Si cette fanfiction était une montagne russe, ce chapitre serait le moment où la terrible montée se transforme en terrible descente.
Bonne lecture, et merci à vous de suivre cette histoire !
FA
Chapitre 17 : Aurore
« J'ai mené quelques recherches sur des bijoux magiques chinois, des amulettes tibétaines, ou des légendes asiatiques en général, mais je n'ai rien trouvé de concluant. Avec le temps qui passait, je devenais trop occupé pour continuer ces recherches, j'avais toujours plus de choses à faire. Ma carrière a commencé à décoller, ta mère jouait dans toujours plus de pièces et a même reçu une offre pour jouer dans des films, nous avons emménagé ensemble… En été 1996, nous nous sommes mariés, et nous comptions fonder une famille. »
Adrien pouvait percevoir la nostalgie dans l'expression de son père. Son regard était absent, comme s'il voyait ces années de bonheur défiler devant ses yeux.
« Émilie continuait à utiliser le miraculous, notamment pour recréer les pièces dans lesquelles elle jouait et répéter les scènes avec d'autres « comédiens ». Elle s'est véritablement liée d'amitié avec Duusu, leur relation est devenue fusionnelle, presque trop… J'ai fini par me convaincre que l'utilisation de ces pouvoirs n'avait rien de dangereux, même si j'avais toujours cette petite voix dans ma tête qui me disait de rester prudent...Surtout à cause de la suite des événements. »
xxx
« Milou ? Tu es là ? »
L'appartement était étonnamment calme pour une lundi soir. C'était le seul jour où Émilie n'avait ni représentation ni répétition, et elle profitait de ce répit pour regarder la télé, cuisiner ou avancer dans l'aménagement de la nurserie. Toutes ces activités généraient du bruit (parfois trop), et pourtant, ce soir-là, un silence pesant régnait dans le hall d'entrée.
Gabriel se demanda si elle n'était pas sortie sans le prévenir, mais ses chaussures rouges étaient négligemment jetées contre le mur.
« Milou ? »
Il posa ses affaires et enleva sa veste, l'oreille tendue, à l'affût du moindre bruit. Il commençait à s'inquiéter.
« Émilie ? »
La cuisine et le salon étaient vides, tout comme la salle d'eau. Il ne restait plus que la chambre et la future chambre d'enfant, encore en rénovation. À peine s'était-il approché de cette dernière qu'il entendit des reniflements étouffés.
« Milou ? »
Il entra sans frapper, et y découvrit sa femme, recroquevillée dans un coin, les genoux contre sa poitrine, les poings collés à son visage. Il se précipita vers elle, l'attrapa par les épaules, tenta de découvrir son visage, la prit dans ses bras lorsqu'il la sentit résister. Il l'entendait sangloter silencieusement, comme si elle n'avait plus de voix à force de pleurer.
« Hé, je suis là, tout va bien… Je suis là, Milou… Quoiqu'il arrive, je suis là…Qu'est-ce qui se passe ? »
Elle se laissa bercer, mais ne se ressaisit pas pour autant. Au contraire, Gabriel avait l'impression que par sa présence, elle s'était refermée.
Il leva la tête, à la recherche d'une figure bien familière qui pourrait l'aider à consoler Émilie.
Duusu flottait à quelques centimètres au-dessus d'eux. Il ne l'avait pas remarquée lorsqu'il était entré dans la pièce, trop préoccupé par l'état de sa femme.
« Duusu, qu'est-ce qui s'est passé ? »
Le kwami avait l'air aussi inquiet que lui, mais semblait hésiter, comme si la question était trop personnelle. Ses yeux rouges passaient sans cesse de Gabriel à Émilie.
« Duusu, dis-moi ce qui se passe, » fit-il d'une voix presque autoritaire.
Il n'obtint pas de réponse pour autant. Ce fut Émilie qui rompit le silence, d'une voix étouffée.
« C'est Patricia… Elle… Elle est passée tout à l'heure. Elle m'a annoncé… Elle m'a dit qu'elle allait avoir un bébé... »
Gabriel comprit immédiatement. Il la serra encore plus fort contre lui, et passa une main dans ses cheveux.
« Chuuut, c'est pas grave… Ce sera bientôt notre tour, ne t'en fais pas... »
xxx
« Malheureusement, nous ne pouvions pas avoir d'enfants. Ta mère et moi avons faire le tour des médecins de Paris, de France, même d'Europe. Nous avons fait des dizaines de tests, aussi bien elle que moi, mais personne n'a trouvé d'explication ni de solution au problème. J'ai commencé à me demander s'il n'y avait pas de lien avec le miraculous et qu'il fallait creuser la question, mais la seule fois où j'ai essayé d'aborder le sujet, Émilie a failli me quitter pour de bon… Elle m'a dit que je ne comprenais rien, que son lien avec Duusu était la seule chose qui l'empêchait de tomber dans le désespoir, et que le miraculous représentait peut-être notre seul espoir d'être heureux. Je ne comprenais pas ce qu'elle voulait dire par là, mais elle a refusé de me répondre quand je lui ai posé la question. Par la suite, elle a presque complètement arrêté de me parler… »
Gabriel poussa un long soupir. Il était évident que les souvenirs qu'il évoquait étaient encore douloureux. Pourtant, il semblait déterminer à continuer le récit. Adrien était pendu à ses lèvres.
« On vivait sous le même toit, mais c'était comme si nous étions de simples colocataires. Elle passait tout son temps au théâtre, dans les studios, et dans la nurserie en compagnie de Duusu. Je pensais qu'elle avait besoin de temps et d'espace, alors je me suis lancé à corps perdu dans mon travail. Je voulais être sûr qu'on ne manque jamais d'argent si on voulait continuer les examens médicaux et les traitements de fertilité. Même si je ne me faisais plus trop d'illusions… »
Adrien se rendait compte de son ignorance. Jamais il n'avait soupçonné que ses parents, qui paraissaient toujours si parfaits, avaient connu de telles difficultés.
« Et enfin, un miracle est arrivé. »
xxx
Gabriel versa le thé dans deux tasses, souleva le plateau sur lequel il les avait posées et l'apporta dans la nurserie.
