x
CHAPITRE DIX-HUITIÈME
x
x
Brèche : du vieux francique " breka ", ouverture faite dans un
mur, un rempart, une haire ou action d'endommager, d'entamer
(faire une)
BRÈCHE
x
x
L'enquête se poursuit au sujet des disparitions en mer et même si la transmission des informations au sujet
des avancés du navire océanographique Svetlana demeure restreinte, la découverte de trois nouveaux cadavres
dans le golfe de Tadjourah un peu plus tôt dans la soirée est en train d'engendrer une nouvelle vague de panique
à l'échelle internationale, particulièrement relayée par les réseaux sociaux qui condamnent fermement le manque
de communication entre les responsables des recherches en cours et la population mondiale. Cette inquiétude
compréhensible pousserait même certains groupes à vouloir financer eux-même leur propre expédition
afin de faire éclater une vérité qui, pour beaucoup, serait d'une rare complexité.
31 mars 2008, 00h45, Djibouti, république de Djibouti.
Les corps avaient été repêchés non loin des rives d'Obock vers 23h30, mais la ville ne disposant pas des équipements suffisants pour effectuer le type d'autopsie très poussée attendue pour ce genre d'affaire, les cadavres avaient été transférés par bateau à Djibouti, où l'hôpital Peltier, qui était le plus complet de la capitale, avait immédiatement libéré une salle d'autopsie pour que les analyses puissent être faite en priorité en vue du bon déroulement de l'enquête. Il avait eu un pré-examen à Obock, par les autorités de police et l'équipe médicale présente sur place, et le compte-rendu avait été transmis dans sa version papier au médecin légiste, le docteur Naïa Lancet, et à son interne, Rhaman Naki, en charge de l'autopsie à Djibouti.
- Ils disent que les corps ont été trouvés directement dans l'eau par un pécheur, à environ six kilomètres des côtes, énonça Naki.
C'était un homme mince et petit, au visage doux et à l'œil brillant d'espièglerie. Il attendait que le docteur Lancet termine de préparer les instruments nécessaires au processus d'examen médical en sirotant un café très corsé : on les avait réquisitionnés de toute urgence alors que les corps se dirigeaient vers la capitale, et ils avaient du signer dès leur arrivé une clause de confidentialité au sujet des informations qu'ils pourraient découvrir, dans le cas où ces dernières auraient un lien avec l'enquête sur les disparitions de navires en pleine mer. Pour le moment, rien n'était totalement assuré quand à l'origine des cadavres, et Naki savait qu'il n'était pas bon de poser un diagnostic trop tôt, mais les membres arrachés et les figures broyées constituaient un premier indice éloquent. En outre, lui et le docteur Lancet avaient acquis une reconnaissance notable dans le milieu pour avoir apporté leur contribution à plusieurs enquêtes complexes et avoir su en garder le secret : il ne voyait pas l'intérêt pour les autorités de faire appel à eux si ces dernières ne soupçonnaient pas un minimum que les morts proviennent des bateaux volatilisés au cours de l'année.
- Ils vont probablement retrouver des morceaux un peu partout dans le Golfe, conclut-il en poursuivant sa lecture du rapport, et en fronçant les yeux quand il buttait sur un mot.
Les dégâts étaient trop importants pour qu'il n'y ait pas de lambeaux dissiminés entre Tadjourah et Aden.
Un petit puzzle ?
Parfois, travailler dans le post-mortem faisait vraiment dégringoler votre humour six pieds sous terre.
- C'est déjà le cas, objecta le docteur Lancet.
Ses gants claquèrent lorsqu'elle les enfila. À l'inverse de Naki, elle mesurait un mètre quatre vingt dix et sa peau très pâle ressortait sous sa crinière flamboyante de cheveux roux. Ses yeux, au dessus du masque chirurgical, avaient quelque chose d'autoritaire et de malicieux à la fois. Sur la table d'autopsie attendait le premier corps, un homme d'une quarantaine d'année à qui il manquait la quasi-totalité de la jambe ainsi que du flanc droit. C'était un de ceux encore en bon état : l'un des défunt se composait en tout et pour tout d'un thorax. Il flottait dans l'air une odeur terrible d'eau croupie et de décomposition, légèrement atténuée par les parfums des produits chimiques destinés à l'examen du corps. Les deux autres victimes étaient conservés temporairement à la morgue de l'hôpital : ils passeraient sur le billard ensuite.
- La police a fait une ronde dans les environs du golfe pour voir s'il ne restait pas d'autres cadavres, expliqua Lancet tout en ajustant ses lunettes de protection. Mis à part des débris d'organes et des fragments de muscles, ils n'ont trouvé personne d'autre.
Elle se tourna vers lui.
- Tu sais ce que ça veut dire ?
- Qu'avec un peu de chance, ces gens ont été tués dans le golfe, répondit Naki, qui continuait néanmoins de lire le rapport. Si l'hypothèse est vérifiée, ça devrait apporter beaucoup à l'enquête.
- C'est à voir, répliqua Lancet. Jusqu'ici, les corps ont dérivés et ont été découverts parce qu'ils s'étaient rapprochés des côtes. Les explorations qui suivaient généralement après n'ont pas signalé la présence de résidus humains dans les environs où les cadavres avaient été repêchés. C'est la première fois, pour ce qu'on en sait, que ça arrive, mais ça ne veut peut-être rien dire.
- La règle de l'exception, comprit Naki.
- Tout juste. Maintenant, dépêche-toi de finir ce rapport et viens prendre les photos pendant que je fais mon petit laïus.
x
x
L'autopsie était un ballet en deux actes que Naki surnommait parfois le dehors et le dedans. Le dehors était l'examen externe. La première phase avait été effectuée par un médecin déplacé à Obock lorsque les cadavres avaient été repêchés et était détaillée dans le rapport avec minutie : le corps flottait dans l'eau en position de la planche, sur le ventre, quand le pêcheur l'avait heurté avec son embarcation. Il lui manquait la jambe droite au niveau de la région fémorale supérieure, de même que le flanc, la fosse iliaque et l'hypocondre droit étaient absents. La hanche et la partie droite de l'hypogastre avaient elles aussi étaient bien entamées. Sous la peau d'un blanc maladif, les replis de chair et les tissus musculaires luisaient sous les lumières blanches de la salle. La seconde phase de l'examen externe, faite par le docteur Lancet et Naki, vint confirmer les conclusions du médecin à Obock et ajouta les quelques précisions non vérifiables sur place.
- Homme blanc, environ une quarantaine d'années, un mètre soixante dix neuf, soixante seize kilos et probablement quatre vingt avec les morceaux manquants, énonça Lancet tout en prenant des notes pour le rapport d'autopsie, tandis que Naki réalisait les clichés préliminaires. Pas de signe de malnutrition, au contraire, aucun tatouage, pas de malformations ou de signe particulier. La lividité cadavérique est observée, mais pas la rigidité, ce qui implique que notre homme est en train de faire connaissance avec la décomposition et serait mort depuis plus des quatre jours réglementaires. Les taches vertes sont présentes, ce qui veut dire...Rhaman ?
- Putréfaction, signala l'interne du tac-au-tac. Et bien avancée compte tenu de la taille des taches.
- Exactement, donc un décès qui peut être daté à au moins plus de huit jours. Impossible de donner précisément l'heure de la mort avec un cadavre dans cet état. On verra ce que dit l'enquête entomologique. Ce sera ta première, c'est ça ?
- Sur le terrain, oui, mais j'ai déjà vu les bases en cours, précisa Naki.
- Bon, donc tu sais ce qui nous attend, marmonna Lancet sans avoir l'air très enthousiaste.
Les nécrophiles à antennes
Difficile d'être emballé quand on s'apprêtait à ouvrir un corps sur une nuée de larves et autres squatteurs peu ragoûtants. Jusqu'à lors, les autopsie de Naki avec le docteur Lancet n'avaient concerné que des morts récentes, et la datation se résumait au test de la température. Il avait conscience que le métier l'exigeait, et interne qu'il était depuis bientôt trois ans, il avait l'estomac bien accroché, mais cela ne l'empêchait pas d'appréhender ce qu'ils allaient trouver à l'intérieur du pauvre bougre allongé sur la table.
- Je le sais très bien, docteur, dit-il, et si ça ne vous embête pas, j'irais terminer mon café avant la découpe.
- Tu as toute mon autorisation, lâcha Lancet d'un ton distrait.
Elle procéda ensuite à la description du visage, miraculeusement intact, puis au recensement classique des blessures, lésions et ecchymoses au niveau des cervicales, du thorax, de l'abdomen, des organes génitaux et des membres.
- Il y a un aplatissement significatif de l'ensemble du corps, observa t-elle. Il est d'autant plus pregnant quand on descend vers les côtes, je crois que plusieurs d'entre elles sont cassées. À confirmer avec l'examen interne, mais je pense que notre John Doe est mort parce que quelque chose a été projeté un peu trop fort dans sa direction.
- Pas écrasé ? Intervint Naki.
- Non. S'il y avait eu écrasement, l'aplatissement serait beaucoup net. Il y a eu un choc très important qui a provoqué un affaissement de la cage thoracique et qui a sans doute entraîné la rupture d'au moins un organe vital, probablement le coeur ou les poumons, mais pas d'écrasement. Si la mort avait été plus récente, on aurait pu trouver des traces de bleus assez importants tout autour.
- Comme pour les accidents de voiture ? Avec la ceinture de sécurité ?
Lancet hocha la tête. Une mèche de cheveux roux s'était échappée de sa charlotte.
- Bien sûr, il manque une bonne partie de l'abdomen. On ne pourra pas savoir si notre gars a été opéré de l'appendicite. Pas de jambe droite, poursuivit-elle. D'après la forme des différentes déchirures, on peut supposer que ces éléments ont été arrachés par quelque chose qui avait de bonnes dents.
Naki lui adressa un coup d'œil intrigué.
- Dis-moi, Rhaman, tu as déjà eu en main un des bilans d'autopsie des cadavres qu'on a retrouvé en mer ces dernières semaines ? Demanda alors Lancet.
- Non. Pourquoi ?
- On a un forum sur internet en commun avec les autres médecins légistes du monde entier, ça nous arrive d'échanger sur des cas un peu épineux. Il y a deux semaines, un collègue de Barcelone a posté un message en demandant si on connaissait des espèces d'animaux marins mangeuses d'homme autre que les requins. Je te parie ce que tu veux qu'il bossait sur un des cadavres qu'on a retrouvé en mer, et que si on avait pu lire l'autopsie, on aurait trouvé des blessures identiques à celles de notre John Doe.
- Vous êtes sûre ? Hésita Naki. Pourquoi pas un requin ?
- Tu es d'accord pour dire qu'à moins d'être blessé ou sérieusement handicapé au point de ne pas pouvoir suivre son régime alimentaire habituel, les requins ne s'attaquent pas à l'homme ?
- Oui, à condition de ne pas avoir intégré la chair humaine dans leur nourriture de base, mais même dans ce dernier cas, ça reste assez rare, sauf si...
- Continue, insista Lancet. Tu es sur la bonne voie.
- Sauf si la victime saignait en mer. Je crois que les requins sont très sensibles à l'odeur du sang, non ? Ça peut rendre l'hypothèse plausible.
Lancet pointa vers lui un index approbateur.
- Bingo. Ce qui nous amène à notre deuxième point : regarde les traces de morsure sur le flanc et la jambe. Regarde vraiment bien et dis-moi ce que tu en penses.
Naki se pencha. L'odeur dégagée par le cadavre, bien qu'atténuée par le masque et l'odeur du vicks vaporub qu'il s'était tartiné sous les narines, était à peine supportable. Le docteur Lancet, elle, ne paraissait pas en souffrir.
- Tes premières observations ? Demanda t-elle.
