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CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME

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Risque : de l'italien "risco", danger, inconvénient plus

ou moins probable auquel on est exposé.


RISQUE

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" La trahison d'un dieu de la mort à l'encontre du souverain peut faire

l'objet de plusieurs sentences dont la gravité dépend de celle

de la faute commise par le shinigami : outre l'exil, le roi des

dieux de la mort est également libre d'envoyer l'esprit du coupable

dans les Tunnels de Dorine, mais aussi de l'anéantir définitivement. "

Extrait du Code des Dieux de la Mort, article XVII


31 mars 2008, 9 heures 01, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key

Ils avaient pris la décision de commencer à faire passer l'annonce de réunion à compter de six heures et demie du matin, soit au moment où les membres de l'équipage les plus matinaux s'extirpaient hors de leurs cabines pour se rendre en salle à manger, où ils petit-déjeunaient généralement dans un silence vaguement effrayant, pour peu qu'on ait eu le privilège de les observer une fois véritablement arrachés de leur lit ou, dans des termes temporels plus précis, en fin de journée, à l'heure de l'apéritif. Le message avait été transmis par les jumeaux, puis relayé d'un membre de l'équipage à l'autre, en une sorte de parodie de téléphone arabe maritime. Light et L mangèrent au labo, espérant éviter par cette retraite stratégique une série de questions tant inévitables qu'assommantes. Ils ne s'étaient plus adressés un mot après d'être mis d'accord sur la nécessité d'une concertation avec le reste des résidents du Svetlana, et le reste de la nuit s'était déroulé dans un calme écrasant, presque douloureux, qu'aucun d'eux n'avait eu la bonté de rompre.

Il y avait eu, parfois, quand le silence devenait trop insupportable, des fractions de seconde où Light avait éprouvé le désir tyrannique de sortir en coup de vent de la pièce pour rejoindre le pont, où il aurait été libre de voir ses pensées et sa (peine de cœur) rancune venir se noyer librement sous la surface ténébreuse de l'eau. Il n'en avait rien fait, essentiellement parce que L, de son côté, ne bougeait pas non plus. Le détective avait passé les heures recroquevillé sur un des chaises dans la petite salle adjacente au laboratoire, les yeux rivés sur l'écaille, qui y avait été déplacée sous prétexte qu'elle avait rempli pour l'instant sa fonction informatrice, bien qu'elle eût été très probablement encore en mesure d'amener les experts à quelque nouvelle découverte au sujet de l'espèce inconnue rôdant au fond des océans. Light, pour sa part, était demeuré assis en face de l'œuf, dont la durée de vie et la coquille avaient tragiquement persisté dans leur immobilité, comme pour mieux se moquer de ne pas lui fournir une seule occasion d'arracher un mot quelconque de la bouche de L. Il avait gardé pour lui ses remarques visant à pousser ce dernier vers son lit. Au bout d'un certain temps de rien, il avait fini par retomber dans ses anciennes ruminations, comme il l'avait toujours fait au Cathare, et il pensait aux yeux noirs de L et à leur expression quand il s'était révélé à lui pour de bon, le jour où ils l'avaient démasqué, quand celui-ci avait émergé de la salle aux alentours de six heures, annonçant qu'il allait à la cuisine chercher de quoi manger et essayer de mettre la main sur Pierre ou Lellou, afin de transmettre l'annonce de réunion aux autres membres de l'équipage.

- Reste ici, avait dit Light, presque indépendamment de sa volonté, un fait dont il ne se rendit compte qu'une fois dans les couloirs et envers lequel il éprouva une sorte de terreur tout à la fois absurde et logique. J'y vais.

L l'avait regardé sans surprise. Il s'était retiré dans la salle, gardant les lèvres obstinément scellées. Light avait eu simultanément envie de le passer par la fenêtre, et de le supplier de lui accorder un coup d'œil, un mot, ou même un sourire. La fuite vers la cuisine lui avait semblé un échappatoire idéal face à une perspective aussi dramatique, d'autant qu'il commençait à douter de ses propres réactions, et détestait le phénomène avec une telle puissance qu'elle aurait pu en anéantir un pays, eût-elle pris forme physique.

Les habitudes matinales sur le Svetlana étaient aisées à établir, et les quelques jours passés à bord avaient été largement suffisants à L comme à Light pour en discerner l'organisation générale. La plupart des membres de l'équipage étaient levés entre sept heures et huit heures et demie. Parfois, un traînard ou deux rejoignait la bande vers neuf heures, et les causes d'une telle anomalie étaient généralement à chercher dans une consommation abusive d'alcool (qui représentait l'une des raisons principales, en particulier en ce qui concernait Deville, dont les horaires de réveil frôlaient parfois l'insulte), une discussion prolongée avec un autre membre de l'équipage (souvent l'autre retardataire), ou encore un égarement sur internet (et la notion d'égarement n'était en rien une exagération, car certains membres de l'équipage avaient une façon toute personnelle de voguer sur la toile, qui, contrairement à la trajectoire relativement linéaire du Svetlana, prenait des aspects de route à virages imprévisibles, le long d'une montagne, entourée de ravins vertigineux). Les premiers réveillés étaient le capitaine, quand il n'avait pas accepté de laisser la barre à l'un des lieutenants, ce qui tendait à arriver beaucoup trop souvent au goût de Light pour leur garantir une sécurité absolue sur le navire, les mécaniciens, la cuisinière, Pronto, ainsi que les deux garçons de service.

Il ne trouva cependant aucun des jumeaux en sillonnant les couloirs qui menaient vers la cuisine. Il lui arriva d'entendre des pas, au dessus ou en dessous de lui, mais ils ne vinrent percer la quiétude régnant sur le navire qu'en de trop rares occasions pour véritablement parler d'une activité débordante. Quand il passa la porte de la cuisine, il fut accueilli par les odeurs habituelles et puissantes de café et de pain grillé, mais également par le bruit frénétique des déplacements de Pronto, qui se mouvait dans la pièce avec une fureur proche de la folie furieuse, tout en marmonnant en italien ce qui ne semblait guère être des formules de politesse. Light la salua dans sa langue natale. Pronto, se retournant comme si elle avait le diable aux trousses, et compte tenu de son allure, elle aurait parfaitement pu avoir affaire à lui, car son visage était d'un rouge inquiétant et ses yeux prodigieusement écarquillés, le vit qui se tenait devant la porte, sombre et proche d'une insignifiance vexante face à l'ampleur qu'elle occupait dans ce que Smirnov appelait d'une voix exagérément sépulcrale "son royaume", et la réalisation de sa propre grandeur matinale comparée à la simplicité apparente de l'apparition de Light parut l'adoucir de manière drastique.

- Ah ! S'exclama t-elle, comme elle s'exclamait à peu près à chaque fois que quelqu'un pénétrait sur ses plates-bandes (sauf en ce qui concernait L, car étrangement, elle continuait de le couver comme un poussin depuis leur départ, sans qu'aucun des membres de l'équipage ne puisse y apporter d'explication - et le phénomène aurait pu amuser Light, et l'avait amusé un temps, jusqu'à ce qu'il réalise ce qu'il pouvait y avoir d'injuste dans l'affection de l'équipage pour L et sa méfiance pour lui). Ma qué c'est il assistente numero due ! Come va ?

- Va bene, répondit Light, presque par réflexe, chassant des rouages de ses pensées le visage de L et (tu vas trahir le roi) tout ce qui pouvait plus ou moins s'y rapporter, pour reprendre en anglais : je viens chercher...

- Si, si ! Fit Pronto, avec un geste impérieux de la main comme elle seule pouvait en faire (et c'était une vérité tragique sur laquelle tous les membres de l'équipage s'accordaient, après avoir eux mêmes essayé de reproduire les mimiques de l'italienne au cours de quelques tentatives infructueuses). Tutto è pronto, vieni qui.

Il fallait rendre grâce à la cuisinière pour sa vivacité, car si elle n'était pas toujours commode, parfois au point de ressembler à une sorte de Minotaure perdu dans un labyrinthe de casseroles et de tiramisus, elle avait cependant le mérite d'être incroyablement réactive, et par dessus tout d'apprendre à une vitesse qui frôlait le miracle. Ils avaient à peine fait deux jours à bord qu'elle connaissait déjà une bonne partie des tendances alimentaires très spécifiques de L, auxquelles elle s'était pliée avec une considération toute maternelle, mais avait aussi compris que le rituel des repas au laboratoire était amené à devenir une rengaine régulière : en conséquence, elle s'était mise à leur préparer de gigantesques plateaux qu'elle faisait porter au laboratoire par le biais de Pierre ou de Lellou, quand Light ou L ne venaient pas lui faire la demande directement.

En avançant dans la cuisine, Light aperçut, penché au dessus d'une casserole, la silhouette élancée de l'assistant de Pronto. Il avait l'air de dormir sur place, ou tout du moins de le vouloir, car lorsque Light s'approcha, il remarqua que ses paupières se fermaient toutes seules, et que les cernes entourant ses yeux commençaient dangereusement à ressembler à celle du détective, ce qui n'était pas peu dire.

- C'est la méthode que vous appliquez pour tous les plats ? S'enquit Light en s'arrêtant à côté de lui, jaugeant le contenu de la casserole d'un air critique.

Le résultat fut immédiat : Lameloise eut un sursaut de frayeur, et la cuillère en bois avec laquelle il tournait dans un mouvement monotone ce qui semblait à première vue être du chocolat fondu aurait très probablement fait le vol plané de sa vie si Light, se trouvant être juste à côté, n'avait pas eu d'excellents réflexes post-mortem.

- Vous m'avez fait une de ces peurs, se plaignit l'assistant, et son visage épuisé lui donnait une vulnérabilité charmante. J'ai failli faire une crise cardiaque.

Light retint une objection. Et un fou-rire, par la même occasion.

- Pas assez dormi ? Poursuivit-il, renvoyant au large toute éventuelle plaisanterie de mauvais goût faisant référence au death note.

- Pas vraiment, non, soupira Lameloise, puis il tourna vers lui son visage aux traits ravissants, et décréta après un bref coup d'œil : vous non plus, à ce que je vois.

- J'ai eu de quoi faire.

- Au laboratoire ?

- Ça me paraît évident.

- Pas tant que ça, répliqua Lameloise, qui avait repris la surveillance de sa casserole avec une attention plus soutenue. Vous auriez pu être occupé à n'importe quoi d'autre. J'imagine que ce ne sont pas les occasions qui manquent, dans votre profession.

Tu es un shinigami, Light, lui avait dit Ryûk, les premiers temps de son arrivée au Cathare. Tu vas avoir du boulot tout le temps, maintenant. Les humains passent leur temps à mourir.

À Light qui, émergeant de ses humeurs noires, lui faisait remarquer combien il lui paraissait difficile de s'ennuyer tout en croulant sous le travail, Ryûk avait simplement répondu, ses lèvres étirées en un sourire effroyable, qu'il aurait effectivement du travail, mais pas que celui-ci serait intéressant. C'est un métier chiant à mourir, avait-il ajouté pour la forme, trouvant son jeu de mot probablement à mourir de rire. Light, retournant dans sa coquille de mutisme et d'aigreur, l'avait détesté plus que de raison.

- Qu'est-ce que vous appelez des occasions ? Proposa t-il à Lameloise, car il avait conservé un souvenir vigoureux de leur dernière conversation et n'abhorrait guère l'idée d'un échange intelligent après avoir passé des heures à contempler le silence, en espérant que L finirait par réagir d'une manière ou d'une autre.

Lameloise retira la casserole de sa plaque. Son contenu exhalait une odeur qui aurait pu être sincèrement agréable, et définitivement évocatrice de chocolat fondu, si elle n'avait pas été emprunte d'un arrière-goût de brûlé qui venait en gâcher l'harmonie.

- Juste des occasions, déclara t-il en haussant les épaules. D'autres affaires. J'ai vu à la télé que L traitait aussi quelque chose en Israël.

Et le terrain devint glissant.

- Je ne savais que les enquêtes de L vous intéressaient à ce point-là.

- Les enquêtes de L intéressent tout le monde, affirma Lameloise, tout en versant très prudemment le contenu de sa casserole dans un petit bol délicatement ouvragé et portant la mention sibylline inscrite en italien " L'habit ne fait pas le moine ". Surtout ici. Ils l'adorent.

- Pas vous ? En retira Light, d'un ton véritablement surpris.

Il s'était habitué tant bien que mal aux louanges des membres de l'équipage au sujet du détective, en particulier depuis que Ber était venu le voir pour le mettre en garde contre les critiques à son encontre, et n'aurait par conséquent jamais pensé être confronté à la moindre hostilité à bord à son propos.

