Rating : K+
Genre : Romance, Fluff, Noël.
Disclaimer : L'univers et les personnages appartiennent à Kōhei Horikoshi.
Note : Recueil de textes de Noël, écrits à l'occasion de défis ou simplement offerts pour le plaisir.
Destinataire : Miss Pupitre Anil, pour le Santa Secret organisé par le forum MHA ! J'espère que ce texte te plaira ! Je ne suis pas familière du personnage d'Inasa, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire sur lui et Shouto ! Joyeux Noël Anil !
La salle d'arcade
Todoroki Shouto n'aimait pas particulièrement la salle d'arcade : il y avait beaucoup de monde, beaucoup d'agitation, beaucoup de bruit. Les éclats de voix et les rires se mêlaient à la musique électro diffusée en fond, aux sonneries des jeux électroniques, au cliquetis des manettes, dans un brouhaha ambiant qui devenait très vite étouffant.
Pourtant ce lieu était devenu son refuge.
Principalement parce que son père n'aurait jamais l'idée de venir le chercher ici. Ensuite, si par un quelconque miracle Endeavor venait à passer les portes de la salle d'arcade, il détesterait profondément et instantanément l'endroit. Ce seul détail suffisait à le rendre attrayant aux yeux de Shouto. D'autant qu'après quelques visites, il parvenait à occulter la foule bruyante en se focalisant sur son téléphone portable. L'adolescent s'installait sur le banc, dans le coin gauche au fond de la salle, près de la machine attrape-peluches. Cette dernière ne faisant pas vraiment sensation à côté des derniers jeux à la mode, Shouto n'était que très rarement dérangé par les visiteurs. Il y avait bien les employés qui le regardaient d'un mauvais œil ; et le garçon ne comprenait pas vraiment pourquoi – il ne faisait rien de mal – jusqu'à ce que l'un d'eux lui demande d'un ton sec s'il souhaitait consommer.
S'en était suivi une conversation étrange, où Shouto avait deviné un sous-texte dans les propos de l'employé sans pour autant saisir où il voulait en venir exactement. Mais l'adolescent avait acheté un maxi-gobelet de Coca-Cola et l'homme l'avait laissé tranquille. Shouto avait donc pris l'habitude de commander un maxi-gobelet de Coca-Cola chaque fois qu'il venait à la salle d'arcade et si les regards des employés se posaient encore sur lui, ils étaient moins pesants, moins scrutateurs.
Cet accord tacite convenait à Shouto – et qui plus est, le temps de siroter calmement son maxi-gobelet lui offrait une estimation de la durée nécessaire à ce que son père se calme après la dernière dispute ayant conduit son fils à claquer la porte. Ainsi il savait que, sa boisson finie, il pouvait raisonnablement rentrer à la demeure Todoroki sans craindre une altercation trop violente. Parfois, il parvenait même à éviter son père pour le reste de la journée, offrant une accalmie inespérée à la maison et ses occupants. Ses relations avec son père, qui n'avaient jamais été au beau fixe, s'étaient nettement détériorées depuis qu'il avait explicitement décidé ne plus utiliser ses flammes. Il deviendrait un héros, il entrerait à Yuei l'an prochain et surpasserait même All Might sans jamais se servir du pouvoir hérité d'Endeavor. Shouto était peut-être son fils – il ne l'avait pas choisi et ne pouvait pas faire grand chose contre ça – mais il ne serait pas sa marionnette. Plus jamais, en tout cas.
La frustration et le syndrome d'infériorité de son père vis à vis d'All Might était le problème d'Endeavor, pas celui de Shouto. Il deviendrait numéro un avec sa seule glace, juste pour lui faire payer son égoïsme et la destruction de leur famille. Shouto atteindrait le rêve de Todoroki Enji en le laissant sur le banc de touche, là où il était piégé depuis des années et là où il méritait de rester, éternel second incapable d'évoluer.
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Yoarashi Inasa adorait la salle d'arcade : l'ambiance conviviale, l'énergie communicative, la bonne humeur générale.
Les jeux électroniques rassemblaient jeunes et adolescents dans une passion commune, Inasa ne comptait plus les rencontres qu'il avait vécu ici, parfois surprenantes, parfois étranges, mais toujours enthousiastes et bienveillantes. Il connaissait les noms de tous les employés, avait droit aux réductions spéciales des clients réguliers. Il se sentait ici comme chez lui, et y passait presque plus de temps que dans sa propre maison – au grand dam de ses pères.
