Chapitre 14

Boya avait rejoint son shixiong dans son bureau pour revoir une énième fois les sigils secrets du yin yang. Il s'était bien remis de sa petite crise nerveuse et ses rendez-vous avec le guérisseur mental de la secte avaient été multipliés. Il cachait trop bien ses tourments intérieurs pour qu'on le laisse trop sans surveillance. A sa grande tristesse, ses heures de solitude et d'indépendance avaient été drastiquement diminuées. Il pouvait toujours travailler et étudier ce qu'il voulait, mais plus seul dans son coin. Aussi devait-il venir revoir ses sigils sous le nez de son shixiong au lieu de continuer à les travailler dans le calme à la bibliothèque ou seul dans ses appartements.

Shao Zhiqiang les lui fit faire et refaire encore et encore jusqu'à ce qu'il puisse les tracer sans lever son pinceau ni réfléchir et n'ai même plus besoin de les tracer physiquement pour qu'ils se matérialisent devant lui d'un simple mouvement de main. Boya les connaissaient tous sur le bout des doigts, même ceux pour le portail bien qu'il ne puisse l'utiliser.

Shao Zhiqiang était satisfait même si le bouclier de Boya ne se déployait pas quand bien même il s'activait.

Sa "ligne de pèche" pour attirer un shishen était correcte aussi même s'il n'y avait rien derrière pour l'instant. Il avait des touches mais rien de plus.
il fallait surtout que Boya se décide à avoir envie d'avoir un partenaire au sein de la secte au lieu de rester seul. Sa confiance en lui-même et surtout dans les autres avait pris un méchant coup qu'il faudrait un moment pour guérir. Malgré les efforts de tout un chacun, c'était le genre de traumatisme qui pouvait mettre des années à guérir.

"- Cet après-midi, je te confie à Zhong Xing Daren." Finit par décider Shao Zhiqiang. "Tu es parfaitement capable de tout lancer sans erreur. Maintenant, tu as besoin de mettre tout ça en pratique. Tu as besoin d'aller sur les Plaines de Glace pour tes invocations."

Boya grogna.

Dans l'absolu, il savait tout ce qu'il fallait pour être considéré comme un vrai maître du yin yang. Ce n'était, finalement, pas très éloigné de ce qu'apprenait tous les maîtres dans tous les temples. Dans la théorie, il n'y avait bien que quelques subtilités qui changeaient. C'étaient surtout les crédos de chaque temple qui différaient. Maintenant, il ne lui manquait plus que la pratique, ce foutu bouclier et un shishen.

Pour l'instant, personne n'était parvenu à lui faire accepter qu'il devait tenter d'invoquer un ami. Celui qui avait presque réussit était Abe no Seimei mais Boya refusait toujours.

"- Je n'ai pas envie de me retrouver avec un démon sur les bras."

"- Le shishen qui viendra pour toi sera ce qui te convient. Regarde celui de He Shouyue. C'est un serpent. Aussi visqueux que son maître."

"- Les serpents ne sont pas visqueux." Mais Boya voyait ce que son ami voulait dire.

"- Est-ce que tu as de quoi t'habiller pour la fête au moins ?"

"- … La fête ?"

"- Oui la fête."

"- Quelle fête ?"

"- Pfff, il est là depuis trois mois et n'a même pas encore réalisé que l'activité préféré ici est de faire la fête."

Boya grogna. Ha si ! ça, il avait réalisé. Tout était bon pour faire la fête dans le nord. Une bonne récolte de champignons ? Fête ! Un shidi allumait son Node doré ? Fête ! Il ne neigeait pas pendant deux jours ? Fête ?

Pas de fête pendant trois jours ? FETE !

Même si ce n'étaient pas des orgies d'alcool, c'était quand même des fêtes.

"- Je ne sais même pas comment vous faites pour parvenir à être fonctionnels."

"- …Mais tu sais que tu as raison !

"- Si tu dis qu'il faut faire une fête pour célébrer ça, je vais te mordre le mollet." Siffla Boya avec aigreur.

Son shixiong éclata de rire.

"- Et bien, on fait la fête ici !" S'amusa Zhong Xing.

Boya lâcha un coassement étranglé qui fit redoubler Shao Zhiqiang de rire.

