Luciana était perdue. Les paroles du duc Orlando ne cessaient pas de la tourmenter. Elle était telle une pile électrique, tel un lion en cage. Le duc ne lui laissait que deux options... Et ni l'une ni l'autre ne plaisait à la jeune femme. Il lui semblait impensable d'abandonner son statut de princesse et de laisser son peuple aux mains du duc. D'un autre côté, elle n'avait pas assez d'influence pour espérer sauver Ariana... Et le duc avait visé juste... Luciana était attachée à celle qu'elle avait toujours pris pour sa mère. Ariana, quoi qu'on est dise, était celle qui l'avait élevée. Et, à ce titre, Luciana la considérerait toujours comme sa mère. Ariana aurait toujours cette place à ses yeux. Luciana ne se souciait pas tellement que le royaume apprenne qu'elle n'était pas l'enfant biologique d'Ariana et du défunt roi. Bien entendu, elle était fortement chamboulée par ces révélations mais cela ne rentrait pas en ligne de compte dans son dilemme autour de la couronne. En revanche, elle avait bien compris que le peuple était rangé derrière le duc. Si elle devenait reine et que ses origines étaient dévoilées, les nobles et le peuple se rangeraient d'autant plus derrière le duc, la prenant comme lui, pour une usurpatrice. Le doute s'installa en elle. Était-elle réellement une usurpatrice du pouvoir ? En tout cas, elle représentait une menace pour l'accession au pouvoir du duc Orlando. La princesse savait bien qu'il ne bluffait pas quand il l'avait menacé. Il ne reculerait devant rien pour la détruire si elle se mettait en travers de sa route. Était-elle assez forte pour lui tenir tête ? En étant pleinement réaliste, Luciana savait bien que non. Elle n'avait ni les moyens ni la rage pour s'opposer à un tel adversaire. Depuis les dernières semaines, sa vie tournait au cauchemar et elle avait l'impression que cela s'empirait d'heure en heure. Toutes ses convictions et ses repères tombaient un à un. Luciana chercha alors une troisième option. Il devait bien exister une autre alternative. Il lui fallait simplement la trouver.
Luciana ne comptait pas attendre la nuit tombée pour chercher une solution. Il lui fallait agir. Et elle n'avait que peu de temps, une journée pour être précis. La jeune femme chercha dans ses vêtements la robe la plus modeste qu'elle put trouver. Luciana se changea avant de se rendre sur son balcon en prenant soin de prendre aussi une cape pour camoufler son visage. Elle n'était qu'au premier étage et la hauteur par rapport au sol n'était pas si élevée. Luciana pouvait descendre en montant sur la branche d'un arbre juste à côté d'elle. C'était une chose simple à dire mais difficile à réaliser pour la jeune femme. Elle n'avait jamais chahuté dans les arbres. Luciana eut alors une pensée pour Ro. Cette dernière aurait parfaitement su se débrouiller. Ro avait dû grimper des centaines de fois dans les arbres. En essayant de garder des pensées positives, la princesse tenta de se persuader que si Ro en était capable alors elle aussi.
La robe portée par Luciana n'était pas faite pour pratiquer un tel exercice. Les souliers aux pieds de la princesse n'étaient pas non plus les plus adaptés. Mais Luciana devait s'en contenter. Après avoir pris une longue inspiration et vérifier qu'aucun garde n'était dans les parages, elle s'élança. Luciana ignora de son mieux les tremblements de ses bras et de ses jambes. Son cœur battait plus fort aussi sous l'effet d'une poussée d'adrénaline. Elle se cramponna fermement à la grosse branche de l'arbre. La princesse était terrifiée à l'idée de tomber. Et ce n'était certainement pas le moment de se blesser. Après un temps infiniment long, Luciana atteignit enfin le sol. Il n'aurait fallu que quelques secondes à Ro pour effectuer la descente de l'arbre. Cependant, Luciana, elle, avait eu besoin d'une bonne quinzaine de minutes. Elle estimait avoir eu de la chance qu'aucun garde ne passe par là pendant tout ce temps.
L'adrénaline retomba lorsque les pieds de Luciana touchèrent de nouveau la terre ferme. L'aventure n'était pas faite pour elle. La jeune femme prit quelques secondes pour se remettre de ses émotions et être certaine de bien tenir sur ses jambes. Luciana devait maintenant trouver Julio.
La princesse arpentait, incognito, les jardins du château. C'était bien sympathique de vouloir trouver Julio... Mais encore faudrait-il qu'elle sache où chercher ! Julio était venu la voir pendant son tour de garde, un soir. En toute logique, son service devait se trouver plutôt le soir. A cette heure-ci, il ne devait pas être en patrouille. Luciana se dirigea alors vers les quartiers où les gardes passaient la plupart de leur temps. Quand ils n'étaient pas en train de patrouiller, en général, on pouvait les retrouver à s'entraîner au combat. Ou alors, ils n'étaient tout bonnement pas dans l'enceinte du château. Luciana espéra ne pas avoir à faire à la seconde option.
La jeune femme connaissait le château et ses alentours par cœur. Elle les avait arpenté un nombre incalculable de fois. Ce fut donc sans aucun soucis qu'elle trouva son chemin jusqu'à la cours où les gardes avaient pour habitude de traîner ou de s'entraîner.
Une fois arrivée, Luciana ne tarda pas à repérer Julio en pleine conversation avec un garde, dos à elle. Elle devait attirer son attention. Il fallait qu'il la remarque. Elle leva la main en espérant qu'il comprendrait que le geste lui était adressé. Voyant quelqu'un bouger en arrière plan de son champ de vision, Julio jeta un rapide coup d'oeil en direction de Luciana. Il fronça les sourcils sans pour autant stopper sa conversation avec son interlocuteur. Toutefois, le jeune homme écourta cette dernière. Luciana était sûre d'avoir réussi à capter son attention. Dès qu'elle remarqua que Julio ne parlait plus avec l'autre garde, elle se mit en marche pour aller dans les jardins du château. Elle s'arrêta dans un coin assez discret pour pouvoir parler à Julio mais l'endroit était assez bien choisi pour ne pas paraître suspect ou laisser entendre à un rendez-vous galant. Luciana tenait à garder la sécurité de Julio et il avait clair : il ne devait pas se faire remarquer.
Luciana attendit quelques minutes. Julio la rejoignit. Il la regarda des pieds à la tête, étonné de l'accoutrement qu'elle portait.
