DISCLAIMER : Tous les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à JK Rowling.

Rating : M+

Genre : romance / slash / Yaoi


Bonjour à tous,

Un petit cadeau de Noël sans prétention, pas très long et plein de douceur. Inspiré du titre "Beau malheur" d'Emmanuel Moire.

Bonne lecture !


L'étrange Noël de Draco Malefoy

1er décembre 1998 – Poudlard

Draco replia la lettre en soupirant.

- Alors ? demanda Blaise Zabini.

- L'audience est fixée au 22 décembre.

- Potter sera là ?

- J'en sais rien.

- Il n'a manqué aucune audience jusqu'à présent.

- Non.

Blaise but une gorgée de son jus de citrouille.

- Tu devrais lui écrire, dit-il.

- A qui ?

- Potter.

- Pour quoi faire ?

- Lui expliquer la situation. Lui demander de…

- Hors de question ! Il a déjà suffisamment la grosse tête comme ça, sans que j'aille m'humilier en lui demandant quoi que ce soit !

- Je ne crois pas qu'il ait la grosse tête, dit Blaise d'un ton pensif. Tout ce battage médiatique autour de lui n'a pas l'air de lui plaire…

Draco eut un rire moqueur.

- Bien sûr que ça lui plait ! rétorqua-t-il. Tu devrais le voir se pavaner dans son horrible uniforme de l'école des Aurors… Quand je pense qu'il a pu intégrer la formation sans avoir passé ses ASPIC, siffla-t-il, je suis dégoûté !

- C'est vrai que pour le coup, il est le seul avec Weasley à avoir accepté un traitement de faveur, dit Blaise en lorgnant vers la table des Gryffondors où Hermione Granger, Ginny Weasley, Seamus Finnigan et Dean Thomas discutaient joyeusement.

- Il a toujours bénéficié de traitements de faveur, grogna Draco. Dès le premier jour où il a foutu le pied dans ce maudit château. Tout ça à cause de cette stupide cicatrice…

- Oui mais toujours est-il qu'il se démène pour vous permettre de passer Noël au Manoir tous ensemble, toi et tes parents…

Draco se renfrogna. Il n'aimait pas qu'on lui rappelle que depuis la fin de la guerre, Potter n'avait eu de cesse de les défendre, lui et sa mère, auprès des Aurors puis auprès du Magenmagot. Il répétait sans relâche, à chaque audience, qu'il devait la vie à Narcissa Malefoy, que si elle n'avait pas menti à Voldemort, jamais il n'aurait pu le tuer ensuite. Quant à Draco, il soutenait que s'il avait laissé les mangemorts entrer dans Poudlard, c'était seulement parce qu'il avait peur et voulait protéger ses parents d'une mort certaine. Le seul pour qui il n'avait eu aucun mot indulgent était Lucius. Draco comprenait pourquoi mais il n'en demeurait pas moins que c'était son père et qu'il ne supportait pas de le savoir en prison.

Il repoussa son assiette sans avoir touché à ses toasts et à ses œufs brouillés.

Un peu plus loin, à la même table, quelques élèves de Serpentard chuchotaient en l'observant du coin de l'œil.

Il soupira. Il était devenu un paria dans sa propre maison.

S'il n'en tenait qu'à lui, il aurait fait comme Pansy, Théodore ou Grégory : s'exiler quelque part, loin de la Grande-Bretagne, où on ne connaissait pas son nom. Mais c'était sans compter la généreuse intervention de Saint Potter… Grâce à son témoignage, Draco n'avait passé que deux jours à Azkaban. Mais il avait ensuite été assigné à résidence à Poudlard, avec l'accord de Minerva McGonagall, à charge pour lui d'aider à la remise en état du Château et d'y refaire sa dernière année.

Son seul soutien était désormais Blaise Zabini qui, contre toute attente, avait décidé de recommencer sa dernière année également.

Mais la présence de Blaise ne suffisait pas à le protéger et ne mettait pas fin aux bruissements, aux chuchotements et aux ricanements. Partout où Draco allait, on le dévisageait, on murmurait sur son passage. Même les élèves de première année savaient qui il était : celui qui avait permis aux mangemorts d'entrer dans l'école et d'y semer la terreur et la désolation.

Machinalement, il tira sur sa manche pour dissimuler le bracelet magique qu'il portait. Celui qui prévenait immédiatement les Aurors s'il sortait de l'enceinte de Poudlard.

Agacé, il se leva brusquement et ramassa son sac de cours.

- Où vas-tu ? demanda Blaise. On n'a pas cours avant une heure.

- Je sors. J'ai besoin d'air.

- Et Potter ? Tu vas lui écrire ?

- Qu'il aille se faire foutre, maugréa Draco.

Sur ces mots, il traversa la grande salle sans se retourner.

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22 décembre 1998 – Magenmagot

Le marteau du président du Magenmagot résonna comme un coup de tonnerre.

Draco resta assis sur sa chaise, hébété, tandis que des gardes ramenaient son père et sa mère à Azkaban. Leur requête de remise en liberté conditionnelle avait été rejetée.

-Allez viens, dit un des deux aurors qui se tenaient à côté de lui. Il est temps de te ramener à Poudlard.

Mais Draco ne bougea pas. Il était comme paralysé.

- Allez ! Bouge-toi ! insista le deuxième.

- Il n'est pas venu, murmura Draco.

- Quoi ?

- Il… Il n'est pas venu.

Les deux aurors échangèrent un sourire mauvais.

- Ouais. Il avait sans doute mieux à faire, dit l'un.

- Ouais, et comment ! rigola l'autre.

Il souleva Draco de sa chaise sans ménagement et le poussa vers la sortie.

Comme ce fut le cas à l'arrivée, les aurors conduisirent Draco au travers de couloirs déserts jusqu'à un réseau de cheminées isolé et normalement réservé aux transferts des détenus. Ils allaient s'engouffrer à l'intérieur de la cheminée la plus éloignée quand une voix s'éleva à l'autre bout du couloir.

-ATTENDEZ ! ATTENDEZ !

Harry Potter arriva en courant. Il portait encore son uniforme d'aspirant auror, une tenue grise et terne. Un des deux aurors grogna quelque chose, manifestement mécontent.

-Malefoy, dit Harry, un peu essoufflé. Je suis désolé ! Je ne comprends pas ce qui s'est passé ! J'ai reçu un hibou m'informant que l'audience était retardée de deux heures !

Comme Draco ne répondait rien, se contentant de le fixer avec un regard vide, Harry soupira.

-Je suis désolé, répéta-t-il. C'est incompréhensible…

Puis il releva les yeux sur les deux aurors.

-Comment se fait-il que j'aie reçu ce message ? interrogea-t-il plutôt sèchement.

Le premier auror haussa les épaules d'un air dédaigneux et blasé.

- Aucune idée, dit-il.

- Vous savez que j'assiste à toutes les audiences ! reprit Harry avec véhémence. Pourquoi ne pas m'avoir fait appeler quand vous avez constaté que je n'étais pas là ?

- Ecoute, Potter, se rebiffa le deuxième auror. Tu es peut-être le foutu Sauveur du monde sorcier mais nous, on n'est pas tes foutues secrétaires !

Harry regarda ses futurs collègues avec suspicion.

- De toute façon, je finirai par savoir qui m'a envoyé ce hibou, dit-il avec conviction.

- Ça, ça reste à voir, marmonna l'un des deux.

- Je vous demande pardon ?

- Rien. Allez, Malefoy, avance ! On n'a pas que ça à foutre ! dit l'homme en poussant Draco avec une telle brusquerie qu'il trébucha.

- Hé ! s'insurgea Harry.

Il attrapa Draco par le bras, l'empêchant de tomber.

-Je ne vais pas en rester là, lui dit-il. Je te le promets ! Je vais écrire au Ministère, au Magenmagot, je déposerai un témoignage écrit !

Draco ne répondit pas. Il prit place dans l'âtre, les deux aurors à ses côtés. La dernière chose qu'il entendit dans le ronflement des flammes, fut la voix de Potter répétant qu'il était désolé.

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Poudlard

De retour à l'école, Draco s'entretint quelques minutes avec la Directrice pour l'informer de l'issue de l'audience et du fait qu'il resterait à Poudlard durant les vacances de Noël. Bien qu'elle ne fît aucun commentaire particulier, Minerva McGonagall parut sincèrement désolée qu'il ne puisse passer les fêtes avec ses parents. Cela ne le consola pas pour autant et il prit rapidement congé pour regagner sa salle commune.

Il avait espéré se faufiler discrètement dans la salle et se dissimuler dans le dortoir mais il en fut pour ses frais car Blaise l'attendait.

- Alors ? demanda-t-il en se levant d'un bond du canapé où il était assis.

- Rejeté, répondit Draco laconiquement.

- Quoi ? Mais… et Potter ? Il n'a pas…

- Il n'est pas venu.

Blaise écarquilla les yeux.

-Mais… pourquoi ?

Draco haussa les épaules et contourna le canapé pour se rendre dans le dortoir.

- Draco, insista Blaise en le suivant. Que s'est-il passé ? Pourquoi Potter n'est pas venu ?

- Il est arrivé deux heures en retard, expliqua Draco en soupirant. Soi-disant qu'il aurait reçu un message indiquant que l'audience était retardée. N'importe quoi.

- Pourquoi aurait-il menti ?

- Qu'est-ce que j'en sais ?

- Ça ne colle pas, dit Blaise. Si Potter avait voulu te laisser tomber, il te l'aurait dit en face.

- Tu n'en sais rien.

- Si je le sais. Potter a des tas de défauts, mais ce n'est pas un menteur.

- Peu importe. Avec ou sans lui, ça n'aurait rien changé.

- Bien sûr que si ! s'énerva Blaise.

Draco souffla avec exaspération.

- Laisse tomber.

- Non ! C'est un coup monté, Draco ! Quelqu'un a fait en sorte que Potter ne soit pas présent à ton audience ! Pour t'empêcher d'obtenir la libération de tes parents !

- Je t'ai dit de laisser tomber ! siffla Draco.

- Draco…

- Ça ne m'aide pas ! s'emporta Draco.

Il détourna la tête, sentant les larmes piquer dangereusement ses yeux.

-Ça ne m'aide pas, murmura-t-il. Je… je ne veux pas penser que… que les choses auraient pu être… différentes… si… si…

Le cœur serré, Blaise hocha la tête. Il s'approcha et prit son ami dans ses bras.

-Ça va aller, souffla-t-il. Peut-être pas aujourd'hui, ou demain, mais ça va aller. Les choses vont changer, Draco. Les gens finiront par oublier. Toi aussi.

Draco ferma les yeux, se laissant aller à l'étreinte réconfortante de Blaise.

Il doutait que quiconque oublie un jour ce qu'il avait fait.

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24 décembre 1998 – Poudlard

Recroquevillé dans le canapé, Draco contemplait le sapin de Noël qui trônait dans la salle commune. Les petites lumières des guirlandes se reflétaient dans les boules en verre et sur la vitre, intriguant les occupants du lac qui venaient régulièrement rôder devant la fenêtre.

- Tu viens ? demanda Blaise en enfilant son pull. Tout le monde est déjà dans la Grande Salle pour le réveillon.

