée, rejoignit Light devant le tableau. En chemin, il s'empara d'un marqueur bleu traînant sur l'une des paillasses. Arrivé à hauteur du tableau, il traça deux flèches supplémentaires sous chacune des questions inscrites par le shinigami, et, entre elles, plaça l'annotation " céphalopode + monotrème ", le dernier étant le nom donné aux mammifères ovipares, suivie d'un point d'interrogation. Light aurait aimé dissimuler sa confusion, mais il n'y parvint pas. Les doigts de L, tenant le marqueur normalement, n'aidèrent en rien.

- Tu es d'accord ? Demanda t-il, essayant tout du moins de maîtriser l'émotion dans sa voix.

- Je ne suis pas toujours en désaccord avec toi, Light-kun, lâcha L, mais sa voix était douce. Si tu parvenais à ne pas vouloir me tuer pendant une seconde, tu te rendrais compte que je l'ai rarement été.

- Je peux penser à ne pas te tuer, dit Light, rentrant dans le jeu. Pendant plus d'une seconde. Et si tu es utile.

- Juste quand je suis utile ?

Une part de lui se prit à vouloir immédiatement arrêter la conversation, qui prenait un tournant beaucoup trop sombre et accidenté à son goût après quatre ans passés dans le Cathare à être tourmenté de colère et de regrets. L'autre considéra L, ses yeux noirs, le petit sourire en coin qu'il afficha en tournant la tête vers lui, et il sentit monter de ses entrailles un désir cruel, qui n'avait rien de rationnel, celui-là même qui l'avait poussé à essayer d'embrasser le détective, quelques heures plus tôt, et qui, à présent, lui donnait envie de le saisir par la taille, de le pousser contre un mur, et de couvrir ses lèvres et son long cou de baisers amers.

Je croyais que tu voulais le manger

Je n'ai jamais voulu le manger, je lui ai proposé, il a refusé, je ne voulais pas, je voulais qu'il dise oui

L dut lire son trouble, d'une manière ou d'une autre, car ses yeux se voilèrent et lui permirent d'y déceler autre chose de beaucoup plus profond, mais il ne parvint pas à l'identifier clairement. Il chercha même à fuir, dirigeant ses yeux vers le coin du laboratoire en face en lui. Il se figea.
Petite et monstrueuse, Nenn les observait tous les deux, ses yeux jaunes brillant d'intelligence, son Death Note entre les mains.


You look as good as the day I met you

Tu es aussi bien que le jour où je t'ai rencontré

I forget just why I left you, I was insane

J'oublie pourquoi que je t'ai quitté, j'étais folle

Stay and play that Blink-182 song

Reste et joue cette chanson de Blink 182

That we beat to death in Tuscon, okay

Qu'on chantait à n'en plus à Tuscon, okay

Extrait du morceau Closer de The Chainsmockers (feat Halsey)


Indications :

- Le chapitre est long, mais je tenais absolument à le finir de cette manière et à y intégrer toutes les informations que vous trouverez. D'ailleurs, je m'excuse vraiment pour le manque d'équilibre entre les scènes, mais j'avais tellement de choses à raconter en lien avec la première que je ne me voyais pas la couper comme ça :P.

- J'assume - un peu - le jeu de mots entre les noms des journalistes du reportage. C'était petit (haha !) mais j'avais très envie de le faire.

- J'ai fait des recherches concernant les tests de la bioluminescence et j'ai essayé de me baser aux mieux sur les données que j'ai pu trouver, mais comme je n'ai pas trouvé beaucoup de choses (et sans doute que je n'ai pas tout compris), ils sont très éloignés de la réalité (je m'incline bien bas auprès des biologistes). Quand au test avec l'eau, il fonctionne dans cette histoire pour une raison bien particulière, mais dans la vraie vie, j'en doute beaucoup XD.

- Le signe de Lazare est un réflexe qui est observé chez des patients en mort cérébrale et consiste normalement en un fléchissement des avants-bras sur les bras et une chair de poule juste avant.

- C'est la première fois que vous voyez les scientifiques bourrés (excepté Deville, mais il carbure à l'alcool). Spoiler : c'est pas la dernière ;).

- Pour les mammifères ovipares, tout est vrai : il y a bien deux espèces qui pondent, donc ce n'est pas totalement le propre des reptiles ou des oiseaux (même si la majorité des petits mammifères se développent dans le ventre de leur mère.

