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CHAPITRE VINGTIÈME
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Réunion : dérivé du latin " unire " avec le préfixe ré-, action
de réunir des personnes, fait de se rassembler ou action de réunir
des éléments épars.
RÉUNION
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" L'AFFAIRE DES POUPÉES DE PAILLE PART EN FUMÉE "
" L'enquête se conclut après presque deux mois de poursuite. Le coupable présumé de la série de meurtres étranges
ayant frappé Los Angeles au cours de ces dernières semaines a été appréhendé ce 22 août 2002 dans la soirée, par
le FBI, suivant les instructions du détective L. Le suspect, qui se fait prénommer Beyond Birthday,
a tenté de mettre fin à ses jours par le feu, mais a été arrêté juste à temps. Il a été transféré d'urgence
pour brûlures au troisième degré à la clinique Cedars-Sinai, pour y être soigné avant le début du procès. Il
encourt la peine maximale. Ni le FBI, ni L n'auront souhaité se prononcer sur le déroulement de l'affaire. "
Los Angeles Times, quotidien américain (édition du 23 août 2002)
19 janvier 2004, 23 heures 57, California Correctional Institution, Tehachapi, Californie.
- Alors ? Ton opinion ?
La pièce était exiguë, mal chauffée, et trop éclairée. La chaise sur laquelle L était recroquevillée n'aurait pas pu être plus inconfortable, mais il fallait bien avouer que le rôle d'une prison d'état était rarement d'offrir un service cinq étoiles et des fauteuils à rembourrage de velours. Sur la table, en face de lui, reposait sa tasse de thé, à peine entamé. Il y avait aussi une assiette de donuts colorés, qui juraient incroyablement avec la palette de teintes choisie pour agrémenter l'intérieur de la structure. Le détective, qui manquait d'appétit, de manière générale depuis ces derniers jours et de façon beaucoup plus spécifique depuis qu'il était arrivé en Californie par avion, la veille, n'y avait pas touché. Beyond Birhday, qui occupait le siège à son opposé, s'appliquait en revanche à leur faire honneur, et L ne disait rien. Leur entretien avait débuté depuis une demie-heure, et ils n'avaient pas échangé un mot depuis, au grand dam de Watari qui surveillait la conversation derrière la grande vitre teintée, et des gardes qui patientaient dehors, et qui auraient très nettement préféré occuper autrement leur soirée.
BB n'avait accepté de lui parler qu'à condition qu'il vienne sur place. Watari avait bien tenté de négocier, mais Beyond avait coupé toute communication par visio-conférence, au grand étonnement des gardes et du directeur de la prison qui, de toute évidence, ne l'avaient jamais côtoyé de près ou discuté avec lui pendant plus de trente secondes. Il ne répondait que par e-mail et limitait au maximum ses réponses (et visiblement, son quota de mots par message), sans que cela ne soit exigé par la direction de la prison. En temps normal, le détective aurait mis fin au jeu de Beyond en cessant tout simplement de lui parler, mais la situation était devenue trop risquée pour faire la fine-bouche. BB et lui ne s'étaient pas vus depuis près de deux ans, soit depuis la conclusion de l'affaire des meurtres de Los Angeles. Aucun d'eux n'avait jamais cherché à contacter l'autre, L n'en avait jamais éprouvé le besoin ni l'envie, et de toute façon BB était toujours là, d'une certaine façon, ses yeux rouges et fixes grand ouverts dans les fins fonds de son crâne. L'affaire Kira, et en particulier ses dernières progressions, avait changé la donne, et Beyond, qui était certes en prison, mais dont les aptitudes intellectuelles étaient demeurées incroyablement libres, avait parfaitement conscience du risque commun qu'ils couraient et de l'avantage majeur qu'il pouvait représenter pour y mettre un terme. En outre, il savait, mieux que personne, combien L pouvait être mauvais joueur, et flexible moralement dès lors que sa victoire n'était pas assurée par les moyens légaux.
" Je suis supposé mourir dans quelques jours ", avait-il écrit, laconique et volontairement imprécis. " Tu devrais venir me voir dans la semaine. J'ai des infos, et des conditions. "
Ils avaient quitté Tokyo le 18 janvier au soir, en toute discrétion, L ayant confié à Watari le soin d'avertir la cellule d'enquête de leur départ précipité, mais surtout de leur retour très proche. L'absence de protestations de la part des policiers avait déclenché chez le détective un nouveau pic de suspicion, tempéré néanmoins par les propos de Watari qui avait alors expliqué avoir utilisé l'excuse d'une piste pour l'affaire Kira pour justifier leur déplacement.
- Ils vont poser des questions quand on rentrera, avait protesté L, que l'idée de son entrevue avec BB rendait encore plus désagréable et méfiant que d'ordinaire. Ce sont des flics. Tu vas avoir besoin de quelque chose de plus efficace que "ce n'était pas concluant".
- Ce sera toujours plus efficace que de dire que tu étais parti pour des raisons familiales, avait répondu Watari sans perdre le nord, et L avait passé le reste du vol dans un silence maussade.
Le California Correctional Institution était à deux heures et demie de Los Angeles en voiture. L'établissement, ouvert en 1954, était aux normes supermax et comptait donc parmi l'une des prisons les plus sécurisées des États-Unis et du monde. Elle était aussi l'une des plus chères ayant été construites, et avait fait l'objet du tournage de plusieurs films américains, comme le Faucon Maltais en 1941 et Le facteur sonne toujours deux fois, avec Lana Turner et John Garfield, en 1946. BB avait un amour presque malsain pour les films en noir et blanc, en particulier les films noirs. A et lui en regardaient tout le temps, du temps où ils étaient à la Wammy's. Ils finissaient toujours par trouver le coupable avant la fin. L les entendait parfois rire et s'exposer mutuellement leurs hypothèses quand il passait devant la chambre de l'un ou l'autre. Il n'avait jamais été convié, mais ne s'en était jamais véritablement étonné non plus : BB et A avaient construit entre eux un lien dont il avait très vite été exclu de part son statut de figure emblématique et de modèle au sein de la Wammy's. Par principe, l'idéal qu'il incarnait le mettait nécessairement à distance de tout individu, mais le phénomène était particulièrement accentué à l'orphelinat, et était allé crescendo de génération en génération. Parce que lui, BB et A étaient proches en âge, Watari avait pensé pendant un temps qu'ils parviendraient à s'entendre de manière relativement correcte, allant jusqu'à envisager une collaboration presque harmonieuse, mais il avait de toute évidence omis (ou souhaité ne pas voir, la ligne était parfois mince entre l'ignorance et l'aveuglement volontaire) la brutalité du système de classement, la non acceptation de A, l'instabilité de BB et l'égoïsme de L, qui s'était clairement refusé à partager sa place, de son vivant comme depuis la tombe.
Ensuite, il y avait eu la mort de A, puis le départ de BB, et le système avait commencé à être repensé.
Celui-là tiendra, pensait L, un peu plus tous les jours, à mesure que l'affaire Kira s'enterrait de plus en plus sous une couche d'incompréhensible, il est stable, c'est moi qui l'ai fait, il tiendra
Et oh, comme le monde lui aurait paru absolument glorieux s'il y avait pas eu cette pointe de doute, cette minuscule goutte de méfiance à l'égard de ses trois nouveaux héritiers et de leur dynamique, qui par moments lui semblait parfaite, et par d'autres beaucoup trop anarchique et arbitraire pour rester en place sur le long terme ! Nul doute que BB partageait la même opinion, si ce n'était plus tranchée, car il était toujours parti du principe qu'être L impliquait un scepticisme de tous les instants, et sur tous les sujets, sous-entendant que le thème de sa succession ne devait pas échapper à la règle. En outre, il avait été lui-même victime des soupçons du détective quant à sa descendance.
- Mon opinion à propos de quoi ? Demanda t-il.
Face à lui, BB était comme un reflet dans un miroir, mais une image déstructurée, insensée, renvoyée par une glace brisée en son centre. Accroupi, comme L, sur sa chaise, il portait l'uniforme de la prison, et ses cheveux noirs avaient considérablement poussés, bien qu'on ait assuré au détective que des services d'hygiène, comme le coiffeur ou le barbier, passaient régulièrement sur les lieux pour redonner aux détenus une apparence plus humaine. Dans le cas de Beyond Birthday, la tâche se révélait ardue : conséquences de l'incendie au cœur duquel il s'était assis pour mourir, la peau de son visage et de son corps étaient craquelée, ridée prématurément par les flammes qui l'avaient atteint avant l'intervention de Naomi Misora. Ses mains, posées sur ses genoux, étaient dans un état lamentable, roses et fendillées de toutes parts. D'après le médecin qui l'avait traité après son arrestation, il n'avait guère émis de signe de douleur alors qu'on rafraîchissait ses brûlures et qu'on pansait ses cloques, mais L connaissait trop bien BB pour imaginer qu'il était devenu totalement indifférent à la moindre souffrance : il n'appuyait pas son dos totalement contre le dossier de la chaise, contrairement au détective, et ses mains frottaient à peine contre le pantalon de son uniforme. Il n'y avait que ses yeux, dans le fond, qui avaient conservé leur état d'origine, et ils étaient fixés sur L comme ceux d'un fauve qui s'apprêtaient à bondir sur une proie de choix.
- Ton choix. Ici. Le voisinage. Moi. Toi. Kira. Ce ne sont pas les sujets qui manquent. Tu donnes toujours ton opinion sur tout, même quand personne ne te demande jamais rien.
- Tu as dit que tu allais mourir, décida de lui rappeler L,
- Pas sûr, répondit simplement BB en haussant les épaules.
Le mouvement du faire crisser le tissu de ton vêtement contre ses épaules meurtries, car L vit un coin de sa bouche tressaillir.
- Tu as dis "quelques jours".
- Je sais ce que j'ai dis. J'ai aussi dit "supposé". Tu as la mémoire courte, Lawlita.
- Ne m'appelle pas comme ça.
- Je t'appelle comme je veux, répliqua BB. Et si tu n'es pas content, je t'appelle tout court. Fais gaffe à toi, Lawlita. C'est pas vraiment le moment de me dire quoi faire.
- Parce que tu vas mourir.
- Dis-toi que ce sont mes dernières volontés, tu veux ?
- Quand ? Insista L.
- Bientôt, soupira BB, à peine vaincu.
- Plus précis.
- Pourquoi, tu comptes fêter l'événement ? Le railla Beyond, un rictus découvrant ses dents.
Le chat du Cheshire
Nous sommes tous fous ici
- Je devrais ?
Les yeux rouges de BB lui renvoyèrent un éclat sombre.
- Tu penses que je mens, lui dit-il, et c'était une affirmation.
- Peut-être. Tu l'as déjà fait, répondit simplement L, amenant son pouce à ses lèvres pour en mordiller la surface.
À la Wammy's, BB était l'un des plus faciles à mener au bord de la crise de nerfs : il suffisait d'une remarque bien placée, d'une critique un peu trop aléatoire, parfois d'un seul mot. Et puis A était mort, le système avait volé en éclats, et BB était devenu un peu trop calme au goût du détective, un peu trop maîtrisé, un peu trop A pour être totalement honnête. Les provocations ne marchaient plus comme avant. Et si, entre les murs de la prison, il lui avait adressé un regard plus noir encore que les fonds de la mer, il ne s'était en revanche pas jeté sur lui comme il aurait pu le faire il avait de cela quelques années, du temps où A aurait pu s'interposer entre les deux, mais aussi à l'époque où Beyond et lui se regardaient d'une façon indéfinissable, où L était un paria entre eux, une anomalie, parce qu'il les poussaient l'un contre l'autre, indirectement et directement à la fois.
