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CHAPITRE DIX-SEPTIÈME

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Indésirable : dérivé du latin "desiderare" avec le suffixe able- et le préfixe

privatif in-, désigne ce qui n'est pas souhaitable ou ce que l'on accepte pas dans

un groupe quelconque.


INDÉSIRABLE

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" La lamia gardant la porte des Abysses n'a jamais été décrite dans les ouvrages qui auront permis la rédaction de

ce manuscrit, mais plusieurs auteurs ont abordé la créature en tant que telle dans leurs œuvres. Les lamias étaient

régulièrement décrites comme étant des créatures, d'apparence féminine, qui selon certaines circonstances pouvaient

revêtir une forme monstrueuse. Le prénom Lamia est par ailleurs régulièrement associé à des femmes

issues de la mythologie grecque : dans plusieurs de ces mythes, la Lamia en question est notamment capable d'ôter

ses yeux et de les remettre, soit par choix, soit par contrainte après avoir commis des atrocités en poursuivant

une vengeance contre Héra, l'épouse divine de Zeus. À noter que le choix n'apparaît que lorsque Lamia

est la fille de Poséïdon. Par conséquent, malgré les lacunes sur le physique de la gardienne, il

nous est possible d'envisager qu'elle ait elle aussi la capacité de retirer ses yeux ou volonté, ou qu'elle se présente tout

d'abord en tant qu'une belle jeune femme pour mieux endormir la méfiance des visiteurs non-désirés et ainsi les dévorer tout son soûl. "

Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster


31 mars 2008, 00h05, Quartier Général de L, Londres, Angleterre.

Matt avait été mis en contact avec un membre du gouvernement américain vers 15h de l'après-midi : Watari avait reçu un premier appel, visiblement inquiet, et la chose devait être suffisamment grave pour qu'il la transfère quelques minutes après vers Matt. Depuis qu'ils avait pris leur indépendance, Mello et lui avait abandonné leurs anciens téléphones portables, donnés par L pour qu'il puisse les solliciter afin de résoudre des affaires. Matt avait opté pour la nonchalance et s'était contenté de jeter le sien dans une poubelle des rues de Winchester. M, en revanche, plein de rancœur vis-à-vis de leur mentor par défaut, avait mis le feu au portable puis, comme ils passaient devant les portes de la cathédrale, aussi splendide que lugubre sous le reflet de la lune, l'avait balancé par dessus les petites grilles noires du portail protecteur. Il avait atterrit comme un défi jeté à toutes les institutions, qu'elles eussent été religieuses ou non, au beau milieu de l'allée centrale menant aux portes principales. Bien que pressés par la crainte d'être retrouvés et ramenés de force à la Wammy's, ils avaient pris le temps de le regarder flamber, vestige de leur adolescence passé entre quatre murs d'un établissement proche du sectarisme. Matt se souvenait encore du regard froid et dur de Mello comme l'appareil se réduisait en cendres. La ville était très calme autour d'eux, le silence étant à peine bafoué par les crépitements du portable incandescent.

Ça a toujours été très paisible de toute façon...on entendait rien, on ne disait rien, c'est la cité du silence

Mais un silence qui se faisait presque religieux, et quoi de plus approprié pour une école où l'on vénérait le nombre de points du quotient intellectuel ? Les enfants de la Wammy's n'avaient jamais été réputés pour leur discussions animés les uns entre les autres : plus on montait haut dans le classement, et plus les gosses étaient entourés de mutisme. Et quand parole il y avait, elle était soit sous la forme de murmures, soit déployées par ceux qui n'apparaissaient qu'en bas dans le palmarès des génies. Mello avait été l'exception à la règle dans leur trio, mais Matt supposait qu'il y en avait toujours eu une, même s'il ignorait véritablement combien il y avait eu de systèmes avant eux. BB avait probablement été celle de la trinité originelle, où L jouait le rôle de Near et A celui de Matt.

C'est vraiment tout ? Juste un rôle ? Je ne peux pas être moi-même ?

Jeter le portable avait été un acte de prise d'autonomie, mais le brûler avait été l'équivalent d'une anarchie. BB ne s'était jamais rebellé contre le système, ce qu'on ne leur avait jamais expliqué et qui avait semblé dément à leurs jeunes esprits d'alors, ceux qui avaient vu Beyond Birthday et l'avaient vaguement décrypté. Mais Mello était trop en colère pour comprendre BB, et Near trop soumis. Matt était le juste entre deux, l'équilibriste sur sa corde raide entre deux extrêmes. Il était expert en hacking, il savait déchiffrer des codes qu'aucun autre ne parvenait vraiment à comprendre : il avait cracké BB comme il serait rentré sans difficulté dans une vieille bécane. La vérité était que sous sa couche de folie, BB était absolument vide, comme Near l'avait sans doute été jusqu'à ce que L l'intègre à la Wammy's, puis force Mello dans sa tête et l'y accroche à l'image d'une sangsue. Mais à ceci près que Near était légèrement différent. Il avait été un peu rempli par l'idée de reprendre le flambeau de L à la mort de celui-ci. Ensuite, l'arrivée de Mello l'avait définitivement mis en mouvement. Même à ses moments les plus stériles, où il paraissait donner l'image d'un néant total, Near avait toujours plus ou moins eu quelque chose, et Matt s'en était rendu compte les fois où il était venu lui tenir compagnie. Il s'en rendait d'autant mieux compte maintenant qu'ils avaient grandi et qu'ils travaillaient de nouveau ensembles.

Chez BB, en revanche, il n'y avait que du néant. Et rien d'autre.

Non pas qu'il n'ait pas eu de personnalité. En son fort intérieur, et quand il y réfléchissait vraiment, Matt pensait qu'auparavant, BB avait été quelqu'un, peut-être pas de très commode, mais quelqu'un. Puis il s'était passé quelque chose, et c'était comme si tout ce qui avait fait BB avant avait été détruit, annihilé, incendié. L'homme que BB avait été autrefois avait littéralement disparu, happé par autre chose.

L

La ressemblance entre eux était beaucoup trop frappante pour laisser indifférent des génies, et en particulier des génies comme eux. Mais aucun n'était parvenu à isoler clairement ce qui était arrivé à BB. Parfois, pendant les repas de midi où Mello aimait s'entourer de quelques admirateurs, ils échangeaient ensembles des théories, discutaient leurs points de vue. Un jour, l'un des enfants avaient émis l'hypothèse que BB avait été si durement touché par le suicide de A que sa personnalité en avait subi un terrible revers, ce à quoi Mello avait sèchement répondu " que ça datait d'avant ". La mort de A, si elle avait probablement accentué la transfiguration de BB, n'en était pas l'origine. Le simple fait même de prétendre que le suicide de A ait pu avoir une quelconque influence sur Beyond Birthday était présomptueux, car aucun enfant n'avait jamais vraiment su la teneur de leur relation. Celle de L et de BB restait la plus visible et, bien que complexe, la plus aisée à déchiffrer, tout du moins était-ce ce que la plupart des génies de la Wammy's supposaient.

Mello n'avait pas été du genre à partager son avis de manière public. Il ne l'avait dit qu'une fois à Matt, la première fois où ils avaient couché ensembles.

- Pour moi, avait-il avancé, il a suffit que BB rencontre L.

Ils étaient dans le lit de Mello, allongés de tout leur long et nus sous la converture. Matt s'était adossé à un oreiller. Mello était pressé contre lui, la personnification suprême d'une panthèse au repos. Ils fumaient, peu soucieux de l'odeur qui se répandait dans la chambre et venait coller aux murs, aux draps, et aux vêtements.

- Tu penses vraiment ça ? Avait répliqué Matt, quelque peu surpris d'une telle confession de la part de M.

- Bien sûr. Réfléchis. BB a été le premier sur qui L ait expérimenté le transfert. C'est sur lui qu'est tombée toute la pression, et si tu l'ajoutes à, disons, un complexe d'infériorité immense ou encore l'envie délirante d'être quelqu'un d'important, ça pourrait se tenir.

- Tu crois que BB serait fragile à ce point ?

- Pas fragile, le corrigea froidement Mello. Instable. On parle de BB, Matty.

- Et pour toi, l'instabilité, ce n'est pas de la fragilité ? Avait insisté Matt.

- Non, avait répondit Mello. La fragilité, Matty, c'est un verre en cristal, un élément pas solide qui pourrait se briser en mille morceaux en tombant. C'était A, l'élément fragile. Je crois que L aussi est fragile, à sa manière. Mais pas BB.

- Pourquoi ?

Mello s'était redressé. La peau de son épaule avait caressé celle de Matt quand il s'était adossé à côté de lui.

- Quelqu'un de fragile, Matty, c'est quelqu'un qui, en plus d'avoir une structure fragile, est fait d'éléments fragile. Quelqu'un en verre, par exemple. Si la structure se casse la gueule, il se brise. Tu comprends ?

- Jusqu'ici.

- Bon. Maintenant, je pense sincérement qu'on peut être instable sans être fragile, comme BB. Il suffit d'avoir les bons éléments.

Ou toi

- Toujours pas clair, M. Il va falloir que tu précises.

Mello lui retira sa cigarette de la bouche et l'embrassa. Quand il se recula, ses yeux bleus luisaient furieusement.

- La structure de Beyond est pétée, ça, je te l'accorde, Matty, lui avait-il expliqué. Mais il est fait de titane. Des éléments en titane qui tombent, ça explose rarement en morceaux. Ça s'éparpille, c'est tout. Après, il faut juste reconstruire.

- Donc pour toi, L manie le titane ? Tu le prends pour qui, Vulcain ? Il arrive à peine à faire ses lacets.

- Tu le fait exprès ?

- Quoi ?

- De ne piger rien à rien ?

Matt avait haussé les épaules.

- Tu fais des métaphores un peu trop alambiquées pour moi, M.

- L ne manie pas le titane : il est juste malin. Il a trouvé une faille, soit dans un complexe d'infériorité, soit dans le souhait de BB de devenir quelqu'un. Il a fait la même chose avec A. Le problème, c'est que comme A était en cristal, L a tout cassé. Par contre, chez Beyond, la structure a tenu bon et L l'a remodelée à sa manière.

Matt avait jeté un coup d'oeil à Mello.

- Comme il est en train de le faire avec nous ? Avec Near ?

- Tu vois, quand tu veux, avait soupiré Mello.

