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CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME
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Fondation : du latin "fundationes", ensemble des parties inférieures
ou souterraines d'une construction ou action de fonder quelque chose.
FONDATIONS
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" Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus. "
Citation de Sigmund Freud, neurologue autrichien
31 mars 2008, 9 heures 15, Palais Royal du Mont Fossoyeur, Cathare.
Misa posa les yeux sur le roi des shinigamis, et la monstruosité de son apparence physique, abominable boule de chair sans couleurs suspendue par des chaines et le miracle d'une gravité défectueuse au plafond d'un palais morne, majestueux mais éteint, ne lui arracha pas le moindre cri ou la moindre exclamation d'horreur équivalente à celle qu'elle avait poussé lorsqu'elle avait vu Ryûk. Il fallait dire, cependant, que Ryûk était autre chose, une porte ouverte brutalement sur sa vie d'avant, sur des souvenirs dont elle n'avait pas réellement pris la mesure, trop occupée qu'elle était dans les tunnels de Dorine à tenter de ne pas se noyer dans son propre esprit. Ryûk était le passé, et le passé était Light, et L, et le Death Note, et plus loin, ses parents morts sur le plancher ensanglanté de la maison.
Doucement, lentement, en contemplant la figure difforme devant elle, en l'écoutant s'exprimer d'une voix enrouée, ancienne, Misa reprenait le contrôle de ses pensées, agrippait chacune d'elle et se les réappropriait, les possédait de nouveau, et avec elles venaient de brides de souvenirs, des éclats sombres de mémoire qu'elle avait cru disparus à jamais, engloutis dans la répétition et le vide des tunnels où elle avait été retenue prisonnière pendant près de quatre ans. Même le temps avait perdu toute substance dans les boyaux intangibles et noirs, où toute réflexion était condamnée à mourir indéfiniment au milieu des autres.
Le roi des morts avait des bras maigres, décharnés, aux doigts courts et crochus, et il les agitait comme un enfant agite les siens, avec une sorte d'impatience fébrile mais également de patience langoureuse, qui ne contribuait guère à rendre le personnage moins hostile. Son corps sphérique était fait de replis, de crevasses, de tranchées de chair qui semblaient avoir été cousues les unes sur les autres de façon contre-nature. Il était une tête dans une tête, et son sourire malsain, tordu, s'ouvrait dans la gueule d'un autre.
Des années auparavant, Misa aurait probablement perdu la raison en le voyant, ainsi exposé, sans fard ni dissimulation, aux yeux de quiconque était assez brave pour se risquer entre les murs de sa demeure à colonnes et au sol recouvert de poussière et de sable. Des grains minuscules s'étaient collés à la plante des pieds nus de Misa, et craquaient lorsqu'elle bougeait, ou plutôt crissaient désagréablement contre leurs semblables, créant une mélodie infernale et irrégulière.
Le roi des morts dans son palais des morts et ça m'est égal ça m'est complétement égal
Avant, Misa se souvenait avoir éprouvé des choses, les avoir senti se construire et fleurir en son sein comme les fleurs de cerisiers au printemps, lors du kaika. À Tokyo, elle se rappelait des éclosions le long de la rivière Meguro, et des pétales d'un rose délicat, pastel, qui dégringolaient vers le sol pour finalement aller flotter sur l'eau et y disparaître. Misa était certaine d'avoir été un cerisier en fleurs, à un moment de sa vie, avant, quand elle était vivante, puis Light était mort, et elle avait perdu toutes ses bourgeons d'un seul coup.
Tous avaient été aspirés sans pitié dans les profondeurs de la rivière, et désormais, comme elle attendait que la conversation entre le roi des shinigami, Ryûk et Nenn se termine, sans qu'elle en comprenne véritablement la teneur ou l'objectif, elle avait l'impression très vague d'être un arbre totalement nu, vulnérable au moindre coup de vent, susceptible de se plier à la moindre secousse. Elle savait pourtant qu'elle avait été fleurissante un jour, il y avait longtemps de cela, avant les tunnels, avant le toit de l'immeuble, avant la mort de Light. Elle se demanda, brièvement, si les tunnels étaient véritablement capable de dénuer n'importe quel être de sa substance, au point de le retourner irrémédiablement vide, comme une simple coquille, dont le contenu aurait été avalé et dévoré, sans pouvoir jamais être rendu.
À plusieurs reprises, les dieux de la morts et leurs silhouettes gigantesques, grotesques, avaient jeté vers elle des regards presque embarrassés, comme s'ils ne savaient pas bien quoi faire d'elle. Ryûk, en particulier, se montrait hésitant à présent. Misa se sentait incapable de bouger ou de dire un mot, mais elle entendait à merveille depuis qu'elle avait émergé des tunnels, et elle avait retrouvé en peu de temps le plein usage de ses yeux. Elle savait que Ryûk ne l'avait pas ramenée par nostalgie ou par pitié, mais pour obéir à une commande de la chose aberrante à laquelle il s'adressait sur un ton beaucoup trop respectueux pour être entièrement honnête. Un instant, elle avait cherché Rem dans le vaste hall dallé, avant de se souvenir que Rem avait été réduite à un tas de poussière sur le sol, désintégrée par altruisme.
Misa n'avait jamais bien su ce qui s'était passé, mais elle se souvenait de Rem et de sa haute stature blanche, étrangement non pas effrayante ou risible d'absurdité, mais presque rassurante, comme peut l'être l'ombre d'un grand chêne en été lorsque la chaleur est étouffante, ou un nuage d'orage par le même temps. À présent qu'elle était entourée d'autres shinigamis, et qu'elle prenait pleinement la mesure de leurs apparences surréalistes, démentes, bien qu'elle n'eut guère éprouvé particulièrement d'angoisse en les voyant (la seule peur la seule angoisse la dernière c'était le jour où tu es rentrée et où tu as vu tes parents saigner sur le plancher et Light oh Light), elle prenait aussi conscience de l'homogénéité globale de leur laideur, et de l'incompréhensible normalité physique de Rem, qui avai été somme toute la déesse de la mort la plus avenante et la plus traditionnelle qui lui eût été donné de contempler.
Une seule shinigami faisait figure d'exception parmi ses congénères. Elle était toute petite de taille, et Misa estima qu'elle devait à peine être plus grand qu'elle. Sa silhouette frêle, presque délicate, était absorbée par celle des autres dieux de la mort, tous plus massifs et occupant plus d'espace en raison de leurs membres disproportionnés. Même Rem n'avait jamais eu cet aspect quasiment humain et harmonieux, en dépit de certaines aberrations qui trahissaient le véritable statut de la shinigami. Elle s'était adressé à Ryûk d'un ton sévère, autoritaire, qui ne tolérait pas la contradiction, et Misa avait vu Ryûk se plier à ses directives comme un agneau, lui qui n'en avait jamais fait qu'à sa tête, et surtout sur Terre. Light lui avait confié que la seule manière de le faire flancher était de lui mettre des pommes sous les yeux.
- Dès qu'il en voit, il est comme un drogué en manque, avait affirmé Light, quelques temps après que Misa soit venu le trouver pour lui avouer qu'elle était le second Kira. Tu peux en faire n'importe quoi.
Son erreur avait été de sous-estimer l'égoïsme de Ryûk, et potentiellement sa crainte à l'encontre de quelques règles absolues du royaume des shinigamis. Quand elle était encore vivante, Rem avait parfois accepté de lui raconter des anecdotes à propos de l'endroit sombre et morose d'où elle venait. Elle disait toujours s'y être habituée, et ne pas aimer particulièrement se mêler aux humains ainsi qu'à leurs problèmes, mais Misa pouvait voir dans ses yeux jaunes, curieusement expressifs, que la déesse de la mort qui l'accompagnait prenait parfois un plaisir évident à la suivre dans ses excursions extérieures. Elle aimait les jardins, par exemple. Une fois, Misa était allée se promener dans le parc du Shinjuku, et elle avait bien vu, même si on lui disait sans arrêt qu'elle ne savait pas observer et qu'elle était trop bête pour remarquer ce genre de choses, que Rem avait apprécié leur ballade entre les cèdres, les cerisiers et les sycomores.
- Ce n'est pas que le royaume des shinigamis est vraiment laid, lui avait-elle signalé avec une prudence excessive, mais si des humains venaient le visiter, vous diriez que ça manque de fioritures.
Misa n'avait pas entièrement compris l'expression, mais elle avait saisit l'idée malgré tout. Le royaume des shinigamis était moche, triste, déprimant, et visiblement, ses résidents n'étaient pas autorisés à s'en plaindre de façon trop poussée. Un temps, Misa avait été curieuse, et avait posé de nombreuses questions à Rem sur l'agencement du monde des dieux de la mort, sur ses règles et son fonctionnement global. Rem lui répondait essentiellement pour lui faire plaisir, et Misa savait parfois qu'elle omettait délibérément des informations parce que confidentielles ou trop sensibles, ou bien qu'elle lui mentait, mais dans l'ensemble, elle lui en avait néanmoins appris suffisamment durant la période de temps qu'elles avaient passé ensembles pour que Misa, après réflexion, soit à peu près certaine qu'elle en savait davantage que Light sur ce point.
En soi, les renseignements dont elle disposait n'étaient pas franchement utiles dans le contexte où elle les avait amassé, alors que Light déployait des trésors d'ingéniosité et d'intelligence pour échapper aux autorités et à L tout en rendant la justice avec le death note, mais à présent qu'elle se trouvait au sein même du royaume des shinigamis, non pas en tant que visiteuse, mais bien en habitante définitive, une part d'elle-même, qui se réveillait d'une hibernation forcée, éprouvait une satisfaction amère en ouvrant les recoins de son esprit où avaient été conservés tous les éléments relatifs au Cathare, dans l'attente du jour où ils pourraient véritablement lui servir.
Elle savait, par exemple, parce que Rem le lui avait dit, que le Cathare était composé de trois niveaux, ou étages, et que les tunnels de Dorine étaient le dernier, le plus affreux. Elle savait aussi que le roi des shinigami régnait de façon absolue, avec une acolyte, que Rem n'avait jamais nommée, mais qu'elle avait décrite comme étant "redoutable et lugubre". Misa s'était interrogée, alors que Ryûk la menait vers le bâtiment à l'aspect antique qui constituait la demeure du répugnant monarque, sur la possibilité que cette complice ait pu être la petite shinigami dont toute la carcasse irradiait d'une autorité étrange et remarquable.
- Ils sont deux, en vérité, lui avait précisé Rem d'un ton inhabituel lorsque Misa avait poussé ses questions plus avant sur le Cathare, et que la déesse de mort acceptait de lui répondre avec de plus en plus de détails insolites. Notre roi, bien sûr, mais il y a elle aussi, dans l'ombre. Nous le savons tous. Ce n'est explicite, mais elle a trop de pouvoir pour être autre chose.
La soumission que Ryûk avait exprimé envers la shinigami qui avait rapporté la blouse blanche pour couvrir la nudité de Misa avait eu tendance, dans un premier temps, à corroborer les hypothèses silencieuses mais en pleine effervescence de celle-ci. Libérée du joug des tunnels, sa pensée était désormais en mesure de s'éparpiller et de s'ébattre en tout abandon, et ce trop plein d'autonomie avait amené un chaos absolu dans ses réflexions, qui s'étaient alors vues devenir une multitude quasi-incontrôlable contre laquelle Misa n'avait pas pu opposer la moindre résistance.
Elle était demeurée sans rien dire, la gorge nouée, mais quiconque aurait pu jeter un œil à l'intérieur de son esprit aurait alors été témoin de l'anarchie monumentale de ses raisonnements. Rendues muettes et désordonnées par les tunnels, les idées de Misa hurlaient (HURLAIENT) à présent dans sa tête, toutes plus vivaces et agressives les unes que les autres, et Misa pensait, avec une satisfaction grandissante, avec un renoncement total pour la plus petite tentative de maîtrise, avec l'enivrement caractéristique de ces êtres qui ont passé une longue période de temps perdu dans un néant despotique et suprême, et qui viennent tout juste de goûter à nouveau à l'individualité.