- Vas-y, je te rejoins. Je voudrais d'abord terminer une lettre pour mes parents.

Blaise fronça les sourcils, puis hocha la tête.

-Comme tu veux.

Il quitta la salle commune.

Draco attendit une minute ou deux, puis il sortit une fiole de la poche de son pantalon.

Le professeur Slughorn s'était mis en tête de l'aider à préparer le concours d'admission à l'Institut Supérieur d'étude des Potions et des Poisons d'Hambourg. Dans cette perspective, il laissait à Draco le libre accès à la classe de potions et à la réserve pour qu'il puisse s'entrainer. Il avait donc pu, sans aucune difficulté, réunir les ingrédients pour préparer une potion d'oubli.

Cela faisait plusieurs jours qu'il y pensait, déjà bien avant l'audience, et les paroles de Blaise n'avaient fait que renforcer son idée.

Il savait que cette solution était radicale, qu'il oublierait tout. Ses parents, ses amis, Blaise. Peut-être oublierait-il aussi qu'il était un sorcier. Mais cela valait mieux que cette insidieuse souffrance dans laquelle il plongeait chaque jour un peu plus.

La potion serait son salut.

Il fit sauter le petit bouchon en liège et avala le contenu de la fiole d'un trait. Elle se brisa au sol à l'instant où il la lâcha mais il n'entendit rien. Les ténèbres l'avaient déjà emporté.

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Au moment où il ouvrit les yeux, Draco sut que quelque chose n'allait pas. D'abord parce que, même dans la pénombre, il reconnaissait le plafond de l'infirmerie de Poudlard. Ensuite, parce qu'il se souvenait de qui il était.

En fait, il se souvenait de tout.

Il essaya de se redresser sur un coude mais une violente douleur à la tête le fit renoncer.

Il ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Pourquoi la potion n'avait-elle pas fonctionné ? Il avait pourtant fait tout ce qu'il fallait. Il avait sélectionné les bons ingrédients et les avait dosés avec précision. Il avait respecté le protocole et…

-L'Eau du Fleuve Léthé n'était pas à bonne température, dit une voix blasée à ses côtés. Elle n'est active qu'à quatre degrés précisément. Du coup, tu aurais pu utiliser l'eau du Loch Ness, de la Tamise, ou même l'eau du robinet, ç'aurait été pareil. A part te donner un épouvantable mal de crâne, la potion ne sert à rien…

Indifférent à la douleur dans sa tête, Draco se redressa d'un coup. Un homme était assis sur le lit voisin et le contemplait. La lumière de la lampe de chevet n'était pas suffisamment forte pour que Draco distingue ses traits mais il était certain qu'il ne s'agissait ni d'un étudiant, ni d'un professeur.

-Tu as fichu une frousse bleue à ce pauvre Blaise, dit encore l'homme. Il se doutait que tu mijotais quelque chose alors il est revenu sur ses pas… mais il ne s'attendait pas à te trouver par terre, en train de convulser au milieu de la salle commune !

-Qui êtes-vous ? s'écria Draco. Que faites-vous là ?

L'homme agita sa baguette magique et la luminosité augmenta considérablement. Draco plissa les yeux, luttant contre le mal de tête.

-Tu n'as aucune idée de qui je suis ? demanda l'homme.

Draco le regarda à nouveau. Ses cheveux étaient blancs, son visage ridé mais très beau. Il était grand, mince et portait un costume trois pièces sombre, impeccablement coupé.

- Allons ! insista l'homme. Je ne te fais pas penser à quelqu'un ?

- Heu… à mon arrière-arrière-grand-père ? dit Draco d'une voix incertaine. Nicholas Malefoy.

Contre toute attente, l'homme fit un large sourire.

- Vraiment ? dit-il gaiement. Je l'ai toujours trouvé très beau ! A ton âge, je me disais que, tant qu'à vieillir, j'espérais bien lui ressembler ! Son portrait dans la grande galerie est absolument magnifique !

- Comment savez-vous où se trouve le portrait ? Vous êtes déjà venu au Manoir ? Vous êtes de ma famille ?

L'homme fit un claquement de langue agacé.

- Blaise a raison, bon sang, maugréa-t-il. Je… tu peux parfois être lent à la détente…

- Quoi ? De quoi parlez-vous ?

L'homme ne répondit pas. Draco l'examina avec plus d'attention. Ses mains, longues et fines. La ligne de sa mâchoire. Son front haut. Son nez pointu. Ses yeux. Gris. Tellement identiques aux siens. Et les trois grains de beauté dans son cou, juste en dessous de l'oreille gauche.

- C'est… c'est impossible, souffla Draco.

- Nous sommes des sorciers. Rien n'est impossible. Ou presque.

- Vous… vous êtes… vous êtes… moi ?

Draco se sentait complètement idiot de suggérer une telle aberration. Pourtant, l'homme opina du chef avec un sourire.

- En effet. Je suis toi.

- Vous… venez du futur ?

- Eh bien, dans la mesure où j'ai 65 ans et toi 18… oui, ça me semble clair que je viens du futur.

- Je veux dire… vous… vous avez trouvé un moyen de voyager dans le temps ? Un Retourneur de Temps amélioré ?

- Non, je n'ai pas voyagé dans le temps.

- Mais alors… comment êtes-vous arrivé là ?

Draco senior réfléchit à la question.

- A vrai dire, je n'en sais rien. Je ne suis même pas sûr d'être là… je suis peut-être là seulement dans ta tête…

- Hein ?

- Ce doit être un effet secondaire de la potion ratée… Tu te rappelles ce que tu as fait ?

- Exactement ce qui était indiqué dans le manuel. Enfin… excepté vérifier la température de l'eau du Fleuve Léthé, marmonna Draco.

- Hm.

- De toute façon, peu importe, dit Draco, résolument. La prochaine fois, je ne commettrai pas la même erreur !

- Oh, mais il n'y aura pas de prochaine fois.

- Qu'est-ce que vous en savez ? Vous…

Draco s'interrompit. L'autre homme le regardait avec un sourire en coin. Son sourire en coin.

- Ouais, soupira-t-il. J'imagine que si vous êtes là, c'est que vous n'avez rien oublié de votre vie…

- Absolument rien, confirma Draco senior.

- Je ne suis vraiment qu'un bon à rien, murmura le plus jeune. Pas même foutu de préparer correctement une potion d'oubli.

Ils restèrent silencieux un court moment, puis Draco senior demanda :

- Pourquoi as-tu fais cela ?

- Ne vous foutez pas de moi ! réagit Draco. Vous êtes moi ! Vous savez très bien pourquoi je l'ai fait !

- Oh oui, je le sais, dit l'autre avec un sourire énigmatique. Mais je veux t'entendre le dire.

Draco soupira lourdement avant de détourner les yeux.

- Je ne les supporte plus, souffla-t-il. Les regards, les chuchotements… personne n'oubliera jamais ce que j'ai fait, et personne ne me donnera jamais ma chance… tout le monde s'évertuera à me rappeler que je suis un mangemort ! Que… que je suis responsable de la destruction de l'école et de la mort de Dumbledore, même si je ne l'ai pas tué !

- Et tu penses que la potion aurait changé quelque chose ? Toi, tu aurais tout oublié, mais pas les autres… ils t'en auraient toujours voulu et toi, tu n'aurais pas compris pourquoi. Ce n'est pas une meilleure alternative.

- Non, mais au moins j'aurais cessé de souffrir…

- Qu'est-ce qui te fais souffrir au juste ?

Draco lança à son double un regard suspicieux.

- C'est quoi toutes ces questions ?

- Juste des questions.

- Je ne vous crois pas. C'est n'importe quoi cette histoire de « moi » du futur ! Qui dit que ce n'est pas une ruse pour me piéger ? Qui dit que vous n'êtes pas sous polynectar ?

- Je ne suis pas sous polynectar. Je suis vraiment toi.

- Prouvez-le !

L'homme fixa Draco avec le plus grand sérieux.

- Un drap qui se déchire, dit-il.

- Hein ?

- Quand tu as cru qu'il était mort, ça t'a fait tellement mal que tu as eu l'impression que ton cœur se déchirait. Comme un drap. Tu aurais presque pu entendre le bruit, si tes oreilles n'avaient pas autant bourdonné.

Draco écarquilla les yeux. Comment cet homme pouvait-il savoir ça ? Il n'en avait jamais rien dit à personne, même pas à Blaise. Sauf à admettre que…

- Et quand tu as compris qu'il était bien vivant, continua Draco senior, cela n'a pas été moins douloureux. Car tu savais que rien ne serait plus jamais pareil… que ces sentiments que tu dissimulais habilement sous une tonne de haine, tu ne pourrais jamais plus les faire taire. Tu allais devoir vivre avec…

- Taisez-vous, murmura Draco en rougissant.

- C'est ça que tu veux oublier, n'est-ce-pas. Tu veux oublier les sentiments que tu ressens pour lui. Tu es parvenu à te convaincre que ce sont les murmures des autres et l'opinion qu'ils ont de toi qui te font du mal, mais au fond de toi, tu sais que c'est bien plus que cela…

- Vous racontez n'importe quoi…

- Je suis toi, Draco. Je sais qu'en ce moment, tu as peur. Peur pour ton avenir, peur que tes parents te renient parce que tu préfères les garçons.

L'homme fit une pause pour regarder Draco droit dans les yeux.

-Peur que Potter apprenne tu es amoureux de lui, acheva-t-il.

Draco détourna la tête pour cacher les larmes qu'il ne parvenait plus à retenir.

- Je sais que tu souffres, continua son visiteur. Mais l'oubli n'est pas la solution.

- Quelle est la solution, alors ? hoqueta Draco.

- Je n'ai pas la réponse à cette question. Je peux seulement te dire qu'il m'a fallu la peur, la douleur, la rancœur pour comprendre que le meilleur était à venir. Pour comprendre que je n'avais plus à me cacher, à mentir ou à faire semblant. Que je pouvais être moi-même. Tu ne sais encore rien de tout cela, Draco, mais crois-moi, maintenant, je le sais par cœur.

- La belle affaire, dit Draco dans un rire désabusé mêlé de larmes.

Il s'essuya rageusement les joues, honteux de pleurer ainsi devant cet homme qui, même s'il était lui, était un étranger.

-Qu'êtes-vous venu faire ici au juste ? demanda-t-il d'un ton las. A part me tourmenter ?

Draco senior fit un large sourire.

- A vrai dire, je suis venu te donner un cadeau de Noël.

- Un cadeau de Noël ?

- Parfaitement ! Nous sommes la nuit de Noël, non ?

Il regarda autour de lui.

-Hum, fit-il avec une moue dépitée. J'admets que c'est dur à croire tellement cet endroit est sinistre. Madame Pomfresh pourrait faire un petit effort de décoration, tout de même…

Disant cela, il prit sa baguette et transforma la carafe d'eau sur la table de chevet en un joli petit sapin décoré et illuminé.

-Voilà qui est beaucoup mieux ! dit-il, satisfait.

Puis se tournant vers Draco :

- Alors ?

- Alors quoi ?

- Tu veux ton cadeau oui ou non ?

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Draco, clairement soupçonneux.

- Un cadeau inestimable !