Émilie et Duusu étaient assises par terre, en pleine discussion sur les combinaisons d'images et de cadres qui allaient être accrochées aux murs.
« Alors, vous avez fait votre choix ? demanda-t-il en posant le plateau sur la future table à langer.
- On aurait besoin de ton œil de styliste, Duusu est daltonienne et moi, j'ai les yeux qui se croisent à forcer de fixer des couleurs pétantes et des rectangles… »
Elle voulut se lever, mais Gabriel l'arrêta d'un geste. À cinq mois de grossesse, elle devait faire attention à ses mouvements. Il vint s'accroupir derrière elle et posa ses mains sur ses épaules.
« Je t'écoute. Vous hésitez entre quoi et quoi ? »
Sa femme gesticula vaguement devant elle. Des images représentant des animaux et des personnages de conte jonchaient le sol, aux côtés de cadre bigarrés. Seul un élément était différent du reste : une grande veilleuse en forme de nuage qui, une fois allumée, devait afficher un « A ».
« Alors… L'éléphant est bleu ciel, alors il serait logique de le mettre dans le cadre bleu, mais ça risque d'être ennuyeux, même pour un nouveau-né… On pourrait le mettre dans le cadre orange, comme c'est une couleur complémentaire. La girafe, même si elle est imprimée au format paysage, elle pourrait être mise en valeur dans un cadre vertical, ce qui nous laisse le vert clair et le vert foncé. Bien entendu, si on reste dans les couleurs complémentaires, il faudrait garder un de ces cadres pour le Petit Chaperon rouge…
- Et moi qui disait qu'Émilie se compliquait la vie… T'es encore pire qu'elle, Gab' ! souffla Duusu en levant les yeux au ciel.
- Au moins, « A » aura le sens du détail et de l'esthétique, » rit Émilie en posant ses mains sur celles de Gabriel.
Ils avaient décidé de garder la surprise jusqu'au bout et de ne pas demander quel était le sexe du bébé. Toutefois, Émilie avait déjà choisi des prénoms potentiels qui, tous, avaient la particularité de commencer par « A ». Gabriel n'y voyait aucun inconvénient, mais n'avait pas pu s'empêcher de lui demander d'où lui venait l'idée.
« J'en sais vraiment rien. C'est juste qu'à chaque fois que je tombe sur un prénom qui me plaît, je me rends compte qu'il commence par « A ». Je sais pas pourquoi… Peut-être que ça va nous porter bonheur ? »
xxx
Adrien était collé au fauteuil. Il savait que c'était sa mère qui avait choisi son prénom, mais il ignorait la petite histoire derrière son choix.
Étrangement, l'expression de son père s'était encore assombrie. Adrien se serait attendu à ce que la grossesse de sa mère et sa naissance n'évoquent que des souvenirs positifs. Il eut un mauvais pressentiment.
« Le miracle a été de courte durée, reprit Gabriel. Le 15 février 2000, ta mère a soudainement fait un malaise lors d'une répétition au théâtre. Je m'y suis précipité dès que j'ai appris la nouvelle. Je m'en souviens comme si c'était hier, c'était le pire jour de notre vie. »
Il s'interrompit longuement. Adrien osait à peine respirer. Il avait peur de ce qui allait suivre.
« Quand je suis arrivé, elle était dans le coma. C'était comme si tout à coup, son corps ne supportait plus sa grossesse. Les médecins m'ont mis devant un choix que j'aurais aimé ne jamais avoir à faire… Je devais choisir de sauver ta mère, ou le bébé... »
Un silence de mort régnait dans le bureau, même si la pluie continuait de marteler les fenêtres. Adrien fixait un point au-dessus de son père. Il avait peur de le regarder directement. C'était la première fois qu'il le voyait si vulnérable.
« Le choix était difficile, et pourtant, j'ai à peine hésité. C'était ta mère avant tout, je ne pouvais pas imaginer ma vie sans elle. Les médecins ont accepté mon choix sans broncher, et ont fait ce qu'il y avait à faire… »
Adrien se rendit alors compte de l'étendue de ce que Gabriel Agreste venait de lui révéler : il avait eu, ou plutôt il aurait pu avoir, un grand frère ou une grande sœur.
Gabriel reprit avant qu'il n'ait pu lui poser des questions à ce sujet.
« Pendant longtemps, j'ai été hanté par le choix que j'avais dû faire, même si j'étais convaincu d'avoir pris la bonne décision. Ce n'était pourtant rien comparé à la réaction d'Émilie, quand je lui ai dit ce qui est arrivé. Elle ne l'a pas supporté. À nouveau, elle s'est renfermée sur elle-même, et cette fois-ci, ce n'était pas seulement moi qu'elle évitait, mais tout le monde. Sa famille, ses collègues, ses amis. Seule Duusu lui tenait compagnie. »
Nouvelle pause. Adrien ne savait si ces interruptions étaient des bénédictions ou des malédictions. D'un côté, elles lui permettaient d'encaisser les révélations que son père lui faisait, mais de l'autre, ce qui les suivait était encore pire.
« C'est à ce moment-là que j'ai acheté cette maison. Notre maison. Je me disais qu'un nouvel environnement lui ferait du bien et qu'on pourrait avoir un nouveau départ. J'y croyais à moitié, mais ça a marché. Quelques semaines après avoir emménagé, ta mère a retrouvé le sourire. »
Adrien avait un mauvais pressentiment. Quelque chose lui disait que d'autres coups durs avaient frappé ses parents avant sa naissance, vu l'expression sinistre de son père.
« Elle a recommencé à sortir, à travailler, à vivre comme avant, mais je sentais que quelque chose avait changé. Même si on passait plus de temps ensemble, elle insistait pour faire chambre à part. Ça me paraissait étrange, mais j'ai préféré ne pas insister et la laisser tranquille à ce sujet. Jusqu'au jour où j'ai découvert pourquoi... »
xxx
Il était déjà deux heures du matin, mais la lumière de la chambre d'Émilie était toujours ouverte. Gabriel remercia son chauffeur et le congédia pour la nuit, sortit de la voiture et claqua la porte derrière lui. Le voyage à la Fashion Week de New York avait été des plus éprouvants : son défilé avait été couronné de succès, les fêtes qui avaient suivi, fastueuses, les entretiens avec les journalistes, sans fin. Il se réjouissait de passer un peu de temps avec sa femme dans leur nouvelle maison. Il espérait qu'elle allait mieux.