- Je dirais qu'il faut une mâchoire puissante pour arracher des morceaux pareils sur un être humain, fit-il remarquer. J'imagine que c'est évident. Et étant donné la structure des déchirures, on dirait que les dents étaient placées de la même façon que les nôtres, c'est-à-dire très resserrées.
- Bien. Quoi d'autre ?
Il contourna la table pour se rapprocher des blessures. Lancet lui fit de la place, et alla se poster derrière la tête de la victime. Aussi près, il distinguait les marques caractéristiques de dents, et autre chose, un peu au dessus, un enfoncement dont la nature lui était familière.
- Il y avait deux rangées de dents, déclara t-il. Il y a des marques juste au dessus des déchirures.
Il devina le sourire de Lancet derrière son masque.
- Les requins n'ont qu'une seule rangée, pas vrai ? Demanda t-il, même s'il se doutait de la réponse.
- Oui, lui confirma Lancet. Et tu as noté la forme de la blessure ? Elle est nette. Ça veut dire qu'il y a de grandes chances pour que la jambe ait été arrachée d'un seul coup de mâchoire. À part le grand requin blanc, je ne vois aucune autre espèce qui serait capable de faire ça : d'abord parce qu'ils n'ont pas suffisamment de force, et ensuite parce que leur formation dentaire ne permet pas une entaille aussi précise. Sans compter que les attaques de requins suivent un schéma qui consiste à mordre assez profondément pour provoquer une hémorragie, mais rarement à sectionner des bouts entiers pour aller les grignoter ailleurs.
- Le grand requin blanc n'a pas les dents aussi rapprochées, objecta Naki. Ça l'élimine d'office. Et de toute façon, aucune espèce de requin n'en a deux rangées.
Lancet acquiesça de nouveau, puis désigna du doigt les petites marques en amont des blessures.
- La première rangée doit être composée de dents resserrées, mais elles ont l'air d'être petites et pas spécialement affûtées. À mon avis, elles servent de préliminaires à la morsure : elles passent d'abord pour attendrir la viande, et ensuite vient la seconde rangée de dents qui fait le découpage final en un seul coup grâce à une mâchoire au moins aussi puissante que celle du requin blanc.
Ils firent une pause afin d'échangèrent un coup d'oeil entendu.
- Si c'est vraiment un requin, avança prudemment Naki, alors on peut supposer que c'est une espèce que personne n'a encore découvert.
- Pas sûre que ce soit un requin, dit Lancet. Le collègue de Barcelone avait des doutes, et maintenant que j'ai une victime sous les yeux, je t'avoue que moi aussi. Je n'exclue pas la possibilité, mais je ne suis pas convaincue pour autant.
- Je comprends mieux la clause de confidentialité, lui fit remarquer Naki. Et le silence autour de l'affaire. Si le monde savait qu'il y a une espèce de monstre cannibale qui rôde dans les océans, personne ne voudrait plus y aller. Je vois d'ici les retombées économiques.
Le commentaire était pragmatique, mais tristement approprié. Lancet se redressa. Depuis les dix huit années qu'elle exerçait en tant que médecin légiste, une vocation qui lui était venue très tôt et qui avait surpris toute sa famille, composée à 70 % de banquiers et de commerciaux, elle avait eu l'occasion de tout voir, qu'il eût été question de violence humaine ou animale. Si son estomac s'était parfois un peu retourné devant des cas particulièrement barbares (elle se souvenait d'une affaire très pénible de viols et de mutilations extrêmes sur des enfants âgés de 6 à 10 ans), il ne l'avait cependant jamais trahie. À présent qu'elle contemplait les dégâts sur le corps de leur malheureux John Doe, et qu'elle imaginait vaguement ce qui avait pu les causer, elle sentait une pointe de panique se glisser dans ses entrailles puis venir doucement percer son cœur.
On ne sait pas ce que c'est mais oh seigneur ça détruit des ferrys et des bateaux plus gros et ça mange les gens
Naki n'avait pas l'air plus rassuré. Sa peau brune avait pâli, et l'expression crispée de son visage alors que ses yeux suivaient le tracé des marques de dents en disait long. Lancet décréta qu'il était temps de reprendre les choses en main avant que l'un d'eux ne se mette à vomir partout dans la salle. Elle réajusta ses lunettes.
- On fait l'examen interne, annonça t-elle. Tu prends les notes et les photos, et tu m'aideras pour la partie basse. On en tirera des conclusions ensuite. Pas la peine de se donner des frayeurs pour le moment.
Elle saisit un scalpel. Naki fut réceptif à la proposition, et alla docilement se replacer en face d'elle, le bloc note dans une main, l'appareil dans l'autre, l'observant tandis qu'elle traçait les crevées, ôtait la peau, puis inspectait minutieusement l'intérieur du cadavre. L'odeur de pourriture se fit plus étouffante. Des larves d'insectes tombèrent sur la surface métallique de la table quand Lancet retira la peau de l'abdomen.
- Récolte-en autant que tu peux, ordonna t-elle à Naki. Si elles ne bougent pas trop, mets-les dans un petit haricot, on ira voir ce que c'est après l'autopsie pour déterminer la date de la mort.
Pendant que son internet s'exécutait, Lancet survolait le thorax à la recherche d'informations préalables.
- Toute la cage thoracique a été défoncée, indiqua t-elle. Il y a dix côtes cassées, une conséquence du choc dont on parlait tout à l'heure. À tous les coups, il y a un poumon de perforé. Regarde un peu.
Naki, qui revenait de sa chasse aux opportunistes post-mortem, jeta un coup d'oeil avant de confirmer d'un signe de tête la conclusion de sa supérieure. Lancet lui tendit alors un scalpel.
- Tu m'aides pour la fin du dépiautage ? Suggéra t-elle.
À deux, en particulier avec une équipe expérimentée qui se connaissait bien et un corps ayant perdu une bonne partie de sa masse corporelle, le retrait de la peau et du gras ne leur prit pas plus de cinq minutes. Lancet décida de faire les extrêmités dans le même temps, surtout les jambes qu'elle voulait pouvoir examiner rapidement. Mais comme elle incisait soigneusement dans la peau du moignon et en atteignait la fin, son scalpel butta dans quelque chose, refusant d'avancer.
- Vous êtes tombée sur un os, docteur ? Plaisanta Naki, ne levant même pas les yeux de sa propre jambe dont il retirait délicatement l'enveloppe de peau.
Il allait devoir remettre du vicks vaporub : la puanteur était vraiment trop atroce.
- Pas vraiment, répondit Lancet d'une voix incertaine. Il n'y a pas d'os là où on coupe, sauf la cage thoracique, mais on a les cisailles pour ça.
Elle insista. Le scalpel émit un râpement désagréable, mais ne bougea pas. Naki, déconcerté, abandonna sa jambe presque terminée pour se concentrer sur les restes de celle de Lancet.
- Mais il y a quelque chose qui coince, dit-il. Essayez de contourner, pour voir.
- C'est ce que j'allais faire.
Le scalpel se coula sans problème quelques centimètres sur la gauche, et fit de même sur la droite. Quand Lancet voulut retenter de couper tout droit, le blocage persista. Elle lâcha alors le scalpel et se plia en avant, les yeux plissés au travers de ses lunettes. Elle marmonna à voix basse un commentaire que Naki ne comprit pas, mais la façon dont se tenait Lancet était assez révélatrice pour qu'il n'ait pas besoin de poser la question.
- Vous voyez quelque chose, docteur ? S'enquit-il, hésitant à se pencher lui aussi mais ne voulant pas gêner sa supérieure.
- Pas vraiment, grommela t-elle. Tu peux aller me chercher la lampe torche, s'il te plaît ? Ça devrait être plus simple. Sans lumière, je n'arrive pas à voir ce qui pose problème.
Dans les faits, la salle d'autopsie disposait de trois lampes torches, chacune d''une taille différente pour s'adapter à toutes les situations. Naki choisit la moyenne : la petite risquait de manquer d'éclat, et la grande d'en produire trop, cette dernière étant plus généralement réservée aux pannes de courant qu'aux explorations intra-corporelles. En se tournant vers la table, il constata que Lancet avait été récupérer une petite pince et un haricot. Elle désigna le moignon du doigt.
- Il va falloir que tu éclaires, je ne vais pas pouvoir faire les deux, lui apprit-elle. Tiens-toi à une distance assez élevée pour ne pas m'aveugler, mais pas trop loin pour que je puisse voir où je vais, d'accord ?
La mesure était abstraite, mais Naki fit au mieux : s'appuyant à la table, il tint la lampe au dessus de la déchirure, et regarda Lancet s'y attarder avant de plonger lentement la pince à l'intérieur. Les limites fixées par le découpage du scalpel se montrèrent aidantes, puisqu'elle put ainsi écarter les lames de la pince à la bonne distance, mais elle progressa minutieusement, car elle n'était pas certaine de la taille de ce qu'elle allait récupérer et ne souhaitait pas abîmer un élément potentiellement essentiel à l'enquête. Les lames grincèrent chacune contre quelque chose. Lancet les resserra, puis tira avec précaution sa trouvaille hors des chairs meurtries du cadavre : Naki vit apparaître un objet en forme de croissant grossier. Les traces de sang qui le recouvraient, luisantes sous les lumières des lampes, étaient assez irrégulières pour que l'interne puisse distinguer une couleur blanche juste en dessous.
Mais ce n'était pas la couleur qui l'intéressait, pas plus qu'elle n'avait d'intérêt pour Lancet. En soit, elle n'avait aucune importance. Seule comptait la forme, car l'objet que déposa le docteur dans le haricot, d'une longueur approximativement égale au diamètre de la jambe amputée, s'était visiblement enfoncé dans cette dernière comme dans du beurre, et ces deux points réunis, indiquant clairement la nature de la découverte, envoyèrent une décharge d'affolement dans le ventre de Naki.
- Une dent, finit par lâcher Lancet.
Sa voix ne tremblait pas, mais ses yeux refusaient de lâcher le contenu du haricot.
Oh mon dieu mon dieu mon dieu c'est un vrai monstre
" Les cadavres sont plus lourds que les coeurs brisés. "
Citation de Raymond Chandler, écrivain et poète américain
31 mars 2008, 01h00, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.
La durée de vie de l'œuf n'avait plus subi la moindre chute depuis qu'il était immergé dans son aquarium de fortune, et avec les départs respectifs de L et Nenn, le laboratoire du Svetlana était redevenu un havre de solitude propre à la réflexion individuelle approfondie. D'ordinaire, Light avait toujours préféré les espaces vides et silencieux aux endroits bourrés d'individus en tout genre ayant toute sortes de conversations insipides (sauf si c'était L qui parlait oh non la ferme la ferme), bien qu'il eût le Cathare en horreur : à ceci près que le royaume des shinigamis n'avait rien de paisible. Il était simplement mort, à l'image de tous ses habitants, et par conséquent d'un ennui létal.
Installé à la paillasse où avait été déposé l'oeuf, la même qu'il occupait depuis leur retour de l'expédition en sous-marin avec Langlois, Light tentait vainement d'apprécier le calme du laboratoire et l'absence des scientifiques fous qui le peuplaient depuis leur départ de New-York, cependant le filtre de ses pensées avait cessé de fonctionner à l'instant où L était parti rejoindre leur cabine, les fragments de l'erlenmeyer tout juste disséminés sur le sol, et cet état de fait lui pourrissait inévitablement la soirée. Ça, et ce qu'avait dit Nenn.