Un détail toutefois l'intriguait : le garçon de la machine attrape-peluches. Ce n'était pas la première fois qu'Inasa le voyait, assis tout seul dans son coin, le nez sur son téléphone portable, sans jamais en relever les yeux. La curiosité d'Inasa était piquée à vif. Au-delà de son apparence atypique – ses cheveux bicolores et ses yeux vairons, était-ce naturel ou une façon volontaire de se démarquer ? – son comportement demeurait un mystère aux yeux de l'adolescent. Pourquoi venir dans une salle d'arcade pour ne jouer à aucun jeu et ne parler à personne ? Il avait toujours un grand gobelet de Coca dans les mains, mais son amour pour le soda ne pouvait être la seule raison de sa présence ici, pas vrai ?
N'y tenant plus, Inasa s'approcha et glissa une pièce dans la fente prévue à cet effet, sur le côté de la machine attrape-peluches.
– Je parie que je peux avoir le nounours bleu et noir ! s'exclama-t-il.
L'autre garçon sursauta, lui jeta un regard perplexe comme s'il ne comprenait pas pourquoi Inasa lui parlait. Puis ses yeux descendirent vers la pile de peluches contenues dans la machine. Il haussa un sourcil en avisant l'ours bicolore, enseveli sous toutes les autres et quasiment inaccessible.
– Aucune chance, marmonna-t-il à lui-même.
– Pari tenu ! s'écria bruyamment Inasa, faisant sursauter un groupe d'adolescents à côté.
Il se saisit de la manette et commença à manœuvrer la pince, le front plissé sous la concentration.
– Si je gagne, tu me dois un gage !
– Quoi, comme gage ? demanda l'autre, méfiant.
– C'est de la triche si je te le dis avant. Tu verras bien...
– Et si tu perds ?
– Je ne perdrais pas.
Le garçon le dévisagea avec curiosité et Inasa aurait donné cher pour connaître le fond de ses pensées. Il était habituellement doué pour comprendre les autres, saisir leurs émotions et leurs envies. Mais lui... lui, avec son visage inexpressif, son regard de glace, et son air morne, il était comme un mur infranchissable, intriguant, mystérieux.
Et l'inconnu donnait toujours à Inasa l'irrépressible envie de foncer tête baissée.
– Okay, pari tenu, décida finalement l'autre.
Un large sourire éclata sur les lèvres d'Inasa. Il se tendit un peu plus sur sa manette, poussant des cris et des exclamations alors que le nounours bleu et noir se dérobait toujours aux pinces de la machine. Une sonnerie stridente annonça qu'il était arrivé au bout du temps imparti, un grognement de frustration lui échappa. Mais il n'avait pas dit son dernier mot ! Inasa n'était pas du genre à abandonner aussi facilement, loin de là. Comme il le répéta à l'autre garçon, il allait gagner.
Pas moins de six jetons plus tard, il dut revoir ses prévisions à la baisse : il gagnerait, oui, mais peut-être pas aujourd'hui.
– Tu reviendras demain ? demanda l'autre garçon, qui s'était levé de son banc pour observer de plus près son combat contre la machine attrape-peluches.
– Bien sûr ! Et toi ?
Il hésita un instant, puis hocha doucement la tête. Son gobelet de soda était vide depuis un moment.
– Moi, c'est Yoarashi ! Comment tu t'appelles ?
– Shouto.
– C'est ton prénom ? s'étonna Inasa.
Pas qu'il soit gêné de cette marque de familiarité – au contraire – mais il était rare de se faire appeler par son prénom, même dans l'ambiance conviviale et bonne enfant de la salle d'arcade.
– Oui. Je... Je préfère mon prénom.
– Okay. Alors appelle-moi Inasa !
– D'accord.
Il revint donc le lendemain, et le jour suivant aussi. Shouto était là, ils se retrouvaient près de la machine attrape-peluches, et Inasa glissait ses jetons à l'intérieur pour essayer d'attraper le nounours bleu et noir. Ils discutaient – enfin, Inasa parlait et Shouto répondait par monosyllabes, mais ça ne le dérangeait pas. Inasa avait assez de conversation pour deux.
Au bout du troisième jour, enfin, l'ours bicolore tomba entre les doigts métalliques de sa pince et remonta lentement jusqu'au conduit de sortie. La peluche roula à l'intérieur pour atterrir dans le bac de la victoire.
Inasa poussa un cri de joie, les bras tendus en l'air et bondissant sur ses pieds. Plusieurs visiteurs ayant suivi sa lutte acharnée contre la machine attrape-peluches applaudirent son exploit. Inasa les salua avec un sourire fier, exécuta même une légère courbette, déclenchant quelques rires. L'adolescent brandit tout haut le fruit de sa victoire, puis se tourna vers Shouto :
– Félicitations, dit ce dernier.