Zhong Xing attendit que les deux jeunes gens se calment et lui expliquent ce qui se passait. Il ne put que rire un peu lui aussi. Boya était très coincé, comme tous les anciens disciples de JingYun. Ils se détendaient tous au bout de quelques temps.

"- Boya, je dois accompagner deux autres shidi sur les plaines de glace. Je sais que c'était prévu que nous y allions seuls demain après-midi, mais si Shao Zhiqiang peut se passer de toi, j'aimerai que tu nous accompagnes."

"- Vas-y, Boya. Xiao PaoMo ne devrait pas tarder et si j'ai vraiment besoin, il y a du monde dans les autres bureaux." Assura Shao Zhiqiang lorsqu'il vit Boya hésiter.

"- Très bien. Zhong Xing Zongzhu, je suis à votre service."

"- Alors allons-y."

Boya déplia la canne métallique qu'il avait à la ceinture et qui lui servait à marcher pour ne pas glisser ou tomber puis suivit son nouveau Shifu.

"- Nous n'avons que peu de temps pour discuter, Boya. J'en suis désolé. La secte me prends tout mon temps. Et le festival qui arrive me prends le peu qu'il me reste." Il n'avait pas eu de temps qualitatif avec son épouse depuis des jours et n'avait pas vu son fils depuis plus de temps encore.

"- Ne vous excusez pas, Zongzhu. J'ai la chance d'avoir un excellent professeur au quotidien et toute l'aide nécessaire pour le reste."

Zhong Xing en fut soulagé. Les progrès du jeune homme étaient rapides mais il n'en avait pas douté un instant. Il était intelligent et déterminé à retrouver son indépendance. S'il ne parlait pas vraiment de ses découvertes pour utiliser son qi pour l'instant sans doute échaudé par ce qui lui était arrivé à JingYun, il progressait quotidiennement. Et Zhong Xing ne parlait pas de son encre qu'il avait inventé. La dernière version était encore plus remarquable que les précédentes.

S'il avait eu quarante ans de moins, Zhong Xing lui aurait demandé des comptes mais pour l'instant, il préférait laisser le trentenaire faire ses nouvelles armes seules. Il développait une nouvelle branche de la cultivation, le chef du yin yang ne voulait pas que Boya soit entravé par qui que soit. L'imagination de Boya était pour l'instant sa meilleure alliée. Le calme et la tranquillité, ce dont il avait un besoin quotidien.

"- ZHONGZHU !"

Les deux shidi de douze ans se ruèrent vers eux lorsqu'ils atteignirent les salles de classe.

"- Vous êtes prêt ?"

"- Hmm !"

Les deux enfants prirent immédiatement chacun une main d'un adulte.

Zhong Xing ouvrit un portail pour les plaines de glace. Pas une seule fois il n'avait été question d'apprendre à Boya à faire de même. C'était l'unique chose qu'il lui était impossible de faire sans sa vue.

"- Zhongzhu…" Hésita Boya.

Le portail aveuglait totalement le peu de perception qu'il pouvait avoir. Zhong Xing le rassura.

"- Nos petits camarades sont d'excellents disciples, ne trouvez-vous pas ?"

Boya prit la chose comme elle était. Ce n'était pas à Boya de guider l'enfant mais l'inverse.

"- Il vous faut vraiment un shishen, Boya."

"- Je ne sais pas si j'ai très envie d'imposer mes limitations à qui que ce soit."

"- Vos limitations diminuent chaque jour un peu plus."

Boya pinça les lèvres mais leva doucement la main que tenait l'enfant.

"- Vraiment ?"

Il n'en dit rien mais il sentait que ses progrès pour tout ce qui était autonomie se ralentissaient. Il arriverait bientôt à un plateau et ce moment lui faisait peur. Il avait peur de savoir jusqu'où il serait réellement dépendant. Pour l'instant, l'enthousiasme de pouvoir avancer était quelque chose qui l'éloignait de la dépression et de la réelle prise de conscience de son état. Lorsqu'il saurait exactement à quel point il serait définitivement diminué, il craignait de s'effondrer. C'était aussi pour ça qu'il apprenait autant tout ce qu'il pouvait. C'était pour ça qu'il s'occupait de tous les petits shidi qu'on lui confiait et qu'il n'avait pas encore pendu He Shouyue par le fond du pantalon à la plus proche poutre en glace.

Cette frénésie vers l'avant était la seule chose qui l'empêchait de s'écrouler lorsqu'il prendrait conscience qu'il était arrivé au bout de sa course et de sa guérison.