- Je n'ai pas dit ça.

- Vous avez dit "ils". Vous ne vous êtes pas inclus dans le lot.

- Réflexe, prétendit Lameloise. Je ne suis pas concentré. J'aime beaucoup ce que fait L.

- Vous pouvez aimer ce qu'il fait sans l'aimer lui. Ce n'est pas automatique.

- Quelle importance ?

- C'est mon patron, répondit simplement Light. Tout ce qui le concerne de près ou de loin me concerne.

Tout ce qui est contre moi est contre nous

Lameloise le dévisagea d'une façon étrange, un peu comme s'il le voyait pour la première fois. Ses yeux étaient d'un vert lumineux et splendide, à mille lieux du noir profond et inquiétant qui se distillait dans les iris de L.

- Et ça comprend ce que les gens pensent de lui ?

- Ça comprend beaucoup de choses, admit Light.

- Vous déviez la question.

- Vous avez dévié la mienne.

- C'était personnel, prétexta Lameloise.

- Moi aussi.

Les traits de l'assistant se figèrent dans une expression contemplative, presque prudente. Puis il eut un sourire en coin, discret, et hocha doucement la tête.

- Est-ce qu'on vous a déjà dit que vous aviez un patron particulier ? Lâcha t-il en guise de contre-attaque finale, à laquelle il savait par avance que Light ne répondrait pas en détails.

- Ça fait partie du métier, lui affirma celui-ci, les mains dans les poches de son pantalon, avant d'aller rejoindre Pronto qui veillait amoureusement sur une poêlée de tranches de bacon.

Le plateau était à sa place habituelle, sur un des nombreux comptoirs de cuisine qui meublaient la salle. Pronto l'avait garni avec profusion, faisant tenir l'ensemble par un prodige de gestion de l'espace que Light aurait pu lui envier, s'il y avait accordé la moindre importance : sur sa surface argentée étaient posés une assiette de pancakes, un assortiment de mini-viennoiseries, des tranches de pain grillées, du beurre, du sucre, de la crème au chocolat, des verres et des tasses.

- Il bacon é quasi prêt, lança t-elle, toute à sa surveillance. Avete bisigno di un'altra cosa ? Invierò il cafe et l'acqua.

Light lui indiqua qu'ils n'avaient besoin de rien d'autre, mais il lui sembla que sa voix était lointaine, et il se rendit compte qu'il fixait avec instance les tasses de café, des nouvelles dans le sens où il ne les avait jamais vu, et dont la structure blanche et ciselé lui rappelait un modèle qu'il avait déjà vu, entre de très longs doigts blafards.

Light-kun est mon premier ami

Parfois, perdu dans la morosité du Cathare, il était arrivé que Light se demande combien de "premiers" amis L avait déjà eu, et combien il en avait envoyé à la potence sans bouger d'un cil.

- Ça m'étonnerait que tu sois l'exception à la règle, lui avait dit Ryûk, un jour où il était particulièrement agacé par le fait que Light refuse obstinément de lui adresser la parole et avait décidé de frapper là où il savait que ça ferait mal. L a trop de bouteille pour ne pas avoir fait quelques sacrifices en route. Tout ne peut pas toujours tourner autour de toi, Light.

Interrompant le fil de ses pensées, l'un des jumeaux (non, vraiment, impossible de savoir lequel, ils étaient comme deux clones d'une seule et même personne) fit irruption dans la cuisine avec une rare discrétion, autrement dit en chantant "La donna è mobile" à pleins poumons sans le soucier le moins du monde des états d'âme de ses congénères, en particulier les plus sensibles à une interprétation juste des grands classiques musicaux. Son entrée tonitruante arracha une sorte de glapissement à Lameloise, qui avait de toute évidence profité du fait qu'on ne faisait pas attention à lui pour tenter de se rendormir debout, et enclencha en parallèle un élan patriotique singulièrement violent chez Pronto, qui se mit à scander les paroles de l'aria à grands renforts de coups portés à une infortunée marmite qui n'avait eu d'autre défaut que de se trouver là. Si la version de la cuisinière était un peu plus correcte que celle du garçon de service, elle n'en demeura pas moins tout aussi agressive. Light, pour qui le changement d'ambiance d'avec le laboratoire commençait à devenir trop abrupt, y vit un signal de fuite, et jugea plus prudent d'avertir les jumeaux du projet de réunion quand ceux-ci viendraient leur apporter les boissons, dans un silence béat.

Il s'éclipsa avec autant de modération que lorsqu'il avait franchi le seuil de la cuisine, exception faite qu'il portait le plateau du petit déjeuner. La besogne avait perdu de son étrangeté : les premiers temps, Pronto leur envoyait les repas par le biais de Pierre et Lellou, mais la perspective d'une taupe se trouvant à bord et l'accumulation d'éléments de nature délicate dans le cadre de l'enquête les avaient poussé, lui comme L, à adopter une stratégie plus précautionneuse. En outre, les jumeaux, sûrement en souhaitant bien faire, avaient tendance à annoncer leur arrivée imminente au laboratoire en hurlant comme si les murs avaient disposé d'une isolation acoustique hors du commun, rompant ainsi tout potentiel processus de concentration en cours, mais aussi à vouloir toucher tout ce qui se trouvait dans la pièce, y compris les gens, dès lors qu'on acceptait de leur ouvrir la porte et de les laisser entrer. Lors de leur première visite, qui leur avait permis de rencontrer les experts (ni L ni Light n'étaient encore présents à ce moment-là), ils avaient ainsi vraisemblablement passé une bonne partie de leur temps à vouloir examiner les binocles de Van Lunet, et y seraient très probablement parvenu si ce dernier n'avait pas fini par les dissimuler ingénieusement dans une poche de sa blouse. Deville avait également raconté qu'ils s'étaient arrêté devant son écran d'ordinateur et l'avaient regardé pendant une durée qui lui avait paru infinie.

- Ils n'ont rien fait d'autre ? L'avait alors interrogé L, car ils avaient déjà reçu l'avertissement lié à la présence de la taupe, et que Light pouvait discerner les mécaniques paranoïaques de l'esprit du détective tournant à plein régime.

- À part se comporter de façon très singulière, vous voulez dire ? Avait reprit Deville, et venant de sa part, la remarque sonnait comme étant légèrement déplacée, car il était alors coiffé d'un béret à rayures dangereusement proches de celles d'une marinière et portait des lunettes dont les branches étaient deux baguettes de pain françaises remarquablement longues et à l'aspect peu appétissant.

- Non. Justement en se comportant de cette façon.

- Alors non, pas vraiment. J'ai vu des tas de gens singuliers dans ma vie, vous savez. Tous mes collègues sont singuliers. Ces deux zigotos n'ont pas agi de manière particulièrement plus étrange que certains de mes confrères ou consœurs, si seulement vous aviez pu les voir.

Light avait pu voir L, le voyait toujours, et s'était par conséquent longuement interrogé sur la prétendue extravagance des congénères évoqués par Deville. Son témoignage étant loin de suffire au détective, celui-ci avait tourné ses soupçons vers Van Lunet, qui apparaissait alors déjà comme étant probablement le plus raisonnable de la bande, tout en ayant l'air d'un Einstein sous drogue sans ses bésicles.

- Pas tant que ça, en vérité, leur avait-il affirmé lorsque L lui avait demandé si les deux jumeaux s'étaient beaucoup intéressés à leur matériel de travail. Ils ont touché à tout, c'est un fait, et ils ont mangé la pomme de Newton, ce qu'il ne leur pardonnera probablement jamais, car c'était, si j'ai bien compris, une possession très précieuse. Mais pour être tout à fait franc, ils n'ont pas vraiment semblé cherché à savoir comment fonctionnaient les choses, si vous pouvez me permettre une telle expression.

- Ils ont jeté un oeil à l'ordinateur de Deville, avait objecté Light. Ils auraient pu y trouver des informations intéressantes.

À L qui souhaitait des renseignements plus précis, Van Lunet avait répondu, avec une certaine expression de dédain plaquée sur le visage :

- Oh, eh bien disons que si vous aimez les jeunes femmes peu vêtues, le fond d'écran de Deville devrait être à votre goût.

Si L avait été déçu d'une telle banalité, il en avait formidablement dissimulé les signes. Toujours était-il qu'entre temps, les remarques quelques peu caustiques de ses vénérables vis-à-vis, et surtout leurs regards de Jugement Dernier, avaient poussé l'océanologue vers davantage de vertu, ou tout du moins vers une chasteté d'apparence, car il avait depuis changé son fond d'écran pour la photo en résolution supérieure d'une gigantesque méduse translucide aux tentacules abominablement acérées, qui donnait froid dans le dos à quiconque avait le malheur d'apercevoir sa silhouette depuis sa paillasse.


" Parmi les créatures décrites par les textes s'étant penchés sur la légende de la Porte des Abysses, on constate, outre des liens avec le Léviathan,

des références à l'ensemble des monstres marins ayant jusqu'ici été référencés dans la littérature, indépendamment du domaine. On

retrouve des traces d'une porte antique située à des profondeurs inatteignables pour l'Homme dans les écrits du philosophe romain

Marius, qui a consacré un passage peu connu à la mythologie grecque aquatique dans un de ses ouvrages les plus célèbre, "Des Croyances Anciennes".

En complément de la description d'une créature cauchemardesque dont les caractéristiques évoquent très fortement le Léviathan évoqué

par la suite dans la Bible hébraïque, il fait également mention d'un poulpe géant très similaire au Kraken, de sirènes à l'aspect terrifiant - rappelons

que les sirènes n'ont jamais eu très bonne réputation auprès des grecs comme des romains -, mais aussi de monstres en apparence plus engageants

et au caractère moins porté vers la destruction, telles que des baleines blanches ou des méduses de diamants. "

Extrait des Cataclysmes de la Mythologie Grecque, de William Fauster


Date inconnue, heure inconnue, Limbes.

Il y avait des méduses, au Cathare, aussi aberrante que puisse paraître une telle éventualité. Pas qu'il eût question de véritables méduses terrestres, car tout ce qui était sur Terre y demeurait tragiquement, mais Light avait été amené à découvrir au fil des années que le royaume des dieux de la mort réservait parfois quelques surprises insolites, pour peu que l'on soit déterminé à prendre quelques risques, et, durant les premiers mois, Light aurait volontiers pu se jeter du haut d'une des montagnes qui apparaissaient au loin, s'il avait su qu'il pouvait y récolter la moindre blessure, ou provoquer quoi que ce soit, une brise, un émoi quelconque, au cœur de la monotonie du monde des shinigamis. Un jour, qui ressemblait à tous les autres, il avait décidé de s'aventurer dans les Limbes de son plein gré, comme d'autres dieux de la mort avant lui, principalement par ennui, officieusement pour penser à autre chose aux yeux de L et à la ruine de ses projets de domination. Ryûk avait commencé à le lâcher, et les autres shinigamis avaient tendance à l'éviter, car on avait beaucoup trop bien vendu sa réputation, et il était loin d'être à la hauteur. Sans se montrer ouvertement désagréable, à l'exception de ses échanges avec Ryûk, il ne cherchait pas à s'intégrer, et la solitude lui paraissait préférable aux conversations insipides de ses nouveaux homologues. Les Limbes semblaient lui promettre tout l'exil auquel il aspirait alors, et les histoires des autres dieux de la mort relatives à leurs congénères n'étant jamais revenus, par choix ou suite à une commande royale, avaient eu au moins le mérite de piquer un restant de sa curiosité. En outre, le vortex s'ouvrant sur Tokyo, devant lequel il pouvait parfois passer plusieurs heures, ne montrait jamais que la ville et ses habitants dans leur globalité, et en ces premières années d'immortalité, la capitale japonaise ne l'intéressait pas. Eût-il pu avoir accès à des brides de l'existence du détective qu'il y aurait très certainement passé des jours entiers, immobile devant le tourbillon de poussière et de dimensions, à observer comment L se débrouillait maintenant qu'il était retourné à sa petite routine d'affaires à résoudre toutes plus banales les unes que les autres.

- Les vortex ne montrent jamais des gens en particulier, lui avait expliqué Sidoh, comme il passait par là et l'avait aperçu, assis devant le passage depuis déjà plus de quatre heures. Juste des endroits. C'est pour voyager, pas pour voir quelqu'un.

