Chapitre 24 : Echarpes et justiciers


Hola,

Je apri que Mani est fille de monstros non magos. Vus ave du me le dire. Je ve ne jamais vus avoir parlé. Je suis regrette notre rencontre. Ne m'ecrive plus jamais. Adios.

Quilla

x

xxx

x

Je froissai la lettre et la jetai avec une pointe au cœur. De la part de Poncho, que j'avais considérée comme une bonne copine pendant notre première année à Treehall, les mots étaient durs à digérer. J'attaquai les cours de la journée avec le cafard, espérant qu'elle ne pourrait que s'améliorer. Espoir futile.

Une bourrasque fit claquer la porte du cours de Potions par magie et une centaine d'avions en papier envahirent la salle de classe. Le spectacle offrit un moment récréatif amusant avant de dévoiler son but quand les avions se déplièrent en une multitude de tracts de propagande similaires à ceux du Chemin de Traverse. Le même message de liberté noircissait toutes les pages. Mojito les réduisit en cendres d'un geste de sa baguette et nous sermonna sur l'égoïsme de ce genre de conviction anti-moldue.

En arrivant au cours de SMIS, la classe trouva Rosendale occupé à frotter une inscription sur le tableau à l'aide d'une éponge. Les mots étaient encore parfaitement lisibles. Scientifiques = Assassins. Suivi de la liste des noms des enfants sorciers enlevés dans les centres d'étude du paranormal aux États-Unis sur l'année écoulée. La liste était longue. Le voir s'échiner sur un message incrusté à la magie avec une pauvre éponge avait quelque chose d'humiliant. Il arrêta sa besogne en nous voyant arriver et se composa un sourire fatigué.

- Installez-vous, on va juste devoir faire sans tableau, mais ça devrait aller. On va faire une séance de travaux pratiques. Je vais vous montrer comment naissent les éclairs.

Pour la première fois depuis le début de cette journée pourrie, la joie de découvrir quelque chose de nouveau occulta le reste. Rosendale était un de mes professeurs préférés. Il était parfaitement incapable de la moindre étincelle de magie, pourtant la passion qui émanait de ses explications scientifiques à propos de n'importe quel sujet attisait notre curiosité comme un feu de forêt et il arrivait sans effort à nous maintenir scotchés à ses mots. Ses cours rendaient accessible à tous le plus ardu des problèmes mathématiques. Son style décontracté, alliant jean délavé, chemises à carreaux de bûcheron pelucheuses, solides chaussures de randonnée, grosses tresses châtain et nez cassé lui donnaient un aspect atypique, mais son sourire d'enfant excité et ses yeux pleins de malice lui conféraient un magnétisme inattendu.

Les démonstrations du prof étaient merveilleuses et tout le monde était pendu à ses lèvres durant l'expérience. Lorsqu'un éclair traversa l'aquarium de part en part, tous mes camarades sursautèrent. Rosendale se réjouit de nos mines ébahies et nous déballa une avalanche de théorie permettant d'expliquer le phénomène.

Puis un hibou entra et lâcha une lettre sur le bureau du prof avant de s'envoler par une fenêtre. Rosendale s'interrompit pour dévisager cet élément impromptu. A peine eut-il touché l'enveloppe qu'elle s'anima et révéla une beuglante.

- ASSASSIN ! VOLEUR D'ENFANT ! TORTIONNAIRE ! ASSASSIN ! VOLEUR D'...

Le prof tentait de la chasser à coup de balai mais la beuglante était agile et continuait de tournicoter autour de sa tête en hurlant ses accusations. Nous ne savions pas vraiment si nous devions aller l'aider ou pas. Le cours était en commun avec Serpentard mais ceux-ci paraissent aussi choqués que moi, sauf Leda qui affichait un sourire satisfait.

D'un seul coup, le prof porta la main à sa poitrine et tomba à genoux. Un bref coup sourd fit trembler les murs de la classe. Tout le monde s'était figé. La lettre continuait de déverser sa bile mais l'attention s'était concentrée vers le prof à terre.

- Le cours est fini, parvint-il à dire dans une grimace. Sortez et que quelqu'un appelle Hemingway !

Certains ne se firent pas prier et déguerpirent vite fait. Le tremblement de terre en avait effrayé plus d'un. Fergusson s'était approché de Rosendale pour l'aider à se relever. La crinière châtain s'échappait par endroits des nattes épaisses.

- Ça va pas, professeur ?

- Partez ! Je vais très bien ! Allez chercher Hemingway !

- Je vais le chercher, fit Hugo, restez avec lui.

- Non !

Rosendale se reprit en voyant nos têtes effrayées.

- Pardon, s'excusa-t-il, je voulais pas crier. Allez-y, tous ensemble. Trouvez Hemingway et il reviendra tout seul me voir. Allez ! Maintenant !

Il repoussa Fergusson pour donner l'impulsion. Nous le laissâmes seul avec la beuglante trop occupée à vociférer pour se rendre compte que son destinataire ne l'écoutait plus.

Nous déboulâmes en plein dans un cours de Défense contre les forces du mal de Septième année en parlant tous en même temps. A peine le nom de Rosendale prononcé, une expression d'effroi voila le visage d'Hemingway. Il laissa son cours en plan pour se faufiler à travers un passage secret dans une pièce adjacente. Nous le suivîmes et émergeâmes près de la salle de SMIS dans le couloir aux courants d'air. Les hurlements du vent soufflaient moins fort en journée, c'était le soir et la nuit qu'ils prenaient toute leur ampleur horrifique. Un hurlement de douleur venant de la salle de SMIS nous glaça sur place. Nous approchâmes avec prudence.

- Vous croyez qu'il va mourir ? s'inquiéta Fergusson.

Nous entrâmes timidement. Le prof de SMIS était étendu au sol, les deux mains crispées sur sa bouche, les traits plissés. La beuglante continuait ses cercles infernaux. Hemingway releva sa baguette de la poitrine de Rosendale et la lueur mauve déclinante qui en sortait termina de s'éteindre. Il aida son collègue à se redresser en position assise. Les nattes de Rosendale ne maintenaient plus grand chose.

- Merci, Oreste, remercia le prof de SMIS dans une voix noyée par les insultes de la lettre.

- Monsieur, vous allez bien ? se précipita Fergusson.

Les deux profs remarquèrent enfin notre présence. Fergusson s'était agenouillé à côté de son mentor et l'ensevelissait de questions sur son état de santé. Son interlocuteur tenta tant bien que mal de le rassurer en lui promettant qu'il avait une santé de fer. Hemingway nous réprimanda de l'avoir suivi mais ne donna aucune punition. Au contraire, il nous remercia d'être venus le chercher. Nous repartîmes dévorés de questions sur l'état de Rosendale. Est-ce qu'il était si gravement malade qu'il ne voulait pas en parler aux élèves ?

x

xxx

x

Lorsque le prof du cours d'Arts et musique magiques se faufila parmi les rangs pour atteindre l'estrade, je secouai vigoureusement la manche de Hugo.

- C'est le vendeur de la boutique ! chuchotai-je.

- Oui, tout le monde le sait, répondit-il à voix basse.

Je restai bouche bée d'être encore la dernière au courant de ce genre de choses. Il se présenta comme le professeur Rambrandt. Il portait la même salopette en jean tachée de peinture qu'il avait dans sa boutique. Il ne s'encombrait pas de robes majestueuses ou de manteau magique. Juste un sweat trop court et par-dessus, sa salopette avec le feu au plancher. Une barbe naissante hérissait sa joue et ses cheveux couleur bois étaient dans un désordre chaleureux.

- Bienvenue dans la branche la plus élégante de la magie, nous accueillit-il. Comme chaque année, vous êtes peu nombreux à vouloir découvrir cette discipline, mais je peux vous assurer que jamais vous ne regretterez ce choix.

Effectivement, il n'y avait pas foule. A part Zach, Plumeau, Hugo et moi, il n'y avait que trois Serdaigle de notre année que je ne connaissais que de vue. Aucun élève de Gryffondor ni de Serpentard dans la salle.

- La musique est imprégnée de magie dans sa nature même, poursuivit Rambrandt. Les moldus ne le savent pas mais dérouler une partition, c'est comme dérouler un subtil sortilège. Connaître le langage de la musique magique permet de tisser un enchantement aussi sûrement qu'avec des mots.

En quelques phrases, il nous avait tous captivés. Le premier cours ne fit que survoler une partie théorique, mais je sortis de la salle avec l'impression d'avoir été ensorcelée. Il y avait quelque chose dans le rythme de ses paroles. Quelque chose d'envoûtant.