Elle avait formulé durant le trajet vers le palais du souverain des dieux de la mort une série de théories et d'opinions qui avaient été formidablement prolifiques et dont la teneur, tout à la fois rapide et précise, aurait probablement rendu Light fier, eût-il été encore vivant et peut-être qu'il l'est encore peut-être qu'il est ici les utilisateurs du death note Mu le néant. À ses yeux, jusqu'à ce qu'elle parvienne devant l'immonde dirigeant du Cathare et lui soit présenté avec si peu d'honneur et tant de brièveté qu'elle aurait pu aisément en concevoir une mortification à l'encontre de sa personne.
Dans un sens, une part d'elle s'était quelque peu indigné de ce manque de considération à son égard que les shinigamis avaient commencé par montrer, jusqu'à ce qu'une autre voix plus profonde, qui venait de ses entrailles, de ses bas-fonds, et qui était restée dans les tunnels, murmurant des choses et des phrases qu'elle répétait ensuite à l'infini, lui suggère qu'il était sans doute préférable pour elle de ne pas attirer trop l'attention. Quand elle avait été le second Kira, elle avait fait l'erreur de se montrer trop tôt, et il allait sans dire que cette faute, commise sans penser à mal, avait néanmoins handicapé Light dans son entreprise et conféré davantage de pouvoir et d'emprise à L. Du reste, elle se trouvait dans un monde qui strictement n'avait rien de plaisant, et dont les habitants étaient pour la majorité hostiles aux humains.
Tu penses que tu es encore humaine ?
Elle ne savait pas. Elle n'était plus vraiment sûre, et en réalité, elle n'osait guère se prononcer sur la question. Elle savait qu'elle était morte, parce que sa mémoire lui renvoyait des images du sol de l'immeuble duquel elle s'était jeté, se rapprochant à toute vitesse, devenant de plus en plus gros, de plus en plus réel, et elle se souvenait avoir pensé "mais qu'est-ce que je fais ?" juste avant de toucher terre et de s'y écraser. Sa tête, elle en était sûre, avait explosé sur le dallage du trottoir comme un ballon plein d'eau qu'on jette sur ses adversaires lors d'une bataille. Elle ne se rappelait pas avoir éprouvé des regrets, mais juste une simple confusion, à l'instar de ceux ou celles qui se réveillent tout juste d'un cauchemar en pleine crise de somnambulisme.
Tout avait été perdu quand Light était mort, tout avait été dénué de sens ou d'intérêt. Light était la justice, une justice qui fonctionnait, une justice efficace, certes rude parfois, mais nécessaire, car c'était la seule que les gens comprenaient et à laquelle ils obéissaient. Light et Kira étaient apparus parce que le système judiciaire, avec le meurtrier des parents de Misa comme avec des milliers, des millions d'autre, avaient démontré ses limites et ses faiblesses, et par dessous tout son incompétence. La justice avait été réduite à un nom, et à un idéal, que des myriades d'hommes et de femmes prétendaient incarner sans comprendre qu'on ne pouvait décemment être la justice si on persistait à morceler celle-ci. Light avait été nécessaire, obligatoire.
Et Light était mort
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Light était mort, mais Light avait été un détenteur de death note, y avait inscrit des noms, et Light ne s'était pas suicidé. Ryûk et son sourire d'aliéné s'étaient chargé d'écrire son nom sur une page même de ce qui avait été l'instrument de son projet judiciaire. Et Misa savait, parce qu'elle s'était souvenu, et que la pensée ne la quittait plus désormais, que tous ceux qui faisaient usage d'un cahier de la mort terminaient irrémédiablement leurs jours dans le néant, dans le Mu, et le Mu était le Cathare. Elle était presque certaine que Rem l'avait mentionné en passant, un jour, tout comme elle avait compris, dans les tunnels, que les prisonniers, anciens utilisateurs du death note, s'étaient tous ôté la vie.
Les roulements de ses réflexions avaient été inconsistants et effroyablement récurrent, mais il suffisait d'un bref instant de silence pour que celles des autres s'y joignent, et Misa avait entendu des brides, des échos, qui évoquaient des expériences communes, et une fin similaire. Comme le roi des shinigamis prenait la parole, elle décréta qu'elle poserait la question à Ryûk ou à un autre dieu de la mort, une fois qu'elle se sentirait plus tangible et capable d'articuler un mot.
- Faîtes-la...approcher, dit le monarque en la désignant d'un doigt fin comme une aiguille.
Misa, que Ryûk avait installé sur la base de pierre froide d'une colonne pour être plus libre de ses mouvements (mais également parce qu'elle soupçonnait qu'il détestait devoir porter qui que ce fut), redevint le centre de l'attention générale. On parlait d'elle depuis environ une demi-heure, et personne encore ne s'était tourné vers elle pour connaître son opinion ou même simplement son état d'esprit. On l'avait déposé comme un bibelot cassé à un endroit pratique, en attendant qu'on décide de son sort. Elle les avait écouter parler des tunnels de Dorine, sujet sur lequel la petite shinigami s'était exprimé avec aisance et fermeté.
- Le fil d'Ariane a parfaitement fonctionné, votre Majesté, avait-elle signalé, et Misa s'était alors rappelé avoir suivi la forme d'une corde pour s'extirper des tunnels (c'était ça c'était le fil d'Ariane), alors même qu'elle était poursuivi par une ombre qui aurait aisément pu être qualifiée de minotaure. Il a ramené Misa Amane à la surface, et comme vous le voyez, sans aucune égratignure.
Quelques instants plus tôt, Ryûk avait rendu à la petite déesse de la mort ce qui avait semblé être aux yeux encore défectueux de Misa une pelote de fil d'un rouge profond, dont la couleur ressortait tout particulièrement au sein des teintes monochromes qui peuplaient le royaume des shinigamis.
- Tiens, gamine, ton fil, avait-il dit d'un ton désinvolte, comme si l'objet avait été totalement dénué de valeur.
Sa congénère avait alors contemplé le bout du fil, dont la pointe était noire, et qui paraissait avoir été brûlé.
- Il a en fallu beaucoup, avait-elle observé. Elle devait se trouver dans les galeries les plus profondes.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Avait répliqué Ryûk. Tu as été faire un tour ?
- Sers-toi de ta tête, Ryûk, avait grincé la shinigami. Tu te doutes bien que les tunnels s'appellent ainsi parce qu'ils ne sont pas qu'une grotte à une voie creusée dans la roche.
Ryûk ne s'était pas démonté pour autant.
- Ne t'énerve pas, gamine. Je m'étonne, c'est tout. Tu as l'air d'en savoir beaucoup, pour quelqu'un qui ne s'est jamais approché à cent mètres des tunnels.
- Je croyais que tu étais spécialisé dans l'art de savoir se préserver, lui répondit sa semblable d'un ton moqueur.
- Je ne suis pas spécialisé. C'est un passe-temps.
Misa, sans un bruit, les écoutait se renvoyer la balle avec minutie, attentive à leurs mots et aux informations qu'ils laissaient échapper devant une humaine (tu est sûre de ça ?).
- Bien, reprit la déesse de la mort. Et tu sais que la préservation passe par les renseignements. On est jamais plus sûrs de pouvoir survivre qu'en ayant appris tout ce qu'i apprendre.
- Qui t'a appris ? Le roi ?
- Le roi n'est pas là pour enseigner, mais pour régner, lui avait rappeler sa comparse. Réfléchis, Ryûk. Je croyais que tu étais intelligent.
- C'était Rem, lâcha alors le shinigami. Rem t'a appris.
- Tu vois, quand tu veux.
Ryûk avait eu une façon de prononcer le nom de Rem qui avait semblé inhabituelle à Misa, et ce d'autant plus qu'elle les avait vu interagir et que jamais le dieu de la mort n'avait exprimé le degré de crainte respectueuse qui avait empli sa voix au moment il avait cité sa congénère disparue. La deuxième shinigami n'avait plus rien ajouté par la suite, et le trajet de sable et de poussières grise jusqu'au palais du roi avait été ponctué par un silence accablant. Plus jeune, Misa avait détesté les silences, et s'était toujours efforcé de son mieux de les supprimer avec des histoires qu'elle savait parfois sans importance. Le silence avait été la seule chose qui l'avait accueillie quand elle était rentrée à la maison, le jour où ses parents avaient été tués.
Après Light, les jours étaient devenu muets, et dans les tunnels de Dorine, il n'y avait pas un son pour indiquer la moindre présence vivante. Misa avait les silences en horreur, parce qu'elle les avait associé à la mort, mais également à d'autres choses, bien pires dans une certaine mesure L était toujours silencieux et avec Light parfois ils n'avaient même pas besoin de parler. Oh, les choses dont elle se souvenait, à présent, loin de la cage des tunnels ! Et personne pour admirer la marée mémorielle dont elle était la proie depuis qu'on l'avait extraite de sa prison de vide et de répétition, bien que le regard du roi fut perçant, et semblât vouloir la traverser comme la lame d'un couteau de cuisine longuement aiguisée.
Elle ne dit rien, se laissant contempler par le monarque des dieux de la mort. Elle ne le regardait même pas. Elle fixait les marches qui menait jusqu'au piédestal royal, jusqu'au trône, et pensait à d'autres escaliers, à d'autres marches, et à avant. Pendant un court instant, la respiration sifflante du dirigeant du Cathare fut la seule preuve que les occupants du palais ne s'étaient pas figés dans un tableau macabre. Misa s'interrogea sur la possibilité que Light ait déjà rencontré le souverain.
Elle se demandait depuis qu'elle était revenue s'il était lui aussi quelque part, en chair et en os, comme elle l'était désormais, et confusément, son esprit emboîtait aussi d'autres options, d'autres questions, et lui susurrait l'étrangeté de son retour des tunnels, et l'éventualité que celui-ci pouvait être expliqué par Light, auquel elle n'avait jamais cessé d'être rattachée. Elle ne faisait guère d'illusion sur sa propre importance : durant des années, on avait souligné sa bêtise et son manque de logique, mais il y avait de ces choses qu'un tant soi peu d'ignorance, en particulier non volontaire, tendait à rendre plus facile à accepter. Parmi elles, la notion de son intérêt dans le monde n'avait jamais échappé à Misa. Elle en avait pris toute la mesure quand la justice avait tranché en faveur du meurtrier de ses parents, puis par la suite, quand Light était apparu.
Tu ne vaux rien
Il ne lui avait fallu qu'un battement de cil pour le comprendre, et encore moins pour l'admettre. Eut-elle été plus orgueilleuse ou autocentrée, elle aurait sans doute considérablement souffert de cet état de fait et aurait probablement tout mis en place pour l'abolir. Elle aurait par ailleurs menti si elle avait refusé de reconnaître qu'un tel constat lui avait été douloureux. En revanche, elle avait vu des gens se débattre avec cette conclusion bien plus intensément et bêtement qu'elle même ne l'avait fait. L'étape la plus difficile avait été de consentir à la vérité de l'observation.
Ensuite, elle ne se souvenait pas avoir jamais voulu la changer, et ce d'autant moins lorsque Light avait finalement mis à mort l'homme qui avait massacré ses parents. Light était la justice, Light était puissant, Light décidait et pensait pour le monde, tandis qu'elle ne parvenait pas à sortir des confins limités de sa propre perspective. En conséquence, et en le sachant plus que quiconque, elle avait rapidement fait le calcul, et placé l'existence de Light au dessus de la sienne. Elle s'était souvent dit, les soirs où elle s'était sentie triste et vaguement révoltée par ce déséquilibre, que la seule importance de son rôle se résumait à concéder qu'elle n'aurait jamais le moindre intérêt face aux desseins de Light.