Était-ce une esquisse de sourire, au coin de ses lèvres ?
– Tiens, cadeau ! décida brusquement Inasa en lui collant la peluche dans les mains.
Shouto fronça les sourcils :
– Tu es censé me donner un gage, pas un cadeau.
– Tu as droit aux deux, petit chanceux.
– Merci.
– Et donc, maintenant... Ton gage !
– Je t'écoute.
Shouto se redressa, solennel, comme s'il allait recevoir une distinction ou un châtiment.
Inasa plissa les yeux en se frottant le menton. Il n'avait pas la moindre idée de quoi lui demander, il n'avait pas pris le temps d'y réfléchir. Il balaya la salle d'arcade du regard, à la recherche d'inspiration. Puis, se rappelant ce qui l'avait le plus intrigué chez Shouto la première fois, il prit sa décision en claquant des doigts :
– Très bien ! Tu disputes une partie de Mario Kart avec moi !
– C'est ça, ton gage ?
Shouto était si impassible qu'il avait presque l'air déçu.
– Ouaip ! affirma Inasa sans se démonter. Tu viens tout le temps ici mais je ne t'ai jamais vu jouer à aucun jeu. C'est bizarre d'ailleurs, pourquoi t'es là si tu ne t'amuses pas ?
– Je viens ici parce que je n'ai pas envie d'être... ailleurs.
Inasa le dévisagea sans comprendre. Shouto était plutôt sympa lorsqu'on dépassait son expression distante, mais il était quand même un peu étrange. Peu importe, décida Inasa en traînant son nouvel ami vers la borne de Mario Kart.
Shouto se révéla être un joueur pitoyable. Inasa comprit rapidement qu'il n'avait jamais touché à une seule manette de sa vie, mais il apprenait vite et avait de bons réflexes, faisant un compétiteur intéressant. Il avait une vision particulière des choses, mais pouvait se montrer très drôle à sa façon – même s'il n'avait pas toujours l'air de comprendre ses propres blagues. Inasa s'habitua bien vite à son côté très "premier degré", lui venant en aide lorsque d'autres personnes tentaient de communiquer avec lui ou traduisant certains sous-entendus et sarcasmes qui lui passaient au-dessus de la tête. Les semaines défilèrent, et Inasa passait tant de temps avec Shouto qu'il ne s'imaginait plus aller à la salle d'arcade sans lui.
Quelques jours avant Noël, une loterie fut organisée avec en premier prix une figurine collector de Donkey-Kong.
– Trop bien ! s'écria Inasa, faisant sursauter les gens autour d'eux. Il me la faut absolument !
– Tu es fan ? demanda Shouto, toujours aussi placide.
– Oui ! Et pas qu'un peu !
– Ça te va bien.
– Comment ça ? s'étonna Inasa.
– Tu lui ressembles.
Inasa le dévisagea avec surprise, se demandant un bref instant ce que son ami voulait dire par là, puis il éclata bruyamment de rire – s'attirant encore des regards, mais il s'en fichait. Il tapa brusquement dans l'épaule de Shouto qui le dévisagea en haussant un sourcil, ne comprenant pas la raison de son hilarité, ce qui amusa encore plus Inasa et le fit repartir de plus belle dans son fou rire.
Lorsqu'il se calma enfin, les larmes aux yeux, il saisit deux fiches d'inscription et en colla une contre le torse de Shouto.
– Aller, remplis ton papier.
– Je n'ai pas l'intention de participer.
– Pardon ?
– Cette figurine ne m'intéresse pas.
– Mais moi, oui ! Inscris-toi et si tu gagnes, tu me donnes la figurine, décida Inasa.
Shouto fronça les sourcils.
– Ce n'est pas ainsi que fonctionne un pari.
– C'est pas un pari. Tu m'offres juste une chance de plus de gagner la figurine de mes rêves, trancha Inasa.
– Oh.
Son ami dévisagea le formulaire d'inscription d'un nouvel œil puis hocha finalement la tête. Inasa sourit, amusé, avant de se pencher sur sa propre feuille qu'il remplit prestement. Il se tourna ensuite vers son ami pour récupérer son document et se figea en apercevant le nom inscrit sur l'en-tête.
Todoroki Shouto.
