Le bruit court. Le bruit court vite, galope, s'accélérant un peu plus à chaque pas. Il lézarde les murs comme un murmure à peine audible, il glisse de bouche en bouche, d'oreilles inattentives en haussement de sourcils. Il finit toujours par atteindre son but, s'époumoner et hurler au creux de tous ces crânes indiscrets, jusqu'à ce que ces têtes emplies de bruit se tournent imperceptiblement vers l'objet qui l'a créé.

Quelques heures après être sortie de la pièce où le tête à tête avec son Professeur avait eu lieu, Anya avait très vite senti une pesanteur particulière suivre ses pas, telle une présence hostile et omniprésente. Elle saisit peu à peu ce qui la dérangeait : c'étaient des regards indiscrets qui semblaient percer les murs et qui se détournaient immédiatement dès qu'elle levait les yeux. L'exaltation et frénésie provoquée par l'entrevue fut rapidement remplacé par une inconfortable sensation de malaise, tant ces yeux vissés à ses chevilles l'alourdissaient.

Elle n'était pas idiote, et même si le Pr Shelby avait mentionné la confidentialité du concours, elle compris vite que ce n'était pas tout à fait le cas. Ces regards étaient de toute évidence ceux de ses potentiels rivaux, ceux qui sans doute auraient mérité d'être à sa place. Anya, reconnaissant quelques visages, découvrait ce sentiment étrange d'être vue pour la première fois par une fange de Poudlard avec qui elle n'avait pas l'habitude de partager la même réalité ; c'étaient des Serpentards, des Sang Pur, des élèves de bonne famille.

Anya fut déstabilisée d'abord, puis de plus en plus effrayée. Une inquiétude sourde la gagna, tandis qu'elle comprenait peu à peu l'ampleur de l'offre que le Pr Shelby lui avait fait.

Toute la journée durant, ces regards plein de rancœur la suivirent. Pourtant, personne ne lui adressa la parole. Il semblait que le tabou était si grand et si précieux, qu'il était sans doute inadmissible de l'évoquer voix haute.

Le soir venu, Cho et Lauren bavardèrent comme à l'accoutumé durant le banquet, alors qu'Anya passa toute le repas les yeux vissés sur son plat, incapable d'avaler quoi que ce soit. Plus tard, les élèves se dissipèrent dans un capharnaüm insouciant, sans qu'un mot inhabituel ne soit prononcé. Le trajet jusqu'au dortoir des Serdaigle escortée par ses amies parut interminable, et à peine arrivé, Anya feignit la fatigue et se calfeutra dans sa chambre rapidement. Elle avait encore cette aura tangible et assassine collée à sa peau.

Dès le lendemain matin Anya décida de se faire encore plus discrète que d'habitude. Elle se faufila hors du dortoir à quelques minutes à peine de son premier cours, comptant sur son retard pour éviter le flux des élèves dans les couloirs. Elle emprunta un chemin moins fréquenté pour atteindre la première heure de classe, pressant le pas.

Absorbée dans ses pensées et dans sa hâte, elle ne le vit pas tout de suite.

Draco Malfoy, à l'autre bout du couloir, marchait d'un pas lent dans sa direction. Sang Pur de haute lignée, son visage fier et flegmatique ne trahissait aucune émotion.

Elle se raidit, vissa ses pupille au sol tandis que son cœur s'accélérait. Le couloir étai trop étroit pour qu'elle s'en éloigne, l'obligeant à croiser sa trajectoire de plein fouet, et tandis qu'elle s'approchait de lui, elle pria pour que, dans sa négligence habituelle pour les Moldus dans son genre, il ne la remarque pas. Il n'avait pas encore pris le soin de la regarder, et semblait muré dans une rêverie lointaine, une moue indéchiffrable flanquée sur son visage quand il fut arrivé à sa hauteur. Elle soupirait déjà de soulagement, quand soudain tout s'accéléra.

Il s'était détourné en une fraction de seconde, rapide et vif comme un serpent fendant sur sa proie. Il l'empoigna abruptement par le bras, et elle sentit une vive douleur la parcourir, puis la brutale collision de son dos et sa nuque contre le mur. Elle eut le souffle coupé instantanément par la violence de l'impact. Acculée, elle se recroquevilla et leva rapidement les yeux vers Malfoy qui dardait sur elle les siens d'un gris venimeux.