On a le pouvoir qu'on peut
Le roi des dieux de la mort la regardait, et Misa se doutait que si elle levait les yeux, elle verrait dans ceux de l'hideux monarque tout le résumé de sa pensée. Elle n'avait pas d'importance, et elle n'en avait jamais eu. Light avait construit son projet seul, et avait toujours compté le mener seul, régner seul, dominer seul. Le trône était solitaire, et Misa l'avait toujours parfaitement compris, sans le remettre en question. Elle s'était su rapidement un pion parmi d'autres, que Light bougeait au gré de ses envies. La seule chose qui importait réellement, dans les faits, avait été son amour et sa vénération pour lui. Toute son importance se réduisait à ce qu'elle lui était complétement dévouée. Du reste, elle ne prévoyait pas de se mettre en travers de sa route. Light avait bâti son odyssée vers le pouvoir dans une solitude absolue, et elle s'attendait à le voir poursuivre ainsi, sans que cela lui aît jamais été véritablement pénible ou insultant.
Le roi des dieux de la mort la regardait, mais Misa comptait les marches qui menaient à lui, et elle se souvenait d'autres choses, de choses nouvelles, sombres, qu'elle n'avait pas voulu voir tout de suite, et parmi ces choses, elle se rappelait Light Yagami, le dieu unique, le dieu solitaire. Elle se rappelait de lui, et de L, et elle entendait à présent ses supplications d'alliance, et elle se souvenait, oh, elle se souvenait maintenant, avec une précision effroyable, qu'elle avait pu accepter Light seul, éloigné d'elle, mais qu'elle avait haï de toutes ses forces l'idée d'un partage de son pouvoir avec le détective.
Elle serra un poing, presque malgré elle. Le palais était toujours plongé dans un silence de mort. Elle releva la tête, fit face au roi des shinigamis. Et ouvrit la bouche.
De nouvelles informations venues d'Afrique viennent renforcer la suspicion et la peur autour de l'affaire des
bateaux disparus, dont la résolution préoccupe les autorités internationales depuis maintenant près de deux semaines. Le bilan
des victimes s'était effectivement alourdi suite à la découverte de trois nouveaux corps dans le golfe d'Aden, plus précisément sur les côtes de la
république de Djibouti. L'identité exacte des victimes n'est encore à ce jour pas connue, mais des renseignements concernant leur état ont été
transmis massivement à l'ensemble des médias par une source ayant souhaité demeurer anonyme, et qui a informé devoir "faire son devoir envers
une population maintenue délibérément dans le secret". Les corps auraient été effroyablement mutilés, mais il apparaîtrait, contrairement à ce que
les premiers résultats et différentes hypothèses formulées jusqu'à lors laissaient présager, que ces dégâts n'aient pas été perpétrés par des êtres
humains ou des requins particulièrement agressifs, et qu'une dent monstrueuse aurait été retrouvée sur l'un des cadavres. Les rumeurs commencent à
enfler à propos d'une nouvelle espèce animale et marine. Le gouvernement de Djibouti n'a toujours pas souhaité s'exprimer sur la question.
31 mars 2008, 11 heures 28, détroit de Magellan, Cabo Cooper Key.
La télévision avait été allumée dans le salon, et tandis que plusieurs membres de l'équipage, dont les fonctions pouvaient être remises à plus tard ou interrompues, si ce n'était remplacées relativement aisément, déjeunaient avec un appétit vorace qui faisait sans aucun doute honneur aux efforts cuisiniers de Pronto (et probablement beaucoup trop à ceux du second Lameloise), L et Light s'étaient installé à la table la plus reculées qu'ils avaient trouver pour se livrer à des confidences tout à leur aise. Le salon n'était pas réellement vaste, et il était ardu de qualifier une seule table de véritablement isolée, mais à condition d'une assez bonne distance et de parler à voix suffisamment basse, la confidentialité des conversations pouvaient être garantie.
De là où ils étaient, aucun des deux ne parvenaient à véritablement comprendre ou entendre en intégralité les échanges des membres de l'équipage. En temps ordinaire, ils auraient nettement favorisé le laboratoire, au sein duquel ils avaient pris leurs habitudes tant de recherche qu'alimentaires, mais deux paramètres les avaient amenés à se décider pour le salon, quitte à prolonger leur discussion une fois de retour au laboratoire si celle-ci prenait un tournant beaucoup trop délicat pour risquer d'être entendu par un autre résident du Svetlana.
Tout d'abord, ils avaient été traînés au déjeuner par les scientifiques, et plus spécifiquement par Deville, qui avait affirmé que reprendre le travail sans s'être rempli la panse était une insulte envers la gastronomie.
- Vous savez, je ne suis pas français pour rien, avait-il déclaré crânement, en ajustant le col de sa blouse blanche. En France, nous avons à coeur de respecter les manières de la table, et un vieux proverbe dit que quand l'appétit va, tout va.
Al Qasim avait cru bon de lui faire remarquer que tous les pays aimaient la bonne chair, ce à quoi l'océanologue avait répondu par un reniflement dédaigneux, et fait mine de ne pas avoir entendu, ce qui en soi était fort probable puisque le mouvement de foule global de l'équipage du navire en direction de la cuisine se fit dans un brouhaha tonitruant, accompagné en outre par un chant patriotique anglais fort connu mondialement de la part de Tailcoat, encouragé par ses camarades. Pronto passa devant, entouré d'une haie d'honneur très solennelle et qui lui arracha un sourire de satisfaction non dissimulé.
On montra moins de considération respectueuse à Lameloise, mais celui-ci parut à peine s'en formaliser, et se glissa aussi adroitement qu'un chat sauvage entre les membres de l'équipage pour rejoindre la cuisinière. Light intercepta le regard de L qui le suivit jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse dans les couloirs, et il y avait dans ses yeux noirs à peu près autant de compassion que de la part d'un bourreau sur le point d'abattre sa hache.
Ensuite, L avait exprimé son désir de café, et si le laboratoire était exempt de tout appareil adéquat pour en permettre la consommation, ce n'était pas le cas en revanche du salon du Svetlana, qui était copieusement fourni en cafetières et en capsules aux goûts prodigieusement variés. Le détective et lui avait pris l'habitude de ramener des tasses soit de la cuisine, soit du salon, afin d'être en mesure de garantir à leurs réflexions le calme olympien auxquels ils étaient tous deux fondamentalement attachés, mais la mise à jour des connaissances de l'équipage sur leurs dernières avancées et plus particulièrement un manque immédiat de tâche spécifique à réaliser au sein du laboratoire, tout du moins en dehors d'un commun accord avec les quatre scientifiques, avait de toute évidence représenté un facteur de décision supplémentaire pour choisir d'accepter la fréquentation du salon. Néanmoins, il apparut très vite que L n'avait pas anticipé le déplacement massif de l'équipage depuis la salle de réunion jusqu'à celui-ci, et Light, vaguement amusé, observa de biais des signes quasi imperceptibles de contrariété s'installer sur le visage, autrement indéchiffrable pour qui n'en avait pas appris tous les us et coutumes, du détective.
Ils mangèrent avec les autres, ou tout du moins Light mangea, tandis que L picora dans son assiette jusqu'au dessert, un panna cota dont Pronto avait réadapté la recette pour complaire à la saison, et qui comportait un coulis de chocolat fondu noir et du caramel. Elle en fit apporter deux au détective, en précisant qu'elle se doutait qu'il n'aurait probablement pas touché à son plat principal, et montra un enchantement presque maternel lorsque Van Lunet, en la croisa plus tard dans les couloirs pour aller récupérer son ordinateur dans sa cabine, lui affirma que L avait hautement apprécié son œuvre. Newton, quand son confrère eut raconté l'anecdote une fois de retour au laboratoire en début d'après-midi, commenta avec un air de réalisation béate que la dame était "décidément tout à fait charmante, une fois passé ses premières manières un peu robustes".
On lui donna raison, et Deville ajouta même que sa cuisine était une merveille, ce qui n'était pas peu dire selon lui, principalement en raison de sa noble nationalité. Sans perdre le nord, Al Qasim lui renvoya une réplique cinglante, qui consistait de manière raccourcie à reconsidérer le statut de la sa dite nationalité. L et Light ne prirent pas part au débat. Le premier était tout à une nouvelle observation de l'œuf, comme s'il espérait que la coquille de pierre pouvait encore lui transmettre quelques renseignements secrets que les autres auraient été incapables de remarquer. Light relisait leurs dernières notes, établissait le bilan de la réunion, et faisait son possible pour oublier l'erlenmeyer. L'un des deux garçons de service, si ce n'était les deux à la fois, avait vidé le contenu des poubelles un peu plus tôt, après avoir obtenu autorisation de pénétrer dans le laboratoire par Al Qasim, qui s'y rendait au même moment.
Au salon, ils avaient attendu le départ des experts, et refusé de partager quoi que ce fut en leur présence à l'exception des données déjà connues de tous. Par la suite, lorsque les scientifiques s'étaient un à un absentés, vers leurs cabines, vers le laboratoire, vers un autre endroit dont L comme Light se fichaient comme d'un guigne, ils étaient demeuré relativement silencieux, chacun le nez dans son café, tant que plusieurs membres de l'équipage n'étaient pas retourné vaquer à leur occupations. Il ne restait plus que que les lieutenants, désormais, ainsi qu'un mécanicien qui était plongé dans une conversation visiblement politique avec trois matelots, l'électricien Licht et l'un des graisseurs.
Leur échange, dont Light avait perçu quelques éléments dans le désordre, portait vraisemblablement sur la situation économique du monde de la marine en général, et sur les risques potentiels que la présence d'un monstre dans les profondeurs des océans pouvait impliquer pour celle-ci. Licht notamment affirmait que la situation était en pleine dégradation, et que le transport maritime humain comme de marchandises subissait des pertes colossales qui avaient justifié la mise en place d'une expédition. On lui répondait que les salaires étaient menacés, que les gouvernements faisaient pression sur les compagnies maritimes pour que les bâtiments retournent en mer. Se développait à leur table une comparaison internationale des situations qui traduisait progressivement le manque de contrôle des nations sur le phénomène, et l'impact social de celui-ci.
- Ils essaient de nous faire croire qu'ils savent ce qu'ils font et que depuis la mise de l'expédition, il n'y a plus aucun danger ou presque, affirma notamment Lobster, l'un des marins, dont le visage rougissait de colère alors qu'il se lançait dans un plaidoyer enthousiaste et lyrique contre l'aveuglement des autorités mondiales.
Light s'appliqua à examiner quelques brides de conversation, à les conserver dans un recoin de son esprit, au cas où la chose pût se révéler utile pour la recherche de la taupe. Ils n'avaient pas abordé de nouveau la question avec L par manque de temps et d'opportunité, mais Light avait constaté au cours de la réunion, même sans confirmation verbale explicite de la part du détective, que celui-ci avait établi ses propres analyses et conclusions en lien avec l'attitude globale de tous les membres de l'équipage et des experts, qui conservaient un statut suspect dans l'attente de preuves plus évidentes, bien que Light éprouvât quelques réserves à leur sujet, de même qu'envers certains autres résidents spécifiques du Svetlana.
Dans les faits, la plupart, si ce n'était la totalité d'entre eux, ne montrait qu'un intérêt attendu et normal envers les résultats des expertises effectués au laboratoire ou plus généralement de l'expédition de manière générale. Le second Smirnov avait par ailleurs déclaré avec une simplicité et une sincérité déconcertante qu'ils "faisaient ce qu'ils avaient à faire, et que nous, on s'occupe juste de vous trimballer là où vous devez être". Lors d'un dîner, Light avait entendu le chef mécanicien Wankel comparer le navire à une sorte de taxi des mers. En outre, ils ne posaient pas véritablement de questions qui eussent paru totalement étranges ou inhabituelles tant aux yeux de Light que L.
En vérité, le seul ayant réellement dévoilé des caractéristiques déconcertantes était le second de Pronto, Lameloise, mais Light avait émis l'hypothèse que son tempérament était plus éloigné de celui de ses collègues en raison du peu de temps que celui-ci avait passé en leur compagnie. Après vérifications discrètes menées au cours des quelques repas qu'ils avaient passé au salon et d'entrevues plus individuelles, L et Light avaient tout deux été amenés à noter que les membres de l'équipage avaient toujours été assignés ensembles aux mêmes missions, et fonctionnaient comme une seule identité qu'on envoyait à gauche et à droite au gré des besoins.