- Je ne vous fais pas confiance…

- Tu as tort. Pose-moi toutes les questions que tu veux sur ton futur, et j'y répondrai.

Draco le considéra avec étonnement.

- Vraiment ?

- Vraiment.

- Heu… d'accord.

- Que veux-tu savoir ?

- Mes parents, demanda Draco, avidement. Est-ce qu'ils vont être libérés ? Est-ce que je vais les revoir ?

- Tes parents seront libérés dans quelques mois. Tu fêteras ton prochain anniversaire avec eux.

- Est-ce qu'ils vont bien ? Je veux dire… dans votre temps… est-ce qu'ils… sont toujours vivants ?

- Oui, sourit Draco senior. Ils sont toujours vivants. Et ils vont bien. Enfin… aussi bien qu'on puisse aller après un séjour à Azkaban.

- Que voulez-vous dire ?

- Maman a contracté une infection pulmonaire pendant sa détention. Elle ne s'en est jamais tout à fait remise. Ça pouvait aller mais le climat de l'Angleterre était trop humide pour elle. Après mon… ton départ à Hambourg, elle et Papa se sont installés dans le sud de la France.

- Hambourg ? s'extasia Draco. Je vais aller à Hambourg ? A l'Institut Supérieur d'Etude des Potions et des Poisons ?

- Oui. Tu réussiras le concours d'entrée haut la main. Et tu obtiendras ton diplôme de Maîtres des Potions avec mention.

- Oh bon sang, souffla Draco. C'est incroyable… Est-ce que j'ai mon propre laboratoire ?

- Non. Après ton diplôme, tu seras engagé par le plus grand hôpital d'Allemagne pour travailler sur les venins de serpents.

Cette information sembla décevoir Draco.

- Oh… je… je vais vivre en Allemagne alors, dit-il.

- Oui, à Munich, pendant deux ans et demi. Ensuite, tu reviendras en Angleterre. Pour enseigner les potions, ici, à Poudlard.

Draco rigola ouvertement.

- Moi, professeur à Poudlard ? C'est impossible ! Jamais McGonagall n'aurait l'idée de m'engager comme professeur !

- Ce n'est pas l'idée de McGonagall, mais elle a néanmoins accepté.

- Qui alors ?

- Potter.

Pour le coup, Draco était estomaqué.

- Potter ? répéta-t-il. Que vient-il faire là-dedans ?

- Il enseigne la Défense contre les forces du mal.

- Quoi ? Il n'est plus Auror ?

- Non. Il a quitté le département des Aurors quand il a découvert que certains d'entre eux avaient tenté de saboter le procès de tes parents. En l'empêchant de témoigner aux audiences par exemple.

Draco ouvrit grand les yeux.

- Alors… c'était vraiment un coup monté ? Blaise avait raison ?

- Oui, c'était un coup monté. Ça a pris un an à Potter pour le démontrer. Après quoi, il a démissionné.

- Ah ben, ça alors, murmura Draco, un peu sonné. Mais… je ne comprends toujours pas… comment a-t-il pensé à moi pour le poste ?

- Vous vous croiserez sur le Chemin de Traverse un jour où tu iras rendre visite à Blaise, peu avant Noël. Potter t'invitera à prendre un café. Vous discuterez longuement. Civilement, pour changer. Tu lui diras que tu aimes ton travail en Allemagne mais que l'Angleterre te manque. Deux mois plus tard, tu recevras une lettre de McGonagall te proposant de remplacer Horace Slughorn qui part enfin à la retraire. Tu mettras près de six mois avant d'accepter la proposition. Ce sera une décision difficile à prendre.

- A cause de ce que les gens pensent de moi en Angleterre…

- Entre autres.

- Entre autres ? Il y a une autre raison ?

- Oui. Marcus.

- Qui est Marcus ?

- L'homme avec qui tu partageras deux ans de ta vie.

Draco resta complètement interdit.

- Un… un homme ? répéta-t-il, sous le choc.

- Marcus est guérisseur dans l'hôpital où tu travailleras. Vous vous rencontrerez le premier jour. Ce sera… un coup de foudre amical, en quelque sorte, qui évoluera au fil des mois en un amour sincère. Marcus va littéralement changer ta vie.

- Comment ?

- Tu vas lui parler de toi. De tes souffrances, de tes peurs. Il te comprendra mieux que personne.

Draco émit un petit ricanement incrédule.

- Comme si c'était possible, railla-t-il.

- Marcus est né moldu, continua Draco senior. Son grand-père paternel était un dignitaire du régime nazi. Il a vécu avec le poids de cette histoire familiale durant toute son enfance et son adolescence. Jusqu'à ce qu'il décide qu'il n'était pas responsable des choix de ses grands-parents. Tout comme toi, tu n'es pas responsable des choix de ton père. Marcus va t'apprendre à t'aimer comme tu es, à te respecter et à ne pas avoir honte de ce que tu es. Grâce à lui, tu cesseras de nourrir cette rancœur qui t'empoisonne depuis trop longtemps. Et tu feras ton coming-out. A tes collègues. A Blaise. Et à tes parents.

- Quoi ? s'exclama Draco, en devenant tout blanc. C'est impossible ! Je ne pourrai jamais faire une chose pareille ! Mon père va me déshériter !

- Oh, c'est certain qu'il n'a pas bien pris la chose… mais il ne t'a pas déshérité.

- Hum… je devine pourquoi, dit sèchement Draco.

Il pointa le doigt en direction de son double.

- Vous portez une alliance, dit-il.

- Oui, en effet.

- Je ne suis pas idiot, vous savez… La voilà, l'explication ! Si mon père ne m'a pas déshérité, c'est parce que j'ai fini par me marier. Avec une sang-pur que ma mère aura choisie pour moi. Je suis quasi sûr qu'il s'agit d'Astoria Greengrass ! Ma mère en parlait déjà avant… avant que… bref.

Draco soupira doucement en baissant les yeux.

- Les Malefoy contractent des mariages de convenance depuis près de deux siècles. Je n'allais pas faire exception…

- Tu feras exception, le contredit Draco senior. Tu n'épouseras pas Astoria Greengrass. Ni aucune autre sang-pur, d'ailleurs. Ton mari est de sang-mêlé.

Cette annonce fut un deuxième choc pour Draco, plus considérable encore que d'apprendre l'existence de cet homme appelé Marcus.

- Mon… mari ? répéta-t-il. Vous… vous racontez n'importe quoi ! Jamais mes parents ne me laisseront épouser un… un autre homme ! Jamais !

- Tu ne vas pas leur laisser le choix. Enfin… si. Tu leur diras que soit, ils acceptent ton couple, soit ils ne te revoient plus jamais.

- Je… je n'oserais jamais dire ça…

- Oh si, tu oseras ! rigola Draco senior.

Draco se sentait étourdi par toutes ces informations, plus surprenantes les unes que les autres. Mais il devinait que ce n'était pas fini…

- Vous m'avez dit que ce… Marcus est un né-moldu et que je partagerai ma vie avec lui pendant deux ans… je suppose donc que ce n'est pas lui que je vais épouser…

- Non, dit Draco senior avec un sourire triste. Marcus est quelqu'un d'extraordinaire, à qui tu devras beaucoup, et il aurait fait un mari tout aussi extraordinaire, mais… il y a quelqu'un d'autre. Il y a toujours eu quelqu'un d'autre. Et cela, Marcus le savait.

Son regard se troubla légèrement alors qu'il contemplait l'alliance à son doigt.

-Avant que je ne quitte Munich, murmura-t-il, Marcus m'a dit « Draco, j'ai eu la chance de connaître le grand amour avec toi. J'espère que tu connaîtras la même chance avec l'homme qui t'attend en Angleterre ». Je n'ai pas compris pourquoi il me disait cela. Personne ne m'attendait en Angleterre. Evidemment, Marcus avait compris. Il avait compris avant moi que je ne reviendrais jamais.

Depuis le début de cet étrange échange, c'était la première fois que l'homme parlait à la première personne, évoquant ce qui était pour lui un souvenir, et pas seulement le futur de Draco. Il avait l'air ému, nostalgique, mais il ne semblait pas triste. Au contraire. A la manière dont il fixait son alliance, Draco eut la certitude qu'il l'avait trouvé, son grand amour.

A l'idée de demander de qui il s'agissait, son cœur accéléra brutalement et une tension lui noua le ventre. Il avait peur de savoir. Peur de l'inévitable désillusion qui l'attendait.

- Me… hum… me direz-vous son nom ? finit-il par demander.

- Dois-je vraiment te le dire ? Je crois que tu sais de qui il s'agit.

- Non. Non, je n'en sais rien, répondit Draco plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.

- Bien sûr que si. C'est ce que tu espères de tout ton cœur.

- Je ne vous crois pas, dit Draco. Je ne vous crois pas ! C'est impossible ! Comment… comment pourrait-il… comment…

Il secoua la tête, comme pour chasser un mauvais souvenir.

-Vous mentez, dit-il, buté.

Le plus âgé ne s'en offusqua pas. Pour toute réponse, il sortit de la poche intérieure de son veston, une petite pochette en cuir brun qu'il tendit à Draco.

Le cuir était tiède, patiné et usé par les ans. Lentement, Draco ouvrit la pochette et dévoila une photo sorcière représentant deux hommes, vêtus d'un smoking, souriant largement à l'objectif.

Son souffle se bloqua dans sa gorge. Il aurait reconnu entre mille ces yeux verts, ces cheveux en bataille et ce sourire d'enfant. Il avait pourtant du mal à croire ce qu'il voyait : Harry Potter qui se penchait pour l'embrasser, lui, Draco Malefoy.

-Alors ? Tu me crois maintenant ? demanda Draco senior avec un sourire.

Draco se sentait submergé par l'émotion. Il hocha lentement la tête.

- Je garde cette photo sur moi depuis presque trente ans maintenant, continua Draco senior. Je ne m'en sépare jamais.

- Pourquoi ?

- Parce qu'elle me rappelle que tout ce que j'ai vécu, le bon comme le moins bon, m'a conduit à ce moment précis où j'ai enfin trouvé le bonheur et l'apaisement. Avec Harry.

Draco ne parvenait pas à détacher son regard de la photo. Il ne se lassait pas de voir la scène se répéter encore et encore.

Au bout d'un long moment, il referma la pochette en soupirant et la rendit à son propriétaire.

- Vous me dites vraiment la vérité ? demanda-t-il. Ce… ce n'est pas une illusion ?

- Non, c'est la stricte vérité.

- Vous êtes heureux, tous les deux ?

- Oui, nous le sommes. Oh, on s'engueule une fois tous les deux jours mais… personne d'autre que lui ne pourrait me rendre plus heureux. Et je sais que je le rends heureux aussi.

- Comment le savez-vous ?

- Parce qu'il me le dit. Et même s'il a beaucoup de défauts, Harry ne sait pas mentir.

Sur ces mots, Draco senior se leva. Il rajusta son costume et tira d'un petit coup sec sur les manches de sa chemise.

- Il est temps pour moi de partir.

- Merci, dit le jeune Draco. Vous m'avez offert un merveilleux cadeau de Noël. Le plus beau que j'ai jamais reçu. Savoir tout ça… c'est dingue ! Ça va faire une sacrée différence ! Je vais…

- Tu ne vas garder aucun souvenir de cette conversation.

