Épisode 11: Apocalypse now !
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Frontière d'Ismar – Système Faia – Planète Zorya –
Campement de jungle de la compagnie mercenaire des Marteaux de Sheitan –
Moins 13 minutes avant extraction !
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Conformément à leur plan, le capitaine Keren et le lieutenant da Costa avaient regagné la surface, en répandant consciencieusement l'incendie derrière eux dans les niveaux souterrains du bunker à mesure qu'ils remontaient. À cette occasion, Damon avait pu étrenner sa toute dernière acquisition: le lance-flammes M-451 Firestorm au châssis plaqué or qu'il avait conquis de haute lutte sur l'ex-sergent artilleur de l'Alliance Hermann Frost! L'efficacité ravageuse de l'arme avait positivement enthousiasmé le commando N7; et ce n'est qu'à regret qu'il l'avait finalement replacée sur le dos de son armure, une fois son œuvre de destruction accomplie.
Tandis qu'ils parcouraient les salles et les galeries bétonnées, les deux agents avaient pu réaliser pleinement l'ampleur du massacre causé un peu plus tôt par l'activation des défenses automatisées du complexe souterrain: ça et là, des corps de mercenaires gisaient au pied de parois ou de consoles défoncées par des rafales d'armes lourdes, avec leurs armures bleues et blanches perforées de larges orifices encore fumants, et leurs visages figés sur une expression de terreur absolue. Saïda et Damon avaient ainsi pu recenser pas loin d'une dizaine de victimes au total. Cela représentait déjà un sérieux coup porté aux effectifs des Marteaux de Sheitan, et autant d'adversaires en moins à affronter pour la suite... Mais Damon n'en avait pas moins semblé assez mal à l'aise avec la façon relativement déloyale dont ce brillant résultat avait été obtenu.
Saïda avait semblé s'orienter avec une facilité déconcertante dans ce dédale de petites salles basses et de coursives mal éclairées. Lorsque Damon lui en avait fait la remarque, elle avait simplement répondu:
-–- Comme je te l'ai dit pendant qu'on descendait, l'architecture de ce bunker correspond point par point à un modèle exclusif, préfabriqué en série par un prestataire privé turien pour le compte du Conseil, qui les déploie essentiellement sur Tuchanka. J'ai déjà eu l'occasion d'en visiter quelques uns, sur place. J'ignore comment Ravar a bien pu s'y prendre pour arriver à s'en procurer un, mais il était apparemment moins bête que je ne le pensais! On en apprendra peut-être plus là-dessus en dépouillant les données qu'on lui a piquées, conclut-elle en levant son Omnitech.
Seules quelques sections du bunker étaient demeurées inaccessibles, hermétiquement verrouillées par des protocoles résiduels de sécurité anti-incendie que Saïda n'avait pu contourner. Parmi celles-ci se trouvaient hélas le garage pour véhicules lourds, et le hangar à navettes. Il aurait pourtant été bien appréciable, pour les agents conciliens, de pouvoir neutraliser la menace que représentaient de tels appuis terrestres et aériens pour leur évacuation à venir...
Damon et Saïda atteignirent bientôt le sas blindé de l'unique porte d'accès au bunker, celle-là même par laquelle ils étaient entrés. Saïda vérifia rapidement son Omnitech; ils étaient tout juste dans les temps sur leur planning horaire: plus que 13 minutes avant l'arrivée sur zone de Lenks et Andrak! Il leur resterait donc encore un peu de temps pour retrouver leur amie Feylin Adamas, avant que la navette Kodiak de leurs compagnons ne vienne déverser l'enfer sur la base des Marteaux de Sheitan.
Un ultime obstacle se dressait toutefois encore entre eux, et l'espace relativement ouvert du campement: la grande clôture électrifiée qui matérialisait l'enceinte du blockhaus. L'unique moyen de franchir cette barrière se limitait au petit poste de garde par lequel les deux N7 étaient déjà passés à leur arrivée, situé à environ 10 mètres face au sas d'entrée dans l'ombre duquel ils se dissimulaient encore. Ce qui se passait au niveau de ce checkpoint était visible de tous les mercenaires circulant dans le secteur; et à ce stade, il n'était pas encore question d'engager un combat susceptible de dégénérer en affrontement contre l'ensemble des forces armées de la base! Il allait donc falloir y aller au culot...