Il poussa la porte de la maison, ferma à clé derrière lui, enleva ses chaussures et son manteau, qu'il suspendit dans la penderie près de l'entrée. Les guirlandes de Noël luisaient faiblement dans l'obscurité du hall d'entrée, le plongeant dans une pénombre mystérieuse, presque magique. Pour leur premier Noël dans la maison, Émilie s'était surpassée au niveau des décorations.
Une mélodie, parfois couverte par des voix, provenait de l'étage. Émilie était sans doute encore debout et regardait la télévision. Il pouvait au moins lui souhaiter bonne nuit avant d'aller rattraper ses heures de sommeil.
Il monta les escaliers et parcourut le couloir au fond duquel se trouvait la chambre de sa femme. La porte, entrouverte, dessinait un cône de lumière sur le sol en marbre. La musique et les voix devinrent plus claires. Il reconnut celle d'Émilie, mais les babillements étranges qui l'accompagnait lui étaient inconnus. Était-elle avec quelqu'un ? Discutait-elle au téléphone ? Parlait-elle aux personnages d'un film, comme elle aimait tant le faire ?
Gabriel hésita. La musique qu'il entendait depuis tout à l'heure était en fait une mélodie d'une vingtaine de secondes, qui tournait en boucle. Il n'en distinguait pas les paroles, mais cela ressemblait fortement à une comptine pour enfants. Dans la grande maison vide, l'ambiance qu'elle créait était plus inquiétante que joviale…
Malgré le mauvais pressentiment qui le tenait à l'estomac, il frappa doucement à la porte et entra.
« Émilie ? Je suis de retour de... »
Ce qu'il découvrit l'arrêta net. Au milieu du grand lit à baldaquins, emmitouflée dans une grande couverture, lotie contre d'innombrables coussins, était assise Émilie Agreste, transformée en héroïne sous l'effet du miraculous du Paon… avec un bébé dans les bras.
La musique provenait d'un piano pour bambins dont les touches colorées s'illuminaient au rythme de la musique. Elle s'arrêta trois secondes après l'arrivée de Gabriel, plongeant la chambre dans un silence pesant.
Deux paires d'yeux le dévisageaient : une paire verte, qu'il aurait reconnue entre mille, même derrière un masque de super-héroïne, et une paire… verte également, mais rosée en même temps, par à-coups. Ces reflets lui rappelaient la couleur des yeux de Duusu.
C'était la première fois qu'il voyait un tel phénomène. S'il avait été en état de bouger, il se serait pincé pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Il avait l'impression d'être en plein cauchemar. Son instinct lui criait que quelque chose n'allait pas, qu'il devait partir, qu'il avait en face de lui quelque chose qui le dépassait.
Après la surprise initiale, Émilie lui adressa un sourire radieux.
« Gab' ! Tu es enfin là ! On t'attendait avec Aurore. »
Radieux. Trop radieux. Le sourire qu'elle portait depuis quelques semaines, et grâce auquel il s'était dit qu'elle allait enfin mieux. Il se rendait à présent compte de combien il avait tort : ce sourire était certes sincère, mais il dissimulait quelque chose de fou, de malsain, de dérangeant.
Elle se dépêtra de son cocon de couvertures et prit l'enfant. Lorsqu'elle s'approcha de lui, Gabriel sentit son corps se tendre comme jamais. Il avait l'impression d'être un ressort sur le point d'éclater. Pourtant, le choc de ce qu'il avait devant lui le paralysait.
« Au… rore ? balbutia-t-il, incapable d'en dire plus.
- Mais oui, notre fille. Tu as vu comme elle te ressemble ? C'est ton papa, regarde ! » ajouta-t-elle à l'intention du bébé.
L'enfant leva les yeux vers lui. Son visage était dépourvu d'expression. Derrière ses traits parfaitement humains, qui étaient un mélange exact des siens et de ceux d'Émilie, il n'y avait que du vide.
« Grâce à Duusu, j'ai pu la faire revenir. On peut laisser cette sale histoire d'hôpital derrière nous maintenant et enfin vivre comme une vraie famille ! »
Elle lui tendit le bébé. Un frisson lui parcourut le dos.
xxx
« J'ai choisi de me prêter au jeu, mais je n'étais pas vraiment à l'aise. Ce… bébé, ou senti-bébé… Enfin, Aurore… Elle n'avait rien de naturel. Je ne saurais expliquer le sentiment que j'avais dès que je me trouvais en sa présence. C'était comme si mon instinct me criait que cette imitation d'humain était un danger et que je devais m'en éloigner aussi vite que possible. Mais pour le bien-être et la santé de ta mère, j'ai usé du peu de talent d'acteur que j'avais pour me comporter comme un père, en espérant que ce ne soit que temporaire, le temps de faire le deuil de notre vrai enfant. »
Un sentimonstre. Sa mère s'était servie de son désespoir pour recréer ce qu'elle avait perdu. C'était à la fois tellement compréhensible, mais aussi tellement malsain. Adrien ignorait comment il se serait comporté dans une telle situation, mais la réaction de son père lui paraissait des plus justifiées face dans une telle situation.
« J'ai repris mes recherches sur le miraculous. Ce que je voyais là, c'était tout sauf sain. Je savais que si je le prenais de force, ta mère ne le supporterait pas. Elle avait l'air si… heureuse à ce moment-là. »
Il tripotait nerveusement la photo entre ses doigts. À plusieurs reprises, Adrien eut peur qu'il ne la déchire.