« Il va vous falloir une bonne explication, princesse.
Visiblement, il se sentait dérangé et cela ne lui plaisait pas du tout.
-C'est important. »
Luciana prit une grande inspiration avant de se lancer dans son récit. Elle expliqua à Julio toutes les menaces que le duc Orlando avait proféré à son égard. Au fur et à mesure du récit de la princesse, les sourcils de Julio se froncèrent de plus en plus. Un silence de plusieurs secondes s'installa lorsque Luciana se tut. Julio était en pleine réflexion. Quelle était la meilleure des solutions ?
Sur le navire, quand il faisait semblant d'être un marin, il avait entendu parler du duc Orlando. L'équipage avait l'air de le respecter autant que de le craindre. En tant que garde, il avait vite saisi que le duc avait pris ses aises à la tête du royaume durant les dernières semaines. Julio avait compris que le duc n'apprécierait pas de couronner Luciana. Toutefois, il ne s'était pas attendu à ces menaces. Le jeune homme grinça des dents. Il aurait dû prévoir plus de possibilités. Si les origines de Luciana étaient révélées, le duc n'aurait aucun mal à réussir à manipuler le peuple pour s'attirer ses faveurs. De plus, même en abdiquant, la sécurité de Luciana n'était pas assurée. Elle devait accorder sa confiance en la parole d'un homme qui la voyait comme une menace potentielle à son accession au pouvoir. Or, tant qu'elle serait dans les environs de la cours, Luciana représenterait toujours une menace potentielle au règne du duc Orlando. Est-ce que Luciana avait conscience de cela ? Au vue de la gravité peinte sur le visage de la jeune femme, Julio en déduisit que oui. Bien sûr, Luciana avait dû arriver aux mêmes conclusions que lui. La princesse ne semblait pas être une combattante. Elle avait de la sagesse mais son esprit n'était pas combatif et elle n'était pas prête à user de manipulation et de fourberie pour prendre le pouvoir et évincer le duc Orlando alors que ce dernier ne reculerait devant rien. En étant raisonnable et en cherchant à protéger au mieux sa vie, la meilleure option de Luciana était de céder le trône au duc et de disparaître avant que celui-ci ne tente quoique ce soit pour supprimer définitivement la menace qu'elle représentait. Cette solution passerait pour de lâcheté. Julio le savait bien. Et sans doute que cela en était. Pouvait-il trouver une autre solution ? Julio constatait bien que son interlocutrice voulait rajouter quelqu chose. Toutefois, elle hésitait.
« Parlez.
Quoiqu'elle ait à dire, Julio ne la jugerait pas. Luciana parut hésiter encore quelques secondes avant d'enfin se décider à prendre la parole :
-Je dois parler à... Ariana. »
Le jeune homme ne fit aucun commentaire dans un premier temps. Il analysait si l'idée était bonne ou mauvaise. La dernière rencontre entre la mère et la fille avait été une catastrophe. Toutefois, il devait reconnaître qu'Ariana avait dû être une femme pleine de ressources. Elle avait su garder la tutelle du pouvoir durant quasiment une vingtaine d'année. Le duc avait probablement cherché à s'emparer de la couronne mais il avait dû attendre l'éloignement d'Ariana pour arriver à ses fins. Les plans tragiques de l'ancienne reine lui avaient rendu la tâche plus simple. Comment Ariana avait-elle réussi l'exploit de garder ce rapace loin du pouvoir tant d'années ? Elle était la seule à avoir les réponses.
« Tiendrez-vous le coup ? demanda-t-il.
-Je l'espère.
Julio secoua la tête en affichant un sourire en coin. Ariana ne reconnaîtrait sans doute pas le marin qui avait accompagné Luciana. Il n'avait été qu'un détail insignifiant mais il avait été le seul spectateur de la scène de leur rencontre sur le bateau. Il espérait que le scénario n'allait pas se reproduire concernant la réaction de Luciana.
-Allons-y dès à présent, princesse. Le temps joue contre nous. »
Et le temps risquait de rapidement leur manquer. Par chance, Julio savait parfaitement où trouver l'ancienne reine. En tant que garde, il avait pu récolter cette information assez facilement. Le jeune homme ouvrit la voie pour se rendre vers les cachots du château. Il demanda à Luciana de l'attendre, cachée, en attendant qu'il s'assure que la voie était libre. Julio fit ensuite approcher Luciana. Cette dernière avança tel un automate jusque devant la cellule où se trouvait Ariana. Elle avait une désagréable sensation de déjà vu.
« Tiens, tiens, tiens..., prononça Ariana sur un ton moqueur en voyant approcher celle qu'elle avait élevé.
Luciana ne pouvait pas une nouvelle fois faiblir devant cette femme. Elle se tint droite, la tête haute. Elle espérait reflétait une image pleine d'assurance. Malheureusement, elle se sentait toujours comme une enfant en face d'Ariana. Luciana allait devoir se contrôler et bloquer ses émotions.
-Que me veux-tu ? roucoula Ariana.
L'ancienne reine savait bien que Luciana ne pouvait rien pour elle et, au vue de la réaction qu'elle avait eu sur le bateau, Ariana avait pensé que Luciana ne reviendrait pas la voir. La jeune femme avait donc forcément une requête à lui soumettre.
-Savoir d'où je viens, pour commencer. »
Luciana fut agréablement surprise du ton calme de sa voix. Ariana se mit à éclater de rire. Un rire démentiel qui décontenança la princesse. En quoi ce qu'elle venait de dire était-il hilarant ? Une fois qu'elle eut terminé de rire, Ariana regarda droit dans les yeux Luciana.
« Même si j'avais la réponse, je ne t'aiderais pas, lança-t-elle.
Était-ce un mensonge ? La vérité ? Ariana ne savait rien des origines de Luciana ? Pourtant, Luciana avait bien été trouvé par la reine.
-Dans quel orphelinat m'avez-vous trouvé ?
-Me crois-tu sotte ? J'ai chargé quelqu'un de te trouver.
-Qui ?
Ariana garda le silence tandis qu'un vilain sourire se dessinait sur son visage.
-Le duc est au courant.
-Bien sûr. Il a toujours su que tu n'étais pas une princesse de sang royale.
La banalité de son ton las agaça particulièrement Luciana.
-Et il n'a pas cherché à avoir le pouvoir ?
Ariana la regarda comme si la plus grande naïveté du monde résidait en Luciana.
-Bien sûr que si.