La déesse de la mort s'était à peine intéressée à leur trouvaille des fonds marins. Light ne doutait pas qu'elle en reconnaissait le caractère exceptionnel et ferait docilement un bel exposé au roi rapportant les propos qu'il lui avait lui-même tenu sur sa potentielle origine ainsi que ses attributs, mais de toute évidence, elle n'était pas venue par curiosité. Dans le Cathare, Nenn ne lui avait jamais posé problème : il savait qu'elle méprisait Ryûk, car ce dernier le lui avait confié un jour qu'ils la voyaient passer dans les Plaines, toutefois elle n'avait rien dit le concernant et les rares fois où elle lui avait adressé la parole, soit pour le saluer lors de son arrivée dans le royaume et pour lui demander où était Ryûk, car "le monarque le cherchait", n'auraient de toute façon pas pu l'aider à deviner qu'elle ne l'appréciait pas. Ryûk l'avait prévenu qu'elle n'avait pas sa langue dans sa poche et qu'elle était redoutable dès lors qu'il s'agissait d'exprimer son opinion. Il ne l'avait cru qu'à moitié, d'une part parce que c'était Ryûk, et d'autre part parce que l'apparence générale de Nenn ne se prêtait pas à une description aussi menaçante. Son corps rachitique surmonté d'une paire d'ailes crochue était certes aussi déplaisant à regarder que celui de ses congénères, mais sa petite taille lui donnait un aspect très juvénile, et elle était par conséquent bien moins impressionnante que des shinigamis comme Justin ou Calikarcha.
Tu t'es fait avoir exactement comme avec L
Il l'avait sous-estimée. Nenn avait ouvert la bouche et en avait déversé des horreurs. Light aurait aimé pouvoir certifier que toutes les paroles de la déesse n'étaient que des mensonges scandaleux énoncés dans le but de le mettre au défi et de vérifier s'il méritait sa place, mais il revoyait alors ses yeux jaunes, la lueur sinistre qu'ils reflétaient, et il distinguait encore à l'intérieur la gorge de L cambrée en arrière pour qu'il puisse l'embrasser.
- J'ai déjà vu ça, avait-elle asséné froidement à propos de lui et du détective.
Ce n'est pas pareil pas avec lui il n'y a rien qui soit comme lui tu ne sais pas espèce de sale petite garce
- Tu ne sais rien, avait-il essayé de se défendre. Tu fantasmes.
Il avait parfaitement conscience que ses arguments étaient déplorables, et Nenn était de toute façon beaucoup trop bien partie pour se laisser démonter.
- Je sais que j'ai vu, avait-elle affirmé d'un ton moqueur. Je sais ce que Ryûk m'a dit.
- Ryûk est un crétin, avait-il grincé. Il est incapable de comprendre quoi que ce soit à ma relation avec L. Ça ne l'amuse pas, et donc ça lui passe au dessus de la tête.
Nenn avait souri. Quand c'était le cas, sa taille ne comptait plus.
- Je suis d'accord avec toi, lui avait-elle concédé. Ryûk est un incompétent dès qu'il est question de faire preuve d'humanité, mais il ne faut pas lui en vouloir, c'est son âge qui lui bousille l'empathie, encore que je ne suis pas sûre qu'il ait eu beaucoup en étant vivant. Une chance que je sois plus clairvoyante, n'est-ce pas ?
- Je ne comprends pas ce que tu veux, avait-il dit. Je ne comprends pas pourquoi tu me dis ça.
Elle ne lui avait même pas demandé pourquoi il ne continuait pas à nier en bloc les affirmations qu'elle lui lançait au visage. Ce n'était pas la peine.
- Réfléchis, Yagami. Qu'est-ce que je fais ici ?
- Tu es venue pour l'œuf.
- Qui me l'a ordonné ?
- Le roi.
- Et quel est le titre qu'il m'a donné pour cette mission ?
- Tu m'as dit que tu étais son porte-parole.
- Bien. Tu ne vois toujours pas où je veux venir ?
Si, il voyait, et son agitation était montée brusquement d'un cran.
- Tu es le porte-parole du roi, avait-il répété.
- Exact.
- C'est lui qui t'a envoyée.
- Tu comprends, maintenant ? Avait ronronné Nenn, visiblement ravie de son effet.
Il avait regardé l'erlenmeyer brisé sur le carrelage du laboratoire, vestiges translucides de sa dispute avec L, et il avait envisagé d'en jeter un autre à la tête de la déesse de la mort, même s'il était parfaitement au courant qu'elle ne risquait pas d'être blessée.
- Le roi pense que je vais le trahir, avait-il finalement énoncé.
Nenn avait hoché la tête.
- Il l'a toujours plus ou moins supposé, l'avait-elle corrigé. Il te connaît, et il sait de quoi tu es capable, que ce soit par ennui ou pour les beaux yeux de ton prétendu rival. Sous tes airs de génie de la classe, tu es affreusement prévisible, Yagami.
Le sarcasme de la déesse de la mort, en détruisant impitoyablement sa croyance en laquelle il avait toujours au moins un coup d'avance sur les autres, avait irrémédiablement fait mouche.
- C'est toi qui lui a mis la puce à l'oreille ?
- Disons que je l'ai prévenu. Je me suis méfiée de toi dès que tu as posé un pied au Cathare, et je crois que le roi aussi, mais comme tu as été amorphe ces dernières années, il a fait l'erreur de relâcher sa vigilance. Et puis il a décidé de jouer.
La compréhension avait poussé Light à gratifier la shinigami d'un regard noir.
- Le coup de l'émissaire, c'était prévu ?
- Qu'est-ce que tu croyais, Yagami ? Siffla Nenn. Que le roi des dieux de la mort avait inventé un jeu pour se laisser battre par un gamin égocentrique dans ton genre ?
Le Prométhée est truqué
- S'il ne me fait pas confiance, pourquoi avoir fait de moi son émissaire pour ensuite t'envoyer me dire qu'il s'attend à une trahison de ma part ? Ça ne tient pas debout, avait-il répliqué.
- Je te l'ai dis, Yagami, soupira Nenn d'un ton légèrement exaspéré. Le roi joue. On s'amuse comme on peut, quand on gouverne le Cathare. Je croyais que tu le savais déjà.
- Il joue avec moi ? Avait reprit Light. Je suis un pion, ou un adversaire ?
- Pour le moment, un peu des deux, lui avait avoué Nenn. Ton statut va dépendre du déroulement de cette enquête.
- Il est en train de me tester, c'est ça ? L'enquête, c'est juste une manière pour lui de voir si je lui suis loyal ou non. À ce compte-là, il aurait mieux fait de m'envoyer plus tôt, ça lui aurait fait gagner du temps.
Nenn avait secoué lentement la tête, comme une mère le faisait parfois pour refuser d'accéder au désir d'un enfant capricieux.
- Tu te voiles la face, Yagami, ou bien tu ne veux pas voir, avait-elle expliqué. Aucune autre enquête n'aurait pu vérifier les théories du roi à ton sujet aussi bien que celle des bateaux : tu as passé quatre ans dans le Cathare après une carrière prodigieuse de tueur en série opposé à un détective de renom. Il fallait un cas au moins aussi stimulant que l'affaire Kira pour te réveiller, et de préférence avec celui qui t'a envoyé six pieds sous terre, autrement tu te serais vite lassé.
- Et dans la foulée, je sers ses intérêts beaucoup plus efficacement que les autres, avait craché Light, dont la réserve de patience commençait dangereusement à s'amenuiser.
- Il est vrai que tu mets sans doute plus de cœur à l'ouvrage que nos semblables, mais en soit, le boulot n'a rien de compliqué. Il aurait pu être réalisé par n'importe quel autre shinigami, même sans l'apparence humaine et la possibilité d'être vu par les êtres humains. Le roi l'a adapté spécialement pour toi et sa petite expérience.
- Il fallait que L me voit, en avait déduit Light. Sinon, l'expérience ne pouvait pas fonctionner.
- Pas seulement. Le détective et toi avez besoin d'un public, sinon vos désaccords n'ont pas d'importance, avait observé Nenn. Vous n'avez jamais cherché à vous prouver l'un à l'autre que vous étiez autre chose que deux ego surdimensionnés parce que vous n'en aviez pas besoin : il suffisait juste de persuader votre entourage, étant donné que dans votre jeu, celui qui avait la majorité des voix gagnait la partie. Il était donc primordial que les autres puissent te voir, comme pendant l'affaire Kira, afin que le roi puisse tester ses hypothèses.
Un cobaye dans un labyrinthe
Après le départ de Nenn, Light avait ramassé les décombres de l'erlenmeyer et les avait rassemblés devant lui, sur sa paillasse, à côté de l'aquarium. Les laisser sur le carrelage aurait été risqué, car les scientifiques, en dépit de leurs excentricités, conservaient toutes leurs facultés d'observation et n'auraient ainsi pas manqué de demander ce qu'il s'était passé. Or le shinigami ne se voyait pas répondre à leurs questions, en particulier après son échange avec Nenn. Il était certain que L approuverait.
Il n'arrivait pas à envisager de jeter les restants de la fiole dans la poubelle : il se contentait de les regarder fixement, sa raison en chute libre, incapable de penser à autre chose qu'à ce que Nenn lui avait dévoilé, tandis que la coquille de l'œuf persistait à ne pas vouloir se soulever d'un pouce (la déesse de la chance est partie Light) et qu'il entendait résonner des pas à l'étage du dessus, vraisemblablement ceux de Pierre ou Lellou. Il ne voulait pas retourner dans la cabine qu'il partageait avec L : la probabilité que le détective y soit était trop grande, et il ne se sentait pas vraiment de taille à affronter une deuxième offensive. Il se remémorait l'expression de Nenn quand elle lui avait dit que le roi voulait se divertir, mais surtout le visage blanc comme neige de L, au moment où ce dernier lui avait signalé que Light attendait toujours une occasion de faire éclater sa vengeance.
Si le roi veut jouer, avait-il pensé, alors on va jouer. Mais pas question d'être le pion.
- Et maintenant ? Avait-il demandé à Nenn. Le roi a eu sa confirmation, et il a décidé de m'anéantir ?
- De mon point de vue, c'est la solution la plus prudente, avait répondu Nenn avec une franchise brutale. Mais pour l'instant, le souverain estime qu'il n'a eu aucun résultat véritablement concluant, et de ce fait il ne voit pas les choses de la même façon : pour lui, tu es un élément de valeur, et il trouve dommage de devoir te réduire en poussière alors que tu pourrais te tenir à carreaux et continuer de le servir en essayant de sauver ta peau.
- C'est un ultimatum ? Le roi t'a envoyée pour me prévenir que si je donne raison à sa théorie, je serais exécuté ?
- En d'autres termes, oui. Pour le moment, l'idée n'a fait que t'effleurer l'esprit : à mon sens, c'est amplement suffisant, mais le roi a une conception différente de la situation. En revanche, nous sommes tombés d'accord pour conclure qu'à la seconde où tu entreprendrais de mettre en place une stratégie visant à t'emparer du trône et vous y coller toi et le détective, tu serais réduit à néant de manière définitive et sans préavis.
- Vous auriez pu vous passer de l'avertissement, avait remarqué Light d'un ton sec.
- Non. Le roi et moi, nous ne sommes pas comme toi, Yagami. Ça s'appelle être fair-play. Et bon stratége.
- Je ne vois pas en quoi.
- Surprenant, de la part de quelqu'un qui aime autant avoir le contrôle, s'était raillé Nenn.
Elle avait ensuite déployé ses ailes en un craquement sordide. Pointées vers le ciel, elles atteignaient la hauteur du plafond.
- Je suis venue me renseigner sur cet œuf et t'avertir de ce qui pourrait t'arriver si tu ambitionnais de prendre la place de Sa Majesté, avait-elle résumé. Ma mission étant terminée, tu ne verras pas d'inconvénient à ce que je te laisse faire le point tranquille, Yagami ?
Light s'apprêtait à lui renvoyer une boutade cinglante lorsque Nenn, d'une remarque, avait étouffé sa tentative d'appliquer un baume verbal sur son ego malmené.
- Avant de prendre congé, pourrais-tu me dire où sont vos blouses de chimie ?