Végéter le terrifiait.

"- Mes limitations finirons par m'empêcher d'avancer un jour."

"- Et vos limitations seront bien plus facile à dépasser si vous avez quelqu'un d'inconditionnel à vos côtés pour vous aider. N'est-ce pas Xiao-Yun ?"

L'enfant qui lui tenait la main eut un grand sourire.

"- Hm !"

Puis il lâcha le chef de secte pour aller prendre la main libre de Boya une fois passé de l'autre côté du portail. C'était la première fois que le chasseur mettait les pieds sur les plaines de glace. Comme attendu, il y faisait un froid de canard mort. Il sentit ses orteils se recroqueviller dans ses chaussures en peau retournée et du faire circuler son qi plus vite pour ne pas congeler sur place. Les enfants ne semblaient pas une seconde gênés par le froid mais ils venaient là tous les jours ou presque. Si ce n'était pas le cas de Boya, c'était qu'il n'avait personne pour l'y emmener.

"- Je demanderai à mon fils de vous conduire ici tous les jours."

"- Il serait capable de m'y abandonner" Marmotta Boya sans réfléchir.

Il ne vit pas le choc et l'inquiétude sur le visage du chef de secte. Les retours, rares, qu'il avait sur son fils et Boya étaient toujours inquiétant. Son fils semblait déterminé à humilier le chasseur et à passer toute sa colère sur lui malgré quelques très, très rares signes positifs. A l'inverse, Boya restait d'un calme absolu qui enrageait encore plus son fils. Zhong Xing commençait à craindre que ça se finisse mal.

"- Boya, si mon fils vous pose un problème, vous êtes libre de le remettre à sa place s'il le faut. Vous le savez déjà ?"

"- Avec cet espèce de serpent qu'il a toujours sur lui ? Il a déjà menacé de le lancer sur moi pour qu'il me morde !"

Zhong Xing ne dit rien de plus mais il n'aimait pas ça du tout. Non qu'il ne croit pas Boya, bien au contraire. C'était même surement le pire. Il le croyait parfaitement. Peut-être devrait-il envoyer He Shouyue à une autre secte quelques mois. Ou dans le domaine d'à côté. Il y apprendrait à avoir le respect qui convient. Zhong Xing n'avait jamais pu lever la main sur son fils et He Shouyue en avait profité. Il se croyait protégé de tout parce qu'il était le fils de ses parents. Il n'avait jamais rencontré la moindre difficulté dans l'existence et était, sommairement, un sale môme. Sa mère avait fait de son mieux mais… Elle n'était "que" sa mère. He Shouyue la respectait comme tel, mais pas comme quelqu'un dont il devait respecter l'autorité.

Un gros soupir échappa au chef de secte. Il fallait qu'il fasse quelque chose pour son fils. Il avait espéré que Boya pourrait le remettre quelque peu sur le droit chemin mais son fils était bien trop imbus de sa personne pour accepter qu'il puisse ne pas être parfait. C'était irritant et c'était totalement la faute de son père.
Zhong Xing s'en voulait. Il avait eu si peur qu'il ne meurt quand il était petit… Peut-être était-ce aussi dans le caractère de son fils de profiter ainsi des faiblesses des autres… Mais Zhong Xing était de toute façon déterminé à ne pas faire de son fils le premier disciple et encore moins l'héritier de la secte. S'il le faisait, le yin yang exploserait en plein vol. Ou leur voisin immédiat se chargerait de très vite venir déposer le chef de secte incapable pour en trouver un autre à mettre sur le trône. Zhong Xing avait une excellente relation avec ses voisins, mais il ne faisait pas l'erreur de croire que les sourires du seigneur Anbei étaient autre chose que de l'indulgence à leur égard. Il régnait sur le nord depuis des siècles, des millénaires peut-être, et ce n'était pas une bébé secte comme la leur qui allait lui causer des problèmes.

Ils marchèrent un peu jusqu'à une zone de glace à peu près lisse sans être glissante.

"- Nous allons nous installer là pour aujourd'hui."

"- Oui Shifu !"

"- Qu'est-ce qu'on va faire ?"

"- Vous entrainez bien sûr. Vous devriez être proches de devenir des juniors mais vous manquez de confiance en vous."

"- Zongzhu ?"