- On a pas toujours été sur cette bête-là, leur avait ainsi raconté Langlois à propos du Svetlana, quand ils étaient remonté des profondeurs sous-marines avec l'écaille et l'œuf nouvellement découverts. Ça fait quelques années, mais parfois, on change, on nous réquisitionne sur d'autres bateaux. Ça arrive aussi qu'on soit séparé et que l'un ou l'une d'entre nous prenne un poste court ailleurs, mais en général, c'est temporaire. On préfère être ensembles.
Light y songeait vaguement tout en buvant son café, et en attendant que L daigne lui adresser la parole, car c'était le détective qui souhaitait poser des questions, et non l'inverse. Levant les yeux, il avait jeté un regard vers la télévision allumée, de laquelle s'échappait, bien qu'assez mal en raison des autres échanges, la voix posée et pour ainsi dire placide d'une présentatrice, chargée de communiquer les nouvelles d'un journal américain. Le bateau disposait d'un accès à de nombreuses chaînes internationales, mais ses habitants continuaient de privilégier l'anglais.
La présentatrice était une femme d'une quarantaine d'années environ, avec des cheveux blonds relevés en un chignon soignés, et une veste de tailleur d'un beau gris argenté. Sous son buste, Light vit apparaître la banderole annonçant une "flash news", et il eût à peine le temps de trouver cet affichage singulier et d'en lire le contenu que des images du Svetlana glissant sur les flots firent irruption à l'écran, provoquant un arrêt total des discussions, et une attention soutenue et brutale de la part de tous les occupants du salon. Le lieutenant Seashell attrapa la télécommande, et augmenta le son pour mieux comprendre les nouvelles.
- Les récentes informations obtenues à propos de trois cadavres retrouvés près des côtes de la république de Djibouti viendrait soutenir l'hypothèse d'une espèce totalement inconnu du monde scientifique, déclarait la présentatrice en grandes pompes. Certains vont même jusqu'à évoquer des tentatives gouvernementales de maintenir volontairement la population dans l'ignorance..
Tout le monde se regarda après cette déclaration, échangeant des coups d'œil déconcertés et anxieux, mais également singulièrement suspicieux de la part d'un équipage qui avait jusqu'à lors démontré une cohésion puissante.
- Vous avez envoyé les infos à quelqu'un ? Fit Langlois à l'adresse de L et Light, étant donné que ces derniers étaient en possession des dites informations depuis plus longtemps.
- Absolument pas, répondit L d'un ton ferme, devançant Light qui s'apprêtait à affirmer la même chose. À l'exception de quelques personnes de confiance appartenant au gouvernement des États-Unis, qui finance l'expédition, nous avons tous gardé sous clé. Nous avons reçu les mêmes consignes que vous sur ce point.
Langlois hocha la tête, et si ses yeux avaient perdu leur lueur méfiante, son visage en revanche ne se départit guère de son expression préoccupée.
- Ça pourrait être autre chose, observa alors Light pour toute la petite assistance du salon, qui se tourna vers lui comme un seul homme, avec une sorte de désespoir particulièrement vif. Ils viennent de dire qu'on a retrouvé des corps, et que les conclusions ont été tiré à partir de ces derniers, et non de nos propres résultats.
L'équipage sembla visiblement apprécier son commentaire, qui dédouanait de leurs épaules la responsabilité du partage de renseignements. La discussion politique s'était tue à la table de Licht et Wankel, et tous suivaient à présent de façon attentive le reportage proposé par la chaîne de télévision, et qui devait donner davantage d'explications sur la provenance des rumeurs propagées vis-à-vis d'une nouvelle espèce marine.
- La taupe à bord, Light entendit-il provenir à son côté, de la bouche même de L, dont les lèvres étaient accolés à sa tasse de café.
- Ça pourrait être quelqu'un d'ici comme quelqu'un de l'extérieur, répliqua t-il à voix plus basse. Ils ont de nouveaux corps, et ça implique de nouveaux résultats qui ont très bien les amener à mettre en place leurs propres conclusions. Le monopole de la déduction n'est pas toujours situé tout autour de toi, Ryûzaki, ne put-il s'empêcher d'ajouter, en estimant que sa remarque valait bien des morceaux d'erlenmeyer.
- J'allais te dire la même chose, grinça L en guise de contre-attaque. Dans ce cas, pourquoi maintenant ? Ils ont eu plusieurs cadavres à examiner, chacun avec des attributs qui auraient été suffisamment pour les mener sur la voie dès le départ. Al Qasim l'a supposé rien qu'avec les éléments dont nous disposions avant de trouver l'oeuf et l'écaille.
- Peut-être qu'ils ne pouvaient pas en parler, envisagea Light en haussant les épaules. Nous avons bien été obligé de signer une clause de confidentialité. Ce ne serait pas nouveau, et encore moins vue l'ampleur des disparitions.
- Je sais ça, déclara le détective d'un ton plus impatient. Je te demandais ce qui a changé.
- Par rapport aux autres cadavres ? Ce qui a poussé quelqu'un à vendre la mèche aux médias, tu veux dire ?
- Oui.
Light reporta son attention sur la télévision. Le reportage évoquait maintenant un communiqué anonyme transmis à l'ensemble des chaînes de télévision internationales, et dont le contenu, saccadé, faisait état de la découverte d'une dent géante sur l'un des cadavres, et qui n'appartenait vraisemblablement à aucune espèce animale ayant été jusqu'à lors répertoriée.
- Voilà ta réponse, indiqua t-il simplement au détective.
- Et qui tend à venir renforcer nos hypothèses, ajouta celui-ci. Je vais demander les résultats des autopsies, si tant est qu'on ne nous les envoie pas automatiquement. Nous en saurons plus ainsi.
Light reposa sa tasse de café, à moitié vide, tandis que les membres de l'équipage encore présents dans le salon étaient devenu légèrement verdâtres à l'annonce de la trouvaille, alors qu'ils avaient manifesté une curiosité enfantine et un enthousiasme virevoltant quand l'oeuf et l'écaille avaient été ramenés à bord du Svetlana.
- Et tu prévois de demander les noms de toutes les personnes ayant côtoyé de près ou de loin les cadavres ? S'enquit-il nonchalamment, comme s'il avait fait une remarque sur la météo extérieure, qui au passage était absolument splendide.
- Tu aurais fait autrement, Light-kun ?
- Pas du tout.
Il s'ouvrit alors une porte du passé, une nouvelle, dans laquelle L, ayant entendu parler de l'affaire Kira, effectuait des tris, prenait des informations à droite et à gauche, rassemblait des éléments multiples et laissait les rouages de son intellect dévorer suffisamment de données pour lui permettre de construire des suppositions quant à l'identité du meurtrier, tandis que Light, le cahier de la mort entre les mains, bâtissait un empire et un culte.
Le reportage à la télévision prit fin, et les images enchaînèrent sur d'autres lieux, d'autres événements, sans pour autant parvenir à faire oublier à ceux qui les avaient contemplé dans le salon l'impression saumâtre d'avoir perdu le contrôle de quelque chose qu'ils avaient jusqu'à lors possédé dans son intégralité. Avec la diffusion des dernières informations à un niveau international, les tensions sociétales risquaient de subir une aggravation considérable, et Light, tout en songeant que L devait penser à la même chose, s'attendait à ce qu'ils reçoivent sous peu une communication du gouvernement américain en vue de pallier aux potentielles difficultés, notamment médiatiques, qu'ils seraient très probablement amenés à rencontrer à la suite des annonces relayées par les journalistes du monde entier.
Suite à la nouvelle, la table des orateurs agité se vida avec beaucoup moins d'enthousiasme qu'elle ne s'était remplie, chacun retournant vaquer à ses occupations et au maintien en bon état du navire. Le lieutenant Seashell passa néanmoins les voir avant de repartir sur le pont, et les interrogea sur une éventuelle marche à suivre, et plus précisément sur le fait d'avertir ou non directement les autres membres de l'équipage de la déclaration faite par les médias.
- Qu'est-ce que tu en penses, Ryûzaki ? Demanda Light en se tournant vers le détective. Pour ma part, je suis d'avis qu'on les mette au courant. Ils finiront bien par le savoir à un moment ou un autre.
- C'est ce que j'ai pensé aussi, leur avoua Seashell d'un ton un peu timide, qui détonait avec son apparence de surfeur intrépide. On écoute tous les infos, ici, donc ça ne risque pas de rester un secret, mais étant donné que les informations sont très délicates, je me demandais si vous trouviez plus prudent de laisser les choses suivre leur cours et faire en sorte que tout le monde apprenne à son rythme, ou qu'on se mette d'accord pour faire passer le message d'une autre façon, soit par le bouche-oreille, soit par une autre réunion. On peut en faire une dès maintenant, si vous voulez. On aime bien ça, nous. Ça nous change.
- En quoi ? Intervint L, émergeant soudainement d'un silence prolongé durant lequel il avait très certainement soupesé les différentes options et calculé les dénouements possibles de ces dernières.
Light entendit, par habitude, la pointe acérée de soupçon qui s'était glissée dans la voix, pourtant encore monotone et contrôlée, du détective. Seashell n'eut perçu pas le moindre signe en revanche, mais Light aurait été sincèrement surpris qu'il en eût été capable, non par condescendance, mais parce que L était un joueur aguerri, qui maîtrisait ses cartes et ses pions avec la dextérité de l'accoutumance, et qu'il était particulièrement difficile de pouvoir en tirer quoi que ce soit à moins de l'avoir vu à l'œuvre à plusieurs fois, et plus spécifiquement contre soi.
- Oh, vous savez, dit Seashell avec une mine qui disait tout le bonheur qu'il prenait à répondre à la question. Pour nous, c'est toujours sympa d'avoir ce genre de rencontres où on peut apprendre de nouvelles choses. C'est très plat, la vie sur un bateau, même des bateaux comme celui-ci, et la plupart du temps, les équipages sont tenus à l'écart des réunions scientifiques. On a pas beaucoup l'occasion de pouvoir se sentir vraiment intégrés, ou reconnus. On sait que le contexte est un peu particulier, et que tout le monde doit être informé pour des histoires de survie, mais il n'empêche qu'on apprécie. Ça nous donne l'impression d'être à nouveau des gens intelligents.
Light passa l'éponge sur la notion "d'histoires de survie", qui lui sembla un bref instant être un euphémisme relativement proche de la non-assistance à personne en danger, et se rendit compte que L paraissait lui aussi avoir omis tout le laïus, pourtant respectable, du lieutenant pour ne se concentrer que sur certains points, dont l'expression atténuée qu'il avait utilisé pour souligner les fortes probabilités de décès brutal ou de séquelles physiques et morales graves impliquées par l'expédition.
- Faites comme Light-kun a dit, décréta finalement le détective, après une courte hésitation durant laquelle il du probablement achever de déterminer quelle possibilité était la moins problématique. Mais nous aimerions que vous fassiez quelque chose pour nous lorsque vous transmettrez le message.
Seashell hocha vivement la tête, et le sourire qui éclot sur ses lèvres vint trahir la fierté qu'il ressentît à devenir en quelque sorte un homme de main de L, alors que sa position découlait davantage d'un hasard des plus absolus et surtout du fait qu'il avait été le seul à leur demander quelle stratégie appliquer. Light nota l'utilisation du "nous" par le détective, et se retint de grincer des dents.
Il lui semblait en effet que L avait volontairement abandonné le recours au pronom individuel pour formuler une requête moralement ambiguë envers Seashell, incluant ainsi Light dans la corruption de ses propos et le faisant acteur tout autant que lui d'une situation incommodante, tout en se dédouanant être seul responsable par la même occasion. Le détective se pencha en avant, sur sa chaise, avec des airs de conspirateur. Comme Seashell s'abaissait pour prendre les ordres, ils se rencontrèrent à mi-chemin, et Light trouva le tableau aussi comique que ridicule, et paradoxalement quelque peu inquiétant.
- Nous voudrions, expliqua L avec une lenteur certainement intentionnelle, et une sorte de douceur de vautour, que vous observiez attentivement pour nous les réactions de chaque membre de l'équipage à qui vous ferez parvenir la nouvelle. Quand vous aurez terminé, nous aimerions beaucoup que vous veniez nous faire un compte-rendu de ce que vous aurez noté.