« J'avais besoin d'en savoir plus sur le miraculous, sur son utilisation, ses pouvoirs et ses risques. Je savais que je devais agir vite, si je voulais limiter les dégâts. J'y ai passé des mois, mais je n'ai rien trouvé, mais un autre miracle est venu me sauver à ce moment-là. Et cette fois-ci, il est resté. »
Pour la première fois depuis le début du récit, Gabriel le regarda droit dans les yeux. Et pour la première fois de la soirée, il lui sourit. Adrien comprit.
« C'est moi ? Enfin, je veux dire, je suis né. C'est ça, le miracle ?
- Tout à fait. Avec ta naissance, j'étais sûr qu'Émilie oublierait vite Aurore et qu'on aurait enfin la vie qu'on avait toujours rêvé d'avoir. Mais les choses ne se sont pas passées aussi simplement que je l'aurai espéré… »
xxx
Même si les journées s'allongeaient, il rentrait rarement avant la tombée de la nuit. La collection automne/hiver 2004 était des plus attendues, et il ne pouvait se permettre de livrer des créations autres que parfaites. Toutefois, il sentait que s'il continuait à ce rythme, il risquait le burn-out. Dès que les défilés seraient terminés, il discuterait avec son équipe et Nathalie, sa nouvelle assistante personnelle, pour ralentir la cadence et mieux utiliser les ressources dont ils disposaient.
Il était presque minuit. Gabriel se réjouissait de prendre une longue douche et d'aller au lit. Depuis quelques semaines, Adrien faisait enfin ses nuits, et Émilie et lui pouvaient enfin dormir de tout leur soûl.
À peine était-il arrivé à l'étage que des pleurs de bambin vinrent lui écorcher les oreilles. Même s'il ne put retenir un soupir d'exaspération, il se dirigea vers la nurserie. Émilie dormait peut-être déjà, et Dieu savait combien elle avait besoin d'une nuit tranquille…
Quelque chose dans les pleurs d'Adrien lui paraissait étrange. D'ordinaire, c'était un enfant très calme qui ne pleurait qu'en de rares occasions. Pourtant, ce soir-là, ses cris étaient plaintifs, presque angoissés, interrompus parfois par des hoquets rauques.
Était-il malade ? Émilie ne lui avait rien dit à midi au téléphone, mais il s'agissait peut-être de quelque chose de récent…
Lorsqu'il entra dans la chambre et alluma la lumière, il découvrit Adrien debout, agrippé aux barreaux de son lit, les yeux exorbités, les joues barbouillées de larmes. Le bambin sursauta à son arrivée, eut un hoquet de surprise, avant de reprendre ses pleurs de plus belle.
Gabriel se précipita vers lui et le prit dans ses bras.
« Qu'est-ce qui se passe, bonhomme ? Qu'est-ce qui ne va pas ? »
Il dut le bercer longtemps pour faire cesser ses cris, qui se transformèrent en sanglots étouffés. Ça lui fendit encore plus le cœur.
« Tout va bien, Papa est là. Tout va bien… »
Il leva les yeux vers la porte de la chambre. Il avait mis de longues minutes à consoler Adrien, dont les pleurs n'avaient pas exactement été silencieux, et leur chambre n'était qu'à quelques pas. Pourquoi Émilie n'était-elle pas venue voir ce qu'il se passait ? Dormait-elle si profondément ?
Lorsqu'il observa le visage d'Adrien, il remarqua que ses yeux étaient rouges, comme irrités. Depuis combien de temps pleurait-il ainsi ?
Il dégagea une mèche qui lui tombait sur le front.
« Adrien… Qu'est-ce qui se passe ? Où est maman ? »
L'enfant baissa les yeux et serra ses poings contre son visage. Gabriel le berça encore, lui caressa le dos, l'embrassa sur le front, espérant le calmer suffisamment pour comprendre ce qu'il s'était passé.
« Maman… avec Aurore… Et Adrien… seul... »
Le sang de Gabriel ne fit qu'un tour. Il usa de toutes ses forces pour rester impassible et ne pas perturber Adrien, mais son esprit était en effervescence.
Elle avait promis. Émilie avait promis de laisser Aurore et les pouvoirs du miraculous derrière eux pour enfin mener une vie normale. Gabriel était persuadé que c'était le cas, car il ne l'avait plus jamais vue en présence de sa… création, mais visiblement, la réalité était toute autre lorsqu'il s'absentait.
Il reposa délicatement Adrien dans son lit et alluma la veilleuse qui se trouvait juste à côté.
« Papa va revenir, d'accord ? Il doit juste aller parler à maman. Reste sage en attendant, d'accord, petit chat ? »
Il faillit rester lorsqu'il vit qu'Adrien tendait ses bras vers lui, mais il devait agir. Si ce que lui avait dit Adrien était vrai, les choses étaient allées trop loin.
La porte de leur chambre était fermée, mais le fil de lumière sous la porte lui indiquait qu'Émilie était toujours réveillée. Il entra sans frapper.
Sa femme était installée sur le lit, Aurore sur ses genoux, et lui lisait une histoire. Depuis la dernière fois qu'il l'avait vue, avant la naissance d'Adrien, l'enfant avait « grandi » et avait l'apparence d'un bambin de trois ans ordinaire. Lorsqu'elle leva les yeux vers lui, il découvrit qu'ils n'étaient plus verts, mais rosés, comme ceux du kwami. Et cette fois-ci, ils n'étaient plus vides et inexpressifs. En dehors de leur couleur, ils semblaient parfaitement humains.
Un chatoiement violacé attira son attention. Émilie portait le miraculous sur sa robe de chambre. Chaque seconde, le bijou semblait traversé d'un éclair rose. Il se rendit alors compte qu'elle n'était pas sous sa forme de super-héroïne.
Que se passait-il ? Comment pouvait-elle utiliser le pouvoir du miraculous sans s'être transformée au préalable ?
Il regarda Émilie dans les yeux, y vit de la surprise, de la peur, même de la culpabilité.
« Émilie… C'est quoi, tout ça ? »
Il luttait pour que sa voix sonne aussi calme que possible, mais il avait l'impression qu'il allait exploser d'une seconde à l'autre. Sa surprise initiale s'était muée en colère, qui ne demandait qu'à être exprimée.