La virulence avec laquelle s'était exprimée l'ancienne reine ne faisait aucun doute... Elle détestait le duc. Voilà, au moins, un point sur lequel Luciana s'entendait avec Ariana.
-Comment...
Luciana n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'Ariana la coupa :
-Les secrets ma chère. Les secrets. Et le manigances. »
Et elle se remit à rire d'une manière démentielle. Les fourberies d'Ariana l'avait conduites à se retrouver dans une cellule.
Après encore plusieurs minutes de conversation stérile, Luciana comprit qu'elle n'obtiendrait rien de plus comme information de la part d'Ariana. Elle se tourna dos à celle qui l'avait élevée. Comment partir ? Comment lui dire au revoir ? C'était difficile pour Luciana de trouver le comportement adéquat. Elle ne se voyait pas quitter les cachots sans un dernier mot... Au fond d'elle-même, Luciana savait que c'était, très probablement, la dernière fois qu'elle se confrontait à sa mère. La dernière fois qu'elle lui adressait la parole. Son cœur se serra à lui en couper le souffle. Cette prise de conscience la bouleversait. Des émotions contradictoires la tiraillaient. Finalement, incapable de trouver une formule adéquat, Luciana se taira dans le silence. C'était sans doute mieux ainsi. Elle s'épargnait la condescendance d'Ariana.
Une fois en dehors des cachots, à l'air libre, Luciana soupira et respira profondément des bouffées d'air frais. Julio était sur ses talons. Il n'avait raté aucune miette de la conversation entre la prisonnière et la princesse. Il n'était pas intervenu. Son rôle consistait à s'assurer de la sécurité de Luciana, conformément aux instructions qu'il avait reçu d'Antonio. Le jeune homme ne voulait pas interférer, plus que nécessaire, dans les affaires de Luciana. Cependant, il devait bien l'aider... La situation était tendue et pouvait prendre un mauvais tournant pour la princesse à tout moment. Le duc Orlando n'inspirait aucune confiance et, malgré le temps de délai de réflexion très court qu'il avait accordé à Luciana, il pouvait se raviser et agir contre elle à tout moment. De plus, il ne pariait pas qu'il tienne parole. Luciana ne devait accorder aucun crédit à la parole d'un tel homme.
« Nous n'avons rien appris de très intéressant, conclut Julio.
-Bien au contraire ! s'exclama aussitôt Luciana. Ariana faisait chanter le duc.. c'est évident. C'est une information importante.
Julio haussa les épaules, dubitatif.
-Importante.. oui. Essentielle, non. On aurait très bien pu le deviner, seuls. En plus, nous n'avons pas l'information qui lui a permis de tenir le duc éloigner du trône tout ce temps.
Alors que Luciana s'apprêter à prendre la parole, Julio lui coupa l'herbe sous le pied :
-Et, en si peu de temps, nous n'avons aucune chance de mettre la main dessus. »
Tel un château de cartes balayé par un souffle, Luciana se sentit désespérée. Ils avaient simplement perdu un temps précieux... Un temps qu'elle devait utilisé à bon escient pour prendre une décision importante... Sans doute la plus difficile et la plus lourde en conséquences de sa vie. En plus de rien avoir appris concernant le duc Orlando, Luciana n'avait toujours aucune information supplémentaire concernant ses origines.
« Je vais me rendre à la bibliothèque du château.
Julio la regarda avec perplexité. En constatant la tête qu'il faisait, Luciana ajouta :
-C'est aussi là-bas que se trouve les archives. »
Julio hocha alors légèrement la tête. Il comprenait les tourments qui agitaient Luciana comme une tempête. Pour lui, elle ne donnait pas la priorité ni à la bonne situation ni à la bonne recherche.
« Je dois retourner à mon poste, je dois partir en patrouille dans peu de temps. Je vous retrouve, ce soir, dans vos quartiers. »
Elle pouvait bien se rendre dans la bibliothèque sans lui. Ce n'était pas risqué par rapport au fait de rendre visite à l'ex-reine Ariana.
Toujours sous couverture, Luciana se rendit à la bibliothèque du château. C'était un endroit qu'elle savait peu fréquenté. En tant normal, elle aurait trouvé cela dommage mais, dans sa situation, elle en était ravie. Cela l'arrangeait bien que la bibliothèque soit quasiment déserte.
Les archives se trouvaient dans le fond de la bibliothèque. Luciana avançait parmi les rangées de livres. D'ordinaire, elles étaient disponibles à tous. Mais certaines n'étaient pas accessibles au public. Bien évidemment, c'était dans ces dernières que la princesse voulait aller chercher. S'il y avait le moindre indice concernant ses origines ou des secrets compromettants autour du duc Orlando, une personne lambda ne devait pas y avoir accès.
Luciana s'arrêta devant une petite portée fermée, au fond de la pièce. En la voyant, on ne penserait pas à s'arrêter devant. Elle était si banale, au fond d'une rangée de livres qui prenaient la poussière. Près de la poignée de la porte, il y avait une serrure. Luciana savait que cette dernière ne servait strictement à rien. Afin d'ouvrir la porte, il fallait enclencher un autre mécanisme. La princesse enleva le collier qu'elle portait autour du cou. Au bout du bijou, il y avait un pendentif représentant le symbole du royaume. Au niveau du haut de la porte, elle était taillée afin de laisser s'encastrer ce même symbole, exactement à la taille du pendentif. Voilà la véritable clef. Une fois le pendentif à sa place, la porte se déverrouilla et Luciana eut un petit sourire. Elle tourna la poignée et pénétra dans les archives privées. Ces dernières étaient quasiment aussi grandes que la bibliothèque elle-même. Luciana n'avait pas l'habitude de venir à cet endroit. Heureusement, les archives étaient très bien rangées dans l'ordre chronologique. Luciana n'eut donc aucun mal à retrouver les documents qui dataient de l'année de sa naissance. Elle aurait pu se concentrer sur la recherche d'une information qui lui permettrait de faire chanter le duc Orlando. Cependant, pour le coup, Luciana n'avait aucune idée d'où cherchait de telles informations. De plus, elle n'arrivait pas à se mettre en tête qu'elle pouvait user de stratagèmes aussi fourbes. C'était intolérable même si Luciana gardait en tête que le duc n'aurait aucun scrupule vis-à-vis d'elle.