"- Commencez."

Les deux enfants ne perdirent pas plus de temps. Il se concentrèrent longuement, d'abord sur leurs boucliers qu'ils lancèrent encore et encore jusqu'à ce que leur chef de secte soit satisfait de la taille, la résistance, la durée et la vitesse d'invocation des boucliers. C'était déjà quelque chose de savoir le lancer, s'en était une autre de pouvoir l'utiliser réellement pour se protéger. Boya les rejoint pour s'y essayer, encore et encore. Mais son ami et professeur avait correctement comprit son problème. Sans personne à protéger, son bouclier ne se déploierait jamais vraiment. Il était là, au bout de ses doigts, mais il n'avait personne pour qui exister.

Zhong Xing le regarda faire un moment. Il voyait le manque, non de concentration, mais le désabusement de Boya. Il savait faire le bouclier, mais intérieurement, il ne savait pas pour qui il pourrait bien le lancer.

Ils s'y entrainèrent pourtant encore deux bonnes heures avant que Zhong Xing n'y mette le holà et ne change d'exercice.

Boya avait les orteils glacés et s'énervait lentement de sa propre incompétence. Ce n'était jamais agréable pour un adulte de se faire humilier ainsi par des mômes de douze ans.

Pendant que Zhong Xing allait chercher du thé pour les petits et lui-même, Boya s'accroupit près des bambins.

"- Hé, j'ai besoin de votre aide."

Les deux petits se ruèrent dans ses jambes.

"- Qu'est-ce qu'on peut faire pour toi, gege ?"

"- Qu'est-ce que vous utilisez pour matérialiser votre bouclier ? Je sais que je le fais bien, que le sort est là, mais je n'arrive pas à l'ouvrir parce que je ne sais pas avec quoi le faire. Vous pouvez m'aider ?"

Les gosses se laissèrent tomber assis par terre sur la glace. Ils entrainèrent Boya avec eux pour qu'il s'assoit devant eux.

"- Moi, je pense à mon petit frère et à tout le temple. Il est encore petit, mais il est ici aussi. Quand on est arrivé, j'avais six ans et lui il était tout bébé. Notre village a disparu sous une coulée de boue au printemps. C'est Zhong Xing Zongzhu et les maîtres qui nous ont sauvé. Y a un des maîtres, il a un démon-taupe comme shishen ! Il a creusé pour sauver tout le village. Mais nos parents, c'était déjà trop tard." Le petit eut un soupir. "Alors on est venu ici. Mon petit frère, c'est mon petit frère. Mais le temple c'est comme ma nouvelle famille. J'ai pas pu sauver ma famille quand j'étais petit, sauf à me coucher sur mon petit frère pour le protéger des rochers. Mais maintenant, je serais un vrai maître du yin yang ! Je pourrais sauver ma famille. Et toutes les autres familles qui ont besoin qu'on les sauve"

Boya hocha la tête. Ce petit avait plus d'ambition dans le cœur que lui. En rapport, il était d'un égoïsme rare. Mais il était plus vieux aussi. Il était plus cynique sur l'état du monde. Plus désabusé. Il avait trop été trahis pour avoir encore une réelle affection pour ses semblables.

"- Et toi ? Comment arrives-tu à créer ton bouclier ?"

Le second gamin secoua la tête.

"- Franchement ? je sais pas. Je veux qu'il me protège et il me protège. Je réfléchis pas à pourquoi ou comment. Je veux et il est là. C'est un bout de moi après tout. Pourquoi il ferait pas ce que je veux ?" Le gosse souriait largement mais Boya ne pouvait le voir, à peine le sentir. "C'est mon qi. Mon qi, c'est moi. Et ça fait longtemps que j'arrive à marcher. Alors pourquoi ce serait différent ? Après c'est juste parce que j'ai pas encore assez de qi que j'y arrive pas longtemps."

Boya ne put retenir un petit rire. Exprimé comme ça, c'était tellement simple, tellement évident. Pour des petits bouchons de cet âge, ça l'était sans doute. Les adultes avaient tendance à beaucoup trop réfléchir et complexifier ce qu'ils faisaient. Il était un chasseur. Il avait de l'instinct. Il avait appris à ne pas réfléchir.

Peut-être était-ce une solution pour lui. Ou peut-être pas.

Mais il était sûr d'une chose. Tant qu'il serait amer et déçut de l'humanité, il serait incapable d'utiliser un bouclier correctement.