Émilie poussa un long soupir.
« Aurore ? Tu peux aller dans la salle de bains, s'il-te-plaît ? J'arrive bientôt. »
L'enfant s'exécuta sans protester. Elle n'adressa même pas un regard à Gabriel. Il en fut soulagé.
Émilie se leva péniblement du lit. Gabriel ignorait si elle était à nouveau souffrante, ou si elle redoutait simplement leur confrontation, désormais inévitable. Elle était pâle, et ses mains tremblaient légèrement.
Il repensa à Adrien, à son visage maculé de larmes, à ses pleurs désespérés. Toute compassion qu'il avait pu avoir pour Émilie disparut.
« Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ? » lança-t-il, accusateur. C'était la première fois qu'il s'adressait à Émilie avec une telle froideur.
Elle n'osait pas le regarder dans les yeux. La lumière qui émanait du miraculous tremblota presque imperceptiblement.
« Qu'est-ce que ça veut dire quoi ? Tu veux dire lire des histoires à Aurore avant d'aller dormir ?
- Tu sais très bien de quoi je veux parler… Tu avais dit que tu arrêtais avec le miraculous après la naissance d'Adrien. On s'était mis d'accord de…
- On s'est jamais mis d'accord ! C'est toi qui m'as mis la pression jusqu'à ce que je te le promette, explosa-t-elle soudain. Alors que tu n'as jamais compris… Tu n'as jamais voulu comprendre l'étendue de ce pouvoir et de ce qu'il pouvait créer…
- Émilie, c'est pas…
- Grâce à ce pouvoir, j'ai pu la retrouver… Je l'avais perdue à cause de ta décision, mais grâce à ce pouvoir, j'ai pu retrouver ma fille et je…
- AU POINT D'OUBLIER NOTRE FILS ? »
Il avait renoncé à toute modération, à tout contrôle, à toute retenue. Il laissait désormais libre cours à sa colère. Malgré lui, il s'était rapproché d'Émilie, la bloquant contre la table de nuit. Elle lui tenait tête, mais il devinait que derrière son masque de défi, elle se sentait prise au piège. S'il devait complètement la briser pour lui faire entendre raison, alors qu'il en soit ainsi.
« Je l'ai trouvé dans son lit, en larmes. Il avait l'air de pleurer depuis des heures, DES HEURES ! Et visiblement, t'étais trop occupée par Aurore pour t'en rendre compte et aller le consoler ! Et s'il avait été malade, hein ? Et s'il avait été en train de s'étouffer ? T'aurais fait quoi ? Créé un monstre pour le remplacer ? C'est ta spécialité après t... »
Il entendit le claquement avant de sentir la douleur sur sa joue. C'était la première fois qu'elle le giflait. Il en eut le souffle coupé. Dans les yeux d'Émilie, il crut déceler un éclat violacé, en dehors de la colère.
« Je suis parfaitement capable de m'occuper des deux. Contrairement à toi, qui n'as d'yeux que pour Adrien…
- Parce que c'est NOTRE fils ! Et que je ne permettrai pas qu'il lui arrive malheur pendant que tu es occupée à poursuivre des chimères.
- Aurore n'est pas une chimère ! Elle est aussi réelle que toi, moi, ou Adrien ! »
Il commençait à perdre patience. C'était parti trop loin, il devait utiliser les grands moyens.
« Donne-moi le miraculous, fit-il d'une voix aussi autoritaire et calme que possible, en ouvrant la main devant lui. Tout de suite. »
Elle eut un mouvement de recul, manqua de peu de faire tomber la lampe de chevet, et posa sa main sur le miraculous dans un geste protecteur.
« Jamais. Il est à moi… Tu ne comprends pas son pouvoir.
- Donne-le-moi. Maintenant. Il est en train de détruire ta vie et ta santé. »
L'expression d'Émilie était indéchiffrable. Gabriel essayait de capter son regard pour l'encourager. Sa colère s'était aussi atténuée : il pouvait encore résoudre la situation avec calme et diplomatie.
« Non, murmura-t-elle enfin. Je peux pas. »
Gabriel poussa un soupir résigné. Il lui restait une carte en main, mais il aurait aimé ne jamais devoir la jouer.
« Très bien. Garde le miraculous, si tu y tiens tant. Mais je refuse de rester plus longtemps sous le même toit que cette… Aurore et toi. T'en fais pas, tu peux rester ici, je te laisse la maison et tout ce qui va avec. Je prends Adrien avec moi, je fais nos bagages, et demain matin, il n'y aura plus personne pour te déranger pendant que tu joues avec ta fille.
- Tu n'oserais pas ? lâcha-t-elle, horrifiée.
- C'est mieux pour tout le monde, non ? Adrien sera en sécurité, moi, je serai en paix, et toi, tu pourras profiter de tous les pouvoirs du miraculous en paix, comme ça. C'est bien ce que tu veux, non ? »
Enfin, après quelques secondes qui parurent une éternité, il la vit céder. Elle glissa ses doigts sous la broche, et après un dernier soupir, la décrocha de sa robe de chambre. Le bijou s'éteignit alors soudainement. Ils entendirent un sifflement résonner dans la salle de bain : le son qu'émettaient les créations du miraculous avant de disparaître.
Lorsqu'elle la tendit à Gabriel, il vit ses doigts trembler. Ses yeux verts s'embuèrent, et il la rattrapa in extremis lorsqu'elle lui tomba dans les bras. Elle fondit en larmes.
« Gab… Je suis désolée… Je sais pas ce qui m'a pris… Je… J'ai oublié… Adrien… Tellement désolée... » hoqueta-t-elle péniblement entre les sanglots.
Il la serra contre lui de toutes ses forces en lui chuchotant des mots rassurants à l'oreille. Elle se tenait à lui comme à une bouée de sauvetage, et tentait d'étouffer ses pleurs contre son torse.
C'était comme si le charme avait été levé au moment où elle avait enlevé le miraculous. Gabriel sentait le métal tiède du bijou dans sa main, et ne put réprimer un frisson. Il avait hâte de le ranger dans un tiroir et ne plus jamais le ressortir.