En voyant approcher les deux visiteurs humains à présent pourvus d'armes visibles, les trois sentinelles des Soleils Bleus se raidirent et commencèrent à apprêter nerveusement leurs propres fusils. Le caporal turien qui dirigeait le dispositif vint se placer sur le chemin des deux commandos en armures N7, une main fermement posée sur le pistolet placé à sa hanche, et l'autre levée vers eux pour leur intimer l'ordre de s'arrêter:
-–- Une petite minute, tous les deux... Comment ça se fait que vous portiez des armes, maintenant? Et où est passée le lieutenant Eryx? Elle était censée vous coller aux semelles durant tous vos déplacements dans le périmètre fortifié!
Ce fut Saïda qui prit l'initiative de répondre: la Spectre chevronnée savait pouvoir compter sur sa bonne connaissance du fonctionnement interne des Soleils Bleus – alliée à une exploitation intelligente de la réputation de suffisance des combattants d'élite N7 de l'Alliance! – pour pouvoir berner ce sous-fifre de mercenaire. Et elle espérait également pouvoir tirer parti de l'aspect peu engageant de son visage noirâtre et craquelé, probablement intimidant même pour un Turien. Le fait est que le sourire triomphal qu'elle adressa au caporal avait quelque chose de franchement terrifiant!
-–- Mon gars, commença-t-elle avec entrain, on vient tout juste de signer un putain de beau gros contrat avec ton boss, là en bas! Je devrais dire notre boss, vu qu'après la période de probation ramenée au minimum, on sera officiellement des vôtres... Et quand je parle d'un beau gros contrat, je te dis même pas le montant de notre solde avec primes, mon pauvre vieux, ça t'en ferait grincer des mandibules! ajouta-t-elle avec condescendance, en passant son majeur sous le sigle N7 blanc et rouge estampillé sur sa poitrine. Bref, en signe de bienvenue et d'intégration, le capitaine Ravar nous a autorisés à porter des armes sans délai, et devine quoi? il nous a même laissés les choisir dans l'armurerie privée de son bureau! Ça t'en bouche un coin, ça, hein? Quant au lieutenant Eryx, ben... Elle, elle avait pas l'air franchement d'accord avec les décisions du capitaine; donc, elle est restée en bas pour, disons... pour en discuter en privé avec lui...
Devant la réticence patente du Turien à admettre ses dires, Saïda ajouta d'un ton indifférent:
-–- ...Oh, tu peux toujours appeler le lieutenant Eryx ou le capitaine Ravar pour vérifier tout ça. Ceci dit, ils étaient en grande conversation quand on a pris congé, et je peux même dire que ça avait l'air de barder méchamment entre eux. Parti comme c'était, je crois qu'ils sont loin d'en avoir encore fini... Alors si tu veux vraiment les déranger maintenant, c'est ton problème!
En bonne psychologue, Saïda pensait avoir assez bien jaugé les manières abruptes et rébarbatives de la grande bringue turienne qui était venue les chercher au Blue Scum, elle et Damon, pour supposer qu'elle devait traîner une solide réputation d'irascibilité parmi la piétaille des mercenaires. En conjuguant celle-ci au caractère notoirement emporté de Ravar, l'Humaine se doutait que personne n'oserait prendre le risque d'importuner ces deux-là dans un de leurs mauvais jours... De fait, les hésitations du caporal turien furent brèves, et il se résolut assez vite, bien que visiblement a contrecœur, à laisser les deux nouvelles recrues quitter l'enceinte clôturée avec leurs armes.
-–- Hé! s'exclama soudain l'une des sentinelles du poste de garde, au moment où Damon passait devant lui. Mais dites donc, c'est le Firestorm personnel du sergent Frost que vous portez là derrière!