« Alors la Moldue, comme ça tu as été sélectionnée ? » siffla-t-il entre ses dents « Et tu oses afficher ton sale visage pour narguer les Pur Sang ? »

Elle se raidit, sentant une vive panique l'envahir. Son bras douloureusement collée contre sa poitrine, Draco était appuyé contre elle de toute sa force, l'empêchant de faire tout mouvement. Raidi par une colère sourde, il levait vers elle un visage déformé par une grimace terrible, la mâchoire imperceptiblement crispée ves l'avant, ses orbe grises à peine visibles derrière ses yeux plissés.

« Avec ton sang souillé tu penses vraiment avoir mérité cette place ? Laisse moi rire, qu'est ce que tu crois espèce de stupide petite catin ? »

Il vociférait, effrayant et imposant, des veines tortueuses se dessinant sur son front. Il serra un peu plus son emprise autour du bras d'Anya, et elle sentit la douleur remonter vivement jusqu'à son crâne, mais elle était incapable de se débattre. Ses cils papillonnèrent et elle gémit.

« Qu'est ce que tu as bien pu faire pour qu'on te concède cette faveur hein, dis moi ? » Il glissa son regard sur elle, l'évaluant de toute sa hauteur dans une moue de dégoût manifeste. Il approcha un peu plus son visage avant d'asséner. « Avec ta petite gueule immonde et ta dégaine de prostituée ! »

Anya devint livide, et ses yeux s'embuèrent. C'est quand elle sentit que ses jambes allaient se dérober, qu'elle entendit une voix familière résonner dans le couloir.

« Malfoy arrête ! Lâche la ! »

C'était un timbre de voix moins grave qu'elle ne l'aurait espéré, mais un vif soulagement l'envahit quand elle aperçut Neville s'avancer vers eux d'un pas rapide. D'un coup d'épaule vif il s'interposa entre eux et sépara Anya de l'étreinte de Malfoy. Celui ci recula de quelques pas tandis qu'Anya s'écarta du mur.

La stature de Neville n'était pas aussi menaçante que celle de Draco mais non moins imposante. Il se redressa de toute sa hauteur, faisant face à celui ci.

« Casse toi Malfoy ! » lança t il fermement.

Le blond dardait encore son regard sinistre sur la silhouette qui s'était réfugiée derrière le Gryffondor puis leva ses yeux emplis d'éclairs sur celui ci. Neville répéta un peu plus vigoureusement.

« Casse toi, avant de t'attirer plus d'ennuis ! »

Le blond les regarda quelques instants puis ses muscles se relâchèrent, comme si l'instant de fureur s'était dissipé. Il cracha par terre et tourna vivement des talons. Sa chevelure caractéristique disparut en quelques secondes dans le virage du couloir.

Neville se retourna vers la jeune fille encore tremblante derrière lui. Neville secoua la tête et soupira, avant de la prendre dans ses bras. Il la serra promptement et elle sentit la peur filer doucement, ses respirations erratiques ralentissant peu à peu. Il se dégagea et le regard qu'il lança sur elle était plein de sollicitude.

« Ça va Anya ? »

« Oui oui... » dit elle en s'ébrouant et en massant son occiput endolori. « Plus de peur que de mal.. »

Elle repositionna son chemisier correctement et releva la tête dans la direction où le blond avait disparu, ses yeux encore teintés d'une crainte sourde.

« Viens avec moi, je t'amène à l'infirmerie » dit Neville fermement.

Une trentaine de minutes après, Anya se retrouva assise sur un petit tabouret dans la grande pièce de l'infirmerie, où plusieurs dizaines de lit étaient alignés. Mme Pomfresh qui avait déjà examiné son crâne avec minutie.

« Un traumatisme crânien, bien que sans perte de connaissance, peut être violent, et nécessite une surveillance rapprochée. » avait dicté l'infirmière magicienne. « Vous resterez ici pour la matinée, Mademoiselle Nolein » finit elle d'une voix sans appel.

Neville, silencieux, la couvait d'un regard teinté d'inquiétude depuis déjà quelques minutes avant qu'Anya ne le rassure.