" La durée d'envoi sur Terre d'un porte-parole du roi de la mort est
beaucoup plus courte que celle d'un émissaire. Son rôle se limite à deux tâches. La première
consiste à rapporter depuis la Terre tous les éléments exigés par le monarque,
qu'ils soient transmis par un émissaire ou non. La seconde,
éponyme et pourtant souvent oubliée, implique de transmettre la volonté du roi. "
Extrait du Code des Dieux de la Mort, article XVI
Date inconnue, heure inconnue, lieu inconnu.
Et tu pleures tu pleures tu pleures mais tu ne sens rien rien rien rien rien rien rien oh rien oh !
...
...
Quand tu essaies de penser, ça te fait mal à la tête. On dirait une grosse migraine. Et comble de malchance, pas de cachet pour règler ça.
Quand tu essaies de
Quand tu essaies
Quand
...
...
Tu ne sais pas où tu es, mais maintenant tu sais pourquoi. Il y a eu le visage de Light (oh Light mon chéri amour je te demande pardon Misa est) aux yeux écarquillés, scrutant la pièce comme s'il la découvrait pour la première fois, comme s'il était un bébé à peine sorti du cocon rassurant que peut être le ventre d'une mère et qu'il entrait sur un terrain de toute évidence hostile. Et oh, le terrain était clairement hostile ce jour-là. Tu as mal au crâne quand tu entends ta voix dans ta tête, en fait ça fait mal partout, mais tout est diffus, et de toute façon ça t'es bien égal, puisque tu ne vois rien et dans une certaine mesure, les choses ne changent pas tellement. On t'a toujours dis que tu te ferais du mal à penser, qu'il valait mieux être belle et te taire, le monde était impitoyable et ce n'était vraiment pas une bonne idée d'en rajouter avec tes opinions et tes idées qui n'avaient d'importance pour personne. À l'époque, seul comptait le fait que tu existes. Ensuite, il n'y avait eu que Light, mais après Light, il n'y avait rien. Que du néant.
...
...
Tu ne sais pas où tu es, mais maintenant tu sais pourquoi. Il y a eu le visage de Light (oh Light mon chéri amour je te demande pardon Misa est) aux yeux écarquillés mais mais mais oh non tu as déjà pensé ça, tu as déjà pensé à tout si on y réfléchis bien, tu as déjà pleuré jusqu'à ne plus avoir de souffle et tu as déjà été en colère contre Matsuda, qui a tiré alors qu'il n'y en avait pas besoin, contre le père de Light, qui n'a rien fait, et contre L, qui t'avait déjà volé Light et qui était bien décidé à ne le partager avec personne, mort ou vif, surtout vif. Avant que tes parents ne meurent et que leurs tombes ne viennent creuser un trou dans ton âme, ils te disaient " Misa-chan, ne sois pas égoïste", et vraiment, tu faisais de ton mieux, tu as partagé tes jouets avec les autres, et tes jeux, tes habits, tes rires, tes larmes, et quand tu refusait tu pensais être l'individu le plus égocentrique que la Terre ait porté, mais voilà, la Terre a porté des milliards de milliards d'hommes et de femmes comme toi, sauf qu'aucun n'était jamais arrivé à la cheville de L, parce que L visait ce que tu avais toujours voulu, et à ce jeu-là tu savais que tu n'avais pas de chances, alors tu étais devenue plus égoïste qu'avant, et puis de toute façon quelle importance ? Ils l'étaient tous les deux, et le proverbe disait jamais deux sans trois.
Oh, ce mal de tête...
Light avait parcouru la salle des yeux et il n'avait pas compris tout de suite ce qu'il se passait, un événement rare si l'on considérait les prodiges intellectuels qu'il avait déployé pour asseoir son emprise en tant que Kira. Tu n'avais jamais douté de Light, même quand il avait rampé aux pieds de L pour lui demander de partager le trône (ils ne m'ont pas vues ils ont cru qu'ils étaient seuls ils ont toujours cru qu'ils étaient seuls), et qu'alors ses yeux débordaient d'une émotion complexe et sombre que tu avais beaucoup trop vu dans les tiens chaque fois que tu te regardais dans un miroir et que tu pensais Light ou Light et Moi. Mais tu n'avais jamais eu confiance en L, pas possible, tu n'avais jamais pu l'apprécier complètement, et comment te blâmer ? Il marchait sur tes plates-bandes, le petit prince macabre, et vos deux essences étaient presque la même : entre vous, Light était devenu un trophée, mais pas de Salomon pour venir couper la poire en deux, car de toute façon vous auriez préféré l'égorger plutôt que de vous le partager.
À moi à moi à moi à moi à moi à moi
Et c'était ce qui était arrivé, parce que ce jour-là Light était mort, Matsuda avait tiré et Ryûk avait écrit son nom, il était mort et il n'y avait rien eu pour vous deux, sauf des os, mais aucun de vous ne voulait être la fiancée de Frankenstein, et donc vous vous étiez effondrés ensembles, chacun à votre manière, pour L la paralysie et pour toi l'immeuble, mais vous avez partagé une souffrance, tu te souviens de la souffrance tout simplement parce qu'elle n'est jamais partie, si tu as mal c'est l'atterrissage sur le sol en béton et ton corps qui s'est brisé, et ta tête c'est quand elle a explosé.
Tu sais que les morts ne pensent pas. Ça ne te change pas de d'habitude.
...
...
Tu ne sais pas où tu es, mais maintenant tu sais pourquoi. Il y a eu le visage de Light et déjà fait déjà vu déjà déjà laissez moi penser laissez moi laissez moi en paix pitié laissez moi exister mais dans ce lieu-là il n'y a pas de place pour la réflexion et la déprime, c'est juste du rien, tu n'es pas supposée tisser le moindre fil de pensée ici, et tu ne sais pas pourquoi tu t'accroches tu ne t'es jamais accrochée que pour Light pas vrai ta carrière tes parents ta vengeance ta vie mais tu sens que ton esprit décolle pour la première fois depuis oh tu ne sais pas, tu préfères ne pas savoir pour l'instant. Tu te souviens de Light et de L et de Kira, et ta mémoire se reconstruit sans bruit et sans accroc, mais ce n'est pas possible, et ça l'est en même temps, tu ne sais pas mais tu t'accroches et tu tires.
Parce que de toute évidence, on t'a jeté une corde de nulle part, à un endroit où tu sais que personne ne peut en attraper, ou n'est supposé en attraper. Tu la sens titiller l'arrière de ton crâne, ses recoins, ses zones d'ombres, venir regrouper peu à peu le fil de tes dernières observations désespérées et tu comprends alors, tu sais maintenant, tu es morte, tu l'as fait toi même, et c'est pour ça, parce que tu as écrit dans le Death Note le Death Note tout vient du Death Note tout a toujours été le Death Note tu veux sortir je veux sortir laissez moi sortir par pitié Dieu si tu existes même le Diable je m'en fiche j'ai tué des gens mais laissez-moi sortir !
...
...
Tu ne sais pas où -
Non.
Tu sais.
Tu sais et ça continue à tirer dans ta tête et dans tes os car tu les sens maintenant, et peut-être que si tu tires encore tu pourras les voir et voir tes mains ta peau tes jambes et le bout de tes pieds, tu sens même tes orteils. Tu pourrais pleurer de sentir autant après avoir passé sans doute l'équivalent d'une éternité dans une nébuleuse d'inconsistance, mais pas tout de suite, parce qu'il faut que tu tires, si tu poussais ce serait un accouchement mais là c'est toi qui tires, donc c'est toi qui sors, et tu sens aussi que l'endroit ne veut pas OH NON IL NE VEUT PAS que tu partes, car - tu ne sais pas où - tu le sens tirer lui aussi, planter ses griffes acérées dans ton cerveau et te retenir en arrière, et si tu ne tires pas assez fort tu resteras coincée pour toujours ici, avec les autres, et les autres oh mon dieu tu les vois maintenant, des milliers de visages blafards et effrayants dans le noir, leurs yeux qui ont l'air de descendre au milieu de leurs figures de cauchemars, mais le pire c'est que tu sais que tu leur ressembles et tu sens à nouveau - tu ne sais pas - la déchirure dans ton crâne qui hurle folie folie folie si tu restes tu deviendras folle pour de bon complètement folle aussi folle qu'un chapelier fou tu deviendras folle comme celui qui avait les yeux rouges Beyond
Beyond Birthday.
D'un côté le Death Note et de l'autre Beyond Birthday, tout était de sa faute, à lui et à L, et est-ce que c'était la faute de Light (Light mon chéri mon roi mon dieu) s'il avait cru que L accepterait ses conditions ? - Tu ne sais pas où tu - Tu tires toujours mais ça te fait mal parce tout ici est comme une mélasse dans laquelle tu te serais engluée par mégarde, un genre de sable-mouvant carnivore et quand tu te débats pour lui échapper, ça veut arracher des cheveux, ton dos et tes yeux, te dévorer vivante, car personne ne quitte jamais les tunnels (les tunnels ?) et surtout pas les petites filles idiotes qui ont été suffisamment stupides pour se jeter du haut d'un toit au nom d'un garçon mort oh taisez-vous qui que vous soyez taisez-vous par pitié je ne suis pas stupide pas stupide ce n'est pas vrai et tu tires un peu plus fort sur la corde et tu sens TU SENS que quelqu'un quelque chose au bout d'un moment on peut se poser la question te répond et t'encourages en tirant à son tour. Très probablement en te tirant dehors.
Mais tu tournes la tête et les autres te renvoient une expression blafarde d'envie et de crainte, un visage qui ne dit pas " vas-y", mais qui s'écrie "moi d'abord", et peut-être que l'un d'eux arrive à le prononcer à haute voix - pas de pensée pas de parole le silence rien - car ils commencent à converger vers toi d'un seul coup, foule indistincte quelques heures (heures ?) plus tôt et qui semble à présent menaçante, qui l'est à vrai dire, et qui avance en tendant les bras avec de toute évidence l'objectif soit de te tirer en arrière et tu deviendras folle, soit de se laisser tirer et de t'abandonner là et tu deviendras folle quand même. Les options sont un peu limitées pour toi, pour eux aussi, mais surtout pour toi, et tu réalises que c'est la première fois depuis - tu ne sais pas où tu es SI JE SAIS - depuis très longtemps que tu veux quelque chose aussi fort qui ne soit pas Light Yagami.
Alors tu tires avec tout ce qui te reste d'énergie, tu t'agrippes, ta tête te donne l'impression de se déchirer en deux comme du papier (aie oh c'est pire que quand je suis tombée) et il y a un mouvement brutal de la corde dans le noir, un crissement sans doute tes pieds sur le sol (tiens le sol), et tu fais un bond en avant qui te coupe le souffle et accroît la distance qui s'était considérablement amenuisée entre toi et tes compagnons d'infortune. Quand tu te détournes pour les regarder, les doigts crispés sur la corde (mes doigts mes mains moi moi moi), tu distingues à peine leurs airs fantomatiques et malheureux, d'une part parce qu'il fait vraiment vraiment noir là où ils sont (j'étais là avec eux je ne les ai jamais vu jamais touché jamais entendu) et d'autre part parce que tu comprends que tu t'en fous, que c'est chacun pour soi, qu'ils ont voulu te prendre la corde et qu'ils t'auraient laissée là, toute seule et démente, pour sortir à leur tour, car il est évident que la corde permet de sortir c'est le fil d'Ariane Misa-Misa suis le fil et le Minotaure cherra dans ta tête dans les tunnels partout.
Tu suis.
...
...