Pour Mello, le problème avait toujours été somme toute assez simple : tout résidait dans L, son orgueil et son héritage, sa mégalomanie foudroyante qui l'avait amené à recruter des enfants selon des critères intellectuels pour en faire ses copies conformes. Matt, à l'inverse, était plus mesuré, mais sa mise à distance était due à sa place dans le classement et dans le fait que la pression mise sur lui n'avait jamais été équivalente à celle qui pesait sur les épaules de M et N. Il ne niait pas que la rencontre de BB avec leur mentor ait effectué provoqué chez celui-ci une fissure suffisamment large pour que l'ego de L s'y engouffre avidement et refasse tout l'intérieur, avec des prix supérieurs à ceux de l'immobilier de l'époque et en comptant de surcroît la bénédiction de Beyond, trop heureux d'enfin devenir quelque chose de conséquent pour refuser. Néanmoins, l'idée que tout venait de L lui paraissait trop simple, même venant de M, et il sentait qu'il y avait là un sujet que ni N, ni Mello ne voulaient véritablement aborder. Tous génies qu'ils étaient, ils restaient des enfants à l'époque, et l'architecture psychologique des enfants intégraient beaucoup plus facilement un schéma direct qu'un agencement diffus de responsabilités différentes. Mello avait eu besoin très tôt de fixer sa rage et son propre complexe d'infériorité sur des éléments précis : L lui avait mis Near sous les yeux, l'agitant comme une tranche de viande devant une piranha, et lui-même avait fini par devenir la cible de son ressentiment. Quand à Near, on lui avait imposé L comme idéal absolu : son intelligence surpassait celle de tous les autres enfants de la Wammy's, mais il était encore un petit garçon à l'époque, et la logique prévalant chez lui plus que chez tout autre, c'était tout naturellement qu'il s'était mis à nourrir une rancœur solide contre le détective.

Il l'a toujours détesté c'est juste que ça ne se voyait pas

En partie à cause de cela, mais plus particulièrement parce que L l'empêchait d'avoir Mello pour lui selon deux procédés : tout d'abord en fermant le système à trois pièces avec Matt, qui avait su accaparer M comme Near ne pourrait sans doute jamais le faire (mais la réciproque était malheureusement vraie), puis en les tournant l'un contre l'autre, plus spécifiquement en attisant le manque d'estime de soi de Mello contre Near.

Near et Mello haïssaient L pour des raisons plus ou moins égales, mais parfois, Matt aurait aimé leur dire d'arrêter, de se poser et de réfléchir une bonne fois pour toute. Quand bien même L eût été un monstre d'égocentrisme, ce dont Matt doutait un peu (juste un peu, on parlait de L), il trouvait étrange l'hypothèse selon laquelle le détective ait pu porter son intérêt sur une problématique aussi épineuse que la question de son héritage. Il avait suffisamment vu et entendu parler de leur modèle pour affirmer que celui-ci, en tout bien tout honneur, n'avait pour les enfants qu'une passion très modérée, et encore plus modérée était celle qu'il portait à son avenir. La seule chose qui ait jamais eût la moindre importance pour L - et il fallait être issu de la Wammy's pour le comprendre et l'admettre - était son travail, et potentiellement sa consommation de sucres. Le reste n'avait visiblement aucun attrait.

À l'exception de Light Yagami

Peut-être. La théorie restait à confirmer, mais n'aurait rien de surprenant.

Matt était persuadé que L n'avait jamais vu l'importance de transmettre son titre pour la simple et bonne raison qu'il ne la comprenait pas, dans le sens où il ne voyait pas pourquoi il y aurait un autre L que lui. Parfois, durant leurs cours à l'orphelinat, il arrivait aux enseignants de dériver sur des faits pratiques issus tout droit des enquêtes de L, Matt tentait alors un exercice que les enfants de la Wammy's pratiquaient parfois avec la psychologue pour améliorer leurs compétences sociales : il pensait Je suis L, je suis L, je suis L. Il n'était que troisième du classement, et son recul vis-à-vis de L associée à sa capacité d'observation saisissante lui donnait un pouvoir que ni Mello ni N n'auraient jamais. D'un coup, la classe se mettait à l'effrayer, à le dégoûter, et alors seulement il parvenait à comprendre.

D'une part, le détective n'accordait pas la moindre curiosité à sa succession car, dans son amour-propre dont la taille équivalait celle de l'Everest, il était incapable de projeter quelqu'un d'autre dans son rôle que lui-même. Mello et Near n'étaient en cela que deux figures nébuleuses pour lui, sans véritable forme ou intention. Sans doute en avait-il été le cas pour ceux les ayant précédé, à l'instar de BB et A, qui devaient devenir les remplaçants en cas de problème. D'autre part, et c'était là le point majeur qu'avait retenu Matt de ses exploration intérieures, ses héritiers terrorisaient L dans le sens où ils n'avaient de cesse de lui renvoyer sa mortalité en pleine figure. Bien que la croyance de L dans son éternité fût exagérée, en particulier pour un génie confronté régulièrement au danger de mort, il devait y avoir quelque chose chez lui strictement incapable de croire qu'il viendrait un jour où il ne serait plus.

Pas incapable, non disposé à

Tout reposait là. L savait qu'il allait mourir, qu'un matin son titre lui serait ôté et transféré à un des enfants de la Wammy's, mais il refusait de l'entendre, probablement par pur orgueil, et détestait en cela les gosses comme on déteste un frère ou une sœur qui prendrait notre place dans le cœur d'une mère. L voulait bien mourir, puisque visiblement son métier ne le dérangeait pas plus que ça, mais certainement pas être remplacé.En disparaissant, tout devait disparaître avec lui. La sauvegarde de son statut n'avait de signification pour lui qu'à condition qu'il soit celui désigné pour le porter. Un autre pouvait aller gentiment se faire foutre. Et toutes ces conclusions, ajoutées les unes aux autres au fil des années, des rencontres avec L, des discussions avec Mello et des silences avec Near, avait poussé Matt à rabattre la responsabilité du fardeau de L (car il fallait bien lui reconnaître que son nom cumulait plusieurs désagréments) sur les seules personnes dotées d'un sens de l'avenir et des compétences sociales exigées suffisamment élevés pour avoir produit l'orphelinat et le système de classement.

Watari et Roger

Eux aussi étaient des génies, comme eux. Roger avait son bureau de directeur officiel de l'orphelinat, tandis que Watari siégeait en premier ministre aux côtés du premier détective mondial. Mais il n'y avait rien sur eux. Contrairement à L dont on racontait les prouesses par monts et par vaux et dont on chantait les louanges (à moins d'être un élève), les fondateurs de la Wammy's étaient presque injustement absents des registres et des discours. Personne n'en parlait, on ne les mentionnait que très peu et presque toujours sous la nécessité. De cette manière, Watari était devenu strictement indissociable de L, à tel point que, parfois, les enfants avaient des doutes sur qui faisait la conversation à distance pendant leurs rencontres virtuelles avec le détective. Quand à Roger, si Mello ne lui avait pas fait faire des crises de nerfs en accumulant les désobéissances au règlement de la Wammy's, il aurait été aussi invisible qu'un moucheron. Matt, comme N ou M, savait qu'il avait régulièrement des échanges avec Watari, mais leurs propos demeuraient sous clé. En revanche, la moindre conversation avec L leur avait toujours été rapportée, et la réciproque était très probablement vraie. En somme, malgré leur importance dans la mise en place de l'héritage de L, Watari et Roger étaient étonnamment discrets, et Matt doutait qu'il eût été question d'un effacement par pure bonté d'âme.

Il avait beaucoup trop vu à l'oeuvre les génies de la Wammy's pour croire en une gentillesse non calculée. Ni M ni N n'étaient gentils, pas plus que ne l'était L, et certainement pas plus que ne devaient l'être Roger et Watari. Lui même ne l'était pas, bien que les mafieux américains lui aient souvent confiés qu'ils appréciaient son sens de l'écoute et sa compréhension. L était bien à l'origine de toute l'histoire, mais c'était là son seul rôle : l'origine. C'était de l'idée d'un L dont tout était parti, la perspective d'un symbole vivant et immuable, sans tâche, n'ayant rien d'autre que son travail et la Justice comme objectif. L avait à peine posé les bases de la Wammy's, tandis que Watari et Roger, doués d'une sociabilité beaucoup plus évoluée que celle de leur protégé, s'étaient mis en tête de construire la structure toute entière. Avant, la Wammy's avait été un orphelinat standard pour enfants surdoués, une aide bienveillante pour un monde ayant beaucoup de difficultés à saisir toute la complexité d'un QI trop élevé. Puis L était arrivé, et avec lui s'était lancé l'engrenage de la passation de pouvoir, du classement, de la sélection, de la pression, et du système à trois pièces. L n'était pas responsable de ce qui leur était arrivé à l'orphelinat : seuls Watari et Roger, pris de folie à l'idée de garder immortelle leur allégorie, étaient à blâmer, de même que leurs égos respectifs pour n'avoir pu su résister et rejeter le dogme qu'on leur présentait.

Toutefois, renvoyer la faute sur L était nettement plus facile que d'attaquer les deux fondateurs originaux : bien qu'il les eût considéré comme des menaces, le détective n'était que modérément dangereux contre eux, tout du moins tant que Kira n'entrait pas dans l'équation. Le véritable pouvoir émanait de Watari et Roger, plus particulièrement du premier puisque les fonds nécessaires à la construction de l'orphelinat provenaient de son compte en banque. Roger était davantage un sous-fifre que le cerveau de toute l'opération. Il avait très certainement été séduit par l'offre de son ami et y avait adhéré, mais le fait qu'il n'ait occupé le poste de directeur de la Wammy's qu'après le départ de L et Watari indiquait clairement que sa position subalterne dans le duo décisionnaire. En d'autres termes, il ne restait plus que Watari pour se tenir au point le plus haut de la hiérarchie, et en cela, il aurait du être la cible de toute la haine des enfants de la Wammy's, de la rancœur de Mello et de la colère glaciale de Near. Mais étrangement, aucun élève ne l'avait jamais accusé de quoi que ce soit. Il était demeuré aussi immaculé que lorsqu'il avait ouvert l'orphelinat, et l'exploit ne pouvait qu'être du au fait que, en plaçant L en tant que modèle absolu, Watari avait su détourner le ressentiment des génies, le tordre et le diriger habilement vers son protégé, uniquement responsable d'être le visage de l'idéologie. Et de part la discrétion dont lui et Roger avaient su faire preuve, subtilement éclipsée par l'égo surdimensionné et nourri en conséquence du détective, ils avaient su se prémunir du mécontentement général. Mello et Near étaient trop en rogne pour comprendre - ou accepter, ce que Matt se demandait parfois - que leur fureur contre L n'avait pas de sens et était mal placée. Il était d'une facilité déconcertante de détester L, à qui tout le monde vous disait qu'il fallait ressembler, dont on déifiait les moindres faits et gestes, qui ne disait rien pour se défendre et qui avait le melon suffisamment gonflé pour justifier l'existence du système. En revanche, reporter sa colère sur Watari et Roger, discrets, aimables, leur ayant permis d'avoir accès à une éducation de qualité, et qui, pauvres d'eux, subissaient les quatre cents coups des génies de la Wammy's pour l'un et l'égocentrisme de L pour l'autre, avait des airs d'apocalypse.