"- Merci, didi."

Les gamins eurent un immense sourire avant de bien évidemment lui sauter au cou.

Zhong Xing les trouva ainsi accrochés à un Boya qui riait doucement de leur audace effrontée.

Il avait toujours adoré les petits shidi.

"- Et bien, vous vous amusez en mon absence ?"

"- Ha ! Pardon Zongzhu !" Bafouillèrent les enfants mais le chef de secte souriait largement.

Il leur servit le thé qu'il était allé chercher comme prétexte pour laisser Boya avec les petits. Comme il l'avait espéré, il avait questionné les gamins. Voir un adulte suffisamment humble pour demander de l'aide à des enfants était réconfortant pour lui.

"- Finissez votre thé que nous puissions passer à la suite. Vous allez tenter d'appeler des shishen."

Les deux enfants hurlèrent de joie. Boya soupira mais obéit. Il n'avait pas envie de s'y essayer.
Ses sentiments sur l'idée d'avoir un shishen étaient de plus en plus complexes à mesure qu'il vivait à la secte nord. Il reconnaissait leur utilité, il leur reconnaissait une légitimité à exister, à vivre, ce qu'il n'aurait pas accepté avant. Surtout pour les démons. A force d'entendre les vies qu'ils avaient sauvés avec leurs maîtres, il commençait à les voir non plus comme des monstres à exterminer, mais comme des gens, avec leurs défauts et leurs qualités. Juste des gens différents.

Un soupir lui échappa. Il se transformait. Il changeait. Il apprenait.

Il grandissait.

Et ça lui faisait un peu peur il fallait avouer. Mais il n'avait pas moins de courage que les petits shidi qui venaient si généreusement de l'instruire n'est-ce pas ?

Alors pourquoi pas essayer malgré tout ? Il n'était pas là pour vraiment essayer d'attirer un shishen, juste apprendre à le faire.

Sous la calme tutelle de Zhong Xing, il ne fallut par très longtemps aux enfants ou à lui-même pour parvenir à lancer efficacement le sort d'appel. Ce n'était pas tellement compliqué finalement. Ce n'était que se projeter aussi loin que possible avec son qi en criant très fort.

Si les enfants projetaient toute leur énergie et leur espoir dans le lien qu'ils lançaient au loin comme un pêcheur jette sa canne et son appât au loin pour attraper quelque chose, Boya lançait son bouchon à ses pieds, sans hameçon et sans appât.

Aussi, lorsque quelque chose tira sur la ligne mentale, il faillit en tomber par terre.

"- Boya ?"

"- Je… Quelque chose m'a… touché."

Zhong Xing eut un large sourire.

"- Ça veut dire que vous avez attiré l'attention d'un esprit, Boya Daren. C'est bien ! Continuez. S'il vous trouve à son gout, il finira par vous rejoindre." Boya ne voulait pas, lui ! "Mais il peut tout aussi bien ne plus vous approcher." Le chef de secte expliqua aux enfants. "Vous le savez, c'est une invitation que vous lancez. Une invitation courtoise. Vous allez avoir énormément de touches avant que quiconque ne décide de réellement prendre l'invitation pour vous rejoindre. Cela prend parfois des années. Alors continuez. Ça viendra."

Les deux enfants hochèrent la tête, déterminés. Ils recommencèrent sans plus de succès que la première fois mais ce n'était pas grave. Ils étaient petits, il faudrait du temps avant que quiconque trouve leurs appâts. Boya était adulte. Même avec son peu d'enthousiasme, sa ligne était comme un phare dans la nuit noire. Si les petits murmuraient dans le grand néant entre les mondes, la cultivation de Boya était si forte que sa ligne était comme un hurlement avec un portevoix dans une vallée encaissée. Non seulement le hurlement portait, mais il faisait de l'écho. Il n'était pas étonnant que quelqu'un ou plusieurs quelqu'un viennent effleurer sa ligne à chaque fois qu'il la lançait.

Zhong Xing s'était installé à genoux sur le sol. Un petit sourire aux lèvres, à moitié en méditation, il surveillait les deux enfants et l'adulte. Il était content. Au moins pour ça…

Quant à son fils… Il lui parlerait.
Encore.

Et si rien ne marchait une fois de plus, il l'enverrait ailleurs. Peut-être même demanderait-il un service à leur voisin immédiat.