Damon fit face au soldat, un jeune Humain, de manière à lui adresser un grand sourire légèrement condescendant. Le N7 tapota le lance-flammes portatif au châssis plaqué or arrimé sur le dos de son armure, en expliquant joyeusement:
-–- Petit, on s'est aperçus dans le bunker là en bas qu'on se connaît en fait de longue date, ce cher vieux Hermann et moi! C'est lui-même qui m'a confié son joujou préféré, afin que j'aille l'essayer sur le pas de tir. Il m'a conseillé d'utiliser le même modèle d'arme, et il tenait à ce que je m'en fasse une idée par moi-même avant de me décider...
L'assurance et le pouvoir de conviction dont Damon fit preuve en cette occasion, pouvaient surprendre de la part du soldat qui se prétendait le plus mauvais comédien de l'Unité N°1. La jeune sentinelle devant lui sembla hésiter un moment à avaler cet énorme bobard, mais un signe de tête autoritaire de la part de son caporal le convainquit bientôt de lâcher l'affaire. Dès que les deux imposteurs eurent pris quelque distance, Damon eut droit aux félicitations de sa supérieure, qui semblait aussi surprise que sincèrement ravie:
-–- Eh bien là, s'extasia la Spectre, on peut vraiment dire que tu m'as bluffée! Tu as quand même fait preuve d'un sacré sang-froid, pour parvenir à sortir une foutaise de ce calibre sans même sourciller!
-–- Bah, c'était trop facile! répondit Damon avec modestie. Je comprends encore mieux maintenant ton mépris pour les Marteaux de Sheitan, cap'taine: leurs protocoles de sécurité sont une farce! Réussir à rouler dans la farine des guignols pareils n'a vraiment rien de glorieux...
-–- Il reste un dernier point à régler, poursuivit Saïda d'un ton soucieux. Il va encore falloir retrouver Feylin avant de pouvoir se tirer d'ici...
Le hululement sinistre d'une alarme s'éleva soudain derrière eux, se répétant bientôt sur tout le périmètre du campement. Heureusement, la zone d'entreposage qu'ils étaient en train de traverser était totalement déserte. Damon compléta vivement les priorités énoncées par sa patronne:
-–- Il va falloir trouver Feylin et un endroit peinard où se faire oublier, le temps que Lenks et Andrak arrivent à la rescousse! Tu as un signal de ton côté?
Feylin, Saïda et Damon avaient envisagé la possibilité qu'à leur entrée sur la base des Marteaux de Sheitan, les modules de communication de leurs Omnitechs pourraient être désactivés ou leur être confisqués – ce qui avait effectivement été le cas. Aussi avaient-ils pris soin, avant leurs départs respectifs, de synchroniser leurs Omnitechs de manière à ce qu'ils entrent en résonnance s'ils se retrouvaient suffisamment proches les uns des autres. À présent que Feylin devait avoir activé cette application au même titre que ses deux complices d'infiltration, tous trois allaient pouvoir se localiser mutuellement sans trop de difficultés, même ici dans cette agglomération anarchique faite de conteneurs modulaires posés et empilés un peu n'importe comment.
Ce fut Damon qui détecta le premier le signal de l'Omnitech de Feylin, qui les mena lui et Saïda vers un dédale d'allées étroites; il allait sans doute devenir plus difficile d'obtenir ici une localisation précise du signal. Mais alors qu'ils passaient devant l'entrée d'une de ces venelles, les deux agents y entendirent siffloter un air de musique assez majestueux. L'air en question, qu'ils connaissaient pour l'avoir déjà entendu siffloter ainsi à bord du SSV Citadel, n'était autre que l'hymne des chasseresses de la Garde de Serrice. Or ils n'avaient encore guère croisé beaucoup d'Asari sur cette base des Soleils Bleus; et il n'y en avait qu'une seule parmi elles, dont ils aient su en connaissance de cause qu'elle avait servi dans ce corps de troupes prestigieux...