Le visage de Draco se décomposa.

- Quoi ? Mais… vous… vous ne pouvez pas faire ça !

- Je ne fais rien du tout. C'est ainsi.

- Non, non… je vous en prie !

- Je n'ai pas le choix. C'est trop dangereux.

- Dangereux ? Vous craigniez quoi ? Que j'en parle à quelqu'un ? Que je créée une faille temporelle ou quelque chose comme ça ? Je vous jure que ça n'arrivera pas ! Je ne parlerai à personne ! Et je ne ferai rien, rien du tout, pour modifier le cours de mon avenir ! Je vous le jure !

- Il ne s'agit pas de cela…

- De quoi s'agit-il alors ? demanda Draco, des larmes coulant sur ses joues sans qu'il puisse les retenir.

Draco senior soupira tristement.

-Il s'agit de vivre, Draco, dit-il. Si je te laisse avec la connaissance de ton avenir, tu vas constamment vivre dans la perspective de ce qui t'attend… tu arrêteras de profiter de la vie. Le bonheur, le vrai, n'est pas dans le passé, ou dans l'avenir. Il est dans le moment présent.

Mais Draco ne l'écoutait pas. Il pleurait sans pouvoir s'arrêter. Il pleurait de rage et de désespoir. Il se sentait trompé. Trahi. De la plus odieuse des façons.

L'autre homme s'assit sur le bord du lit et d'un geste un peu gauche, il prit la main de son double dans la sienne.

-Quelqu'un de très sage a dit « le monde ne mourra pas par manque de merveilles, mais par manque d'émerveillement », dit-il très doucement

Seul un reniflement méprisant lui répondit.

- Sais-tu combien d'émerveillements t'attendent dans les jours, les mois, les années à venir ? Non bien sûr… et c'est très bien comme ça. Car où serait l'émerveillement si ton avenir ne te réservait aucune surprise ?

- Alors, pourquoi ? hoqueta Draco. Pourquoi m'avoir fait croire que vous m'offriez un cadeau ?

- Mon cadeau n'était pas de te dévoiler ton avenir. Quand je partirai, j'emporterai certes le souvenir de notre conversation, mais je te laisserai quelque chose d'inestimable à la place : l'espoir.

- Foutaises ! Ce n'est pas de ça dont j'ai besoin !

- Oh si, tu en as besoin. C'est même ce qui te fais cruellement défaut pour le moment…

Draco haussa les épaules en se renfrognant.

- Je vous déteste, maugréa-t-il.

- Je sais, sourit Draco senior. Mais cela aussi tu l'auras oublié demain matin.

Il tapota affectueusement le bras de ce jeune homme boudeur qu'il avait été si longtemps.

-J'avais oublié combien j'étais un petit con prétentieux, arrogant et lâche, soupira-t-il avec emphase en se relevant.

Draco le gratifia d'un regard noir qui le fit sourire plus largement encore.

- Quand je te vois comme ça, commenta-t-il d'un air dégagé, j'ai du mal à croire que c'est moi qui ai eu le courage d'embrasser Harry la première fois…

- Quoi ? murmura Draco. C'est… c'est moi… enfin vous… qui…

- Oui. Et encore heureux ! Si j'avais dû attendre que cet abruti de Potter se décide, on y serait encore !

Draco était stupéfait.

- Je me suis toujours figuré que si un jour, j'avais le culot d'embrasser Potter, tout ce que je recevrais en retour, c'est un coup de poing, murmura-t-il.

- Hm, aujourd'hui, certainement. Mais ce ne sera pas toujours comme ça, dit Draco senior.

Puis il se pencha, et d'un ton de conspirateur, glissa à l'oreille de Draco :

- Autre chose. Il a l'air timide et empoté, mais, crois-moi, ce ne sera pas toujours comme ça non plus. Au lit, c'est une sacrée affaire ! Tu ne vas pas t'ennuyer, c'est sûr !

- Bon sang, fermez-la ! s'offusqua Draco, en rougissant furieusement.

Très content de son effet, Draco senior se contenta d'éclater de rire.

- Au revoir, Draco. Et joyeux Noël !

Il ouvrit la porte de l'infirmerie mais avant de sortir, il se retourna une dernière fois.

-Tu auras une belle vie, tu sais. Une très belle vie.

Draco hocha la tête.

L'homme disparut dans le couloir sombre et désert. Draco pouvait entendre ses pas résonner sur le sol en pierre. A mesure que le bruit s'éloignait, sa tête devenait de plus en plus lourde. Il finit par s'endormir avec pour dernière vision celle du petit sapin de Noël illuminé, sur sa table de nuit.

O°O°O°O°O°O°O

25 décembre 2010 – Poudlard

Draco se réveilla en sursaut.

-Malefoy ? dit une voix pressante à ses côtés. Est-ce que ça va ?

Il papillonna des yeux, reconnaissant le décor – trop – familier de l'infirmerie. Puis ses yeux se posèrent sur Potter qui se trouvait juste à côté de lui, un air inquiet sur le visage.

- Ça va ? demanda à nouveau Potter.

- Je…

Draco fronça les sourcils. Son esprit était embrumé et il avait terriblement mal à la tête. Il reporta son attention sur Potter. Il y avait quelque chose de différent chez lui. Il ne portait pas de robe d'aspirant auror mais une robe de sorcier ordinaire. Et surtout, il paraissait beaucoup plus âgé…

- Potter ? dit-il d'une voix inégale.

- Oui, c'est moi ? Est-ce que ça va ?

- Mais… quel… quel âge as-tu ?

Potter écarquilla les yeux.

- Hein ?

- Pourquoi tu… tu ressembles à… un vieux ?

- Je te signale qu'on a le même âge !

- Peut-être… mais tu as l'air vieux.

Potter parut encore plus inquiet car il se redressa et appela d'une voix forte :

-Miss Pilgrim ? Miss Pilgrim ?

Aussitôt, une petite sorcière toute ronde surgit de derrière le paravent.

-Oh ! Vous voilà réveillé ! s'exclama-t-elle, guillerette.

Elle avait des cheveux auburn, bouclés et remontés en chignon. Elle portait un tablier blanc et une coiffe d'infirmière.

Bon sang, d'où sort-elle et où est Madame Pomfresh ?

- Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle.

- Parfaitement bien ! répondit Draco avec humeur.

- Il faudrait peut-être faire d'autres examens, suggéra Harry. Il semble un peu… désorienté.

- Désorienté ? répéta l'infirmière.

- Je ne suis pas désorienté !

- Malefoy, tu…

- Personne ne te demande ton avis, Potter ! Et puis, qu'est-ce que tu fous là, d'abord ? Je n'ai pas besoin d'un foutu Saint-Bernard pendu à mes basques ! Dégage !

Le visage de Harry se ferma.

-Bien, dit-il sèchement. J'avais oublié combien tu pouvais être un vrai connard par moment. Merci de me l'avoir rappelé.

Et sur ces mots, il quitta l'infirmerie sans retourner.

- Vous n'auriez pas dû lui parler comme ça, dit l'infirmière d'un ton réprobateur.

- Je lui parle comme je veux. Mêlez-vous de ce qui vous regarde !

- Le professeur Potter a passé ces trois derniers jours à vous veiller sans interruption, tellement il était inquiet pour vous !

- Le… professeur… Potter ?

- Il devait passer les fêtes dans la famille Weasley, comme chaque année, mais il a annulé car il refusait de quitter votre chevet ! Et c'est comme ça que vous le remerciez ? En lui criant dessus ?

- Je…

- Une conduite pareille le jour de Noël… ce n'est vraiment pas charitable, Professeur Malefoy !

Professeur Malefoy ? Professeur Potter ? Ils enseignaient tous les deux à Poudlard ? Comment cela se pouvait-il ? Aux dernières nouvelles, Potter était aspirant auror et lui devait passer ses ASPICS pour intégrer l'école de Hambourg. Mais ça, c'était avant qu'il ne décide de boire une potion d'oubli. Potion qui n'avait manifestement pas fonctionné ou en tout cas comme elle l'aurait dû…

Draco se frotta le crâne en s'éclaircissant la gorge.

- Hum… pouvez-vous… hum… pouvez-vous me dire ce qu'il s'est passé ? Pourquoi suis-je ici ?

- Vous ne vous en rappelez plus ? demanda Miss Pilgrim.

Draco prit sur lui pour ne pas lui répondre vertement.

- Ce n'est pas très clair. J'ai mal à la tête, biaisa-t-il.

- Sans doute un effet des vapeurs que vous avez inhalées…

- Des vapeurs ?

- Le jeune Frank Londubat a fait une mauvaise manipulation avec ses ingrédients lors de votre cours. Vous êtes parvenu de justesse à l'écarter, lui et les deux autres élèves qui partageaient sa table, avant que le chaudron n'explose. C'est vous qui avez tout pris.

- Bon sang… qu'est-ce que c'était comme préparation ?

- Vos consignes étaient de préparer une potion d'aiguise-méninge. Malheureusement, Londubat ne se souvient plus du tout de ce qu'il a mélangé, ni comment, pour provoquer une pareille réaction… Toujours est-il que ne sachant pas ce que vous aviez inhalé, il était impossible de vous donner un antidote. Vous êtes resté inconscient durant trois jours.

- Stupide Londubat, maugréa Draco.

- Ne soyez pas trop dur avec lui, tempéra l'infirmière. Déjà qu'il a dû subir la colère du Professeur Potter…

- Potter l'a engueulé ?

- C'est rien de le dire ! Le pauvre, il était terrorisé !

Entretemps, l'infirmière avait préparé une potion qu'elle tendit à son patient.

-Tenez, dit-elle. C'est un philtre de nettoyage du sang. Ça évacuera les derniers effets de ce que vous avez inhalé.

Draco but la potion sans discuter. Il fallut à peine quelques secondes pour que la brume dans son cerveau se dissipe complètement.

Tout redevint normal. Il se souvenait parfaitement d'où il était et pourquoi. Il enseignait les potions à Poudlard depuis trois ans, tandis que Potter était professeur de Défense contre les forces du mal depuis six ans. En dépit de débuts un peu compliqués, une improbable amitié était née entre eux.

-Ça va ? demanda l'infirmière.

Il tourna la tête vers elle et fut soulagé de se souvenir de qui elle était également. Miss Pilgrim. Elle avait remplacé Madame Pomfresh, partie à la retraite un an et demi plus tôt.

-Oui, dit Draco avec un sourire. Ça va beaucoup mieux.

Il écarta les couvertures pour sortir du lit.

- Hé ! Où croyez-vous aller comme ça ? s'exclama Miss Pilgrim.

- Je vais bien. Je peux regagner mes quartiers.

- Non, non, non, non, non ! Je préfère vous garder encore en observation.

- Je vous assure que je vais bien ! Vous ne devez pas vous inquiéter, je…

- Professeur, je suis obligée d'insister. Vous…

- Miss Pilgrim, coupa Draco en la regardant avec une tête de chien battu. Vous aviez raison. Je n'aurais pas dû parler au Professeur Potter comme je l'ai fait… il faut absolument que je le retrouve pour lui présenter mes excuses…

La petite infirmière fit une moue contrariée mais elle céda rapidement.