- Je ne mens pas, avait indiqué BB sans fioritures, avec la froideur d'un glacier d'Antarctique et la sincérité brutale d'une balle de revolver lancée à toute vitesse vers un corps. De toute façon, tu seras bien obligé de l'admettre quand je serais mort.
- Je ne doute pas du fait que tu vas mourir, lui précisa L. Simplement de la date.
- Et ma remarque était valable pour les deux.
Ils n'avançaient pas. BB était le pro des enrobages. " Ramène-moi de la confiture ", avait-il exigé par mail, " tu sais quel parfum ". L en avait apporté sur les conseils de Watari, en une parodie d'offrande. Le pot trônait lui aussi sur la table, immobile et rouge vif, mais Beyond Birthday n'y avait pas touché. Il ne prenait que des donuts.
- Réponds à ma question, exigea t-il.
- Je t'en ai posé une.
- Prem's, lâcha BB. Le premier a tous les droits. Surtout à la Wammy's.
- Même au cimetière ? Lui renvoya L de façon cruelle, presque irréfléchie, ou justement un peu trop.
Beyond le regarda fixement, mais ne réagit pas davantage. L eut envie de quitter la pièce, le pays, le monde.
- Les premiers ne meurent jamais vraiment, finit-il par articuler, lentement, les yeux rivés sur les tête du détective.
- Je suis le premier, observa t-il, mais c'était une réponse stupide.
- Non, dit BB. Je ne parlais pas de toi, Lawlita.
Et ils retombèrent brièvement dans un silence coincé, avant que L n'accepte de capituler par nécessité.
- Je n'ai pas vraiment d'opinion, admit-il.
- À propos de Kira ? Ne me prends pas pour tes demeurés de larbins de la police, Lawlita. Tu as toujours eu une opinion sur tout. Tu l'as rencontré.
- Non.
- Si. Tu as quelque chose dans l'œil. Je te connais. Il est dans ta tête, et il a un visage, maintenant. Comment tu le trouves ?
- Je ne l'ai pas rencontré.
- Tu joues sur les mots. Il n'a pas avoué, c'est tout. C'est du bon sens. Je sens les mécanismes qui grincent dans ton petit cerveau psychosé. Je suis toi.
- Non.
- Tu te voiles la face, Lawlita.
- Personne n'est moi.
- Tout le monde peut être toi. C'est le principe du symbole, personne et tout le monde à la fois. Je sais que tu as vu Kira, je sais, comme toi, que Kira a besoin du visage pour tuer, et tu as peur qu'il te tue. C'est pour ça que tu viens me voir.
L mordit un peu trop fort dans la peau fine de son pouce et se fit mal. BB termina le dernier donut, puis se lécha les doigts avec une lenteur délibérée, du bout de la langue. Il n'y avait pas de caméras, dans la pièce, ni de micros. Il y avait veillé.
Lawlita, tu sais ce qu'il se passe quand une tortue reste trop longtemps sur le dos ?
- C'est un génie, dit L. Il est jeune, et c'est un génie.
- Quelle coïncidence incroyable, grinça Beyond. Aux dernières nouvelles, toi aussi, tu étais jeune et un génie.
- Il est plus jeune que moi.
- C'est un gosse ? Quel âge, la dizaine ? Ce serait drôle que tu te prennes une branlée par un môme, tu sais. Extrêmement drôle.
- Pas si jeune que ça.
- Un collégien ?
- Fin de lycée. Il a passé les concours d'entrée à l'université.
- Le début de l'âge mûr, alors, observa BB. Moins intéressant que si c'était vraiment un gosse, tant pis. De quoi il a l'air ? Tu le trouves beau ?
- Il est comme tout le monde.
- Quoi, comme tout le monde ? Tout le monde de son âge ? Il a de l'acné et il commence à avoir du poil au menton ?
- Arrête, Beyond.
- Tu piques la mouche parce que c'est le cas ou parce que tu n'aimes pas ce que je sous-entende qu'il puisse vraiment être comme tout le monde ? Ou moche ?
- Ça n'a pas d'importance.
- À ce point-là ? Donc il est beau et intelligent, le combo du roi, en plus du côté psychopathe. Tout pour te plaire.
Watari n'avait pas protesté lorsque L, après avoir mis fin à la surveillance du domicile Yagami, avait pris la décision de quitter le confort de sa suite au Park Hyatt pour se rendre aux examens d'entrée de l'université de Todai. Le commissaire lui avait confirmé que son fils, Light, y serait : il avait été jusqu'ici une figure distante au travers des écrans de caméras dissimulé dans toute la maison, totalement inatteignable, et par dessus tout blanc comme neige. Il agissait d'une façon tout à fait conforme à celle attendue dans le cas d'un adolescent de dix-huit ans, et quand l'intégralité de la cellule d'enquête, avec raison, y voyait une attitude tout à fait normal, L, pour sa part, trouvait trop de clichés dans le cliché pour ne pas y voir une ambiguïté.
Yagami était tout ce qu'on pouvait espérer d'un garçon de son âge, et en cela, il était aussi totalement inattendu. La plupart de ses congénères tendait à se positionner de manière plus ou moins éloignée sur le continuum du stéréotype des jeunes gens tout juste sortant du lycée, évitant toujours soigneusement d'atteindre le point central, qui les classait irrémédiablement dans la catégorie des préjugés vivants, par des attitudes ou des comportements qui se voulaient contestataires mais qui, en réalité et tristement pour eux, étaient parfaitement quelconques (simplement classifiées dans la colonne des "révolutionnaires bateaux"). Néanmoins, aucun d'eux ne réunissait autant de caractéristiques prototypiques que Light, et surtout de manière si concentrée. En l'espace remarquable de quatre jours, il avait déployé plus de conduites jugées totalement conventionnelles pour son âge que l'intégralité des gosses de Tokyo, en particulier si l'on prenait en compte les commentaires élogieux de son père à propos de son intellect (justifiés par l'ensemble de son parcours académiques, et probablement davantage par l'air profondément ennuyé qui lui barrait le visage sans interruption). Même le papier coincée dans la porte de sa chambre était prévisible. La plupart des jeunes de son âge n'aimaient pas voir leurs parents ou d'autres individus vivants et non identifiés pénétrer dans leur chambre sans leur demander la permission. L avait eu sa phase, lui aussi, à la Wammy's. Ça n'avait jamais empêché BB de venir. Et les magazines pornos n'étaient pas vraiment la lecture la plus répandue, à l'orphelinat, en dépit d'une circulation proche d'un réseau de contrebande qui s'était mise en place entre les plus âgés bien avant que L n'ait fait son apparition.
Sauf que ça ne collait pas. D'après les dires de Soichiro Yagami, Light était un garçon plutôt solitaire, mais pas véritablement secret, et tout le problème se trouvait dans le paradoxe de ce bout du papier qui semblait suggérer l'inverse. L'activité de la famille envers les uns et les autres ne paraissait, en outre, guère envahissante : la mère de Light, Sachiko, était le prototype de la femme au foyer japonaise discrète et respectable. Son mari était formel, elle n'était pas du genre à fouiller les sac et les tiroirs de ses enfants comme de son époux pour y découvrir des mystères, et avait un don remarquable pour nettoyer sans s'immiscer dans la vie privée de sa progéniture. Qui plus est, elle avait l'oeil, et visiblement pas qu'un peu. Les caméras qui avaient été installées dans toute la maison avaient été dissimulées à des endroits difficiles d'accès, même pour le ménage, et avec quasi aucune modification de l'agencement du mobilier, mais L était presque sûr que Sachiko Yagami en avait repéré quelques unes, et que ce n'était pas dû à une éventuelle conversation informelle avec le chef de la police. Il lui était arrivé plusieurs fois d'interrompre ce qu'elle faisait pour aller regarder dans un coin de la maison, aux aguets, silencieuse et immobile. Elle avait des airs de biche acculée par une meute de loups, mais ses yeux faisaient en général le tour de la pièce où elle se trouvait avec autant de confiance que ceux d'un lion jaugeant une antilope malade et isolée. Dans la soirée du deuxième jour, elle avait manqué de peu de trouver l'une des caméras de la cuisine, planquée sous un comptoir, en omettant de justesse de passer la main près de la minuscule cavité où elle avait fixée.
- Sachiko a épousé un policier, s'était justifié Soichiro, la fierté faisant légèrement trembler sa voix. Elle a l'habitude de ce genre de combines.
La femme de Kitamura était aussi mariée à un policier, et elle n'avait jeté le moindre coup d'œil méfiant autour d'elle quand elle était rentrée de ses courses, le premier jour de pose des caméras. Il était évident que Soichiro Yagami aimait son épouse, mais il se voilait la face et, pour une fois (ou comme d'habitude, L avait encore du mal à faire totalement la différence) faisait preuve d'un orgueil mal convenu et d'une prétention à l'égard de son statut qui n'avait aucun lieu d'être : Sachiko ne devait rien à son métier et tout à son sens de l'observation. Elle connaissait sa maison sur le bout des doigts, et de toute évidence, la concernant, l'expression n'était pas exagérée. Il était probable que l'implication de son mari dans l'affaire Kira ait renforcé ses suspicions et aiguisé ses dispositions, mais il était aussi très envisageable qu'elle eût atteint les mêmes résultats dans une situation plus distante.
Elle est comme Light
C'était juste une hypothèse, perdue et étouffée par un millier d'autres, mais elle devenait soudainement non négligeable lorsqu'on savait que Light Yagami était premier de la liste des suspectés Kira. Pourtant, elle ne déployait aucun autre comportement qui aurait pu sincèrement inquiéter L et lui faire craindre une complicité morbide entre la mère et le fils, la première cachant le second pour mieux lui permettre d'accomplir sa justice personnelle. Elle suivait un emploi du temps routinier et aisément qualifiable de standard : elle passait plus de temps avec Sayu qu'avec Light, mais ce déséquilibre ne semblait gêner ni l'un, ni l'autre, probablement parce que le temps que Light passait véritablement avec sa famille était somme toute réduit comparé à celui qu'il accordait à sa vie académique, et il y avait fort à parier qu'il s'agissait là davantage d'un choix que d'une contrainte. Sachiko ne venait dans sa chambre que pour le nettoyage, effectué quand les autres membres de la famille étaient absents physiquement du domicile, à l'école ou au travail pour Soichiro, et parfois pour le prévenir qu'il était l'heure de manger si son fils ne l'avait pas entendu l'appeler une première fois depuis les escaliers. Ils interagissaient peu au sein du domicile, et Sachiko passant le plus clair de ses journées à la maison, il semblait raisonnable d'assumer que c'était également le cas à l'extérieur.
- Je ne suis pas sûr, avoua L à BB.
- Ça m'étonnerait beaucoup, lui renvoya t-il avec un sourire tout en dents. Tu ne te serais jamais lancé si tu n'étais pas sûr.
- Il n'a rien de vraiment suspect.
- Et c'est ça qui est suspect, je me trompe ? Le côté un peu trop lisse. Ils sont toujours comme ça. Ils font les mêmes erreurs à chaque fois. Ça doit te lasser, non ?