De même qu'il était beaucoup plus facile pour L de haïr les gosses de la Wammy's au lieu d'exprimer des reproches à l'encontre de Watari, qui l'avait reccueilli, élevé, et qui était l'équivalent d'une figure paternelle pour lui. De toute façon, les enfants de la Wammy's avaient toujours été supérieurs en tout, sauf en relations humaines, et il était ainsi naturel que la majorité d'entre eux choisissent la voie la plus évidente dès lors qu'il fallait accuser quelqu'un pour la pression mise sur leurs épaules. Ils étaient prêts à exécrer le système, mais pas à s'y attaquer de front, et qui plus est, l'exigence de la Wammy's consistant à être la copie conforme de L ne les aidait pas à prendre leur indépendance intellectuelle.

Excepté pour nous

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L'homme avait pour nom Joe Campa. Il appartenait à la United States Navy, la marine américaine. Matt, qui pourtant savait que les impressions fondées avant la rencontre étaient généralement erronées, n'avait pas pu s'empêcher d'imaginer un homme sûr de lui, au caractére affirmé de militaire. Il avait effectivement le caractère, mais pas la sureté. Watari avait transféré l'appel vers l'ordinateur que lui avait avait prêté la Wammy's. Hors de question d'utiliser son propre matériel, qu'il avait amené avec lui par sécurité et pour continuer de travailler à distance sur leurs engagements à Miami, mais dont l'accès lui était strictement réservé. Il avait tout bloqué avec une série de codes et de mot de passe qu'il était le seul à pouvoir produire et connaître, puis avait fait de même avec les équipements de Mello. Ce dernier avait été inflexible sur ce point : leurs numéros de téléphone personnels et adresses mails obtenus suite à leur départ de l'orphelinat devaient demeurer un secret pour toute personne qui en serait issue. L'affaire était traitée avec des outils appartenant à la Wammy's. Ils avaient reçu, à leur arrivée au QG, deux ordinateurs portables avec adresse électronique intégrée et deux nouveaux téléphones portables dont le numéro était en lien avec ceux de Near, Watari et L. Parce que le détective était supposé résoudre l'enquête en Israël en plus des disparitions de navires, le moindre appel concernant la première affaire passait obligatoirement par Watari avant de leur parvenir.

C'est lui qui a le pouvoir

Au téléphone, la voix de Campa était agitée, pleine de nervosité et d'indignation. Il lui avait d'abord exposé brièvement la situation, puis avait conclut par une observation inquiétante :

- Il y a quelque chose qui ne va pas dans mes dossiers, avait-il expliqué. Il manque des documents.

- Vous avez vérifié avec ceux de vos supérieurs ? Avait demandé Matt sans lâcher son jeu de rôle en ligne, où ses co-équipiers subissaient des attaques de plein fouet tandis qu'il s'était planqué dans un fourré.

Comme quoi, y a pas que des inconvénients à être un nain

Ou à être le troisième du classement, mais c'était un autre débat.

- Oui, avait répondu Campa. En apparence, tout correspond. Mais il n'y a rien sur la gestion des données auprès du public et c'est bien la première fois.

- Dans "gestion du public", vous entendez tout ce qui revient aux transmissions d'informations aux médias, à la prise en charge des familles des victimes ?

- Entre autres. Il devrait y avoir aussi des copies des discours officiels du président et éventuellement de Gates, en plus d'autres discours non officieux et de conversations privées, il fit une pause d'un instant puis reprit : et aussi des fichiers sur des communications avec les autres pays qui ont subi des disparitions.

Ses camarades de World of Warcraft enduraient une déconfiture mémorable, tandis que son propre personnage n'avait toujours pas été repéré par l'autre équipe et restait tranquillement camouflé. Même Mello, pourtant loin d'être talentueux dès qu'il s'aventurait dans un MMORPG une fois tous les millénaires, n'avait jamais été aussi nul. Il quitta le jeu sans un message d'au revoir, l'histoire des dossiers absents étant devenue beaucoup plus palpitante.

- Et vous avez cherché dans les autres dossiers de vos supérieurs ?

- Impossible, lui avait assuré Campa. Tout est bloqué. C'est le seul dossier que nous ayons en partage, le reste des consignes nous défendent d'autoriser l'accès à d'autres informations.

- Risque d'espionnage ? Avait deviné Matt.

Campa avait soupiré, mais il avait semblé à Matt qu'un sourire l'accompagnait.

- Vous avez visé dans le mille.

- Appelez-moi Néo.

Campa avait rit.

Bonnes références

- Dans ce cas, je vous propose quelque chose, avait déclaré Matt, et comme c'est vous qui avez appelé, vous devez vous douter de ce que je vais vous dire.

- Du hacking ? Avait avancé Campa, non pas timidement comme s'il prononçait un gros mot, mais avec assurance.

- Oui. Je peux déjà vérifier votre ordinateur dans un premier temps et chercher un fichier caché dans le dossier auquel vous ne pourriez pas avoir accès.

- Mais j'aurais du le voir, non ? Je veux dire, je connais la procédure pour les fichiers cachés, s'était défendu Campa.

- Je sais. J'imagine que tous ceux qui travaillent avec vous et pour le gouvernement américain la connaissent. Mais il y a d'autres moyens de faire un sorte qu'un fichier soit invisible, et je ne pense que vous en ayez entendu parler.

- Quoi, par exemple ?

- Vous voulez vraiment m'écouter parler code binaire et sniffing ?

Il avait allumé une cigarette le temps que Campa prenne sa décision. Pas de risque de voir Near débarquer d'un pas traînant et lui faire la moindre remarque : il était dans la chambre commune qu'il partageait avec Mello, une fenêtre entrouverte pour aérer la pièce qui avait déjà supporté plusieurs enfumages au cours des derniers jours. L'odeur s'était déjà incrustée dans le papier-peint, le tapis et le bois des meubles. C'était comme s'ils étaient revenus à la Wammy's, en plus indigeste.

- Vous avez raison, avait fini par admettre le militaire. On perdrait du temps.

- À la bonne heure. Et au delà de vous faire perdre du temps, avait dit Matt en préparant sa connexion en réseau, ça vous emmerderait.

- Ça dépend, avait répliqué Campa. S'il y a pour moi un intérêt et si je peux reproduire la méthode, ce sera sûrement très intéressant.

- Sûrement, lui avait concédé Matt.

Le côté terre-à-terre de Campa lui plaisait. Il avait toujours préféré travailler avec des matières brutes : le polissage ne valait rien à ses yeux. Il avait vu suffisamment de masques et de maquillages à la Wammy's pour surpasser toutes les collections de Venise.

L est un pierrot

- Mais vous ne pourriez pas le reproduire, lâcha t-il ensuite sans méchanceté. Désolé pour vos rêves de gloire.

- Il n'y a pas de mal : je suis une catastrophe en informatique, de toute façon, avoua le militaire en riant.

- Vous êtes un homme de terrain, l'avait rectifié Matt en ajustant son programme. Et ce n'est pas une question de compétences vis-à-vis des ordinateurs : vous êtes beaucoup trop honnête pour faire un truc pareil, c'est tout.

- Joli, le complimenta Campa. Mais je vais devoir être en désaccord avec vous : si j'avais pu le faire moi-même, je n'aurai pas hésité. Ça n'a rien à voir avec l'honnêteté, c'est simplement en fonction de ce que l'on croit devoir faire ou non.

- Et l'honnêteté, ce n'est pas justement ce que l'on croit devoir faire ? Et qu'on peut choisir de ne pas faire ?

Campa avait humé par delà son casque audio, indiquant son approbation.

- Vous avez raison, lui accorda t-il pour la seconde fois. Il faudra que l'on reprenne cette conversation un de ces quatre, quand l'occasion d'y prêtera mieux.

- Ce sera un grand plaisir, monsieur Campa.

- Juste Joe.

- Vous avez peur pour votre nom de famille, si jamais on nous écoute ?

- Non, admit Campa. De toute façon, étant donné mon statut, si quelqu'un écoute cette conversation, on me retrouvera.

- La ligne est totalement sécurisée, lui promit Matt, et ses doigts pianotaient sur le clavier d'ordinateur comme s'il avait joué le "Rondeau fantastique sur un thème espagnol" de Liszt. Vous ne risquez rien.

- Aucun doute là-dessus, lui dit Campa. Je trouve juste qu'étant donné ce que vous allez faire et notre conversation, vous pouvez laisser tomber les formalités.

Vraiment bien, ce type

- À la bonne heure, déclara Matt. Je suis connecté à votre ordinateur. Vous me voyez bouger la souris ?

- Oui. C'est très perturbant.

La voix de Campa tremblait, mais pas une once de crainte n'était apparue dans son observation : il semblait au contraire s'empêcher d'éclater de rire.

- Bon. On laisse tomber les formalités, alors. Je lance le programme pour votre ordinateur. Allez prendre un peu l'air, Joe, j'en ai pour un peu moins de dix minutes.

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Le programme s'était révélé très vite inutile : il n'y avait rien de plus dans les fichiers de Campa que ce que ce dernier ne connaissait déjà. À mesure qu'ils apparaissaient à la fois sur l'écran du militaire et celui de Matt dans une liste déroulante, le premier signalait au second à quoi correspondait chaque fichier et s'il en avait déjà vu le contenu. Les documents officiels et officieux avaient été épluchés les uns à la suite des autres, sans distinction ni retenue, mais aucun d'eux n'avait apporté le moindre indice selon lequel un autre fichier ait pu être rendu inaccessible à Campa. Au bout d'une vingtaine de minutes de débrouissaillage, durant lesquelles Matt avait appris à trier plus vite en reconnaissant grâce aux indications de Joe les documents potentiellement intéressants de ceux qui n'avaient pas d'importance, ils en conclurent qu'ils ne trouveraient rien de significatif, et revinrent au plan de départ de Campa.

- Il va falloir entrer sur les ordinateurs de vos supérieurs, avait annoncé Matt. Le programme n'a rien trouvé.

- On ne peut pas dire que je sois vraiment surpris, marmonna Campa. J'imagine que vous aurez besoin des appareils allumés pour lancer votre analyse ?

- C'est une évidence.

- Et surtout un problème, lui dévoila le militaire. J'ai les dossiers de Roughead, Winter, Gates et notre président sur mon ordinateur parce qu'ils ont accepté de me les transmettre : c'est la raison pour laquelle j'ai pu faire une première comparaison. Mais autrement, je n'ai aucun accès à leurs outils de travail.

- Pas même à leur session ? Vous devez bien avoir un réseau commun, comme la plupart des entreprises américaines.

C'est ce qui fait qu'on peut s'introduire si facilement dans vos bases de données

Mais il avait gardé la remarque pour lui. Campa était certes ouvert d'esprit, cependant il demeurait un militaire associé à l'armée de la plus grande puissance mondiale depuis le XIXéme siècle, cette dernière étant toujours sur le qui-vive depuis les attentats du 11 septembre 2001.