Il nous remercia tous d'avoir choisi son option et nous demanda d'étudier le chapitre un de notre livre de solfège magique pour la semaine suivante. Plumeau lui demanda s'il prévoyait de faire commencer la pratique plus tôt à ceux qui avaient de l'avance sur le programme théorique. La mygale velue qui lui servait de main se déroula délicatement pour poser une brève caresse sur la joue de Plumeau.

- Bien sûr, ma puce, nous pourrons commencer la pratique en privé dès le prochain cours si c'est ce que tu veux, pendant que les autres élèves se concentrent sur l'apprentissage de leur solfège.

Je sentis mes poils se hérisser dans ma nuque. Les autres ne semblèrent pas relever l'anomalie et reprirent une discussion à la sortie du cours comme si tout était normal. Ce prof enjôleur me donnait soudain froid dans le dos.

Dans le parc, Lyra interpella Zach sur le chemin vers la serre pour le prochain cours de Botanique. Nemo sur ses talons, elle nous rejoignit.

- Le club de gym reprend la semaine prochaine, lui déclara-t-elle. Je t'ai inscrit comme tu me l'avais demandé. On s'y retrouve vers six heures du soir, en général. C'est au deuxième étage. On démarre avec du parkour d'intérieur, cette année. Tu vas devoir prendre un peu du muscle si tu veux suivre.

- Pas de problème, je suis déjà bâti comme un ogre, la rassura-t-il en montrant son biceps à peine plus épais qu'une carotte.

- Parfait, alors, dit-elle.

- Et... je veux dire, les entraînements au duel, ce sera quand ? hésita-t-il.

- Quand j'aurai le temps, sur les séances de gym, on verra, l'arrêta-t-elle.

- Mais...

- On verra, répéta-t-elle en le plantant sur place pour reprendre son chemin.

- Encore la fuite, commenta Hugo à mi-voix.

Elle ne releva pas, trop occupée à détailler un groupe de troisième année à une dizaine de mètres dont l'un des membres hurlait sur un demi-portion les joues noyées de larmes. Je reconnus la taille immense de Face-de-rat. Les autres membres du gang de Philippa encerclaient la scène en silence.

- Si tu es si allergique à la fuite, Weasley, montra-t-elle, pourquoi tu vas pas plutôt aider ce garçon ? On dirait qu'il aurait bien besoin d'aide.

Piqué au vif, Hugo fut sur le gang en quelques enjambées.

- Laisse-le tranquille, adressa-t-il aux chaussures d'Eli sans pouvoir retenir ses oreilles de prendre une teinte cramoisie.

- Dégage de là, mec, tu vois pas que je suis occupé ? gronda Eli.

Malgré la silhouette élancée de Hugo, Face-de-rat le surplombait.

- Laisse-le, insista-t-il en se frottant l'arrête du nez.

- Ça te regarde pas, ok ? C'est un problème entre lui et moi, répliqua Eli. Alors maintenant, dégage. Occupe toi de tes affaires.

- Je...

Face-de-rat posa ses mains sur les épaules de Hugo et lui fit faire un demi-tour avant que celui-ci puisse en placer une. Il donna une impulsion dans son dos pour le faire repartir vers nous. Hugo fit quelques pas sous la poussée, puis hésita sur place. Le ricanement mou de Leda accentua le rouge de ses oreilles. Dans sa manœuvre, Eli nous aperçut pour la première fois, en train de marcher tranquillement dans sa direction.

- Oh non, marmonna-t-il en voyant Lyra. C'est pas le moment.

- Eli est bon pour la leçon, commenta Leda.

- C'est bon, Lyra, on discute, juste, se justifia-t-il.

- Il a pas la tête de quelqu'un qui discute, fit-t-elle remarquer en désignant le première année en larmes. Qu'est-ce que tu fais ? Kath est devenue trop grande pour toi, alors tu t'en prends à un gnome ?

- Mais non ! De toute façon, ça te regarde pas.

- Ça me regarde depuis que tu te comportes comme si j'étais ta baby-sitter, expliqua Lyra. Après les autres vont penser que c'est moi qui t'ai appris à agir comme un faykrill braconné.

- J'agis pas de manière stupide !

- Mais si, à chaque fois que tu me vois, on dirait que tu te fais dessus. T'as qu'à m'ignorer, et je ferai pareil.

- J'agis pas du tout comme ça, rétorqua Face-de-rat.

- Alors quoi ? T'en vas pas, j'ai pas fini, ajouta-t-elle alors qu'il tournait les talons.

- J'ai rien fait !

Il avait la moue d'un enfant pris en faute.

- Ah, ok, au temps pour moi, fit Lyra en haussant les épaules. Il a dû se mettre à pleurer tout seul après avoir vu ton horrible face de rat. Je comprends.

Eli se pencha vers elle avec un air vexé et rageur.

- Minas l'a surpris dans la volière en train d'arracher les plumes de Sandy !

Elle soupira longuement et lui parla à voix basse.

- Honnêtement, je m'en fous complètement. Il peut faire ce qu'il veut avec ton hibou à cent gallions et tu peux faire ce que tu veux avec lui. Je veux juste rester en dehors de ça, ok ? T'as qu'à t'imaginer que je raconterai tout ce que je vois à ton père, comme ça tu feras un peu plus d'efforts de discrétion.

- Ne parle pas de ça à mon père, je t'en supplie, geignit-il.

- Mais non, je vais pas balancer quoi que ce soit ! Si t'étais plus discret, tu serais pas obligé de me lécher les bottes pour ça.

Il avait gardé les yeux baissés et après quelques secondes, il abandonna l'idée de répliquer et s'éloigna.

- Allez, c'est bon, on s'en va. Et toi, cria-t-il en pointant un doigt rageur sur le première année, fais gaffe à toi ! Attends qu'on tombe face à face !

Leda était partie sur ses talons, mais Seth était resté, calme comme un roc, son regard inquiétant fixé sur Lyra. Elle le soutint en silence quelques secondes, puis son impatience reprit le dessus.

- Qu'est-ce que que t'as à me dévisager comme ça, Sullivan ? demanda-t-elle.

Il avait beaucoup grandi. Pas autant qu'Eli, bien sûr, mais Eli était déjà un géant à notre entrée en première année. Ses cheveux ras châtains clair ternes avaient pris eux aussi un bon centimètre et laissaient deviner une esquisse de boucles.

- Tu ressembles beaucoup à ta sœur, constata-t-il.

Elle resta de marbre.

- Je voudrais pas trop m'avancer, dit-elle, mais je pense que ça pourrait avoir un lien avec le fait qu'on partage le même père et la même mère.

Un rictus s'élargit sur le visage de Seth et il eut un petit rire.

- Tu devrais sourire plus souvent. Si Rowena est aussi belle, c'est qu'elle rayonne de vie alors que tu te traînes comme un condamné à mort.

Elle lui rendit un sourire jaune qui me donna l'impression d'un requin avant de se jeter sur sa proie. Il dut avoir la même impression et son expression satisfaite s'évanouit.

- Oublie ce que j'ai dit, ne fais pas ça, lança-t-il. Continue de faire la gueule.

Il tourna les talons et elle n'eut pas le temps de répliquer, car le gnome de première année s'était jeté sur elle pour la serrer entre ses bras. Un torrent de larmes et de morve dégoulinait toujours de son visage.

Elle ne put réprimer un air dégoûté au premier contact, et tapota maladroitement l'épaule du garçon.

- Là, ça va aller.

- Comment tu t'appelles ? demanda Nemo avec un sourire bienveillant.

- Le...Le...Léon, hoqueta-t-il entre deux sanglots.

Un éclair d'agacement traversa Lyra et elle le dégagea.

- Arrête de pleurer ! Ça m'insupporte.

- Lyra... m'interposai-je.

Je ne voulais pas qu'elle le traumatise encore plus qu'il ne l'était déjà.

- Kath, elle se laisse tout le temps marcher sur les pieds, mais au moins, elle endure et elle pleure jamais, continua-t-elle.

Jamais ? Je repensai à toutes les fois où j'avais vu Kathleen, mais je devais reconnaître qu'elle avait raison. Kathleen s'écrasait, baissait la tête, mais je ne l'avais jamais vue pleurer.

Le petit Léon s'était déjà un peu calmé. Il hocha la tête pour dire qu'il était d'accord.

- Bon. Je vais te donner un conseil, lui accorda Lyra. Relève la tête, et si quelqu'un vient te les briser, ne reste pas sans rien faire. Tu dois riposter un grand coup. Sinon ils te respecteront jamais. Donne-leur une victoire, et dans deux ans ils te boufferont tout entier.

Elle se détourna de lui et le lâcha.