On dirait qu'il passe une éternité ou plus tandis que tu progresses dans le noir sans lâcher la corde, ta tête te fait mal à vomir et tu dois t'arrêter deux fois (chaque fois, tu devines quelque chose dans ton dos et tu te remets debout, paniquée, avant de te remettre à avancer même si tu a l'impression que tu ne vas jamais y arriver), mais tu finis par distinguer un éclat avec tes yeux qui voient de nouveau. Quand tu étais vivante, on parlait de la mort et on disait " tu verras la lumière au bout du tunnel", et maintenant, non seulement tu peux dire que c'est faux, mais tu peux aussi affirmer que la dernière chose que tu as vu, c'était le sol sur lequel tu t'es écrasée, puis plus rien. Tu te souviens que tu pensais à l'accouchement, et pendant une brève seconde tu te demandes si tu es véritablement en train de naître, de renaître, peu importe, car ce que tu vois au fond ressembles à une ouverture circulaire, et il y a de la lumière, enfin pas vraiment, mais c'est plus lumineux que tout ce que tu as pu voir jusqu'à présent. Ton cœur se gonfle de chaleur comme un ballon un peu trop même doucement respire c'est peut-être un piège (car s'il y a bien une chose que tu as apprise de Kira, c'est la méfiance) et tu accélères, et ce qu'il y a derrière toi accélère aussi, pas besoin de tourner la tête pour le savoir, ça avance avec toi depuis que la corde s'est glissée entre tes mains et dans ton esprit, ça avance juste parce que ça veut te manger t'engloutir et te faire disparaître dans l'obscurité de ces foutus tunnels mais pas cette fois tu te dis pas cette fois je veux sortir j'en ai assez je veux sortir.
En guise de protestation, le Minotaure te plante ses griffes dans le crâne, t'attire en arrière, et tu hurles de douleur, mais aussi de rage, tandis que la corde vibre sous tes doigts fatigués.
Agrippe-toi, tu entends, agrippe-toi Misa, et tu obéis avec une férocité qui ne te ressemble pas, ou alors que tu as toujours eu en toi, mais qui n'a jamais eu l'occasion d'apparaître au grand jour, sauf que si, tu as déjà été féroce, plus qu'un lion, plus qu'un Minotaure, tu étais la férocité incarnée quand Light est mort, tu t'es débattue, tu as crié, et il y avait L et tu étais suffisamment sanguinaire pour refuser de lui céder Light, vous l'étiez tous les deux, et bon dieu si tu sors si je sors de ce trou je le tuerais je le tuerais s'il est encore vivant je l'écorcherais vif.
La corde tire d'un coup sec et tu traverses la porte.
Quelqu'un dit " C'est trop drôle ".
Oh.
Tu vois le sourire de clown et non non non NON NON NON !
You'll never know the psychopath sitting next to you
Tu ne sauras jamais quel psychopathe est assis à côté de toi
You'll never know the murderer sitting next to you
Tu sauras jamais quel meurtrier est assis à côté de toi
You'll think, "How'd I get here, sitting next to you?"
Tu penseras : "Comment je suis arrivé là, assis à côté de toi ?"
But after all I've said, please don't forget
Mais après tout ce que j'ai dit, s'il te plaît n'oublie pas
Extrait du morceau Heathens de Twenty One Pilots
31 mars 2008, 01h01, Entrée des Tunnels de Dorine, Cathare.
Les Tunnels de Dorine étaient le dernier niveau du Cathare, et pour y accéder, ce que la majorité des dieux de la mort préféraient éviter, il fallait inévitablement emprunter le long escalier en colimaçon suspendu dans le vide, situé à l'ouest des Plaines, et le descendre pendant deux bonnes heures dans une obscurité croissante et malsaine. À première vue, on se disait qu'il n'avait pas de fin, et la plupart des shinigamis ayant refusé de s'aventurer plus loin que les Plaines, par paresse ou par peur, s'accordaient pour prétendre que c'était le cas.
Ils sont à l'ouest, pensait alors Ryûk, et il riait de voir son esprit toujours alerte même si la blague n'était pas vraiment drôle
L'escalier, que sa Grande Altesse Asthmatique appelait aussi le Passage, nul doute qu'elle devait elle aussi être à l'ouest pour pondre des évidences pareilles, paraissait à première vue être taillé dans la roche, un matériau sombre et froid, et il était là bien avant l'arrivée de Ryûk. Parfois, quand il s'ennuyait plus que d'habitude et n'avait d'autre chose à faire que de penser au Cathare, le shinigami soupçonnait que sa structure solide mais glacée, un peu grotesque et aux arrières goûts d'architecture gothique, était même présente longtemps avant que le roi des dieux de la mort ne fasse son apparition dans les Limbes. Par ailleurs, le monarque n'avait jamais été particulièrement loquace dès lors que le sujet était abordé. De manière générale, il était difficile de parler avec lui de tout ce qui touchait au royaume des dieux de la mort, et par difficile, Ryûk entendait impossible. La moindre question sur le Cathare qui n'entrait pas dans le nombre restreint autorisé (et il était encore plus restreint que le quotient intellectuel des shinigamis seniors) provoquait un panel de trois réactions au souverain, aucune n'étant positive et spécifique à un type d'interrogations. D'abord, d'un ton doucereux et paternaliste au possible, il demandait au shinigami pourquoi ce dernier posait une telle question. Ensuite, si le dieu de la mort avait le malheur d'insister, il lui soutenait que de toute façon, ça n'avait pas d'importance, et que même si cela pouvait en avoir, il n'avait pas à être au courant de quoi que ce soit. Enfin, si le dieu de la mort se montrait impatient malgré ces mises en gardes implicites, le roi, lassé, le bannissait tout simplement dans les Limbes pour une durée indéterminée - et il était notoire que le concept "d'indéterminé" prenait généralement tout son sens avec sa Majesté Essoufflée. Parfois, le dieu revenait. Parfois, non. À force d'errer et de penser, certains shinigamis avaient du pousser un peu trop loin leur exil dans les Limbes, or le territoire du royaume des dieux de la mort était beaucoup plus vaste qu'il n'en avait l'air, et sans aucun doute plus hostile.
Le chemin pour se rendre à l'escalier n'avait rien de divertissant : Ryûk l'avait déjà fait plus d'une fois, quand sa curiosité maladive sur-développée par le manque d'activités au Cathare l'avait poussé à explorer quelques unes de ses zones reculées, même les moins recommandables (surtout les moins recommandables), mais force était de constater que ce n'était qu'une de ces marches sans plaisir déployée pour se rendre d'un point A à un point B. Son dernier voyage datait du jour où il avait été récupéré Light au niveau des Limbes, probablement la plus grande déception de toute sa vie d'entité psychopompe. Le paysage allait de ruines anciennes en dunes de sable gris dont l'intérêt esthétique demeurait tragiquement limité. Un jour, Ryûk avait accordé un peu de son attention aux vestiges, et les restes élégants des bâtiments indiquaient qu'ils avaient de toute évidence été grands et beaux, mais pour une raison que Ryûk ne parvenait pas à comprendre, tous étaient tombés en miettes. La seule véritable construction encore debout était le palais royal du Mont Fossoyeur, avec ses lignes de temple grec et son intérieur de cathédrale, mais inutile de demander une explication au roi. À une époque, certains shinigamis s'étaient adressés à Nu, mais celle-ci étant alors muette quand elle n'était pas tyrannique, les discussions avaient très vite tourné court.
Maintenant, elle est juste muette
Et maussade. Comme tous les shinigamis, à ceci près que son humeur était d'autant plus mauvaise qu'elle avait encore toute sa tête.
Light aurait du devenir bête quand il en avait encore la possibilité
Il n'y avait qu'un seul individu au Cathare qui se trouvait au courant de ce que Ryûk allait faire, et pour le moment, il n'en fallait pas plus. L'affaire transgressait à peu près les trois quarts des commandements du code des dieux de la mort, et la loi officieuse qui dictait l'obéissance et le respect au monarque, quelque qu'eussent été ses problèmes pulmonaires. Le pire était que lui et sa complice risquaient très cher pour une tentative de sauvetage qui, par dessus le marché, n'était même pas assurée d'aboutir, mais au fond, Ryûk ne parvenait pas à s'en préoccuper totalement. Il avait toujours été beaucoup trop nonchalant pour son bien, surtout la fois où ils étaient venus avec les couteaux et -
Tiens ?
L'une des raisons pour laquelle les shinigamis ne souhaitaient pas approcher les Tunnels de Dorine résidaient dans cette capacité tout à fait étrange et ô combien lugubre qu'ils possédaient à faire resurgir des fragments de souvenirs, profondément enfouis et parfois sur le point d'être désintégrés par le temps, appartenant à leurs vies humaines antérieures. Tout le paradoxe du dieu de la mort lambda se trouvait là : dans son désir de conserver les réminiscences de sa vie passée et dans le désespoir qu'il ressentait face à leur perte progressive, opposé à son incapacité profonde à pouvoir les supporter dès lors que certains d'entre eux se manifestaient à nouveau. Par ailleurs, les Tunnels de Dorine semblaient avoir conscience de ce clivage chez les shinigamis et possédaient de toute évidence un sens de l'ironie très marqué, car ils ne renvoyaient généralement que des souvenirs négatifs, dans un premier temps, puis des éléments relatifs à la mort de leur propriétaire. Même le roi des dieux de la mort, sous le prétexte d'une condition physique peu avantageuse, ne voulait pas y mettre les pieds.
Nu vient parfois et Light s'est posé devant la porte pendant des heures et des heures et Rem venait aussi
Le je-m'en-foutisme ambiant de Ryûk le protégeait vaguement des assauts des Tunnels, dans le sens où il avait beaucoup trop de recul sur sa propre histoire pour y accorder véritablement du crédit et s'en lamenter. Ce qui était fait était fait, et si s'en rappeler n'était pas spécialement une partie de plaisir, il n'était pas contre garder une trace de son passé, qu'elle fût bonne ou mauvaise. Les dieux de la mort, à trop perdre leur mémoire, finissaient par tous se ressembler, et il ne déplaisait pas à Ryûk d'avoir une occasion de se distinguer : il n'avait pas su garder son corps (le Prométhée est truqué), mais cela ne dérangerait personne s'il se conservait des flash-backs.
Il finit par atteindre le sol poussiéreux indiquant l'entrée des tunnels, et quand il quitta la dernière marche, les talons de ses chaussures renvoyèrent un écho sépulcral dans le silence du troisième niveau. Les souvenirs commençaient à affluer dans son crâne, et il entendait les murmures s'échapper de l'énorme excavation constituant le début des tunnels (le couteau et le sang ils sont entrés sans sonner vraiment pas polis je te jure aucun humour à la base c'était une blague ça faisait longtemps Ryûk viens ici rentre ici on a de la place on se serrera juste un peu tu vas voir c'est drôle dedans), mais cette fois encore plus que toutes les autres, il n'y accorda qu'une importance réduite. Il se plaça juste devant l'énorme percée noire, au dessus de laquelle une main inconnue avait gravé un avertissement.
DANGEREUX, lisait-on, TUNNELS DE DORINE NE PAS ENTRER
Parfois, Ryûk regrettait amèrement de ne pas avoir de craie sur lui, car il aurait adoré dessiner, juste sous la recommandation tout à fait justifiée, une petite croix chaleureuse qui y aurait ajouté davantage de pertinence. S'il devait redescendre sur Terre, soit pour rendre visite à Light sur le rafiot où il menait son enquête, soit pour une autre mission, il se débrouillerait pour rapporter de quoi écrire, et peut-être du papier, parce qu'on ne pouvait pas tellement gribouiller des bonhommes sur les pages d'un Death Note.
Il porta la main à sa sacoche et en extirpa une bobine de fil rouge de diamètre moyen, à l'aspect un peu pelucheux, ce dernier fait s'expliquant rapidement puisque la bobine était en fait constituée par ce qui ressemblait fortement à du fil à tricoter. Elle n'était tenue en place que par un maigre ruban doré, et il y avait presque du blasphème dans la façon qu'avaient les deux couleurs de ressortir au beau milieu de l'environnement pour ainsi dire monochrome du Cathare.