- C'est toute la difficulté, lui avait certifié Campa. Nous avons un réseau commun, mais il est réservé aux personnes qui n'ont pas de contacts directs avec le chef des opérations navales, comme les matelos ou les lieutenants. C'est une mesure qui a été appliquée dès la fin de l'année 2002, par sécurité. Les directeurs et les chefs, y compris moi, utilisent pour la grande majorité des sessions individuelles non accessibles à autrui avec des identifiants personnels.

- Même pas de air-gap ?

- Pardon ?

- De air-gap. Ou air-wall, si vous préférez. C'est comme un pare-feu, à l'exception que c'est un réseau complétement déconnecté d'internet, qu'on utilise surtout pour stocker des informations de nature confidentielle. La plupart des hackers s'arrachent les cheveux dessus depuis qu'ils ont été mis en place.

- Je ne pourrais pas vous dire. Je n'ai pas eu d'informations là dessus. À l'époque, on m'a simplement signalé que nous serions coupés du réseau normal pour quelque chose de plus sécurisé, mais vous savez ce que c'est. La plupart d'entre nous ont seulement la moitié des explications.

Évidemment

- Alors dans ce cas, il y a une possibilité, lui avait signalé Matt. Je peux faire un test simple sur votre ordinateur, si vous voulez. Ça confirmera ou non la présence d'un air-gap.

- Bien sûr. Mais vous dîtes que les hackers s'arrachent les cheveux dessus ? Dois-je en conclure que ce type de réseau est impossible à cracker ?

- J'ai dit "les hackers", Joe. Vous remarquerez que je ne me suis pas compté dans le lot.

Campa avait ri franchement.

- Détendez-vous, l'avait rassuré Matt. J'ai vu beaucoup plus compliqué, croyez-moi. Je vous donne ma parole.

Mello avait choisit ce moment-là pour débarquer dans la chambre, ramenant avec lui son sex-appeal, un courant d'air froid, accompagné de l'odeur puissante des cigarettes et des craquements de cuir de son blouson. Il avait vaguement jaugé Matt, les yeux rivés sur son écran d'ordinateur et son casque dans les oreilles, puis avait eu un geste de la main pour inciter l'autre à regarder dans sa direction :

Qu'est-ce que tu fous ? Avait-il articulé, et même sans entendre sa voix, Matt avait deviner son incompréhension.

Affaire des disparitions en mer, avait-il répondu de la même façon. Je t'expliquerai quand j'aurai terminé, blondie.

Qui c'est à l'autre bout du fil ? Avait alors insisté Mello.

Matt avait souri.

Joe Campa, lui avait-il dit. Militaire dans la US Navy, il est cool. Maintenant, laisse-moi bosser.

Mello avait haussé les épaules comme si l'information, après réflexion, n'était pas si importante, puis il avait ôté son blouson, ses chaussures, et était venu se poser à côté de lui sur le lit qu'ils partageaient. Il avait une barre de chocolat avec lui. Sa peau était plus pâle que d'habitude : il commençait à perdre le bronzage mordoré qu'il avait gagné à Miami, mais ce n'était pas vraiment un phénomène exceptionnel. Mello avait toujours possédé un teint de neige, héritage familial en provenance direct d'un village paumé de Russie, et le simple fait qu'il ai pu acquérir la moindre couleur aux États-Unis avait constitué un exploit que le climat maussade de l'Angleterre venait de réduire à néant.

La petite manipulation de Matt avait indiqué très rapidement que le réseau auquel était rattaché l'ordinateur de Campa était bien un air-gap. Compte tenu de l'utilisation massive qu'en faisait les institutions gouvernementales, il n'y avait de quoi être surpris. En revanche, l'ignorance véritablement sincère qu'avait affiché le militaire tout au long de la procédure et des explications concises de Matt sur son fonctionnement était un peu plus inquiétante : qu'il n'ait pas le même fichier que ses supérieurs était à la rigueur prévisible, mais qu'on ne lui ai pas présenté en détails le réseau sous-tendait qu'il y avait probablement quelque chose de beaucoup plus complexe en jeu qu'une simple histoire de documents manquants, un enjeu beaucoup plus glauque dans lequel même quelqu'un d'aussi flegmatique de Matt trouvait peu aisé de se lancer.

- Vous êtes certain de n'avoir rien reçu sur ce réseau ? Pas de séminaire de présentation, pas de documents papiers ? Avait-il insisté.

- Rien du tout, lui avait assuré Campa. Je ne comprends pas.

- Si, avait répliqué Matt. Vous comprenez.

Campa avait soupiré, et cette marque d'angoisse fut étouffée par sa main contre sa bouche.

- Il se passe quoi ? Avait - encore - demandé Mello.

- Après, Blondie. Promis.

Mello avait répondu par un grognement d'agacement, mais n'avait pas insisté. Étrangement, il avait toujours fait preuve d'une patience remarquable dès lors que Matt bossait sur un projet et que c'était suffisamment sérieux pour qu'il ne soit pas en train de jouer en même temps en ligne ou avec sa console.

- C'est mauvais pour vous de ne pas avoir d'informations sur le réseau ? S'était risqué Campa.

- Pas vraiment. Ça reste un réseau, et les réseaux, même quand ils sont déconnectés d'internet, sont toujours fichus un peu pareil. J'ai ce qu'il faut. Par contre, c'est mauvais pour vous de ne pas avoir été mis au courant que c'était un air-gap. On risque de trouver beaucoup plus que ce qui était prévu au départ. Vous êtes prêt pour ça ?

- Disons que ça fait plusieurs années que je m'attends à trouver plus, avait expliqué Campa d'un ton qui se voulait nonchalant.

Et puis ils avaient trouvé.


"L'Oeuf ou l'Écaille ? "

" Non, l'heure n'est pas plus à l'omelette qu'elle est à la soupe de poisson, et pourtant, il est possible de trouver les deux en mer. À

l'heure où la population mondiale est de plus en plus préoccupée par les récentes disparitions aux quatre coins des océans, force

est de constater que l'on souhaite malgré tout nous maintenir au plus loin de l'avancement de l'enquête qui a pourtant lieu sur le sujet. Le

navire océanographique Svetlana, chargé de trouver une explication et une solution au phénomène, n'a pas disparu, mais demeure malgré tout

aussi silencieux qu'une tombe. Cependant, nos sources nous ont indiqué que les chercheurs à bord auraient fait une découverte sans précédent

alors que le bateau a été envoyé à Cooper Key, non loin du port de Porvenir, au Chili, pour examiner des morceaux du ferry San Rafael disparu

il y a un an. Il serait question d'une écaille d'une taille impressionnante, qui pourrait bien intéresser l'intégralité du monde scientifique, mais aussi et

surtout d'une étrange pierre qui, comble de l'horreur, pourrait bien être en réalité un œuf aux proportions gigantesques ... "

The Independent, quotidien britannique


31 mars 2008, 00h09, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

- Tu avais raison, commença Watari.

L était retourné dans la cabine qu'il partageait avec Light aux alentours de minuit moins dix, soit quelques minutes après que le shinigami lui ait annoncé qu'un de ses semblables se trouvait dans le laboratoire avec eux. Au début, L n'y avait pas cru, car la situation dérivait alors lentement mais sûrement vers une conversation sentimentale qu'ils avaient déjà eu quatre ans plus tôt, et il avait était persuadé que Light avait inventé la présence d'un autre dieu de la mort pour s'en extraire. L'excuse lui avait certes paru démesurée et peu probable, mais toute l'affaire des disparitions de navires prenait une envergure rocambolesque. Qui plus est, la venue de Light sur Terre en tant que shinigami pouvait justifier que d'autres y fassent un tour. Dans le fond, en 2004, Rûyk avait bien laissé tombé son Death Note pour échapper à son ennui et sa morosité. Il n'y avait donc rien de véritablement étrange à ce qu'un autre dieu de la mort se pointe sur le Sveltana : le nombre de dieux psychopompes à bord n'était pas limité.

Mais le visage de Light était trop expressif, ses yeux trop menaçants pour que L persiste à croire totalement qu'il lui mentait. Il regardait le coin du labo avec une telle animosité qu'il était impossible d'en déduire qu'il n'y voyait pas réellement quelque chose et que, de toute évidence, le "quelque chose" n'était pas le bienvenu. Puis il avait levé légèrement le bras et l'avait placé près de la taille de L, sans le toucher, mais comme pour le rapprocher de lui en une parodie de protection macabre contre un adversaire invisible. Le geste était inattendu de part un nombre incalculable de facteurs, cependant il n'avait pas été désagréable. Si Light avait été matériel, Lawliet ne l'aurait pas repoussé, même si son expression était suffisamment glacée pour lui rappeler Kira.

Mais il est de mon côté, cette fois

- Light ? Avait-il demandé. Tout va bien ?

Un instant plus tôt, le shinigami le regardait. Il venait de formuler une hypothèse pertinente sur le statut de la créature qui rôdait dans les bas fonds marins, selon laquelle cette dernière pouvait être une nouvelle espèce réunissant les caractéristiques des monotrèmes, mammifères capables de pondre des œufs, et des céphalopodes. L aurait aimé pouvoir lui renvoyer une observation cinglante en mesure d'invalider toute la structure de son postulat, mais il en avait été incapable : ils avaient auparavant fait le tour de toutes les possibilités et il était question de la seule qui puisse tout expliquer, tout du moins jusqu'à ce qu'ils obtiennent davantage d'informations. Puis, comme Lawliet l'avait rejoint et qu'ils étaient parvenu à échanger des plaisanteries douteuses sans animosité, son visage s'était mis à irradier d'un désir contenu, puissant, et incroyablement malheureux. Lawliet n'y avait pas vu la moindre volonté de domination. Personne ne l'avait jamais regardé ainsi.

Personne, Lawlita ?

Non, pas toi. Tu voulais juste m'asservir.

Œil pour œil

Oh, tais-toi Beyond pitié tais-toi tais-toi laisse-moi laisse-le moi

La façon qu'avait Light de le regarder comme ça lui avait toujours fait penser à des choses irrationnelles et dangereuses, comme trouver une solution miracle pour son immatérialité, lui rendre la vie, le tuer encore, le frapper jusqu'à ce qu'il en devienne fou, faire brûler le Cathare, détruire la Wammy's, passer ses bras autour de son cou, le laisser l'embrasser, le laisser l'avoir et enfin être lui même, sans L, sans Kira, et sans personne d'autre.

Oh, je voudrais je voudrais

- Il y a un autre shinigami, lui avait expliqué Light sans détourner les yeux du coin du laboratoire où ils s'étaient fixés. Avec un cahier de la mort.

L avait froncé les sourcils, peu convaincu par une excuse qui ne pouvait pas être justifiée visuellement. Light l'avait remarqué.

- Je te jure que je ne te mens pas, s'était-il défendu.

- Si j'étais toi, j'éviterais de jurer, Light-kun, lui avait rétorqué L. Surtout quand je ne peux pas voir le shinigami en question.