- D'accord, dit-elle. Mais au moindre signe de faiblesse, ou au moindre malaise, vous revenez ici immédiatement !

- C'est promis.

Elle ne semblait pas convaincue par la promesse de son patient mais n'insista pas.

- Avant de partir, je vais vous administrer une potion régénérante.

- Mais…

- C'est non négociable.

Draco soupira mais ne protesta. Si cette potion était son bon de sortie, il la prendrait sans rechigner.

Tandis que Miss Pilgrim préparait la potion, il remarqua pour la première fois le petit sapin de Noël, joliment décoré et illuminé qui était posé sur sa table de chevet.

- Il est joli ce sapin, dit-il. Vous devriez en mettre sur les autres tables de chevet.

- Oh, ce n'est pas moi. Je n'ai aucune idée de qui l'a posé là. J'ai pensé qu'il s'agissait du Professeur Potter mais il m'a dit que non…

- Ah.

- Je suis pourtant sûre que c'est lui. Il ne veut rien dire pour ne pas paraître trop attentionné, mais je suis sûre que c'est lui !

Sur ces mots, Miss Pilgrim lui tendit un gobelet rempli d'un liquide bleu clair.

-Buvez et fichez le camp, dit-elle d'un ton faussement bourru.

Draco prit le gobelet et but sans demander son reste. Quand il le posa sur la table de chevet, il vit, à côté du sapin de Noël, une petite pochette en cuir brun, du genre de celles dans lesquelles on glisse une photo. Il la prit et l'ouvrit. Elle ne contenait rien sinon un morceau de papier blanc, assez épais. Du papier photo. Intrigué, Draco examina le papier de plus près, le faisant jouer dans la lumière pour parvenir à distinguer quelque chose. En vain.

Il allait refermer la pochette quand il remarqua un petit bout de parchemin qui dépassait derrière le papier photo. Il l'extirpa de sa cachette et le déplia. Une phrase y était inscrite d'une élégante écriture manuscrite, légèrement penchée. Une écriture parfaitement identique à la sienne.

Il relut la phrase encore et encore, tentant d'en comprendre le sens, et surtout de se rappeler quand et pourquoi il l'avait écrite.

« Tu ne sais pas encore ce que je sais par cœur ».

En vain.

O°O°O°O°O°O°O

Draco n'eut pas à chercher Potter très longtemps. A vrai dire, il savait précisément où il était : sur le terrain de Quidditch. Quand il était contrarié, il allait toujours voler, peu importe le temps qu'il faisait.

C'est donc sans surprise que Draco le vit, juché sur son Eclair de Feu, en train de poursuivre un Vif d'Or. En d'autres circonstances, il l'aurait rejoint et ils auraient joué un match d'attrapeurs que Potter aurait gagné, évidemment, car le temps n'avait pas entamé son habilité ni son talent.

Draco sourit en son for intérieur. Fallait-il qu'il ait vraiment changé pour admettre avec cette surprenante facilité que Harry était un excellent joueur de Quidditch – meilleur que lui – et qu'il aurait parfaitement pu mener une brillante carrière de joueur professionnel.

Il s'assit sur un gradin et attendit que Harry attrape le Vif d'Or, ce qu'il fit au terme d'une incroyable accélération en piqué. Quand il redressa son balai, il remarqua Draco. Son visage se ferma et il mit pied à terre.

- Qu'est-ce que tu fais là, Malefoy ? demanda-t-il en rangeant la petite balle dorée dans la malle.

- Je voulais te parler.

- Je n'ai pas envie de t'écouter.

- Potter. S'il te plait.

Harry leva un regard circonspect sur Draco mais consentit à s'approcher. Les bras fermement croisés sur le torse, il s'arrêta à quelques pas.

- Alors ?

- Je voulais te présenter mes excuses pour la manière dont je t'ai parlé tout à l'heure, dit Draco en se levant.

Comme Harry ne répondait rien, Draco poursuivit.

- A ma décharge, j'étais effectivement… désorienté.

- Ben tiens, railla Harry.

- C'est la vérité. Quand j'ai repris consciente, j'étais persuadé que nous étions le jour de Noël… en 1998.

- 1998 ? L'année où tu as… hum… où tu as pris cette potion.

- Oui.

Harry soupira mais se détendit considérablement.

- Je comprends mieux pourquoi tu me trouvais vieux.

- Oui. J'ai eu un choc en te voyant. Dans ma tête, tu n'étais pas censé avoir douze ans de plus. Ni être là, d'ailleurs. Ce devait être les effets des vapeurs de potion.

- Et maintenant ? Tu vas mieux ?

- Oui. Miss Pilgrim m'a donné un philtre de nettoyage du sang qui a complètement dissipé les dernières traces de la potion dans mon organisme. Elle m'a aussi donné une potion reconstituante et m'a fait promettre de retourner la voir au premier signe de faiblesse.

- Tu nous as fait une sacrée peur, tu sais, dit Harry.

- J'imagine.

- Personne ne savait quels seraient les effets de la potion. J'ai même fait venir un guérisseur de Ste Mangouste qui t'a fait toutes sortes d'examens sans rien trouver de concluant. Selon lui, tu étais seulement inconscient et nous devions attendre que tu te réveilles… tu parles d'un diagnostic ! râla Harry.

- Miss Pilgrim m'a dit que tu étais resté à mon chevet tout le temps.

Harry détourna les yeux en rougissant un peu.

- Le guérisseur a dit qu'il fallait te surveiller.

- Elle m'a dit également que tu devais passer la journée chez les Weasley mais que tu avais annulé pour… pour rester avec moi.

- Miss Pilgrim raconte beaucoup trop de choses, maugréa Harry, gêné.

- Je suis réveillé et je vais bien. Il n'y a plus de raison que tu renonces à tes plans !

Harry se dandina d'un pied sur l'autre avant de s'asseoir sur un des gradins. Draco en fit autant.

- Si tu transplanes maintenant, tu arriveras à temps pour midi, insista Draco.

- Non, je n'irai pas. Pour tout dire, ton accident était un bon prétexte pour me défiler.

- Pourquoi ?

- A ton avis ?

Draco leva les yeux au ciel.

- Ne me dis pas que la mère Weasley a encore invité une cousine ou je ne sais qui d'autre qu'elle veut te présenter !

- Précisément.

- Bon sang ! Combien de cousines célibataires y a-t-il dans cette famille ?

- Beaucoup trop, si tu veux mon avis, bougonna Harry.

- Comment l'as-tu appris ?

- Hermione. La cousine en question travaille avec elle au Département de régulation des créatures magiques. Elle se sentait mal à l'aise vis-à-vis de moi, alors elle a vendu la mèche.

- Hm. Merci Granger, dit Draco d'un ton ironique.

Les coudes posés sur les genoux, Harry se prit la tête entre les mains.

- Deux ans ! s'écria-t-il. Ça va faire deux ans que je l'ai dit à toute la famille et Molly fait comme si elle ne le savait pas ! Bordel, même Ginny l'a accepté, alors pourquoi pas elle ?

- Tu as déjà amené quelqu'un aux repas de famille chez les Weasley ? Et quand je dis quelqu'un, je veux dire… un homme.

- Quoi ? Non ! Certainement pas !

- C'est là le problème. Tant qu'elle ne t'aura pas vu en compagnie d'un autre homme, elle fera semblant de ne pas comprendre.

- C'est n'importe quoi…

- J'ai raison et tu le sais. Alors, trouve-toi un mec, emmène-le chez les Weasley et roule-lui une pelle au pied du sapin. Problème résolu !

- Et tu peux me dire où je vais le trouver ce mec d'ici à midi ? Hein ? J'ai peut-être fait mon coming-out pour la famille Weasley mais ailleurs, personne n'est au courant !

- Oh, par Merlin, Potter, ne fais pas celui qui ne se rend compte de rien ! Brian Stevens te regarde avec des yeux d'amoureux transis ! Il ne rêve que de te lécher le cul. Au propre comme au figuré.

- T'es dégueulasse ! se plaignit Harry en lui assénant une bourrade dans les côtes.

- Peut-être, mais j'ai raison. Encore.

Harry ne put s'empêcher de rire.

- Brian Stevens ? répéta-t-il. Le prof d'étude des moldus ? C'est de lui dont tu parles ?

- Evidemment. Tu connais beaucoup de Brian Stevens ?

- Hm, fit Harry d'un air vaguement intéressé. Il est plutôt pas mal…

- Sérieusement, Potter ? réagit Draco. C'est vraiment ton genre de mec ?

- Bah quoi ? C'est toi qui veut que je l'invite chez les Weasley pour lui rouler une pelle !

Draco maugréa quelque chose d'incompréhensible et Harry rigola de sa mine renfrognée.

-Est-ce que ç'a été aussi difficile pour toi aussi ? demanda-t-il plus sérieusement après un moment de silence. Je veux dire… ton coming-out.

Draco haussa les épaules.

- Ça n'a pas été simple, dit-il. J'ai longtemps caché ce que j'étais de peur que mes parents me renient. Bien sûr, mon père a très mal pris la chose. Ma mère n'était pas ravie non plus. Mais ils ne m'ont pas renié. Je crois que me voir heureux, en paix avec moi-même en dépit de leur opposition, les a fait réfléchir.

- Tu aurais été capable de leur tourner le dos définitivement s'ils ne t'avaient pas accepté comme tu es ?

- Avec le recul, je ne sais pas. A l'époque, j'étais déterminé à le faire en tout cas… mais je n'ai pas dû aller jusque-là, fort heureusement. Grâce à Marcus.

- Ah oui, Marcus, dit Harry d'un ton grinçant. Ça faisait longtemps qu'on en avait plus parlé de celui-là…

Draco ne releva pas la remarque.

- Il a su parler à mes parents. A mon père, surtout.

- Ton père l'a écouté ? ironisa Harry. Un né-moldu ?

- Oui. C'était le talent de Marcus, ce qui faisait de lui un si bon guérisseur. Il était capable de parler aux gens. A tout le monde.

- Décidément, il avait toutes les qualités… c'est à se demander pourquoi tu l'as quitté…

Le ton était acide. Draco haussa un sourcil, un peu surpris.

- J'ai vécu deux années merveilleuses avec Marcus, dit-il. Je l'aimais énormément et j'ai sincèrement cru que je pourrais être heureux avec lui, mais lui, il savait que ce ne serait pas le cas.

- Il savait ?

- Marcus me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. En réalité, ce n'est pas moi qui l'ai quitté. C'est lui qui m'a laissé partir.

- Pourquoi ?

Draco soupira en fermant brièvement les yeux. Marcus lui avait appris à ne plus rien cacher. Il était peut-être temps pour lui d'être honnête avec Harry également.

Il prit une profonde inspiration et se décida de se libérer d'un secret vieux de douze ans.

- Ce soir de Noël 1998, dit-il à voix basse, quand j'ai pris la potion d'oubli… ce n'était pas mon passé de Mangemort que je voulais oublier. Ou du moins, pas seulement…

- Quoi ? Mais… que voulais-tu oublier alors ?