« Je vais bien, ne t'en fais pas Neville… C'est … Je suis encore un peu sous le choc, voilà tout. »

Celui ci soupira et secoua la tête avant de murmurer.

« J'aurais du venir te voir hier soir…. Je m'en veux, j'aurais dû venir. »

Elle leva les yeux vers lui.

« Pourquoi donc ? »

Il lui sourit tristement et poursuivit.

« Je te connais bien, j'ai bien vu que tu étais perturbée hier. J'étais à deux doigts de venir au dortoir Serdaigle… et puis je me suis dit que j'aurai le temps de t'en parler aujourd'hui. »

« Me parler de quoi ? » dit elle en feignant l'ignorance, surprise.

« Tu sais très bien de quoi. » répondit-il. Il leva les yeux sur elle, une mine sérieuse. « Tu es le sujet qui brûle sur toutes les lèvres, mais qu'aucune personne n'est assez téméraire l'évoquer … Sauf Malfoy bien sûr. »

Anya comprit immédiatement l'évidence. Neville venait d'une familles de Sang Pur, bien sur qu'il avait été informé de ce Concours. Sans doute toutes les familles, huppées ou non, l'étaient. Seuls les Moldus ou Sang mêlées baignaient dans l'ignorance, laissant les autres se débattre en silence.

« Je suis restée planté devant la porte de la salle commune pendant plus d'une heure, me demandant si je devais toquer.. Je n'étais pas sûr. »

Anya baissa les yeux.

« Eh bien maintenant tu sais » dit elle doucement.

« Alors tu es sélectionnée au Concours d'Excellence ? » demanda t il en esquissant un sourire « C'est une bonne nouvelle malgré tout ! »

« Non, pas vraiment ! » répondit elle vivement. « Il semblerait que je doive encore faire mes preuves. »

Neville dévoila ses dents blanches.

« C'est déjà un belle prouesse, félicitations ! »

Anya ne put s'empêcher d'esquisser un sourire timide.

« Bon, il est grand temps que quelqu'un t'explique correctement de quoi il s'agit. » commença le Gryffondor. Il prit une grande inspiration avant de continuer.

« Comme le Pr Shelby te l'a annoncé, chaque professeur de l'Ecole a le droit de choisir son élève, et ce avant un certaine date. Mais il a le loisir également d'en présélectionner plusieurs, le temps de mûrir sa réflexion, ce qui a été sans doute ton cas. Comme tu dois le deviner, les places sont très convoités, en particulier par les Pur Sang de grandes lignées pour qui ces places, dans leur esprit étriqué, leur sont dues. Tu connais la rengaine….«

Il lui jeta un coup d'œil, mais Anya restait coite, attentive.

« Ces gens là sont bercés depuis leur tendre enfance avec les rêves de grandeur de leur parents » poursuivit « Certains ambitionnent de faire parti des heureux élus dès leur entrée à Poudlard. C'est pas étonnant, vu comme une éventuelle réussite à ce concours peut rapporter gros… »

Il eut un silence, qu'Anya brisa avec désinvolture.

« J'ai cru comprendre que c'était en effet un sujet sensible, vu les regards assassins que j'ai reçu…» nota Anya d'une voix qu'elle voulait détachée. « Mais comment ont ils été au courant ? » demande t elle.

« Tu sais ce genre de choses là, personne n'en parle pas, mais toute le monde sait. » répondit il « Quand la personne est définitivement sélectionnée, elle reçoit une missive qu'elle doit signer pour accepter officiellement la candidature. Là dessus, la liste de ses rivaux déjà sélectionnés apparaît sur le parchemin et se dévoile. Il ne faut souvent pas plus de vingt quatre heures pour que les autres potentiels sélectionnés connaissent l'âge, la maison et la teinte de sang des futures recrues.. C'est une vraie obsession pour certains ! »

Elle grimaça, bien consciente qu'elle en avait fait le frais.