Light avait néanmoins conservé une lueur d'espoir lugubre, pendant les mois ayant suivi sa renaissance en tant que shinigami, et avait persisté à attendre que le tourbillon lui renvoie, à un moment ou un autre, l'image du visage de L. Le vortex avait paru s'amuser de sa constance, et lui avait renvoyé des centaines de milliers de traits tous plus inconnus les uns que les autres, de près comme de loin, mais sans jamais s'accrocher à une existence spécifique. Et jamais la mention de L ne lui était apparue au cours de ces temps d'observation prolongée, aggravant par la même occasion son aigreur et sa frustration. Les dieux de la mort qui le trouvaient parfois, les bras croisés autour de ses genoux, les yeux rivés sur tout ce que le tourbillon pouvait bien lui montrer, s'abrutissaient à lui répéter ce que Sidoh lui avait déjà dit. Il avait fallu l'intervention de Ryûk pour qu'ils cessent, et plusieurs coups d'œil glacés dans leur direction. En guise de final, le roi avait finalement estimé qu'il passait beaucoup trop de son interminable temps libre à contempler les lieux de sa gloire fanée au lieu de remplir son cahier, et avait envoyé Nu lui transmettre le message dans un courant d'amertume et de langueur qu'elle seule parmi l'ensemble de ses congénères était capable d'émettre. Toute communication royale équivalait à un ordre pur et simple, aussi Light avait-il été rapidement obligé d'abandonner son recueillement pathologique pour une autre activité plus productive. Le cahier avait effectivement été la première option, mais elle était trop limitée du point de vue de Light pour constituer un véritable échappatoire à son ennui, comme Ryûk avait déjà pu le souligner, mais surtout à sa colère. Il n'y avait plus grand chose à découvrir à propos du death note, toutes ses potentialités, ou tout du moins la très grande majorité d'entre elles, avaient été mises en oeuvre sur Terre à l'époque de sa montée en puissance. La seconde solution, qui s'était imposée à lui à mesure qu'il laissait dériver son regard vers la cime des montagnes qui se dessinaient dans l'horizon des Plaines, était devenue l'exploration des Limbes.

Si certains shinigamis étaient allé se perdre dans le sable de leur plein gré, ils avaient eu néanmoins besoin au préalable de l'autorisation du roi, car aucun dieu de la mort n'était totalement libre de ses déplacements en dehors des Plaines. Ceux d'entre eux qui étaient revenus n'étaient pas allés très loin : la solitude avait fini par leur peser, en dépit du manque d'agréabilité de leur homologues, et la paresse conjuguée à la disparition progressive de leur volonté, conséquence directe de leur nouveau statut, avait mis à mal leur tentative d'inspection. Au lieu d'un retour quasi triomphal, porteur de nouvelles et de découvertes, ils s'étaient donc contentés d'une marche arrière cahin-caha, et de questions à peine intéressées de la part des autres shinigamis. Quand à ceux qui n'étaient pas réapparus, la plupart des dieux de la mort les avaient oubliés ou les supposaient anéantis, soit par volonté du souverain, notamment lorsque celui-ci avait exigé leur départ, soit par défaut, après s'être aventuré beaucoup trop loin. Quelques dieux de la mort estimaient que l'incapacité pour eux de remplir leur cahier revenait à une condamnation, provoquant une déchéance de l'organisme, dont ils prétendaient qu'il dépendait entièrement de la fonction pour laquelle il avait été conçu. D'autres, qui en savaient peut-être plus, ou moins, s'interrogeaient sur le sort réel de leurs camarades et sur l'éventualité que ces derniers aient fini par véritablement découvrir quelque chose de si énorme et de si remarquable qu'ils avaient tout simplement refusé de revenir, et accomplissaient à présent un destin hors normes, ou une tâche extraordinaire. Pour Light, l'objectif de son expédition ne s'était pas tant situé dans la découverte que dans la possibilité de s'éloigner de ses pairs, qui lui paraissaient chaque jour plus bêtes et plus désespérants, et dans l'opportunité de voir quelque chose advenir, peu importait qu'il en tirât satisfaction ou non, du moment que l'événement puisse occuper son esprit. Il avait présenté la chose ainsi au monarque, auprès duquel il s'était présenté par souci de ne pas subir une nouvelle déconfiture. Il lui avait semblé que le roi se montrait tout d'abord hésitant à le laisser partir presque librement, ce qui pouvait à la rigueur se comprendre, puis il s'était tourné alors tourné vers Nu, qui se trouvait au Palais à la suite de circonstances que Light continuait d'ignorer.

Au moment où il avait formulé sa demande, Light n'était pas sans savoir que Nu avait l'oreille et la confiance absolue du souverain, car les rumeurs sur le phénomène allaient bon train dans le Cathare, mais il n'avait jusqu'à lors jamais été témoin de la moindre interaction entre eux et n'avait de ce fait pas pu jauger en détails les rapports et critiques de ses pairs quant à une telle proximité. Il avait soigneusement évité de retourner au Palais du Mont Fossoyeur après avoir battu le roi au Prométhée, et s'était fait aussi discret qu'il le pouvait, préférant admirer les toits des gratte-ciels de Tokyo dès que l'un des vortex lui en donnait l'occasion. Il avait déjà vu Nu, car il était difficile de voir autre chose lorsqu'elle traînait sa carcasse mélancolique et tout à fait inhabituelle dans les Plaines, même pour un shinigami, mais ses échanges avec elle avaient été considérablement limités et proches d'une banalité déprimante. Cependant, quand elle avait paru déplacer sa silhouette vers le roi à son tour et, sans dire mot, répondre à son interrogation, Light avait cru un instant que ses cheveux se dressaient sur sa tête, et il avait vu

le trône coupé en deux

quelque chose qui lui avait rappelé L, et qu'il aurait cent fois mieux aimé ne pas voir.

Le roi, se détournant de Nu, avait finalement donné son accord d'une voix lente, pesante et hachée. Ryûk, que Light avait vu prendre ses aises au Palais depuis qu'il était devenu un shinigami, avait eu le bon goût de se montrer quelque peu surpris : il l'avait suivi comme il redescendait le mont Fossoyeur, et lui avait adressé la parole pour la première fois depuis plusieurs semaines, bien que le phénomène n'eût été d'aucun réconfort à Light, qui commençait tout juste à concentrer son ressentiment sur le fait que Ryûk s'était débarrassé de lui avec autant de facilité que s'il avait du écraser une mouche.

- Tu sais que ça n'arrive pas souvent ? Avait-il déclaré en guise d'introduction.

- Quoi ? Que le roi vous autorise à partir au delà des Plaines ?

- Que le roi nous autorise tout court, l'avait corrigé Ryûk, et sa silhouette massive était tout aussi disproportionné face à celle, restée humaine, de Light, que lorsqu'ils arpentaient les rues de Tokyo du temps où il vivait encore. La plupart des dieux de la mort qui vont dans les Limbes y vont par punition. Mais ça, tu le sais.

- Si tu es là pour me parler d'évidences, Ryûk, tu peux t'abstenir.

- Laisse tomber la condescendance, mon petit Light. Ça n'a aucune utilité ici. Si je dois éviter les évidences, autant que tu suives la même règle.

Light n'avait rien répondu. Ils étaient arrivé au pied du mont Fossoyeur, et le Palais, depuis sa hauteur, même si celle-ci n'avait rien de très impressionnant, avait tout d'un château fantôme et abandonné à son triste sort.

le roi a regardé Nu il l'a regardée et il a dit oui

- Il y a des shinigamis qui ont été autorisés à aller dans les Limbes, lui avait rappelé Light, sans lâcher le Palais des yeux, espérant soudainement y voir quelque chose qu'aucun autre de ses pairs n'aurait pu remarquer.

Ryûk haussa les épaules.

- Pas important, avait-il affirmé. Ils n'avaient rien à voir avec ton profil. Tous des vieux, ennuyés à mort, et sans la moindre détermination. Ils voulaient juste marcher pour faire quelque chose.

- Peut-être que j'ai envie de marcher pour les mêmes raisons.

Le sourire de Ryûk était devenu des dents.

- Light. Je t'ai vu sur Terre. Je te connais, maintenant. Tu ne marche jamais juste pour t'occuper.

Light n'eut pas besoin de davantage pour comprendre les raisons de son revirement.

- Je ne vais pas faire quoi que ce soit, Ryûk, avait-il dit, puisant une certaine satisfaction dans la possibilité que son homologue shinigami puisse être sincèrement attristé par son manque d'initiatives. Si tu espères que je revienne avec un plan pour renverser l'ordre du Cathare, tu risques d'être déçu.

- On verra, avait répondu celui-ci. Tu fonctionnes par palliés, Light. Peut-être que les Limbes sont le premier, ou peut-être qu'elles en sont juste un parmi d'autres. Quand on s'est rencontré, tu voulais juste tuer des criminels sur le seul principe de rétablir un peu de justice, et puis tu as pris la grosse tête, et après, il y a eu L. Inévitablement, tu finiras par avoir les yeux plus gros que le ventre.

- Ne me parles pas de L, avait sifflé Light, et le sourire de Ryûk s'était imperceptiblement élargi.

- Tu ne le trouveras pas dans les Limbes, tu sais.

Light l'avait dépassé, se ruant vers le désert et le silence absolu.

Il était parti sans prévenir quiconque, et personne, comme il se frayait un chemin dans les Plaines vers les silhouettes des montagnes, ne lui avait demandé où il allait. En vérité, il comptait sur Ryûk pour cracher le morceau à un moment ou un autre. Si certains dieux de la mort avaient pu être surpris par la vivacité de son pas, aucun n'avait émis le moindre commentaire ou n'avait osé venir l'interrompre pour en comprendre la raison. Ceux qui jouaient n'avaient pas plus levé les yeux de leur partie de carte que ceux qui flânaient dans les Plaines parce qu'ils n'avaient tout simplement rien de mieux à faire.

mais moi si

La décision du roi lui restait à l'esprit, cependant. Que le monarque le laisse vadrouiller à sa guise lui convenait et rassérénait quelque peu son ego, car un tel état de fait semblait témoigner d'un statut particulier le concernant, mais il ne pouvait pas non nier que toute autorisation du souverain avait de quoi rendre méfiant. Ryûk et les autres lui avaient suffisamment répété que le dirigeant du royaume des dieux de la mort avait davantage tendance à agir comme un tyran que comme un leader charitable, et les Limbes avaient jusqu'ici été évoquées dans un nombre plus élevé de récits dramatiques qu'en tant que terre d'aventure. Light était bien classé en tant que shinigami, et son statut trahissait une certaine estime de la part du roi, mais celui-ci était trop vieux et trop intelligent pour autoriser l'un de ses meilleurs dieux de la mort à visiter les Limbes sans avoir autre chose de prévu. Ryûk n'y allait que pour récupérer les éventuels nouveaux membres de leur clique funèbre, et il lui avait lui-même confié qu'il n'avait jamais eu la possibilité de les explorer plus avant. Il en était de même pour Justin, qui passait pour l'un des dieux de la mort les plus clairvoyants du Cathare. D'après Sidoh, seule Rem avait déjà pu aller librement dans les Limbes, indépendamment de tout ordre reçu de la part du roi ou de toute mission d'accueil d'un nouveau shinigami. Rem avait été la quatrième, elle aussi, mais Light sentait que ce qui avait poussé le roi à la laisser partir n'était pas du tout la même raison l'ayant amené à lui permettre de faire de même.

Les premiers kilomètres qu'il avait parcouru dans les Limbes étaient aussi taciturnes que répétitifs. Au début, comme il s'engageait dans le sable et le silence, il était encore capable de penser de façon relativement raisonnable, et la grande majorité de ses réflexions s'étaient naturellement porté vers l'autorisation du roi et ce qu'elle pouvait dissimuler. Il était difficile de concevoir que le monarque pouvait envoyer les shinigamis un peu trop rebelles à son goût se perdre dans les Limbes pour le simple plaisir de les voir marcher sans fin, car autrement, il n'aurait guère été aussi parcimonieux dans sa distribution des permissions de sorties. Il paraissait inconcevable, étant donné de tels constats, qu'il n'y eût pas quelque chose dans les Limbes, inoffensif ou non. Il était également possible que le roi ait volontairement limité les départs des shinigamis par volonté d'en conserver suffisamment pour qu'ils exécutent leur besogne habituelle, mais Light savait que le monarque pouvait tout aussi bien, s'il le désirait, ordonner à ses dieux de la mort de lâcher un cahier sur Terre pour s'assurer une nouvelle récolte. Qui plus est, le retour de certains dieux de la mort envoyés par punition ou par désir dans les Limbes, et les récits que leurs congénères avaient pu en tirer, tendaient à souligner que le territoire n'était pas si étendu, ou qu'il était moins facile de s'y perdre que le prétendaient les rumeurs. Le problème était qu'aucun des témoignages recueillis ne faisaient mention de phénomènes atypiques ou de créatures rôdant sur le sable, à l'image des shai-hulud dans le cycle de Dune. Il n'y avait que la marche, et les ruines, et la poussière.