Luciana avait peu de chance de trouver des informations concernant sa naissance. Mais peut-être pouvait-elle en trouver sur le passé d'Ariana ? La princesse commença à rassembler les documents qui pouvaient l'intéresser. Elle s'installa à une table avec tous les livres et papiers qu'elle avait pu. Luciana ouvrit le premier qui se trouvait en haut de la pile. Cela allait lui prendre un temps fou... Peut-être qu'elle en manquerait d'ailleurs. Cependant, après le temps accordé par le dus écoulé, Luciana savait qu'elle n'aurait plus accès à ces informations... Du moins, pas aussi facilement.
Après plusieurs heures à avoir écumé les documents des archives pouvant contenir des informations susceptibles de l'intéresser, Luciana commencer à perdre espoir. Elle n'avait strictement rien trouvé. Pas la moindre trace de son arrivée au château, pas la moindre trace de ses documents de naissance. Mais Luciana ne pouvait pas baisser les bras. Il lui restait une piste à explorer : celle d'Ariana. Luciana replongea dans ses souvenirs afin de se rappeler toutes les dates clefs qu'elle connaissait de la vie de sa mère : anniversaire, date de mort du roi, date de couronnement, date de mariage... Ariana était une roturière et, à l'origine, une étrangère du royaume. Elle n'avait jamais caché ce fait. Bien au contraire, elle s'était servi de cela pour s'attirer les faveurs et l'amour du peuple. Si elle avait pu accéder au pouvoir et au titre de reine, elle avait véhiculé l'image de celle d'une femme qui avait vécu une conte de fée. En théorie, c'était le cas. Mais Luciana ne pensait plus que la chance qu'avait eu Ariana soit dû au hasard. N'y avait-il pas un diction qui disait que la chance se provoquait ? Il était possible que la vie d'Ariana ait été une immense pièce de théâtre dont elle avait tenu le premier rôle.
Après encore quelques heures de recherches, il était déjà la fin de la journée. Luciana lisait à la lumière d'une bougie car celle du jour n'était plus suffisante. Elle avait pu trouvé des données intéressantes. Luciana pouvait maintenant retracer le parcours de sa mère. Elle était née dans le royaume d'Antonio, au sein d'une famille influente à la cours du roi Peter. Lorsque ce dernier avait accédé au trône, la famille d'Ariana avait essayé de prendre le pouvoir. D'ailleurs, à cette époque, elle portait un autre prénom : Marta. En conséquence de la trahison, le roi Peter avait exilé toute la famille d'Ariana. Malgré le fait qu'elle n'aimait pas violence, Luciana ne pouvait pas s'empêcher de trouver la sentence trop clémente. Ariana n'était pas venue immédiatement dans ce royaume-ci. Elle avait d'abord voyagé. Luciana apprit alors que le train de vie d'Ariana avait radicalement basculé à ce moment là. Privée de la fortune familiale, Ariana avait vécu dans la pauvreté un certain temps. Elle avait alors travaillé comme serveuse dans une taverne. Dès qu'elle avait réussi à réunir l'argent nécessaire, elle était arrivé ici, changeant alors d'identité et se faisant appeler Ariana. Elle s'était installée à la capitale. Malgré le reste de ses lectures, Luciana n'apprit pas comment Ariana avait rencontré le défunt roi ni comment elle l'avait séduit pour ensuite devenir son épouse. La princesse ne préférait pas émettre des suppositions à ce sujet. Ariana avait vécu pour la vengeance. Elle avait gardé sa haine enfuie durant toutes ces années... Attendant le bon moment pour obtenir sa revanche, perfectionnant son plan tout ce temps...
Après son escapade dans les archives royales, Luciana avait regagné sa chambre. La remontée le long de l'arbre jusqu'à son balcon fut difficile pour la princesse qui y passa une bonne vingtaine de minutes. Aucun garde n'avait patrouillé dans les environs durant ce laps de temps. Une fois dans sa chambre, Luciana patienta. Afin de s'occuper les mains, elle prit d'abord un livre avant de le laisser tomber pour faire quelques travaux d'aiguilles. Le temps passait trop lentement à son goût.
En début de soirée, alors que la nuit venait à peine de tomber, on lui apporta son repas directement dans ses quartiers. Elle accepta la nourriture avec une pensée amère. Le duc la traitait comme une prisonnière. Certes, on avait vu plus désagréable comme cellule mais la privation de liberté et de mouvement était bien là. Le duc Orlando n'avait pas pensé une seconde que Luciana serait descendue de son balcon via l'arbre qui était à côté de ce dernier.
Alors que la princesse était en train de prendre son dîner, Julio fit son apparition sur le balcon. En le voyant, Luciana posa ses couverts afin d'aller lui ouvrir. Le jeune homme avait l'air nerveux et ce constat n'échappa pas à Luciana.
« Avez-vous trouvé quelque chose d'intéressant dans les archives ? demanda-t-il rapidement.
Luciana répondit par la négative. En creusant le passé d'Ariana, elle n'avait rien trouvé qui puisse l'aider. Julio prit quelques secondes pour l'observer.
-Peut-être qu'un détail vous a échappé. Racontez-moi ce que vous avez découvert. »
Dans un premier temps, Luciana refusa. Elle considérait que la vie passée d'Ariana n'avait pas à être connue par un quasi-étranger tel que Julio. Cependant, le jeune homme insista et Luciana finit par céder. Elle lui narra tout ce qu'elle savait, non sans une certaine mauvaise volonté. Julio ne fit aucune remarque et la laissa faire son récit sans l'interrompre.
« Comment a-t-elle pu arriver à se faire une place dans la société de ce royaume si rapidement après son arrivée ?
-Je ne sais pas. »
Luciana n'avait aucune information à se sujet. Les deux jeunes gens restèrent silencieux quelques secondes avant que Julio ne reprenne la parole.
-Je mènerai mon enquête dessus.
-Pourquoi ? demanda immédiatement la princesse.
Devant le regard interrogatif de Julio qui ne comprenait pas pourquoi Luciana posait cette question, elle ajouta :
-Votre rôle est bien de vous assurer de ma sécurité ? Alors pourquoi iriez-vous chercher dans le passé d'Ariana ?
-Votre sécurité comprend aussi votre état émotionnel et vos tourments. Vous ne vous demandez pas d'où vous venez ?
Luciana ne répondit rien. Bien sûr que cette question lui trottait dans la tête !
-Peut-être avez-vous une famille, quelque part, tout comme la princesse Rosella, continua Julio.
-Ou peut-être que je n'ai plus personne, renchérit Luciana avec amertume.