Le fil d'Ariane
Nenn était venue le voir à peine quelques minutes avant d'emprunter un vortex pour rejoindre Light sur Terre, et Ryûk n'avait pas compris, car il savait que la petite ne le portait pas vraiment dans son cœur et préférait la compagnie des dieux de la mort plus posés, comme Rem ou Nu. Lui n'avait rien contre elle, de la même manière qu'il n'avait rien contre l'intégralité des dieux de la mort, néanmoins il était obligé d'admettre qu'elle le mettait souvent mal à l'aise et que, parce qu'elle obtenu le privilège d'aller visiter le monde des humains, il était quelque peu fâché et jaloux que le roi lui ait accordé sa faveur. Elle était venue le retrouver sur son promontoire habituel, là où il aimait à perdre toute joie de vivre en paix, et lui avait tendu la bobine de ses mains menues, considérablement minuscules comparées à celles de Ryûk. Nenn avait l'apparence d'une enfant, certes monstrueuse, mais d'une enfant malgré tout. La seule chose trahissant son âge et son esprit redoutable étaient ses yeux, avec lesquelles elle l'avait observé comme on jauge un cheval pour savoir s'il en vaut la peine avant de l'acheter. Aurait-il eu la bêtise de dire un mot de travers, et elle aurait repris le fil sans hésitation, lui ôtant ainsi une formidable opportunité de s'amuser un peu. Il fallait cependant ajouter qu'elle comptait sur ce dernier point pour s'attacher le silence de Ryûk, et en partie sa loyauté, si tant était qu'on pouvait parler de loyauté le concernant.
- Qu'est-ce que tu veux que je fiche avec ça, gamine ? Avait-il demandé, incrédule, en regardant la bobine.
Il ne pouvait pas ne pas l'appeler ainsi. Il savait qu'elle détestait ça et qu'elle le détestait pour ça, mais c'était une impulsion contre laquelle il se sentait affreusement impuissant.
- Te changer les idées, avait-elle répondu sans perdre le nord.
- Quoi, en me pendant avec ?
La plaisanterie n'avait pas fait mouche, en partie parce que ce n'en était pas vraiment une.
- Certainement pas, je ne t'aime pas assez pour te faire cette fleur.
- Trop aimable, vraiment, avait grogné Ryûk, qui ne voyait pas où elle voulait en venir et s'en trouvait contrarié.
Nenn avait alors baissé la voix, passant de la raillerie à la confidence sans la moindre transition. Ses yeux jaunes s'étaient rétrécis d'une manière qui était étrangement familière à Ryûk, mais qu'il n'avait compris qu'une fois devant la porte des Tunnels de Dorine.
On aurait dit Light, avant, quand il pensait à détruire
- Je voudrais que tu ailles chercher quelqu'un, avait dit Nenn d'un ton glacial, contre lequel il était impossible de formuler la moindre protestation.
- Tu viens ouvertement de m'avouer que tu ne m'aimes pas, et tu veux que je te rende un service ? T'as pas froid aux yeux, gamine.
- Ça s'appelle juste être honnête, Ryûk. Je ne vais pas prétendre que j'ai de l'affection pour toi simplement pour obtenir ce que je veux.
- Ce serait plus logique, tu sais, et probablement plus efficace, si on se base sur le principe de cause et effet.
Sur le principe de la flatterie et de l'asservissement
- Ce serait stupide, avait asséné Nenn. Tu es trop intelligent pour ne pas deviner que ce serait du pipeau.
- Beaucoup mieux.
- Ne t'emballes pas, Ryûk. Ce n'était pas un vrai compliment : je trouve juste idiot le fait de risquer ma crédibilité simplement pour une requête.
- Dommage, avait observé Ryûk. On aurait pu mettre en pratique les théories de La Fontaine.
- Tu ferais un très mauvais maître Corbeau, l'avait suivi Nenn. Même avec les plumes.
- Et toi, le pire maître Renard du monde, surtout sans le pelage.
Ils auraient pu se lancer des piques ainsi pendant une éternité, en variant les thèmes et les métaphores, car Nenn devait en posséder suffisamment en réserve et Ryûk aimait à avoir le dernier mot, mais la doléance de Nenn n'avait pas quitté l'esprit de Ryûk, or il était de nature bien trop curieuse pour ne pas vouloir l'aborder de nouveau.
- On va tourner en rond, avait-il conclu, et il lui avait semblé que la petite hochait la tête. Pourquoi moi ? N'importe quel dieu de la mort doté d'un peu de cervelle sait que tu ne me fais pas confiance, gamine.
Nenn lui rendit un sourire en coin, froid et macabre.
- Quand il s'agit de te distraire, tu as toute ma confiance, lui avait-elle exposé. J'ai vu ce que tu étais capable de faire par ennui, ça me suffit.
- Tu parles de Light Yagami et du cahier de la mort ? Tu sais que je l'ai trahi, à la fin ?
- Tu ne l'as pas trahi, l'avait étrangement corrigé Nenn. Tu as juste fait ce qui était attendu de toi à partir du moment où tu as vu que tu ne tirerais plus avantage de la situation, c'est tout. Tu l'avais prévenu, mais Light Yagami s'est relâché et a fait la bêtise de croire que tu lui serais fidèle au delà de ton amusement. Je dis que tu es beaucoup plus prévisible.
- Et je dis que tu commences vraiment à devenir vexante.
- Tout le monde le dit, avait répliqué Nenn comme si c'était une évidence.
C'en était une. Les shinigamis, à l'exception des plus hauts gradés, avaient tendance à éviter Nenn autant qu'ils le pouvaient, non parce qu'elle était véritablement méchante, mais parce que son intelligence acérée la rendait dangereuse. En plus d'être vive d'esprit, c'était une effroyable observatrice, qui était en mesure de percer à jour le caractère d'un dieu de la mort en à peine quelques conversations. Aussi était-elle habile à démasquer leurs faiblesses et leurs défauts, mais aussi leurs qualités, lorsqu'ils en avaient d'assez prononcées pour qu'elle s'y intéresse. Quand l'occasion lui était donnée, autrement dit quand un shinigami venait à lui taper sur le système, elle ne privait pas de lui jeter à la figure des éléments de sa personnalité en mesure de lui porter préjudice, et plus d'une fois Ryûk avait vu revenir des dieux de la mort d'un échange avec Nenn, l'œil vitreux et hagard, une expression consternée crispant leurs traits abominables en un semblant de grimace de chagrin. Ça n'avait pas toujours été ainsi, bien sûr, car Nenn subissait elle aussi les frais de la disparition de son empathie, mais dans ses jeunes années, elle était généralement plus triste que caustique. En vérité, elle était véritablement devenue acerbe après la disparition de Rem, seule déesse de la mort qui avait su trouver grâce à ses yeux.
- Et si je refuse ? Lui avait proposé malicieusement Ryûk.
- Rien ne t'en empêche, lui avait assuré Nenn. Je me suis préparée à cette éventualité, et je sais que tu n'es pas le seul shinigami à te tourner les pouces au Cathare en attendant désespérément qu'il arrive quelque chose.
- Dans ce cas, je réitère ma question : pourquoi moi ?
La bouche de Nenn s'était étirée vers le haut. Si Ryûk avait été humain, il y aurait fort à parier qu'il aurait senti un frisson de crainte lui remonter la colonne vertébrale. La gamine avait ce pouvoir : la fragilité de sa stature en tant que déesse de la mort ne parvenait jamais à faire oublier la courbe inquiétante de son sourire. En outre, Ryûk était parfaitement au fait des noms que Nenn avait inscrit dans son death note, et prétendre que les malheureux élus n'avaient pas connu des fins cruels était l'euphémisme du siècle.
- Parce que c'est toi qui t'ennuie le plus, avait-elle répondu.
Ça aussi, c'était une évidence.
x
x
Quand Nenn avait prononcé le nom de Misa Amane, Ryûk avait cru un instant qu'il avait mal entendu. Mais la petite n'avait pas perdu patience et s'était répété doucement, observant non sans un certain plaisir l'incrédulité et quelques souvenirs venir tordre les traits clownesques de son interlocuteur.
- Elle est ici ? S'était étonné Ryûk. Je croyais qu'elle s'était suicidée ?
- C'est le cas, avait répondu Nenn. Elle est coincée dans les Tunnels de Dorine, comme tous les utilisateurs d'un Death Note ayant pris cette décision.
- Tu veux que j'aille chercher Misa dans les tunnels ?
- Si tu persistes à me poser des questions rhétoriques, Ryûk, je risque de m'en aller.
- Gamine, tu deviens insolente. Sans vouloir te vexer, le principe des Tunnels de Dorine, c'est qu'on ne peut pas en sortir. Il n'y a pas de solution. Je ne vois pas comment tu veux que je ramène quelqu'un d'un endroit par essence inaccessible.
Le rictus de Nenn avait refait surface, et avec lui son visage de fantôme malveillant.
- Tu ne discutais pas beaucoup avec Rem, je me trompe ? Avait-elle remarqué.
Ryûk avait haussé les épaules.
- Non. Rem n'a jamais beaucoup discuté, et puis de toute façon, elle ne m'aimait pas beaucoup. Un peu comme toi.
- Il faut bien lui reconnaître qu'elle avait ses raisons.
- Sans doute. Pourquoi ? Tu vas me dire qu'elle avait trouvé quelque chose ?
- Tu serais surpris d'apprendre que oui ? Lui avait demandé Nenn d'un ton badin.
Ryûk l'avait bien regardé. Elle souriait, mais ses yeux jaunes ne renvoyaient pas le moindre signe de plaisanterie.
Oh
- On appelle ça le fil d'Ariane, avait-elle alors entreprit d'expliquer en désignant la bobine de fil que Ryûk tenait dans sa grande main décharnée. D'après les instructions que m'a laissé Rem et sa propre expérience, c'est très simple à utiliser : tu déroules l'extrémité du fil à l'entrée des tunnels, tu dis le nom de la personne que tu veux récupérer en pensant à son visage, et le magnétisme fait le reste. Apparemment, ça marche à tous les coups.
Ryûk avait brièvement jeté un coup d'œil à la bobine, puis s'était recentré sur Nenn, dont tout le visage semblait s'être éclairé de malice.
- Tu l'as testé ? L'avait-il interrogée.
- Non, pas encore. Ce sera l'occasion.
- Mais Rem l'a déjà fait ?
- Une fois.
- Avec qui ? L'avait pressé Ryûk.
Oh les secrets les secrets les petits secrets des morts
- Quelqu'un qu'elle a connu, mais je ne te dirais pas qui.
- Je ne mérite pas de savoir, c'est ça ?
- Pas vraiment. Ça ne vient pas juste de moi, c'est le roi qui l'a décrété.
- Parce que le roi est au courant ?
Cette fois, Ryûk n'avait pas réussi à dissimuler intégralement son incompréhension. Il avait effectivement plus ou moins admis, au cours de leur échange, que le service requis par Nenn avait pour but de rester secret, et ne devait en aucun cas atteindre les oreilles du monarque, pour qui les tunnels, à défaut d'être un endroit où il pouvait envoyer librement des dieux de la mort indisciplinés errer sans fin comme dans les Limbes, étaient une source de suffisamment de crainte et de respect pour qu'il en estime les fonctions sacrées et se garde bien d'en interférer le développement.
- Bien sûr qu'il est au courant. Tu sous-estimes le roi, Ryûk, avait conclu Nenn. Comme la plupart des shinigamis, d'ailleurs.
- C'est lui qui t'a donné l'ordre d'aller chercher Misa ?
- Oui et non. L'idée vient de Rem, mais c'est bien le roi l'a exigé.