Au cours de son exploration, qui s'étendit sur un total de trois mois (Ryûk, à son retour, lui annonça fièrement avoir tenu les comptes, ou plutôt l'agenda), Light eut l'occasion de voir suffisamment de ces éléments pour confirmer les propos de ses homologues et, au passage, pour flanquer une déprime monumentale à tout shinigami ayant souhaité davantage que ce qu'il pouvait déjà trouver dans les Plaines. Au bout d'un temps, tout avait fini par ne devenir plus qu'un seul et même élément compact, au milieu duquel Light continuait d'avancer. Il y avait parfois des moments où il perdait tout espoir de rencontrer quoi que ce soit d'intéressait. Quelques heures plus tard, il poursuivait de plus belles en étant persuadé qu'il devait y avoir quelque chose, n'importe quoi, mais qui soit un minimum différent du sable et des carcasses de bâtiments sur lesquels il posait les yeux de manière continue.

Il n'avait trouvé les méduses qu'au milieu du troisième mois d'exil volontaire, et pour ainsi dire juste à temps. Il avait quitté les Plaines encore relativement enthousiaste, persuadé qu'il allait finir par dénicher de quoi mettre l'eau à la bouche de ses congénères et renforcer la singularité de son statut de dieu de la mort. Il ne pouvait pas se rendre sur Terre, car le roi faisait surveiller les chutes de death note d'une façon presque frénétique depuis le dernier coup de Ryûk (pour lequel plusieurs shinigamis l'avaient remercié, la voix empoisonnée de sarcasme), et il s'était par conséquent rattachée au fait que, tant qu'à demeurer auprès de dieux de la mort tous plus bêtes les uns que les autres, il lui fallait au moins s'élever au dessus du rang. Son incursion dans les Limbes s'inscrivait pleinement dans le processus, mais jusqu'à lors, il avait été cruellement déçu, et toute sa déception ne cessait de le ramener au jour de sa mort, et à celui qui l'avait causée (il regardait sans voir il n'a jamais voulu voir). Comme il traversait une zone qui n'avait rien d'extraordinaire, et qu'il ravalait pour la énième fois sa frustration depuis le début de son voyage, il avait levé les yeux au ciel. Bien qu'elle fut charbonneuse et dépourvue de tout signe étoilé, la voûte céleste du Cathare demeurait une manière de se perdre dans une contemplation purement réflexive, et c'était alors qu'il les avait vues.

S'il avait regardé de très loin, il aurait été strictement incapable de remarquer leur présence, car leurs ombrelles et leurs tentacules étaient aussi translucides que de l'eau. Mais il se trouvait être juste en dessous, par un hasard qui l'avait amené à penser que, peut-être, la déesse de la chance avait encore quelques tours dans son sac, et comme il constatait dans le ciel une irrégularité, de forme sphérique, et luisante, comme si quelqu'un avait décidé d'appliquer un vernis sur la surface des cieux noirs et sinistres du royaume des dieux de la mort, il s'était également aperçu que la dite anomalie semblait se mouvoir vers l'avant, dans un mouvement large et fluide. Il avait ramené son regard sur le sable, puis levé les yeux de nouveau. Cette seconde observation, plus précise, car moins prolongée, lui permis de distinguer d'autres formes qui étaient de toute évidence rattachées à la première, et dont la longueur et la finesse évoquaient en tout point les tentacules d'une méduse. Par la suite, comme il effectuait une troisième vérification, par principe davantage que par nécessité de corroborer quoi que ce soit, il avait été en mesure de voir un spécimen un peu plus éloigné qui lui confirma généreusement cette dernière hypothèse.

Il était resté un moment immobile, à observer le passage dans le ciel de sa trouvaille, à la fois ébahi et vaguement désarçonné, car s'il avait effectivement attendu - ou espéré - quelque chose, il avait cependant anticipé la découverte de beaucoup plus inquiétant que des méduses célestes. Il compta cinq individus, de taille variées : il estima que trois d'entre eux devaient atteindre la longueur d'environ quatre mètres, et un quatrième, beaucoup plus petit, ne dépassant sans doute pas les deux mètres de longueur, tendait à suggérer l'existence possible d'une classe des âges. Le cinquième, le plus lointain, paraissait en revanche avoisiner les dix mètres de long, car Light devinait sa silhouette entière depuis l'endroit où il se trouvait, alors qu'il peinait à distinguer celle de ses congénères plus petits. Sa fixité laissait à croire qu'il les attendait. Le groupe se déplaçait lentement, et chaque mouvement provoquant un frémissement délicat de leur ombrelle les rendait beaucoup plus visibles. En dessous d'elles, Light entendait un bruit qui n'était pas sans évoquer les ondulations d'une eau invisible.

peut-être que tout le Cathare est dans l'eau

Il avait fait au mieux pour se souvenir, mais à sa connaissance, aucun shinigami étant revenu des Limbes n'avait évoqué l'existence de méduses ou même insinué qu'elles aient pu être réelles. Pendant un court instant, suffisant pour distiller en lui une panique incontrôlable et inhabituelle, il crut avoir définitivement perdu la raison, au point de croire voir flotter au dessus de sa tête des méduses géantes. Un tel constat aurait pu justifier leur absence au sein des récits de shinigamis rentrés dans les Plaines après plusieurs semaines passées dans les Limbes, mais les créatures lui paraissaient néanmoins considérablement vivantes et authentiques, mais surtout beaucoup trop extraordinaires, et pas assez à la fois, pour être le résultat d'un déraillement de son esprit. Elles avaient des airs de méduses terrestres, et pour autant un grand nombre de leurs caractéristiques, à commencer par le fait qu'elles flottaient littéralement dans les airs, à l'image de gros nuages de verre, indiquait très clairement qu'elles étaient situés à plusieurs kilomètres de distance de leurs cousines océaniques sur le grand arbre phylogénétique des membres de leur espèce. Il pouvait même être tout à fait envisageable qu'il eût été question d'une espèce totalement différente. Sans être véritablement expert, Light savait qu'il existait un bon nombre de variétés animales encore inconnues de la littérature scientifique sur Terre. En outre, en dépit d'une apparence équivalente, rien ne lui assurait que les créatures qu'il avait sous les yeux étaient des méduses : si elles en avaient la forme, il n'était probablement pas exclu qu'il eût été question d'un camouflage, ou d'une adaptation visuelle émanant de son propre cerveau pour retranscrire quelque chose qui ne pouvait être représentée autrement. Il avait toujours lu que les méduses étaient des animaux marins. Celles-ci ne l'étaient en rien, et ce simple constat remettait en cause la possibilité de leur appartenance au groupe auquel Light les avait assigné sur la base d'un coup d'œil.

Comme les méduses, car il lui était néanmoins bientôt devenu difficile de les nommer par un autre qualificatif, continuaient d'avancer, lentement mais sûrement, il avait pris la décision de les suivre. À l'évidence, sa présence ne dérangeait nullement leur progression, car aucun des spécimens n'avait eu de réaction hostile à son égard ou n'avait semblé le remarquer. Il ne voyait aucune autre option plus intéressante : il ne ressentait ni la faim, ni la soif, ni la fatigue, et aurait pu continuer probablement à les traquer durant des mois, s'il n'était pas parvenu à leur destination plus tôt. Car en vérité, comme il se mouvait avec elles et gardait les yeux au ciel en permanence, fasciné par les mouvements gracieux de leurs ombrelles géantes, le groupe d'individus se dirigeaient vers un point très précis des Limbes, dont Light n'avait jusqu'à lors jamais entendu parlé, ni de la part des shinigamis qui étaient revenus, ni de leurs congénères restés dans les Plaines. Il n'était peut-être pas impossible que certains dieux de la mort aient fini par atteindre l'endroit en question, car Light estimait que son cas était loin d'être unique, d'autant qu'il avait rarement dévié de sa route, avançant en ligne droite vers les montagnes qu'il apercevait au loin, comme avaient du le faire les dieux de la mort partis avant lui. Il n'était pas non plus exclu que la dégénérescence frappant la mémoire de ses congénères ait estompé le moindre souvenir du lieu avant leur retour, car si Light n'aurait su dire à l'époque depuis combien de temps il musardait dans les Limbes, il se doutait néanmoins que la durée était conséquente, et il avait vu des shinigamis oublier en quelques heures des événements dont ils avaient été témoins, souvent en première ligne.

À mesure de leur cheminement, le groupe de cinq fut rejoint par d'autres bandes, certaines plus nombreuses, d'autres tout juste composées de deux individus. Light, qui les suivait avec un aveuglement proche de la déraison, cessa rapidement de compter les apparitions dans le ciel, mais il nota diligemment que la plus large méduse de la famille ne tarda pas à se voir supplanter par des statures beaucoup plus imposantes. L'une des créatures qui se joignit au périple devait mesurer un peu plus de trente mètres, et régnait sur ses semblables avec une tranquille confidence. Elle ouvrait la marche, tandis qu'une méduse un peu plus petite la fermait. Bientôt, elles ne furent plus qu'une sorte de nuage gigantesque et paisible, translucide, dont les ombrelles se soulevaient avec une régularité aérienne pour leur faire gagner du terrain. Quand elles parvinrent à leur destination, Light fut submergé par la vision de ce qui devait probablement être une centaine de spécimens, flottant gracieusement dans le ciel comme si rien ne pouvait jamais les interrompre.

Ils finirent par atteindre une région qui, d'apparence, évoquait à première vue les Plaines de part son relief totalement plat. Néanmoins, en avançant, Light constata à sa droite que le terrain sembler partir en colline, puis en montagne, et enfin, quand il fut à distance suffisante pour évaluer convenablement la géographie, en véritable mur de roche qui n'était pas sans évoquer le fronton d'une falaise.

les montagnes à l'horizon

Mais celles-ci présentaient des irrégularités et des pics chaque fois qu'il avait posé les yeux dessus, et ce qu'il observait à présent était absolument lisse, et massif. Le rempart, qui devait mesurer plus d'une centaine de mètres de haut, était visiblement naturel et continu, car Light en distinguait les prolongements à sa droite de même qu'à sa gauche, et cependant une ouverture béante se profilait droit devant, comme si l'une des créatures au dessus de sa tête, devenant soudainement matérielle, avait délibérément choisi de se précipiter vers la muraille de granit pour y créer une brèche. La roche était sombre, et visiblement épaisse. Les méduses persistaient à se diriger au delà du passage, et se rassemblaient les unes avec les autres pour former un corridor limpide, les plus petites se maintenant entre les délimitations du tunnel, et les autres, trop grandes, aller s'élever au dessus et, de loin, donnaient l'impression d'une sorte de cascade dont le cours aurait été inversé. Le silence qui avait accompagné Light au cours des dernières semaines avait été remplacé par les résonances douces et aquatiques des ombrelles se déployant de concert.

La trouée s'ouvrait sur un paysage similaire à celui que les Limbes avait exhibé tout au long du voyage de Light. Un sable gris et épais tapissait le sol, et quelques formations rocheuses s'extirpaient vers le ciel sans toutefois pousser leur ascension aussi loin que les deux pans de murs qui les précédaient. Une fois extirpé du passage, les créatures commencèrent à se disperser en cercle, tout en continuant d'avancer, et Light put alors constater que les parois du murs bloquaient toute tentative d'échappatoire de chaque côté, créant un cirque naturel à l'aspect peu engageant. À défaut d'aller tout droit, il n'était possible que de rebrousser chemin : les hauteurs de la muraille de pierre excluait toute possibilité de l'escalader pour tout individu incapable de se déplacer autrement qu'à pieds. Un instant, Light fut tenté de recourir à ses ailes pour aller jeter un œil au delà des enceintes du cirque : il ne les avait pas utilisé depuis le tout premier jour de sa renaissance, où la curiosité l'avait poussé à les déplier sous l'œil amusé de Ryûk et en tester la fiabilité. L'exercice avait néanmoins perdu rapidement de sa saveur, d'autant que les distances pouvant être parcourues par les dieux la mort étaient limitées. Il n'y avait pas d'intérêt à voler dès lors que l'on ne pouvait franchir de larges étendues, encore moins lorsque l'on avait devant soi tout le temps du monde. La quasi totalité des shinigamis n'étiraient leurs ailes que lorsqu'ils avaient à faire sur Terre, et parce qu'ils avaient très peu à faire, ils ne les étiraient de fait presque jamais.