-C'est une possibilité. Mais connaître la vérité permet d'y faire face dans tous les cas. Si j'ai les moyens de vous aider dans cette voie-là, laissez-moi faire.
La confiance qu'il avait mis dans son ton rassura Luciana quant à ses capacités à dénicher des informations sur ses origines à partir du passé d'Ariana. Et puis, s'il ne trouvait rien, au moins, il aurait essayé. Mais une partie du cœur de la princesse espérait fortement que Julio pourrait lui en apprendre plus sur sa famille biologique.
Après quelques instants, le regard de Julio se ternit pour se remplir de gravité.
« Mais tout cela devra attendre. Nous devons partir.
-Comment cela ? s'inquiéta soudainement Luciana.
-Le duc ne compte pas tenir parole. Des gardes ont reçu l'ordre de procéder à votre arrestation, dans la soirée.
La princesse blêmit.
-C'est impossible... Le duc Orlando m'a laissé jusqu'à demain.
-Et vous pensez que c'est un homme de parole ? ricana le jeune homme.
Bien sûr que non. Luciana avait bien saisi la nature mauvaise et perfide du duc Orlando.
-Mais il ne me peut pas m'arrêter comme cela... », tenta de se persuader la princesse.
Julio contra l'argument en expliquant que le duc devait déjà avoir réfléchi à une manière de justifier son acte. Il savait manipuler les foules. Il pouvait retourner le peuple et la cours contre Luciana. N'était-ce, d'ailleurs, pas déjà fait ? Il suffisait de voir comment Luciana était traitée depuis son retour au royaume. La princesse serra fortement ses poings. Partir... S'enfuir avec Julio... C'était abandonner sa couronne, son titre de princesse, son peuple, son royaume... Et elle ne pouvait pas faire cela. Elle ne pouvait pas laisser le duc Orlando gouverner. Cette idée lui paraissait impensable. Peu importe que tout le monde lui ait tourné le dos. Elle était chez elle.
Pendant que la princesse Luciana était agitée par ses pensées, le temps passait. Julio était déjà en train de rassembler quelques affaires de la princesse. Il ne prit pas grand chose car ils ne pouvaient pas se permettre de voyager avec beaucoup d'encombrements.
« Luciana ? Nous devons y aller.
-Non, trancha la princesse.
Alors, l'attention de Julio se focalisa entièrement sur la jeune femme. Avait-il mal entendu ? Il l'espérait bien.
-Non ? répéta-t-il.
-Non, je ne partirais pas.
-Je ne crois pas que vous ayez le choix, s'agaça le jeune homme.
-Le duc Orlando ne peut pas gouverner ! s'indigna Luciana.
-Je suis bien d'accord. Il fera un très mauvais monarque et causera de grands torts aux pauvres gens... Mais, vous n'avez pas les capacités de vous mesurer à lui. Et pour votre peuple, une fois vos origines révélées, vous passerez pour une usurpatrice. Même en vous débarrassant du duc, vous vous ferez de nombreux ennemis.
Entendre ces mots firent grimacer Luciana. Elle se sentait faible et elle détestait ce sentiment d'impuissance. Une petite voix dans sa tête lui soufflait que Ro ne laisserait pas passer une telle injustice. Elle se battrait jusqu'au bout même en sachant qu'elle n'aurait aucune chance de réussite... Le ton de Julio devint plus tendre :
-Vous n'avez pas de mauvaises intentions et je comprends la tempête intérieure que vous devez ressentir...
Il eut un sourire triste avant de toussoter et de reprendre un ton plus dur :
-Mais vous devez partir. Nous devons partir... Et au plus vite. »
Le jeune homme s'était de nouveau activé à préparer le strict nécessaire pour leur fuite.
Malheureusement, le temps leur manqua. Ils se tournèrent en direction de la porte alors que quelqu'un venait d'y toquer. La voix d'un garde s'éleva :
« Princesse Luciana ? Pouvons-nous entrer ? »
Le ton n'était pas autoritaire mais il restait froid. Luciana entendit Julio jurer, près d'elle, à voix basse.
« On doit partir. Et tout de suite. »
Le jeune abandonna ce qu'il était en train de faire. Ils n'avaient plus le temps. Le duc ne devait pas mettre la main sur Luciana. Si elle était capturée maintenant, il aurait du mal à la faire évader. Si on le trouvait en sa compagnie, une enquête serait menée sur lui. Julio ne tenait pas à ce qu'on remonte jusqu'à Antonio. Il ne voulait pas causer le moindre tort à son ami.
Laissant tout ce qu'il était en train de préparer pour leur fuite, Julio entraîna Luciana sur le balcon alors que les gardes s'impatientaient d'une réponse de la princesse.
« J'arrive ! » s'exclama-t-elle pour essayer de gagner du temps.
Julio jura une nouvelle fois et la pressant un peu plus. Il fallait qu'ils descendent le long de l'arbre comme l'avait fait Luciana plus tôt dans la journée. Cependant, en cet instant, elle ne pouvait pas se permettre de prendre son temps. Voyant bien la lenteur de la jeune femme, Julio prit une décision.
« Pardonnez-moi pour ce geste. »
Sans lui laisser le temps de répliquer, il attrapa Luciana comme un sac de pommes de terre. La princesse émit un couinement de surprise et s'empêcha de crier en mettant ses mains devant sa bouche. Julio entreprit alors de descendre de l'arbre en la portant. Alors que Luciana pensait qu'ils allaient chuter, elle fut surprise quand Julio la reposa sur la terre ferme. Le jeune homme n'avait pas eu de difficulté à descendre. Les branches de l'arbre étaient assez épaisses.
Alors que Luciana n'était pas tout à fait remise de ses émotions, Julio lui attrapa le bras pour la forcer à avancer, et même, à courir à travers les jardins du château. Ils ne devaient pas perdre de temps pour quitter l'enceinte de la demeure royale. Luciana connaissait chaque recoin et chaque chemin. Malgré l'obscurité de la nuit qui s'était installée, elle savait parfaitement où se rendre. Proche d'une sortie gardée par des soldats royaux, les deux jeunes gens s'étaient arrêtés. Ils avaient progressé plus lentement que ce que Julio aurait cru. La faute revenait aux chaussures de Luciana qui n'étaient pas créées pour courir. Elle les maudissait en cet instant précis. Non seulement, ils étaient ralentis mais cela lui faisait un mal de chien !