Saïda et Damon pénétrèrent aussitôt dans le passage en question. Leur amie Feylin Adamas les attendait effectivement bien sur place, avec son sourire le plus radieux aux lèvres. Se trouvaient également là les corps sans vie de trois mercenaires turiens en armures bleues et blanches, avec leurs armes rassemblées dans un coin... Les trois agents enfin réunis prirent le temps d'une étreinte rapide, heureux de s'être retrouvés, avant de commencer à faire le point:
-–- Contente de vous revoir! s'exclama Feylin ravie. Je commençais vraiment à m'inquiéter pour vous deux... On a nos billets d'envol?
-–- Quatre minutes avant extraction, confirma Saïda en consultant rapidement son Omnitech.
-–- On dirait que tu as eu de la visite pour t'occuper? s'enquit Damon en désignant les dépouilles des trois Soleils Bleus.
-–- Oh, un vieil ami est juste passé me dire bonjour! On allait prendre congé...
Damon et Saïda reconnurent effectivement, parmi les toutes dernières victimes en date de la redoutable chasseresse asari, le grand escogriffe balafré qui lui avait fait du rentre-dedans au Blue Scum, juste un peu plus tôt dans la journée. Il s'agissait probablement là du soldat qu'Arkoh Ravar avait appelé caporal Rinhus, lorsqu'il l'avait lancé à la poursuite de Feylin. Les autres étaient d'ailleurs ses acolytes déjà croisés également au Blue Scum: tous deux étaient assis dos contre la paroi d'un des conteneurs modulaires, juste au-dessous d'une large projection de sang gris bleu. Quant à Rinhus, l'angle insolite que sa tête carapacée formait avec son long cou certifiait, de manière assez nette, que ses ardeurs avaient été définitivement refroidies!
-–- Vous avez pu obtenir les infos? demanda fébrilement Feylin. Et Ravar?
-–- On a copié les fichiers dont on avait besoin, confirma Saïda en levant le gantelet doré de son Omnitech. Et pas mal d'autres aussi. Quant à Ravar...
Damon pointa la direction du QG bétonné d'un coup de menton, tandis qu'il annonçait joyeusement:
-–- Ravar a préféré rester retranché à jamais dans Fort Ducon. On lui a même fait une petite flambée avant de partir, pour qu'il n'y prenne pas froid trop vi...!
Le N7 fut interrompu en pleine blague vaseuse par les rafales qui vinrent brusquement s'écraser au beau milieu du groupe d'agents, en égratignant leurs barrières cinétiques au passage. Fort heureusement, les tirs ne provenaient que d'une seule des deux entrées de l'allée de conteneurs où ils venaient d'être localisés: le groupe de mercenaires chargé de les coincer ici avait ouvert le feu trop tôt, avant que le piège ne se soit totalement refermé.
Saïda et Feylin s'élancèrent aussitôt vers l'autre issue de cette venelle, avec Damon en serre-file: le tireur d'élite couvrit leur retraite avec la mitraillette légère Tempête qu'il avait récupérée dans le bureau de Ravar, en arrosant simplement en pleine course d'une seule main ferme et experte. Sa première rafale longue, particulièrement bien ajustée, lui suffit pour faire tomber les boucliers du plus exposé des mercenaires: l'homme se jeta aussitôt à couvert, imité en cela par ses comparses mus par le même réflexe de survie. Les trois fuyards parvinrent à s'extraire du piège mortel de ce passage étroit, juste avant que l'autre issue n'en fût occupée par un second groupe de Soleils Bleus.