- À cause de la taupe dont nous vous avez parlé en réunion ? Enchaîna immédiatement Seashell, surprenant presque Light par la vitesse de sa réponse.
- Oui, reconnut L en retour.
- Ça vous aiderait à savoir qui c'est si je regardais comment les autres réagissent ?
- En partie. Plus nous avons d'éléments, et plus nous pouvons procéder à des éliminations.
Les yeux bleus du lieutenant s'écarquillèrent d'un effroi soudain.
- Vous voulez éliminer quelqu'un ? Paniqua t-il. Qui ?
Un instant, Light avait cru, et ce depuis la réunion, que l'équipage du Svetlana avait mis de côté son exubérance et sa niaiserie le temps de digérer les données transmises par les scientifiques et de prendre conscience du nouvel abîme de risques qui s'ouvrait devant eux. À l'évidence, la transition était à présent terminée, et chacun des membres revenait lentement mais sûrement à l'état de folie douce qui les avait caractérisé dès leur rencontre avec Light et L.
Pour un peu, il en éprouva une forme de soulagement quasi incompréhensible, étant donné qu'il avait singulièrement méprisé la bêtise générale de l'équipage à compter du premier jour, et qu'il s'en exaspérait, tout comme le détective, à longueur de journée. Cependant, il était forcé d'admettre que si les âneries à répétition étaient lassantes, la moindre lueur d'intelligence et de perspicacité apparaissant sur les visages ou dans les yeux des membres de l'équipage du Svetlana avait quelque chose de vaguement dérangeant, et même d'inquiétant.
Tu t'es trop habitué à ce qu'ils soient stupides et tu as laissé baisser ta garde
- On ne veut éliminer personne, intervint-il pour s'échapper de l'impression d'avoir commis une erreur, et qui lui rappelait par trop l'affaire Kira, et son aveuglement d'antan. Nous faisons juste un tri parmi les personnes suspectes, et celles ne l'étant pas. L'élimination veut simplement dire que nous vous considérons comme blanchi.
Seashell fit de nouveau la grimace, et Light faillit lever les yeux au ciel.
- Innocents, précisa t-il alors, et le lieutenant fit savoir sa compréhension par un sourire un peu hébété.
- Et vous voulez que je regarde quelque chose en particulier ? S'enquit-il ensuite, avec une sincérité et une évidente volonté de bien faire qui l'aurait rendu sympathique aux yeux de n'importe qui. Je n'ai jamais fait ça, donc je demande, vous voyez.
L posa à son tour sa tasse de café sur la petite assiette qui traînait près de lui, sur la table, et les deux surfaces de porcelaine s'entrechoquèrent avec une douceur cristalline. Ses yeux noirs se levèrent ensuite vers Seashell, et ils eurent l'air de deux torpilles qu'on lance à pleine vitesse au milieu de l'océan pour atteindre une cible invisible autrement que par des signes indistincts sur des radars.
- Pas spécialement, dit-il. Soyez attentifs à leurs manières, à leurs discours. Vérifiez s'ils réagissent comme vous avez l'habitude de les voir réagir, ou si vous trouvez qu'ils se comportent d'une façon inhabituelle.
- C'est quoi, pour vous, inhabituelle ? Demanda alors le lieutenant non sans une certaine perspicacité. Parce qu'ici, je ne sais pas si vous aviez remarqué, mais le niveau est un peu différent par rapport au reste du monde.
Light se contint d'ajouter que c'était peu dire, et laissa soigneusement à L le soin de répondre sans le moindre enrobage verbal, ainsi qu'il était accoutumé à le faire, tout en l'observant du coin de l'œil avec un intérêt renouvelé.
- Suivez vos propres critères, lui conseilla le détective d'une manière un peu plus sèche, témoignant d'un agacement intérieur croissant. Si vous repérez quelque chose qui vous paraît incongru, notez-le et venez-nous en faire part.
- Ça peut être n'importe quoi ?
- Tout, lui confirma L. Une posture, un geste, un clignement de l'œil, un frémissement de la lèvre. Tout ce auquel vous ne vous vous seriez pas attendu de la part de vos collègues.
Seashell fronça les sourcils, et l'expression de son visage, sans indiquer la méfiance, se fit néanmoins plus inquiète, plus soucieuse.
- Mais ils peuvent être plusieurs à réagir d'une façon un peu...enfin, vous voyez, s'empressa t-il de dire pour ne pas chercher ses mots sous le regard insistant du détective. Comment je sais ce qui sera pertinent et ce qui ne le sera pas ?
Light se redressa sur sa chaise, et adressa au lieutenant un sourire qui se voulait apaisant.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, lui dit-il, prenant la suite de L qui ne manifesta aucune contrariété à son intervention. Ce n'est pas ce qu'on vous demande. Tout ce qui nous intéresse, c'est que vous nous signaliez si certains des membres de l'équipage ont agi autrement que ce à quoi vous êtes habitué. Toutes vos observations seront les bienvenues, même celles que vous estimerez inconséquentes. Ryûzaki et moi nous occuperons de traiter les données afin de savoir si nous pouvons nous en servir pour débusquer la taupe.
Là-dessus, les angoisses de Seashell semblèrent se dissiper pour de bon, et il finit par sourire benoîtement en retour et par hocher la tête, indiquant son adhésion et sa loyauté à la stratégie du détective. Il allait rejoindre les couloirs pour commencer la transmission de la nouvelle, et avait au passage sorti un petit carnet et un crayon à papier de sa poche de chemise d'uniforme, ce qui lui donnait l'air vaguement coupable, quand il se tourna brusquement vers L et Light une fois atteint le pallier de la porte du salon. Tous deux levèrent la tête vers lui, essayant vainement d'irradier d'innocence et de bienveillance, et lui firent ainsi savoir qu'il pouvait parler sans crainte.
- Mais me concernant, commença t-il d'un ton étrange, qu'aucun d'eux n'avait anticipé mais dont ils avaient pourtant déjà eu des preuves, lors des réunions antérieures notamment. Me concernant, qu'est-ce qui vous dit que je ne suis pas la taupe ?
Cette fois, Light jeta un coup d'œil rapide vers L, qui le lui rendit.
On parle ou pas ?
Le détective prit la parole avant lui, avec cet air doucereux que Light l'avait vu exhiber parfois, et au cours de l'affaire Kira, et qui n'avait jamais manqué de le hérisser tant elle avait quelque chose de trouble et de mauvais qui, malgré sa connaissance du caractère de L, lui paraissait toujours être complétement étrangère et provenir de quelqu'un d'autre.
- Soyez tranquille, assura L au lieutenant. Nous ne pouvons rien vous dire pour le moment de part la délicatesse de l'enquête, mais nous ne vous aurions pas demandé de surveiller vos collègues si nous vous trouvions véritablement suspect.
- Ah ! S'exclama Seashell, ravi, avant de percuter. Mais vous me trouvez suspect quand même ?
- Tout le monde doit l'être, y compris nous, lui expliqua Light. Tant que nous n'avons pas davantage d'informations sur les habitudes et les manières de chacun, nous devons laisser ouvertes toutes les possibilités, mais nous avons déjà eu l'opportunité avec Ryûzaki d'observer certains comportements et agissements qui nous ont poussé à croire que vous n'êtes pas parmi les plus suspects.
Sa remarque rassénera le lieutenant, qui s'élança dans les couloirs avec un entrain évident du à sa nouvelle mission et à la confiance que les prétendus assistants de L lui avaient exprimé. Light, un rictus tordant ses lèvres, se tourna vers L, qui avait encore les yeux rivés sur la porte ouverte du salon.
- Tu viens d'augmenter son pourcentage ?
- On ne peut rien te cacher, Light-kun, répondit le détective.
x
Le lieutenant parti, ainsi que les occupants de la table des débats sociétaux et politiques, L et Light se retrouvèrent bientôt les seuls à être demeurés dans le salon du Svetlana. Le bulletin d'informations à la télévision s'état terminé, et la chaîne présentait maintenant un documentaire sur la faune et la flore sous-marine, au contenu visiblement intéressant, mais surtout pertinent, et légèrement ironique dans un contexte où l'espèce qu'on pensait être responsable des disparitions en mer était inconnue au bataillon.
Light se leva, alla récupérer la télécommande, et éteignit le poste accroché au mur alors que celui-ci montrait un récif de corail superbe et luxuriant, qui aurait sans aucun doute juré au Cathare de part ses couleurs intenses et ses formes élégantes. Quand il rejoignit la table où il s'était installé avec le détective, ce dernier avait passé les bras autour de ses genoux, repliés contre son torse, et s'était mis à mordiller son pouce tout en fixant un point invisible droit devant lui.
- Tu penses sincèrement que Seashell pourrait nous être d'une quelconque utilité pour mettre la main sur la taupe à bord ? Lui demanda t-il, tout en anticipant néanmoins la réponse.
- Il pourrait, admit L avec une précaution excessive. Si c'est lui, je pense que nous pouvons supposer qu'il va tout faire pour nous ramener de quoi suspecter davantage ses collègues et nous éloigner de sa trace.
- Pas sûr, répliqua Light, et tout en formulant ses observations, il prit la tasse de café vide de L et la sienne pour les apporter sur le comptoir où les membres de l'équipage laissaient traditionnellement les leurs, pour que Pierre ou Lellou les livrent ensuite à la cuisine. Si c'est vraiment lui la taupe, il peut aussi chercher à brouiller les pistes d'une façon plus subtile, en innocentant le reste de l'équipage, par exemple.
- Pour se donner le beau rôle, reprit L, ses yeux noirs jours rivés dans le lointain.
- Pas seulement, objecta alors Light, en appuyant son dos contre le comptoir et en croisant les bras dans une posture qu'il avait déjà exhibé dix, cent fois durant l'affaire Kira, avec une confiance qui avait depuis été largement mise à mal par sa défaite. Souviens-toi de ce que je lui ai dis avant qu'il ne parte : tout le monde est supect, même nous. Je pense que, s'il est réellement la taupe, l'information ne sera pas tombée dans l'oreille d'un sourd. S'il démontre que ses collègues n'y sont pour rien, alors les possibilités vont vers ceux qui restent, à savoir toi, moi, et les scientifiques.
L secoua la tête.
- Trop compliqué, Light-kun. Nous travaillons ensembles, il sait que nous partageons les informations, ce serait mal avisé de sa part que d'essayer de semer la zizanie.
- Mais c'est ce que tu tentes de faire de ton côté, lui opposa Light, notant avec une satisfaction décontractée le regard de L se posant finalement sur lui. En lui demandant d'espionner ses camarades, tu cherches à instaurer un climat de méfiance qui sera d'autant plus propice à la trahison. Pourquoi ne pourrait-il pas faire de même ? Sa perspective n'est pas différente de la nôtre : il voit deux collègues, mais pas deux amis.
- On ne peut pas le blâmer sur ce point.
- Non, reconnut Light d'un ton presque enjoué. Mais tu conviendras que dans ces conditions, il est tout à fait en droit de vouloir la jouer plus finement qu'en exposant un membre de l'équipage au hasard, ce qui risquerait au passage de nous amener droit vers lui, étant donné que les renseignements viendront de sa part.
L l'observa avec une fixité de rapace, ses yeux noirs émergeant du tissu blanc des manches longues de son t-shirt comme ceux d'un monstre qui aurait été jusqu'à lors tapi dans les profondeurs, attendant une heure plus propice pour apparaître.
- C'est ce que tu ferais, Light-kun ? Lui demanda t-il sans le quitter du regard, d'un ton tout à la fois prodigieusement neutre et imperceptiblement railleur.
Cette fois, ce fut Light qui, durant une fraction de seconde, éprouva l'envie puissante de lancer quelque chose à la tête du détective (il faut toujours qu'il ramène tout à ça toujours). Il n'y avait pas d'erlenmeyer dans les parages, cependant, et les membres de l'équipage seraient sans doute plus promptes à constater la disparition d'une de leurs tasses que les scientifiques à remarquer l'absence d'un ustensile impersonnel dont le laboratoire disposait déjà en plusieurs exemplaires.