« Les gardes de tout le château ne vont pas tarder à se mettre tous à votre recherche. »
Si le temps avait joué en leur faveur, Julio se serait infiltré dans les quartiers de servantes pour dégoter à la princesse une tenue de voyage plus confortable et moins luxueuse. Julio détacha sa cape pour en recouvrir Luciana. Ce n'était pas la meilleure solution mais c'était la seule qu'ils avaient sous la main pour le moment.
« Nous devons nous rendre en ville. A ce moment, il voudra vous trouver une tenue plus passe-partout.
-Mais nous devons passer devant ces gardes avant...
La sortie était gardée par deux soldats. Julio balaya le problème d'un revers la main.
-Ce n'est pas le plus difficile. Attendez-moi là. »
Même si la situation n'était pas des plus détendues, il eut un sourire amusé avant de quitter la princesse, la laissant derrière un bosquet. Luciana serra ses mains au niveau du col de la cape et elle observa Julio s'avancer vers les gardes, décontracté. La princesse était trop éloignée pour pouvoir entendre la conversation lancée par l'ami du prince Antonio. Dans les premières secondes, Luciana pensa que tout allait bien se passer. Les gardes parlaient calmement avec Julio. Mais ensuite, elle remarqua bien la posture défensive que l'un d'eux venait de prendre. Le ton sembla monter entre les hommes tandis que Julio leva les mains au-dessus de sa tête afin de montrer qu'il n'avait pas d'armes à portée de main. L'un des deux soldats s'avança vers Julio. Le cœur de Luciana rata un battement. Julio ne pouvait pas se faire arrêter ! Sans lui, aucun espoir de s'enfuir n'était plus possible. Elle tomberait entre les mains des gardes qui l'amèneraient au duc Orlando. Ce dernier pouvait bien, par la suite, faire de sa vie un enfer vivant. Cependant, elle avait le sentiment qu'il ne s'en prendrait pas à sa vie. Elle vivrait, sans doute, une existence misérable et elle serait dépossédée de son titre... Mais elle préférait cela à la mort... En revanche, en ce qui concerne Julio... S'il se faisait arrêter, le duc finirait par comprendre qu'il n'était pas un habitant du royaume et qu'il était un espion, et alors, le duc pourrait remonter jusqu'au prince Antonio et Ro. Les conséquences pouvaient être dramatiques. Le duc était une personne belliqueuse. La soif de pouvoir et de conquête pouvait le pousser à utiliser Julio comme un motif de déclaration de guerre entre les deux royaumes.
Alors qu'un tourbillon de pensées angoissantes concernant l'avenir polluaient l'esprit de la princesse Luciana, elle ne s'était pas rendue compte qu'elle était sortie de la pénombre. Ses pieds avaient avancé, par automatisme. Toutefois, elle se stoppa alors que l'un des soldats était à présent très proche de Julio. Il allait procéder à l'arrestation quand l'espion se mit en mouvement. Il attaqua le garde royal subitement. Ce dernier n'avait même pas eu le temps de dégainer son arme qu'il était déjà à terre, assommé. Le deuxième garde, quant à lui, avait eu le temps de sortir son épée de son fourreau. Il la brandissait en direction de Julio, lui criant de se rendre sans faire d'histoire. Ces mots-ci, Luciana les avait entendu. En revanche, elle ne sut pas la réponse de Julio. Tout ce qu'elle constata c'est que cette dernière avait mis dans une colère folle le garde royal. Il s'élança vers Julio, près à le pourfendre de son épée.
« Julio ! » scanda Luciana avec appréhension.
Avec un cri de rage, le garde royal abattit son épée droit sur l'ami du prince Antonio. Celui-ci l'esquiva en faisant preuve d'une grande rapidité et de beaucoup d'agilité. Il passa sur le côté droit du garde et lui donna un coup dans le bras, là où son armure ne le protégeait pas. L'intention de Julio était de faire lâcher au garde royal son épée. De son autre main, l'espion avait sorti un petit couteau qu'il cachait sur lui. Il visa alors le visage du garde qui évita l'arme au dernier moment. Julio l'avait pourtant touché et un filet de sang coulait le long de sa joue. Le combat ne dura que quelques minutes avant que ce garde royal ne connaisse le même sort que son compagnon.
Respirant plus fort que d'ordinaire, Julio se tourna dans la direction où se trouvait Luciana. D'un geste du bras, il lui fit signe de s'avancer. Ils devaient partir sur-le-champ avant que d'autres gardes ne rappliquent. La nouvelle de la disparition de la princesse Luciana devait avoir commencé à courir parmi les gardes. Luciana se mit à courir, comprenant l'urgence de la situation.
Les deux jeunes gens franchirent la porte de l'enceinte du château en courant en silence. Ils adoptèrent ensuite un rythme de marche rapide pour progresser dans les rues de la capitale. En ce début de soirée, bien que la nuit soit tombée, la ville était grouillante de vie. Avec un rythme trop rapide, Julio et Luciana auraient paru suspect. Julio s'arrêta aux abords d'une ruelle déserte et non éclairée.
« En voyant les deux vigiles assommés, les gardes vont comprendre que vous êtes partie par là. Nous devons nous cacher et partir le plus loin possible de la capitale aussi vite que nous le pouvons.
Luciana hocha la tête, cachée sous la cape.
-Attendez quelques secondes, ici. »
Avant qu'elle ne pose la moindre question, Julio s'était engouffré dans la ruelle. Luciana fit un pas en avant pour le suivre mais elle s'arrêta. Il venait de lui dire de l'attendre. Il ne voulait pas être suivi. Luciana obtempéra. Elle s'adossa contre le mur le plus proche, observant la rue de la capitale autour d'elle. Il ne fallut pas longtemps à Julio pour réapparaître. Il avait enlevé son armure.
« Voilà ! De cette façon, nous passerons inaperçus. Allons-y. »
Et ils se mirent en route.
Luciana avait cru qu'il leur aurait été plus difficile de se cacher et de sortir de la capitale. Elle trouva même cela presque trop simple. Elle se demanda si Julio avait l'habitude de ce genre de situation. Il n'avait pas perdu son sang-froid et il semblait parfaitement savoir dans quelle direction il se rendait. La princesse l'aurait bien interrogé à ce sujet mais elle craignait de le déconcentrer. En effet, malgré son air détendu et décontracté, elle voyait bien que le jeune homme restait prudent et méfiant. Son regard scrutateur ne laissait aucune place au doute sur ce point-là.