- Surprise, c'est pour la découverte de la bioluminescence par les chercheurs, mais aussi les soupçons confirmés de Joe Campa et de Lana vis-à-vis du gouvernement américain. C'est aussi en référence au comportement de L, qui accepte la théorie de Light alors que ce dernier était persuadé qu'il la refuserait.


Pour commencer, un gigantisme merci à vous pour votre patience et vos encouragements !

Je suis sincèrement désolée d'avoir donné aussi peu de nouvelles depuis le mois de décembre, cette année a été un challenge en termes d'organisations et j'ai jonglé entre beaucoup de choses (on peut carrément dire que je me suis noyée, oui oui, sans mauvais jeu de mot, j'étais en plongée apnée jusqu'en juin à peu près) en même temps, du coup j'ai du mettre de côté l'écriture du chapitre jusqu'à ce qu'arrive une période plus tranquille (à savoir le mois d'août, qui est passé tellement vite que c'en est injuste). J'espère en tout cas que l'attente n'aura pas été trop longue et que vous aurez apprécié ce chapitre, autant que j'ai apprécié l'écrire : maintenant que l'histoire entre dans son développement concret, je peux placer tout ma montagne d'infos et je me sens quand même moins limitée que pendant les premiers chapitres :D !

Plus l'histoire avance, et plus je me dis que le nombre de chapitre va dépasser 25, à moins que j'arrive à tout compacter, mais ce n'est pas le but, et ce serait vraiment indigeste pour vous. Surtout qu'on arrive à un moment où les vieilles blessures entre L et Light ressortent concrètement : sortez le pop-corn, d'ici peu de temps, vous saurez ce qui s'est passé pendant l'affaire Kira (tentative d'installation de suspense mode ON) !

Étant donné que l'année qui arrive va être aussi bien chargée pour moi (je pense, mais je croise les doigts pour que ce soit quand même un peu trop plus calme), je préfère être prudente comme avec ce chapitre et poser la date de publication du prochain en décembre avec un risque potentiel de retard. Dans tous les cas, je vous informerais comme d'habitude si jamais il y a un problème par le biais de l'introduction !

Je vous retrouve donc pour la fin 2017 (ou, dans le pire des cas, pour le tout début tout doux 2018) pour le dix-septième chapitre, et en attendant qu'on s'habille de moufles et de bonnets et qu'il fasse moins 8000 (vous remarquerez combien j'aime parler du climat français), je vous remercie encore chaleureusement (mois d'oaût, chaleur...oui, je sais, ça devient grave) pour vos reviews, votre présence ainsi que votre gentillesse !

Negen

Apparté "Réponses aux reviews que-je-peux-pas-répondre-par-MP" :

Nobuaki : merci infiniment pour tes compliments, que je n'honore décidément pas avec mon immense retard (toutes mes plus plates excuses) ! Tu es toute pardonnée pour la longueur de ton texte, que j'ai beaucoup aimé (peut-être une future fanfiction ? * yeux qui brillent*) : je suis drôlement contente que mon histoire t'ait inspirée à ce point :D ! J'espère que les autres chapitres t'auront plu autant que le cinquième (y compris celui-là, petit dernier en date), et j'espère te retrouver très bientôt pour la suite ! Encore un immense merci !

IloveSun : Haha, point de problème pour le langage, comment pourrais-je t'en vouloir avec toutes ces louanges faîtes sur Downtown Abyss et pour lesquelles je te remercie mille fois :P ! Je croise les doigts très fort pour que tu aies aimé cette suite également ! Pour ma cadence de parution, du coup, elle est un peu aléatoire, mais j'essaie de poster deux chapitres par an (oui, je sais, moi aussi j'en pleure de manquer de temps à ce point XD) : je faisais avant un chapitre toutes les deux semaines, mais mon avancement dans mes études a fait que ce n'est vraiment plus possible aujourd'hui, et comme je tiens à vous offrir des chapitres de qualité, je préfère prendre un peu (beaucoup, argh !) plus de temps ;). Héhé, je ne peux rien dire pour le traître ou la suite de la relation entre L et notre très cher shinigami immatériel, mais concernant Misa, je peux t'affirmer qu'elle va très bien (ou presque, la pauvre !), et qu'elle devrait revenir dans les prochains chapitres, promis ! Encore un très grand merci à toi pour ta review, et à très bientôt (soit en décembre, soit en janvier, je me connais XD) pour la suite !