Boya tressaillit encore à plusieurs reprises lorsque son lien fut effleuré par des entités diverses, il le sentait. Mais si certaines étaient plus intéressées que d'autre, ce n'était pas son cas du tout.

Personne n'avait embêté Boya avec la préparation de la fête. Il l'avait même totalement oubliée.

Shao Zhiqiang l'avait prévenu pourtant des semaines auparavant, les jours d'avant et même dans l'après-midi, mais il avait oublié. Il n'était pas un fêtard.
Alors la fête du solstice d'Hiver et les Jeux qui avaient lieu annuellement en même temps ? A part distribuer des chaussettes neuves à ses petits shidi préféré, il n'avait rien prévu de plus.
Seulement, il n'avait pas été oublié par son maître. Et personne non plus n'avait oublié qu'il était l'élève du chef de secte. Il était par défaut forcé de faire un effort, d'être présent et de représenter aussi son maître aussi bien que le yin yang. Heureusement que la fête avait lieux dans les murs ou c'est lui qui aurait fini par en manger le bas.

"- Dépêchez-vous, Boya. Il faut que vous vous changiez."

"- … Me changer ?"

Zhong Xing posa une pile de tissu sur le lit.

"- Je vais vous aider. Nos invités ne vont pas tarder et tout le monde a mis ses meilleures robes. Comme vous n'avez que celles de disciple du yin yang, j'ai pris la liberté de vous en faire faire."

"- Mais… Mais…" Boya était perdu. Il se laissa aider parce qu'il n'avait ni le temps, ni le choix, mais à mesure que les couches de vêtements s'ajoutaient, il réalisait avec horreur que la tenue de cérémonie était d'une rare richesse.

"- Zongzhu !"

"- Vous êtes mon élève personnel, Boya. Je ne peux me permettre de vous avoir attifé dans des robes basiques. Je vais m'occuper de vos cheveux aussi.

Boya n'osa pas protester d'avantage. Il était déjà honteux que le CHEF DE SECTE doive l'aider à s'habiller. Alors protester encore ?

Zhong Xing peigna ses cheveux encore trop court pour les remonter en une demi-queue de cheval haute. Ils avaient poussé mais ils n'auraient pas retrouvés une longueur décente avant au moins deux ans. Zhong Xing nata une mèche de crins noirs qu'il enroula à la base de la demi-queue puis lui mit un petit guan en cuir ouvragé. Ainsi, la longueur indécente et humiliante de ses cheveux ne se voyait pas.

"- Et voilà !"

"- Je suis désolé." S'excusa encore Boya, humilié.

"- Ne vous excusez pas. D'ici la prochaine fois, je suis sur que vous serez autonome là-dessus aussi."

Boya espérait qu'il ne décevrait pas le chef de secte mais en doutait. Etrangement, Il doutait de plus en plus à mesure qu'il progressait.

Il suivit son maître en silence jusqu'à la grande salle commune.

Le grand hall était remplit de tous les disciples de la secte lorsque Boya entra avec Zhong Xing. Il frémit et battit des paupières plusieurs fois avant de cesser de tenter de voir son chemin avec son qi. Ça lui faisait trop mal. Il se rabattit sur sa canne qu'il déploya pour trouver son chemin sans tomber. Plus le temps passait et plus il envisageait de porter un morceau de tissu sur ses yeux en permanence. Il ne le gênerait pas lorsqu'il utilisait son qi pour sentir son environnement, mais il le protègerait efficacement en contrepartie. Surtout s'il trouvait la bonne matière à utiliser. A force de travailler à l'aveugle et dans le noir, sans mauvais jeux de mots, Boya avait constaté que les matières étaient plus ou moins perméable au qi. La soie était extrêmement perméable. Le cuir a l'inverse, ne laissait rien passer. Il tâtonnait encore chaque jour à travailler avec son qi dans le monde réel et non plus simplement dans ses méridiens.
C'était difficile de projeter son qi dans son environnement proche et traiter son environnement comme si c'était une partie de son corps. C'était finalement la seule méthode efficace pour qu'il puisse "voir" le monde autour de lui.

Un gros soupir lui échappa.

Il sentit qu'on glissait une main sous son coude. La main était petite mains ferme et douce. Gold Spirit. Zhong Xing l'avant abandonné à son shishen. C'était encore le plus simple pour qu'il ne cause pas de catastrophe.