Lorsqu'Émilie lâcha légèrement sa prise, il en profita pour la repousser et l'attraper par les épaules.
« Allez, viens, je crois qu'on a fait attendre Adrien assez longtemps. On a du temps à rattraper. »
xxx
« À partir de ce moment-là, beaucoup de choses se sont arrangées. Mais la santé de ta mère est devenue encore plus fragile : elle tombait souvent malade, et les médecins n'arrivaient pas à en trouver la cause. J'étais persuadé que c'était lié à son utilisation du miraculous. J'ai donc repris mes recherches, et avec l'accès à Internet, j'ai enfin eu plus de succès. J'ai trouvé des traces de bijoux magiques au Tibet, je suis parti là-bas quelques semaines sous prétexte de recherches pour ma nouvelle collection, mais tous les indices que j'avais menaient à un temple détruit depuis longtemps. Toutefois, je ne suis pas revenu les mains vides : j'ai pu trouver un grimoire sur les pouvoirs des miraculous. C'est celui que tu as devant toi. »
Plongé dans les souvenirs de son père, Adrien avait complètement oublié l'ouvrage posé sur la table basse. Il se pencha en avant pour mieux voir les signes qui étaient gravés sur sa couverture. Maintenant qu'il savait de quoi il s'agissait, il reconnut quelques signes : le bœuf, le dragon, le cheval… Des signes du zodiaque chinois, et donc des miraculous.
« Tu peux le feuilleter, mais tu n'y comprendras sans doute pas grand-chose. J'ai passé des mois à en déchiffrer les pages, à la recherche de maladies liées aux miraculous, aux effets secondaires, aux risques encourus par les porteurs… Sans succès. Et pendant ce temps, l'état de ta mère continuait de s'aggraver. »
Adrien tira délicatement le grimoire vers lui et souleva la couverture. Comme il n'y avait pas de page de garde, il se retrouva avec un texte calligraphié en chinois ancien, bien différents de ceux qu'il pouvait voir dans ses livres d'apprentissage.
Son père ne lui laissa pas le temps de déchiffrer ne serait-ce que le premier idéogramme.
« J'ai dû chercher d'autres solutions. Plutôt que de me fier à la médecine traditionnelle, j'ai décidé de m'intéresser aux pouvoirs des miraculous. Je me disais que l'un d'entre eux pouvait peut-être soigner Émilie. Et c'est là que je suis tombé sur le chapitre concernant les miraculous de la Coccinelle et du Chat Noir, et leur pouvoir d'exaucer les vœux une fois combinés… Parmi toutes les pistes que j'ai étudiées, c'était celle qui paraissait la plus sûre et la plus efficace. »
Adrien comprit immédiatement où il voulait en venir. Il devait absolument le couper dans son élan.
« C'est pas aussi simple que ça… commenta-t-il précipitamment. C'est un pouvoir qui n'a encore jamais été utilisé, et il y a une bonne raison : pour chaque vœu, il y a un prix à payer, et les conséquences sont imprévisibles, même désastreuses. C'est d'ailleurs pour ça que Ladybug et Chat Noir les défendent autant face au Papillon… »
Il crut voir un éclat étrange passer dans les yeux de son père au moment où il prononçait cette dernière phrase. Mais l'attitude de Gabriel Agreste resta identique. Peut-être qu'il commençait à fatiguer et à voir des signes qui n'existaient pas ? Vu l'heure tardive, il n'y aurait rien eu de surprenant…
Son père le fixa longuement, au point de presque le mettre mal à l'aise. Puis il posa ses coudes sur ses genoux et se pencha vers lui.
« Adrien… Que serais-tu prêt à faire pour que ta mère revienne ? » lui demanda-t-il d'un ton solennel.
La question le prit au dépourvu. Il ignorait où son père voulait en venir.
La réponse était évidente : il était prêt à tout pour la retrouver. Il préféra toutefois donner une réponse modérée, par prudence.
« Euh… Je… Tout ce que je pourrais, j'imagine… Mais comme j'ignore ce qu'il lui est vraiment arrivé, je sais pas comment je pourrais m'y prendre… D'ailleurs, est-ce que… vous savez comment elle a disparu ? Est-ce que c'est lié au miraculous ? »
Gabriel parut hésiter. Il regarda à nouveau la photo qu'il tenait dans ses mains, amer, avant de la tendre à Adrien.
« Tiens, tu peux la reprendre. Tu sauras que l'enfant en photo, c'est Aurore. Tu étais encore trop jeune à l'époque… »
Adrien attrapa la photo et la contempla à nouveau. Il était vrai que tous les bambins se ressemblaient, mais il remarqua vite des différences avec son propre visage : un menton trop rond, un nez trop fin, des yeux trop écartés… Il s'agissait bien d'un autre enfant.
Sa grande sœur… Ou plutôt, une image de ce qui aurait pu être sa grande sœur.
Son père se leva soudainement.
« Viens, suis-moi. Je dois te montrer quelque chose. »
Adrien plia et rangea rapidement la photo dans sa poche, puis se leva à son tour. À sa grande surprise, Gabriel Agreste ne s'approcha pas de la porte du bureau, mais du portrait de sa mère. À nouveau, il appuya sur quelques points stratégiques. Cette fois-ci, au lieu d'un coffre-fort, ce fut une plateforme qui apparut sur le sol.
L'une des dalles, d'environ un mètre de diamètre, était descendue que quelques centimètres. Gabriel s'installa dessus et fit signe à Adrien d'approcher.
Il hésita. Il ne savait pas quel mécanisme se cachait derrière cette étrange dalle, et encore moins quelle était l'utilité d'un tel système secret et quel était le rapport avec toute l'histoire que lui avait raconté son père. Au fond de lui, il appréhendait ce qui allait suivre.
Le geste de son père devint plus insistant. Il n'avait pas vraiment le choix. Et il aurait été complètement idiot de renoncer maintenant alors qu'il était si proche d'obtenir toutes les réponses.
Et il s'agissait de son père, non ? Il lui faisait confiance, il ne lui arriverait rien de mal.