- Cela faisait un bout de temps que je m'étais aperçu de ma… différence. Je crevais de peur que mes parents l'apprennent, que… que Voldemort l'apprenne, qu'il me fasse du mal, à moi mais aussi… à celui dont j'étais tombé amoureux. C'est la raison pour laquelle j'ai fait en sorte de maîtriser parfaitement l'occlumancie. Pour… pour que personne ne sache.

Il resta silencieux un moment. Des flocons épars s'étaient mis à tomber et dansaient lentement autour d'eux. Au loin, on percevait le son des grelots des traineaux qui rentraient au Château et les rires de leurs occupants. Un groupe d'étudiants passèrent en courant derrière le stade, en chantant à tue-tête un air de Noël et en se jetant des boules de neige.

Mais Harry ne semblait rien entendre de tout cela, son attention toute entière étant concentrée sur Draco.

- Quand… tout fut terminé, quand Voldemort fut vaincu, continua Draco, j'ai cru que j'allais pouvoir à nouveau enfouir mes sentiments comme j'étais parvenu à le faire jusque-là. Mais je n'y suis pas arrivé. Et chaque jour qui passait, je réalisais un peu plus que… ce garçon ne… ne m'aimerait jamais. Cette idée était tellement… douloureuse que… j'ai décidé de tout oublier.

- Mais ça n'a pas fonctionné…

- Oui et non, dit Draco avec un sourire énigmatique. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais en reprenant conscience le lendemain matin, j'avais l'impression d'être différent… mais dans le bon sens du terme. Comme si une voix m'avait murmuré toute la nuit que les choses allaient s'arranger.

Perdu dans ses souvenirs, il sourit plus largement.

-Quelques mois plus tard, j'ai à nouveau croisé le garçon, par hasard… et j'ai compris que l'oubli n'aurait servi strictement à rien. Ç'aurait été comme… vider une étagère pour la remplir autrement. Même après l'avoir oublié, je serais retombé amoureux de lui. De ses yeux verts. De son rire. De ses cheveux perpétuellement en désordre…

Draco tourna la tête vers Harry. Celui-ci le regardait, les yeux écarquillés.

- Tu… tu veux dire… que…

- Oui, dit Draco sans ciller. C'est de toi dont j'étais amoureux. Et je le suis toujours.

Comme Harry restait silencieux, Draco sentit ses mains devenir moites et la peur s'insinuer dans son ventre.

-Ecoute… tu ne dois pas t'inquiéter, dit-il avec un calme qu'il était très loin de ressentir. Mes… mes sentiments pour toi ne changeront rien. Je veux dire… la seule chose que je souhaite maintenant, c'est que nous restions amis… c'est tout ce qui m'importe.

Harry recula d'un pas, puis un autre. Il semblait sous le choc.

-Harry, s'il te plait, dit Draco qui commençait à paniquer. Je ne voulais pas…

Harry recula encore avant de disparaître dans un craquement.

Draco soupira. C'était bien sa veine. Il fallait évidemment que le Garçon-qui-a-vaincu soit aussi capable de transplaner dans l'enceinte de Poudlard. Autant dire qu'à cet instant, il pouvait se trouver n'importe où en Angleterre. Ou dans le monde.

O°O°O°O°O°O°O

Sans grand espoir, Draco frappa à la porte de la chambre de Harry. Evidemment, personne ne lui répondit. L'occupant d'un tableau tout proche l'informa qu'il n'avait plus vu le Professeur Potter depuis le matin quand il était venu chercher son Eclair de Feu. Draco le remercia et quitta les lieux.

Il se rendit ensuite dans la Grande Salle où la plupart des professeurs et des élèves qui passaient les fêtes au Château étaient déjà rassemblés, en attendant qu'on serve le repas de Noël. Ses collègues se portèrent immédiatement à sa rencontre pour prendre de ses nouvelles.

- Il y a eu plus de peur que de mal, répéta-t-il en s'efforçant de rassurer tout le monde.

- Neville Londubat m'a écrit, dit le Professeur McGonagall. Il est très embarrassé de ce qui s'est produit…

- C'est vrai que même lui n'est pas parvenu à une telle prouesse avec le Professeur Rogue, plaisanta Draco.

- J'espère que vous n'en tiendrez pas rigueur au jeune Frank…

- Vous avez donc une si piètre opinion de moi, Minerva ?

- Vous êtes humain, Draco, se contenta de répondre la directrice.

- A votre place, je m'inquièterais davantage du ressentiment du Professeur Potter, dit Pomona Chourave. Vous auriez dû voir comment il a hurlé sur ce pauvre Londubat…

- Oui, je l'ai appris, dit Minerva d'un air réprobateur. Il faudra d'ailleurs que je lui en parle à son retour.

- Il a quitté le Château ? demanda innocemment Draco.

- Bien sûr, répondit Minerva. Il passe toujours les fêtes avec la famille Weasley, comme chaque année.

- Evidemment, sourit-il. Suis-je bête, j'avais oublié.

Il prit place à table en réfléchissant. Potter était certainement chez les Weasley. Il aurait dû y penser plus tôt. Au moins, il n'était pas à l'autre bout du monde en train de faire quelque chose d'inconsidéré.

Son soulagement fut cependant de courte durée quand il se rappela que Molly Weasley avait une invitée. Une énième cousine qu'elle allait essayer de caser avec Harry.

Par Merlin, pensa-t-il. Potter était-il capable de flancher et de se laisser séduire par cette gourgandine, uniquement pour oublier sa pathétique déclaration d'amour ?

C'est bien possible.

Il songea à prétexter un malaise pour se lever et partir mais ce n'était pas une bonne idée. Miss Pilgrim, qui était assise à quelques mètres de lui, allait l'obliger à se rendre à l'infirmerie et lui donnerait des potions. Il décida donc de prendre son mal en patience.

Le bon moment se présenta après le plat principal. Il était tellement copieux que Draco réprima plusieurs bâillements.

- Vous semblez fatigué, Professeur Malefoy, dit Miss Pilgrim. Vous devriez vous ménager.

- Vous avez raison, Miss Pilgrim, dit aussitôt Draco. J'ai peut-être présumé de mes forces. Je ferais mieux d'aller faire une sieste dans mes appartements. Ensuite, je ferai une courte promenade dans le parc. L'air frais me fera du bien.

- C'est une excellente idée.

Draco se leva et prit congé.

O°O°O°O°O°O°O

25 décembre 2010 – Le Terrier

En arrivant dans le Devon, Draco se félicita d'avoir enfilé une cape épaisse, une écharpe et des gants. Il avait beaucoup neigé et s'est à peine s'il distinguait le Terrier au bout du chemin. Il avança, la neige crissant bruyamment sous ses pas.

Quand il fut face à la barrière en bois vermoulu qui délimitait la propriété, il s'arrêta. Au travers des petites fenêtres de la maison biscornue, il pouvait voir les lumières qui décoraient le séjour et le sapin de Noël. Il entendait aussi des rires et des exclamations.

Que faisait-il là ? De quel droit venait-il interrompre une fête familiale ? Il songea à rebrousser chemin quand il entendit une voix.

J'avais oublié combien j'étais un petit con prétentieux, arrogant et lâche.

Il se figea. D'où cela venait-il ?

Machinalement, il regarda autour de lui mais il était seul, bien évidemment. Cette voix était dans sa tête, seulement dans sa tête.

Est-ce qu'il devenait fou ? Était-ce encore un effet des vapeurs de chaudron qu'il avait inhalées ? Quelque chose lui disait que non. Cette voix était familière, rassurante. Il avait le sentiment que c'était cette même voix qu'il avait entendue lui répéter que tout irait bien, durant la nuit où il avait pris la potion d'oubli.

Il sourit. Il ne savait pas si tout irait bien après ce qu'il s'apprêtait à faire, mais il ne voulait pas reculer. Il n'était plus un lâche.

Il posa résolument la main sur la barrière et sentit immédiatement les vibrations de la protection magique qui entourait la maison. Il ne fallut pas une minute pour que la porte d'entrée s'ouvre sur Ron Weasley.

- Malefoy ? dit Ron en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je… hum… je cherche… Potter.

- Harry n'est pas ici.

- Ah. D'accord. Je… je suis désolé pour le dérangement.

Déçu, il allait partir mais Ron le retint.

- Attends, dit-il en sortant de la maison et en refermant la porte derrière lui. Qu'est-ce que tu lui veux à Harry ?

- Rien. Peu importe.

- Si tu es venu jusqu'ici, c'est que ce n'est pas rien. Alors ?

- Je t'assure, ça n'a pas d'importance. Passe un joyeux Noël, dit Draco en se détournant.

Il avait à peine fait deux pas que Ron lui dit :

-Je sais où est Harry. Je te le dis si toi, tu craches le morceau.

Draco soupira à fendre l'âme.

- Si je te dis de quoi il s'agit, tu vas me jeter un sort ou m'en coller une.

Ron haussa les épaules.

-Te jeter un sort ? Peut-être bien. T'en coller une, non. Ça c'est la spécialité de ma femme.

Draco ne put s'empêcher d'esquisser un sourire.

- Alors ? insista Ron.

- Potter et moi avons eu une… conversation ce matin. Je lui ai dit quelque chose qui l'a… contrarié apparemment. Il a transplané sans que je puisse m'expliquer. Je… je voudrais réparer ça.

- Hm.

- Où est-il ?

Ron retourna vers la porte d'entrée qu'il ouvrit.

- Entre, dit-il en s'écartant.

- Mais…

- Entre, je te dis.

Un peu méfiant, Draco pénétra dans la maison. Il fut aussitôt assailli par les bonnes odeurs de cuisson, un mélange de dinde rôtie, de cannelle et de marrons. La décoration était complètement hétéroclite, faite de bric et de broc mais extraordinairement chaleureuse.

-Ron ? dit la voix de Madame Weasley depuis la salle à manger. Qui est-ce ?

Elle apparut aux côtés de son fils.

- Oh. Monsieur Malefoy.

- Bonjour, Madame Weasley. Je suis désolé de vous déranger en plein repas de Noël.

- Nous avons terminé. Que pouvons-nous faire pour vous ?

- Malefoy et moi devons discuter d'un truc, dit Ron.

Madame Weasley regarda alternativement son fils et Draco, ne sachant pas quelle attitude adopter.

- Bien, dit-elle finalement. Dis-moi si je dois vous apporter quelque chose à boire ou à manger.

- Ça ira comme ça, Madame Weasley, dit Draco. Nous n'en avons pas pour longtemps. Je vous remercie.

Elle lui fit un petit sourire tendu puis regagna la salle à manger où les conversations et les rires n'avaient pas cessé.

-Assieds-toi, dit Ron en montrant à Draco un fauteuil entre le sapin et la cheminée.

Lui-même prit place dans le canapé.

- Pourquoi suis-je ici ? demanda Draco à voix basse. Tu m'as dit que Potter n'était pas là. Où est-il ?

- Que lui as-tu dit qui l'a contrarié ainsi ?

- Ce ne sont pas tes affaires.

Ron observa son invité surprise quelques instants.

-Tu lui as dit que tu étais amoureux de lui, énonça-t-il calmement.

Draco perdit toutes couleurs.

- Harry était ici ce midi, continua Ron. C'est la première chose qu'il m'a raconté en arrivant.