Yagami avait toutes les qualités d'un adolescent normal, studieux et plein de bonne volonté. Il ne faisait aucun écart, était poli, propre sur lui, faisait ses devoirs avec assiduité, ne rentrait pas tard, obéissait à ses parents, nettoyait même sa chambre dès qu'il avait le temps, et sa mère ne trouvait généralement rien à redire. Il avait tout de l'enfant prodige parfait, que toute femme aurait été irrémédiablement heureuse d'avoir, et dont tout père aurait été particulièrement fier. Par ailleurs, Soichiro et Sachiko n'échappaient guère au phénomène, et se répandaient en louanges à propos de leur rejeton dès qu'ils pouvaient l'évoquer, l'un auprès de ses collègues, l'autre auprès de ses amies. Mais il y avait aussi d'autres choses, plus épineuses à constater dès le premier coup d'œil (et oh, les gens se contentaient beaucoup trop souvent du premier coup d'œil, se disait L à longueur de temps), plus inhabituelles, qui venaient s'abattre contre le mur de perfection érigé par Yagami et y creuser d'imperceptibles fissures, mais suffisantes du point de vue de L pour représenter une contradiction et l'amener à penser que BB n'avait pas tort, tout en songeant aussi qu'il se trompait sur toute la ligne. Light Yagami ne montrait rien, et montrait tout à la fois.
La normalité impeccable du garçon était certes totalement visible et ainsi, beaucoup trop évidente pour ne pas être suspecte, mais il y avait en outre le fait que le garçon étalait un continuum de comportements atypiques à la vue de tous, sur lesquels il n'était pas véritablement nécessaire de se pencher très longtemps pour en prendre la mesure. Il lui arrivait de sortir, mais globalement très peu comparativement aux autres gosses de son âge, et toujours de façon limitée dans le temps. Il côtoyait les autres, mais aucune de ses relations n'avait la profondeur d'une amitié durable et véritable pour lui assurer une vie sociale totalement épanouie et standard. Il était premier de la classe et collectionnait les récompenses, mais les abordait avec une nonchalance qui frôlait le mépris. Sa chambre était à lui, mais elle était également totalement impersonnelle : les murs étaient vides, les étagères pleines d'ouvrages basiques ayant servi pour ses cours mais jamais pour ses lectures personnelles, les tiroirs de son bureau dissimulaient des affaires de classe, le rangement du dessus étant réservé à ses prix. Même le fond d'écran de son ordinateur était insipide.
C'était la chambre d'un étudiant, mais Light Yagami n'y vivait pas. Quant aux relations avec le reste de sa famille, bien qu'elles fussent cordiales, elles ne révélaient aucune proximité marquée avec l'un de ses parents en particulier, et avaient l'air d'être limitées à un certain quota de mots et de phrases types par jour, parmi lesquelles "bonjour", "merci", et "à ce soir". Sayu était l'unique exception : elle allait plus facilement vers Light que son père ou sa mère, et s'adressait à lui avec une plus grande franchise, le poussant sans s'en rendre compte à réagir de manière davantage spontanée et authentique. Au départ, L avait attribué cette aisance à la proximité en âge ajoutée au statut de frère et sœur, puis il avait été forcé de constater qu'au delà de ces éléments devait être pris en compte l'intégralité de la personnalité de Sayu. Elle était de nature expansive, sincère et dynamique, là où Light était réfléchi, renfermé et exigeant : elle lui demandait de l'aide pour ses devoirs alors que ses parents lui avaient plusieurs fois suggéré de ne pas le faire, pour ne pas déranger le travail de leur fils aîné (même quand il ne l'exigeait pas, la règle semblait toutefois être absolue), et discutait avec lui à table d'autres choses que de leurs études respectives, l'interrogeant sur telle ou telle actualité, se montrant désireuse d'en savoir plus ses goûts personnels et ses préférences. En outre, elle admirait les capacités intellectuelles de son frère, et les lui enviait très probablement, mais voyait de toute évidence Light bien au delà de ces frontières académiques. Il était même possible qu'elle le craigne, un peu, mais qu'elle s'en inquiète. Sans doute plus que ses parents, et parce qu'elle n'interagissait pas avec lui au même niveau qu'eux, elle avait conscience du fait qu'il n'était pas irréprochable, et il était ainsi parfaitement envisageable qu'elle ait remarqué les incohérences dans la charpente de son frère, et qu'elle eût assez de jugeote pour en avoir peur.
- Il n'est pas là, finit par déclarer L à BB. Tout ce qu'il fait lui passe au dessus de la tête.
BB sourit. Il tendit une main osseuse vers le pot de confitures de fraise et le saisit en une poigne de fer.
- Ça me rappelle quelqu'un, dit-il avec amusement. Tu étais très absent, toi aussi. Toujours ailleurs, Lawlita, sauf quand il s'agit de faire chier le monde.
- Ça n'a rien à voir.
- Oh, pitié, ne me fais pas le coup du déni, s'il te plaît. On vaut beaucoup mieux que ça.
- Il se laisse voir, répliqua L. Il ne se cache pas.
- Quoi, Kira ?
- Non. Oui, ajouta le détective après une courte hésitation. Il faut qu'il soit Kira, je ne vois comment il ne pourrait pas l'être.
- Tu flaires la charogne, L ? C'est ton instinct de vautour qui te l'a démontré ?
- Tu serais arrivé aux mêmes conclusions.
- Je n'en doute pas. La Wammy's a bien fait son boulot.
Les doigts de BB dévissèrent lentement le couvercle du pot de confiture.
- Ce n'est pas la Wammy's, dit L.
- Ça a toujours été la Wammy's, Lawlita. Si tu commences à te mettre des œillères à ce point-là, tu devrais arrêter les enquêtes tout de suite.
- Tu l'aurais deviné sans la Wammy's.
- Faux, rétorqua BB. Je m'en serais complètement foutu. J'aurais fait autre chose, tu sais. J'aurais été dans la confiture. Ou pompier. Ou dans l'astronomie. J'ai toujours adoré l'astronomie.
- C'était A.
- C'est ce que j'ai dit.
Et il sourit encore, sèchement, brusquement. L sentit sa colonne vertébrale se raidir.
- Tu aurais été dans le meurtre, BB, lâcha t-il.
- Tu crois vraiment au déterminisme, Lawlita ? Qui te dit que tu n'aurais pas été dedans toi aussi, hein ?
- Je ne suis pas comme ça.
- A dit qui ? Je suis sûr que Kira pense la même chose, tu sais, du genre " c'est pas un meurtre, je fais ça pour un monde meilleur ". Tu as déjà pensé à consulter ?
- Kira est totalement différent.
- C'est de l'auto-persuasion, L. C'est beau, mais tu es à côté de tes pompes, ton ego les écrase. Tu y as pensé ?
- Mon ego...
- La psychopathie, Lawlita, le coupa froidement BB. Ou la sociopathie. Ou juste tuer des gens, ne faisons pas d'amalgames. Le meurtre. Ça t'a sûrement effleuré l'esprit à un moment, non ? On y a tous pensé, à la Wammy's, c'est le principe. Il fallait devenir toi.
- Tais-toi, Beyond.
- Argument très convaincant. Tu devrais en faire ton épitaphe. Mieux, un bouquin. Des pages et des pages de "tais-toi Beyond". Tu sais que ça me gonflait, avant ? Ça va beaucoup mieux, depuis que tu as envoyé A six pieds sous terre. Il m'aide à relativiser. Il me disait que c'était parce que je te disais la vérité et que tu n'aimais pas quand quelqu'un d'autre que toi-même disait la vérité.
Dans les yeux rouges de BB se reflétaient les nuit à l'orphelinat, les journées, l'ennui, surtout l'ennui, les heures passées à traîner dans les couloirs, à tourner dans la chambre, les autres qui restaient loin parce qu'ils ne le supportaient pas et que lui ne les supportait pas non plus (je suis la justice ne m'approchez pas ne venez pas laissez-moi tranquille), les puzzles, les jeux qui n'étaient jamais assez difficiles, les conversations des autres qui n'étaient jamais intéressantes, et le visage de Quilish qui voulait comprendre et qui y arrivait, mais non sans préoccupation, parce que L était tellement à l'écart des autres, tellement éloigné, tellement absent.
Je suis pas comme Kira mais si on cherche bien si on creuse un peu si on jette un deuxième coup d'œil alors peut-être que oh non je suis je peux être
Et BB avait toujours été beaucoup trop doué pour regarder dans le fin fond des choses et des gens.
- Tu ne rencontres jamais les suspects, poursuivit BB. Tu n'es même pas venu me voir, moi. Tu t'en fichais. Soit il est exceptionnel, soit tu as vraiment peur de lui. Ou les deux. Pourquoi pas, après tout ? Ce serait logique que tu craignes quelqu'un de ta trempe.
- Je suis juste prudent.
- C'est ça. Et laisse-moi te rappeler que la prudence vient de la peur. Autre chose ?
- Je ne viens pas pour jouer, BB.
- Tu m'excuseras si je pense que tu racontes des conneries. Et puis non, finalement, tu ne m'excuseras pas, je pense ce que je veux. Les dégâts n'ont pas été si important que ça, Lawlita. Je suis toujours là. A aussi.
- A est mort.
- Je n'ai pas dit le contraire.
Peut-être était-ce sa faute. Il aurait préféré dire qu'il ne s'était pas réellement posé la question, que tout avait disparu avec A, qu'il avait tout emporté avec lui quand il s'était jeté de la fenêtre de sa chambre, un soir parfaitement normal après être revenu du dîner. Ils l'avaient découvert le lendemain matin seulement, le visage écrasé sur le sol humide de sang. C'était BB qui l'avait trouvé, après avoir vu le trou béant laissé par sa vitre ouverte et le vide absolu de la pièce où A avait dormi au cours des dernières seize années. Dans les faits, il n'y avait pas vraiment eu de jour, depuis, où L n'avait pas interrogé son rôle dans l'histoire, de manière brumeuse, hâtive, questionnant sans répondre, à des moments où il sentait son humeur chavirer drastiquement sans qu'il puisse en identifier la cause exacte. Il lui était arrivé d'inclure Quilish dans l'équation, mais le résultat était irrémédiablement le même : désagréable.
- Tu as dis que tu avais des informations, reprit L, s'extrayant de la tombe de A, de la Wammy's, de Lawliet. À propos de quoi ?
- J'ai aussi des conditions, lui rappela BB.
- Je sais.
- Rien d'excessif. Je veux plus de sucré dans le menu de la prison. Une fenêtre dans ma cellule. Je m'en fiche si c'est une grande ou pas et s'il y a des barreaux. Je veux un téléphone. Et un ordinateur portable. Et un chien.
- Je peux t'avoir trois conditions, pas les cinq.
- Le matos ? Ne t'inquiètes pas, va. Je ne veux pas l'utiliser pour m'échapper. C'est pas si mal ici, on me laisse tranquille. Je veux juste discuter avec toi. Sans intermédiaire, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu ne peux exiger que je te fasse confiance.
- Si. De toute façon, pas de conditions, pas d'informations, dit-il en haussant les épaules. Et je sais que tu as besoin d'infos, Lawlita, tu es désespéré, autrement tu ne seras pas assis sur cette foutue chaise en train de m'écouter déblatérer depuis une heure.
- Qui me dit que tes informations valent la peine de risquer ton évasion ?
- Moi. Je n'ai pas l'intention de m'évader. Sinon, je l'aurais demandé directement, tu t'en doutes.
- Tu n'as pas besoin de demander. Tu feras très bien tout seul. Tu feras même mieux.