- Déjà que je passe mon temps à m'occuper de Kath, marmonna-t-elle, j'ai pas besoin d'un autre boulet.

Elle lui avait tourné le dos, mais il hocha quand même la tête pour signifier qu'il avait compris. Il finit d'essuyer son nez avec sa manche et vint me tirer sur la robe.

- Elle s'appelle comment ? demanda-t-il tout bas.

- Lyra Fox, lança-t-elle de là où elle était. Tu peux me parler.

Il sourit.

- Merci, Lyra Fox.

x

xxx

x

Des inscriptions anti-moldues apparaissaient partout dans le château. Le cibles favorites étaient évidemment Rosendale et la prof d'Etude des moldus. Plumeau nous raconta comment le cours s'était trouvé écourté par une écharpe blanche enchantée qui s'était échinée à effacer à mesure tout ce que la prof écrivait au tableau. Cette écharpe sévissait depuis la rentrée, et les cours d'Etude des moldus devenaient impossibles.

L'histoire de l'écharpe blanche enchantée avait fait le tour du château et certains élèves commencèrent à porter ostensiblement une écharpe blanche pour indiquer leur sympathie. La semaine suivante, Swan nous gratifia d'un long et ennuyeux discours moralisateur sur le mal que faisaient les instigateurs de ces incidents.

- Tout élève qui sera pris en flagrant délit sera expulsé sur le champ, menaça-t-elle.

Swan était peut-être une poupée maquillée à la truelle, mais elle savait mettre ses menaces à exécution et n'avait pas la réputation d'être indulgente. Les pièges et messages des écharpes blanches se firent d'un coup beaucoup plus anecdotiques. Ce qui était d'ailleurs bien la preuve que les instigateurs étaient parmi les élèves de l'école.

- J'ai vu Leda porter une écharpe blanche, déclara Plumeau.

- Ben tu vois, ça m'étonne pas du tout, confia Zach. Je suis sûr que c'est le genre à aller mettre du poil à gratter dans les berceaux des crèches moldues pendant ses vacances d'été.

Nous nous étions tranquillement installés à une des quatre tables de la Grande Salle le week-end suivant l'annonce de Swan. Hugo tenait absolument à disputer des parties d'échecs version sorcier avec moi. Heureusement pour lui, j'aimais bien ce jeu et le mouvement des pièces avait le don de me fasciner. Plumeau et Zach avaient quant à eux abandonné l'idée d'apprendre.

- Tu devrais pas jouer ce coup, fit une voix derrière moi.

Trop tard. Mon fou s'était déjà jeté dans le gueule du loup. Je me retournai sur Lyra et Nemo. Celui-ci portait une robe magnifique de couleur nuit. Un cosmos sombre et étrangement iridescent lorsque des paillettes d'étoiles fugaces scintillaient. Quand nous n'étions pas obligés de porter l'uniforme, c'est-à-dire le week-end, il se transformait en véritable défilé de mode.

- Elle a une jolie couleur, le complimenta Plumeau en écho à mes pensées.

Nemo la remercia et proposa de lui en confectionner une avec le tissu qui restait. Plumeau parut ravie et l'invita à son côté. Il s'installa, tout excité de trouver quelqu'un avec qui parler de sa passion, laissant Lyra en plan.

- Et voilà, dès qu'on lui parle de couture, j'ai plus qu'à faire la plante verte en attendant qu'il sorte de sa bulle, commenta-t-elle en s'installant. Bon, on dirait que Weasley va devoir supporter ma présence le temps que Nemo finisse de déverser sa science.

L'intéressé ne lui accorda pas la moindre attention.

- Je savais pas que tu aimais cuisiner, remarqua Nemo lorsque Plumeau nota des techniques magiques similaires dans leurs procédés de fabrication.

- Mais si, souviens-toi, sourit-elle, je te l'avais dit l'année dernière.

- Ah... Désolé, depuis que je me suis fait posséder, j'ai du mal à imprimer, grimaça-t-il en se frottant la tête comme pour en faire jaillir ses souvenirs perdus.

Plumeau et lui furent rapidement lancés dans une conversation passionnée sur l'utilisation de la magie dans la cuisine et la couture. Il lui montra les croquis qu'il avait fait d'elle avec des robes. Elle rougit en lui faisant remarquer qu'il l'avait faite plus jolie qu'en vrai, mais Nemo la détrompa.

- Au contraire, j'essaie d'être assez réaliste pour que ça colle avec ce que je crée.

J'étais d'accord avec lui. Plumeau m'avait dépassée pendant l'été, me reléguant au rang de plus petite du groupe, et son plumeau avait assez de longueur désormais pour former une belle queue de cheval de larges boucles soyeuses. Même en gardant ses joues rondes, elle avait perdu sa bouille de bébé et ses yeux clairs n'en étaient que plus hypnotiques. Son embonpoint s'était réparti équitablement entre sa taille et sa poitrine, lui donnant une silhouette adulte.

- Ils sont beaux tes croquis, dit-elle en feuilletant. T'as pris Arts et musique magiques ?

- Évidemment, s'illumina-t-il. C'est ma matière préférée. Rambrandt est génial.

Une teinte rosée vint colorer les joues transparentes de Plumeau et elle acquiesça en balbutiant. Pour ma part, le souvenir de la main velue du prof d'Arts et musique magiques sur la joue de Plumeau me l'avait rendu répugnant. Comment n'avait-elle pas frissonné à ce contact ?

- Di Renzo aussi est génial, ajouta Zach, ça me crève le cœur de devoir abandonner l'option si vite. Ses cours étaient trop bien.

- Tu laisses tomber le cours de Soins aux créatures magiques ? m'étonnai-je.

- Ouais, fit-il. Vous aviez raison, trois options, c'est trop dur pour moi. Je dois en arrêter une. Mais Runes, c'est mort, et Arts et musique magiques, c'est toute ma vie.

- J'avoue que moi aussi, je galère avec trois options.

Je tenais le rythme jusqu'ici, mais je sentais bien que je ne tiendrais pas sur la longueur. L'informatique magique était imbitable. Enfin, pour l'instant, je parvenais à tout faire. Je verrais bien aux premiers examens là où mes efforts n'avaient pas suffi.

- Tu devrais essayer de varier tes préparations avec des formats différents. Comme des gélules, ou des aerosols. C'est un peu ce que je fais avec mes travaux. Parfois, j'utilise un matériau nouveau et ça change complètement la texture de l'ensemble. Pour toi, ça te ferait des changements dans les effets, non ?

- T'es un génie, Nemo.

- Ça fait à peine cinq minutes qu'ils discutent ensemble et ils sont comme faykrill et derrycats, commenta Zach avec une moue jalouse.

Le sommet d'une tête blonde apparut à côté de Lyra. Le petit Léon lança un regard apeuré en arrière et se glissa sur le banc contre sa bienfaitrice. Son visage était encore une fois noyé de larmes et de morve. Les acolytes du gang de Philippa s'apprêtaient à se rapprocher mais ils croisèrent le regard de rapace de Lyra et choisirent d'éviter l'affrontement.

- Pourquoi tu me colles ? T'en connais pas d'autres à aller déranger ?

Un reniflement bruyant acheva d'irriter sa voisine.

- Qu'est-ce que t'as fait, encore ? Et je t'ai dit d'arrêter de pleurer, ça les attire comme des vautours sur une charogne.

- Je... sais... pas, sanglota Léon.

- Allez, calme-toi, maintenant, le pressa Lyra. C'est rien.

- Ils t'en veulent probablement encore pour avoir plumé la chouette de Face-de-rat, lui dis-je. Mais t'en fais pas, si tu recommences pas, ils oublieront vite.

J'espérais que j'avais raison.

- Je dois pas recommencer ? s'étonna Léon en essuyant sa morve de la manche.

Je fus prise au dépourvu et restai coite.

- Bien sûr que non, répondit Hugo. C'est mal.

- Ah bon ? fit Léon en baissant les yeux d'un air penaud.

- Oui, confirma Hugo d'une voix accusatrice. Ça se fait pas de plumer les oiseaux.

- Sois pas si dur, Hugo, c'était juste une chouette, l'apaisa Plumeau. Il pensait pas à mal.

Il manqua de s'étrangler.

- Juste une chouette ? Tu parles sérieusement ?

- Détends-toi, Weasley, lui envoya Lyra. Tu le regardes comme s'il avait démembré quelqu'un de ta famille. Plumeau a raison, c'est juste quelques plumes en moins sur un volatile, pas la peine d'en faire des caisses. Je suis sûre que la chouette a déjà oublié, elle.

Léon avait arrêté de sangloter et observait l'échange avec intérêt.

- Vous êtes complètement malades, rétorqua Hugo.