Les deux jeunes gens parvinrent à sortir de la capitale alors que les gardes en ville commençaient à s'agiter.
« Il vous recherche.
-Je sais. »
C'était une évidence. Julio avait fait le choix de ne pas prendre de chevaux. En effet, ils auraient dû s'arrêter chez un marchant et ils auraient pris le risque de se faire reconnaître. Toutefois, le jeune homme avait fait, quand même, un arrêt dans une boutique de vêtements pour femmes. Il avait joué l'amoureux cherchant un cadeau pour sa belle.
Luciana et Julio allaient se rendre à pied jusqu'à la prochaine ville portuaire. Ce n'était pas aussi loin qu'on pouvait le croire et Julio avait pris en compte le ralentissement qui pouvait être causé par Luciana.
Une fois dans les bois aux abords de la capitale, Julio demanda à Luciana d'aller se changer pour enfiler sa nouvelle robe ainsi que ses nouvelles chaussures. Devant l'hésitation de la jeune femme, Julio soupira. Il lui assura qu'il surveillait les alentours et qu'il ne regarderait pas dans sa direction.
« Oh ! Je vous fais confiance pour cela ! » s'empressa de répondre Luciana.
Il n'était jamais venu à l'esprit de la princesse que Julio puisse profiter de ce moment pour l'observer à son insu. Elle se changea rapidement.
« Dois-je abandonner mon autre robe dans les bois ?
-Certainement pas. Nous allons en avoir besoin. »
Lorsque Luciana chercha à en savoir plus, Julio lui répondit qu'elle le découvrirait plus tard et qu'elle ferait mieux d'économiser la moindre de ses forces pour la marche qu'ils allaient entamer. Cette réponse ne fut pas du tout satisfaisante pour Luciana. Elle venait de remettre sa vie entre les mains de Julio et il ne prenait même pas le temps de lui expliquer la suite des événements.
Julio et Luciana marchèrent durant une bonne partie de la nuit. La princesse n'était pas du genre à se plaindre, cependant, à plusieurs reprises, Luciana demanda à Julio de s'arrêter pour faire des pauses. Le jeune homme accéda à chacune de ses demandes. Il voyait bien l'épuisement gagner peu à peu la princesse. La nuit était froide et, malgré la cape, Luciana grelottait. Julio, lui, restait stoïque.
L'espion et la princesse progressèrent jusqu'à l'aube. Luciana ne sentait plus ses pieds. Julio lui proposa de faire une nouvelle fois un arrêt. La princesse s'installa sur un rocher afin de se reposer. Elle ferma et les yeux et sentit le sommeil l'attirer. Alors, elle s'empressa de rouvrir les paupières avant de tomber de fatigue. Julio s'était adossé à un arbre, les bras croisés contre son torse. Dans leur départ précipité, Julio avait réussi à prendre avec lui une besace.
« Mangez. »
Il venait de sortir une morceau de pain de la besace et il lui tendait. Julio aurait voulu prendre plus de vivres mais il était déjà satisfait d'avoir pensé à prendre du pain et des noix sur le plateau de repas de la princesse. Il croqua lui-même dans un autre petit morceau de pain. Luciana ne se fit pas prier et elle dévora sa part. Avant de voir le petit bout de nourriture, elle n'avait pas percuté qu'elle avait faim. Ses pensées étaient trop préoccupées pas tous un tas d'autres choses. S'ils se rendaient dans une ville portuaire, c'était sans doute parce que Julio voulait les faire fuir par la voie maritime. Quel navire accepterait de les laisser monter à bord ? Et leur destination ? Du point de vue de la princesse, elle ne faisait aucun doute : le royaume du prince Antonio. Julio retournerait auprès de son ami et mettrait ainsi Luciana en sécurité. Elle savait qu'elle avait un allié en la personne du prince et mais également de Ro. Elle serait, très probablement, bien accueillit. Et ensuite ? Afin d'éviter les incidents diplomatique, elle devrait sans doute vivre en se faisant discrète. Elle serait alors libre de ses choix et de sa vie. Personne n'attendrait plus rien d'elle... Mais Luciana aurait abandonné son royaume aux griffes du duc Orlando. Ce poids continuerait de la poursuivre tout au long de son existence. Elle n'était pas certaine de pouvoir se le pardonner un jour.
« Arrêtez de raser les murs, ordonna Julio à Luciana alors qu'ils progressaient dans les allées bondées d'une ville.
C'était l'après-midi et le temps était radieux. Luciana et Julio étaient arrivés dans l'enceinte de la ville portuaire de Salasano une heure plus tôt. Luciana ne cessait pas de remettre le capuchon de la cape afin de bien cacher son visage.
-Vous avez l'air suspecte à faire ce genre de choses, s'agaça l'espion.
-Vous avez sans doute l'habitude de vous fondre dans la masse mais ce n'est pas mon cas.
-Alors, écoutez mes conseils et suivez mes instructions. »
Avait-elle réellement le choix de toute façon ? Elle n'avait aucun plan contrairement à Julio. Il était toujours en alerte, observant ce qui l'entourait tout en affichant un visage décontracté et serein.
En passant devant une taverne, Julio proposa à la princesse de s'y arrêter afin de prendre un bon repas chaud. Il avait été prévoyant et avait de l'argent sur lui. A vrai dire, Julio avait préparé un scénario de fuite. Il avait simplement pensé qu'il aurait plus de temps pour tout organiser dans les moindres détails.
Attablés devant un ragoût bien chaud, Julio décida que c'était le bon moment pour parler de la suite des événements à Luciana. Cette dernière fut étonnée de ce choix. Après tout, ils se trouvaient dans un endroit rempli de monde.
« Personne ne portera la moindre attention à notre conversation. Nous sommes à une table assez éloignée pour parler en toute discrétion mais nous ne sommes pas assez reculés pour paraître suspicieux.
S'il le disait... Luciana n'allait pas le contredire. Il évaluait la situation et leur environnement bien mieux qu'elle.
-Dès votre arrivée à la cours, j'ai pris certaines précautions en voyant la façon dont le duc vous a accueilli. J'ai envoyé un message au capitaine qui vous a fait venir jusqu'ici en lui disant que vous repartiriez bientôt afin de négocier de nouveaux accords avec le royaume du roi Peter et de la reine Danielle.
-Et si tout c'était bien passé au château ? demanda Luciana.