- Fais surveiller tout ce que je fais avec le matos, alors. Je m'en fiche, tu t'exposeras tout seul, tu sais que je suis bavard derrière un écran. Je veux juste parler. C'est pas mal ici, mais c'est solitaire, tu vois.
- Et le chien ? Tu comptes t'amuser avec de la même façon qu'avec le chat de Wammy's ?
- Je t'ai dit que ce n'était pas moi, siffla BB. Je ne suis pas le seul tueur à avoir côtoyé les bancs de l'orphelinat, Lawlita, on devait tous te ressembler, au cas où tu l'aurais oublié. De toute façon, tu aimais beaucoup trop ce chat. C'était prévisible que l'un d'entre nous finisse par s'en débarrasser juste pour t'emmerder.
- Alors pourquoi un chien ?
- Je te l'ai déjà dis. Ça arrive qu'on se sente seul, en taule. C'est pratique, un chien : ça ne parle pas, ça obéit. A avait un truc avec les King Charles. Les oreilles, je crois. Et les Shi Tzu. L'un ou l'autre, ça m'ira bien. Idéalement les deux, ils pourront jouer ensembles. Si tu veux, je les appellerais L et Kira.
- On verra.
- Il y a autre chose. . Et avant que tu ne poses la question, non, pas un poney. Qu'est-ce que tu veux que j'en foute en prison ? Ça a besoin d'espaces, ces machins.
- Je ne pensais pas à...
- Second degré, Lawlita, bon sang, soupira BB. Dès qu'une affaire devient un peu compliquée, tu perds tout ton humour, c'est grave. Tu sais, y a des psys qui se déplacent à domicile, en cas de besoin.
L ne releva pas.
- Je veux que tu fasses circuler un truc par les médias, annonça Beyond. Deux, en fait. Ce sera pas grand chose, si ça peut te rassurer, ça doit juste apparaître aux infos. Juste une garantie.
- De quoi ?
- De ma survie, puis il hésita. Un pari, plutôt. Avec un arrière-goût de garantie. Des petites lignes sur la tranche du contrat.
- Donc tu connais véritablement le jour de ta mort.
- J'arrive pas à croire que tu pensais le contraire, grogna BB. Tu sais que je peux les voir. J'ai eu raison pour Diana, non ? Et pour tous les autres ? Pourquoi je te mentirais sur ça ?
- Parce que c'est ce que tu fais.
- Non. C'est ce que tu fais, lui renvoya Beyond, puis il ajouta. C'est supposé arriver dans deux jours. Le 21.
- Tu es sûr ?
- Quelle confiance, vraiment, ça fait chaud au cœur. Un vrai feu de forêt. Médaille d'or sans hésitation, Lawlita. Évidemment que je suis sûr. Je sais les lire.
Je vois des chiffres au dessus de la tête des gens, avait-il dit un jour, les lèvres toutes proches du ventre de L. Ça dit quand ils vont mourir. Au début, le détective ne l'avait pas cru, car l'esprit de BB était un terrain de sables mouvants, accidenté, frénétique, duquel jaillissait parfois des idées et des perceptions fiévreuses, complètement discordantes, qui n'avaient aucune forme et aucune logique, et dans lesquelles il était tragiquement possible de se noyer. Il avait fallu un certain nombre de noms suivi de décès pour que L finisse par admettre le bien fondé contenu dans les propos de Beyond au sujet de ses yeux.
- Comment ? Demanda t-il, et BB se replia sur sa chaise.
- Sais pas, répondit-il. Question idiote. J'ai jamais su comment. Tu crois aux chimères. Le plus probable serait Kira. Ce serait bien son genre, et je ne vois rien d'autre de suffisamment cohérent.
- Pas de maladie ?
- Nope.
- Pas d'ennemis ?
- Autre que toi ? Non. Sauf si tu prévois de me faire assassiner dans quelques jours ?
- Non.
- Et je ne vois aucune raison pour toi de le faire, donc banco ! Je dis Kira.
- C'est l'option la plus vraisemblable, confirma L, les dents enfoncées dans son pouce. Donc, ce sera une crise cardiaque, en théorie.
Les traits de BB se tordirent en une sorte de grimace d'inconfort.
- Parce qu'en théorie, ça pourrait aussi être autre chose ?
- On a découvert que Kira pouvait contrôler la façon de mourir, lui avoua L, en retour équitable de l'obtention de sa date de mort présumée. Il a fait des tests. Mais il a recours le plus souvent à la crise cardiaque, donc je suis sûr à quatre vingt dix neuf pour cent qu'il te tuera de cette manière.
- Ça laisse un pour cent, observa Beyond. C'est déjà trop.
- Si ton plan fonctionne et que tu survis, tu n'auras pas à t'en inquiéter.
- Oui. Les médias ont balancé le vrai quand j'ai été arrêté, je ne pouvais pas savoir. Il faudrait que ce soit assez convaincant pour que Kira accepte de l'utiliser.
- Et ensuite un bulletin confirmant ta mort, pour éviter qu'il soit tenté de revenir à Beyond Birthday, poursuivit L.
- Le jour d'après. Le 22. Pour le moment, je ne sais pas à quelle heure je suis supposé mourir. Ça ne s'affiche qu'au dernier moment, tu sais. Comme pour les trains dans les gares. Je te le dirais quand je l'aurais vu. Je veux l'ordinateur pour demain.
- Tu n'auras rien si tu ne me dis pas pourquoi tu m'as fait venir jusqu'ici.
Ils avaient déjà perdu beaucoup trop de temps à s'envoyer des piques et à tourner autour du pot, mais L était du genre mauvais joueur, et BB rancunier (oh tu sais qu'il a de bonnes raisons). Beyond demeura silencieux un temps, tandis que le tic-tac automatique de l'horloge accrochée au mur transformait leur échange en une parodie. Derrière la vitre teintée, L devinait Watari qui observait leur entretien avec attention, le genre qui aurait du être causée par l'impatience d'obtenir les renseignements de BB et qui, dans les faits, si le détective acceptait de regarder un peu plus longtemps, était davantage de l'ordre du visiteur curieux ou de l'expert qui admirerait des carnivores se tournant autour en attendant de voir lequel attaquerait le premier. L était ce qu'il était, mais Beyond aussi, et il était deux.
Le premier ne meurt jamais
- Tu seras mort à la fin de l'année, l'avisa finalement Beyond, sans un sourire mais d'une voix qui en contenait un. Dans dix mois.
Les dents de L s'enfoncèrent dans son pouce, et firent jaillir le sang.
" Tous les progrès sont précaires, et la solution d'un problème
nous confronte à un autre problème. "
Citation de Martin Luther King, pasteur américain et défenseur des droits des noirs-américains
31 mars 2008, 05h44, Quartier Général de L, Londres, Angleterre.
Le concept d'un problème était, somme toute, assez simple. Pour peu que l'on soit vraiment maniaque ou juste particulièrement prudent, il suffisait de jeter un oeil au contenu d'un dictionnaire pour comprendre la globalité de la chose. Un problème, ainsi que l'on en qualifiait un de façon générale, pouvait être défini de plusieurs façons, mais l'idée était toujours plus ou moins la même. On pouvait tout d'abord argumenter que c'était un élément, un point, une question qui entraînait des débats d'opinion entre individus, potentiellement des règlements de compte à coups de batte dans la tronche pour les plus obstinés ou, à la rigueur, les moins convaincants. Le Problème avec un P majuscule était généralement une grande interrogation, d'une extrême complexité, sur laquelle personne n'était d'accord et qui, le plus souvent, traitait de l'utilité de l'être humain sur la terre, du pourquoi du comment de l'existence humaine, et parfois, avec l'aide d'un ou deux shots de vodka, de la place de la vache dans le monde et le cosmos. Objectivement, il était fort probable que la principale concernée de la dernière controverse, à savoir la vache, n'en est strictement rien à foutre, puisque, toujours objectivement parlant, la tendance à se poser des questions sur la vie, la mort et le statut était le propre de l'homme, jusqu'à preuve du contraire (mais quand on y réfléchissait bien aussi cinq minutes, le tout dans une réflexion consacrée à l'un des trois grands thèmes susnommés, il était évident que personne n'avait pu démontré que la vache ne se posait pas non plus des questions sur l'ensemble de sa réalité - par ailleurs, Matt se demandait si ce n'était pas la principale raison pour laquelle elles ruminaient en permanence, car les humains ruminaient aussi, sans forcément que cela implique un aller-retour bouche-estomac des aliments).
Dans tous les cas, un problème sous-tendait toujours, tout du moins à forti priori, l'existence d'une solution. Il arrivait par ailleurs qu'on définisse aussi un problème comme un exercice pouvant être résolu par l'application d'un raisonnement logique et scientifique, comme un problème mathématiques. Mello n'avait rien contre les problèmes mathématiques, tant qu'il finissait par comprendre comment les déchiffrer. Il détestait en revanche Near avec les problèmes mathématiques, sans toutefois oser admettre qu'il y avait aussi quelque chose de vaguement sensuel dans sa manière de venir à bout d'une équation, mais ça, c'était un autre genre de problème, le style avec un P majuscule, et c'était un Problème de Mello, une catégorie totalement à part qui n'avait aucun rapport de près ou de loin avec les mathématiques. Matt aurait soutenu que si, on pouvait y voir une analogie, et il aurait très certainement eu raison, parce que Matt était le seul à véritablement comprendre les dynamiques sociales du top 3 de la Wammy's House, mais Mello n'avait vraiment pas envie de s'aventurer de ce côté-ci du globe, merci beaucoup.
Donc, les problèmes (et pas Near, surtout pas Near). L'objet même que représentait le problème incluait un autre concept qui, au fond et à quelques détails près, était l'équivalent sémantique : la difficulté. Tout problème qui se voulait être un bon problème digne de ce nom ne pouvait pas exister sans comporter une (ou des, si c'était vraiment un putain de problème) difficulté de niveau variable. Une difficulté, au sens large du terme, et à nouveau, si l'on était du genre très regardant, était définie comme une complication, mais surtout comme quelque chose qui posait problème, et c'était le serpent qui se mordait la queue (Orobouros), car le problème était une difficulté et la difficulté un problème. Pour peu que l'on soit vraiment, véritablement tatillon, du genre L, et pour Mello, tatillon rimait avec "le plus souvent chiant au possible pour aucune raison valable ou alors elle était valable mais seulement pour lui" (L avait été remarquablement tatillon après l'affaire Kira, et beaucoup moins une fois que Mello et Matt avaient claqué les portes de la Wammy's sans le moindre regret - comme quoi, parfois, la meilleure défense n'était pas l'attaque, mais la fuite), l'incohérence de distinction entre les deux concepts pouvait sincèrement rendre cinglé. Tout en rappelant parfois que l'humain, quand il s'agissait de définir les choses, aurait sans doute mieux fait de lâcher sa sixième bière avant de déblatérer des conneries.