- Au cas où tu aurais oublié, ce qui serait surprenant de ta part mais pas franchement déplaisant, avait sèchement répondu Light, personne ne peut voir un shinigami à moins d'avoir touché son death note.

- Navré de décevoir tes prétentions en ce qui concerne mes capacités intellectuelles, Light-kun, mais je n'ai pas oublié. Et je me souviens aussi que tu as un certain passif avec le mensonge.

Light avait exhalé un soupir de colère.

- Je n'aurais aucun intérêt à te mentir là dessus, lui avait-il certifié. Tu le sais très bien.

- Tu disais ça il y a quatre ans.

- Les choses ont changées, lui avait rappelé Light.

Non

- Je n'en ai pas l'impression : tu veux toujours écrire mon nom dans ton cahier de la mort, tu l'as dis toi-même.

Light avait tourné vers lui ses yeux jaunes, brûlants d'irritation.

- J'ai dit que je ne pouvais pas.

- Et je t'ai dit que ça ne t'arrêterait pas, avait répliqué L du tac-au-tac, mais sa voix était calme et maîtrisée.

- Tu sais parfaitement que non, tu sais que...

Mais Light s'était interrompu, son regard s'était voilé, et le reste de sa déclaration était demeurée coincée dans sa gorge. L avait été traversé d'un frisson atroce de désespoir.

Dis-le dis-le dis-le oh je t'en prie libère-nous dis-le j'en ai assez

Il s'était détesté d'y penser, mais comme tout ce qui avait concerné Light depuis 2004, il n'avait pas réussi à s'en empêcher.

- Donne-lui ton death note, avait ensuite ordonné Light au coin du laboratoire. Pour qu'il te voit.

Il n'y avait pas eu un mouvement, pas le moindre courant d'air qui aurait pu indiquer la présence d'un autre dieu de la mort sur les lieux. Il n'y avait que le silence. Néanmoins, l'expression de Light avait changé.

- Comment ça, tu ne peux pas ? S'était-il indigné.

- Sans vouloir enfoncer le clou, Light-kun, ça ne joue pas en ta faveur, avait ronronné L, particulièrement satisfait des difficultés du dieu de la mort et trouvant là une vengeance puérile mais suffisante à son mutisme antérieur.

- Merci de soutenir, avait grommelé Light. Elle dit qu'elle vient sur ordre du roi des dieux de la mort. Elle est son porte-parole, mais contrairement à moi, elle n'a pas d'apparence humaine, c'est pour ça que tu ne peux pas la voir directement.

- Elle ?

- C'est une femelle.

- Comme Rem, alors ? Intéressant. Et tu as dit qu'elle ne pouvait pas me donner son death note ?

- Apparemment, non. Les porte-paroles ne sont pas supposés être visibles pour les humains. Ils ne sont là que pour transmettre un message aux émissaires, et ensuite ils retournent au Cathare.

- Donc même si elle essayait de me donner son death note, ça ne fonctionnerait pas. Je ne pourrais pas la voir, en avait conclut L.

- Elle dit que oui.

- Comme c'est pratique, Light-kun.

- Ça n'a rien à voir.

- Alors donne-moi une preuve qu'il y a bien un autre shinigami dans cette pièce, avait ordonné L froidement.

Light avait pincé les lèvres, visiblement de plus en plus agacé par l'obstination du détective. Sous-entendre que sa vigilance était déplacée aurait été malvenu, compte tenu du fait que L avait assez vu Light manier les mots et les événements pour se mettre dans des situations avantageuses selon ses objectifs, mais il ne pouvait pas nier qu'il tirait un plaisir relativement malsain à l'embêter de la sorte, car il s'agissait bien d'embêtement, quand ce n'était pas une vengeance en bonne et due forme contre son statut de tueur en série, son refus de recevoir l'aide que L lui proposait, ou encore le fait qu'il ait préféré son ambition au détective. Démontrer l'existence du deuxième shinigami au sein du laboratoire était devenu secondaire dès l'instant où il avait compris qu'il pourrait extraire une quantité bien plus considérable d'amusement des hésitations de Light face au problème.

Mais c'est qu'en plus il est vraiment mignon quand il

La ferme, Beyond.

- Est-ce que tu peux prendre l'écaille ? Avait demandé Light au coin de la pièce, sans que la réponse ne parvienne aux oreilles de L.

- Tu as l'intention de faire un tour de magie, Light-kun ? Ne s'était pas privé de le railler le détective.

- Non, mais si tu continue, je peux faire en sorte que tu disparaisses, avait grincé Light. Définitivement.

- Je savais bien que tu ré-utiliserais ton Death Note.

- Sois plus imaginatif, avait répliqué Light, et il souriait. Nous sommes sur un bateau. Je te jette par dessus bord.

- Je croyais que tu étais immatériel, avait observé L.

- Je trouverais bien une solution. Il y a ce qu'il faut dans ce laboratoire. Je jouerais à Frankenstein.

- Tout ça juste pour me pousser par dessus bord ?

Light s'était de nouveau tourné vers lui. Son sourire s'était adouci, il avait resssemblé au garçon qu'il était avant que Kira ne s'érige en maître absolu. L avait senti monter dans son ventre une impulsion monstrueuse.

Non pas juste pour me pousser par dessus bord tu sais si tu demande gentiment je pourrais encore être la fiancée de Frankenstein

- Je n'ai jamais été du genre à lésiner sur les moyens en ce qui te concerne, lui avait-il fait remarquer d'un ton qui suggérait une plaisanterie juste entre eux, ce qui n'était pas loin d'être le cas.

Demande-lui de t'acheter des gondoles à Venise pour que vous puissiez roucouler en paix

Oh mon dieu Beyond TAIS-TOI laisse-moi penser

Puis Light avait levé la tête.

- Oh, avait-il lâché.

- Quoi ?

L avait suivi son regard. En face d'eux, l'écaille flottait en l'air, et rien de visible ne la tenait. Tout à côté, une éprouvette graduée subissait le même sort : le shinigami ayant probablement choisi de faire bonne mesure, il avait jugé plus opportun de choisir deux objet au lieu d'un seul.

- Tu me crois, maintenant ? Lui avait demandé Light, un peu moqueur.

L avait ravalé sa déception.

x

x

La shinigami s'appelait Nenn. L ne pouvait pas la voir et s'en était trouvé très frustré, mais Light avait joué le rôle d'intermédiaire avec une indifférence qui frôlait parfois le mépris. D'après lui, elle était plus petite que la majorité des dieux de la mort, mais pas spécialement plus avenante. Elle était présente au Cathare depuis plus longtemps que Light, celui-ci suspectant toutefois une date d'arrivée moins ancienne que Ryûk ou Rem.

- Qu'est-ce qui te fais dire ça ? L'avait interrogé L.

- Sa mémoire, avait répondu le shinigami. Et ses émotions. Au fil du temps, les dieux de la mort perdent petit à petit les souvenirs de leurs vies humaines et deviennent de plus en plus insensibles à tout ce qui les entourent. C'est ce qui explique pourquoi ils sont maussades la plupart du temps.

- Et elle n'est pas maussade ?

- Si, mais moins que les autres, lui avait indiqué Light, avant d'ajouter en soupirant : si tu pouvais les voir...

Nenn avait reposé l'écaille et l'éprouvette dès l'instant où L avait admis sa présence dans le laboratoire. Elle avait signalé à Light qu'elle répugnait à se livrer à ce type de tour de passe-passe, et que L devait avoir honte de l'obliger à s'abaisser de cette façon, mais comme le détective était incapable de jouter verbalement avec elle de manière directe et que Light n'aimait pas plus le fait de transmettre les messages que Nenn le fait d'agiter des objets en l'air, la mésentente avait tourné court.

- Pourquoi le roi de la mort l'a t-il envoyée ? Avait demandé L.

Light avait attendu que Nenn lui réponde, et dans ce court laps de temps, ces lèvres s'étaient pincées de nouveau sous la contrariété.

- Elle vient au rapport, grosso modo, avait-il informé le détective. Le roi est au courant pour la découverte de l'oeuf et il veut en savoir plus.

- Ils ne peuvent pas te voir, de là-haut ? S'était étonné L.

- Seulement de manière limitée. Il y a des vortexs dans le Cathare qui permettent d'avoir accès au monde des humains, et on peut les contrôler de façon à pouvoir en retrouver certains et à les voir de plus près, mais ce sera seulement sur une période de temps très courte. Tu sais, comme quand tu zoomes avec une caméra et qu'il y a une fonction automatique qui dé-zoome au bout de trente secondes.

L avait hoché la tête. Son pouce avait rejoint ses lèvres.

- Donc un dieu de la mort a vu l'œuf et a averti le roi, avait-il conclu.

- Je me doutais que le roi a nommé un shinigami pour me surveiller depuis le Cathare, lui avait alors confié Light. Je pense savoir qui c'est, et je crois qu'elle a regardé au bon endroit au bon moment.

- Tu pense vraiment que c'est le fruit du hasard, Light-kun ?

- J'en suis certain.

- Et l'autre shinigami ?

- Moins sûr. Sa Majesté, et il le prononça d'une telle façon que L sentit le dédain qu'avait l'ancien tueur en série pour le titre honorifique, n'est pas du genre à choisir ses émissaires et ses portes-paroles au hasard.

- D'où ta présence ici, l'avait taquiné le détective.

- Pas vraiment, avait répondu Light. C'est un compromis : je reste persuadé que le roi voulait envoyer quelqu'un d'autre, mais que mes capacités intellectuelles ont fini par le convaincre.

Puis son regard s'était tourné vers la shinigami invisible, et son visage s'était durci.

- Si tu es juste venue pour dire ça, tu peux repartir tout de suite, avait-il craché, plus froid que les glaces de l'Antarctique.

- Si elle t'énerve tant que ça, on devrait pouvoir s'entendre elle et moi, s'était amusé L.

- Elle ressemble à Rem, avait dit Light.

- Et je me souviens que tu ne l'appréciait pas beaucoup.

- Oui, je me souviens aussi.

Je me souviens de ce que tu as dit quand tu as compris que tu étais piégé

Le portable de L avait vibré dans sa poche, et il avait laissé Light en compagnie de la déesse de la mort pour y jeter un coup d'œil rapide. Light n'avait pas posé la moindre question, tout occupé qu'il était à échanger des remarques doucereuses mais empoisonnées avec la nouvelle venue. L'écran du téléphone n'affichait qu'un seul message, court mais alarmant, de Watari lui demandant de le recontacter au plus vite. Il avait ajouté immédiatement à la suite de cette demande un "On a trouvé quelque chose" sans préciser plus avant de quoi il s'agissait. Les mesures de prudence liées aux risques du métier les obligeant à des communications parfois très brèves et comportant aussi peu d'indications que possible, L ne s'était pas formalisé.

- Je dois contacter Watari, avait-il annoncé à Light. Je vais le faire tout de suite : ça devrait te permettre de discuter tranquillement avec Nenn.