- Pourquoi pas ? Finit-il par concéder au détective tout en haussant les épaules, comme si ça n'avait aucune importance, alors que c'était le cas. Probablement. Si je tenais vraiment à faire durer le suspens le plus longtemps possible.
- Tu mets un membre de l'équipage du Svetlana au même niveau que toi ? Reprit L, et Light remarqua alors que seuls ses yeux, immenses, cernés, étaient la partie visible de son visage, le reste étant encore rendu invisible par ses bras et ses jambes repliées.
Est-ce que tu partagerais ?
- C'est une possibilité, admit Light sans broncher. Je crois qu'on devrait arrêter de les sous-estimer, et nous rappeler que les apparences peuvent être très trompeuses.
- Tu en sais quelque chose, assurément.
- Toi aussi, répliqua t-il du tac-au-tac.
- Je ne me souviens pas avoir jamais poussé la mascarade aussi loin que tu ne l'as fait, objecta le détective, bien que maigrement, et il sembla à Light que celui-ci en avait conscience.
Au dessus de sa tête, il voyait le véritable nom de L danser en lettres rouges, énormes, grotesques. Un peu plus tôt au cours de la nuit, avant l'arrivée de Nenn, avant que le détective ne quitte le laboratoire après avoir essayé de le blesser comme Light l'avait fait, en sachant cependant très bien qu'il avait toujours été celui qui avait infligé les dégâts les plus importants, Light avait eu l'impression de remarquer une modification de son espérance de vie, aussi brutale et vive que celle de l'œuf auparavant, et qu'il n'était pas parvenu à expliquer.
Il lui semblait qu'elle avait eu lieu peu après que L ait donné son accord à la théorie qu'il avait proposé au sujet de l'espèce I, selon laquelle cette dernière était issue d'une toute autre classe animale, et plus spécifiquement au moment où l'image du détective sur un trône tout à côté du sien, sa main décharnée dans la sienne, avait éveillé tout ce qui l'avait poursuivi sans relâche dans le Cathare, encore à présent sur Terre, et même durant l'affaire Kira, en dépit de la justice et de son souhait de déité, ou peut-être justement avec eux, suffisamment pour que ses désirs et ses ambitions se confondent. Il songea, avec une amertume glacée, qui avait eu tout le temps nécessaire pour refroidir et se solidifier, à ce que le détective lui avait dit alors, quand Light avait tenté de lui offrir le monde, et à l'expression qui s'était inscrite sur son visage livide, épuisé.
- Tu l'as fait, répondit-il au L du présent, à celui qui le regardait sans compassion ni compréhension, avec le détachement d'une machine. Quoi que tu en dises, tu portes le masque depuis beaucoup plus longtemps que moi, Ryûzaki. La seule différence, c'est que contrairement à moi, tu as toujours refusé de le reconnaître. Tu sais que j'ai raison.
- Je ne me cache pas, lui opposa L presque sèchement.
- Si. Simplement, tu ne le fais pas de la même façon que moi, c'est tout. Et si tu étais un peu moins obnubilé par l'idée que tu es meilleur que tout le monde, tu comprendrais que n'importe qui peut agir de cette façon, y compris l'équipage de ce bateau.
- Ils n'ont pas l'air suffisamment malhonnêtes pour ce genre de tours de passe-passe.
- Parce que tu les sous-estimes, déclara Light. Tu penses que seuls les gens comme toi ou moi peuvent le faire. Ce n'est pas une question de malhonnêteté ou d'intelligence. Juste de contexte. Tu le sais aussi bien que moi.
Il recula légèrement contre le comptoir, contemplant le détective de haut, ravi de son effet et de l'absence d'argumentation contraire de la part de L.
- Je te croyais plus doué en psychologie, ajouta t-il pour le principe, sans dissimuler son sourire ni la joie sombre que lui procurait son avantage intellectuel, en dépit de l'aspect temporaire de celui-ci.
L refusa de lui renvoyer la pique, et opta à la place pour un changement de sujet vers un terrain moins glissant, tout du moins pour lui.
- Dis-moi ce que t'as dit Lameloise, ordonna t-il.
Mauvais perdant
Skin head, dead head
Des skinheads, des têtes de morts
Everybody gone bad
Tout le monde est devenu mauvais
Situation aggravation
Situation, aggravation
Everybody, allegation
Tout le monde ne vit que par des allégations
In the suite on the news
En costume, aux infos
Everybody, dog food
Tout le monde n'est plus que de la nourriture pour chien
Bang-bang, shock dead
Bang bang, il est mort par une balle dans la tête
Everybody's gone mad
Tout le monde est devenu fou
Extrait du morceau They don't care about us de Michael Jackson
31 mars 2008, 12 heures 04, Washington D.C, États-Unis.
D'ordinaire, aux alentours du repas de midi, l'effervescence qui paraissait toujours régner à l'intérieur et tout autour de la Maison Blanche, et qui pour beaucoup de poètes et de penseurs abstraits avait fini par prendre forme en tant qu'habitante à part entière de la demeure, avait néanmoins tendance à diminuer, à perdre son pouvoir, temporisée qu'elle était par la faim tant de ses occupants que de ses assaillants et l'apaisement général procuré par un gueuleton ardemment désiré. En son sein, les négociations incessantes, les oppositions, les guerres d'opinions, les rumeurs, le travail minutieux et constant de la bureaucratie ouvrait les appétits, et la moindre possibilité de pause continuait d'être la bienvenue, en dépit de la qualifiée "noble et grande tâche" que les individus emplissant les couloirs et les bureaux de la résidence présentielle américaine avaient à cœur de mener à bien, de jour comme de nuit, se fichant presque de la notion d'horaire et encore davantage du concept de bien-être.
La Maison Blanche, et ce depuis qu'elle avait été bâtie au tout début du XIXéme siècle, n'avait jamais eu de cesse de respirer de son propre chef, comme si elle était entièrement vivante indépendamment de la volonté de ses habitants, et sa silhouette massive, éclatante, construite dans le style géorgien et dont les hautes colonnes avaient pour vocation de concurrencer celles de l'acropole, sans toutefois parvenir à comprendre que seul le temps pouvait agrémenter d'autant de majesté des artifices architecturaux de cet ordre, s'élevait désormais avec des relents de menace.
Qui ose entrer dans ma demeure ?
Depuis qu'il était enfant, Robert Gates avait éprouvé à l'encontre du siège de la présidence des États-Unis une forte attraction mêlée de répulsion et de peur. Ce n'était pas tant une question de structure et de style que d'ambiance générale, bien que les deux premières aient fini par gagner en importance au fil des années, à tel point que le secrétaire à la défense voyait aujourd'hui, en lieu et place des habituelles grandes fenêtres de la demeure, une quarantaine d'yeux perçants qui l'observaient avec gloutonnerie et malveillance comme celui-ci traçait son chemin, entouré de ses deux gardes du corps, vers la porte principale en vue de rejoindre George Bush pour un déjeuner d'urgence.
L'expression même de "déjeuner d'urgence" avait quelque chose de totalement inédit qui ne manquait jamais de faire froncer les sourcils de ceux à qui Gates évoquait cette éventualité, et dont les deux termes qui la composait entraient invariablement en opposition violente l'un avec l'autre, car le mot "déjeuner" tendait à faire référence à toute la douceur d'une restauration agréable et longuement attendue, tandis que "d'urgence" avait davantage pour vocation de détruire la moindre espérance de tranquillité en y injectant toute l'angoisse d'une situation devant être résolue au plus vite. D'ordinaire, Gates prenait ses repas le plus souvent dans son bureau ou en compagnie de collègues appréciés, dont il savait que la conversation ne risquait pas de dériver vers les sujets les plus épineux de leur prestigieuse fonction gouvernementale.
Il aimait pouvoir profiter de ces collations pour libérer son esprit de la nervosité habituelle qui était propre à sa profession, et des milles et unes petites inquiétudes qui constituent le quotidien de n'importe quel homme, femme ou enfant foulant de ses pieds le sol de la planète. La bonne chère appelait le plus souvent la bonne humeur, et l'apaisement des tensions, sous couvert que les convives se montrent bien disposées à suivre les règles de la table. Il était par ailleurs très rare, si ce n'était hautement improbable, qu'il eût besoin de réquisitionner le président des États-Unis pour un repas aussi pressant.
Le plus généralement, et cette option lui convenait parfaitement, il s'adressait à d'autres de ses proches conseillers, qui s'occupaient ensuite de faire remonter le message. On aurait guère pu dire que la fourmilière de la maison blanche n'était pas organisée, ou tout du moins pas hiérarchisée, car les plaintes à propos de l'organisation devenaient de plus en plus bruyantes ces derniers temps. Par conséquent, il avançait vers le bureau ovale avec une agitation qui croissait de seconde en seconde, et sous son bras, le dossier marqué du sceau de la confidentialité rouge le plus absolu lui paraissait devenir si lourd à mesure qu'il approchait de sa destination qu'il en aurait pesé plus d'une tonne une fois arrivé. On ne disait rien, il n'adressa la parole à personne, marchant vite et droit, saluant brièvement d'un signe de tête sec les individus pour lesquels d'habitude il s'arrêtait pour échanger une poignée de main et quelques mots, des informations, des secrets ou des plaisanteries. L'heure n'était plus à la moindre décontraction, désormais.
En parvenant devant la porte du bureau, il tomba sur Donald Winter, le secrétaire à la Marine, et chercha dans un réflexe presque inconscient Gary Roughead. Jamais alors les trois hommes n'avaient autant travaillé ensembles, bien que leurs domaines eussent été particulièrement proches politiquement parlant. Winter avait des cernes effroyables et d'un noir inquiétant sous les yeux, et le teint pâle d'un homme qui voit passer chaque journée comme un supplice. Gates se garda bien de la moindre remarque quand il l'aborda et lui serra la main avec une chaleur nouvelle, témoignant d'une compassion et d'une compréhension mutuelle.
Lui même dormait peu depuis le début des événements, et la récente tournure de ces derniers semblait propre à achever de ternir son sommeil de façon définitive. On lui avait parlé du métier comme stressant de manière générale, comme tous les postes à responsabilités gouvernementales, mais après la CIA, le scandale Iran-Contra et les innombrables conseils d'administrations, il avait estimé que son cuir s'était suffisamment tanné pour résister à des invasions multiples. À l'évidence, il avait sous-estimé ce cuir, et surtout la nature des invasions contre lesquelles il aurait à lutter. Bien entendu, personne n'aurait pu prévoir en théorie les disparitions en mer, pas plus que leur augmentation au cours de ces dernières années. Les taupes et les trahisons avaient été anticipées dans la mesure des moyens dont disposait la présidence, mais cependant, l'aspect imprévisible de la réémergence de certains cadavres à des endroits tout aussi indevinables avait rendu l'équation infiniment plus compliquée que prévue.
Il n'était pas sensé y avoir autant de cadavres
- Roughead ne viendra pas, le prévint Winter, qui lui même transportait avec lui une pile de documents qui étaient à l'évidence tout aussi confidentiels que ceux apportés par Gates. Il a une mauvaise grippe, on m'a dit qu'il était cloué au lit avec trente neuf de fièvre.
- Il a bien choisi son moment, ne put s'empêcher de railler Gates, davantage par dépit que par méchanceté.
- Il a présumé de ses forces, objecta le secrétaire à la Marine d'un ton qui aurait pu passer pour sincèrement désolé sans la lueur méfiante de ses yeux. Il se surmène depuis le début de cette histoire, sans doute plus que nous. C'est lui qui gère toute la partie terrain, pour rappel.
- Il a choisi son domaine, nous avons choisi le nôtre.
Winter secoua la tête avec un sourire complaisant.
- Mais pas la situation actuelle, affirma t-il.
Gates lui accorda l'argument avec un "hum" neutre et court. Au même moment, on leur ouvrit la porte du bureau ovale, et Dick Cheney, le vice-président des États-Unis, en sortit avec sur le visage une expression atterrée, qui en disait long sur son dernier échange avec le dirigeant du pays.