Le problème était une situation que la plupart des gens s'accordaient à désigner comme étant "pénible", et, pour les plus extrêmes (ou les plus réalistes, Mello hésitait parfois), comme une "foutue galère à la con". Tout dépendait de la nature du problème, et du niveau du tolérance de l'infortuné victime. Certains estimaient qu'un problème pouvait très bien débuter dès lors qu'ils fallait choisir entre tourner à droite et tourner à gauche, mais si la destination était la même et le temps de trajet, sensiblement équivalent. D'autres pour qui un problème n'apparaissait qu'à compter du moment où l'on interrogeait l'âge de l'Univers avec un grand U et son destin éventuel. Dans tous les cas, il fallait que ce soit relativement désagréable. Un problème qui n'était pas déplaisant n'était pas un problème. Et là, le niveau de tolérance de l'individu faisait toute la différence. Par exemple, Near, assis sur son lit, une jambe repliée contre son torse, estimait que la découverte de Matt après son échange avec Joe Campa était certes un problème, mais d'envergure tout à fait acceptable. Mello, au même endroit, mais le dos appuyé contre le mur, faisait partie des extrêmes du continuum, et avait une tolérance soit beaucoup moins élevée, ou, et il préférait envisager cette option, beaucoup plus pragmatique. Le problème, à ses yeux, était assez conséquent pour être intégré dans la catégorie des "putain de merde de fait chier". En face d'eux, Matt, debout, était le seul qui semblait aborder la situation avec suffisamment de recul pour voir qu'il s'agissait d'un problème de taille phénoménale, mais qui pouvait très probablement résolu à condition qu'ils s'y mettent tous ensembles.
- Et avec L, ajouta t-il pour terminer sa présentation, sans powerpoint, mais il n'y en avait jamais eu besoin avec son public actuel.
D'après ses dires, Joe Campa avait quitté leur conversation angoissé, très tendu et, même, carrément terrorisé. C'était sans doute une exagération, car Matt aimait bien dramatiser la situation parfois, pas autant que Mello (tu es une drama-queen, Blondie toi Near et L), mais juste pour glisser un peu d'humour, ce qui ne manquait pas de tomber à l'eau la plupart du temps. Il avait envoyé un fichier à Mello et Near en même temps, qu'il avait notifié "Confidentiel et pas du tout suspect". Dans un mail standard, il aurait probablement été plus court et se serait limité à la notion de discrétion, mais c'était M et N, et étant donné le progrès que le document leur permettrait de faire, il n'avait pas senti le besoin de censurer la blague. Le mail était parti à 2h10, quelques minutes après la clôture de sa discussion avec Campa. Une demie-heure plus tard, Mello avait déboulé dans sa chambre, faisant peu de cas de la notion de sommeil, ses cheveux décoiffés et l'œil un peu hagard (il dormait, pour sa défense, mais il avait mis une alarme en cas de mail), exigeant une réunion de concertation. N ne dormait pas. Il empilait des cartes dans sa chambre quand ils avaient toqué, et son ordinateur portable était grand ouvert sur le fichier transmis par Matt. Il était très pâle, et avait même l'air un peu malade.
Il faut qu'il dorme, avait pensé Mello dans une sorte d'élan de compassion qu'il avait attribué à sa propre fatigue, comme un transfert maladroit
Matt avait donné des explications, bien qu'il n'y en ait pas réellement eu besoin, mais c'était pour le principe, et l'heure tardive n'arrangeait rien.
- C'est une déclaration internationale, avait-il commencé, les yeux cernés à l'excès de M et N rivés sur lui comme s'il était l'équivalent d'une tornade vivante.
- Apprends-nous des choses qu'on ne sait pas, Matty, avait grincé Mello.
- Comme quoi, être aimable ?
- Quelque chose d'utile, avait répliqué Mello du tac-au-tac.
Matt avait choisi de ne pas poursuivre. Il avait sans doute bien fait, car ils pouvaient continuer pendant des heures à se chamailler comme un vieux couple, et aucune de leurs piques n'auraient fait avancer le débat, tout du moins pas celui-là.
- C'était dans la bécane de Winter, le secrétaire à la Marine des USA. Vraiment bien protégé, ça nous a pris un certain temps avant de pouvoir y accéder.
- Qu'est-ce que tu entends, par "bien protégé" ? Lui avait demandé Mello. Tu t'es infiltré dans l'ordinateur d'un membre du gouvernement, ça ne pouvait être que protégé.
Et tu as hacké le Pentagone
- J'ai pas dit le contraire, avait protesté Matt. Simplement, c'était plus compliqué que d'habitude, c'est tout. Le genre "dossier coffre-fort" bizarre, vous voyez. J'en avait pas vu de comme ça depuis un petit moment.
- Depuis le Pentagone ? L'avait interrogé Near, comme s'il avait lu dans les pensées de Mello (parfois c'était vraiment comme ça et c'était inquiétant)
- Pas vraiment. C'est pas comparable. Le Pentagone est un ensemble d'ensembles de dossiers coffre-fort, avec de très bons antispyware et des anti-virus à la pointe. C'est normal. Ce sera toujours difficile d'y entrer, même d'en sortir. C'est faisable, mais ça prend du temps. Maintenant, les technologies et les systèmes ont pas mal évolué, les méthodes de hacking sont plus efficaces, mais les protections aussi. Je ne suis pas retourné dans le Pentagone depuis, mais j'imagine qu'ils ont mis à jour l'intégralité de la structure et que ce serait aussi difficile d'y faire un tour qu'avant. Et ce dossier-là, ce n'était pas comme le Pentagone, puisqu'il n'y a rien comme le Pentagone, mais ça m'y a fait penser.
- Il n'y avait que ce fichier-là à l'intérieur ? Avait continué Near.
Matt avait hoché la tête.
- On a tout vérifié avec Campa, plusieurs fois. J'ai utilisé les meilleurs logiciels de mon arsenal. Il n'y avait que ça. Les autres infos de Winter à propos des disparitions étaient plus accessibles, mais pour ça, il n'y avait rien d'autre.
Et ils en étaient là à présent, les yeux sur le document en question, se disant tous les trois qu'il y avait là un problème, un énorme, un cataclysmique, un de ceux qui s'installait dans le cerveau et qui ressemblaient à une araignée géante tissant petit à petit sa toile, et Mello décida que, quitte à mettre les pieds dans le plat, autant qu'il s'en charge, histoire d'être au moins le premier sur ce genre de classement.
- Mais ce n'est pas possible, dit-il. Il ne peut y avoir que ça.
- Je suis d'accord, dit Near. C'est beaucoup trop gros.
- C'est ce que j'ai pensé aussi, ajouta Matt. Winter ne doit avoir qu'une partie de l'ensemble du dossier là-dessus. Le reste doit être conservé ailleurs.
Et de toute évidence, l'adresse était tellement prévisible qu'il ne semblât même pas pertinent de la nommer.
- Donc, tu vas y refaire un tour ? Conclut Mello. Je te ramène ton IBM ?
- Hors de question, Blondie. J'ai fait des updates de matos, c'est pas pour rien.
- Tu as envoyé le fichier à L ?
- Oui. Avec les autres infos. Je vous ferais le récap, une fois qu'on aura vu ça, mais pour nous, elles ne sont pas si importantes.
- Et pour L, oui ?
- Centrales. Même si je pense qu'il est déjà au courant, plus ou moins.
- Il a réagi au fichier ?
- Pas encore. Je l'ai transmis à Watari, il m'a dit qu'il ferait la liaison. Ils sont toujours à Cooper Key et ils ne prévoient pas de bouger pour l'instant, ça ne devrait pas tarder.
- Et Watari ? Il l'a lu ? Qu'est-ce qu'il a dit ?
- Pas grand-chose, tu le connais. Il a dit "Je vois". Et qu'il allait en parler à L tout de suite.
Near posa alors sur Mello un regard aigu. Ses yeux étaient clairs, encore plus bleus que le ciel se reflétant dans l'eau du salar d'Uyuni. Il était en pyjama, tout blanc et immaculé, alors que celui de Mello, un t-shirt et un short tellement amples qu'ils avaient fini par développer une volonté propre, étaient complètement noirs et, par endroits, recouverts de ses cheveux blonds. Mis côte à côte, ils ressemblaient vaguement à une parodie du Lac des Cygnes (illustre patrimoine, se disait Mello, en pensant que pour une fois, ça n'avait rien à voir avec la vodka - ou presque, parce que l'histoire était un peu trop alambiquée pour ne pas avoir été écrite sous l'influence quasi-divine du petit verre de Smirnoff), et si c'était une chose de les considérer comme des cygnes, car s'il n'en avait pas nécessairement la grâce, Mello savait qu'il en possédait absolument toute l'agressivité, c'en était une autre d'envisager de ré-écrire en guise de fin pour le célèbre ballet un paroxysme où Odile et Odette se faisaient la malle ensembles et partaient construire un petit nid douillet près d'un lac de Sibérie, quoi que la notion de "nid douillet" en Sibérie puisse être très controversée. Et c'était un tout autre délire, à mille lieux d'un ballet classique, sauf si on prenait en compte le côté tragique (parce que tu crois digne d'un mélodrame, peut-être ?), que de songer une micro-seconde à la possibilité que N et lui puissent vivre paisiblement ensembles, transformés en cygnes, par dessus le marché en Sibérie, et accompagnés d'un cardinal rouge.
Near détesterait la Sibérie
Tu déconnes ? Il est pile à la bonne température !
Il y pensait depuis que Matt lui avait fait remarquer que Near était amoureux de lui. Il ne voulait pas, et n'arrivait pas à faire autrement. Par moments, il se disait qu'il y avait toujours plus ou moins pensé, et il avait peur.
- Tu es trop sentimental, Mello, lui avait dit L un jour, à la Wammy's.
- Et toi, pas assez, avait-il répliqué, estimant que ce n'était pas une défense appropriée, mais il était trop en colère pour réaliser qu'au contraire, ça l'était en tout point.
Et N déteste L
- As-tu fait part à Watari de nos suspicions à propos de L ? Lui demanda t-il.
Mello leva les yeux vers N, croyant s'arracher à ses fantasmes glacés, pour retomber directement sur leur origine directe (oh, la douce ironie). Des trois, il était le volcan, et le plus souvent il ne rêvait que de neige, tandis que Near, le lac gelé, aspirait à un feu de forêt.
Et Matt ?
Matt était une prairie. Quand le feu passait sur lui, il repoussait. S'il gelait, il attendait le retour de la chaleur. N ne pouvait que fondre.
- À demi-mot, admit-il. C'est Watari. On ne peut pas y aller de but en blanc et lui dire qu'on met la moralité de L en doute.
- Pourquoi pas ? C'est ton style, Blondie, lui rappella Matt. On risque rien. On s'est déjà barrés, et Watari sait qu'on se méfie de L. Je te parierais même mes neurones qu'il sait que N a des doutes.
Mello se redressa contre le dossier du lit. Il savait que Near le regardait, parfaitement immobile, à l'affût de ses conclusions.
- C'est le problème, dit-il, et le genre de problèmes avec grand P, pensa t-il tout en même temps. On a quitté la Wammy's parce qu'on remettait L en cause, donc Watari sait qu'on ne lui fait pas confiance. À partir de là, on bloque : le moindre soupçon de notre part à l'égard de L devient normal, et explicable par le fait qu'on l'ait lâché sous prétexte qu'il nous chargeait la mule.
- Pas par prétexte, maugréa Matt. Ça n'avait pas l'air d'un prétexte quand tu a déboulé dans la chambre pour faire ton sac.
- Ça ne l'était pas. Pas pour nous. Changement de perspective, Matty, tu connais ? Toi qui est si doué pour comprendre les autres, ronronna Mello.
- Je sais bien, fit Matt en haussant simplement les épaules. Justement : je remets les choses en perspective.
- Watari se méfie de vous, intervint N, pour couper court à la joute verbale.