- Sois plus compréhensif, Hugo, lui répondit Plumeau. Tu vois bien qu'il savait pas que c'était mal. Si personne lui a jamais dit, il pouvait pas le deviner. Maintenant qu'il le sait, il recommencera plus.

- Elle a raison, Hugo, appuyai-je. Pas vrai, Léon ?

Le demi-portion hésita, nous regarda d'un air hébété, puis hocha la tête vigoureusement.

- Tu vois ? montrai-je à Hugo. Il a compris.

- Et si tu peux pas t'en empêcher, ajouta Lyra, tu dois juste faire en sorte que personne découvre que c'est toi.

Léon tourna vers elle un visage étonné.

- Arrête de lui mettre des idées comme ça dans la tête ! s'emporta Hugo. Tu parles comme Sullivan. Il faut plus recommencer, un point c'est tout.

- Je crois que maintenant, il a bien saisi ce que le reste du monde considère comme mauvais, remarqua Lyra.

- J'ai compris, intervint Léon. Je recommencerai plus.

- Bien, sourit Lyra. La leçon numéro un du savoir vivre en société est bien rentrée. Satisfait, Weasley ?

Hugo grommela un acquiescement sceptique.

- Est-ce que les autres vont m'aimer maintenant ? demanda Léon à Lyra.

- Si tu es gentil avec eux, oui, lui conseillai-je.

- Très mauvais conseil, Baker, objecta Lyra.

Sa réponse me surprit tellement que je ne sus quoi répliquer.

- C'est la vérité, approuva Plumeau d'une voix détachée. J'ai le même problème. Je pense qu'en étant gentille tout le monde m'aimera bien mais en réalité les autres passent leur vie à se moquer de moi.

- Et nous alors ? Nous on t'aime, lui rappela Zach.

Elle leva ses yeux clairs vers lui et devint cramoisie.

- Ce que je voulais dire, continua Lyra en direction de Léon, c'est qu'être aimé dépend de très nombreux facteurs indépendants de juste « être gentil ». L'apparence compte malheureusement pour beaucoup, et l'entourage aussi. Tu pars déjà avec l'avantage d'appartenir à la Maison Gryffondor, que beaucoup de personnes aiment beaucoup.

- Mais à Gryffondor, les autres m'évitent, se remit à pleurnicher Léon. Personne ne m'aime.

Des larmes coulèrent de plus belle et il reniflait sans arrêt. Lyra posa une main nonchalante dans ses cheveux et ébouriffa ses mèches couleur blés.

- Mais non, dit-elle avec une grimace échouant à imiter un sourire. Moi je t'aime bien.

Le regard qu'il lui adressa était un fleuve d'émotion pure. Elle lui avait probablement dit ça pour qu'il arrête de pleurer mais sa réaction nous surprit tous. Il se blottit dans sa poitrine et Lyra, après un premier instant de surprise dégoûtée devant ce sac à morve collé contre elle, posa une paume contre lui pour le repousser.

- J'ai dit que je t'aimais bien, précisa-t-elle, pas que tu pouvais te servir de moi comme mouchoir.

Léon reprit son calme et essuya les fluides divers qui luisaient sur ses joues. Le sourire qu'il abordait était des plus sincères. On aurait presque pu croire que c'était la première fois de sa vie que quelqu'un lui portait de l'affection.

x

xxx

x

- Je suis le seul à avoir trouvé ça inquiétant de laisser Lyra donner des conseils à ce première année qui a déjà pas l'air net à la base ?

De retour dans la salle commune, dans un brouhaha musical éparpillé par les plantes chantantes de Steven, affalés sur les poufs ocres en fin de journée, Hugo en profitait pour revenir à la charge avec son opinion sur les événements. Zach s'était carrément allongé sur le tapis orange et Plumeau avait sorti des échantillons de potions en cours de préparation pour finir de les fignoler avec des tas de sachets d'ingrédients séchés étalés devant elle.

- Détends-toi, Hugo, dit Zach, c'est juste un gnome. Je faisais pareil, à son âge. On teste les limites jusqu'à-ce que quelqu'un nous engueule un bon coup et puis ça passe.

- Je fais pas confiance à Lyra pour l'engueuler dans le bon sens, insista-t-il.

- Lâche-la un peu, cette fille, répondit Zach. Elle partage pas la même vision du monde que toi, on a compris. Passe à autre chose.

- Ouais, moi non plus j'apprécie pas sa façon de penser, appuyai-je, mais elle nous aide quand même sur pas mal de trucs. T'as qu'à fermer les yeux et éviter les sujets qui fâchent quand t'es en sa présence, tu te sentiras mieux. C'est ce que je fais.

- Je pense pas être capable de faire semblant de pas entendre ses propos immoraux.

- Fais un effort, lança Zach. T'es trop crispé.

- C'est bon, c'est les actes qui comptent, pas les paroles, ajoutai-je.

- Tu rigoles, j'espère ? T'as déjà oublié la fois où elle a dénoncé Plumeau pour qu'elle prenne la punition à sa place ?

L'intéressée releva la tête de sa préparation en entendant son nom jeté dans la conversation mais n'avait de toute évidence pas suivi l'échange. Elle se replongea presque aussitôt dans son travail fastidieux.

- Qu'est-ce que tu nous prépares ? lui demanda Zach en approchant son nez.

- Ça ? C'est un élixir de langue de chacal, expliqua Plumeau avec joie. Celui qui en avale est uniquement capable de s'exprimer par des insultes. L'effet est pas très long normalement, sous forme de potion, juste dix minutes, mais Nemo m'a donné l'idée de l'encapsuler pour allonger l'effet. J'ai quasiment fini. Regarde.

Elle montra fièrement la petite capsule violette de la taille de la moitié d'un ongle, attendant des compliments sur son ingéniosité de préparatrice.

- Rassure-moi, tu comptes pas l'utiliser sur quelqu'un, pas vrai ? grimaça Zach.

- Mais non, répondis-je, tu crois vraiment que c'est son style d'aller faire des crasses aux autres comme ça ? Elle expérimente de nouvelles façons de faire des préparations, c'est tout.

- Oui, t'inquiète pas, lui assura Plumeau, c'est pas pour vous. C'est Iris qui m'a demandé de le lui fabriquer. Je vais le lui donner tout à l'heure.

Un silence sceptique accompagna sa tirade.

- Iris, celle du philtre d'amour ? m'enquis-je.

- Oui, c'est elle, tu t'en souviens ? sourit Plumeau.

- C'est une blague, Plumeau ? lâcha Hugo.

- Heu... Non, répondit-elle d'une voix soudain inquiète.

- Tu vas vraiment donner ça à Iris ?

- Ben oui. C'est elle qui me l'a demandé. Je pouvais pas lui dire non, quand même.

- Bien sûr que si, il fallait dire non ! la sermonna Hugo.

- Mais ça lui aurait fait de la peine si j'avais refusé, se justifia Plumeau. Elle me l'a demandé gentiment.

Zach se mit à pouffer.

- C'est pas drôle, Zach, se redressa Hugo. Plumeau, tu peux pas faire n'importe quoi sous prétexte qu'on te l'a demandé gentiment !

Elle ne paraissait pas comprendre pourquoi il insistait autant.

- Je fais rien de mal, pourtant, déclara-t-elle. Je vais pas faire manger l'élixir à quelqu'un.

- Non, je sais bien que tu ferais jamais ça, s'adoucit Hugo, mais tu dois bien te douter de ce que Iris compte en faire, non ?

- Je sais pas, fit Plumeau en haussant les épaules, ça me regarde pas.

- Et tu te sentirais pas un tout petit peu responsable si, par exemple pris tout à fait au hasard, la petite copine de Louis Weasley se mettait à lui débiter des insanités jusqu'à se faire larguer ? glissai-je.

- Je vois pas en quoi ça me regarde, fit-elle. Ce serait Iris qui serait responsable, pas moi.

- De quoi je serais responsable ?

Une fille plus âgée aux longs cheveux blonds gaufrés avec vingt ans de retard sur la mode moldue s'était assise près de Plumeau. Je reconnus de suite celle qui nous avait envoyées fabriquer un philtre d'amour en pleine nuit l'année passée le soir de la Saint Valentin.

- Tiens, il est prêt, lui tendit Plumeau.

Iris se saisit de la capsule et la glissa dans sa poche avec un air ravi.

- T'es la fille la plus gentille du monde, Plumeau, la remercia-t-elle.

- T'as pas honte de l'utiliser comme ça ?

La flèche décochée sans avertissement venait de Hugo.

- Je l'utilise pas, elle a fait ça de son plein gré, monsieur le grand frère moralisateur.