- Hm. Je suis heureux de savoir que mes propos ont animé le repas familial, répliqua Draco d'un ton sec.

Vexé, il se leva.

- Descends de tes grands hippogriffes, Malefoy, soupira Ron, et rassieds-toi. Je suis le seul au courant. Et pour ta gouverne, Harry n'était pas contrarié mais bouleversé.

- Ça ne change rien à l'affaire… il est parti sans dire un mot !

Ron s'avança sur le bord du canapé.

- Tu es sérieux ?

- Je te demande pardon ?

- Quand tu lui as dit que tu es amoureux de lui depuis des années et encore aujourd'hui… tu es sérieux ?

- Je n'ai pas à me justifier auprès de toi !

- Oh que si ! Harry est comme un frère pour moi et je ne veux pas qu'il souffre ! Il en a suffisamment bavé comme ça !

- Ah vraiment ? ironisa Draco. Balaye devant ta porte, mon vieux et dit à ta mère de l'accepter comme il est au lieu de lui imposer la présence de Merlin sait quelle… donzelle à tous les repas de famille !

Ron eut le bon goût de paraître ennuyé.

- Je sais, bougonna-t-il, mais laisse ma mère en dehors de ça. C'est de toi qu'on parle ici ! Es-tu sérieux, oui ou non ?

- Oui, je le suis ! s'énerva Draco. Je suis amoureux de lui ! Mais si, à cause de cela, je dois perdre son amitié, alors je ferai taire mes sentiments sans attendre !

- Par les caleçons de Merlin, Malefoy ! Tu as un côté mélodramatique qui nous avait bien échappé jusqu'à présent ! rigola Ron.

- Si c'est pour que tu te foutes de ma gueule, on va en rester là !

- Ça va, ça va, dit Ron en levant les mains. Je suis désolé, ok ? C'est juste que… il n'y en a pas un pour rattraper l'autre…

- Que veux-tu dire ?

Ron soupira lourdement.

- Harry était bouleversé par ce que tu lui as dit, simplement parce que ça fait des années aussi qu'il est amoureux de toi…

- Hein ?

- Ce n'est pas comme si je n'avais pas essayé de le faire changer d'avis, maugréa Ron, mais pas moyen !

- Mais… je… depuis quand ?

- Je ne sais pas. Ton procès, je crois.

Draco était abasourdi. Jamais il n'aurait pu imaginer une chose pareille.

- Quand tu es parti pour Hambourg, il pensait t'avoir perdu pour de bon et il a décidé de passer à autre chose. Il s'est remis avec ma sœur mais ça n'a pas duré longtemps. C'était compliqué d'aller contre sa nature. Ensuite, il a quitté le Bureau des Aurors pour prendre le poste de professeur à Poudlard. Ça lui a fait du bien de s'éloigner, de changer de vie. Puis, tu es revenu… et depuis lors, il ne fait plus que parler de toi. C'est pénible, tu n'as pas idée…

- Où est-il ? redemanda Draco sans prêter attention à la remarque.

- Au seul endroit où il va quand il a besoin de réfléchir et de prendre des décisions importantes.

- Godric's Hollow, dit Draco. Sur la tombe de ses parents. Comment n'y ai-je pas pensé ? Je vais y aller ! Je…

- Non, reste. Harry m'a dit qu'il reviendrait ici avant de retourner à Poudlard. Je suis sûr qu'il…

Ron fut interrompu par la porte d'entrée qui s'ouvrait. Harry apparut sur le seuil, des flocons de neige dans les cheveux et les joues rouges. Il s'essuya les pieds sur le paillasson en retirant ses gants.

- Désolé, dit-il en direction des personnes rassemblées dans la salle à manger. J'ai pris plus de temps que prévu.

- Ce n'est rien, mon chéri, dit Madame Weasley en s'approchant, un mug de thé dans la main. Nous avons reçu de la visite entretemps.

Elle fit un signe de tête en direction du salon. Intrigué, Harry se retourna.

- Malefoy ? s'exclama-t-il. Mais… qu'est-ce que tu fais là ?

- Je voulais…

- Harryyyy ! dit une petite voix fluette. Viens te rasseoir à côté de moi !

La voix appartenait à une jeune femme toute menue, aux cheveux roux foncés, coupés courts, qui vint s'accrocher au bras de Harry en sautillant. Elle le regardait avec un air énamouré auquel Harry semblait totalement insensible. Il faut dire qu'il ne lui avait pas accordé le moindre regard, toute son attention étant accaparée par la présence incongrue de Malefoy au milieu du salon des Weasley.

-Alleeez ! insista-t-elle d'une insupportable voix pleurnicheuse.

Harry ne répondit pas, se contentant de dégager son bras, plutôt abruptement. Dans l'intervalle, tout le clan Weasley avait quitté la table et s'était rassemblé derrière Molly. Arthur, George et sa femme Angelina, Percy et Audrey, Bill et Fleur, Ginny, Hermione. Ils étaient tous là, de même qu'une pléiade de gamins.

- Pourquoi le Professeur Malefoy est-il là ? chuchota Rose Weasley en direction de sa mère. On va recevoir des devoirs de vacances ? Comment vais-je faire ? J'ai laissé mon manuel de potions à Poudlard !

- Le Professeur Malefoy n'est pas là pour ça, dit Hermione.

Rose fut rassurée. Tout comme elle fut rassurée de voir que son professeur se portait bien. Elle l'aimait beaucoup, même s'il était très sévère et exigeant, et elle avait été fort inquiète pour lui quand le chaudron de Frank Londubat avait explosé.

- Malefoy ? insista Harry.

- Je…

Draco sentit son cou se couvrir d'une sueur froide. Comment pouvait-il expliquer à Harry la raison de sa présence avec toutes ces têtes rousses qui le fixaient avec curiosité ?

- Tu quoi ? insista Harry.

- Je craignais que tu ne fasses quelque chose d'inconsidéré, dit-il finalement, avec une assurance qu'il était loin de ressentir. A cause de ce que je t'ai dit ce matin.

- Quelque chose d'inconsidéré ? répéta Harry en fronçant les sourcils.

- Comme te précipiter ici et… et… demander cette fille en mariage ! s'énerva Draco en pointant la fameuse cousine du doigt.

Son coup d'éclat fut suivi d'un grand silence. Tout le monde le regardait avec stupeur.

- Harry… veut… m'épouser ? dit la fille d'une voix tremblante et pleine d'espoir.

- Sûrement pas ! répondit Harry plutôt sèchement.

- Mais…

- Oh Daisy, tais-toi ! lui intima Ginny.

Harry fit quelques pas en direction de Draco.

- Qu'est-ce qui t'a pris de penser une chose pareille ? demanda-t-il.

- Je ne sais pas, soupira Draco, mortifié par sa propre attitude. Tu es si… impulsif, par moments.

- Peut-être… mais pas au point de faire une chose aussi stupide, répondit Harry.

- Quoi ? miaula Daisy.

Personne ne fit attention à elle.

- Je suis désolé, continua Harry. Je n'aurais pas dû m'enfuir comme ça. Mais… ce que tu m'as dit… ça m'a tellement surpris… j'étais…

- Bouleversé, dit Draco. Je sais. Et je sais aussi pourquoi.

- Tu… tu sais ?

- Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?

Draco vit Harry rougir et presque se recroqueviller sur lui-même. Il semblait prêt à s'enfuir à nouveau ou à creuser un trou pour s'y enterrer. Il fut ému de le voir soudainement aussi fragile. Le courageux et intrépide Gryffondor qui avait maté Voldemort et un Magyar à pointes, était terrifié par ses propres sentiments.

- Mais qui est ce type à la fin ? demanda Daisy de sa voix haut perchée. Et pourquoi accapare-t-il Harry ?

- C'est le Professeur Malefoy, dit Rose d'un ton docte. Il enseigne les potions à Poudlard.

- Et alors ? Faut-il vraiment qu'il vienne nous déranger le jour de Noël ?

Draco sentit la moutarde lui monter au nez. Pour qui se prenait cette petite dinde ? Il fit un pas dans sa direction et la toisa de toute sa hauteur, le regard aussi froid qu'un iceberg.

- Ainsi que l'a dit Miss Weasley, je suis enseignant à Poudlard, dit-il calmement. Je suis non seulement le collègue de Harry, mais également son ami. Et j'ai bon espoir que d'ici quelques minutes, je devienne son petit-ami.

Daisy ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit.

Draco, lui, s'était tourné vers Harry. Sans plus y réfléchir, il s'avança. Il prit le visage de Harry entre ses mains et il l'embrassa.

Un murmura parcourut la petite assemblée, ponctué d'un bruit de porcelaine brisée. Madame Weasley avait laissé tomber sa tasse de thé. Il y eut des gloussements, des rires, des exclamations des enfants, outrés à l'idée que des adultes puissent s'embrasser.

Draco n'entendit rien de tout cela. Son cœur battait trop fort. Surpris par sa propre audace, il mit un peu de temps à réaliser que Harry avait passé les bras autour de son cou et qu'il lui rendait son baiser avec fougue.

- Quand je te vois comme ça, j'ai du mal à croire que c'est moi qui ai eu le courage d'embrasser Harry la première fois…

- Quoi ? C'est… c'est moi… enfin vous… qui…

- Oui. Et encore heureux ! Si j'avais dû attendre que cet abruti de Potter se décide, on y serait encore !

Draco s'écarta un peu brusquement. D'où venaient ces voix ? Il avait l'impression qu'il s'agissait d'un souvenir, mais il semblait si profondément enfoui qu'il en doutait.

- Ça va ? demanda Harry, en fronçant les sourcils. Tu as l'air… perdu tout à coup.

- Non, dit Draco en se ressaisissant et en lui souriant. Je suis pas perdu. Plus maintenant.

- Je me demande vraiment qui est le plus impulsif des deux, sourit Harry en retour.

Il ne laissa pas le temps à Draco de répondre et lui prit la main. Il se tourna vers Madame Weasley.

- Molly, dit-il calmement, je sais que vous n'avez jamais vraiment… cru à mon coming-out il y a deux ans… mais c'est pourtant ce que je suis. Je ne changerai pas. Peu importe le nombre de jeunes filles célibataires que vous me présenterez.

- Oh mon chéri, dit-elle, un sanglot dans la voix. Je… je voulais simplement ton bonheur…

- Mon bonheur, c'est lui, répondit Harry en levant sa main qui serrait toujours celle de Draco. Est-ce que vous êtes prête à l'accepter ?

Madame Weasley hocha vigoureusement la tête avant de prendre Harry dans ses bras. Elle en fit autant avec Draco. Celui-ci, surpris par l'étreinte se raidit quelque peu. Jamais il n'aurait imaginé partager un jour une proximité physique avec un membre de la famille Weasley.

-Et vous ? demanda Harry au reste du clan Weasley quand Molly se fut reculée.

Ron regarda son père, ses frères, sa sœur et les pièces rapportées, avant d'avancer d'un pas.

-Je crois pouvoir parler au nom de tout le monde en disant que ça fait deux ans qu'on sait que tu es gay et que ça ne nous pose aucun problème. Ça fait aussi deux ans qu'on entend parler de Malefoy matin, midi et soir, alors… on se doutait bien que ça finirait comme ça. Vu le temps que ça a pris, crois-moi, on a eu le temps de s'y faire !