- J'irais pas jusqu'à dire qu'il se méfie, objecta Mello. Nous, on se méfie. Lui, il ne prend juste pas notre avis par rapport à L comme argent comptant, c'est tout. Il sait ce qu'il s'est passé, il a le contexte, et donc il en a tiré comme conclusions que tout ce qu'on pourrait dire vis-à-vis de L serait biaisé.
- Parce qu'on ne l'aime pas, dit Matt.
- Exactement. À partir de là, tout devient compliqué : il va falloir un peu de temps pour convaincre Watari qu'on ne lui raconte pas nos théories simplement pour mettre des bâtons dans les roues de L et nous venger de ce qu'il a fait après l'affaire Kira. On doit y aller par à-coups, à petite doses. Sinon, on sera mis hors jeu définitivement.
- Et Roger ? Se souvint Matt. Y avait pas moyen que ce soit plus facile avec lui ?
Les longs doigts émaciés de Near vinrent se loger dans ses boucles blanches.
- Roger est persuadé que vous visez la destruction complète de la Wammy's, dit-il calmement, presque trop, comme s'il énonçait le contenu d'une liste de course au lieu d'un possible anéantissement de l'orphelinat les ayant vu grandir. Il a son expérience pour lui. Il ne vous croirait pas pour un sous si vous lui assuriez que L vise exactement la même chose.
- Je croyais qu'il visait le monde, pas la Wammy's spécifiquement, l'interrompit Matt.
- La Wammy's fait partie du monde, Matty, lui signala Mello. Aux dernières nouvelles, en tout cas. Révise ta géographie, peut-être ?
- Et de toute façon, fit N, de toute évidence très décidé à ne pas les laisser se tirer dans les pattes pendant plus de trois secondes (il est jaloux ?), on peut supposer que L s'en prendra d'abord à la Wammy's, pour éliminer tout risque de menace, qu'il choisisse de s'associer à Kira ou non.
- Mais si M ou moi, on essaie d'en parler à Roger, on risque de se faire rembarrer, si j'ai bien compris, reprit Matt, et ce n'était pas une question.
- C'est pour ça que N fait travailler ses petites méninges, chantonna Mello, avec un sourire tout en dents qui, si L avait été présent, lui aurait désagréablement rappelé BB. Parce que Roger a confiance en lui.
- Je ne serais pas aussi catégorique, Mello, répliqua Near, jouant toujours avec ses cheveux. Je ne sais pas si Roger a véritablement confiance en moi. Je ne suis même pas sûr que Roger ait confiance en L. En Watari, très probablement. Mais en L, j'en doute.
- J'y ai pensé aussi, avoua Mello. Je me disais que, d'une certaine manière, Watari n'avait pas vraiment confiance en L non plus, et que je pouvais jouer là-dessus pour lui faire accepter nos hypothèses.
- Mais si Watari ne fait pas réellement confiance à L, il ne nous croit pas du tout, observa Matt.
- C'est le problème, dit Mello. Tout le monde se méfie de tout le monde. C'est pour ça que N doit aussi y aller doucement avec Roger, je me trompe ?
- Non, lui concéda Near. Tu as absolument raison. Le message est difficile à faire passer. Roger fait confiance à Watari, et la réciproque se vérifie, c'est la seule chose dont nous soyons à peu près sûrs. Si l'un d'entre eux nous croit, nous devrions avoir le second. L'ennui, c'est qu'aucun des deux ne nous estime sincèrement dignes de confiance.
- Parce qu'on ressemble trop à L, ajouta Mello.
- Trop, et pas assez en même temps, leur fit remarquer Matt. Si on était exactement comme L et qu'on exhibait le même schéma comportemental trait pour trait, ce serait plus simple. Ils ont l'habitude de travailler avec lui, ils savent comment il fonctionne. Pour nous, c'est différent. On est des électrons libres.
- Deux sur trois, objecta Mello d'un ton sec.
- Non, lui répondit alors Matt. Trois sur trois. Tu regardes toujours trop vite, Blondie.
Mello jeta un coup d'oeil à Near, nota le très bref tressaillement de ses doigts blancs agrippant une mèche de ses cheveux. Il sentit chacune des vertèbres de son échine se crisper douloureusement, et l'envie despotique d'aller le rejoindre, de glisser deux bras autour de sa taille, et d'enfouir son visage dans son cou froid.
Bien sûr qu'il est un électron libre , il est parti avec vous
Il a dit non
Il a dit oui, tu ne regardes pas assez, Mello
La ferme la ferme la ferme la ferme
- Dis ça à ta paire d'yeux de mouche, tu veux ? Maugréa t-il. Et les autres de la Wammy's, alors ? Ceux qui sont partis après avoir fini leur cursus ? Ce sont des électrons libres, eux aussi ?
- Pas vraiment, objecta Matt. Ils sont toujours à la Wammy's, d'une certaine façon. C'est pas le fait de terminer tes études et de quitter l'orphelinat qui fait de toi un électron libre, mais plutôt le fait de partir avant la date initiale. Comme nous.
- Et on est ici.
- Ça ne change rien. On peut être en rapport avec la Wammy's sans y appartenir. Le tout, c'est de savoir se défaire de ses méthodes et de toute l'idéologie qui les sous-tendent. Le classement, et tout ce qui va avec.
Mello hocha la tête.
- Et L ? Demanda Near. C'est un électron libre ?
Matt parut hésiter avant de répondre.
- Pas sûr, admit-il. Il en a toujours l'air, mais c'est un menteur. Je ne suis pas certain que Watari aurait accepté de le suivre s'il avait été totalement indépendant. Ou peut-être que c'est justement parce qu'il l'est que Watari l'a suivi. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- C'est un électron libre, dit Near.
- Il est coincé, lâcha Mello.
Ils se prononcèrent exactement en même temps, et échangèrent un coup d'œil entendu, un peu trop long au goût de Mello pour être totalement anodin.
- C'est ce que je disais, déclara Matt. Impossible de savoir.
- Pour le moment, observa Near. Si nos théories se vérifient et que L décide véritablement de suivre Kira ou d'utiliser le death note à des fins personnelles, le verdict sera facile à déterminer.
- Si L se sert du cahier, on aura pas le temps de faire le verdict de quoi que ce soit, N, grinça Mello. On doit continuer les échanges avec Watari et Roger : l'un d'eux finira peut-être par envisager sérieusement la possibilité que L puisse finir par devenir dangereux.
- Il l'est, le corrigea Matt. C'est juste qu'il le serait encore plus s'il commençait à penser que le death note pourrait régler tous ses problèmes.
- Et les gosses de la Wammy's ? Fit ensuite Mello. Comment on fait, si ni Watari ni Roger n'acceptent de nous croire ?
- Comment les prévenir, tu veux dire ? Ils ont bien des adresses mails, non ? N, tu les as ?
- Pas tous, protesta Near. Seuls les plus âgés ont droit aux adresses mails. Et je ne les ai pas en intégralité. Seulement celles des 10 premiers du classement.
- Il sont dignes de confiance ?
Les coins de la bouche de Near se relevèrent en une parodie de sourire moqueur. Le ventre de Mello fit un looping brutal, se retournant abruptement sur lui-même dans un spasme totalement incontrôlable.
- Ce sont des enfants de la Wammy's, Mello, lui rappela doucement N, l'expression de son visage étrangement proche de celle d'un serpent (je peux t'aider à muer si tu veux je t'arracherais la peau moi-même s'il le faut si tu en as besoin si tu). Aucun n'est entièrement digne de confiance.
- Il doit bien y en avoir un ou deux qui le sont plus que les autres.
Ou trois
- Tu suggères de leur envoyer un mail directement ?
- Tu as une meilleure solution ? Siffla Mello. Tu préfères envoyer le mail à Roger ? Ou à Watari ? Leur avouer qu'on se méfie d'eux autant qu'ils se méfient de nous ?
- S'ils ne s'en doutent déjà pas, ajouta Matt avec autant de subtilité qu'un tank déboulant en pleine rue piétonne.
- Je n'ai pas dit ça, se défendit Near. Je pense simplement qu'il faudrait aussi envisager l'idée que l'un d'entre eux pourrait nous dénoncer auprès de Roger, et donc de Watari.
- De L aussi ?
- Pas directement. Il est très absent des affaires de l'orphelinat depuis ces dernières années. Les conversations avec les enfants ont été considérablement plus limitées depuis votre départ.
C'était la première fois que Near faisait référence à la vie au sein de la Wammy's depuis le début de leur coopération.
- C'est bon signe, non ? Ironisa Mello.
- Pas vraiment. Les exigences se sont durcies. Plus L s'éloigne, et plus on attend des enfants qu'ils lui ressemblent. L'ambiance s'est dégradée. Tout le monde est à cran. L'affaire des bateaux n'a rien arrangé. Tout se déroule exactement de la même façon que pendant l'affaire Kira.
- Quand L piétinait ? Se souvint Matt.
- Oui. Et quand il s'est rapproché de Kira.
- Ce qu'il en train de faire en ce moment.
- On ne peut pas en être certains. Ils se sont quittés en mauvais termes.
C'était un euphémisme considérable, probablement l'un de ceux qui atteignaient dix sur l'échelle de Richter, mais N avait toujours été un expert en matière de reformulations douteuses.
- Mais ils ont été en bons termes à un moment, lui rappela Mello. En très bons termes, même, si on s'en tient aux dires de Watari.
- Watari a peut-être exagéré, dit Near.
- Non. Il a manqué d'imagination, surtout, asséna Mello.
- Traduction, Blondie ?
- Traduction, les "très bons termes" avec Kira auraient pu être "d'excellents termes".
Le mouvement des doigts de Near entortillant ses boucles se fit plus sec.
- Tu penses à une liaison, conclut-il. Une liaison amoureuse.
Dans sa bouche, l'expression sonnait vaguement comme une insulte, ou une langue totalement étrangère.
Il est amoureux de toi
C'était comme un fantôme, en permanence dans son dos, dans les bas fonds de sa tête et de son ventre, qui n'acceptait ni le refus, ni le déni, et encore moins qu'on lui dise de la boucler.
- Ce n'est pas comme si on n'y avait jamais songé.
- Ça reste gros, répliqua Matt. Même pour L. Il est trop...
- Trop quoi ? Trop L ? Si c'est pour me sortir ce genre d'arguments, Matty, autant prendre ta retraite tout de suite, ça vaudra mieux pour l'humanité.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Il est ce qu'il est.
- Et alors ? Depuis quand ça l'empêcherait de bien s'entendre avec Kira par amour ?
- Parce qu'il est L, lâcha Matt. J'ai pas mieux que ça. Et parce qu'aussi, accessoirement, on parle de Kira.
- T'es peut-être pas un électron si libre que ça, Matty.
- Comment ça ?
- Rien. Juste, la Wammy's a bien fait son travail, c'est tout, si tu penses vraiment que L serait incapable de tomber amoureux de quelqu'un d'autre que sa propre personne, même si c'est un criminel de masse.
- Je ne dis pas ça, reprit Matt. Je dis juste que c'est un peu fort, c'est tout. Une amitié me semblait une éventualité parfaitement plausible, mais de là à la transformer en histoire d'amour...
- Ce n'est pas totalement absurde, dit Near, et pendant une fraction de seconde, Mello eut l'impression que ses doigts tiraient si fort sur ses cheveux qu'il allait se les arracher. Ça expliquerait d'autant mieux le retrait de L pendant l'affaire et sa réaction après sa clôture.
- Et sa prise de distance actuelle. Peut-être même sa présence sur les lieux.
- Et Kira ? Intervint Matt. Si vous supposez une liaison, vous supposez une réciprocité.