- Tu es sûr que tu ne veux pas rester ? Ça pourrait être très drôle de me voir parler tout seul, avait ironisé Light.

L avait balayé la proposition en secouant doucement la tête avec un léger sourire en coin.

- Tu comptes revenir après ? Lui avait demandé Light.

- La surveillance de l'œuf doit durer toute la nuit, Light-kun.

- Je pense que tu devrais en profiter pour dormir encore un peu. Au moins une heure. Je peux être de garde pendant ce temps. De toute façon, on sait tous les deux qu'il ne va rien se passer.

- J'ai déjà dormi cet après-midi, avait protesté L. Je me sens bien.

- Tu ne t'es pas vu sous la lumière du labo, L.

- Je t'ai dis de ne pas m'appeler comme ça.

- Je sais, mais il n'y a personne, et pour être tout à fait franc, je commence à en avoir assez d'utiliser ton alias.

L s'était tendu.

- Bien sûr que tu en as assez, avait-il observé sèchement. Tu voulais mon nom pour ton death note, et mes alias l'ont toujours dissimulé. Il est parfaitement normal que tu les détestes.

Pendant une infime seconde, L avait cru voir un fragment de détresse dans les yeux morts du shinigami.

- Ça n'a rien à voir avec ça, s'était défendu Light.

- En quoi ? Je trouve que la correspondance est évidente, Light-kun.

- Si tu voulais bien arrêter cinq minutes de me soupçonner, on pourrait...

- On pourrait quoi, Light ? L'avait coupé L avec une véhémence qui aurait surpris n'importe qui et pitié, pas maintenant, se disait-il, il faut que je sois L je ne peux pas être comme ça.

Le commentaire acerbe du détective avait probablement été une surprise pour Light, car il était resté brièvement silencieux avant de répondre :

- Parler, avait-il fini par dire. On pourrait parler.

- Il n'y a plus grand chose à dire, Light-kun.

- Je ne suis pas d'accord. Pourquoi tu as accepté de venir ici ? Avait enchaîné Light sans la moindre pitié.

- Tu te répètes.

- Tu ne dis jamais rien, avait insisté le dieu de la mort. Jamais. Même quand j'étais encore vivant, tu refusais de me dire quoi que ce soit.

- Tu t'égares, Light-kun. Quand tu étais encore vivant, tu étais Kira, et j'aurais été mal avisé de confier mes secrets à un meurtrier de masse, lui avait rappelé L.

Light n'avait pas relevé.

- Réponds à ma question.

- Je n'ai rien à répondre.

- Je sais que tu t'ennuies, avait continué Light, sans savoir - ou en le sachant mais en l'ignorant de manière délibérée - qu'il marchait sur une corde raide. Comme moi. Mais je sais aussi qu'il y a plus. Dis-moi.

Allez Lawlita, dis-lui, fais pas ta sucrée

La ferme Beyond la ferme la ferme la ferme

L s'était dirigé d'un pas rapide vers la porte du laboratoire, préférant la fuite à un combat sentimental contre lequel il savait qu'il n'était pas prêt, en particulier sous les yeux d'une déesse de la mort qui n'avait connaissance du fond du problème, mais Light avait persisté.

- Tu n'as pas le droit de partir, L, avait-il sifflé.

Le détective avait posé une main sur la poignée de la porte. Ses pensées criaient leur besoin de contrôle et de calme, loin du laboratoire, loin de Light et plus spécifiquement loin de sa fureur contre Light, de l'irrationalité et du chaos qu'elle engendrait inlassablement dans sa tête, plus loin encore de tout ce qu'il y avait de Beyond Birthday et de Lawliet au plus profond de sa conscience.

Laissez-moi être

Tu t'es mis en cage tout seul, Lawlipop

- Tu me dois une réponse, avait eu le malheur de commander Light. Tu m'en devais une quand tu m'as tué.

Ses remparts avaient lâché. Quelque chose à l'intérieur de la structure s'était brisé.

x

x

Il essayait de ne pas y penser. S'il remarqua son trouble au tout début de leur échange, Watari se garda bien d'en faire mention, et le détective put presque deviner dans les rouages de son esprit qu'il optait pour la solution plus précautionneuse de l'aborder en fin de discussion. Le visage du vieil homme était ouvert et aimable, mais les rides de son front trahissaient son inquiétude. Lorsqu'il se plaça devant l'écran pour commencer son compte-rendu, L lui trouva un air de Roger du temps où Mello était encore la Wammy's et s'amusait à déclencher des tempêtes dans l'orphelinat juste pour s'occuper les week-ends. Ou quand BB était là, mais pas pour les mêmes raisons. Ou tout simplement les années où lui-même était un pensionnaire. M était infernal, BB intenable dès lors qu'il entrait en crise, mais tous deux avaient le mérite d'être honnêtes et, quand on réfléchissait suffisamment bien, relativement prévisibles dans leurs émois. L, pour sa part, avait toujours trouvé plus divertissant le fait de jouer la carte de la perfidie et de l'imposture.

- Joe Campa nous a contacté dans l'après-midi, expliqua t-il. Il voulait te parler, mais j'ai répondu que tu étais indisponible pour la journée.

- Je le rappelerais demain, lui promit L. Je trouverai le temps. Qu'est-ce qu'il voulait ?

- Tu sais qu'il avait des doutes sur les informations que lui a transmis le gouvernement américain au sujet des disparitions, exactement comme toi. Il a voulu les vérifier.

Watari lui raconta la découverte des fichiers manquants par le militaire, son incompréhension et l'accroissement de sa vigilance l'ayant ensuite amené à les joindre pour procéder à une vérification plus minutieuse. L laissa échapper un sourire.

- Tu l'as envoyé à Matt, en déduit-il.

- Oui. N et M sont brillants, mais pour le hacking de haute sécurité, j'ai jugé plus opportun de confier le travail à un expert.

Matt avait été fouiner un jour dans les ordinateurs du Pentagone quand il avait 10 ans. Il était à l'orphelinat depuis deux ans, et il se distinguait par sa troisième place dans le classement, sa fascination pour les technologies informatiques, et par sa capacité surprenante à contenir l'agressivité de Mello, là où Near la déchaînait. Au début, L a cru qu'il était comme N : sans passion, sans réelle ambition, attendant qu'il lui donne un objectif et une raison d'être. Puis, en décembre de l'année 2000, le gamin s'était faufilé entre les mots de passe, les codes de sécurité du réseau et l'intégralité des bastions informatiques sans le moindre embarras, quelques minutes après la dernière heure de cours de la journée.

Il utilisait alors un vieil ordinateur IBM PS/2, le modèle 85, qui lui avait été offert à l'occasion de son arrivée à la Wammy's par Watari. Celui-ci en possédait un plus performant mais gardait une tendresse particulière pour la machine un peu passée de mode qui était, vraisemblablement, un cadeau d'une proche à laquelle il tenait beaucoup - tout du moins, c'était la version qu'il avait présenté à Matt et, par extension, au détective. L, au fil des années, avait nourri des idées moins tendres à l'égard de cette passation : à ses yeux, Watari avait simplement voulu tester les capacités de Matt et voir s'il était possible d'en tirer quelque chose. Quand à la marque ou l'âge de l'ordinateur, si dans le fond ces éléments importaient peu, ils avaient néanmoins été teintés d'une part de calcul. Toutes les appareils les plus performants étant réquisitionnés par L, Watari et Roger, il était logique que Matt hérite d'une version moins puissante, qui avait par ailleurs sûrement déjà servi à d'autres élèves. En outre, si Matt était réellement doté de talents hors normes à l'égard des ordinateurs, Watari avait sans doute estimé qu'il était plus sécurisé de lui donner une machine aux possibilités limitées, afin de garder un contrôle sur son champs d'action.

À ceci près que Watari avait considérablement sous-estimé l'intelligence de Matt dès lors qu'elle était reliée à un disque dur, au langage binaire, et à Internet. Il avait également accordé au gosse une ambition bien trop démesurée, jugeant qu'elle était équivalente à celle de N et surtout de M. Cependant Matt, une fois au cœur des secrets d'état des américains, y avait jeté deux-trois coups d'œil, puis, n'y ayant probablement rien trouvé qui eût aiguisé véritablement son intérêt d'enfant, était reparti comme il était venu, sans un bruit.

C'était Mello qui avait découvert le pot-aux-roses en premier. Quand il était revenu dans leur chambre commune et qu'il avait trouvé Matt, les yeux englués à son PC, il lui avait demandé ce qu'il faisait, et le garçon avait alors répondu qu'il venait de faire un tour dans les dossiers confidentiels des Yankees. M avait abordé le sujet quelques jours plus tard, au cours d'une de ces discussions qu'il avait avec L et Near tous les six mois à propos de la succession. N avait formulé des observations qui l'avaient rapidement poussé à bout, et l'argument des compétences exceptionnelles de Matt en piratage informatique lui avait paru assez menaçant pour forcer Near à la boucler. À l'époque, ni L, ni Watari, et encore moins Roger n'avaient véritablement conscience du potentiel du troisième héritier dès lors qu'il avait un clavier entre les mains. Il avait fallu que Watari lui demande de s'immiscer à nouveau dans les fichiers du Pentagone pour qu'ils réalisent sur quelle mine d'or - et par la même occasion sur quel danger - ils avaient été assis depuis que Matt avait été trouvé dans un patelin d'Irlande du Nord.

Mais il était avéré que Matt était loin d'être aussi orgueilleux que les enfants de la Wammy's situés en tête du classement. Il éprouvait à l'égard de la plupart des événements et des gens un détachement rare qui constituait sa meilleure protection : par conséquent, ses actions n'avaient jamais été sous-tendue par l'ambition, mais simplement par l'ennui, là où N et M tendaient à associer les deux. Son hacking n'avait d'autre but que de le divertir. Il avait un goût pour la découverte d'éléments jusqu'à lors inconnus, mais pas nécessairement pour l'engagement politique, économique ou social que pouvait impliquer l'infiltration illégale au sein d'un ordinateur. Il n'était pas plus un black hat qu'un white hat, et certainement pas un Anonymous. Toutes les considérations idéologiques lui passaient au dessus de la tête comme des nuages dans le ciel.

Watari aurait très bien confier la mission d'aider Campa à Mello ou à Near, qui auraient alors fait appel à leur tour à Matt pour pirater les machines de la United States Navy. Cependant, sa décision de mettre le militaire directement en contact avec Matt, sans requérir l'intervention de N ou M, était révélatrice du fait qu'il lui faisait davantage confiance sur ce terrain qu'aux deux premiers héritiers de L. Ces derniers ressemblaient trop au détective, et cette similarité se retrouvait dans le mensonge. L'un comme l'autre était parfaitement en mesure de faire un usage très personnel des données extraites par le hacking de Matt et de s'en servir pour faire chuter L de son trône, en particulier s'ils avaient une dent contre le détective. Or Mello était en colère depuis quatre ans, et l'attachement que Near avait développé pour lui, devant à la base servir les intérêts du système, risquait au contraire de se retourner contre L et entraîner leur union sur ce point, même s'il y avait de grandes chances pour qu'elle soit temporaire. Quand à Matt, il suivrait Mello sans discuter, car il était beaucoup plus récréatif de contempler la rage de M s'abattre sur leur mentor plutôt que faire son travail sans poser de questions.