Les autres rigolèrent, détendant considérablement l'atmosphère.

- Vous… vous étiez tous au courant ? s'offusqua Daisy. Et vous m'avez laissé croire que…

- On est désolé, dit Hermione, mais…

- C'est de ma faute, Daisy, coupa Madame Weasley. Les autres n'y sont pour rien.

- Mais ils ne m'ont rien dit ! Ils auraient pu me prévenir, eux !

- Ç'aurait été beaucoup moins drôle, dit George.

Daisy se retourna sur lui et le fusilla du regard.

- Vous êtes… horribles ! s'exclama-t-elle.

- Oh ça va ! la rabroua Ginny. Tu connais Harry depuis deux heures… tu vas t'en remettre !

Daisy se renfrogna mais n'ajouta plus rien.

- Bon, si on retournait à table ? dit Ron. Je meurs d'envie de goûter le pudding !

- Je vais chercher les assiettes à dessert, renchérit Hermione.

- Je vais refaire du thé, dit Ginny.

- Oh ! Je vais aller chercher les allumettes pour flamber le pudding ! dit Arthur Weasley, tout content.

- Sûrement pas ! s'écria Madame Weasley ! L'année dernière, tu as mis le feu à la nappe !

Tout le monde se dispersa dans un joyeux brouhaha, comme si rien de particulier ne s'était passé.

- Tu avais tout prévu, n'est-ce-pas ? demanda Harry à Draco.

- Prévu quoi ?

- Ce matin, tu m'as conseillé de ramener un homme chez les Weasley et de lui rouler une pelle au pied du sapin. Exactement ce qui vient de se passer.

- Alors, non seulement, tu ne m'as pas « ramené » ici puisque c'est moi qui t'attendais, et ensuite, c'est moi qui t'ai embrassé, et non l'inverse.

- Tu es un insupportable pinailleur, Malefoy.

- Ose prétendre que j'ai tort…

Harry leva les yeux au ciel en riant, puis il saisit la nuque de Draco, l'attira à lui et lui roula la pelle du siècle.

- Et comme ça ? demanda-t-il en s'écartant, un air mutin sur le visage.

- Tu es un insupportable pinailleur, Potter, répliqua Draco avec un sourire.

-Allez viens, dit Harry en lui prenant la main. Allons manger le dessert !

Draco se retrouva assis à une longue table couverte d'une nappe rouge à carreaux au milieu de laquelle trônait un énorme christmas pudding qui aurait pu nourrir une tablée entière à Poudlard.

Il n'y avait pas deux assiettes ou deux tasses identiques et Draco se retrouva à boire son thé dans un mug qui proclamait « moldu et fier de l'être » et à manger son pudding dans une assiette décorée de petits hippogriffes. Il vit au bout de la table, Ron qui l'observait avec un sourire en coin avant de lever sa tasse à sa santé.

Le reste de l'après-midi passa dans un joyeux chaos. Il y avait quelque chose de surréaliste pour Draco à entendre les enfants chanter à tue-tête Petit Papa Merlin ou Il est né le divin gobelin, tandis que George faisait la démonstration des dernières nouveautés de son magasin. Les repas de Noël au Manoir étaient toujours très raffinés et surtout très posés. La mère de Draco n'aurait jamais admis qu'on chante ou qu'on joue à table, ou que la vaisselle soit autre chose que de la porcelaine de Chine, fine et délicate.

- Ça va ? s'inquiéta Harry, voyant qu'il était perdu dans ses pensées.

- Très bien, le rassura Draco. Beaucoup mieux que je ne l'aurais cru, en fait.

Harry lui fit un doux sourire.

- Et si nous rentrions ? suggéra-t-il.

- D'accord.

O°O°O°O°O°O°O

Poudlard

Quelques minutes plus tard, ils prenaient tous deux congé du clan Weasley et transplanaient devant les grilles de Poudlard. Harry aurait pu transplaner directement à l'intérieur, mais il avait envie de profiter de la beauté du paysage enneigé au crépuscule.

Timidement, il prit la main de Draco. Celui-ci la serra en retour, nouant ses doigts aux siens.

- Je suppose que nous allons devoir prévenir Minerva, dit Draco.

- Oui, c'est certain. Il est exclu qu'elle l'apprenne de quelqu'un d'autre que nous.

- Tu crois que nous pouvons attendre quelques jours ?

- Pourquoi ?

- J'aimerais en profiter un peu avant que tout le monde ne soit au courant et que…

Draco haussa les épaules.

- Que quoi ? demanda Harry.

- Que les beuglantes affluent pour te reprocher ton désastreux choix de petit-ami, dit Draco la mine basse.

Harry s'arrêta. Il fixa Draco avec une acuité peu commune.

- Tu ne crois tout de même pas que quelques beuglantes suffiront à me faire changer d'avis sur nous ?

- Donc, tu sais qu'il y aura des beuglantes…

- Bien sûr qu'il y aura des beuglantes ! La plupart des gens se croient autorisé à se mêler de ma vie depuis la fin de la guerre et ils m'envoient des beuglantes pour un oui ou pour non ! J'en ai reçu quand je t'ai défendu toi et ta mère à votre procès, j'en ai reçu quand j'ai démissionné du Bureau des Aurors, quand j'ai rompu mes fiançailles avec Ginny, quand je suis sorti à nouveau avec elle… ça ne sera pas différent avec toi ! Mais je m'en moque !

Draco hocha la tête en souriant. Il reconnaissait bien là son petit Gryffondor impétueux, sans peur et sans reproche. D'un geste délicat, il écarta une mèche de cheveux du front de Harry puis se pencha pour l'embrasser.

Ils étaient au milieu d'une allée, où ils auraient pu être vus par n'importe qui, mais ils ne bougèrent pas, continuant à s'embrasser encore et encore.

Au bout d'un moment, Harry se mit à rire.

- Qu'y a-t-il ? demanda Draco.

- C'est incroyable, gloussa Harry. J'ai l'impression d'avoir quinze ans !

- Tu bécotais des garçons dans le parc à quinze ans ?

- Non, pas vraiment…

- Hm. Je me disais aussi… Je me rappelle de toi à cette époque-là et tu étais grincheux, colérique et chiant.

- Hé ! Tu veux qu'on parle de toi ? Tu étais…

Draco l'embrassa à nouveau pour le faire taire.

- Je sais très bien ce que j'étais à l'époque, dit-il. Prétentieux, méchant et lâche. Et amoureux.

- Tu étais déjà amoureux de moi ?

- Sans doute. Mais j'aurais jeté un sort à quiconque aurait osé émettre cette idée ! répliqua-t-il en riant.

Harry soupira en posant son front contre l'épaule de Draco.

- Que de temps gâché à se haïr, murmura-t-il.

- C'est vrai, dit Draco. Mais il le fallait. Rien n'aurait été pareil sinon…

- Je sais… mais ça me rend dingue de me dire que je n'avais pas de libre-arbitre.

Il releva la tête, une lueur farouche dans le regard.

- Mais c'est terminé, maintenant. Plus personne ne me dictera mes choix !

- Hm. Ça reste à voir.

- De quoi tu parles ?

- De ta garde-robe, Potter !

- Quel est le problème avec ma garde-robe ?

Draco leva les yeux au ciel.

- Tu sais qu'il y a quantité d'autres vêtements en dehors des jeans et des t-shirts ? Et que tu es autorisé à posséder plus de deux paires de chaussures… qui ne soient pas des baskets !

- On est en couple de moins d'une demi-journée et tu me casses déjà les couilles, Malefoy !

- Une intuition me dit que ce n'est pas la dernière fois, sourit-il en entourant la taille de Harry de ses bras.

- Sérieux, tu es le roi des emmerdeurs !

- Je sais.

Bras dessus, bras dessous, ils reprirent leur route vers le Château.

- Je vais te paraître atrocement sentimental, dit Draco, mais c'est le meilleur Noël que j'ai jamais passé. Le plus étrange, mais le meilleur.

- Etrange ? plaisanta Harry. Et comment ! Tu t'es réveillé d'un coma, tu as mangé du christmas pudding à la table des Weasley, et on sort ensemble. Tout ça en moins d'une journée !

- Hm. Suis-je seulement sorti du coma ? Peut-être que je suis en train de rêver ?

Pour toute réponse, Harry se baissa et prit une pleine poignée de neige qu'il jeta sur Draco.

- Hé ! s'écria celui-ci.

- Maintenant tu es bien réveillé !

- Tu vas voir, Potter !

S'en suivit une féroce bataille de boules de neige qui les laissa pantelants et hilares, heureux comme des enfants qu'ils n'étaient plus depuis trop longtemps.

- Draco, dit Harry, les mains sur les cuisses et le souffle court.

- Quoi ?

- Je ne suis pas Marcus.

Draco haussa un sourcil.

- Eh bien, dans la mesure où Marcus est blond et fait une tête de plus que moi… oui, j'ai remarqué que tu n'es pas Marcus.

- Je suis sérieux, Draco. Je ne suis pas Marcus. Il ne faut pas t'attendre à ce que je discute avec ton père ou que j'essaye de m'entendre avec lui. Avec ta mère, à la rigueur, mais ton père… c'est hors de question. Il y a trop de… passif.

- Harry, dit Draco en s'approchant de lui. Je ne veux pas que tu sois Marcus. Ou qui que ce soit d'autre. Je veux seulement que tu sois toi. Même si cela veut dire que mon père et toi ne pourrez jamais être dans la même pièce.

- Mais… c'est ton père…

- Oui. Et toi tu es l'homme que j'aime. Celui que j'ai choisi. C'est une chose avec laquelle mes parents vont devoir composer s'ils veulent continuer à faire partie de ma vie.

Harry resta silencieux quelques instants, méditant ce que Draco venait de dire.

- Ce ne sera pas facile, n'est-ce-pas ? dit-il. Toi et moi.

C'était un simple constat, formulé sans animosité ni inquiétude.

- Non, ce ne sera pas facile, confirma Draco. Mais c'est pour ça que ça en vaudra la peine.

Harry lui sourit tendrement.

Arrivés aux portes du Château, ils s'arrêtèrent pour contempler les silhouettes noires des sapins et les crêtes des montagnes, éclairées par la lune.

A ce moment, une étoile filante traversa le ciel, instant fugace et magique.

- Le monde ne mourra pas par manque de merveilles, mais par manque d'émerveillement, murmura Draco.

- Alors faisons en sorte de toujours nous émerveiller, dit Harry en lui prenant la main.

Tu auras une belle vie, tu sais, entendit Draco dans sa tête au moment où ils passaient la porte du Château.

Maintenant, il en était certain.

FIN.


Le monde ne mourra pas par manque de merveilles, mais par manque d'émerveillement.

J'ai entendu cette citation dans le superbe film "Supernova" avec Colin Firth et Stanley Tucci. C'est tellement vrai... Alors, je vous souhaite de vous émerveiller, de tout, de rien, tout le temps, même si c'est compliqué pour le moment.

Je vous souhaite un joyeux Noël et une très belle année 2022.

A bientôt.

Rose