Il vint s'installer à côté de son père, droit comme un « i », le visage grave. À peine avait-il pris place que la plateforme se mit en mouvement vers le bas. Il retint son souffle, comme s'ils allaient plonger dans l'eau.
Le bureau disparut au-dessus de leurs têtes. Un tunnel noir apparut autour d'eux. Ou était-il en verre, descendaient-ils dans un espace complètement obscur ? Un faible faisceau lumineux se dégageait du pourtour de la dalle. Adrien comprit enfin qu'il s'agissait d'un ascenseur.
« Alors que je faisais des recherches sur la localisation des miraculous du Chat Noir et de la Coccinelle, l'état de ta mère a continué de se dégrader, reprit son père. Tu ne t'en rendais peut-être pas compte à l'époque, mais elle tombait de plus en plus malade, et même lorsqu'elle retrouvait des forces, elle ne guérissait jamais vraiment. Elle dormait aussi de plus en plus longtemps, de plus en plus profondément. Même si elle n'utilisait plus le miraculous, c'était comme s'il drainait son énergie constamment. Et puis un soir, elle s'est endormie et je n'ai plus réussi à la réveiller… »
Un frisson parcourut le dos d'Adrien. Il osait à peine respirer. La voix grave de son père, ses paroles dramatiques, le silence et l'obscurité ambiante… La confiance envers son père s'amenuisait à chaque mètre qu'ils parcouraient.
Soudain, la plateforme s'arrêta. Un cliquetis à quelques centimètres devant lui le fit sursauter. Et soudain, les lumières s'allumèrent.
Devant eux s'étendait une immense salle voûtée aux murs sombres, éclairée par des néons sur les côtés. Le plafond était plongé dans l'obscurité, tout comme le sol, étrangement absent. Une longue passerelle connectait l'ascenseur à une plateforme à l'autre bout de la salle. Une sorte de jardin se trouvait celle-ci, avec en son centre un étrange objet de forme oblongue. Le tout était trop loin pour qu'il puisse identifier des éléments précis.
Adrien leva les yeux vers son père.
« Avance, tu comprendras par toi-même, » fit-il d'une voix solennelle.
À nouveau, il hésita. Il avait l'impression d'être dans un rêve : pourquoi son père aurait-il un ascenseur menant à une grotte secrète sous leur maison ? Ça n'avait aucun sens ! Il allait forcément se réveiller et découvrir que toute cette histoire n'était que le fruit de son imagination.
Une force inconnue l'attirait vers le jardin. Qu'il s'agisse de l'autorité de son père, d'un charme mystérieux ou de sa propre curiosité, il savait qu'il ne pouvait y résister longtemps. D'un pas prudent, il s'engagea sur la passerelle. Son père resta dans l'ascenseur.
Les néons se reflétaient à quelques mètres sous ses pieds : il y avait de l'eau au fond de la salle. Des poutres métalliques et des tuyaux métalliques émergeaient de la surface par endroits. On aurait dit un égout futuriste, ou le système de filtrage d'une station spatiale. Pourtant, Adrien y prêta à peine attention : il était captivé par le jardin. Composé de dizaines de plantes différentes, il ressemblait à une oasis luxuriante au milieu d'un complexe industriel stérile. Des mouvements épars (et… blancs ?) témoignaient de la présence d'insectes ou d'autres animaux. L'objet posé au milieu de la végétation se précisa : il était en verre, long d'à peu près deux mètres, et penché de sorte à ce que toute personne qui s'approchait puisse bien voir son contenu.
Les reflets sur le verre l'empêchaient de voir clairement de quoi il s'agissait. Il avait cependant l'impression qu'il l'appelait, l'attirait vers lui, lui promettait de donner une réponse à toutes ses questions. Adrien était comme hypnotisé. Sans vraiment s'en rendre compte, il accéléra le pas. Plus que vingt mètres, quinze, dix, cinq…
Il s'arrêta.
Non, c'était impossible. Ça ne pouvait pas être…
Il parcourut les derniers mètres aussi vite qu'il pouvait.
L'étrange objet au centre du jardin était un cercueil, et dans celui-ci se trouvait…
« Maman, » lâcha-t-il en se figeant à quelques centimètres de la surface vitrée.
C'était elle. Aussi belle que le jour où elle avait disparu. Elle semblait dormir d'un sommeil paisible, vêtue de son costume favori. Il avait l'impression qu'elle allait se réveiller d'une seconde à l'autre.
Il n'en croyait pas ses yeux. Sa tête se mit à tourner, il eut le souffle court. Il l'avait enfin trouvée, après toutes ces années… Pendant tout ce temps, elle avait été si proche, alors qu'il s'était attendu à la retrouver à l'autre bout du monde.
Il l'avait enfin retrouvée, mais ses pires craintes s'étaient confirmées : il était trop tard, elle n'était plus de ce monde. Son corps était là, mais son âme était partie depuis longtemps.
Il fut pris de vertiges.
Non, il ne pouvait pas y croire. Elle paraissait trop vivante, trop présente, trop rayonnante, elle ne pouvait pas être morte !
Il posa ses mains contre la vitre. Peut-être que si elle sentait sa présence, elle se réveillerait. Il était sûr qu'elle pouvait l'entendre s'il lui parlait, le sentir s'il la touchait.
Il regarda autour de lui, à la recherche d'un mécanisme pour ouvrir le cercueil.
Un papillon traversa son champ de vision. Un papillon d'un blanc immaculé, dont les ailes reflétaient tant les néons qu'on aurait dit qu'il émettait lui-même de la lumière. Adrien en remarqua d'autres, cachés entre les feuilles, posés paresseusement sur des fleurs, accrochés à certaines branches.
Ces papillons étaient d'une espèce extrêmement rare, qu'il n'avait vu à Paris que dans un type de situation bien particulière : lorsque Ladybug purifiait les akumas…
Son cœur se serra. Toutes les révélations qu'il avait eues au cours de la soirée commencèrent à s'imbriquer les unes dans les autres, telles les pièces d'un puzzle qu'il essayait de résoudre depuis des années.