« Toi ce n'est pas vraiment pareil, les présélectionnés n'ont pas l'honneur d'être listés sur le parchemin. La rumeur a du se propager uniquement parce que la date butoir pour le choix approche et que cette entrevue avec le Professeur a du éveiller des soupçons sur ta sélection. »

« Je vois... Et toi, comment est tu au courant ? » s'enquit elle.« J'imagine que tu connais l'existence du Concours grâce de ta naissance, mais tu as l'air bien au fait, et tu n'es pas du genre à tendre l'oreille à ce type de commérage …»

Neville leva vers Anya des yeux mi inquiets mi espiègles, et hésita avant de répondre.

« Disons que je ferai partie de tes rivaux... si tu es sélectionnée bien sûr ! » finit il par lancer avec un clin d'œil.

Les yeux d'Anya s'arrondirent tandis qu'il poursuivit.

« Ça fait quelques semaines déjà que nous sommes aux aguets quand aux choix du Pr Shelby. Hier soir quand j'ai vu les regards pesants que les autres sélectionnés te laçaient pendant le banquet, je me suis douté de quelque chose ! »

Anya le regarda avec stupeur et admiration.

« Neville, félicitations ! »

« N'en fais pas toute une histoire... » répondit il en s'empourprant. « Je ne sais pas vraiment par quel prodige j'ai été choisi, vu le désastre qu'est ma scolarité ! »

« Ne dis pas de bêtises, tu es l'un des sorciers les plus intelligent que je connaisse ! »

Neville s'esclaffa.

« C'est parce que tu ne connais pas beaucoup de sorciers, l'asociale ! »

Elle leva les yeux au ciel et balaya d'une main la remarque de son ami.

« J'imagine que dois connaître le nom de tes autres rivaux alors. »

« Oui, et comme tu les vois, Malfoy n'en fait pas partie. »

Anya cilla à l'évocation du Serpentard, encore décontenancée par l'évènement de la matinée. La douleur de son crâne revint, lancinante et elle plissa les paupières.

« Tu sais, c'était la dernière année à laquelle aurait pu prétendre à cette place. » poursuivit le jeune homme, sans remarquer le malaise de son amie. « Il est hors de lui, blessé dans son égo et sans doute terrifié par l'idée que ses parents l'apprennent, sachant comment la Famille Malfoy est sévère dès qu'il s'agit de la réputation de la lignée.. Il avait toutes ses chances avec Rogue, mais ses flatteries n'ont pas eu l'air de fonctionner sur le Pr Shelby... »

Il esquissa un maigre sourire avant se rembrunir en voyant la brune raidie et silencieuse à ses côtés.

« Anya, il va falloir que tu fasses profil bas les prochains jours.. »

Il la regarda, soucieux.

« Tu sais ce n'est pas très réglementaire la façon dont le Professeur a procédé... Toi et les autres pré sélectionnés vous auriez du recevoir une missive aussi, qui ne comporte pas les nom mais qui assure une certaine protection magique.. C'est un enchantement qui prévient immédiatement la direction de toute interaction sociale belliqueuse dont le pré sélectionné est victime. Brutaliser les concurrents du Concours d'Excellence est considéré comme une tricherie suprême, et ceux qui sont assez fous pour trangresser cette interdiction sont affublé de punitions conséquentes. »

Il soupira.

« Mais cette protection tu ne l'as pas, car ta pré sélection est officieuse, comme celle des autres pré sélectionnés. Mais eux, selon les rumeurs, sont vraisemblablement des Pur Sang… Ils bénéficient d'une traitement tout autre. »

Le cœur d'Anya se serra. Elle se sentit soudain si seule et désemparée, comme le premier jour où elle avait frôlé les marches du château. Ingénue, intruse, insignifiante, plongée dans un univers inconnu et terrifiant, empli de créatures et de règles tacites. Sa magie balbutiante comme ses paroles, elle avait eu une chance inconcevable de croiser le chemin de Neville. Il lui avait appris les codes, puis elle avait rencontré peu à peu des filles de sa Maison, et elle avait fait comme si. Comme si elle savait, comme si elle appartenait à ce monde là. Elle avait étudié d'arrache-pied, développé sa magie, appris à ne faire qu'un avec elle. Mais même si elle se répétait nuit et jour qu'elle méritait sa place ici comme tout autre, sa détermination était chancelante.

Elle était perdue dans ses pensées quand Neville l'interpella.