Light avait suivi les méduses jusqu'au milieu du cirque, et c'était à ce moment-là qu'il avait remarqué la plongée. De loin, elle était impossible à discerner, car le terrain paraissait alors continuer à l'infini en une bande plate et dénuée de tout élément qui aurait pu valoir son pesant d'or, mais une fois au milieu de la place, l'inclinaison du sol devenait manifeste, et surtout abrupte. Light avait progressé autant qu'il le put, mais son cheminement se vit sévèrement paralysé par la pente titanesque qui vint à sa rencontre et qui s'enfonçait tout droit dans les niveaux inférieurs du ciel du Cathare, encore plus noirs et alarmants que la partie supérieure. S'il s'était trouvé au pied d'un mur de roche à son arrivée quelques instant plus tôt, il était à présent au sommet d'un autre, et celui-ci ne semblait guère avoir de fin. Il avait jeté un oeil prudent vers le gouffre, et n'y avait vu absolument rien. Les parois du mur lui-même disparaissaient dans l'obscurité. En levant la tête, il avait constaté que les créatures se jetaient pour leur part en direction de l'abîme, avec le calme sinistre qui avait caractérisé jusqu'ici la moindre de leurs ondulations dans le ciel. Après avoir fait le tour de la place, d'un côté ou de l'autre, car aucune méduse ne passait en ligne droite, elles venaient ensuite s'élever légèrement une fois à la limite de la falaise pour redescendre avec souplesse vers les bas-fonds, par groupe de deux ou trois. Leur ombrelle produisait un élan puissant comme elle les dirigeait dans la fosse. La présence de Light ne perturbait en rien leur rituel. Il les avait appelé, presque sèchement, par agitation davantage que par curiosité. Aucune d'elle n'avait daigné lui répondre, et il lui était rapidement apparu qu'il était à leurs yeux aussi insignifiant qu'un grain de sable pouvait l'être pour lui.

Puis il s'était penché vers le précipice, avait attendu un peu, scrutant les ténèbres, et alors il avait entendu, aussi distinctement qu'il devait l'entendre des années plus tard, la voix de L qui l'appelait par son prénom, d'un ton presque langoureux.


I said I never felt my heart like this

J'ai dit que je n'avais jamais senti mon coeur comme ça

She said I never felt my body

Elle a dit "je n'ai jamais senti mon corps"

I always thought the point of love was just

J'ai toujours cru que le but de l'amour était juste

To keep from, to keep from

d'éviter de, d'éviter de

Falling into the deep blue, the deep blue

Tomber dans le bleu profond, le bleu profond

Falling into the deep blue, the deep blue

Tomber dans le bleu profond, le bleu profond

Extrait du morceau Deep Blue de The Midnight


31 mars 2008, 9 heures 10, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.

Light se souvenait être demeuré un long moment perché au bord de la crevasse, ses pensées comme court-circuitées, les méduses de verre poursuivant sereinement leur descente autour de lui. Elles n'avaient pas non plus réagi à l'appel, et il lui était venu à l'esprit l'idée que seul lui avait potentiellement été en mesure de le percevoir. Troublé, et mû par une sorte de curiosité pernicieuse, il s'était penché de nouveau, et la voix de L, plus clairement encore que la première fois, avait envahi la noirceur du précipice. La moindre de ses articulations s'était alors tendue au point qu'un seul mouvement aurait sans doute pu les rompre. Puis la voix s'était interrompu, et Light avait entendu celle de sa mère, suivie de celle de son père, et enfin de Sayu. Elles l'appelaient individuellement, et parfois se rejoignaient pour former une symphonie macabre et doucereuse. Il n'était jamais parvenu à expliquer d'où elles venaient, ni pourquoi. Il se souvenait qu'il était en colère, essentiellement parce qu'il avait peur, et ce en dépit de son statut d'immortel (parfois la mort a peur du noir). Il se souvenait également avoir eu peur parce qu'il ne comprenait pas. La question était toujours en suspens lorsque le roi l'avait convoqué pour faire de lui son émissaire, et l'était encore davantage depuis qu'il savait ce qui rôdait potentiellement sous la surface des océans terrestres.

En observant le dos voûté de L, qui le précédait en direction de la salle de réunion du Svetlana, il pensait au jour où il était finalement revenu dans les Plaines après son errance prolongée, avec la même indifférence pour ses semblables qui avait caractérisé son départ et que ces derniers lui avaient par ailleurs aimablement rendu. Ils avaient fini par comprendre le mépris que Light éprouvait à leur égard, et la répugnance condescendante avec laquelle il accueillait chaque tentative de conversation avait achevé de faire de le rendre antipathique même aux yeux de congénères dont le parcours de vie était probablement équivalent, si ce n'était pire, comparé au sien. En conséquence, pas un seul d'entre eux n'était venu le saluer ou l'interroger sur son exploration, mais quelques shinigamis avaient levé la tête en le voyant passer : Light les soupçonnait d'avoir simplement voulu vérifier qu'il s'agissait bien de lui, et pas d'un autre qui était allé s'égarer dans les Limbes. Il avait été faire son rapport auprès du roi immédiatement après être rentré, comme celui-ci l'avait exigé le jour de son départ.

- Tu viendras...me parler...à ton retour...et me dire...ce que tu as trouvé... Puis sa respiration s'était mise à hoqueter, et Light avait compris qu'il riait. Si tu trouves...quelque chose, avait-il ajouté par la suite.

Light avait bel et bien trouvé quelque chose, mais contrairement à ce qu'il avait envisagé en arpentant le sable des Limbes dans le sens inverse, ayant laissé loin derrière lui la fosse, les méduses et le mur de pierre, il avait tout confié au souverain hors d'haleine, sans omettre le moindre détail.

- J'ai vu des méduses géantes dans le ciel, avait-il dit, même s'il n'était plus très sûr de l'avoir formulé ainsi (la mémoire en premier). Je les ai suivies, elles allaient vers un gouffre au bord du monde, qui avait l'air de tomber indéfiniment.

- Est-ce que...tu as...regardé ? Lui avait demandé le roi, et il était évident qu'il savait parfaitement ce que Light allait répondre.

En répondant par l'affirmative, ce dernier avait vu les coins de la bouche du monarque se soulever nettement et affreusement vers le haut.

- Qu'est-ce que...tu as..entendu ?

- Des voix.

- Quelles voix ?

Ryûk se trouvait dans les parages au moment où il faisait son récit au souverain, par un hasard beaucoup trop bien orchestré pour en être un. Lorsque la question avait échappé au roi, Light l'avait senti, plus qu'il ne l'avait vu, lever la tête de sa contemplation rêveuse du sol pour leur accorder toute son attention.

il ne faut pas qu'il sache

- Des voix d'avant, avait-il affirmé. Des gens que je connaissais.

Le sourire du roi s'était élargi. Light avait vibré d'une rage presque aussi paisible que les méduses qui avaient flotté au dessus de sa tête.

Le rapport ne s'était guère poursuivi. Sans un mot à l'égard des méduses, ni la moindre explication concernant le gouffre et les voix, le roi avait renvoyé Light à son ennui, et congédié Ryûk par la même occasion, se retrouvant ainsi seul dans son palais de pierre avec Nu. Par la suite, les rares fois où Light avait été rappelé ou lorsqu'il était venu de son plein gré, un événement plus rare encore, ni lui ni le souverain n'avaient fait référence à son expédition, ni à ce qu'il y avait découvert. Pas que l'envie ne l'eût guère tenaillé, car il était évident que le monarque, tout hors d'haleine qu'il était, dissimulait quelque chose - il dissimulait des millions de choses, en vérité, mais celle-ci avait appartenu brièvement à Light, et il lui tenait à cœur d'en savoir plus - et qu'il ne partageait ces connaissances qu'avec Nu. Les premiers jours, Light était presque devenu fou en attendant, ou plutôt en espérant, une nouvelle convocation royale, mais passé trois semaines, sa furie s'était atténuée avec autant de discrétion qu'un feu de forêt après une averse.

- Tu es là depuis déjà un bon bout de temps, lui avait fait alors remarqué Ryûk. Ça commence à te monter à la tête.

À présent que sa situation avait drastiquement changé, qu'il était de retour sur Terre et que l'enquête révélait des éléments incongrus, tant du côté du Cathare que dans le monde des vivants, Light hésitait à aborder le sujet avec L. La possibilité demeurait vague et nébuleuse, mais elle s'accrochait à son esprit avec la force du désespoir. Jamais le roi ne lui avait interdit de parler de ce qu'il avait vu dans les Limbes, qu'il eût question des autres shinigamis ou des êtres humains. Les raisons lui en paraissaient encore peu claires, et à bien y songer, il ne pensait pas devoir se pencher sur une telle problématique un jour, mais les disparitions sur Terre étaient parvenu à changer la donne, et leurs récentes trouvailles au fond des océans avaient achevé de le convaincre. Light avait de plein gré refusé de partager ses informations aux autres dieux de la mort dans les Plaines, mais c'était parce qu'il ne pouvait souffrir ses semblables. L était autre chose, qu'il ne pouvait pas souffrir non plus, mais d'une toute autre façon. Il avait rêvé à bord du Svetlana, et il se souvenait que l'un de ces rêves retentissait encore de la voix du détective qui l'appelait par dessus le bord du précipice. Il y pensait chaque fois que L disait son prénom, et l'occasion s'était présenté plus d'une fois depuis qu'ils avaient embarqué. Nenn lui avait dit qu'il serait puni à condition de trahir le roi, et si son avertissement n'avait pas été tomber dans l'oreille d'un sourd, il était toutefois avéré que Light se souvenait également très bien des limites imposées par le monarque, et surtout des lacunes de celles-ci.

- Il faudra qu'on parle, dit-il à L quand ils commencèrent à s'installer dans la salle de réunion.

- À propos de Nenn ? Répondit le détective.

Ses yeux parcouraient le document de synthèse qu'ils avaient rédigé ensembles, quelques heures avant la réunion. Light aurait aimé qu'il daigne lui accorder son attention, mais il reprenait doucement l'habitude du fait que celle-ci était bien souvent tout sauf visuelle, et que L ne la concédait qu'en cas d'informations capitales.

- Non. À propos de quelque chose que j'ai vu dans le Cathare.

La mention de Nenn lui ramena en tête sa précédente conversation avec la porte-parole, et tout ce qui l'avait précédé. Ses pensées s'attardèrent sur les morceaux de l'erlenmeyer au sol, sur l'idée du cou de L contre ses lèvres, et le mit dans une colère noire et froide.

- Quelque chose en rapport avec l'enquête ?

- Peut-être, dit Light. Je ne suis pas sûr.

Et L le regarda.

- Mais tu penses que ça vaut la peine d'être mentionné, comprit-il.

Light acquiesça d'un hochement de tête. Il s'écartait tout juste du détective qu'un brouhaha envahissait la pièce, alors que les premiers membres de l'équipage venaient s'y installer, chacun apportant une petite contribution culinaire. Smirnov, après les avoir gratifié d'un tonitruant "Salut les assistants !" pourtant encore rauque de sommeil, déposa sur une table contre le mur une cafetière et un panier de viennoiseries miniatures. Van Lunet, qui était, pour des raisons aussi mystérieuses que le nombre total de paires de lunettes qu'il avait emmené à bord, toujours réveillé avant ses honorables confrères, les salua avec sa politesse habituelle. Le matin, sa voix se teintait d'un accent bavarois qui lui faisait rouler ses "r" plus longtemps que d'habitude et pouvait parfois ressortir lorsque la soirée se prolongeait au delà de minuit. Il portait une monture léopard d'un vert pétant dont la couleur remarquable tendait néanmoins à jurer avec sa blouse blanche, qu'il ne quittait pour ainsi dire presque plus. Tout en mouvements précautionneux, il vint placer sur la table des gobelets de carton et des serviettes, pour accompagner les croissants, pains au chocolat et chaussons aux pommes que Smirnov avait laissé là. Il fut suivi de près par Tailcoat, qui parvenait invariablement depuis leur embarquement à demeurer impeccable, quelles que fussent les circonstances, puis par le chef mécanicien Wankel et le lieutenant Seashell. À peine entré, Tailcoat se saisit du panier de viennoiseries et de la cafetière pour en proposer à tout le monde, avec un sourire si amical qu'il était difficile de le lui refuser. L'attention de L avait dérivé vers l'écran d'ordinateur qu'ils avaient apporté en vue de vérifier leurs notes. Celle de Light était de retour dans le Cathare, et regardait les méduses voguer au dessus de lui dans un froufrou aquatique.