- Messieurs, les salua t-il poliment et sans hauteur quand il les vit en train d'attendre comme nombre d'hommes politiques avant eux, le droit droit, réajustant leurs vestes de costumes, leurs boutons de manchettes, leurs lunettes, le contenu de leurs dossiers. Vous pouvez entrer, monsieur le président m'a chargé de vous dire que vous étiez très attendus.
En langage politique, l'insinuation n'était pas bonne. "Être très attendu", communément parlant, possédait certes une connotation positive, mais tout son pouvoir disparaissait dès lors qu'elle était exploitée dans le contexte d'une situation de crise. Gates et Winter échangèrent un coup d'œil nerveux. Winter avait perdu trois teintes en l'espace record d'une demi-seconde, ce qui aurait pu être tout à fait prodigieux, si son état n'avait pas été du à une panique soudaine. Gates savait son visage crispé, et rougissant. Chacun gérait la nervosité à sa façon, avec ses couleurs. Certains portaient le blanc, d'autres le rouge. Gates en avait même connu qui avaient une préférence marquée pour le gris ou le vert.
Ils pénétrèrent avec une lenteur voulue dans le bureau ovale, avec ses tentures de miel, ses meubles d'acajou sombre luisant, ses peintures de maîtres, ses canapés moelleux et ses roses. Durant une fraction de seconde, par pure angoisse, Gates songea qu'il n'avait jamais rien vu d'autre que des roses au sein du bureau, et s'interrogea sur cette manie étrange des présidents de refuser d'autres fleurs, aux symboliques potentiellement plus puissantes et patriotiques.
Derrière l'unique bureau massif, plus inquiétant qu'impressionnant, George W. Bush leva à peine les yeux en entendant entrer les deux hommes de son gouvernement les plus en vogue à l'heure actuelle, mais pas nécessairement pour les meilleures raisons. Il signait des papiers, ainsi que le font toujours les hommes et les femmes qui possèdent des bureaux comme le siens.
Si Gates n'avait pas été présent dans le bureau ovale, il aurait sans doute effectué le même genre de tâche sur son propre lieu de travail. Il lui sembla, pendant un moment, que le front du président était en train de se dégarnir, car il lui avait paru plus plein la dernière fois qu'ils s'étaient vu, plus couvert. Sa réflexion n'eut cependant pas le loisir de se prolonger, car George Bush, déposant un document auquel il venait d'apposer sa signature sur une pile de centaines d'autres, leva tout à coup la tête vers eux, et Gates sentit que sa colonne vertébrale était prise d'une contraction violente et désespérée.
- Messieurs, commença le président.
Il leur fit le signe de prendre place sur l'un des canapés, juste devant le vase de roses multicolores qui avait été placé sur la table basse.
- Nous y serons beaucoup plus à l'aise, leur affirma t-il. Et Dieu sait que j'ai besoin de confort en ce moment.
Ni Gates, ni Winter ne se firent prier. Ils s'installèrent comme un seul homme, le dos toujours très droit, chacun avec ses dossiers sous le bras, et attendirent patiemment que le président des États-Unis daigne les rejoindre pour entamer la conversation. Il était évident qu'aucun d'eux ne souhaitait l'avoir, et Gates n'avait pas besoin d'un medium ou de pouvoir surnaturel pour s'en douter, tout comme Winter ou George Bush devaient le savoir eux aussi.
Il n'avait jamais, oh grand jamais, été prévu d'avoir cette conversation. Elle avait eu lieu une fois, une seule fois auparavant, mais le passé l'avait bien enterrée, et les choses étaient mieux ainsi. Elle n'aurait jamais du ressortir de terre et ramper jusqu'à eux, s'accrochant à leurs jambes pour se rappeler à leur mémoire, et aussi, un peu, à leur culpabilité, une vieille émotion rance et désagréable que la plupart des politiciens préféraient mettre de côté et enfermer dans un placard sans fond avant qu'elle ne se décide à les happer.
Les coussins du canapé étaient d'une volupté remarquable, son rembourrage exceptionnel. Une ou deux fois, Gates avait eu le privilège de s'y poser dans le cadre de photos officielles ou de réunions décontractées, mais les occasions avaient été tragiquement limitées ces derniers temps, et il n'aurait jamais pensé s'y asseoir de nouveau, encore moins dans de telles circonstances. Le président vint prendre place à son tour sur le canapé situé en face du leur. Sous des sourcils froncés, ses yeux bleus sombres allaient de Winter à Gates, de Gates à Winter, et paraissaient essayer d'estimer lequel des deux lui annoncerait la pire des catastrophes. Il ne sembla pas capable de se décider définitivement, et rompit le silence d'une voix anormalement vieillie et caverneuse, devenue rauque à force d'avoir trop parlé au cours de la journée.
- Soyez francs, ordonna t-il à ses deux conseillers. À quel point doit-on s'inquiéter ?
Tournant la tête l'un vers l'autre pour déterminer lequel devait parler en premier, ni Winter ni Gates n'exprimèrent cependant de désir particulier de prendre la parole. Le front de Winter luisait dangereusement, signe que l'homme commençait déjà à transpirer. Il ne faisait pas réellement chaud, d'autant que la température générale au sein de la maison blanche était toujours calculée pour convenir au maintien de la concentration de ses résidents, toutes et tous vêtus de tailleurs et de chemises à manches longues, ainsi que de vestes élégantes mais dont l'épaisseur n'était guère secourable en cas de fortes chaleurs, et cependant Gates se doutait que la tension et l'agitation accumulée entre leur requête de déjeuner avec le président et le temps qui s'était écoulé depuis étaient plus que propices à des bouffées de stress brûlantes.
Lui-même était plus fébrile que jamais, malgré les bouteilles déjà à son actif, et en toute honnêteté, il ne voyait aucune bonne manière d'aborder le sujet et de répondre à la question de George Bush. Ce constat, couplé à un souhait de plus en plus vif d'en finir rapidement et de retourner à ses occupations, dans la tranquillité apparente de son bureau, le poussa à prendre le rôle du messager annonçant les mauvaises nouvelles. Il pensa aux images de ces médecins du moyen-âge qu'il avait vu des années auparavant, celles où on les voyait, grandes figures enveloppées dans des capes noires sinistres, le visage recouvert d'un masque au bec de canard surdimensionné, le crâne dissimulé sous un chapeau à larges bords, et se dit qu'il devait probablement ressembler en cet instant à ces êtres surréalistes et cauchemardesques en un sens, puisque lui aussi ne venait que pour apporter un diagnostic pessimiste et fatal.
- Monsieur le président, débuta t-il sur un ton qu'il voulut aussi ferme que possible, et qui sortit des profondeurs de sa gorge tout juste hésitant. Je crois que monsieur Winter ne trouvera pas mes propos exagérés si je vous affirme qu'il nous faut nous inquiéter plus que de raison.
Le président, avec un sourire en coin affreusement ironique et défaitiste, et tout en se reculant dans le dossier onctueux du sofa, se tourna vers Winter à la recherche d'une confirmation. D'un geste tremblant, celui-ci repoussa ses lunettes à monture rondes sur son nez.
- J'ai bien peur que cela ne soit vrai, monsieur le président, déclara t-il finalement.
- J'ai vu Cheney juste avant vous, dit alors George Bush. Il m'a prévenu que vous lui aviez envoyé des rapports très alarmants. Où en est-on ? Quel est le problème cette fois, exactement, pour que vous ayez absolument voulu me voir en personne ?
Gates, qui n'attendait en fin de compte qu'une occasion, se jeta dans la mêlée avec un courage que ses adversaires politiques même auraient pu saluer, s'ils en avaient été témoins.
- Deux choses, monsieur le président. D'abord, notre réseau a subi un piratage la nuit dernière.
- Quelle partie du réseau ? Réagit aussitôt le président en vrillant sur Gates un regard aigu et menaçant. L'armée ? La défense ?
- Pas exactement. La marine.
Et les yeux de George Bush de se reporter sur le pauvre Winter, qui avait l'air sur le point de défaillir.
- Un acte terroriste ?
- On ne sait pas encore, affirma Gates. Monsieur Winter n'a été prévenu que très tôt ce matin. C'est son ordinateur personnel qui a été visé. Le responsable, quel qu'il soit, a fait tomber la quasi totalité des pare-feu et de nos antivirus, et il n'a pour ainsi dire laissé aucune trace, à l'exception d'une alerte enregistrée par un de nos vieux anti malware, dont on avait prévu la désinstallation d'ici la fin du mois.
- Vous pouvez l'annuler, mon vieux, ne manqua pas de plaisanter sèchement George Bush. Les secrets des États-Unis d'Amérique sauvés par un logiciel obsolète, belle publicité pour le progrès, ma foi !
Winter regarda Gates d'un air terrorisé, et le président le remarqua.
- Quoi ? Demanda t-il. C'est la blague qui vous gêne, Winter ?
- Monsieur le président, reprit alors celui-ci comme si on lui avait demandé de plaider sa cause devant un tribunal accablant. Le fait que les secrets d'état n'ont pas été si sauvés qu'on le pensait.
- Comment ça ?
Le ton de George Bush s'était durci, et le changement arracha une grimace au secrétaire à la marine, dont la tentative de dissimulation força néanmoins le respect de Gates.
- Il y a eu une alerte qui nous a permis de découvrir l'intrusion, expliqua Winter avec lenteur. Mais aucune de nos protections informatiques n'est malheureusement parvenu à l'empêcher. Tout ce qu'il y a sur cet ordinateur a été accessible à l'individu qui s'y est introduit.
Le président resta silencieux durant un court laps de temps, joignant les mains devant lui, appuyant ses lèvres pincées contre elles, soupirant, et Gates craignit qu'il ne perdit tout à coup son sang-froid. C'était déjà arrivé une fois, lors des attentats du 11 septembre 2001. Face aux caméras, les dirigeants nationaux étaient toujours apaisés, maîtres d'eux et rassurants. Une fois les yeux du monde tournés ailleurs, ils redevenaient des hommes comme les autres, avec leur coups de sang et leurs colères.
- Tout a été accessible ? Reprit-il après une hésitation, regardant Winter avec l'espoir évident que celui-ci lui dise "mais non, c'était une blague, tout est sous contrôle !".
Winter hocha pitoyablement la tête.
- Tout.
- Les dossiers confidentiels, les rapports, tout ?
- Hélas oui, monsieur le président.
- Même la déclaration ? Celle de 2006 ?
- C'est la raison pour laquelle nous avons sollicité cette entrevue, se permit Winter avec une humilité presque touchante.
Le président soupira de nouveau, plus profondément cette fois. Gates eut l'impression de le voir rapetisser et vieillir sous ses yeux, comme si la nouvelle avait aspiré sa force, son charisme et son énergie.
- Nous sommes en train d'essayer de remonter la piste du hackeur, intervint Gates, sentant que les deux autres hommes étaient en train d'adopter un mutisme de dépit. Ce ne sera probablement pas facile, étant donné qu'il a été incroyablement discret, mais monsieur Winter m'a assuré avoir mis ses meilleures équipes à la tâche.
- Vous excuserez mon manque d'enthousiasme, Gates, dit le président, les yeux levés vers le plafond du bureau ovale, mais si votre type est doué au point de n'être repéré que par un logiciel passé de mode, si j'étais vous, je ne me ferais pas trop d'illusions.
- Nous essaierons quand même, monsieur le président. Tout est bon à prendre.
George Bush haussa les épaules, à peine convaincu.
- Si la déclaration filtre, je risque mon mandat, asséna t-il froidement. Et vous, votre place. Si les gens apprennent qu'on leur cache des disparitions similaires depuis 2005 avec l'accord de plusieurs autres pays, vous pouvez parier que les prochaines élections présidentielles auront lieu en avance...et pas seulement aux États-Unis.
- Nous le savons, affirma Gates. J'ai déjà mis en place des mesures pour prendre contact discrètement avec les gouvernements internationaux qui ont participé à la signature du document ou qui en ont été informés par leurs prédécesseurs. Quitte à nier, autant faire bloc.
- Qui vous dit qu'ils accepteront ? Objecta le président. Ils vont nous traiter d'imbéciles, et ils auront raison. Chacun ses problèmes.