Rem était tombée en poussières le jour où Light était mort : à l'époque, elle essayait déjà d'arracher Misa tant aux griffes de L que celles de Kira, car il était rapidement devenu clair qu'aucun des deux n'avait son bien-être en tête de ses priorités. La tentative d'assassinat de L en 2004 aurait du être l'occasion pour elle de se sacrifier afin de permettre la victoire de Kira et par conséquent la survie de Misa, plus longtemps du moins que si elle avait laissé le détective en vie. Mais L les avait devancés, et quelques jours plus tard, Misa se jetait du haut d'un immeuble. Ryûk, qui observait la scène via un des vortex, avait trouvé la conclusion intéressante mais pas spécialement amusante : bien qu'elle n'ait pas eu beaucoup d'ambition, il avait espéré que Misa reprenne le flambeau de Kira et se lance à son tour dans une croisade effrénée contre les criminels, mais il s'était très vite rendu compte que toute volonté de combat chez la jeune femme avait disparu avec Light. Il avait déploré ce gâchis autant que celui de la mort de Rem, et ce d'autant plus que tous deux l'avaient privé d'une source de divertissement providentielle.
- Rem savait ce qu'il arriverait à Misa en cas de défaite, avait poursuivi Nenn. Nous nous sommes vues quand elle était sur Terre, j'étais chargée de faire un compte-rendu au roi. Elle m'a dit qu'elle avait essayé de faire changer Misa d'avis, mais que cette dernière ne voulait rien entendre, et qu'elle comptait bien mettre fin à ses jours plutôt que d'être arrêtée par la police.
- Misa n'a jamais vécu pour elle même, avait lâché Ryûk. À partir du moment où Kira a tué le meurtrier de ses parents, elle est devenue son extension, et s'il venait à disparaître, alors elle aussi. Rem était beaucoup trop optimiste la concernant. Elle n'aurait jamais du se sacrifier pour elle.
- Rem l'aimait, lui avait rappelé Nenn. Elle voulait que Misa vive, peu importait ce que ça pouvait bien lui coûter. Tu ne peux pas comprendre ça, Ryûk.
- Tu vas me dire que c'est parce que je manque d'empathie et que je suis méchant ?
- La première option, oui, pas la deuxième. Tu n'es pas méchant, tu es juste indifférent. Qui plus est, tu ne prends aucun parti, et n'importe quel idiot te dira qu'être amoureux, c'est nécessairement prendre parti.
- Je prends le parti de ne pas prendre parti, avait rétorqué Ryûk. J'ai le droit, non ?
- Je n'ai pas dit le contraire. J'observe, voilà tout. Je fais comme toi.
- Si tu veux que je déroule ton fil, il vaudrait mieux que tu observes tes leçons de politesse, gamine, avait-il grogné, car même sa patience avait des limites.
- Oh, Ryûk, avait ronronné Nenn. Ça n'a rien à voir avec la politesse. Tout ce qui importe, c'est l'ennui.
x
x
L'entrée des Tunnels de Dorine était une imposante bouche de pierres peu engageante, au delà de laquelle on en distinguait rien d'autre qu'une obscurité intense et à première vue impénétrable. Aucun dieu de la mort ne s'était jamais aventuré au delà, tout d'abord parce l'endroit n'avait rien d'une introduction à la plus charmante des randonnées champêtre, ensuite parce que l'inscription située au dessus de l'entrée n'était pas encourageante, et enfin parce que le souverain avait très implicitement signalé à tous ses sujets qu'il était formellement interdit de poser un pied crochu dans les tunnels. De toute façon, aucun shinigami doté d'un peu de jugeote n'aurait ne serait-ce que tenté une percée dans le dédale sombre qui s'ouvrait devant lui une fois l'escalier descendu. La grande majorité des dieux de la mort venu faire un tour près des tunnels, souvent par ennui et plus rarement par curiosité, avaient eu le cerveau grignoté par les voix et n'avaient pas tenu plus de dix minutes devant l'embouchure sinistre qui en constituait la porte. Quand aux autres, ceux qui étaient restés plus longtemps, ils étaient revenus avec un air égaré et tous avaient tenu des propos incohérents les jours suivant leur exploration.
Ryûk avait parfaitement conscience de la toxicité des tunnels et savait qu'il ne devait pas y rester trop longtemps : les voix venues picorer l'esprit des autres shinigamis étaient toujours là, et chaque minute passée devant l'entrée affaiblissait sa résistance, quand même il aurait voulu l'ignorer. Il avait finalement accepté la tâche que lui avait proposé Nenn, beaucoup plus pour égayer sa journée que par pure conviction, ainsi que l'avait prédit la petite. Il aurait probablement du se sentir embarrassé par ce que les autres dieux de la mort considéraient comme son ultime faiblesse de caractère, mais il ne parvenait pas à y voir quelque chose de négatif en ce sens où son amour du divertissement était toutefois assez élaboré pour ne pas le mettre en danger ou dans l'embarras. En outre, il aurait menti s'il avait affirmé ne pas être de bonne humeur face à la perspective de revoir Misa, et le moyen d'y parvenir lui posait une colle infiniment plus drôle et passionnante que les quatre dernières années qu'il avait vécu au Cathare. Entre ses homologues qui se laissaient tranquillement aller à perdre leurs neurones tout en jouant aux cartes et Light qui n'avait eu de cesse de bouder, il n'avait guère eu beaucoup de distraction. Que Nenn le méprise n'était pas nouveau et ne changerait rien à ses habitudes, car elle n'était pas violente et ne chercherait pas à lui nuire. En revanche, il n'avait jamais entendu parler de Rem et de son fil d'Ariane.
Ryûk se savait exclu, comme d'autres de ses congénères, de certains échanges avec le roi, ainsi que cela pouvait avoir lieu dans une cour classique, et il ne prenait pas véritablement ombrage de cette mise à l'écart. Il ne la cautionnait pas, mais comprenait son existence, car le monarque, à mesure qu'il vieillissait sur son trône, développait cette forme caractéristique de paranoïa propre à tous les dirigeants de longue date, monarchie ou non. Par ailleurs, le souverain se montrait relativement tolérant avec lui et l'acceptait dans la plupart des réunions et conseils importants, car il était parfaitement informé de l'intelligence de Ryûk et plus encore de sa capacité remarquable à causer des problèmes ou à envisager d'en provoquer dès lors que l'embêtement venait le tarauder d'un peu trop près.
Rem avait été beaucoup plus proche du souverain que Ryûk ne le serait jamais, le phénomène étant la conséquence de plusieurs facteurs. Tout d'abord, Rem était par nature bien plus raisonnable que Ryûk, ce qui la rendait non pas plus malléable, mais plus apte à écouter et débattre que le dieu de la mort. Ensuite, elle avait inexplicablement conservé une humanité appréciée du roi, car cet attribut la poussait à prendre position dans des situations critiques (c'est ça qui l'a tuée dommage Rem) et le roi, sans en avoir l'air, favorisait les dieux de la mort encore capables d'exprimer leurs opinions sur d'autres points que la nourriture du Cathare ou l'esthétique des jeux de cartes. Enfin, Rem était nettement plus ancienne que Ryûk.
Pour l'avoir entendu, même de Light Yagami, Ryûk savait que la plupart des individus qui l'avaient connu lui et Rem estimaient que celle-ci était la plus jeune de quelques années. Non seulement leur raisonnement était inversé, car Rem était déjà présente au Cathare alors que Ryûk venait tout juste de sortir des Limbes, mais il était de plus complètement faux du point de vue temporel, car le shinigami avait fini par découvrir que Rem, en plus d'être plus âgée, devait l'être d'au moins un ou deux millénaires, car ses premiers jours au royaume des dieux de la mort étaient vraisemblablement parallèles à peu de choses près à ceux du monarque et de Nu.
Faut dire qu'elle ne faisait pas son âge
Et aussi qu'elle était prodigieusement discrète. Il arrivait que des dieux de la mort s'épanchent douloureusement sur leurs vies humaines, plus particulièrement durant leurs premiers temps au Cathare au cours desquels ils semblaient tous pris d'une envie furieuse de déballer leurs secrets à qui voulait bien les écouter, mais Rem n'avait jamais parlé beaucoup d'elle, encore moins à Ryûk pour qui elle éprouvait une évidente animosité. Les origines de Rem avaient toujours été très obscures, comme l'étaient celles du roi, de Nu, et de manière générale des shinigamis occupant les plus hauts rangs du classement. Il y avait là une infinie quantité de mystères que Ryûk avait à plusieurs reprises entrepris de creuser, mu par un besoin d'en savoir plus inlassablement renouvelé, mais pour chaque pelletée, on lui remettait deux fois plus de terre. Les réponses qu'on lui donnait, quand on voulait bien lui en donner, étaient trop vagues pour être satisfaisantes, et souvent son enquête finissait par devenir trop complexe et par conséquent trop pénible pour qu'il continue d'y voir un intérêt, car s'il n'était effectivement pas friand de la routine accablante rythmant les journées des shinigamis, il supportait encore moins la notion de difficulté.
De surcroît, il y avait des derniers temps un autre problème, plus imposant, ôtant à Ryûk toute envie d'aller explorer l'histoire individuelle de chaque dieu de la mort traînant son épouvantable carcasse sur le sol du royaume. Cela faisait des années qu'il n'y avait pas songé, en partie parce qu'il s'était arrangé pour ne pas avoir à l'envisager, car un esprit occupé n'avait certainement pas le temps de penser à tout. Néanmoins, plus le temps s'écoulait au Cathare, et plus Ryûk était forcé d'admettre que ses capacités intellectuelles, jusqu'à lors tout à fait correctes, étaient en train de subir un déclin alarmant. Il avait des faux-bond en matière de vocabulaire. Il ne se souvenait plus d'éléments dont il avait encore conscience deux jours avant. Parfois, il perdait le fil de sa propre pensée. Une fois, il lui était même arrivé de marcher et de ne pas penser du tout. Le signe le plus évident était qu'il avait été jouer aux cartes avec ses congénères, alors qu'il en avait toujours eu horreur, et qu'il en avait retiré un certain bien-être. Les autres s'en étaient étonnés, puis, incapables de réfléchir plus longuement, l'avaient simplement accepté. Son empathie était elle aussi touchée de plein fouet, mais cela lui importait moins, car il n'en avait jamais eu beaucoup et estimait pouvoir très facilement s'en passer.
Que ses souvenirs et ses émotions foutent le camp était un fait, et un fait acceptable dans le sens où il parvenait à l'encaisser. Son histoire n'avait pas beaucoup d'importance à ses yeux, car il n'était pas de ceux qui se consacrent au passé ou l'avenir, mais qui cultivaient au contraire une tendance à vivre l'instant présent, ce qui avait probablement du contribuer à le tuer (ils n'ont même pas sonnés je vous jure). Par ailleurs, les tunnels de Dorine constituaient une prodigieuse occasion d'obtenir une piqûre de rappel sur les raisons de sa présence au Cathare. Les voix ne manquaient pas de faire leur travail quand il était question de renvoyer aux shinigamis restés trop longtemps devant l'entrée des tunnels un kaléidoscope d'images et de sensations liées à leurs vies humaines, et plus spécifiquement à leur mort.
À l'inverse, il était strictement exclu pour Ryûk de laisser ses neurones se désagréger sans rien faire. Il savait que le phénomène était inévitable, il avait été prévenu comme tous les autres dieux de la mort, mais l'avertissement du roi remontait à plusieurs décennies et de toute façon, il ne prenait pas les choses au sérieux tant qu'elles n'advenaient pas pour de vrai, sous ses yeux.
- Il est comme Saint Thomas, avait lâché une fois Nu, alors qu'ils conversaient pendant une de ces réunions avec le monarque dont on voyait le début, mais pas la fin. Il ne croit que ce qu'il voit.