- Qu'est-ce que tu comptes en faire ?

- C'est un secret, gloussa-t-elle avec un clin d'œil.

- Elle a raison, Hugo, c'est moi qui ai décidé, le reprit Plumeau. Je suis encore capable de me prendre en charge toute seule.

- Bien parlé, Plumeau, fais lui ravaler son ton paternaliste arriéré, envoya Iris.

Zach ne put retenir un début de fou rire devant l'air outré de son camarade.

- Toi, t'as pas intérêt à revenir transformer Plumeau en criminelle, je te préviens, menaça Hugo. Va faire tes magouilles dans ton coin sans venir la mêler à ça.

- Avec une famille comme la tienne, rétorqua Iris, t'es mal placé pour qualifier qui que ce soit de criminel, Weasley.

Ce fut comme si Hugo venait de se prendre une droite en plein visage. D'agacé, il devint figé comme un iceberg. Sidéré, les yeux grands ouverts, il la fixait comme en proie à de violents conflits intérieurs.

- Elle voulait pas dire ça, Hugo, s'interposa Plumeau. Oublie.

- Hé, s'inquiéta Zach, ça va ?

- Qu'est-ce que t'as, continua Iris, t'aimes pas qu'on te rappelle que t'es fils de criminel, Weas... ?

La main de Plumeau était venue étouffer la fin de sa phrase, mais Hugo avait déjà bondi en hurlant sur Iris. Tous les trois se retrouvèrent dans un enchevêtrement de membres. Plumeau avait enserré les bras de Hugo pour l'empêcher de frapper, et c'est ce qui sauva Iris. Elle ne put maintenir sa prise que quelques secondes avant de céder sous la force de Hugo, mais ce fut suffisant pour permettre à Zach et deux Poufsouffle plus âgés qui discutaient à côté de venir le maintenir de force.

Iris se releva et recoiffa ses mèches venues s'emmêler devant son visage dans l'agitation.

- On dirait que c'est héréditaire, commenta-t-elle devant le spectacle violent qui se déroulait devant ses yeux.

- Ferme ta gueule !

- Calme-toi, Hugo !

- Lâchez-moi ! Je vais la fumer, cette pute !

Iris fronça les sourcils et farfouilla dans sa poche. Quand elle se fut assurée qu'elle ne lui avait pas donné la préparation de Plumeau par mégarde, elle eut un sourire satisfait et partit sans demander son reste.

- Calme-toi, elle est partie !

- Arrête de t'agiter !

Il se libéra et perdit son équilibre, allant s'écraser dans un pouf. Voyant qu'il ne se mettait pas la poursuite d'Iris, les deux autres Poufsouffle retournèrent à leur discussion.

- T'as pété les plombs ou quoi, Hugo ? s'exclama Zach. Si on t'avait pas retenu, t'aurais été renvoyé sec. Swan est pas douce avec ce genre de truc.

- Excuse-moi, c'est de ma faute, reconnut Plumeau en posant une main sur Hugo.

Il avait posé ses coudes sur ses genoux et mis ses deux mains en visière devant son visage pour s'isoler. Il ne paraissait pas vouloir répondre.

- Non, c'est pas ta faute, Plumeau, c'est Hugo qui s'est excité tout seul, corrigea Zach. Faut qu'il apprenne à être plus zen, un peu. J'ai frôlé la crise cardiaque, moi.

- C'est bon, Zach, je crois qu'il a compris, l'arrêtai-je.

Une inspiration saccadée de sanglot trop longtemps retenu secoua le dos de Hugo, et Plumeau entoura ses bras autour de lui. Je l'imitai, suivi par Zach qui regretta de suite ses paroles un peu trop dures.

x

xxx

x

Toutes mes tentatives pour tirer les vers du nez de Hugo à propos de ses problèmes familiaux se soldèrent par un échec. Soit ce n'était pas le moment, soit il était occupé, soit il était soudain pressé d'aller ailleurs, ou toute autre excuse susceptible de retarder la discussion. Ni Zach ni Plumeau n'avaient cherché à en savoir plus, mais je n'en attendais pas moins de la part de faux amis comme eux. Sa fuite permanente finit par m'agacer.

- Je croyais que t'étais un ami mais en réalité t'es comme Plumeau et Zach, lui lançai-je. Tu me fais pas confiance, c'est ça ?

Mon attaque le prit au dépourvu.

- Quoi ? Mais non, pas du tout.

- Alors pourquoi tu veux jamais rien me dire ?

- J'ai été bavard cet été à cause de l'envoûtement du chant de Plumeau. Oublie tout ça. J'ai pas envie d'en parler.

- Elle est où, ta mère ?

- C'est pas une question d'amie, ça, lâcha-t-il froidement. Tu veux juste tout le temps tout savoir à tout prix, sans jamais réfléchir aux conséquences. Pour toi, ou pour les autres. C'est toujours pareil avec toi. Faut toujours foncer tout droit les yeux fermés sans s'arrêter. C'est comme avec cette histoire débile de forêt de pluie.

Il dut apercevoir mon expression peinée car il se reprit de suite.

- Désolé, dit-il. C'était pas sympa. Je m'inquiète pour toi, c'est tout. Ça me rend nerv...

Il buta sur Zach. Un attroupement s'était formé devant nous, dans le couloir du premier étage. C'était un passage très fréquenté d'habitude, mais là, il y avait foule. Tous regardaient une masse de robes informe suspendue à un crochet en fer, à la place de la torche qui aurait dû s'y trouver. Un message était tracé sur le mur en larges lettres blanches.

- Bien fait pour lui.

- Ouais, ceux qui ont fait ça sont des héros.

- C'est mérité. Mais c'est osé.

- C'est horrible de faire ça.

- Pas du tout, ça calmera les autres.

Les discussions commentaient la scène de toutes parts. Un attroupement s'était formé, mais personne ne prenait la responsabilité d'aller décrocher l'élève inconscient suspendu au-dessus. Je ne comprenais pas bien l'origine de cette soudaine lâcheté collective. Et puis je parvins à lire les inscriptions sur le mur.

Ennemis de la justice, prenez garde. Le bien triomphera toujours.

Une longue écharpe blanche était enroulée autour du cou de la victime comme une malédiction. De toute évidence, les sévices perpétrés par les écharpes blanches avaient généré une contre-attaque assez spectaculaire.

- C'est un peu niais, comme message, analysa Zach.

- Tu trouves ? s'étonna Hugo. Je pense au contraire que ça a le mérite d'être très clair pour tous ceux qui soutenaient les actions des écharpes blanches.

- Ça reste quand même très cul-cul, insista Zach.

- Ceux qui ont fait ça valent pas mieux que les écharpes blanches, commenta Plumeau.

- Moi je trouve ça bien que quelqu'un ait eu le courage de montrer du doigt les cerveaux de toutes ces humiliations depuis le début de l'année, rétorquai-je. Rien que de savoir qu'ils restaient impunis, ça me mettait en rogne.

- Ça m'étonne pas d'entendre ça sortir de ta bouche, miss collabo, lança une voix derrière nous.

La foule agglomérée s'était rapidement clairsemée autour de nous, comme effrayée de trop s'approcher. L'origine de la fuite n'était pas à chercher bien loin. Lyra venait de se frayer un chemin dans l'attroupement. Les autres membres de sa classe qui prenaient le même chemin se tenaient à une distance prudente. Sa réputation de fille maudite gardait pour l'instant son intensité maximale grâce aux potins de Zach glissés çà et là dans les commérages de couloir.

- Ben oui, insistai-je devant la remarque de toute évidence sarcastique de Lyra, je trouve ça rassurant que des défenseurs du bien se mettent en travers des écharpes blanches.

- Des défenseurs du bien ? sourcilla Lyra.

- Ben oui, montrai-je, c'est écrit en gros, là, qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

- Tu sais, Baker, reprit-elle, c'est pas parce que quelqu'un se décrit comme le bras de la justice qu'il est forcément dans son droit.

- Elle a raison, Many, ajouta Plumeau, celui qui a fait ça, ça peut pas être quelqu'un de bien.

- Vous rigolez ?

Les bras m'en tombaient.

- Et s'ils s'étaient trompés ? demanda Plumeau.

- La question est pas de se tromper ou pas, reprit Lyra. Ce garçon peut bien avoir fait les pires choses du monde, ça justifierait pas de l'humilier en retour. Chacun fait ce qu'il veut de sa vie.

- Alors pour toi, les écharpes blanches peuvent bien continuer à répandre le mal sur l'école sans aucun châtiment ? En fait, tu fais partie des instigateurs du mouvement, c'est ça ?

- Moi ?

Lyra laissa échapper un rire venant des tréfonds de l'enfer.