« Enfin, pour te dire franchement Anya, ce Professeur Shelby ne m'inspire pas du tout confiance... Te donner en pâture aux autres ainsi est vraiment sans précédent et complètement imprudent ! Quelque chose ne tourne pas rond.. »

Il lança vers elle un regard implorant.

« Je t'en supplie, Anya, garde tes distances autant que tu peux. »

Elle hocha la tête, sachant pertinemment que même si sa raison lui intimait le contraire, elle ne pourrait pas tenir cette promesse là.


Tommy était fatigué.

Depuis la veille, il était agité ; le souvenir brûlant d'Anya encore imprimé sur ses lèvres il avait été incapable de dormir. Il avait erré dans les couloirs, meurtri par un sourd désir. Agacé par la fraîcheur de ses draps qu'aucun souvenir de ses anciennes conquêtes ne semblait réchauffer, il avait passé une nuit blanche rude, fixant les pierres glaciales de sa chambre à la recherche de fantômes. Si cette élève le troublait déjà avant, ce soir là il était si transi de désir qu'il avait contemplé l'idée d'explorer ce qui se cachait sous son corsage, imaginant ses traits angéliques se tordre en une moue lascive.

Il avait fermé les yeux et avait secoué sa tête, chassant à regrets cette agréable vision de son esprit. Il était inenvisageable d'assouvir ce convoitise là, il ne pouvait se permettre de compromettre sa position dans l'établissement. Mais que faire alors de ce désir inextinguible ? L'absence de prostituées dans l'enceinte du château lui était souvent pesante, et il s'était déjà aventuré plusieurs fois hors du château pour apaiser sa soif carnassière dans un établissement confidentiel de Pré-au-Lard, mais il devinait que ce soir, le goût d'un autre parfum que celui de la jeune fille l'aurait révulsé.

Il n'y avait alors aucune drogue ou alcool pour apaiser ces humeurs là, et après des longues heures d'agonie, il décida de mettre fin à son supplice aux aurores. Après avoir revêtu son costume trois pièce habituel, il avait rejoint son bureau dès les premières lueurs pour se lancer tête baissé dans son travail. Quand le soleil matinal fut assez haut pour que les va et viens des élèves se fusse entendre, ses trait tirés étaient déjà emprunt d'une rare hostilité.

Tommy était fatigué. L'incident qui lui avait été raconté dans la matinée n'avait rien arrangé à son humeur funeste. Il le lui avait été rapporté presque immédiatement, et c'était un euphémisme de dire qu'il avait été très insatisfait. L'idée même que Draco Malfoy ait pu poser ses mains sur Anya l'avait profondément mortifié. Le récit qu'on lui avait fait était peu précis, mais assez pour qu'il saisisse la violence de l'altercation. Il avait fulminé intérieurement avant de licencier son sbire d'un geste sec. Il n'avait pas attendu que la porte se referme pour sortir sa bouteille de whisky et de se servir un verre afin de calmer la colère qu'il sentait monter en lui.

La présélection d'Anya lui était apparu comme une évidence, et dès que cette idée eut émergé dans son crâne il eut presse de la concrétiser. Tout jouait en sa faveur : elle indéniablement intelligente, mais aussi façonnable à souhait, de l'argile pure et délicate dont il était capable d'en maléer le moindre contours. Mais dans son avidité à s'atteler au plus vite au façonnement de sa stratégie, il avait été imprudent. Il s'était précipité, et s'il savait qu'il avait l'attention toute entière d'Anya, le reste du monde n'était pas encore sous son emprise. La situation prenait une tournure qu'il n'avait pas envisagé, mais les dés étaient maintenant lancés, et comme à la guerre, Tommy analysait minute par minute entremêlements des lignes qu'il avait dessiné, aux aguets.

Tommy était fatigué, et le regard assassin que lançait la Professeur de Métamorphe assise de l'autre coté du bureau n'arrangeait pas les choses. Quand elle s'était annoncée à la porte de son bureau personnel, il avait immédiatement deviné la raison de sa venue. Il savait qu'il ne s'était pas attiré les faveur de Pr McGonagall et n'était pas étonné qu'elle ne loupe pas l'occasion de le réprimander une fois de plus. Il l'avait fait entrer avec un sourire affable et s'était installé à son fauteuil.