Saïda, Feylin et Damon continuèrent à cavaler droit devant eux d'une allée à l'autre, en bifurquant à chaque fois qu'ils en avaient l'occasion, de manière à contrer les plans d'encerclement des mercenaires qui les avaient pris en chasse. Damon fermait toujours la marche, en continuant à lâcher au jugé quelques brèves rafales derrière lui, lorsque leurs poursuivants se rapprochaient un peu trop à son goût. S'arrêter, tenter de se retrancher sur l'une ou l'autre position, aurait signifié l'enveloppement immédiat par l'ennemi, la submersion sous le nombre, et la mort à très court terme. Deux mercenaires butariens tentèrent bien à un moment donné de se mettre en travers de leur route, lorsqu'ils surgirent devant eux au détour d'une nouvelle allée de conteneurs. Mais avant même que Saïda ait pu commencer à charger la double Projection qu'elle avait prévue de lancer, Feylin avait déjà dégagé le passage en une Charge biotique dévastatrice, qui envoya les deux Soleils Bleus percuter violemment les parois des abris modulaires derrière eux.
-–- Bon Dieu de merde! jura Saïda, tandis qu'elle revérifiait le compte à rebours sur son Omnitech tout en continuant à courir. J'espère vraiment que Lenks et Andrak ne vont plus tarder, maintenant...!
Comme pour répondre à la "prière" du capitaine, la navette tant attendue émergea à ce moment précis depuis l'horizon de la canopée de la jungle de Zorya, pour venir survoler le campement. Conformément aux préconisations de Feylin, le second des deux UT-47A Kodiak de l'Alliance embarqués sur le SSV Citadel avait été entièrement repeint d'une couleur grise uniforme, de manière à couvrir cette opération hostile du voile d'un parfait anonymat. L'engin lourd ouvrit immédiatement le feu à l'aide de ses deux canons orientés vers l'avant, en faisant sauter celui des conteneurs modulaires derrière lequel se trouvaient la plupart des poursuivants de Feylin, Damon et Saïda. Comme la Spectre l'avait prévu, la grande tourelle antiaérienne sous programme de défense GARDIA ignora totalement cette menace, ce qui ne manqua pas d'accroître encore le désarroi des mercenaires confrontés à la brutalité de cette frappe surprise.
-–- WHOOOOUHAHH! rugit Damon en brandissant son poing vers le ciel. Vas-y Sauterelle! Fais-leur bouffer du métal!
Sudaj Lenks – alias 'Sauterelle' pour Damon – était aux commandes de la grosse canonnière, ce qui était le choix le plus logique: le vétéran du GSI galarien était en effet le deuxième meilleur pilote de l'Unité N°1, loin derrière Damon toutefois. En ce qui concernait Andrak Atkoso'dan, le rôle qu'il s'était réservé devint vite évident lorsque le panneau latéral droit du Kodiak s'ouvrit en grand, pour dévoiler les tubes juxtaposés du redoutable canon automatique de portière du véhicule d'assaut! Après tout, le gigantesque chasseur de primes butarien était quant à lui le deuxième meilleur opérateur d'armes lourdes de la petite équipe – toujours derrière le Sniper humain, mais de bien peu cette fois-ci.
Lenks commença à manœuvrer le Kodiak de manière à décrire des cercles concentriques au-dessus de la base mercenaire, en vue d'offrir le meilleur champ de tir au canon latéral d'Andrak. Ce dernier ne manquait pas de cibles d'opportunité: l'organisation anarchique du camp de jungle faisait en effet danser devant sa mire holographique toute une concentration inespérée de citernes d'hydrogène, d'accumulateurs énergétiques, et de conteneurs de munitions hautement explosives stockés en plein air sans la moindre protection! Le déluge de projectiles hypersoniques du canon de sabord déchirait également les parois des abris modulaires comme du papier, en massacrant allègrement tout ce qui se trouvait à l'intérieur. En seulement quelques rotations, Lenks et Andrak avaient déjà transformé le cœur de la base en un brasier ardent secoué d'explosions intermittentes...
Les tirs nourris d'armes légères étaient la seule réponse que les mercenaires impuissants étaient en mesure d'opposer aux passages dévastateurs de cette véritable arme d'extermination massive. Mais leurs rafales ne faisaient que s'écraser sur les barrières cinétiques de la navette, sans même représenter d'ailleurs la moindre menace pour son épais blindage. Le poste de tir ouvert d'Andrak était toutefois particulièrement exposé; quelques projectiles ricochèrent même à l'intérieur du compartiment passagers du Kodiak. Mais les puissants boucliers de l'armure lourde du Butarien absorbèrent sans aucun problème l'impact des quelques tirs qui parvinrent à atteindre sa vaste silhouette.