-J'aurais renvoyé un message pour signaler que les négociations étaient tombées à l'eau suite à votre couronnement. J'aurais bien trouvé une excuse plausible. Il se trouve que j'ai donné l'ordre qu'il reste amarré dans ce port jusqu'à votre prochain message.
Luciana écarquilla les yeux.
-Cela doit coûter une fortune !
Et elle n'avait clairement pas accès au trésor royal pour payer ce pauvre capitaine et son équipage.
-Avez-vous oublié que je suis, certes, un espion mais aussi un noble ? Au niveau pécuniaire, ce n'est pas un problème de prendre cela à mes frais. Et, dans le pire des cas, cela passera sur le soldes de la couronne du roi Peter.
Il eut un sourire amusé. Luciana était impressionnée qu'il soit aussi prévoyant.
-Nous allons aller voir le capitaine. A ses yeux et aux yeux des habitants de la ville, vous partez en voyage diplomatique sur invitation de la couronne du roi Peter.
-Est-ce que cela ne va pas leur attirer des ennuis ? s'inquiéta la princesse.
-Antonio m'a laissé carte blanche. Si vous devez partir, autant que cela soit sur un motif valable pour votre peuple et que cela coupe l'herbe sous le pied au duc pour vous discréditer. Avec la protection de la couronne du roi Peter, il réfléchira à deux fois avant de révéler vos origines.
-Je ne suis pas certaine que cela l'arrête.
-Moi non plus. Mais cela vaut le coût de se tenter. Le capitaine avait reçu l'ordre de partir à n'importe quel moment. Nous devrions avoir levé l'ancre avant que le duc n'ait pu donner l'ordre de votre arrestation et n'apprenne où vous vous trouvez.
-Et c'est ce que vous appelez un plan bâclé ?
-Un plan n'est jamais certain à cent pour cent. »
Julio avait demandé à Luciana de garder sa belle robe pour se présenter devant le capitaine et son équipage. Avant d'aller à sa rencontre, les deux jeunes gens s'arrêtèrent acheter des malles. Pour être crédible, Luciana devait donner l'impression de réellement partir en voyage diplomatique. Quelle princesse partirait sans tout un attirail de robes et d'affaires ? Bien entendu, les malles seraient vides... Julio fit l'acquisition de plusieurs robes de hautes qualités afin que Luciana puisse se changer pendant la traversée tout donnant l'illusion d'être dans son bon rôle de princesse. En voyant les robes, Luciana prit un air dubitatif.
« Je ne suis pas certaine que cela le dupera.
-Il faut vivre à la cours pour se rendre compte qu'une princesse porte des tenues encore plus luxueuses et travaillées. Les marins n'y verront que du feu.
-Le capitaine ne risque-t-il pas de vous reconnaître ?
-Si je me présente ainsi, oui. »
Sur le port, tous les regards étaient tournés vers la princesse Luciana. Elle avait remis sa robe de princesse, présentable bien qu'un peu froissée. Elle aurait dû porter un diadème mais, dans leur départ précipité, elle n'avait pas eu l'idée d'en prendre un. Et Julio non plus. Ce dernier était méconnaissable. Il avait mis une perruque blonde, les cheveux lisses attachés en queue-de-pie. Grâce à des lentilles, ses yeux n'étaient plus bleus mais marrons, il avait aussi réussi à se dégoter une fausse moustache et ses vêtements étaient maintenant ceux d'un majordome. Luciana ne savait pas comment il avait réussi l'exploit de se métamorphoser aussi rapidement. Il l'avait laissé acheter quelques babioles au marché et quand il était revenu, elle ne l'avait, tout simplement, pas reconnu. Il lui avait demandé de l'appeler alors Mattia jusqu'au moment où ils seraient en compagnie du prince Antonio. Il prenait de nouveau une nouvelle identité. Luciana se demanda alors si Julio n'était pas non plus un nom d'emprunt. Après tout, son statut de noble n'était peut-être qu'une couverture de plus. Elle stoppa le cours de ses pensées avant de commencer à devenir paranoïaque. Après qu'elle se soit changée, Julio l'avait observé des pieds à la tête en secouant négativement la tête.
« Cela ne va pas. Sans vouloir vous offenser, vous ressembler à un épouvantail déguisé en princesse.
-Je pense que la marche en forêt n'a pas arrangé les choses. »
Elle ne le prenait pas mal. La princesse avait alors découvert que l'espion avait des talents de coiffeur et de maquilleur. Est-ce que cela était si remarquable ? Julio devait changer d'identité pour ses missions. Il ne devait pas toujours pouvoir arborer ses propres traits.
L'idée de retrouver le capitaine sur le port venait de Luciana. Ainsi, il y aurait des témoins de sa présence et de son départ sur invitation diplomatique du royaume d'Antonio. Julio avait approuvé, considérant qu'elle gagnerait en crédibilité. La princesse était étonnée qu'aucun garde ne soit à sa recherche dans la ville. Pourtant, cela n'avait pas paru louche à Julio. Le duc ne pensait que Luciana ait pu aller aussi loin et mettre un tel stratagème en place. Et il avait raison. Elle n'aurait pas pu faire cela seule. Mais il était là et il avait pensé à tout. L'espion avait même pensé à expliquer l'absence d'escorte royale de la princesse. Celle-ci désirait voyager léger, et, avec tous les chamboulements autour de la reine Ariana, elle n'avait pas eu l'envie de déranger les gardes. Elle se sentait assez en sécurité pour refuser une escorte. C'était un peu tiré par les cheveux mais c'était mieux que de n'avoir aucune explication.
La rencontre avec la capitaine s'était passé à merveille. Autant que possible, Luciana avait cédé la parole à Julio. Elle ne voulait pas commettre une erreur et elle jugea nécessaire de le laisser parler autant que possible. Cet arrangement tacite entre l'espion et la princesse arrangea bien ce premier. Le capitaine n'eut aucun soupçon.
Le soir-même, alors que la nuit commençait à tomber, le bateau partit du port en direction du royaume du roi Peter, avec à son bord, la princesse Luciana et Julio. L'espion s'était assuré que le bruit cours dans toute la ville que la princesse partait en voyage diplomatique. Il avait fait en sorte qu'elle fasse de courte apparition pour qu'on sache quelle était bien présente.
Sur le pont, Luciana observait la terre ferme s'éloignait avec une point de tristesse. Ses doigts étaient enfoncés sur la rembarre. Julio se tenait à ses côtés.
« Un jour, je reviendrai... Et je reprendrai le pouvoir au duc. »