Qu'est-ce que tu as entendu avait dit le roi et tu vas le trahir avait dit Nenn

Ils furent officiellement au complet à 9h15. Les rares membres de l'équipage étant absents étaient ceux dont la fonction ne pouvait être interrompue, et ceux qui étaient présents s'étaient engagés, comme auparavant, à leur faire parvenir les informations échangés au cours de la réunion. Ils étaient admirablement tranquilles comparativement aux précédentes conférences qui s'étaient tenues à bord, et dans leur silence relativement homogène (car Langlois avait entrepris de débattre furieusement avec Al Qasim sur ce qui définissait clairement un corail tandis que Pierre et Lelou prenaient gaiement des nouvelles de la crise d'herpès de Deville, étrangement invisible sur toutes les parties exposées de sa personne) transparaissait une sorte d'impatience et d'angoisse qui était de toute évidence étroitement reliées à leurs découvertes des jours précédents. Lameloise fut le dernier en place. Quand il fit irruption dans la pièce, aussi souplement qu'un chat se glissant par l'entrebâillement d'une porte, les yeux noirs de L fondirent sur sa silhouette avec autant de compassion qu'un rapace sur une proie sans défense.

- Est-ce que tu lui as parlé depuis l'épisode du labo ? S'enquit-il auprès de Light, alors que celui-ci s'approchait pour relire les éléments qu'ils avaient conjointement décidé de transmettre à leur public.

- Tout à l'heure, en allant chercher le petit déjeuner.

- Et ?

- Et quoi ?

C'était mesquin, et inutile, mais Light retira un plaisir suffisamment acéré du coup d'œil que L voulut bien lui accorder.

- Tu sais quoi, Light-kun, déclara t-il d'un ton presque sec.

Light consentit à laisser tomber la perche. Elle était trop lourde, et il ne voyait plus l'intérêt de la tenir à présent qu'il existait de nouveau dans le champs de vision du détective. Il haussa néanmoins les épaules, sachant pertinemment que sa nonchalance avait plus d'une fois irrité L plus que de raison.

- Il n'a pas dit grand-chose, répondit-il. L'occasion ne s'y prêtait pas.

- Mais il a dit quelque chose, retint L, et Light se rendit compte qu'il avait oublié la tendance du détective à se saisir de tout, et surtout de ses propres mots.

- Il a posé des questions, lui accorda le shinigami, observant les yeux de L suivre Lameloise, qui s'asseyait gracieusement près de Smirnov, d'un air prédateur comme si ce dernier avait été l'équivalent d'une gazelle blessée en pleine savane. Rien d'extravagant. Il est curieux, mais je ne crois pas qu'il soit dangereux.

- Quoi, de la façon dont tu étais dangereux ?

et voilà le lion

- Ça n'a rien à voir, objecta Light froidement.

- Ça a tout à voir. Il y a une taupe à bord. Tu en étais une. Tu travaillais pour ton propre compte, c'est tout.

- Ce n'est pas l'endroit.

- Ça l'est toujours, répliqua L, l'air épuisé mais plus vif encore qu'un serpent.

- Juste parce que tu ne m'aimes pas n'implique pas que tu doives te méfier de tout ceux avec je discute.

L lui renvoya une ébauche de sourire méprisant.

- Tu discutes, maintenant, Light-kun ? Avec un aide-cuisinier ?

- Et maintenant, tu cumules la paranoïa avec la condescendance. Il a une conversation intéressante.

- À propos de quoi ? Les meilleures marques de casseroles ?

L'arrogance était persistante et n'avait guère changé depuis sa mort, mais le ton hargneux, lui, était définitivement nouveau.

- À propos de toi, Ryûzaki, avant d'ajouter, simplement pour le principe : c'est triste de se voir uniquement comme un ustensile de cuisine.

Tout à son son honneur, L ne releva pas. Il renvoya néanmoins la plaisanterie avec autant de souplesse qu'il avait renvoyé la balle de tennis, le jour où ils s'étaient affrontés pour la première fois sur le campus de Tokyo.

- Pas plus de que voir que ton seul sujet de conversation avec les autres tourne autour de moi.

- Ce n'est pas le cas. L'occasion s'est présentée. Tes chevilles enflent.

- On en reparlera quand elles auront atteint la circonférence de ton ego, Light-kun.

L souriait en lui assénant sa réplique, et Light n'avait jamais aimé ce sourire en particulier, celui qui avait toujours l'air de venir d'un recoin sombre de l'esprit du détective auquel même lui n'avait pas pu avoir accès.

- Ça ne prendra pas longtemps, affirma t-il, et le sourire de L s'élargit, lui donnant l'air de quelqu'un d'autre.

- Peut-être, admit celui-ci, clôturant ainsi leur joue verbale. Qu'est-ce qu'il a dit ?

- Sur toi ? Ou sur les casseroles ?

Tailcoat les interrompit poliment pour leur distribuer des viennoiseries et du café. L avait emporté sa tasse avec lui depuis le laboratoire, mais Light y avait laissé la sienne, et il accepta de se faire servir non sans une certaine gratitude. Les dieux de la mort n'avaient pas besoin de dormir : il se sentait néanmoins quelque peu vaseux, et passer la nuit à ruminer sur la réaction du détective, les menaces tacites du souverain et le discours de Nenn (tu vas le trahir) lui avait mis les nerfs à vif, autant qu'ils pouvaient l'être désormais, état qui ne pouvait définitivement pas s'améliorer s'il persistait dans son échange avec le détective.

- Si tu continues à jouer l'idiot, Light-kun, je vais vraiment finir par croire que le monde des shinigamis a déteint sur toi, déclara sèchement ce dernier.

- Oh, il a déteint. À qui la faute ?

Pendant une fraction de seconde, à la limite de l'infinitésimal, au cours de laquelle il crut voir des brides d'émotions confuses animer les traits habituellement inertes du visage de L, il regretta presque avoir attaqué de la sorte, car le détective lui sembla alors prêt à lui lancer un autre projectile à la figure, de préférence un qui puisse se briser en morceaux, de sorte à ce que Light se retrouve pour la seconde fois à les observer sur le sol dans l'incompréhension et la rage les plus absolus. "Je n'aurais pas du dire ça" fut une pensée qui lui traversa l'esprit avec une telle sincérité qu'elle acheva de le mettre en colère, de même que l'image des deux trônes qui l'avait obsédé quand il était vivant et que L paraissait plus accessible.

- La tienne, finit par déclarer le détective, et sa voix était très calme, proche d'un murmure. Tu le sais parfaitement.

Light attendit que son dégoût et sa rancœur explosent, mais rien ne vint, à l'exception du reflet des yeux noirs de L quand il l'avait vu s'effondrer ce jour-là, et l'absence totale de satisfaction féroce que Light aurait cru y apercevoir.

- Peut-être, lui concéda t-il après tout, car il sentait que sa colère avait des airs d'erlenmeyer brisé. On devrait commencer. Je te raconterais ce qu'a dis Lameloise après la réunion, si ça t'intéresse toujours.

Ce n'était pas une victoire, mais la façon dont L le regarda, à mi-chemin entre l'étonnement et la tristesse, lui indiqua tout aussi nettement que ce n'était pas une défaite non plus.

x

L'équipage du Svetlana pouvait se montrer une foule impétueuse et indisciplinée, et chacun de ses membres avait eu plus d'une occasion de le démontrer au cours du peu de temps que Light et le détective avaient passé sur le navire. Néanmoins, ils étaient également capable de faire preuve d'une grande capacité d'écoute et d'une rigueur qui, bien que surprenante compte tenu des multiples occurrences au cours desquels ils s'étaient illustrés par leur non sens, en faisait un ensemble appliqué et consciencieux. Il fallait simplement que le sujet soit suffisamment grave pour éveiller un minimum de crainte au sein de leurs esprits bouillonnants. Au tout début de l'enquête, et malgré la gravité des disparitions, la prise de distance avec ces dernières et le manque total d'éléments pointant dans une direction plus obscure qu'humaine (ou tout du moins, plus incompréhensible) les avaient rendu légers et peu soucieux de savoir ce qui pouvait bien se passer en dehors de leurs cabines. Une fois le danger amené sur place, et celui-ci s'étant révélé beaucoup plus gros que prévu, les lumières semblaient s'être allumées à tous les étages. Ils furent ainsi particulièrement attentifs durant l'heure et demie que dura la réunion de mise au point, et limitèrent considérablement leurs interruptions pour poser des questions qui se révèlent pertinentes et en rapport avec le sujet général (bien qu'une courte digression fut observée au moment où ils abordèrent l'éventualité d'une loi du silence mondiale et où, signalant la présence non expliquée d'Israël dans la liste des pays ayant signé le document reçu la veille, qu'ils avaient fait tourner auprès des membres de l'équipage, Langlois se distingua par une remarque selon laquelle Israël était "peut-être un mythe", ce à quoi Al-Qasim répondit en s'étouffant à moitié dans son café). Ils jurèrent également de conserver pour eux les informations transmises au cours de la réunion, ainsi que l'exigèrent L et Light, s'abîmant dans une attitude de soumission qui n'était guère si surprenante compte tenu du niveau de respect qu'ils avait exhibé à l'égard des deux prétendus assistants depuis le début de l'enquête.

- Il va falloir changer complètement d'approche, leur annonça Light. On doit partir du principe qu'on ne peut faire confiance à personne.

La distribution des copies du document envoyé par Watari provoqua des réactions éloquentes dans leur petite assemblée. Pour beaucoup, la compréhension de son contenu se révéla ardue, mais les membres ayant réussi à déchiffrer la nature de la déclaration (et il y en eu étonnamment davantage que ce que le détective ou Light avait pu envisager au cours de leur concertation dans le laboratoire, entraînant chez le premier une vague de suspicion que le shinigami repéra au pouce venant se loger entre ses lèvres) se portèrent volontaires pour faire la traduction aux autres.

- Même entre nous ? Comprit Lameloise, prenant la parole pour la première fois au cours d'une réunion.

Les yeux de L se vrillèrent sur lui avec autant de précision et de volonté de destruction qu'une torpille.

- Surtout entre nous, asséna le détective. Il y a une taupe à bord qui s'amuse à faire parvenir toutes nos avancés significatives aux médias. Aux dernières nouvelles, le phénomène est toujours d'actualité.

Lameloise parut se recroqueviller quelque peu sur lui-même, et Light en éprouva presque une pointe de pitié, rapidement balayée toutefois par le souvenir de sa dernière conversation avec l'assistant de Pronto.

Est-ce qu'on vous a déjà dit que vous aviez un patron particulier ?

tout ce qui est contre moi contre lui contre nous

En vérité, la remarque du détective jeta un froid sur l'assemblée, qui échangea des coups d'œils rapides et angoissés. Il était très probable jusqu'à lors que personne ne leur ait jamais dit qu'il fallait se méfier les uns des autres, et la modification de ce paramètre semblait de toute évidence les terrifier, à l'inverse de Light et L qui avaient basé leur deux existences respectives sur la suspicion à l'égard d'autrui. En revanche, si L estimait que la vigilance était la clé de tout les problèmes et qu'un peu d'anxiété ne pouvait pas faire de mal, Light savait néanmoins que la peur engendrée par la crainte constante de voir un ami se transformer en ennemi pouvait sérieusement mettre à mal le déroulement de l'enquête, et il vint par conséquent atténuer les propos du détective.

- Nous ne sommes sûrs de rien, annonça t-il d'un ton effroyablement compréhensif, et le tout sous l'œil critique de L, qui ne partageait pas son opinion. Mieux vaut se montrer un petit peu plus prudent que d'habitude, c'est tout. Vous n'avez pas besoin de penser que tous vos collègues ont des activités louches, il vous suffit juste de l'envisager et de faire un peu plus attention qu'en temps normal, au moins jusqu'à ce que nous ayons tiré cette affaire au clair.

Sa dernière remarque obtint l'effet escompté, et les membres de l'équipage semblèrent se décontracter à la possibilité d'une situation temporaire, reprenant leurs bavardages et se montrant respectivement des extraits de la déclaration sur un ton plus badin que celui qu'ils avaient employés avant le discours tranquillisant de Light.

Ils laissèrent la parole à Van Lunet et Deville pour la présentation des avancées au sujet de l'œuf, qui portait désormais fièrement son qualificatif et qu'aucun des deux experts ne manqua de rappeler au cours de son laïus.

- Cet œuf, car c'est bel et bien un œuf, est très vraisemblablement la progéniture de notre espèce I, démarra Van Lunet avec l'aplomb d'un politicien sur le point de débuter une campagne présidentielle, ce qui eu pour mérite de déclencher une vague de chuchotements parmi l'assemblée, car aucun des membres de l'équipage n'avait jusqu'à lors été clairement informé du statut de la découverte.