Avant même qu'elle ne prononce un mot, son intuition se confirma. Nolein était le seul mot qui résonnait comme une litanie amère dans l'esprit de la sorcière assise en face de lui.

« Monsieur Shelby, je me suis permise de venir vous voir au sujet de vos élèves présélectionnés » dit elle avec un air austère.

Il lui rendit son regard sévère, et haussa les sourcils avant de répondre.

« Eh bien ? »

« Vous avez agi d'une façon très peu protocolaire, et de ce fait mis ces étudiants en danger. Vous devez comprendre qu'ils sont la cible d'attaques physiques comme psychologiques dès que leur statut est appris, d'où la mise en place des missives pour éviter cela. »

Les derniers mots avaient été martelés avec un peu plus de force et d'animosité, et Thomas se renfrogna sensiblement, agacé.

« Pourquoi avoir procédé de cette façon là ? » poursuivit la sorcière. « Si vous aviez peur que vos élèves non initiés à la notion du Concours n'en saisissent les subtilités, il vous suffisait d'organiser un rendez vous à la suite de la réception de la lettre, ou d'y adjoindre une note explicative. »

Thomas soupira intérieurement. Oui, il aurait très bien pu suivre le protocole, envoyer cette foutue lettre par chouette interposées, mais il ne l'avait tout simplement pas voulu. Il avait sciemment provoqué ce tête à tête, cette embuscade pour des raisons qui dépassaient toute stratégie logique et calculatrice. Il avait agi sous une intuition, cédant à son envie grandissante et inextinguible de pénétrer le mystère de cette jeune Serdaigle, affamée par l'idée de ressentir aussi vivement qu'elle les sensations qu'elle produisait. Il n'aurait pour rien au monde laissé échapper cette occasion d'assister à la déroute d'Anya, car ce doute, cette surprise, cette peur et cette excitation, ce flot d'émotions erratique, il avait passé la moitié de sa propre vie à les étouffer. Il les revivait à nouveau à travers elle, et il s'en délectait.

Thomas se redressa, appuyant ses deux coudes sur la table et croisant les doigts.

« Les lettres ont été envoyé ce matin même, Pr Mc Gonagall. Ils les recevront tous d'ici demain. »

La sorcière fronça les sourcils avec une moue irritée.

« Ce n'est pas de tous vos présélectionnés dont je m'inquiète Pr Shelby, et vous le savez très bien. C'est Mademoiselle Nolein, la seule qui n'est pas de naissance magique, qui va cristalliser toute l'animosité de ceux qui souhaitaient participer au concours. Agissant de la sorte vous l'avez mis dans une situation très délicate…»

Tommy agita la main d'un geste désinvolte, coupant court au laïus de l'enseignante.

« Ce qui est fait est fait, Professeure. Les missives sont en chemin, ne revenons pas sur ce que nous ne pouvons changer. »

Pr McGonagall le regarda d'un air méfiant. Elle pinça ses lèvres avant de reprendre lentement, d'une voix grave qui cachait peine sa colère.

« Professeur Shelby, je me suis renseignée sur votre compte.» commença t elle. « J'ai pris connaissance de votre comportement dans le monde des Moldus, et je m'étonne que le Pr Dumbledore vous ait autorisé à pénétrer dans ces lieux. Vos agissement là bas me font douter de la bienveillance que vous portez à cette élève. Aucune des personnes dont vous vous entourez ne sont choisies aux hasard et je me demande pourquoi l'avoir sélectionnée…»

Parce que je sais lire dans son crâne et que je sais qu'aucun autre élève ne l'égale. Vous êtes simplement incapables de le voir.

« … La sélection d'un meilleur candidat, plus expérimenté et appartenant à votre ancienne Maison aurait été plus conforme, et moins dangereux. »

Thomas regarda sa collègue longuement. Ses traits s'étaient figés, sa mâchoire serrée. Si un regard pouvait transpercer la chair, celui là l'aurait ébréchée profondément.

La sorcière se repositionna sur sa chaise, inconfortable, non habituée à être dévisagée ainsi.

Quelle arrogance ! entendit il sa voix féminine grincer dans l'air.