"- Nos invités ne vont pas tarder, Boya Daren. Cela risque d'être difficile pour vous mais il faut que vous gardiez votre calme, d'accord ?"

Difficile de garder son calme ? Difficile pour lui ? Pourquoi ? Qui étaient leurs invités ? JingYun ?

"- Le Seigneur Anbei et sa cour ne vont pas tarder. Si vous vous sentez mal, n'hésitez pas à me le dire et je vous ferai sortir, d'accord ? Mais vous devez rester au moins le temps de les saluer."

Boya était livide. Le démon renard. Et des démons suffisamment nombreux pour le submerger. Il se mit à trembler malgré tout. Il apprenait à tolérer les démons mais pas quand il était noyé dedans.

"- Pff. Père aurait dut le laisser dans sa niche. Il va couvrir le temple de honte." Le mépris cinglant de He Shouyue fit se crisper affreusement le chasseur lorsque l'héritier de la secte passa près de lui. "Je ne comprends vraiment pas pourquoi père s'encombre de tous ces handicapés. Ils ne sont que des poids." Marmottait encore le jeune homme. "Quand je serais chef de secte, les choses vont changer."

C'était à croire qu'il ne réalisait pas qu'il ne serait pas chef de secte avant que son père ne meurt. Et encore. Uniquement si son père le désignait comme son successeur. Pour l'instant, c'était de moins en moins joué. Il allait avoir bientôt vingt-cinq ans mais n'était même pas Premier Disciple. Il n'était même pas dans les disciples numérotés. Il n'était qu'un parmi tous les autres. Et il ne s'en souciait pas.

Gold Spirit serra le poignet de Boya entre ses doigts.

"- Ne faites pas attention à ce qu'il raconte. Il n'est qu'un enfant mal élevé. Il ne réalise même pas ce qu'il dit. Il ne réalise pas davantage qu'il ne sera jamais chef de secte s'il continue ainsi. Vous avez plus de chance d'être chef de secte que lui. Une paire de baguettes à plus de chance d'être chef de secte que lui pour l'instant."

Boya eut un infime sourire.

"- Je vais vraiment finir par lui botter les fesses à ce rythme. Et pas juste à l'entrainement."

"- N'hésitez pas, ça lui fera du bien. Il a besoin que quelqu'un le remette à sa place à la phalange. Vous êtes l'élève personnel de Zhong Xing. Si quelqu'un à toute latitude de donner une fessée à ce sale gamin, c'est vous. Mon maître vous l'a déjà dit mais vous êtes beaucoup trop gentil. Vous étiez Premier Disciple de JingYun, il ne vous manque qu'un shishen pour pouvoir tenter votre chance ici pour la même chose, vous savez ?"

Le sourire de Boya se fit un peu plus large. Il allait finir par le faire oui. Quand il aurait réussi à reprendre le combat avec un adversaire au lieu de juste faire ses formes à l'épée et s'entrainer contre des shidi. C'était moins difficile qu'il ne l'avait craint d'ailleurs. Il connaissait ses formes depuis qu'il était tout petit. Les faires les yeux fermés ou sans ses yeux, ce n'était pas différent. C'était même apaisant maintenant qu'il avait retrouvé sa confiance en lui-même. Depuis son combat contre He Shouyue à l'entrainement, il avait redécouvert qu'il n'était pas un total incompétent. Il avait accepté que ses blessures et la mort de ses frères n'était pas sa faute. Il y avait un monde entre le savoir et l'accepter.

"- Le Seigneur Anbei et sa suite !" Appela soudain le maître qui attendait à la porte pour leur ouvrir.

La main de Gold Spirit serra un peu plus le poignet de Boya.

"- Je ne vous quitte pas. Personne ne vous fera de mal."

Boya était reconnaissant à Zhong Xing aussi bien qu'à son shishen de ne pas l'abandonner dans le noir alors que la présence des démons le submergea totalement. Ce n'était pas agressif, mais c'était plus qu'il n'avait jamais ressenti. Les démons et les esprits qui approchaient étaient si vieux et si forts !
Il dut lutter pour ne pas tourner de l'œil, écrasé par les nouveaux venus. Les doigts de Gold Spirit furent pendant quelques secondes son seul contact avec la réalité avant que la pression monstrueuse ne s'allège.