Light, jetant un coup d'œil à la dérobée à Lameloise, remarqua que celui-ci hochait la tête d'un air attentif, appréciant probablement la justesse de sa propre déduction lorsqu'il était venu au laboratoire pour découvrir à son tour la trouvaille de l'expédition sous-marine. Il le vit glisser une remarque à Smirnov, qui se trouvait juste à coté de lui, et celle-ci lui adressa en retour un sourire indulgent.

Et si la taupe était deux ?

Ils n'avaient pas ouvertement discuté de l'éventualité d'une complicité à bord, mais Light se doutait que L devait probablement y avoir pensé, d'autant plus que lui et Misa avaient agi en duo, ou presque, du temps où Kira était en pleine ascension. Bien que Smirnov ne possédât guère à première vue les attributs caractéristiques d'un agent double, L comme Light avaient tous deux rapidement appris à ne pas se fier aux apparences, et l'émergence de la déclaration confidentielle entre les pays au sujet des disparitions avait entraîné une recrudescence de leurs soupçons vis-à-vis des membres de l'équipage, indépendamment des jugements qu'ils avaient pu émettre antérieurement.

- Pour le moment, rien n'est encore certain à cent pour cent, poursuivit Van Lunet. Pour être tout à fait honnête, nous ne pouvons même pas affirmer en totalité qu'il s'agit d'un œuf, car toutes les marques typiques qui nous permettent de désigner un œuf à l'heure actuelle, telle que la présence d'un embryon, ce qui constitue le moyen le plus simple d'être fixé, ne peuvent pas être vérifiées à bord du Svetlana.

- Vous ne savez pas comment faire ? Intervint l'un des jumeaux d'un ton naïf et respectueux, mais sans véritablement réaliser qu'il manquait ouvertement de respect à l'ensemble de l'équipe scientifique.

Light sentit, plus qu'il ne le vit, Al-Qasim prendre une longue et profonde inspiration pour se calmer les nerfs. Deville eut l'air prêt à déclencher une véritable crise d'herpès. Van Lunet, pour sa part, demeura un modèle de sérénité, mais l'arrangement des traits de son visage, quelque peu crispés, trahirent très rapidement sa confusion face à la remarque de Pierre (ou Lellou).

- Non, mon cher petit, non, dit-il, et il accentua le "mon cher petit" probablement en guise de vengeance subtile visant l'apaisement d'Al-Qasim. Nous savons comment faire. Le problème vient du manque de matériel adéquat, et non de lacune dans nos compétences respectives.

Il reçut en guise de réponse le visage compatissant de Lellou (ou Pierre), dont la bouche prit la forme d'un "oh" de réalisation soudaine et qui hocha doucement doucement la tête pour bien signifier qu'il avait compris.

- Et vous voulez qu'on vous ramène en ville ? Pour vérifier ? Proposa alors Smirnov.

- C'est une possibilité, déclara Van Lunet. Ce que nous supposons être la coquille est, comme je vous l'ai expliqué, une membre incroyablement épaisse, qui nécessiterait très certainement des outils beaucoup plus perfectionnés que ceux dont nous disposons ici pour faire nos analyses. Bien sûr, nous pourrions toujours tenter de la briser pour voir ce qu'i l'intérieur, mais si nous ne sommes pas sûrs de trouver quelque chose à l'intérieur, il paraît plus logique de procéder à un examen au préalable, sans quoi les risques paraissent trop grands s'il s'avère que c'est bien un œuf, ou trop disproportionnés si ce n'en est pas un. De plus, j'ajouterais que nous aimerions conduire quelques recherches complémentaires sur le terrain avant d'enclencher le moindre mouvement.

- Ne me dîtes pas que vous voulez replonger ? Maugréa Langlois, qui voyait visiblement la chose venir à mille kilomètres (et avec raison).

- Ça vous pose un problème ? Grommela Al-Qasim avec une vivacité agressive qui n'appartenait véritablement qu'à lui.

Langlois sembla prête à cracher des flammes.

- Si c'est moi qui doit encore le piloter, oui, ça me pose un problème ! Il y a un truc qui détruit des bateaux d'un coup de nageoire, en bas au cas où vous l'auriez oublié ! Et puis il fait noir !

- C'est le principe des abysses, ma chère, déclara Al-Qasim d'un ton faussement aimable. Qu'est-ce qui se passe ? Vous voulez qu'on vous mette une veilleuse ?

- Et vous voulez qu'on vous mette un pain ?

- Par pité, pas d'effusion, je vous en conjure ! S'exclama Newton, coupant court à toute autre tentative des membres de l'équipage de s'interposer entre leur lieutenant tout feu tout flamme et le médecin-légiste, qui n'était pas en reste. La situation est assez critique comme ça !

Tout le monde parut d'accord sur ce point, et Langlois comme Al-Qasim acceptèrent de mettre un terme à leur prise de bec pour se tourner vers Van Lunet, qui eut presque l'air surpris de retrouver l'attention de son public, mais en fut apparemment enchanté.

- Bien, reprit-il. Merci, vénérable collègue, pour votre intervention salutaire. Comme j'allais le dire, il est impératif que nous retournions examiner les lieux où nous avons fait nos découvertes, pour des raisons aussi multiples qu'évidentes.

À l'expression que lui renvoyèrent les membres de l'équipage du Svetlana, les dites raisons étaient tout, sauf évidentes. Van Lunet se racla la gorge, rendu visiblement mal à l'aise par cette incompréhension généralisée.

- Le fait est que nous devons tout d'abord vérifier l'éventuelle présence d'autres éléments que nous aurions pu omettre au cours de notre première visite, et qui seraient tout aussi précieux pour en savoir davantage sur l'espèce que nous supposons coupable des disparitions que nos deux trouvailles actuelles, bien que l'œuf doive encore faire ses preuves, idéalement par des vérifications appropriées.

Il fut à deux doigts de rajouter autre chose, puis referma la bouche avec l'air de quelqu'un pris la main dans la sac. La consigne relative à la possibilité d'une éclosion demeurait valable : tant qu'aucun des membres de l'équipage ne l'abordait, le principe était d'éviter soigneusement la question et d'en dévier le plus possible leur attention, par souci de limiter les risques d'un vent de panique se répandant à bord.

- En outre, nous n'excluons pas l'idée que l'agencement du terrain océanique puisse nous fournir quelques informations supplémentaires relatives à l'espèce I, ainsi que nous l'avons nommée.

- Quoi, vous allez déduire ce que c'est à partir du sable ? En conclut Langlois, qui n'avait pas perdu de son ardeur pour autant.

- Pourquoi ? Ré-attaqua immédiatement Al-Qasim. À partir de vos remarques, on peut bien déduire que vous êtes une...

- Non ! Fit promptement Van Lunet, levant les bras et agitant les mains dans des gestes d'une confusion extrême mais qui parvinrent à désamorcer la bombe se profilant juste sous ses yeux. Non, enchaîna t-il tout aussi rapidement, nos compétences ne sont pas aussi étendues, j'en ai bien peur, mais certains aspects de la faune et de la flore sous-marine à cet endroit précis pourraient nous renseigner davantage, ou tout moins nous le supposons. Bien entendu, nous ne vous obligerons pas à nous accompagner de nouveau dans cette seconde descente, il va de soi que vous avez déjà largement contribué à notre réussite actuelle et méritez de prendre du repos. Nous verrons probablement en fin de réunion auprès de qui nous pourrions nous adresser ?

L'interrogation était générale, mais le regard de Van Lunet était expressément dirigé vers L et Light. Tous deux acquiescèrent en silence, et le débat fut clos sur ce point avant même qu'une autre personne de l'assemblée ait eu le temps d'émettre son avis (ou de signaler qu'elle avait la moindre envie de le faire).

- C'est entendu, annonça Van Lunet. Dans ce cas, je vous propose d'écouter maintenant notre vénérable et bien-aimé confrère Antoine Deville, dont les connaissances en océanologie nous ont permis d'arriver aux conclusions que vous allez entendre.

S'en suivit une vague de remerciements presque gênante de la part de Deville, qui vira à un moment vers une confession personnelle à l'encontre de sa vie de couple et de ses relations avec sa mère dont le contenu sembla passionner au plus haut point les membres de l'équipage, certains lui posant quelques questions dégoulinantes d'une gentillesse touchante, et qui se vit rapidement annihilée par Al-Qasim qui menaça ouvertement de le passer par dessus bord. La discussion aurait pu tourner en rixe sans un rappel à l'ordre de L, replié sur une chaise pivotante à dossier, observant la scène de loin avec tout le détachement d'un spectateur totalement externe. Light perçut néanmoins un agacement tangible percer dans sa voix. Lui-même commençait à en avoir assez. Il ne parvenait pas à se sortir l'erlenmeyer du crâne, ni les méduses, ni la façon presque amoureuse avec laquelle la voix de L l'avait appelé par dessous le gouffre des Limbes.

- Plusieurs éléments nous indiquent que l'espèce qui serait responsable des disparitions en mer vivrait en partie, si ce n'est totalement, dans les abysses océaniques, commença Deville.

Il accompagnait ses explications d'un powerpoint ayant de toute évidence était concocté la veille, mais dont la précision chirurgicale et la clarté quasi-céleste rendaient hommage à son créateur.

- En premier lieu, les tests que nous avons effectué au laboratoire confirment la bioluminescence de l'écaille. Nous avons procédé à plusieurs essais dans des conditions et tous se sont avérés positifs.

Licht leva la main. Deville parut vouloir l'ignorer, mais Luz, voyant son camarade oser quelque chose, s'empressa de l'imiter avec une loyauté attendrissante, abandonnant tout espoir pour Deville de faire comme s'ils n'existaient pas.

- Je vois des commentaires, oui ? Dit-il, et son accent français se glissa dans son ton, comme il avait tendance à le faire chaque fois que Deville était irrité.

- Vous pouvez juste expliquer cette histoire de bioluminescence ? On comprend bien que ça a à voir avec la lumière, mais on ne voit pas dans quel contexte.

Le plus souvent, il arrivait qu'un membre de l'équipage parle pour tous les autres. Si le phénomène pouvait s'avérer pratique, comme dans des cas de ce genre, limitant les interventions et par conséquent les interruptions, il y avait néanmoins quelque chose de potentiellement inquiétant dans une telle fusion des esprits et des pensées, qui formaient alors une entité beaucoup plus menaçante et puissante que la folie primitive de chacun de ses membres n'aurait pu le laisser présager.

- Certainement, mon brave, répondit Deville d'une façon explicitement méprisante. La bioluminescence est une capacité possédée par certains êtres vivants leur permettant de produire eux-même leur propre lumière quand leur environnement ne leur offre pas cette possibilité. C'est un phénomène très fréquente dans les abysses, qui sont situées à une telle profondeur que la lumière du soleil ne peut pas les atteindre.

- Ah, ce sont les animaux qui se transforment en boules discos, alors ? Comprit Smirnov, et sur le visage de Deville s'imprima comme un désir immodéré de l'étrangler.

- Je n'utiliserais pas ce terme-là, poursuivit-il. La bioluminescence, quand elle est observée, a le plus souvent tendance à être continue, ce qui n'est pas le cas d'une boule à facette.

- Mais ça peut arriver ? Insista Smirnov.

Cette fois, Devilla parut prêt à dérouler un tapis de Yoga pour se mettre en position de l'arbre.

- Ce n'est pas totalement impossible chez certaines espèces, articula t-il difficilement, les mains jointes dans une attitude qui auraient pu évoquer une prière si elles n'avaient pas été serrées au point de devenir très rouges.

Smirnov, quant à elle, fut ravie de sa propre perspicacité. Elle se renfonça dans le dossier de sa chaise et Lameloise lui sourit, mais un sourire que Light perçut comme étant mi-déconcerté, mi-amusé et mi-attendri.

Aucun des autres n'a réagi comme ça aucun absolument aucun

- Nous parlons cependant ici d'un cas classique de bioluminescence, donc continue, continua Deville, rasséréné par sa reprise de contrôle. L'écaille que nous avons trouvé là où les morceaux du ferry chilien San Rafael ont échoués produit une lumière au carrefour entre le bleu et le vert, ce qui correspond à une grande majorité des espèces connues déployant cette capacité. La durée de production est pour le moment indéterminée, mais il est très probable que celle-ci soit permanente sur un spécimen vivant, et adaptable. En d'autres termes, nous nous attendons à ce que la bioluminescence ne se déclenche qu'une fois la zone abyssale atteinte, ou lorsque les sources de lumières au delà sont réduites, par exemple la nuit. Comme l'œuf, la taille de cette écaille et ses autres caractéristiques apparentes, qui comprennent des signes distinctifs de son statut d'écaille, nous ont amené à supposer qu'elle est issue d'un membre de l'espèce I. Lorsqu'elle a été découverte, la manifestation de sa bioluminescence a démontré que l'espèce est au minimum adaptée à la vie abyssale, et donc à s'y rendre de manière plus ou moins fréquente. De plus, la circonférence de l'écaille tend à suggérer un animal de très grande taille.