Quelle arrogance, Minerva, en effet. De venir dans mon bureau discuter mes choix, et sous estimer mon élève. Quelle arrogance de la part d'une sorcière prônant l'égalité mais incapable de voir les choses autrement que par le prisme du sang, de la maison, de la réputation.

Ces mêmes schéma de pensée qui ont rendu si fastidieuse son ascension sociale dans le monde Moldu, Thomas le retrouvait à l'identique dans ce monde ci. L'autre n'oublie jamais de quel coté du monde on a poussé son premier cri, et qu'il soit bien ou malveillant, il en prendra toujours compte. Ce que McGonagall n'arrivait à reconnaître, aveuglé par ses propres principes, c'est qu'Anya avait cette sensibilité inavoué de certains nées moldus, réprimée et cachée mais présente jusqu'à la façon dont elle tenait sa baguette. Elle n'était pas une simple élève, elle était un talent pur et insondé, occulte aux yeux de tous, sauf aux siens.

Quelle arrogance. Ses yeux scintillèrent de rage dans l'obscurité.

« Bien sur qu'elle n'a pas été mon premier choix, Minerva. » sa voix était descendue d'une octave, gutturale et hostile. « Mais tous les meilleurs élèves ont déjà été sélectionnés. Auriez vous voulu que je me contente de ne choisir personne ? »

La sorcière s'empourpra de colère à l'évocation de son prénom dénué de titre, et le fusilla du regard, mais celui ci trahissait une pointe de surprise et de crainte.

Thomas avait vu juste. Pr McGonagall et d'autres enseignants avaient sans doute considéré qu'il n'aurait le temps de choisir son élève pour le Concours, laissant ainsi le champ libre. Mais l'homme d'affaire qu'il était n'aurait jamais laissé passer une opportunité si grande. Il savait, lui aussi. Il savait qu'il n'y avait pas que l'élève qui se voyait récompensé par le Ministre de la Magie, mais le maître lui même. Un entretien seul à seul, en huit clos, et se voir gratifié d'un traitement spécial. C'était sans doute insupportable pour bien des sorciers, McGonagall y compris, qu'un homme de son espèce, frôle de trop près leur sacro sainte magie.

L'enseignante s'agita sur sa chaise et se racla la gorge avant d'éluder la question.

« Mr Shelby. » reprit elle d'un ton ferme. « A l'avenir ne mettez pas en péril mes élèves, c'est tout ce que je vous demande. »

« A l'avenir, ne remettez pas en question mes choix. » répondit il aussitôt, d'une voix lugubre.

Il est effrayant.

La sorcière resta coite, mais le regard qu'elle avait levé vers lui était sincèrement emprunt d'appréhension. La voix de Tommy se fit plus suave quand il poursuivit.

« Et si je conçois votre ressentiment envers moi, sachez que je me sens autant responsable d'eux que vous. Je m'occuperai de la surveillance de Mlle Nolein le temps que les lettres arrivent, et je compte sur vous de votre coté de punir comme il se doit l'auteur des faits. »

Minerva McGonagall acquiesça silencieusement, puis se leva. Elle inclina légèrement sa tête avant de tourner les talons et quitter le bureau, laissant Thomas pensif.

La nuit blanche de la veille et le whisky de la matinée commençaient à faire poindre une migraine terrible. Il se massa l'arrête du nez, fit craquer ses cervicales endolories et soupira. Il regarda sa montre à gousset, qui annonçait que la fin d'après midi approchait dangereusement. Il était incapable de se concentrer une minute de plus tant la fatigue battait douloureusement à ses tempes.

Puisqu'il ne pouvait s'atteler efficacement à ses dossiers, il avait du temps libre pour une tâche plus secondaire. Il se leva promptement et réajusta sa veste avant de sortir de son bureau d'un pas décidé.

Tommy marcha longuement avant de la retrouver.

Il avait commencé par la cour, où il savait qu'elle avait l'habitude de s'y reposer entre les heures de classe, puis déambula près des salles où son ami Mr Longbottom avait souvent cours. Il se surpris à connaître avec quasi exactitude les déplacements d'Anya, tant il l'avait observée, ou du moins sentie dans ces lieux là. Sa présence semblait planer encore dans les couloirs, et il se laisse porter par son parfum presque indistinct.