- Pas sur ce point, monsieur le président. Je pense que l'ampleur de la situation et les risques encourus pour l'ensemble de nos structures justifiera une alliance de cette sorte.
- Le public ne l'acceptera jamais.
Gates offrit au président des États-Unis un sourire ancien, glacé, qui en disait long et qui s'était formé avec les décennies passées au pouvoir.
- On ne demandera pas au public d'accepter, dit-il calmement. On lui demandera juste de regarder ailleurs. Le public a toujours fait ça très bien.
George Bush répondit par un rire sec, qui avait lui aussi vu passer certaines choses, probablement beaucoup plus que Gates.
- Si vous voulez que le public regarde ailleurs cette fois, Gates, vous allez devoir sortir de votre manche quelque chose de beaucoup plus gros qu'une guerre civile au Moyen-Orient ou que des suspicions de missiles nucléaires en Corée du Nord.
- Je pense que j'ai quelque chose qui devrait convenir, dit-il, et il tendit au président le rapport d'autopsie qu'il avait trouvé en arrivant dans son bureau ce matin-là, isolé de tous les autres documents.
George Bush le lut, cette fois non pas en diagonale, comme Gates savait qu'il avait pris l'habitude de le faire avec certains rapports, mais avec une attention soutenue. En observant les traits de son visage s'animer et bouger, ses sourcils se froncer, Gates pu deviner quel passage il était en train de parcourir, car il avait lui même fini par apprendre par cœur le contenu du document, tant celui-ci avait pris progressivement une importance capitale dans l'élaboration d'une stratégie visant à sauvegarder la légitimité et la respectabilité du gouvernement américain, tout du moins tel qu'il se présentait actuellement.
- Je ne vois pas en quoi vous voulez vous servir de la découverte de la dent géante dans un cadavre pour désamorcer notre situation, Gates, avoua le président après sa lecture. Ce n'est pas non plus une bonne nouvelle pour nous, bien au contraire. D'autant que j'étais déjà au courant. Les médias en parlent depuis ce matin.
Il y avait là une pique subtile, joliment affutée, qui s'attaquait directement à la mollesse de la transmission des renseignements entre les différents niveaux hiérarchiques du gouvernement.
- J'y ai bien réfléchi, monsieur le président, lui expliqua Gates. À priori, ainsi que vous le soulignez, se servir de cette découverte pour détourner l'attention du public parait effectivement inadéquat et dangereux. Cependant, et c'est la deuxième raison de notre visite avec monsieur Winter, avec lequel nous avons fréquemment échangé depuis ce matin, nous pensons tous deux que nous pourrions justement le retourner à notre avantage. Le fait est que nous n'avons pas pu maîtriser la diffusion des informations. Dans ce cas, maîtrisons leur niveau de véracité, et concentrons l'attention des médias et donc du public sur ce problème, pendant que nous réglons le plus urgent, à savoir la déclaration.
- Je ne vois pas où vous voulez en venir.
- L'expédition, monsieur le président, reprit Gates. Officiellement, nous sommes le pays ayant amorcé la recherche d'informations et la résolution du problème des disparitions. Toutes les découvertes peuvent donc légitimement passer par nous, et nous avons un droit de regard sur chacune d'elle de part la veille loi, certes un peu datée, mais encore appréciable, de la primauté. Je propose que nous envoyons le navire océanographique ayant la charge de résoudre cette affaire examiner la dent, et en déduire s'il s'agit oui ou non d'une fausse alerte. L'information a été diffusée par une source inconnue. Elle pourrait théoriquement provenir de n'importe qui, y compris d'un mauvais plaisantin. Tant que nous n'avons aucune confirmation, je dis que nous devrions saisir cette opportunité.
George Bush se leva, fit le tour du canapé, bras croisés devant lui. Son expression était soucieuse, mais exprimait également un intérêt profond pour les propos de Gates, qui en conçut une certaine fierté.
- Continuez, ordonna t-il.
- L'expédition arrive sur place, examine la dent. Entre temps, nous faisons dès aujourd'hui un communiqué pour calmer les craintes de la population et assurer que l'examen de cette découverte est prévu par l'expédition, et nous demandons au gouvernement de Djibouti de la garder sous clé en attendant l'arrivée des experts. Dans le même temps, nous apparaissons à la télévision pour des démentis, pour rationnaliser la situation et démontrer qu'une dent aussi énorme n'aurait jamais pu passer inaperçue jusqu'à aujourd'hui, qu'elle aurait du être découverte bien avant par nos scientifiques s'il s'agit réellement d'une espèce marine, et que ces incohérences tendent à renforcer l'idée d'une mauvaise plaisanterie. En outre, nous disposons du support de L, et vous savez ce que le public pense de L, malgré les moqueries de ces dernières années.
Le président se pencha au dessus du dossier du sofa, poings appuyés contre son armature.
- Sauf que ce n'en est pas une, répliqua t-il. Ce n'en est pas une mauvaise plaisanterie, et nous le savons. Les résultats de l'expédition confirmeront que la dent est réelle.
Gates songea alors aux derniers rapport que lui-même avait reçu en provenance du détroit de Magellan, qui faisaient mention d'une écaille large comme un plateau et d'une pierre qui s'était finalement révélé être vivante, et porter en son sein un spécimen tangible et véritable de quelque chose qu'ils s'étaient jusqu'à lors efforcé de garder dans l'obscurité des océans.
Mais ces choses-là brillent dans le noir
- En effet, monsieur le président, énonça t-il prudemment. Mais le public, lui, n'a pas besoin de le savoir. Ou en tout cas, pas tant que nous ne l'aurons pas décidé.
" Tu crois que les gens vont avaler ça ? "
" Pourquoi pas ? On est à la BTN. Notre job, c'est de rapporter les infos, pas de les
fabriquer. Ça, c'est le boulot du gouvernement. "
Dascomb, V pour Vendetta, James McTeigue
Indications :
- Le terme "kaika" désigne le moment où les fleurs de cerisier sont en pleine éclosion (il est suivi par le mankai, soit quand les fleurs sont en floraison, environ sept jours plus tard).
- La rivière Meguro à Tokyo est connue pour être bordée de cerisiers, au point qu'au printemps, les pétales forment un tapis sur l'eau (mais on ne peut pas se baigner dedans, et je tiens à ce que vous sachiez que je trouve ça fort dramatique).
- Des fois, dans ma tête, Misa est l'illustration parfaite du meme "I lived, bitch !". Avec Light aussi, un peu.
- Vous aurez bien sûr reconnu le proverbe "quand l'appétit va, tout va" qui provient du dessin animé "Astérix et Cléopâtre", datant de 1968. Vous remarquerez la subtilité de cette référence et l'absolue légitimité culinaire qu'elle donne à notre noble peuple gaulois (en d'autres termes : désolée, j'ai pas pu m'en empêcher).
- Si vous voulez boire un shot à chaque fois que le mot "erlenmeyer" apparaît, je ne vous en voudrais pas.
- Fondations, c'est pour les nombreuses références au passé qui jalonnent ce chapitre, de Misa en passant par Light, mais également par la présidence des États-Unis, qui évoque directement les premières disparitions et l'origine de la création de la déclaration secrète. Le titre est aussi en lien avec la mise en place de la stratégie élaborée par L et qui vise à monter les membres de l'équipage les uns contre les autres pour révéler l'identité de la taupe.
Alors, avant toutes choses, et parce que c'est important dans le contexte actuel de propager un peu d'joie (oui, je viens de l'écrire comme ça, je ne sais pas, y a des trucs en ce moment, je n'arrive pas à les expliquer), je vous souhaite à toutes et tous une très belle nouvelle 2021, et j'espère que vous aurez pu profiter un maximum de cette période pour vous reposer, vous changer les idées, et surtout bien ripailler (comme vous l'aurez lu dans ce chapitre, cette dernière activité est centrale dans notre bonne vieille culture...quoi, comment ça, des clichés alarmistes ?). On va brûler de l'encens pour que ce soit plus joyeux et moins chaotique que 2020 ! Et pour continuer sur ces entrefaites, je ploie devant vous afin de vous exprimer toute ma reconnaissance pour votre patience à l'encontre de mes délais qui, je pense, ont touché le fond mais creusent encore (cette blague a été validée par le comité de l'Humour qui Coule à Pic).
Je me dis en le relisant que ce chapitre est sans aucun doute un peu plus planplan que les précédents (haha...oui, la plupart de mes chapitres le sont, je vais aller dans un coin et je vais sortir mon violon spécial moments tristes), mais pas d'inquiétudes, il est prévu que les prochains soient plus actifs : le fait est que j'avais pas mal de petits points à régler avant de relancer concrètement l'action, et notamment au niveau des enjeux politiques développés dans l'histoire (qu'au passage et je ne sais pas pourquoi, j'ai littéralement adoré écrire, ça n'a aucun sens), surtout avec la découverte de la déclaration il y a quelques chapitres de ça.
La suite devrait être publiée comme d'habitude au cours de cet été, vers la fin du mois de juin ou de juillet, et je croise les doigts très fort pour réussir à tenir ce délai. Je suis - toujours (quelqu'un a une corde ?) - en fin de thèse (une fin de plus en plus proche, ma soutenance est prévue fin 2021 ! Mais quand même...), et je pense que le plus compliqué s'annonce car j'ai rendu un premier jet en septembre, et j'attends actuellement des retours de mes directrices (la bête est assez massive, on ne va pas se le cacher, donc ça risque de prendre un moment). Ce qui veut dire que je vais devoir enchaîner ensuite avec probablement une demie-tonne de corrections/analyses, tout en continuant de rédiger des articles et en assurant des communications (plus les cours à l'université), pour préparer ensuite la titularisation au poste de maître de conférences. J'espère donc très, très fort que ma charge de travail ne sera pas trop importante d'ici la fin du semestre et me permettra de rédiger tranquillement le nouveau chapitre, mais si jamais ce n'était pas le cas, je vous préviendrais comme de coutume via l'introduction et je repousserais probablement la publication au mois d'août par sécurité, pour ne pas bâcler l'écriture.
Nota bene d'ailleurs tant que j'y pense, et parce qu'on ne sait jamais : j'ai aussi commencé en parallèle depuis ce mois d'août une autre fanfiction longue pour un autre fandom (mille pardons, je n'ai aucune excuse pour celle-là, le confinement et la rédaction de ma thèse me sont monté à la tête, faut croire, en plus de huit ans de construction de scénarios - c'est grave, docteur ?), en anglais, qui était au départ sur Archive of Our Own mais que j'ai fini par rapatrier ici. Elle est prévue pour être aussi longue que DA, mais je vous promets que j'arriverais à mener les deux de front sans trop de problèmes. Le fait est que la structure des chapitres de DA (qui sont beaucoup plus longs que ceux de mon autre histoire) et mes longs délais de publication actuels pour celle-ci me permettent de pouvoir assurer la rédaction des deux en parallèle sans que l'une empiète davantage sur l'autre. Surtout que l'autre devrait être finie d'ici la fin d'année, me libérant ensuite complétement pour revenir sur DA.
J'espère en tout cas sincèrement que ce vingt deuxième chapitre vous aura plu et que vous vous portez bien en dépit de cette crise sanitaire infernale ! Je dépose à nouveau mes plus profonds et sincères remerciements à vos pieds (avec des chocolats, parce que la nouvelle année, ça rime avec chocolat - si si, allez-y, dîtes-le plusieurs fois, vous allez voir, ça va rimer au bout d'un moment) pour continuer de suivre cette histoire, de prendre le temps de m'écrire des reviews ultra encourageantes et qui me rassurent à chaque fois (j'ai enfin trouvé le temps d'y répondre, victoire ! - et sans l'aide d'une salle du temps, c'est-y pas beau). Je vous dis donc à cet été pour le prochain chapitre, et d'ici là, espérons que toute cette histoire sera terminée et qu'on pourra à nouveau profiter des barbecues sans avoir à retirer un masque toutes les trente secondes pour s'enfiler une brochette (cette phrase n'est pas à sortir de son contexte) ! Encore merci à vous pour tout, et à très bientôt !
Negen