Il entendit des pas s'approcher derrière lui. Il déglutit, et se retourna.
Là où aurait dû se trouver son père se trouvait une toute autre personne, non moins familière. Une haute silhouette, un masque gris qui ne laissait entrevoir que des yeux gris et froids, un costume violet sombre, une canne au pommeau améthyste.
La Papillon, en chair et en os.
« Elle respirait toujours, mais ne se réveillait pas, malgré tout mes efforts, dit-il alors, reprenant le récit comme si de rien n'était. Il y avait donc encore un espoir de la sauver. J'ai fait aménager cet espace aussi vite que j'ai pu, pour la mettre en sécurité, et j'ai repris mes recherches avec encore plus d'ardeur… Et pour la première fois, elles ont été fructueuses : j'ai fini par tomber sur le miraculous du Papillon. »
Adrien ne voulait pas y croire, mais tout était trop cohérent pour être autre chose que la vérité. Il venait de voir son père se métamorphoser sous ses yeux.
Il recula d'un pas, butant contre le cercueil.
« Tu connais maintenant toute l'histoire. Et tu peux prendre une décision en toute connaissance de cause. »
Ses paumes se posèrent instinctivement sur le verre. Il était pris de vertiges.
« Comme moi, tu serais prêt à tout pour la retrouver, n'est-ce pas ?
Non… Oui… Non, absolument pas ! C'était le Papillon qu'il avait devant lui, l'homme qui terrorisait Paris depuis des années ! Il ne pouvait pas lui céder.
« Lorsque tu m'as dit que Ladybug était venue te rendre visite, je t'ai presque maudit d'avoir failli me faire repérer. Mais j'ai vite compris que tu m'avais servi une opportunité extraordinaire sur un plateau d'argent. »
Son estomac se serra. Il avait trop parlé…
« Si tu acceptes de m'aider, reprit-il d'une voix douce, nous pourrons nous emparer facilement du miraculous de Ladybug. Invite-la à venir encore une fois. En ta présence, elle relâchera sa garde. Tu pourras profiter de sa vulnérabilité et t'emparer de ses boucles d'oreilles. Je pourrai même te prêter des pouvoirs pour te faciliter la tâche. »
Le Papillon tendit la main devant lui. Un papillon s'y posa presque immédiatement. Adrien voulait prendre la fuite, mettre le plus de distance possible entre eux, mais ses jambes étaient de plomb.
« Je regrette de devoir te demander une telle chose, mais crois-moi, c'est la meilleure solution. Récupérer le miraculous de Chat Noir sera un jeu d'enfant avec le miraculous de Ladybug entre nos mains, et une fois les deux miraculous en notre possession, on pourra guérir Émilie et tout reprendre à zéro. Paris retrouvera enfin la paix, et nous serons à nouveau une famille. »
Adrien passa son pouce sur son annulaire droit. Son miraculous à lui était toujours là, et il lui semblait que son père ne l'avait pas remarqué. Visiblement, il ignorait qu'il était Chat Noir. C'était peut-être le seul avantage qu'il lui restait à ce moment-là.
Face à son silence, le Papillon reprit.
« Tu me l'as dit tout à l'heure : tu serais prêt à tout pour retrouver ta mère. Et nous sommes si près du but maintenant… »
L'espace d'un court instant, Adrien se laissa aller à la rêverie : sa mère en bonne santé de retour parmi eux, une vie de famille harmonieuse, un quotidien ordinaire sans double-vie…
Ce rêve était à portée de main, encore plus que ce que prétendait son père : puisqu'il était Chat noir, il pouvait simplement livrer son miraculous en même temps que celui de Ladybug, qu'il aurait obtenu après l'avoir trahie.
Son ongle buta contre l'anneau.
« Non, lâcha-t-il dans un souffle. Je peux pas. »
Il s'était laissé amadouer par les paroles de son père, mais il savait que s'il cédait à la tentation, il le regretterait toute sa vie.
Il regarda le Papillon droit dans les yeux, même s'il sentait des larmes perler au coin de ses yeux. Ses nerfs étaient sur le point de lâcher, mais s'il ne faisait pas preuve de force et de courage, tout serait perdu.
« Adrien ?
- Je peux pas. Jamais je pourrais le faire. Je refuse de coopérer avec vous. Jamais, » répéta-t-il avec plus de conviction.
L'expression enjôleuse de son père disparut. Le visage du Papillon se crispa. Il resserra alors sa main sur le papillon posé sur sa paume. Lorsqu'il la rouvrit, l'insecte avait pris une couleur violet sombre.
« Tu ne me laisses pas le choix… » fit-il d'une voix sinistre.
Il n'allait quand-même pas…
« Non-non-non, Père, attendez… Vous vous rendez pas compte, le vœu a toujours un prix, les conséquences vont être terribles, vous pouvez pas… »
Sa voix était geignarde, implorante, suppliante, tout le contraire du courage dont il voulait faire preuve.
L'akuma s'envola dans sa direction. Il n'avait plus le choix.
« PLAGG, TRANSFORME-MOI ! »
Pendant une seconde, le temps s'arrêta. Adrien tenait sa main droite devant lui, prêt à se transformer l'akuma flottait dans l'air, immobile le Papillon avait écarquillé les yeux.
Puis rien ne se passa.
Adrien comprit trop tard : Plagg était toujours dans sa chambre, bien trop loin pour entendre son porteur.
Ses genoux le lâchèrent : il tomba dans l'herbe. Il était perdu…
Il croisa le regard du Papillon. Pour la première moi, il semblait lui aussi déstabilisé.
« Chat Noir ? » souffla-t-il.
Il n'eut besoin d'aucune confirmation : ses yeux glissèrent sur l'anneau, avant de remonter vers le visage de son fils.
Un rictus satisfait se dessina alors sur ses lèvres.
« Voilà qui va nous faciliter les choses… »
L'akuma descendit vers lui et se posa sur la photo qui dépassait de sa poche. Un masque rouge apparut devant ses yeux.
« Adrien, je suis le Papillon, » murmura une voix familière dans sa tête.
Il sombra.