- C'est le principe de la liaison, Matty.
- Dans ce cas, on insinuerait que Kira puisse aussi tomber amoureux de L.
- Pas nécessairement.
- Watari disait qu'ils s'entendaient bien. Je doute que ça ait pu être le cas si Kira n'avait pas été un minimum réceptif.
- Je suis d'accord, dit Mello. Mais on parle de Kira. Il aurait très bien pu prendre note de la situation, et décider de l'utiliser à son avantage en se servant de la faiblesse de L à son égard pour atteindre ses objectifs.
- Rallier L à sa cause.
- Ou s'en débarrasser.
Matt secoua la tête, appuyé contre le mur de la chambre, les bras croisé sur sa poitrine.
- Trop d'incertitudes, dit-il.
- Mais ça fait sens, répliqua Mello. L ne nous a jamais raconté en détails ce qui était arrivé le jour où ils ont démasqué Kira.
- Excepté sa mort par la main d'un shinigami.
- Vrai. Mais autrement, on a clairement manqué d'informations comparativement aux autres enquêtes avec compte-rendu que L a pu nous présenter. On se doutait que c'était une blessure d'ego. Maintenant, je me demande si on ne devrait pas aussi envisager quelque chose de plus sentimental, c'est tout. Et puis l'amour est une blessure d'ego, de toute façon.
Sous ses lunettes, Mello devinait les yeux de Matt passant de lui à Near.
- On a pas de preuves, tenta une nouvelle fois Matt. Je doute qu'on puisse en avoir, connaissant L. Ça s'envisage, mais tant qu'on a pas d'éléments concrets, ça me paraît délicat de fonder toutes nos hypothèses à propos de L virant tueur en série sur la fondation qu'il était amoureux de l'un d'eux.
Mello pivota vers Near : le sourire qui naquit sur le visage de ce dernier avait le glacé de l'Antarctique et le tranchant d'un iceberg (tu es froid mais tu es comme L et je suis comme L et si L avait été froid et Kira brûlant et si L avait juste voulu arrêter de geler).
- Ça peut s'arranger, déclara t-il simplement, et il regardait son écran d'ordinateur, là où le fichier envoyé par Matt était fièrement exhibé comme un trophée de chasse.
" Si l'on croit l'ensemble des textes abordant le sujet dans la littérature, l'ouverture de la Porte des
Abysses est fortement rattachée à la notion de l'Apocalypse présente dans le Nouveau Testament,
et certains auteurs ont été jusqu'à supposer que le Léviathan, aussi reconnu sous l'appellation de "bête
de l'apocalypse" (là aussi, les écrits divergent), aurait été directement inspiré par les créatures emprisonnées
dans le Gouffre des Abysses. Le Léviathan est généralement représenté comme un monstre, parfois à plusieurs
têtes, dont l'apparence serait un mélange entre le dragon, le serpent et le crocodile : il est toujours associé à la mer
et aux déchaînements chaotiques des flots.
Sa présence est plus ancienne qu'il n'y paraît à première vue, puisque l'on peut retrouver des traces du Léviathan dans les
écritures égyptiennes, où il personnifie le crocodile du Nil ainsi que, selon les sources, le dieu et la déesse Baal et Anat, mais aussi
chez les Hittites, où il est associé au dragon Illouyankas. "
Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster
31 mars 2008, 5 heures 50, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.
La déclaration avait été signée par les États-Unis, et ce n'était pas une surprise, compte tenu de la localisation de l'ordinateur auquel elle avait été arraché. Ce qui prêtait davantage à confusion, en revanche, était le nombre très faible d'autres pays ayant également apposé leur accord à même le document : Light n'avait pas connaissance de toutes les signatures internationales, d'autant plus qu'elles changeaient régulièrement puisque chacune était dépendante de son propriétaire, ministre ou président ou souverain, mais il avait pu lire des noms pour certaines d'entre elles, et Internet avait joué à merveille son rôle d'identification, avec autant de dévotion et d'efficacité que du temps où il écrivait encore les noms de criminels sur les pages du death note. Il y avait là le Japon et l'Inde, mais aussi des nations plus inattendues, à l'image de la Grèce et de Singapour, ou encore Israël. En tout, Light avait décompté onze signatures différentes et restitué six d'entres elles. Les autres finirent par lui être expliquées par L, lorsqu'il accepta de mettre suffisamment de côté sa fierté pour les lui demander. Les cernes du détective commençaient doucement mais sûrement à prendre des airs de canyon.
Il dira "non" si tu lui conseilles d'aller dormir
Ce n'était même pas drôle, et pourtant Light aurait juré que ça l'avait été, à un moment donné.
- Ça, c'est la signature de la Corse, l'informa le détective en les désignant sur le papier, posé entre eux à plat comme un no man's land sur la paillasse où le shinigami était attablé depuis le début de sa surveillance de l'œuf. Et là, l'Alaska. Celle-là appartient au sultanat d'Oman, l'autre au Chili. Et la dernière est la signature du président espagnol.
- Ça me fait penser à quelque chose, observa Light.
- Laisse-moi t'épargner la perte de temps d'une réflexion prolongée, Light-kun. Tous ces pays correspondent aux nationalités des bateaux ayant disparus en mer au cours de ces dernières années.
- Donc, également de ceux dont la disparition n'a pas été déclarée publiquement ?
- Exactement. Maintenant, tu remarqueras qu'il y a aussi un problème.
- Comment ça ?
- Regarde mieux.
Light s'exécuta, mais il ne lui fallut guère trop de temps pour se souvenir d'un élément essentiel et qui lui avait échappé à la première lecture du document.
- Israël n'a jamais fait état de bateau disparu.
L mordillait déjà son pouce, les yeux rivés sur la déclaration.
- Non. Et pourtant, tous les autres pays qui ont signé ce papier ont déclaré une disparition maritime. Autre chose : tu vois la date du document ? Mai 2006 ?
- Je sais. Elle est antérieure à la majorité des disparitions. Ça veut dire que les pays victimes après la rédaction de la déclaration l'ont signée au fur et à mesure.
- Et tu te rappelles des dates exactes de chacune des disparitions ?
- Lesquelles ? Non déclarées ou déclarées ?
- Non déclarées.
- Pas vraiment. Je ne les ai pas sous les yeux.
Pour une fois, L ne parut pas en retirer la moindre satisfaction.
- En mai 2006, le 15, un yacht de Singapour a disparu en plein océan Pacifique. C'était un yacht de luxe. Il appartenait à un directeur américain, mais les employés et les membres de l'équipage étaient singapouriens.
Light n'eut pas besoin de davantage d'informations pour comprendre où souhaitait en venir le détective.
- Et tu penses que c'est cette disparition qui a déclenché la rédaction de la déclaration.
- C'est l'explication la plus plausible. Tu vois autre chose ?
- Pas pour le moment, soupira Light. Et de toute façon, c'est un fait, c'est le moyen le plus logique de justifier son existence. Sauf pour Israël.
- Je sais, dit simplement L. J'ai peut-être une piste.
- Vraiment ?
- Je ne suis pas sûr. Manque de preuves.
- C'est en rapport avec l'affaire que tu dois résoudre en Israël ?
L hocha brièvement la tête en guise de réponse.
- Il n'y a pas vraiment de lien direct entre des meurtres à connotation clairement religieuses et des disparitions en mer, observa Light d'un ton égal, bras croisés sur sa paillasse.
Le plus juste aurait été de souligner qu'il n'y en avait absolument aucun, mais il était question de L, plus précisément des instincts de L, et ses choses-là avaient toujours été redoutables. Light était mieux placé que quiconque pour le savoir, puisqu'il en avait fait les frais quatre ans plus tôt.
J'ai déjà vu ça
Nenn se défendait aussi, dès lors qu'il s'agissait de suivre ses intuitions, y compris les plus aberrantes. Si elle ne s'était pas déclaré ouvertement contre lui et L, il aurait sans doute craint qu'elle ne devienne la complice du détective, et qu'ils finissent, à eux deux, par s'accorder pour le mettre au tapis de manière définitive.
Elle s'est déclaré contre...?
Elle l'a fait tout ce qui est contre moi est contre nous
C'était nouveau, et pas du tout à la fois. La gorge de L était déployée sous ses yeux, courbée par l'inclinaison de sa tête en direction du document.
Règne avec moi, avait dit Kira-Light, avec ambition, par folie (par amour). Viens avec moi. Tu seras un dieu.
Non, avait répondu L
Le Cathare lui avait donné trop de temps pour réfléchir. Le Svetlana lui donnait beaucoup trop d'occasions.
- Pas à première vue, déclara L.
- Et les dates ne correspondent pas, rajouta Light. Pas vraiment.
- Le premier meurtre a eu lieu en 2005, objecta L. L'année où les disparitions de bateaux ont commencé à être répertoriées, mais pas signalées mondialement. Qui plus est, le chalutier qui a disparu s'est volatilisé en pleine mer méditerranée.
- Ça ne peut pas être pertinent. La situation géographique ne veut rien dire.
- Mais ça reste étonnant.
- Parce qu'Israël a signé la déclaration ?
- Entre autres.
Le document était sobre, relativement peu volubile et simple à comprendre pour un papier tout à fait officiel qui avait fait l'objet de l'accord entre plusieurs pays. Cela dit, il était question, si l'on suivait le titre, d'une déclaration de confidentialité, et de ce fait, l'absence d'un éventuel contenu plus riche prenait dès lors tout son sens. Le premier paragraphe était tout ce qu'il pouvait y avoir de plus normalisé pour ce genre de formulaire, puisqu'il comprenait la liste des pays ayant validé la déclaration, suivi du nom et de la fonction de chacun des représentants de ces derniers ayant apposé la signature, précédé de la petite mention habituelle " Je soussigné ". Les noms des pays avaient été tapés à l'ordinateur, mais les signatures avaient été faites au stylo, visiblement au fur et à mesure. Le second paragraphe, séparé du précédent par une puce, décrivait plus en détails l'objet même de la déclaration, et constituait en ce sens le passage le plus attrayant de tout le document. Le gouvernement des États-Unis y exigeait de la part des autres pays une discrétion absolue à propos de leurs bâtiments maritimes disparus en mer (citées avec leurs dates, lieux et nationalité d'origine, en plus du nombre de personnes présentes à bord des bateaux), et leur ordonnaient de leur transmettre toutes les informations sans en faire part aux médias nationaux comme internationaux, en choisissant prudemment les individus mis au courant, de sorte à ce que toute disparition demeurait un secret bien gardé. En échange, les États-Unis s'engageaient à fournir toute l'aide nécessaire à la résolution du phénomène, et à prendre en charge les éventuelles expéditions et enquêtes sur le sujet, toujours sous le sceau de la cachotterie. Le dernier paragraphe reprenait les termes de l'engagement, insistant sur les notions d'honneur et de bien-commun, tout en faisant un aparté subtil mais clairement menaçant à propos les difficultés potentielles que pourrait engendrer tout manquement au contrat, parmi lesquelles la suppression totale des ressources financières et scientifiques proposées par les États-Unis en guise de compensation.
- La présence d'Israël n'est pas expliquée, observa Light, après une seconde lecture. Elle n'a pas fait l'objet de disparition, mais on ne sait pas pourquoi elle a été citée.
- Joe Campa n'avait jamais eu cette déclaration entre les mains, poursuivit L. En tant que membre de la Navy et militaire ayant participé à la guerre du Golfe, il aurait été parfaitement logique qu'il soit mis au courant. La diffusion a été remarquablement restreinte.