- Tu disais qu'ils avaient trouvé quelque chose ? Demanda L à Watari, s'extirpant de l'image sordide des deux M et de N dansant sur sa tombe.

- Pour être tout à fait honnête, c'était inattendu, avoua Watari. Pas qu'ils aient découvert quoi que ce soit, précisa t-il, mais ce que cette trouvaille peut apporter. Matt a piraté l'ordinateur du secrétaire à la Marine, Donald Winter. Après vérification, Campa et lui ont pu confirmer que les dossiers concernant l'affaire des disparitions étaient effectivement différents, et que celui de Winter était beaucoup plus complet quand à la transmission des informations dans le domaine public.

- Je ne vois rien de surprenant.

- Ça concerne aussi le dossier que nous avons reçu, L. À quelques fichiers près, notre situation est équivalente à celle de Campa.

- Toujours rien de surprenant, répliqua le détective. Le gouvernement américain a toujours eu ses petits secrets et ils ont toujours essayé de me maintenir à distance, même s'il en allait de la sécurité mondiale. C'est pareil avec Interpol. Et avec n'importe quel pays.

Watari poussa un soupir.

- Il y a des choses qui doivent être gardées sous clé, dit-il. Je comprends que tu n'adhères pas à la pratique dès lors qu'elle limite tes enquêtes, mais c'est parfois nécessaire. Il ne vaut mieux pas tout savoir.

- Je suis d'accord sur ce point.

La pique n'eut pas l'effet escompté et Watari se contenta de l'ignorer. L mordit dans son pouce.

- Ils ont trouvé un document caché dans les fichiers de Winter, poursuivit Watari. Ça leur a pris un peu de temps, ils ont d'abord choisi de se concentrer sur la gestion du public avant de faire une inspection plus en détails.

- Des choses intéressantes là dessus ? L'interrompit L.

- Beaucoup. Tout est falsifié. Tu savais déjà que le nombre des disparitions a été considérablement réduit par rapport à la réalité, mais ce qui est dit aux familles des victimes est aussi un tissu de mensonges. Ils essaient de leur faire croire que tout est de nature météorologique et dès qu'ils reçoivent un appel d'une famille en proie aux doutes après avoir regardé les informations au journal de 20h, ils la persuadent que les sources des médias ne sont pas authentiques. S'il n'y avait pas une taupe à bord du Svetlana, aucune information n'aurait pu filtrer sur l'expédition et et sur vos récentes découvertes en matière de coupable.

- Donc c'est confirmé, lâcha le détective. Ils nous cachent quelque chose.

- Cachaient, le rectifia Watari. Matt et Campa ont mis la main dessus. Je te l'envoie tout de suite. Inutile de te dire de le lire seul.

- À ce point-là ?

- Malheureusement, oui. Campa est très nerveux : il m'a avoué qu'il craignait pour sa sécurité, celle de son épouse et de leurs enfants.

- Tu as lu ? Qu'est-ce que tu en penses ?

- Je me suis permis d'y jeter un oeil avant ton appel, et je suis au regret de te dire que les angoisses de Campa sont fondées. Si ce qui est dit dans ce document est vrai, et je doute que ce ne soit pas le cas, alors nous sommes au delà de la sécurité des États-Unis.

C'est un ordre de nature internationale

L se souvint des traits crispés et du ton menaçant de George W. Bush au moment où celui-ci lui avait demandé de prendre en charge l'affaire. Il avait trouvé insolite le fait que le président le contacte directement au lieu d'envoyer l'un de ses larbins habituels, et ce en dépit de la nature tout à fait incongrue du phénomène des disparitions : tous les chefs d'État connaissaient le caractère de L, la dégradation progressive qu'il avait subi après la mort de Kira, et son manque des convenances en général. Aussi étaient-ils nombreux à se débrouiller pour éviter le plus petit échange en face-à-face, préférant faire usage d'intermédiaires et d'ambassadeurs aux visages engageants. Quand ils estimaient n'avoir pas d'autres choix que de communiquer eux-même, ce qui malgré tout était rarement arrivé, ils demandaient Watari, les aptitudes de ce dernier étant considérablement plus développées que celles du détective dès lors qu'il s'agissait de ne froisser personne.

- Je vais lire, annonça L. Je te garde en ligne, je n'en ai pas pour longtemps.

- Light Yagami est dans les parages ?

Tu me dois une réponse

- Non, répondit L, et sa voix prit une inflexion glacée. Il est au laboratoire.

- Il ne prévoit pas de revenir dans les prochaines minutes ?

- Pas que je sache. Pour être tout à fait honnête, lui signala L, je pense qu'il ne reviendra pas de la nuit.

- Tout se passe bien avec lui ?

Non

Il ne voulait pas y penser, mais son bras lui faisait toujours mal et il savait que son mouvement avait été trop brusque pour son corps non accoutumé à l'effort physique. Light avait ordonné, égoïstement, et en guise de réponse, L avait saisi le premier objet qu'il avait pu trouver pour le précipiter sur le dieu de la mort. C'était une fiole Erlenmeyer de grande taille, lisse et élégante. Comme prévu, le récipient de verre avait traversé le shinigami sans lui infliger la moindre douleur et était allé se briser contre le mur du laboratoire juste en face, n'apportant au détective qu'une frustration plus acérée et intensifiant l'ampleur de son propre découragement.

Light l'avait regardé comme s'il le voyait pour la première fois, et L était parti sans un mot vers leur cabine, le laissant seul avec la déesse de la mort et ses questionnements.

- L ? S'inquiéta Watari alors que le détective demeurait silencieux. Tout va bien ?

Allez, Lawlita, tu l'as déjà baratiné une fois, tu peux bien le refaire

Beyond va t-en

- Oui, prétendit-il. Oui, tout se passe bien.


" Un bref mensonge vaut souvent mieux qu'une laborieuse vérité. "

Citation de Pierre Charas, écrivain français


31 mars 2008, 00h11, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

Les débris de l'Erlenmeyer jonchaient le sol et de loin, on aurait pu croire à une mosaïque de glace, si ce n'était pour l'irrégularité des morceaux. L l'avait projeté avec suffisamment de force pour l'amener à être pulvérisé contre le mur se trouvant dans le dos de Light, et sa destruction avait causé un bruit sec, mais qui s'était prolongé dans toute la pièce et qui semblait destiné à ne jamais finir. Light avait les yeux rivés sur les tessons de verre depuis que le détective avait pris la fuite en direction de leur cabine. Il savait qu'il aurait du simplement les ramasser et les jeter dans une poubelle, mais il se sentait figé, à l'image d'un ordinateur en plein écran bleu. Il avait l'impression de ne rien pouvoir faire d'autre que les regarder, et dans sa paralysie, il sentait monter dans sa gorge une irrésistible envie de hurler et de se mettre à détruire tout le matériel scientifique sans aucune considération pour les besoins de l'enquête.

Il ne devait pas partir il ne devait pas il a fui il devait répondre je vais le tuer

- Tu comptes prendre racine, Yagami ?

Nenn l'observait entre deux paillasses, et elle avait l'air amusée. Light hésita à lui balancer quelque chose, pas nécessairement pour la blesser, ce qui était physiquement impossible, mais juste pour la faire taire et ôter de son visage son expression moqueuse. Et aussi parce qu'elle avait vu, et qu'il ne supportait pas qu'elle - ou n'importe qui d'autre, par ailleurs - ait pu être le témoin d'une de ses scènes avec L.

Elle a tout gâché, pensa t-il, aigri, froid, trouvant beaucoup plus simple d'accuser les autres plutôt que d'ajouter Kira et son ambition démesurée dans l'équation

- Seulement si je pouvais t'étouffer avec, cracha t-il.

Il ignora délibérément le côté purement mesquin et immature de sa remarque. Nenn sourit : elle eut l'air de l'Ironie incarnée. Pourtant, elle était loin d'être aussi imposante de stature que Ryûk ou encore Justin Beyondormason. D'un point de vue d'être humain, elle était moins prompte à inspirer la crainte que ses homologues plus grands. Son physique atroce mais fluet la rapprochait davantage des shinigamis comme Jealous, du temps où il vivait encore. Elle était plutôt calme et effacée, mais dès lors qu'elle se mettait à sourire, elle ressemblait à Ryûk, et il lui arrivait de regarder si fixement les autres, avec une telle intelligence, qu'elle en devenait terrifiante. Au Cathare, Light ne l'avait que très peu approchée, mais il sentait de toute façon qu'elle ne l'aimait pas, sans vraiment savoir pour quelle raison, et il lui rendait antipathie pour antipathie.

- Ton humour s'amenuise, lui dit-elle, visiblement satisfaite de sa réaction. Tu es sur la bonne voie. Le roi va être content.

- Je croyais qu'il était du genre à aimer les blagues.

- On parle du roi de la mort, Yagami. Il aime surtout quand tout est sous contrôle. Ça t'inclue. Ne lui manque pas de respect.

- Je ne lui manque pas de respect, se défendit Light. Je ne l'apprécie pas, mais je n'ai pas l'impression d'être irrespectueux.

- Tu l'es. Tu méprise les institutions et l'autorité. Tu es comme lui.

Elle désigna la porte par laquelle L était passé quelques instants plus tôt.

- Je ne suis pas comme L, siffla t-il. Il méprise tout le monde et ne s'est jamais gêné pour le dire. Pas moi.

- Sur quelle partie, Yagami ? Le reprit Nenn, qui s'attachait à ne pas perdre le nord. Le mépris, ou la gêne ?

- Le roi t'a envoyé en tant que porte-parole ou en tant que tribunal ?

- Le premier. Il n'a jamais jamais dit que je ne pouvais pas être le second. Vous êtes pareils, le détective et toi. Pas étonnant que vous ne puissiez pas vous supporter.

Elle n'a pas le droit de dire ça elle n'a pas le droit elle n'a pas le droit

- Tu ferais mieux de t'arrêter maintenant, Nenn, la menaça t-il.

Il savait qu'il ne pourrait pas lui faire du mal physiquement, et il ne la connaissait pas assez pour l'atteindre sur des sujets délicats. Elle était tragiquement inaccessible au déploiement de sa brutalité verbale comme matérielle, et l'inassouvissement de son agressivité commençait à lui brûler dangereusement les nerfs. L eût-il été présent dans le laboratoire, Light était certain qu'ils auraient pu l'abattre sans une once de pitié.

- Le roi est inquiet, enchaîna la déesse de la mort sans aucune transition. Il veut des détails sur cet œuf.

- Comment a t-il été mis au courant ? Demanda Light.