Une mercenaire humaine armée d'un lance-missile ML-77 tenta de se glisser sur les arrières de la navette d'assaut, dans son angle mort. Mais alors qu'elle ajustait sa visée, l'Humaine eut la surprise de sentir le sol se dérober sous ses pieds, tandis qu'elle s'envolait à plus de six mètres de hauteur! La troupière désemparée finit cependant par regagner le plancher des varrens plus rapidement encore qu'elle ne l'avait quitté, mais surtout bien plus vite qu'elle ne l'aurait souhaité: un bruit spongieux écœurant filtra de son armure, lorsque son corps revint s'écraser au sol à la vitesse d'un météore! À trente mètres de là, Saïda Keren abaissa en souriant son avant-bras environné de vapeurs bleues, assez satisfaite de son petit tour de force biotique.
-–- On embarque! lança la Spectre en pointant vers l'avant son bras encore fumant. Maintenant ou jamais!
Les frappes précises et impitoyables d'Andrak et Lenks avaient semé suffisamment de chaos pour que le pilote galarien puisse maintenant envisager de rapprocher son engin du sol, en position stationnaire à moins de vingt mètres de ses amis. Saïda et Damon avaient projeté de récupérer le Kodiak aux couleurs de l'Alliance à bord duquel ils avaient rejoint le campement des mercenaires, mais cela allait malheureusement s'avérer impossible. L'engin était certes visible au sol, soigneusement épargné par l'offensive aérienne, mais il était trop éloigné et trop exposé pour que Damon, Feylin et Saïda puissent espérer le rejoindre. Nos trois agents se résignèrent donc à piquer un sprint en direction du Kodiak gris, bien plus proche, sous la protection des tirs de couverture d'Andrak.
La grosse canonnière d'assaut planait toutefois encore assez haut au-dessus du niveau du sol; mais il n'y avait là rien d'insurmontable pour trois combattants surentraînés. Damon dut effectuer une traction aux épaules pour se hisser à bord – un bel exploit athlétique dans une armure lourde! –, tandis que Feylin passait simplement au-dessus de sa tête en un Saut biotique d'une grâce admirable. En cheffe digne de ses responsabilités, le capitaine Keren embarqua la dernière: Andrak la treuilla à bord à la force de son bras, alors que le Kodiak redécollait déjà. Le panneau blindé latéral de la navette se referma aussitôt, et Lenks reprit rapidement de l'altitude avant que les mercenaires au sol aient pu réagir.
-–- Bienvenue à bord du Citadel 02! lança joyeusement le Galarien depuis le poste de pilotage. Météo clémente, malgré forte concentration de métal dans l'air. Grand choix de boissons sucrées sous vos sièges, pour les biotiques ayant fait grosses dépenses d'énergie...
-–- Je rêve, ou la Sauterelle vient d'essayer de faire de l'humour?! s'étonna Damon, qui reprenait encore son souffle.
Tandis que le Kodiak se réorientait sur une trajectoire de fuite, Saïda et ses compagnons purent observer depuis l'écran intérieur du compartiment passagers la mise en place d'une première véritable phase de riposte concertée de la part des Soleils Bleus. Tout d'abord, un volet de protection blindé commença à coulisser au sommet de la grosse colonne de béton que Damon et Saïda avaient précédemment identifiée comme un puits d'atterrissage vertical pour navettes – ce qui signifiait que les mercenaires avaient déjà dû commencer à réinvestir les sections accessibles du bunker souterrain, en dépit de l'incendie qui y sévissait. Un unique appareil ne tarda pas à prendre l'air depuis ce conduit sécurisé: un chasseur de fabrication turienne, taillé de manière caractéristique en forme de griffe acérée. Presque simultanément, deux navettes légères civiles de chez Cision Motors, reconverties avec les moyens du bord en véhicules de reconnaissance armés, s'élevèrent au-dessus de la jungle; elles devaient avoir pris leur envol depuis une petite aire d'atterrissage camouflée à proximité du campement, dont Lenks n'avait pas relevé la présence. Un groupe de mercenaires se pressait également pour monter à bord du Kodiak bleu et blanc que l'Unité N°1 avait dû abandonner intact derrière elle; le gros appareil ne tarderait sans doute pas à décoller pour venir rejoindre la curée.