Langlois leva la main. Deville l'ignora. Ber leva la main à son tour, et Deville soupira de dépit. C'était la première fois qu'il prenait la parole en réunion.

- Oui ?

- Vous classez "très grande taille" à partir de combien, exactement ?

- Ça dépend. À combien l'estimez-vous, en ce qui vous concerne ?

Ber hésita quand tous les autres pivotèrent pour le dévisager en attendant sa proposition.

- Eh bien, commença t-il, j'ai vu des baleines. Et je vois à peu près un cachalot. Je vois aussi à peu près un calmar géant. Pour moi, ce sont des grandes tailles.

Il fut approuvé par les hochements de tête de tous ses camarades, mais l'œil de Deville avait pris une lueur d'intelligence aiguë presque déplaisante.

- Et ça ne colle pas, dit-il à Ber. Vous me parlez de grandes tailles et ça ne colle pas avec ce que vous savez.

- Non, confirma Ber. Les disparitions et les navires en miettes, ce ne sont pas des grandes tailles.

Il tergiversa de nouveau, puis, probablement rassuré par les visages familiers des autres membres de l'équipage autour de lui, il regarda Deville droit dans les yeux et lâcha :

- Ce ne sont pas des grandes tailles. Ni même de très grandes tailles. Ce sont des colosses.

Et Deville lui sourit.

- Nous voilà d'accord, affirma t-il. Les cas de gigantismes des profondeurs sont très nombreux dans les abysses, ce qui aura corroboré notre hypothèse principale selon laquelle l'espèce I va dans les abysses, mais aucun n'excède probablement ce que nous cherchons. Qui plus est, nous ne savons pas exactement de quelle partie de son corps est issue l'écaille. Certaines d'entre elles sont souvent plus petites en fonction des zones qu'elles couvrent. Nous pourrions tout à fait tomber sur un élément trois fois plus grand au cours de notre prochaine exploration.

La perspective ne fit pas l'unanimité, sans surprise.

- Mais vous le saviez déjà, nota Devilla. On ne vous apprend rien, nous en avons déjà discuté. Il suffit de regarder l'état des bateaux pour comprendre.

Light vit, du coin de l'œil, Lameloise glisser une remarque à Smirnov. L'instant suivant, celle-ci levait la main avec une énergie proche du désespoir, alors que la réponse de Deville brilla par son manque d'enthousiasme.

- Oui ?

- Est-ce que ça ne pourrait pas être le résultat d'une attaque de plusieurs spécimens ? Suggéra t-elle. Il y a pleins d'animaux qui attaquent en groupe, alors pourquoi pas les plus gros ? Surtout quand on voit ce qu'il reste des bateaux.

Sa remarque tomba avec la lourdeur d'une chape de plomb. Ce n'était pas que le postulat n'avait pas été envisagé, car il trônait parmi les notes des experts au laboratoire et avait déjà fait l'objet de quelques échanges entre eux, mais la probabilité d'un monstre géant détruisant des navires entiers dans l'océan causait au monde des palpitations, et en faire une bande semblait le meilleur moyen de provoquer une panique générale aux quatre coins de la planète, résultant potentiellement en des conséquences fâcheuses. Ils avaient utilisé le singulier presque par défaut, sans tout à fait affirmer que la créature ait été en mesure de provoquer de tels dégâts seule, mais sans pour autant y opposer l'idée qu'elle le faisait en groupe.

- Il est vrai que nous avons pour le moment concentré notre attention sur un spécimen, s'empressa de déclarer Van Lunet avant que Deville n'explose sous la pression. Ou, plus exactement, nous nous attendons à trouver un spécimen, mais aussi parce que nous espérons en trouver au moins un pour confirmer nos théories. Il est vrai cependant que, comme toutes les espèces vivantes, l'espèce I peut avoir plusieurs représentants dont l'action conjointe serait la conséquence d'une destruction aussi massive de bâtiments maritimes. Cette idée doit rester présente dans nos esprits, mais le fait est que nous nous focalisons sur un seul individu pour pouvoir caractériser l'espèce en question. Si nous parvenons à trouver un spécimen entier, il va sans dire que nous serons en mesure de nous prononcer sur de tels détails.

- Donc on garde en tête la possibilité d'un groupe, mais pour le moment, on essaie déjà de voir ce que ça peut donner avec un seul ? Résuma Langlois, sans lever la main.

Van Lunet approuva d'un signe de tête, puis se tourna vers Deville.

- D'autres éléments à ajouter, cher collègue ?

Deville jeta un coup d'œil distrait à ses notes.

- Pas vraiment. Je pense que nous avons fait le tour, à moins que je n'oublie des choses ?

À nouveau, tous deux dirigèrent leurs regards vers Light et L pour obtenir leur consentement.

- Nous allons continuer les examens au laboratoire et voir ce que nous pouvons obtenir avec une deuxième descente, annonça L. Il est très probable que nous aurons une autre réunion dans peu de temps.

- Juste pour résumer, intervint Seashell, qui avait jusqu'à brillé par son mutisme. On cherche au moins une bestiole, beaucoup plus grande que tous les plus grands animaux marins connus, qui fait de la lumière dans le noir et des allers-retours potentiels entre la surface et les abysses. Et à qui il manque une écaille.

- L'écaille est anecdotique, signala Light.

- Et l'utilisation d'un sonar actif peut provoquer cette montée vers la surface pour éliminer la source de l'inconfort, lança Deville. En particulier les sonars puissants, qui sont repérables depuis les profondeurs.

- Comme le nôtre, observa lugubrement le second mécanicien Spider.

Les membres de l'équipage plongèrent dans un silence éloquent tandis que Van Lunet et Deville éteignaient le matériel informatique et se mettaient à discuter à voix basse, probablement au sujet de l'œuf. L quitta sa chaise.

- Tu retournes au laboratoire ? Lui demanda Light.

- Non, répondit le détective. J'ai besoin d'un café. Et que tu me racontes ce que t'a dit Lameloise.

Et ce que tu as vu dans ton royaume des morts, disaient ses yeux, infiniment plus noir que le ciel du Cathare et le précipite duquel sa voix avait émergé.


" Quand les gens vous prennent pour un monstre, il n'y a qu'une chose à faire :

dépasser leurs attentes. "

Citation de David Homel, écrivain canadien


Indications :

- Oui, les blagues ont été particulièrement inspirées pour ce chapitre (pitié, pas taper !), de même que les comparaisons animalières (la faute à Game of Thrones, ça a fini par déteindre).

- La "donna é mobile" est un des airs d'opéra italien les plus connus créé par Verdi pour la pièce Rigoletto au XIXéme siècle (n'est-ce pas que je vous apprends des choses utiles ?).

- Traduction de l'italien :

Ma qué c'est il assistente numero due ! Come va ? = Mais c'est l'assistant numéro deux ! Comment ça va ?

Va bene = Ça va bien.

Tutto è pronto, vieni qui = Tout est prêt, viens ici.

Il bacon é quasi prêt = le bacon est presque prêt.

Avete bisigno di un'altra cosa ? Invierò il cafe et l'acqua = Vous avez besoin d'autre chose ? J'envoie le café et l'eau.

- Lameloise est mon animal totem essentiellement pour son incapacité à rester éveillé (si si). Pour contre, pour la beauté, on repassera (va pleurer dans un coin sombre). Niveau intellectuel, c'est définitif, je suis plus proche de Deville...et Al-Qasim...et Newton...ahem, bon.

- Les méduses ont été, en outre, inspirées par trois espèces en particulier : la Rhizostoma pulmo, qui est une grande méduse un peu cotonneuse à l'air presque mignon qui ressemble d'ailleurs vaguement à un nuage, la méduse striée du pacifique, beaucoup plus mince que la précédente et tout en filaments (brrrrr) et enfin l'Aequorea victoria, qui est transparente et fluorescente. J'ai également été chercher du côté des petites méduses bioluminescentes des abysses (mais aucune idée du nom de l'espèce, hélas).

- Risque, c'est pour les discussions de Light avec Lameloise (en termes de contenu), le départ en expédition dans les Limbes de Light, ainsi que la découverte de la déclaration internationale par les membres de l'équipage (ce qui les met tous dans une position délicate) et la décision de Light d'en dire davantage sur le Cathare à L.


Pour commencer, laissez-moi vous abonder (ou plutôt, vous submerger, HAHA, pardon) de tous mes remerciements les plus chaleureux (ça tombe bien, nous voilà en juin) pour votre patience à l'égard de la publication de ce chapitre ! J'espère aussi que vous vous portez bien et que vous n'avez pas trop souffert du confinement et même de toute la situation liée à la pandémie !

Comme je le signalais en introduction et même au cours du chapitre précédent, mon rythme de travail s'est beaucoup accentué ces derniers temps puisque j'arrive en fin de thèse et que je dois présenter un premier jet idéalement en août, sachant que la rédaction s'accompagne aussi de rédactions d'articles, de communications et de préparations de cours. Du coup, j'ai estimé plus prudent de décaler la publication de ce chapitre qui devait habituellement avoir lieu en décembre/janvier histoire de ne pas précipiter l'écriture et vous donner à lire une horreur sans nom pleine d'incohérences ! Je vous avoue que j'avais très peur de ne même pas pouvoir publier en juin, mais le confinement lié au coronavirus a tellement ralenti tous mes autres projets que du coup, j'ai réussi à trouver suffisamment de temps et surtout d'énergie pour pouvoir à la fois rédiger la thèse d'un côté et de l'autre ce chapitre, tout en conservant la qualité des deux (enfin, j'espère :P) !

Celui-ci est à nouveau un chapitre très contemplatif et presque bilan, d'autant plus qu'on se concentre uniquement sur le point de Light (alors que j'ai pour habitude d'essayer d'alterner les visions). À la base, j'avais prévu de poursuivre avec Misa et une scène au gouvernement américain, mais le fait est que le chapitre était déjà très long quand j'ai terminé la scène de réunion, et je ne voulais pas qu'il y ait un écart de taille trop important avec les autres chapitres, donc j'ai décidé de couper pour publier la suite dans le vingt deuxième chapitre ! Le concernant, j'ai également des doutes sur sa date de publication (de part mes contraintes actuelles - va chercher une contrebasse parce que là, c'est un désespoir de level over 9000), mais j'espère sincèrement réussir à le proposer pour fin 2020, et ce d'autant plus que j'ai déjà un plan tout préparé puisque les deux scènes principales étaient prévues pour ce chapitre-ci ! Je continue dans tous les cas de vous tenir au courant par le biais de l'introduction, et si jamais je devais prendre à nouveau du retard (puisqu'avec la situation actuelle, mon objectif de soutenance a de très fortes chances d'être lui aussi repoussé, ce qui prolongerait du coup ma charge de travail), je vous préviendrais et essaierais d'être aussi précise que possible vis-à-vis de la date de publication !

D'ici là, je vous souhaite du coup de passer une très bel été (même si les départs en vacances ont l'air d'être légèrement suspendus pour le moment - qui a dit, plus de temps pour écrire ?) et de pouvoir en profiter pour vous reposer et vous changer les idées (surtout avec la douceur de la énième vague de canicule qui a l'air de s'annoncer - la nature essaierait-elle de nous dire quelque chose de façon subtile ? Fait la nana qui écrit une histoire sur des océans qui engloutissent des bateaux, un grand verre à pied d'eau plate à la main et assise les jambes croisées devant une cheminée éteinte dans une bibliothèque à l'air lugubre - oui, l'ambiance, c'est important) ! Je vous remercie encore mille fois pour votre soutien et vos retours très positifs sur Downtown Abyss (j'ai du retard dans les réponses à mes reviews, c'est une catastrophe, mais je vais trouver du temps, si ! Faut juste que j'aille faire un tour du côté du Fandom de Dragon Ball, apparemment ils ont des tuyaux), et tout en croisant très fort pour que chapitre vous ai plu, je vous dis donc à bientôt pour la suite, fin 2020 ou début 2021 (soupire sur sa contrebasse, et en plus, elle ne sait pas en jouer - re soupir) !

Negen