- Je n'ai pas besoin de te le dire. Tu sais déjà.

Light n'eut pas besoin de voir le visage de Nenn pour avoir la confirmation de ses soupçons.

- Nu l'a vu, lâcha t-il. Elle me surveille.

- Tu avais raison sur un point pendant ta dispute avec L, lui accorda Nenn. Nu est passée faire sa surveillance rapprochée au bon moment : vous veniez tout juste de trouver l'œuf dans les profondeurs. Elle a eu le temps de voir sa durée de vie, et l'écaille. Qu'est-ce que c'est ?

- On ne sait pas, répondit sèchement Light. Ils pensent que c'est une nouvelle espèce, je suis assez d'accord avec eux. D'après certains tests, elle serait capable de vivre dans les abysses. Pour plus de détails, il faudra attendre de voir le véritable spécimen, ou que cette chose se décide à éclore.

- Il va éclore, lui annonça Nenn.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- La logique, déclara t-elle. Tout œuf est destiné à éclore un jour ou l'autre. Maintenant ou plus tard, quelle différence ?

- Le roi a une idée de ce que c'est ?

- Il ne m'a rien dit, mais je pense que oui. C'est Sidoh qui t'en a parlé, n'est-ce pas ?

- Oui, avant que je ne viennes sur Terre. Pourquoi ?

Nenn parut réfléchir avant de lui faire partager sa théorie.

- Il est beaucoup plus vieux que moi, expliqua t-elle. Il a probablement du voir des choses que je n'ai pas pu voir, et je me demande si, dans une certaine mesure, le roi ne lui a pas interdit d'en parler. Comme ça pourrait être le cas avec d'autres shinigamis. Et sachant que notre mémoire est instable, ce ne serait pas si surprenant. Je crois que Sa Majesté sait ce qu'il se passe, mais qu'il ne veut pas nous le dire, et je n'arrive pas à comprendre pour quelle raison.

- Pourquoi t'a t-il envoyée ? Tu m'as l'air très critique pour une porte-parole, osa Light, l'esprit encore à vif de colère.

Nenn haussa les épaules décharnées de sa carcasse.

- Parce que, dit-elle simplement. Il y a les shinigamis que le roi envoie, et ceux qu'il n'envoie pas. Je me pose des questions sur ses choix, je ne les remets pas en cause. Mais toi, il t'a bien envoyé comme émissaire, et pourtant tu es à deux doigts de le trahir.

Light fixa sur elle ses yeux jaunes, froids et hostiles.

- Tu dis n'importe quoi.

- Tu vas le trahir, asséna Nenn avec simplicité, comme si elle observait une scène de très loin. Tu vas te rendre compte qu'il va t'empêcher d'atteindre ton but, alors tu vas chercher à le détruire, puis à prendre sa place. Ryûk aurait du t'accompagner sur Terre. Il ne mentait pas quand il disait que tu es beaucoup plus drôle ici qu'au Cathare.

- Tu mens, et Light savait que sa défense manquait cruellement d'argument, car il y avait pensé à peine une heure plus tôt, en imaginant ses lèvres contre la courbe blanche de la gorge de L pas maintenant. Tu es juste jalouse.

- Bien sûr que je suis jalouse, répondit Nenn avec dédain. Tu arpentes la Terre comme si tu étais toujours vivant, et tous les shinigamis veulent ce privilège. Mais je ne mens pas. Je confirme juste une idée que j'avais déjà eu avant, quand tu es arrivé au Cathare et que Ryûk m'a tout raconté sur toi. Tu étais amorphe au Cathare parce que tu avais tout perdu, et que tu n'avais rien à gagner. Tu n'avais pas vu les avantages qu'il pouvait y avoir à régner sur les morts. Mais maintenant, tu les as deviné, et il fallait simplement que tu reviennes sur Terre pour t'en rendre compte.

- De quoi tu parles ?

Light regrettait amèrement son immatérialité, et l'impossibilité qu'elle donnait à son envie d'étrangler Nenn et de la jeter par dessus le Svetlana pour que les flots l'engloutissent et la fassent taire. Les yeux de la déesse de la mort lui parurent soudainement voir au travers de toute son âme.

- Le détective, lâcha t-elle. Je crois que tu ressens quelque chose pour lui, aussi égocentrique que tu puisses être, ou alors justement parce que tu es égocentrique. Ryûk disait que tu étais obsédé par lui, au Cathare comme sur Terre, parce qu'il avait été plus malin que toi. Il est persuadé que tu voulais le tuer parce qu'il avait mis à mal ton égo. Mais Ryûk est beaucoup trop vieux pour se souvenir des horreurs que l'on peut commettre, surtout celles qui naissent par amour, et je crois que tu voulais te débarrasser de lui, ou que tu veux toujours l'éliminer, parce que d'une manière ou d'une autre, tes sentiments pour lui t'ont empêché d'être le dieu suprême que tu rêvais d'être et ils ont causé ta mort. Mais maintenant, ronronna t-elle, je pense que la donne a changé. Je pense que le fait de vouloir devenir un dieu impliquait pour toi de gagner le détective. Personnellement, je suis presque certaine que le fait de devenir roi impliquera bientôt pour toi la même rétribution.

- Tu es folle, dit Light, mais ses pensées s'embrasaient d'une frayeur intolérable.

Elle dit n'importe quoi elle dit n'importe quoi elle dit n'importe quoi alors Light la déesse de la chance est partie ?

- Juste attentive, le corrigea Nenn. Et je connais le schéma. Ne te cherche pas d'arguments, Yagami. Je ne t'aime pas, et je n'ai pas confiance en toi. Quand tu auras compris qu'il n'y a pas d'autre solution pour toi, ton détective et votre histoire d'amour mégalomaniaque, tu feras tout ce qui en ton pouvoir pour devenir roi et tu lui offriras le trône d'à côté. Tu étais à deux doigts quand tu génocidais la population des criminels terrestres avec le death note de Ryûk. Crois-moi.

Elle sourit. Cette fois, elle ressemblait purement et simplement à la mort.

- J'ai déjà vu ça, le prévint-elle d'une voix qui ne tolérait pas d'objection.


Message reçu le 28/11/2004 à 02h14

Alors, Lawlita, elles ont marché, mes explications ? La télé

dit que tu l'as arrêté et qu'il est mort. Tu vas accepter tes

origines et te faire hara-kira, maintenant que tu as le cœur brisé ?

x

Quoi, tu pleures, L ? C'est le jeu de mots que tu ne digères pas ?


Indications :

- Tout est vrai concernant les lamias : elles ont d'ailleurs, si ça vous intéresse, été très représentées en peinture pendant le XIXéme siècle (de très belles jeunes femmes avec de très longs cheveux) par William Waterhouse et Herbert Draper. Dans la mythologie, les deux lamias principales dont on peut entendre parler ont la capacité d'enlever leurs yeux, un peu comme les Moires dans Hercule (grande référence intellectuelle, vous le remarquerez :P). Aussi, quand on cherche un peu des images sur Google, on trouve des représentations avec des espèces de queue de serpent, comme une version trash de la Petite Sirène (autre référence intellectuelle).

- Pour info, World of Warcraft existe depuis 1994 ;).

- Le sniffing, c'est une technique de hacking qui consiste à se faire passer pour un point Wifi donné, pour être certain que plusieurs ordinateurs vous utilisent et que vous puissiez avoir accès à toutes leurs données.

- Le"Rondeau fantastique sur un thème espagnol" par Liszt est une des pièces au piano parmi les plus techniques du répertoire (d'où la comparaison avec Matt et son clavier d'ordinateur).

- Tout est vrai aussi concernant le air-gap (d'ailleurs, en 2017, des chercheurs ont réussi à entrer dans un système avec air-gap à l'aide de la DEL du disque dur).

- Les white hat et les black hat désignent généralement les hackers selon leurs intentions.

- Hacking, Matt, Neo : la boucle est bouclée XD !

- J'aime Nenn. Très fort. C'est le genre de personnage que j'adore manipuler, en plus de Beyond (qui décidément maintient son statut de cheval de Troie).

- C'est un chapitre très réflexif, avec assez peu de dialogues j'ai l'impression comparé aux précédents, et j'ai conscience qu'il n'y a pas beaucoup d'action, mais ne vous en faîtes pas, ça va revenir :P.

- J'assume presque le jeu de mots de BB...non, en fait il a insisté, j'ai rien pu faire.

- Indésirable, c'est pour le refus de Matt et Mello du système de la Wammy's, mais aussi pour la mise à l'écart de Joe Campa sur l'affaire des disparitions par le gouvernement, et puis surtout pour les remarques de Nenn et les sentiments de Light comme de L.


Pour commencer, une très bonne année 2018 à tous ! J'espère que vous aurez profité autant que possible, et surtout que ce premier mois de Janvier se déroule bien pour vous ;).

Je vous présente toutes mes excuses pour le retard de publication de ce chapitre : je croyais que j'arriverais à le finir avant le 21 janvier, mais en fait, j'ai malheureusement manqué de temps et j'ai eu plusieurs tâches urgentes qui se sont rajoutées les unes sur les autres, ce qui faisait que je n'arrêtais pas de repousser la rédaction du chapitre. Je croise en tout cas les doigts pour qu'il vous plaise, et je vous remercie mille fois pour votre patience et vos compliments (vos reviews, ce sont littéralement mes cadeaux de Noël, et elles sont encore plus délicieuses que les chocolats belges).

Pour ceux qui ont laissé des reviews entre la publication de ce chapitre et le dernier, et auxquelles je n'ai pas encore répondu, promis, j'arrive très bientôt :D ! (et je vous couvre d'or et de remerciements au passage).

En ce qui concerne maintenant le dix-huitième chapitre, je voulais au départ essayer de le terminer pour juillet, mais après réflexion, je préfère prévoir sa publication entre août et septembre 2018 (c'est bien, ça, "entre" telle période et telle période), étant donné que je pense que je vais être pas mal occupée aussi en juillet entre la thèse et sans doute des séminaires/formations. Si jamais par malheur le mois d'août était trop chargé pour moi, je vous préviendrais tout de suite par le biais de l'introduction et je décalerais le chapitre en septembre, mais je brûle beaucoup d'encens pour que ça n'arrive pas :P.

En guise de tout mini-spoiler (c'est rare, mais cette fois, soyons fous !), il y aura une autre découverte sur La Bêêêête. Mais pas dans le navire, cette fois (parce que c'est chouette aussi de pouvoir s'expatrier un peu).

Sur-ce, en attendant le dix-huitième chapitre et le changement des températures (parce que là, c'est aglagla on est mieux à l'intérieur - si je continue à parler du temps qu'il fait ou qu'il fera, je vais me rebaptiser Miss Météo), je vous remercie encore infiniment pour toujours suivre cette histoire et me donner de supers retours, et j'espère de tout cœur que ces prochains mois vont apporteront pleins de bonnes choses ^_^ !

Negen