- Je vais sûrement te décevoir, Baker, mais le Bien et le Mal, ça n'existe pas. Le monde est absurde. Il n'y a pas de crime ou de châtiment. Seulement des actes, et leurs conséquences. Et je pèse toujours les conséquences avant d'agir.

Ses crocs se dévoilèrent dans un sourire effrayant.

- Les petits malins des écharpes blanches auraient dû se douter qu'en déclarant une guerre, leur ennemi resterait pas sans contre-attaquer. Et s'ils y avaient pas pensé, c'est qu'ils sont vraiment stupides. J'ai dit que je pensais qu'humilier les écharpes blanches en retour était injustifié, mais c'était plus que prévisible. Parfois, quand les conséquences promettent d'être désagréables, il vaut bien mieux rester inactif.

- C'est sûr que c'est toujours plus prudent de jamais rien faire, marmonna Hugo.

- Exactement, Weasley.

- Ouais, fis-je, j'aurais dû me douter que participer à une action risquée, c'est la dernière chose que ferait Lyra. J'ai pas réfléchi.

- Comme souvent, me glissa Zach.

- Parce que chez toi, ça cogite peut-être ? lui renvoyai-je.

- Nemo est pas avec toi ? demanda Plumeau.

- Non, répondit Lyra, il est à l'infirmerie.

- Quoi ? m'exclamai-je. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Rien de grave, j'espère ?

- Juste un malaise. On marchait tranquillement dans un couloir et il a paniqué d'un coup.

- Et il va mieux ?

- Je sais pas.

- Comment ça, tu sais pas ?

- Je suis pas allée voir.

Je ne sus même pas quoi répondre à ça.

- On a qu'à aller lui rendre visite maintenant, non ? proposa Zach. Comme ça, on rate le cours de Sortilèges.

- On ira après le cours à midi, rectifia Hugo.

Nous acquiesçâmes à la proposition de Hugo et Zach fit une moue déçue.

- Parfait, vous me donnerez de ses nouvelles, déclara Lyra.

- Tu comptes pas venir ? s'étonna Zach.

- J'ai pas mal de choses à faire, et je dois passer à la Bibliothèque entre midi et deux, se justifia-t-elle. Me regardez pas avec ces yeux-là, c'était juste un peu d'angoisse, pas de quoi en faire tout un plat. Il sera vite sorti.

Nous laissâmes tomber l'affaire et nous rendîmes en cours de Sortilèges par un autre chemin, le couloir du premier étage restant bouché par l'attroupement d'élèves qui découvraient la scène au compte gouttes. Lore nous libéra à la moitié du cours quand Swan vint le chercher pour une réunion de crise en salle des profs.

L'infirmerie de Poudlard était l'un des endroits les plus sûrs de Grande Bretagne. Bernadette veillait à ce que le moindre ennui soit rafistolé dans la seconde. Je la croyais capable de soigner n'importe quoi.

Nemo était assis en tailleur dans un lit, occupé à tricoter un bonnet de laine aux couleurs d'un éternel coucher de soleil. Ses yeux avaient gardé leur teinte magenta même après la levée de la possession du legillimancien. Une séquelle esthétique qu'il garderait à vie, d'après Hemingway. Il afficha un visage abasourdi en nous voyant débarquer.

- Lyra nous a dit que t'avais fait un malaise, déclara Plumeau. On venait voir si tout allait bien, mais on dirait que t'es déjà complètement remis.

- Oui, la sensation a vite disparu, nous rassura-t-il. C'était une sorte de déjà-vu, et je me suis senti angoissé sans raison, mais ça y est, j'ai plus rien.

- Tant mieux, fit Plumeau.

- Un déjà-vu ? demandai-je.

- C'est pas grand chose, dit-il. Ça m'est arrivé deux ou trois fois depuis ma disparition l'année dernière. C'est comme une sensation bizarre de déjà vécu, tu vois ? Comme si des vieux souvenirs essayaient de revenir à la surface sans vraiment y arriver. Un peu comme si mon corps voulait me rappeler ce que j'ai vécu pendant ma disparition, mais que quelque chose faisait barrage.

- Et de quoi tu te rappelles ? interrogeai-je en essayant de ne pas trop montrer que j'étais dévorée par la curiosité.

- C'est toujours assez flou, expliqua-t-il. C'est plus une sensation qu'un souvenir. Une sensation de quelque chose de chaud en train de grimper à l'intérieur de ma poitrine, comme si le souvenir tentait de remonter depuis le fond de mon cœur. C'est très court, et après j'ai une angoisse qui arrive et c'est horrible, comme si le souvenir était si effrayant que mon corps se mettait à y réagir sans savoir ce qu'il contenait.

Son récit m'avait hérissé les poils. Et aux visages de Hugo, Zach et Plumeau, ils avaient autant la chair de poule que moi. Personne ne savait ce qu'il advenait des élèves disparus, mais si les sensations de Nemo étaient justes, la ligne décisionnelle de l'école décrétant que ça faisait dorénavant partie du folklore de l'école (et que ce n'était pas bien grave car les élèves en revenaient inchangés) était dans l'erreur totale.

- T'en as parlé à Bernadette ? fit Hugo.

Il devait penser comme moi.

- Non, mais je vois pas trop en quoi ça serait u...

- Est-ce que tu te rappelles à quel endroit tu as ces impressions ? le coupai-je.

- Ah non, Many, stop, va pas te lancer là-dedans, menaça Zach de son doigt tendu.

- C'est arrivé dans les couloirs de l'école les trois fois, mais je sais plus trop où. Enfin, aujourd'hui, c'était dans un couloir du deuxième près de l'aile Ouest, je crois. Pourquoi ?

- On est déjà allé voir dans l'aile Ouest, je te rappelle, intervint Plumeau avant que je puisse dire quoi que ce soit, et je t'avoue que je serais pas sereine à l'idée d'y retourner.

Je souris à l'évocation de notre visite catastrophique de la colonie de satyres. Plumeau possédait l'extraordinaire superpouvoir de la nonchalance, laissant les événements désagréables couler sur elle comme une brume immatérielle, trouvant des excuses aux pires de nos camarades alors que de mon côté je voyais rouge. Pourtant, le désagréable événement de notre rencontre avec les satyres n'avait pas coulé sur elle et sur le moment, elle n'en menait pas large.

-C'est marrant, Plumeau, à quel point tu es tout le temps d'un sang froid à toute épreuve, sauf quand on est de sortie pour résoudre des mystères.

- Tu veux dire que je garde mon sang froid sauf quand on est réellement en danger, reformula-t-elle.

- Oui, c'est vrai que vu comme ça, c'est logique... me grattai-je la tête.

- Il y a que toi pour foncer tête baissée dans les plans les plus foireux, de toute façon, commenta Zach. Un vrai bulldozer.

- Rien ne peut m'arrêter, ajoutai-je avec un sourire satisfait.

- Pas de quoi en être fier, me fit redescendre Hugo. Être courageux, c'est une grande qualité, mais être téméraire, c'est inutile et suicidaire.

- Tu crois que c'est la proximité avec le lieu des disparitions qui lui déclenche ses impressions ? demanda Plumeau.

- Je sais pas, haussai-je les épaules. Peut-être. Je cherche.

- Alors arrête de chercher, gronda Hugo. T'as pas encore compris que le lieu des disparitions ressemble à un cauchemar ? T'as entendu Nemo comme moi.

- Raison de plus pour le découvrir et mettre fin aux disparitions, rétorquai-je.

- C'est trop dangereux, insista Hugo en haussant la voix.

- Je m'en fous, du danger, répondis-je. Si on peut mettre fin aux disparitions, il faut foncer.

- Non, il faut pas foncer, soupira Hugo. Jamais. C'est toi qui fonctionnes toujours comme ça.

- Tu veux quand même pas rester sans réagir ?

- Si, justement. On va en référer aux profs et les laisser s'en charger.

- Ah ouais ? Et depuis quinze ans qu'ils s'en chargent, des disparitions, à quel moment est-ce qu'ils ont mis fin au processus ?

- Et tu penses que toi, avec ton intelligence supérieure et ta capacité de réflexion légendaire, tu vas pouvoir trouver quoi que ce soit ?

- Hé, intervint Zach, c'est pas sympa de critiquer la lenteur des autres. C'est pas parce que t'as un gros cerveau que ça te donne le droit de dire des trucs condescendants comme ça.

- Je... J'étais pas condescendant, je voulais juste vous faire comprendre qu'à nous quatre on a aucune chance de trouver quelque chose qui a pas déjà été découvert par la police magique.

- On le saura jamais si on essaie pas, opposai-je.