Ce que les Soleils Bleus ignoraient, c'était que leurs vaisseaux seraient condamnés à l'instant même où ils ouvriraient le feu. Saïda y avait veillé, lorsqu'elle avait reprogrammé les protocoles du système de défense GARDIA, et réassigné un nouvel ordre de priorité des menaces à la grande tourelle antiaérienne automatisée qui trônait au beau milieu du camp... L'énorme canon laser bitube, jusqu'alors inerte, prit successivement pour cibles les trois objets volants en l'espace d'à peine deux secondes en tout. Les deux navettes légères explosèrent d'abord coup sur coup en plein vol, en dispersant leurs débris sur les mercenaires au-dessous d'elles! Puis l'instant d'après, le chasseur turien fit une brusque embardée en dégageant un épais panache de fumée, avant d'aller s'abattre dans la jungle à l'extérieur du camp.
Après ce nouveau coup du sort, la résistance morale des Marteaux de Sheitan se mit à montrer des signes très nets d'effondrement: certains parmi les mercenaires commencèrent même à fuir vers l'abri de la jungle toute proche! Feylin reconnut parmi ceux-là certaines des plus jeunes recrues avec lesquelles elle avait partagé cet éprouvant trajet nocturne en Grizzly: les bleubites venaient sans doute de réaliser qu'il était préférable, pour leur propre bien, de renoncer à un engagement dans un groupe paramilitaire qui savait se faire de si puissants ennemis!
L'UT-47A Kodiak tombé aux mains des Soleils Bleus était cependant quant à lui immunisé contre toute attaque de la part de la tourelle antiaérienne: le capitaine Keren l'avait en effet explicitement exclu des protocoles de verrouillage des cibles du système GARDIA, puisque les agents conciliens avaient espéré pouvoir le ramener avec eux... Les mercenaires furent peut-être d'abord surpris de ne pas subir le même sort que leurs petits camarades après avoir pris leur envol; mais ils ne tardèrent guère à profiter de l'aubaine pour prendre en chasse la canonnière des fuyards. Lenks déploya toute l'étendue sa science du pilotage de combat pour enchaîner chandelles, glissades et zig-zags. Ces manœuvres évasives permirent cependant au véhicule des poursuivants de se rapprocher de celui de l'Unité N°1, et n'empêchèrent pas les boucliers cinétiques de ce dernier d'encaisser deux impacts successifs. Damon finit par faire irruption dans le poste avant, en posant vivement sa main sur la frêle épaule du pilote galarien:
-–- Passe-moi le manche, vieille branche! Laisse donc faire un vrai professionnel... Oh, et puis la daronne t'attend à l'arrière, aussi: je crois bien qu'elle a un boulot pour toi!
Contre toute attente, Lenks ne vit pas l'intérêt d'argumenter quant au fait que la navette ne se manœuvrait pas à l'aide d'un "manche", mais de tableaux de commandes holographiques – pas plus d'ailleurs qu'il ne disputa ces dernières à l'expert en voltige de l'équipe. C'est donc sans un mot que le grand échalas amphibien se coula souplement hors du siège pour rejoindre le compartiment passagers, tandis que Damon se laissait tomber dans le fauteuil ainsi libéré avec un râle d'intense satisfaction. Sans que Lenks ait eu besoin d'en faire la requête, Saïda s'employa sur-le-champ à transférer sur son Omnitech les données pertinentes récupérées dans le bureau de Ravar. Délivré pour l'heure de toute autre tâche, le vétéran du GSI se mit aussitôt à l'œuvre sur les algorithmes cryptiques à mesure qu'ils défilaient devant ses yeux.