C'est dans la bibliothèque qu'il la retrouva. Il ne l'aperçut pas tout de suite dans l'ambiance feutrée de la grande salle, tant les lampes tamisées déformaient les traits des quelques élèves attablés. Ce fut son parfum l'indice le plus probant de sa présence : elle était là, il en eut la certitude. Il retint son souffle et aiguisa ses sens, attendant de percevoir ses pensées flotter dans la nasse. Il l'entendit avant de l'apercevoir, assise dans un des box au fond de la bibliothèque, entourée d'une myriade de bouquins. Elle psalmodiait un refrain familier sur les créatures magiques, d'une voix dont Thomas connaissait le timbre diaphane par cœur. Il se fit discret, faisant un détour pour se placer dans une des rangées où les livres s'amoncelaient dans les rayons par milliers. Elle était juste derrière, un écart entre deux volumes lui permettaient de l'apercevoir.

A l'abri des regards et à une bonne quinzaine de mètres, il pouvait l'observer sans danger. Les sourcils froncés et un air concentré emprunt sur son visage, elle était penchée sur un gros bouquin et griffonnait sur son parchemin des calligraphies indistinctes.

Il se faisait tard, et peu d'élèves marchaient encore entre les étagères. Thomas s'adossa et sortit une cigarette qu'il alluma. Il ferma les yeux, et vida lentement son esprit, se concentrant sur ce parfum. Il y avait les bavardages de ses congénères, mais il réussit rapidement à les chasser de son esprit, se concentrant sur les quelques phrases qu'Anya faisait éclore, si distinctes et fortes au dessus du grésillement des autres. Elles résonnaient, apaisantes et feutrées, formant une mélopée studieuse. Il porta sa cigarette à sa bouche et inspira longuement, se laissant emporter par la mélodie qu'elle créait, oubliant le whisky et la migraine.

Puis Tommy ne l'entendit plus. Surprit par la brusque interruption, il rouvrit les yeux. Plus de paroles, mais son odeur et sa chaleur étaient toujours là. Il s'approcha du trou entre les livres.

Elle était encore à sa table, mais avait le buste doucement allongé sur celle ci, et sa tête reposait sur ses coudes croisés. Elle s'était assouplie.

Il sortit de sa cachette, observant les alentours. La bibliothèque s'était entièrement vidée, et le cliquetis de l'horloge était la seule chose qui semblait interrompre le calme de la pièce.

Il s'approcha du box où était installée Anya, s'avançant prudemment.

Elle dormait profondément, ses longs cheveux bruns étalés en couronne autour de son petit crâne. Ils recouvraient presque entièrement son visage, d'où ne dépassaient plus que son minois docile. Il senti son parfum enivrant en omniprésent lui emplir les papilles. L'empreinte de son faux baiser revint, lancinante, et Thomas retint un grognement. Elle semblait si facile de la porter, il aurait pu l'enlever de sa léthargie scolaire, pour l'emmener loin de l'austérité de ces murs et l'engloutir dans une toute autre transe.

Il était maintenant à peine une trentaine de centimètres d'elle. La peau du cou d'Anya était soulevée par les pulsations lente de sa carotide, laissant deviner un sang tumultueux et chaud. Son buste se soulevait par intermittence, au rythme de sa respiration. Thomas déglutit, la bouche asséchée. Il aurait tant voulu s'emplir de ce souffle.

Elle rêvait. Et son rêve était doux et agité, il le devinait si distinctement qu'il frissonna.

Il approcha sa main comme pour frôler la peau de son cou offert. Le saisir, le serrer, y imposer son empreinte profondément, pour soulever son visage à lui. La posséder, comme il les possédait toutes, sans aucune retenue, de tout son saoul. La faire vibrer au rythme de ses vibrations, la faire jouir au rythme de son désir, son désir à lui, égoïste et absolu.

Le souffle court, il laissa sa main en suspens, à la naissance de sa nuque, la pulpe de ses doigts frémissant à l'appel de la chair.

Mais il se retint. D'un mouvement lent, il éloigna sa main, avant de l'enfoncer dans sa poche, les phalanges blanchies par son poing refermé.

Thomas Shelby tourna des talons, puis reparti, d'un pas lent vers sa prochaine nuit blanche.