- Et si tu meurs ? s'emporta Hugo. Hein ? C'est ça que tu cherches ? Tu parles comme avec cette forêt de pluie dont tu nous rabats les oreilles.

- On est pas du tout en train de parler de la forêt de pluie ! Tu digresses complètement.

- C'est la même chose ! Dès que tu vois une occasion de te mettre en danger, tu fonces droit dedans sans réfléchir une seconde aux risques que tu prends !

- Arrête, tu parles exactement comme Lyra, le provoquai-je.

Il n'eut pas le temps de s'offusquer car Plumeau reporta notre attention sur Nemo.

- Est-ce que ça va ? Nemo ?

Il avait porté sa main à son cœur et fermé ses yeux. Il se concentrait sur une respiration calme et régulière.

- Oui, oui, fit-il. Tout va bien. Ça recommence comme tout à l'heure.

- Qu'est-ce que tu vois ? demandai-je.

- Laisse-le, Many, m'arrêta Plumeau.

Il ouvrit les yeux et nous adressa un sourire qui se voulait rassurant.

- Vous inquiétez pas, j'ai juste un peu chaud. Ça va aller.

Il plissa les yeux comme pour mieux comprendre ce qu'il ressentait.

- C'est quoi, cette foret de pluie ? demanda-t-il. C'est bizarre, j'ai l'impression que c'est enfoui au fond de ma mémoire, mais j'arrive pas à mettre la main dessus.

- Quoi ? Quoi ? Réfléchis mieux, me pressai-je. C'est quoi ? C'est où ? C'est dans le Ministère, pas vrai ?

- Laisse-le respirer, Many, me repoussa Plumeau.

- J'arrive pas à retrouver, dit-il. La sensation que j'avais est partie. Je sais plus.

Je me laissai tomber en arrière sur une des chaises de l'infirmerie. J'étais vidée de mon énergie. C'était la frustration ultime. La réponse était là, juste là, et je l'avais loupée.

Je n'eus pas le temps de me lamenter sur mon sort. Nemo se mit brusquement à remuer. Ses yeux violets s'étaient agrandis d'effroi et il cherchait un endroit où se cacher. Il enroula ses draps autour de lui et se mit en boule. La scène n'avait duré qu'une demi-seconde mais elle nous avait pétrifiés sur place.

Le haut de la tête de Nemo ressortit timidement de sa tanière. Il se rassit calmement en repoussant les couvertures entortillées.

- Désolé, fit-il.

- Tout va bien ?

- Oui, oui, ça y est, c'est fini, s'excusa-t-il. Pardon de vous avoir fait peur.

Bernadette ne tarda pas à accourir, alertée par les cris.

- Ceci est un lieu de repos, nous chassa-t-elle, veuillez quitter l'infirmerie et laisser mes convalescents en paix.

Dès le seuil de l'infirmerie franchi, je repartis sur mon idée.

- Nemo se souvient de ses disparitions, déclarai-je. Je sais pas pourquoi, mais c'est le seul. Ses sensations de déjà-vu sont déclenchées par le passage près de l'aile Ouest, et l'évocation de la forêt de pluie. Pour moi, c'est clair. Les disparus sont dans l'aile Ouest. Peut-être que la forêt de pluie est une salle de l'aile Ouest et qu'ils sont là-dedans.

- Je croyais que la forêt de pluie était dans le Ministère, répliqua Zach. Je te suis plus du tout.

- Moi aussi, j'ai du mal à tout rassembler, avouai-je. Je pensais que c'était dans le Ministère à cause de l'insistance de Griff après la vision de l'autre en cours de Divination, là. Il leur décrit un lieu qui ressemble à une forêt de pluie et d'un coup tout le monde panique et me bassine avec le Ministère. Peut-être qu'il y a un passage de l'aile Ouest jusqu'à la forêt de pluie dans le Ministère, et que c'est là que sont gardés les disparus.

- Ah oui, pas con, cogita Zach.

- Et je suppose que tu vas nous proposer de nous y rendre, devina Plumeau.

- Évidemment, répondis-je. On a enfin l'occasion de comprendre où vont les disparus. C'était peut-être ça, le message de Féline. Les réponses à mes questions. Vous aviez tort de penser qu'il y avait le moindre rapport avec Franck.

- Qu'est-ce que tu fais du message en runes ? demanda Plumeau.

- Bah, écartai-je le problème d'un geste de main, Lyra devait avoir raison et c'était juste une erreur de destinataire.

- Et surtout, fit Hugo qui se contenait difficilement depuis tout à l'heure, qu'est-ce que tu fais de la vision de l'autre élève dans sa boule de cristal ? La vision de toi, morte.

- Tu dis toujours que la divination est la forme la plus douteuse de la magie, rétorquai-je.

- Oui, c'est pour cette raison qu'il faut toujours recouper les informations qu'elle nous donne pour s'assurer de sa fiabilité, et je sais pas si tu as vu, mais en recoupant l'information, là, tu as Féline qui te dit aussi de pas chercher à trouver cet endroit sous peine de danger extrême. Ça semble pourtant assez clair qu'il faut pas que tu t'approches de cet endroit, quand même.

- Féline peut pas tout savoir, répliquai-je. Et puis elle est plus floue qu'un horoscope, on peut pas dire qu'elle nous donne des infos fiables.

- Pourquoi est-ce que tu écoutes aucun de mes arguments ? se plaignit Hugo.

- J'ai écouté, démentis-je. J'ai compris. Bien sûr que les disparus vont dans un endroit dangereux. T'as vu comme Nemo était flippé ?

- Donc t'es d'accord pour laisser tomber ?

- Hors de question, déclarai-je. S'il y a un disparu à tirer de la forêt de pluie, j'irai.

- Tu sais qui est disparu en ce moment, rappela Hugo. Tu risquerais ta vie pour Philippa ?

- Je risquerais ma vie pour n'importe qui, lançai-je. Et avec un peu de chance, elle sera reconnaissante et arrêtera de s'acharner sur Kathleen pour me remercier.

Hugo me regardait comme si j'étais folle et incurable.

- Tu peux pas être naïve au point de croire réellement à ce que tu viens de dire, fit-il.

Je fronçai les sourcils.

- Désolée de pas être cynique comme toi.

- Tu vas mourir, si tu y vas, s'énerva-t-il. Mourir. Tu comprends ce que ça veut dire, au moins ? Si tu t'en fous, pense aux autres, un peu. Tes parents ? Nous ?

- Cette fois, je suis d'accord avec Hugo, appuya Plumeau. Tu te jettes dans la gueule du loup.

- Toi aussi, Plumeau ? Mais vous êtes tous devenus lâches, d'un coup ?

Qu'est-ce que je croyais ? Que le soutien de faux amis comme eux valait quelque chose ?

- Zach ? Tu viens avec moi, hein ?

Il grimaça.

- J'ai jamais compris ton envie de danger, tu sais.

- Bon, ben j'irai toute seule, décidai-je.

- Tu iras nulle part, m'attrapa Hugo. Pourquoi tu insistes autant ?

- Arrête, Many, t'as plus aucune logique, ajouta Plumeau.

- Ça y est, elle est devenue folle, gémit Zach.

- Si tu tentes quoi que ce soit, je te dénonce immédiatement aux profs, menaça Hugo.

Je les voyais enfin sous leur véritable jour. Des imposteurs et des lâches. Des faux amis, trop lâches pour se confier, trop lâches pour me soutenir, trop lâches pour me suivre.

- D'accord, mentis-je. Je vais y réfléchir.

La main de Hugo resta arrimée à mon bras. Ses yeux kaki ne me lâchaient pas. Il paraissait tellement triste, tellement effrayé. Il avait très bien compris que je ne céderais pas le moindre centimètre. Mais il avait aussi compris que sa prise sur moi était définitivement perdue. Il me libéra à contre cœur.

- Si on te dit ça, c'est parce qu'on tient à toi, se justifia-t-il.

- Ouais, on veut pas que tu finisses en ratatouille, me serra Zach dans ses bras.

- S'il te plaît, Many, implora Plumeau, fais pas n'importe quoi. Je veux pas que tu meures.

- T'es soûlante mais on t'aime beaucoup quand même, avoua Zach. Si tu meurs je serai super triste. En plus il faudrait te remplacer au Quidditch et personne tacle comme toi.

- Fais-nous confiance, Many, insista Plumeau. Tu vois toujours le bien partout et tu peux pas imaginer ce qui te guette.

Elle avait bien vu que je ne perdais plus mon masque froid et distant. Rien de ce qu'ils diraient ne pourrait plus me faire changer d'avis.