- Si Winter l'avait, alors Gates aussi, en conclut Light. Il est secrétaire à la Défense, ce serait impossible pour lui ne pas en avoir pris connaissance.
- C'est aussi mon opinion. J'ai des doutes concernant Gary Roughead, en revanche. Lui comme Campa sont placés sous Winter d'un point de vue hiérarchique, et je ne pense pas que le document ait circulé au delà du cercle des politiques.
- Campa n'a jamais reçu d'ordres particuliers à propos des disparitions ?
- Il m'a assuré que non.
- Tu lui fais confiance ?
- Plus qu'à Winter, répondit L sans perdre le nord, et Light se trouva forcé de lui accorder la validité de son jugement. Je ne vois pas pourquoi il nous mentirait là dessus alors qu'il sait parfaitement que nous avons les moyens de nous infiltrer dans son ordinateur et savoir s'il nous cache quelque chose.
Light leva les yeux de la déclaration. L était immobile devant lui, debout et maigre, accessible, son véritable nom flottant comme une bannière moqueuse au dessus de sa tête. Light revit les morceaux de l'erlenmeyer brisé sur le sol du laboratoire, le geste de L, inattendu, mais si plein de force qu'il aurait pu être en préparation depuis des années.
Je pourrais te détruire te réduire en miettes t'écraser ton nom dans mon death note parce que tu as dis non et pourtant et pourtant si je te redemandes tu dirais oui dis oui je ferais de toi le roi des dieux
- Tu ne m'as pas dit.
- Quoi, Light-kun ?
- Qui s'était infiltré dans l'ordinateur de Winter, lui précisa Light. Tu ne me l'as pas dit.
- Tu n'as pas besoin de le savoir, affirma L, en se détournant de la paillasse.
- Je t'ai dit que je n'étais plus une menace.
- Tu as toujours dit beaucoup de choses, Light-kun.
- Tu m'as dis, un jour, reprit Light, d'une voix plus douce, plus implorante, plus étrange. Que tu étais juste le premier. Que n'importe qui pouvait être L, pourvu qu'il y a un cerveau derrière. Il y en a d'autres ? Je ne leur ferais rien. Je veux juste savoir.
L le regarda, longtemps, dans le silence. Le tic-tac de l'horloge au mur jouait un rythme régulier, hanté, le même que celui de la montre de Light, quand Kira brûlait tous les jours.
- Et je t'ai demandé, reprit-il, lentement, comme si les mots pouvaient lui faire mal, si tu avais déjà dit la vérité, depuis ta naissance.
Light eut envie de hurler.
J'ai dit la vérité
J'ai dit la vérité
Je t'ai donné le trône et c'était vrai c'était vrai c'était la seule chose vraie la seule qui n'avait pas de sens mais c'était vrai
Tu as dis non
- Tu entendais les cloches, se souvint-il néanmoins, et il y avait dans sa voix des notes d'adoration qu'il haïssait et aimait tout en même temps. Tu te demandais si c'était un mariage, ou un enterrement.
Les yeux de L étaient des gouffres.
- Tu as fini par savoir ce que c'était ? L'interrogea Light. Après ?
Le détective recula. Light ne devait jamais autant vouloir le toucher, entourer sa taille de ses bras, l'amener tout contre lui et embrasser ses lèvres, lui promettre le monde à ses pieds.
Tu vas trahir le roi
Je ne sais je ne sais pas je ne sais pas
- Un mariage, finit par avouer L, le visage éteint, avant de se diriger vers la porte du laboratoire. Il faut qu'on réunisse les autres.
Tu vas trahir le roi
" On prétend que l'ambition exclut l'amour. Les deux peuvent cohabiter,
l'une se logeant au cerveau, l'autre au cœur. "
Citation de Rex Demarchais, écrivain québécois
Indications :
- La clinique Cedars-Sinaï et le California Correctional Institution sont deux lieux très réels aux USA, le premier situé à Los Angeles, et le second à deux heures de la ville. La clinique est un établissement privé, accessoirement la plus réputée de LA, accessoirement côtoyé par des stars en tout genre (et c'est le moment d'imaginer BB en conversation mondaine avec Demi Levato, qui a été hospitalisée pour overdose, en baby-sitting pour Beyonce qui a accouché là-bas, ou encore en train d'arracher à Stan Lee des spoilers, mais rapidement, parce qu'il y est mort - *soupir*). Quand au California Correctional Institution, c'est effectivement une prison de type supermax, c'est à dire hautement sécurisée (le terme découle des années 80 et a notamment été appliqué à la prison d'Alcatraz (le même genre que Shutter Island, pour vous donner une idée).
- Le qualificatif de "film noir" désigne un genre de film criminel tragique par principe, où le personnage principal (souvent un inspecteur un peu bourru et cynique) fait face à tout un tas de coups du sort qu'il ne maîtrise pas. Ils sont composés de beaucoup de plans sombres, et ont souvent recours à la voix-off ou aux plans subjectifs (quand on "voit" avec les yeux du personnage). Ils ont connu leur âge d'or dans les années 40-50.
- Le dossier coffre-fort est un dossier très sécurisé, le plus souvent verrouillé avec un mot de passe, parfois créés avec des logiciels spécifiques.
- Un antispyware, comme un antivirus, est un logiciel "anti-espion" qui détecte et supprime les spywares (logiciels espions), en s'aidant d'une base de données régulièrement mise à jour. Maintenant, la plupart des antivirus et des anti-malwares sont équipés en plus d'un antispyware.
- Le salar d'Uyuni, a.k.a je-ne-comprends-pas-pourquoi-ce-n'est-pas-une-merveille-du-monde (tout à fait, j'ai des causes à défendre :P), est un salar de Bolivie qui est qualifié de "plus grand miroir du monde" dès qu'il est recouvert d'eau (entre janvier et mars). Pour vous donner une idée, si vous regardez des animes et que dans le générique, y a un shot avec le ciel, les nuages, et tout qui se reflète en dessous, c'est exactement ça.
- J'envisage parfaitement bien Mello et Near en tutu pour le Lac des Cygnes. Si si.
- Le cardinal rouge est un petit oiseau qui a été nommé comme ça à cause de sa couleur (jusqu'ici, je vous apprends énormément), qui faisait penser aux robes des cardinaux catholiques.
- Réunion, c'est pour la rencontre entre BB et L, mais aussi pour la discussion entre les M'N'M's et celle demandé par L avec les autres membres de l'équipage du Svetlana.
Chose promise, chose due ! J'ai fini le chapitre un petit peu plus tôt que prévu (insérez ici un rire nerveux) et du coup, je me suis décidée à le poster aujourd'hui pour ne pas vous faire attendre davantage : un immense merci à vous pour votre constance, vos encouragements et vos reviews (auxquelles je vais définitivement essayer de répondre avant la fin de l'année, ce serait sympa, quand même - mon dieu, j'ai honte XD !), qui sont toujours autant de facteurs ultra motivants pour écrire la suite de cette histoire !
C'est un chapitre un brin plus court que les précédents, et tout en dialogue cette fois : je ne vous cacherais pas que j'ai du mal à l'écrire (surtout la première scène avec BB, en fait), pour des raisons diverses et variées, mais disons que mes craintes quant à l'OOC ne se sont pas bien mariées avec mes angoisses vis-à-vis de la thèse. Heureusement, tout s'est débloqué quand je suis revenue au trio d'héritiers de L, ouuuuf ! L'équipage réapparaîtra définitivement dans le prochain chapitre, donc warning par avance pour le manque absolue de logique qui risque de composer leurs échanges (mais c'est comme ça qu'on les aime, après tout) :P !
Ce chapitre étant le vingtième (CHAMPAGNE ! - si si, je peux le dire maintenant !-), et la trame de l'intrigue n'étant toujours pas assez déroulée (oui oui, absolument), je pense pouvoir affirmer avec certitude que cette fanfiction arrivera tranquillement à la trentaine de chapitres (contrairement à la vingtaine prévue au tout départ - haha, douce naïveté !), si ce n'est plus étant donné que je ne veux pas aller trop vite en besogne et tout balancer d'un coup d'un seul (surtout ce qui concerne ce qu'il s'est passé durant l'affaire Kira - j'y tiens, à mon pseudo-suspens !).
Le prochain chapitre devrait du coup paraître entre décembre et janvier, si je ne me débrouille pas trop mal (oui, on part carrément sur un mode survie, là XD) avec le reste, même si j'ai comme toujours quelques craintes par rapport au délai (d'autant plus que j'entame ma troisième année de thèse, supposément la dernière et la plus complexe = les formulaires pour partir s'exiler au Groenland, c'est par où ?) : je vous préviendrais dans tous les cas comme de coutume via l'introduction (j'essaierai d'être un petit plus assidue que pour ce chapitre XD) !
Sur ces bons mots, d'ici la baisse drastique des températures (pas qu'on aime les 42 degrés - j'espère d'ailleurs que vous n'aurez pas trop souffert de la canicule, où que vous soyez ! - mais le beau temps, ça fait toujours plaisir) et le retour en fanfare des pulls trois mille épaisseurs et des boots fourrées qui nous apportent toujours un charisme extraordinaire, je vous souhaite de passer une rentrée aussi calme et peu chargée que possible, et je vous envoie encore tous mes remerciements ensoleillés pour continuer de lire Downtown Abyss et pour votre compréhension sans cesse renouvelée à l'égard de mes délais dramatiques ! Je vous dis donc à très bientôt, pour la fin de 2019 ou le commencement de 2020 (comme mon chapitre, aaaaaaaaaaaaaah, Coincidence-I-Think-Not...pardon, pardon !) !
Apparté "Réponse aux reviews que-je-peux-pas-répondre-par-MP" 2 :
XioMFH : un gigantissime merci à toi pour ton message ainsi que pour ta fidélité et ton retour très positif au sujet de cette fanfiction :D ! J'espère du coup que les nouveaux éléments apportés par ce chapitre, notamment au sujet de l'ambition de Light qui subit un regain de motivation (Psychopathe mode ON), t'auront plu ! C'est vrai que Misa a été un personnage présenté assez négativement dans le manga original, et au départ j'avais un peu de mal avec elle, mais plus je relisais Death Note, et plus ma façon de la considérée a évolué : je ne la vois plus vraiment comme une meurtrière pareille à Kira, mais pas non plus comme une victime (parce que je crois qu'elle a sincèrement agi en toute état de conscience, manipulation de Kira ou pas), j'essaie vraiment de la voir en tant que Misa, indépendamment de Kira à laquelle elle a toujours été reliée et sans lequel par ailleurs on dirait qu'elle ne peut pas exister. J'aimerais beaucoup arriver à changer ça avec Downtown Abyss et lui donner un peu plus de substance, mais je ne sais pas si je serais très douée XD (je croise les doigts, en tout cas !) ! Pour les interactions entre L et Light, il devrait définitivement y en avoir beaucoup plus dans les chapitres à venir, étant donné qu'on va se recentrer sur l'affaire des bateaux, mais aussi sur l'affaire Kira ;). Le Cathare sera donc un peu mis en retrait, mais pas d'inquiétudes, les dieux de la mort reviennent toujours très vite :P ! J'espère en tout cas de tout cœur que ce vingtième chapitre aura été à la hauteur de tes attentes, et avec encore un grand merci pour ta review, je te dis donc à très vite (héhé...ça va si je pleure un peu XD ?) pour la suite !