Le roi s'était amusé de cette observation pertinente, comme il s'amusait presque toujours des remarques un peu caustiques de Nu vis-à-vis de ses homologues. En réalité, Ryûk n'avait pas vu, ou plutôt n'avait pas senti la dégradation progressive, minutieuse et cruelle de son intellect. Les dieux de la mort qu'il côtoyait les plus régulièrement étaient les plus hauts gradés, et lui même occupait la sixième place. Le souverain les avait tous averti que la perte des facultés mentales, dont l'intelligence, s'étiolait sur une durée très variée en fonction de chaque shinigami, et que ceux occupant les meilleures places dans le classement s'en défaisaient considérablement moins vite que les dieux de la mort situés aux dernières places (est-ce qu'il y avait des dernières places ?). En comparant avec Justin, Nu, Rem, le roi ou encore Daril Ghiroza au fil des années, Ryûk n'avait pas noté de véritable changement et, remarquant que les autres ne se plaignaient de rien, il avait mis de côté cette préoccupation afin de se concentrer sur un moyen de rendre le Cathare plus intéressant pour lui. Mais il avait aussi oblitéré, volontairement ou non, le fait que Nu et le roi faisaient partie de ses dieux de la mort qui conserveraient pour l'éternité leur capacités mentales, la première grâce à sa témérité et le second à cause de son titre. Pour s'y être attardé durant sa descente vers les tunnels, il avait également appréhendé la possibilité que Rem eût été elle aussi en mesure de garder toute sa tête d'une manière ou d'une autre, car elle faisait partie des plus expressives lors des conseils, à l'inverse de Justin et de Daril qui se contentaient d'écouter dans la plupart des cas. Certes, la modalité d'évaluation était critiquable, car Rem n'avait pas plus cessé de donner ses opinions que Justin et Daril de suivre les débats en silence, mais Ryûk savait que Rem n'avait jamais agi autrement et avait sans arrêt présenté ses idées selon un schéma de construction complexe qui, si ses méninges lui avaient fait défaut, aurait été nécessairement impacté et de manière visible. Il était de ce fait beaucoup plus aisé de considérer que la déesse de la mort eût été épargnée par les effets secondaires de la vie au Cathare.
Mais Justin et Daril, c'est une autre paire de manche
Le problème était que Ryûk ne les voyait presque pas en dehors des conseils tenus par le roi. Parfois, Justin transmettait les ordres individuellement quand le monarque jugeait ne pas avoir besoin de le faire, mais la conversation était alors relativement expéditive et ne permettait pas de jauger à quel point les facultés mentales du dieu de la mort pouvaient s'être détériorées. Seul un véritable échange aurait pu exposer l'état des dégâts à Ryûk, mais Justin était malheureusement de ceux qui n'ouvrent la bouche que quand il le faut. Quand à Daril Ghiroza, son attitude n'avait pas subi de modifications drastiques, mais il fallait dire qu'elle agissait comme la plupart des shinigamis de niveaux inférieurs en pariant et en empilant des os aux quatre coins du royaume. Par conséquent elle n'avait jamais véritablement encore démontré l'étendue de son intelligence grâce à laquelle elle était si bien positionnée dans le classement : Ryûk ne manquait pas de s'en étonner et, si on lui avait demandé son avis (ce que le souverain paraissait soigneusement éviter) aurait davantage vu Light ou Nenn à sa place.
À la place de Daril, à la place du roi, le roi est mort vive le roi
Les voix attaquaient sans relâche. Ryûk avait déroulé la corde.
x
x
Au début, il ne s'était rien passé. Le shinigami avait respecté toute la procédure indiquée par Nenn, il avait dit le nom de Misa et pensé à son visage du mieux qu'il avait pu, mais le fil, déplié devant la bouche obscure marquant l'entrée des tunnels, s'était obstiné à ne pas bouger. Il avait répété les étapes à deux reprises, et ça n'avait pas mieux fonctionné. Lassé, se sentant vaguement humilié et quelque peu déçu, il avait envisagé de remonter et de faire retourner voir Nenn pour lui faire un compte-rendu acide au sujet de la fameuse distraction qu'elle lui avait promis (dis donc gamine y a comme une erreur sur la marchandise), puis les voix étaient revenues à la charge et l'une d'entre elles, qui ressemblait étrangement à celle de Light, lui avait fait froidement remarqué que sa vision de Misa n'était pas tout à fait au point.
Misa était blonde, abruti, avait craché la voix-Light, pas brune
Ah.
L'affaire datait de quatre ans, et Ryûk n'avait pas spécialement fait très attention aux cheveux de Misa durant cette période, car ce qui primait était le jeu entre Light et L, pas la nouvelle couleur d'une idole japonaise. Il s'était donc remis en face de l'entrée des tunnels, avait déroulé le fil, et avait prononcé le nom de Misa avec en tête l'image de son visage aux très grands yeux bleus, à l'air toujours un peu naïf et entouré de ses cheveux blonds pas bruns.
Le fil avait frémi, imperceptiblement d'abord, puis avec de plus en en plus de force. Quand Ryûk avait amorcé un mouvement en arrière par simple mesure de sûreté, l'extrémité pelucheuse avait soudainement bondi dans les tunnels tel un serpent et s'était mise à se dérouler entre les larges mains du dieu de la mort avec une vitesse et une constance terrifiante. Il n'avait été capable que de tenir la bobine et de regarder, ahuri, cette dernière se réduire petit à petit alors que le fil continuait sa progression dans un labyrinthe de ténèbres et râpait la poussière sur le sol. Au bout d'à peine quelques minutes, le mouvement s'était interrompu, le fil s'était tendu en l'air comme la corde d'une harpe, et une voix dans la tête de Ryûk avait lâché " Ah, ça y est " d'un ton enjoué. Le fil ne donnant plus signe d'activité, le shinigami avait supposé qu'il lui fallait peut-être suivre la piste dans les tunnels jusqu'à trouver Misa et la ramener, une perspective qui ne l'avait que moyennement enchanté, quand quelque chose quelqu'un s'était mis à tirer, faiblement, puis avec une insistance presque désespérée. Ryûk avait répondu en tirant à son tour, tout en espérant qu'à l'autre bout Misa n'avait pas été remplacée par un fantôme plus avide qu'elle de s'échapper de sa condition, ou que le fil ne se casse pas en route.
Il n'aurait pas su dire combien de temps il avait tiré. Ça n'avait pas du être très long, mais les voix lui vrillaient alors le cerveau sans pitié, et il aurait juré qu'elles comprenaient ce qu'il était en train de faire et mettaient tout en oeuvre pour l'en empêcher. Le fil ne s'était pas fendu en deux : il avait senti l'attraction vers l'intérieur des tunnels devenir beaucoup plus forte, signe que ce qu'il y avait au bout était en train de se rapprocher.
Ou bien que les voix n'autorisaient pas la sortie
Il avait tiré un peu plus fort, l'une des voix avait poussé une exclamation de rage. Les mains agrippées à la piste, tassée vers l'avant, nue et couverte de ce qui semblait être plusieurs millénaires de poussières, Misa Amane avait finalement émergé de l'intérieur des tunnels. Ses cheveux blonds étaient presque devenus noirs.
- J'y crois pas, avait marmonné Ryûk, le sourire aux lèvres et son intérêt réveillé après une hibernation de quatre ans. C'est trop drôle.
Misa l'avait probablement entendu, car elle avait levé la tête lentement, comme si elle émergeait d'un très long sommeil.
Elle l'avait vu et elle s'était mise à hurler.
" Il faut manger le monde ou le monde vous mange et
c'est très bien dans les deux cas. "
Extrait de Brume, de Stephen King
Indications :
- Par avance, je présente toutes mes excuses respectueuses aux médecins/futurs médecins légistes ou non qui liront ce chapitre : j'ai fait au mieux pour décrire l'autopsie, mais je n'exclue pas les incohérences, et si vous en trouvez, n'hésitez surtout pas à me les signaler ;) !
- Là aussi, les noms et prénoms des deux médecins sont tout sauf des coïncidences :P. Naïa Lancet : son prénom signifie "flot" en grec et son nom de famille " bistouri " en anglais. Quand à son assistant : Rahman veut dire " Celui qui domine les flots " en africain (d'où la blague de son statut d'interne...par pitié, riez), et Naki est le nom de famille d'un chirurgien africain très connu, Hamilton Naki, qui a participé à la première transplantation cardiaque au monde.
- De même, je me suis renseignée au mieux au sujet de la durée de décomposition d'un cadavre, mais si vous trouvez une erreur, n'hésitez pas à me le faire savoir !
- Je vais finir par donner aux requins le trophée de meilleurs personnages secondaires (ça existe ?) vu le nombre de fois où je les cite. Autrement, ce qu'explique Lancet au sujet des morsures et des attaques est vrai : les requins blessent leurs proies suffisamment gravement pour qu'elles fassent une hémorragie, puis les laissent se vider de leur sang et s'affaiblir avant de passer à table. Et quand ils s'attaquent aux humains, c'est soit par confusion avec la forme de leurs proies habituelles, soit parce qu'ils sont blessés/handicapés. Par contre, il est aussi vrai qu'une espèce qui a déjà mangé de la chair humaine peut nous rajouter à sa liste de chasse.
- La deuxième saison de la série Légion m'aura très fortement inspiré les références au Minotaure et au fil d'Ariane pour la scène avec Misa.
- Brèche, c'est pour l'autopsie et la découpe du cadavre qui aura mené à la découverte du croc, mais aussi pour les révélations de Nenn qui mettent à mal les projets mégalos de Light, et pour la fissure dans les Tunnels de Dorine via le fil d'Ariane.
Tout d'abord, j'espère que vous avez passé de très bonnes vacances d'été pleines de plages paradisiaques, de grasses matinées et de belles découvertes (du genre, pas comme au début de ce chapitre...l'auteur précise aussi qu'elle vient de livrer de manière totalement gratuite sa version des vacances parfaites sans inclure d'autres possibilités - mea culpa, excès de self-insert) :D !
Étant donné que j'avais malheureusement pris du retard dans la rédaction du dix-huitième chapitre au mois de juillet, j'avais prévu que je ne pourrais pas le poster avant la semaine prochaine, mais ô joie et bonheur, j'ai eu finalement assez de temps libre à revendre durant cette semaine et j'ai pu boucler la dernière scène ce matin : le voilà donc, tout beau tout propre tout sage, près pour votre lecture attentive !
J'ai tragiquement conscience du fait que la longueur de mes scènes est tout aussi irrégulière que dans les chapitres précédents : celui-ci en particulier est très descriptif et j'en suis désolée, mais les deux éléments majeurs avaient besoin d'être amenés doucement, donc j'ai préféré procéder avec prudence, ce qui m'aura permis de pouvoir insérer d'autres informations au passage capitale pour la suite ;).
Un immense merci pour votre indulgence vis-à-vis de mes délais et pour vos retours toujours réguliers sur cette fanfiction, que j'hésite à mettre sous verre tellement ils me sont précieux :P. J'espère de tout cœur que vous aimerez ce nouveau chapitre (où, d'ailleurs, L n'apparaît pas pour la première fois, je crois, depuis le début de l'histoire...enfin, n'apparaît pas...n'agit pas, plutôt XD) !
Concernant maintenant la publication du dix-neuvième chapitre, je pense qu'il serait prêt comme d'habitude entre la fin décembre et le mois de janvier 2019 : je sais que je vais être en déplacement vers la fin décembre, donc pour éviter toute bévue et tout message en mode " SNCF bonjour, votre train aura du retard parce question organisation, on a du mal " (un de ces quatre, je vais me faire lyncher par la SNCF, je le sens, un peu comme une grande perturbation dans la Force), je prends mes précautions en comptant le mois de janvier ^_^ .
Je vous dis donc aux premiers flocons de neige (enfin, peut-être, théoriquement : après tout, le réchauffement climatique, tout ça... - Miss Météo, ou pas ?) pour la suite, et en attendant qu'on soit couverts de nos gros pulls et de nos bottes rembourrées, je vous souhaite à tous et à toutes une très bonne rentrée, de préférence pas trop fatigante et ensoleillée !
Negen