- Je suis désolé, dit Hugo en une ultime tentative désespérée. Oublie tout ce que j'ai dit. Ok ? C'est la peur de te perdre qui me fait perdre la boule.

Je repoussai doucement Zach et Plumeau.

- Me parlez plus jamais.

Je les plantai à l'entrée de la Grande Salle et partis vers la première table où je reconnus une tête familière. Le cerveau encore dans le brouillard, je me dirigeai vers la touffe blonde de Will. Son rire guidait mes pas vers mon seul et dernier ami.

Une vague de chaleur chassa le givre qui m'avait enserrée peu à peu. Avec Will, il n'y aurait jamais aucune trahison. Nous étions les deux mains d'un même clown. Prêts à déchaîner un bordel sans nom sans peur ni hésitation. Je me sentis beaucoup mieux et un sourire se permit de s'installer sur ma face.

Je sautai sur la tête blonde en entourant son cou de mes bras.

- Will !

Un visage étonné plein de tâches de rousseur se retourna sur moi et éclata d'un rire joyeux.

- Tu te trompes encore de prénom, Malany ! Moi, c'est Tom ! T'es vachement affectueuse, aujourd'hui ! Je savais pas qu'on était si proches, tous les deux !

Je sentis une vague de chaleur me monter aux joues quand les gloussements des deux Lily et Jess parvinrent jusqu'à mes oreilles.

- Viens avec nous, fit Tom Kindeye en poussant ses fesses sur le banc de la table de Gryffondor pour faire de la place.

Je ne me fis pas prier et m'installai avec eux. J'avais Jess en face de moi, les deux Lily d'un côté, et Apollo et Harry de l'autre.

- Dis, Tom, je savais pas que tu savais fabriquer un philtre d'amour, remarqua Jess. T'es plus malin que t'en as l'air.

- Laisse tomber, c'est pas lui qui l'a fait, il a dû en demander à Plumoche, corrigea Lily Potter. C'est Iris qui m'a dit que Plumoche faisait ça contre une pelle.

- Berk, fit Lily Bird en fronçant le nez. Si j'étais un garçon, je préférerais rester célibataire que rouler une pelle à Plumoche.

- Ouais, mais Tom il est bien plus courageux que vous, les filles, fit Apollo avec un sourire séducteur. Il a pas peur de mettre sa langue dans le gras pour la fille de ses rêves. C'est pas romantique, ça ?

- Arrêtez, les gars, c'est n'importe quoi, j'ai jamais donné de philtre d'amour à qui que ce soit, les réprimanda Tom. En plus c'est sa pote, vous abusez, sérieux.

- Non, c'est bon, on est plus potes, les encourageai-je. Faites pas attention à moi.

- Oh, non, s'exclama Lily Potter d'une voix horrifiée, Baker Street et Docteur Plumoche ont divorcé ? Dur !

- Une enquête qui a mal tourné ? demanda Apollo. Le bandit vous a filé entre les doigts ?

- On peut dire ça, oui, souris-je. A cause d'un manque de communication dans l'équipe.

- Ah ! La communication, c'est essentiel, assura Tom.

- Ben ça c'est sûr que toi tu communiques, fit Apollo. Alors après il existe un juste milieu qui permet d'éviter les informations superflues.

- Du coup tu restes plus dans la bande de Plumoche ? demanda Jess.

- Non, confirmai-je. Et c'est définitif. Maintenant je vais essayer de traîner avec des gens qui me ressemblent un peu plus, avec qui je peux faire des trucs de folie sans débattre mille ans sur les conséquences sur moi ou les autres. Un peu plus de spontanéité, quoi.

- Cool, sourit Tom. Bienvenue à Gryffondor, alors.

Je passai un bras autour du sien en essayant de me convaincre que je n'étais pas en train de rêver éveillée. Tom Kindeye dut penser la même chose car il se pinça la joue.

- Aïe, gémit-il. Les gars, avouez, vous êtes en train de me faire une grosse blague, pas vrai ? Franchement, vous m'avez bien eu.

- Ah non, promis, j'y suis pour rien, fit Apollo.

- Moi non plus, suivit Harry.

Les trois filles secouèrent la tête et Tom partit dans un fou rire de joie.

- Il rigole toujours comme ça ? demandai-je à Lily Potter.

- Toujours, acquiesça-t-elle. C'est un vrai handicap.

- Bon, ben bienvenue parmi nous, Baker Street, sourit Apollo. T'inquiète pas qu'avec nous, ça va dépoter. Ce qu'on aime, c'est foncer. J'espère que ça te va ?

- C'est le paradis, soupirai-je.

- Hé, mate ça, montra Lily Bird à sa voisine. On voit la raie, ce midi.

- Oh la vache, c'est une vraie raie manta, aujourd'hui, chuchota Lily Potter.

Un des Serdaigle sur la table d'à côté avait relevé sa robe pour manger. La ceinture de son pantalon glissait et on voyait le haut de sa raie.

- Il ferait mieux d'accepter de salir sa robe sur le banc, commenta Harry.

- Je sais pas s'il se rend compte que tout le monde se fout de lui, se demanda son comparse.

Le regard intéressé d'Apollo se perdit derrière les épaules de Jess, qui rougit en croyant en être la cible. Malheureusement pour elle, il fixait les courbes harmonieuses de Slyha Fox qui passait dans son dos en dégageant l'assurance d'un jaguar au milieu de mulots. Je devinais que la silhouette menue aux hanches bien dessinées devait attirer l'œil d'Apollo.

- Elles sont bonnes les sœurs Fox, j'en ferais bien mon dîner, dommage que la seule qui ait pas un cœur de pierre soit déjà prise par Alyss.

- Chhhut, t'es malade de dire ça, le fit taire Harry. Tu veux finir figé ?

- Quoi, t'as peur de la fille maudite ? J'ai dit qu'elle était bonne, c'est un compliment, détends-toi !

Harry jura en se bouchant les oreilles.

Apollo se tourna et perdit son sourire séducteur.

- Oh, non, pas encore, ils abusent vraiment, eux. Franchement, j'aurais cru que sans Philippa à la tête du gang, ils se seraient calmés, mais ils sont encore pire.

Je me retournai et observai Seth Sullivan glisser des paroles inaudibles dans l'oreille de Kathleen pendant que Face-de-rat recrachait allégrement dans son assiette et que Leda plaçait des boules qui avaient tout l'air de boules puantes dans son sac. Les profs ne pouvaient rien voir. La longue silhouette de vautour de Leda masquait les autres à leur vue. Une minute plus tard, ils étaient partis et Kathleen se retrouvait seule au dessus de son assiette immangeable.

- Bah, des lâches comme eux, il y a qu'une chose qui les rend heureux, c'est de s'en prendre aux faibles, remarqua Lily Potter.

- Tu veux dire comme toi avec Hugo ?

Je n'avais pas l'intention de parler mais les mots étaient sortis avant que j'aie pu faire quoi que ce soit pour les retenir. Je me sentis idiote de défendre celui que je venais à peine de rejeter.

- Houuuu, souffla Apollo, ça envoie du sortilège impardonnable. Elle est en forme, Baker Street. Tu prends cher, Lily.

- Hugo est pas un faible, répliqua Lily Potter. C'est un putain de psychopathe.

Je pouffai devant la blague.

- Je rigole pas, fit-elle. C'est un malade, mon cousin. Je suis la seule à le connaître réellement. Et pas comme le petit Hugo mignon et timide qu'il nous sert en permanence.

- Qu'est-ce qu'il a fait ? Il t'a volé tes chaussettes ? me moquai-je.

- Fais pas comme si tu nous connaissais par cœur, Baker Street. Tu sais rien. Je suis sa cousine. J'ai grandi avec lui. On se voyait tout le temps, on jouait tout le temps ensemble. Personne le connaît mieux que moi. Il y a qu'à moi qu'il s'est jamais confié. Toutes ses envies de meurtre. T'es surprise ? Peut-être que tu le connais pas si bien que ça. Si je lui fais des crasses, c'est pour lui rappeler mon existence. Pour lui rappeler que moi, je sais. Et que s'il fait la moindre bavure, je balance tout aux flics. C'est uniquement grâce à moi qu'il est jamais passé à l'acte depuis tout ce temps. Je suis une héroïne, les gars. Une héroïne.

Je m'étais peu à peu décomposée. Mais pas par ce dont elle accusait Hugo. Plutôt par ma prise de conscience que je ne savais rien de Hugo. Tout comme je ne savais rien de Zach, et rien de Plumeau. Et ma bêtise d'avoir cru être leur amie tout ce temps. Mais il n'était jamais trop tard pour le comprendre et rectifier le cap. Le problème, c'était eux.

Je ne voulais plus jamais avoir affaire à ces trois là.