Avec le changement de pilote, la course-poursuite descendit à très basse altitude, au ras des crêtes montagneuses de Zorya. Les manœuvres évasives du Kodiak des agents se firent également plus sûres, plus fluides, et plus inspirées. La navette des mercenaires perdit rapidement son verrouillage, et ne parvint jamais à regagner l'avantage dont elle avait pu profiter dans un premier temps. Damon aurait sans doute même pu réussir à passer derrière le véhicule de ses poursuivants s'il l'avait voulu, par exemple en le poussant à dépasser le sien. Mais pour une raison ou pour une autre, il se contentait pour l'heure de faire tourner ses adversaires en bourrique, de leur faire comprendre qui dominait le combat aérien, de leur montrer qui était le patron... Depuis le compartiment passagers, Saïda le laissa un moment s'amuser, en le couvant du même regard complice dont une mère couve son jeune enfant absorbé par son nouveau jeu vidéo. La Spectre finit cependant par abandonner sa contemplation énamourée pour se tourner vers Andrak Atkoso'dan, le servant du canon de sabord qui venait de faire du si bel ouvrage au-dessus du camp des Soleils Bleus:
-–- Andrak? Je crois que c'est le bon moment pour le feu d'artifice qu'on avait prévu au cas où...
Le colosse butarien fourra aussitôt son énorme main dans la sacoche à munitions sanglée contre sa cuisse gauche. Ce fut pour en tirer ce qui ressemblait à une simple poignée, pourvue à l'une de ses extrémités d'un bouton-poussoir, qu'il tendit obligeamment à sa supérieure:
-–- Je vous en laisse l'honneur, Madame...
-–- ...L'honneur, et le plaisir! répartit Saïda en s'emparant avidement du détonateur à distance.
Pas de compte à rebours: la Spectre humaine pressa sans plus de cérémonie la commande d'activation des micro-charges explosives – celles que Lenks avait habilement dissimulées par précaution, avant le départ de Damon et Saïda, à bord de la canonnière aux couleurs de l'Alliance avec laquelle ceux-ci avaient ensuite rejoint la base des Soleils Bleus! Une vive série d'explosions déchiqueta littéralement le véhicule piégé, dont les débris enflammés s'abattirent ça et là dans la jungle de Zorya, derrière la navette de nos agents.
-–- Game over! conclut joyeusement Damon en reprenant un cap de vol rectiligne. À la prochaine fois, les gars!
-–- Mission parfaitement remplie! résuma Andrak d'un ton satisfait. On a récupéré les données, les effectifs de Marteaux de Sheitan sont saignés à blanc, leurs activités en cours sont sérieusement compromises...
-–- ...Et les agents du SSC assassinés sur la Citadelle sont enfin vengés, compléta Feylin en contemplant sur l'écran intérieur du Kodiak les colonnes de fumée noire qui s'élevaient depuis la jungle dans leur sillage.
Le capitaine Keren ne trouva rien à ajouter; mais son sourire d'une oreille à l'autre en disait assez long sur son état d'esprit en ce moment de gloire éphémère. La Spectre humaine tourna ensuite son attention vers Sudaj Lenks, qui semblait en avoir déjà fini avec son travail de décryptage:
-–- Alors? Tu as les coordonnées de la commanditaire des attaques contre la Citadelle?
Le Galarien ne répondit pas immédiatement: visiblement surpris par le résultat de ses recherches, il était en train de procéder à une seconde vérification, puis réinitialisa encore l'authentification du traçage des circuits de financement. Cela ne lui prit au total que quelques secondes. Lenks finit alors par tourner un visage incrédule vers la Spectre, en lâchant rapidement:
-–- Aucune trace de Maya Brooks. Commanditaire, une de nos vieilles connaissances: Haut-Maréchal Sanxhet Qahlah'ram, Guide suprême d'Okhrid! (1)
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(1) Relire Unité N°1: Saison 3, Épisode 2 (3ème mission)