Dans un flash, Inasa se retrouva brutalement à genoux, son cahier et son stylo rebondissant sur le bitume, alors que le regard froid d'Endeavor l'écrasait de son mépris. « Dégage de mon chemin. » Il adorait les héros depuis le primaire. Il aimait leur passion, l'espoir qu'ils transmettaient autour d'eux. Lui aussi voulait inspirer de tels sentiments. Lui aussi voulait être un héros. « Tu déranges. » Il aimait Endeavor plus encore, sa force et son charisme, l'aura qu'il dégageait depuis l'écran de sa télévision. Mais lorsque Inasa avait eu la chance de le rencontrer en vrai, il n'avait eu droit qu'à son regard de glace, empli de haine et de suffisance. « Tu déranges. Dégage de mon chemin. » Ces mots étaient gravés au fer rouge au fond de son crâne. Endeavor n'avait rien d'un héros, il n'était qu'un monstre d'égoïsme et de cruauté.
Inasa détestait plus que tout les hypocrites, ceux qui se faisaient passer pour meilleurs qu'ils n'étaient, ceux qui mentaient et manipulaient les autres. Il ne pouvait pas croire que Shouto...
– Tu es le fils d'Endeavor ! s'exclama-t-il sans réfléchir.
Il eut à peine conscience des regards qui se tournèrent vers eux, ni des commentaires et exclamations surprises qui fleurirent dans toute la salle d'arcade. Il ne voyait que le regard de Shouto, cet œil bleu derrière les mèches écarlates, cet œil si froid et plein de haine, ce regard hautain qui le jugeait et le méprisait, exactement comme l'avait fait son père.
– Qu'est-ce que tu dis ? souffla Shouto, si bas qu'il faillit ne pas l'entendre.
Sa voix était aussi froide que son regard. « Tu déranges. Dégage de mon chemin. »
– J'ai raison ! T'es un Todoroki, comme lui ?!
Emporté par la colère qui pulsait dans ses veines, Inasa agrippa Shouto par le col de son tee-shirt, peut-être plus violemment qu'il l'aurait voulu, mais il devait savoir, il devait comprendre, il devait l'entendre de sa bouche, de la bouche de celui qu'il pensait être son ami, qui était son ami, il voulait y croire – vraiment – mais cet œil bleu, cet œil de glace... L'œil d'Endeavor...
– La ferme ! grogna Shouto en se dégageant brusquement. Tu ne sais rien.
« Tu déranges. Dégage de mon chemin. »
Inasa serra les dents, la mâchoire crispée à lui faire mal. Le goût de l'humiliation lui brûlait la gorge. Il ne valait pas mieux que son père, ce crétin de Shouto ! L'air s'agita autour de ses doigts. Les Todoroki se croyaient meilleurs que les autres, mais ils ne laissaient que larmes et déceptions derrière eux. Tout le contraire de vrais héros. De la glace apparut sur le torse de Shouto. Inasa serra les poings, s'enveloppant d'une bourrasque de vent.
Cette fois-ci, il ne se laisserait pas rabaisser sans rien faire...
– Hé, pas d'usage d'alters ici ! intervient sèchement Yatoinin, l'un des employés de la salle d'arcade. Allez régler ça dehors.
Coupé en plein élan, Inasa hésita un bref instant et lorsqu'il tourna les yeux en direction de Shouto, celui-ci avait disparu. Une petite foule s'était rassemblée autour de lui. Inasa s'élança vers la sortie, déterminé à retrouver l'autre garçon mais lorsqu'il émergea enfin sur le trottoir, il ne le trouva nulle part. Avait-il pris la fuite ? Était-il lâche à ce point ? Une partie des visiteurs de la salle d'arcade l'avait suivi à l'extérieur, sans doute curieux de la bagarre annoncée, et semblèrent déçus.
Inasa ignora leurs regards méprisants et fit le tour du quartier, toujours en colère. Comment Shouto avait-il pu lui cacher une telle information ? Comment avait-il pu lui mentir ? Inasa le pensait son ami, mais on avait pas de tels secrets pour ses amis. Il aurait dû lui dire, il aurait dû lui dire ! Une poubelle se renversa à côté de lui parce qu'il ne contrôlait plus son alter. « Tu déranges. Dégage de mon chemin. » Shouto aussi pensait-il qu'Inasa n'était qu'un poids, un boulet sur sa route de privilégié ? Était-ce la raison de son départ ? Il ne voulait pas frayer avec une vermine comme lui ?
Un hurlement s'échappa des lèvres d'Inasa, et la poubelle vola à l'autre bout de la rue.
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Shouto referma la porte de la maison dans un claquement puis s'adossa contre le mur le plus proche. Ça bouillonnait dans son ventre et dans sa tête. Il n'y avait que son père pour le mettre dans cet état. Il n'aurait jamais cru qu'Inasa produirait un jour le même effet sur lui. Enfin, ce n'était pas exactement la même chose.
Un sentiment de trahison alimentait sa rage.
– Shouto ? Tout va bien ? demanda Fuyumi en surgissant dans l'entrée.
Une expression alarmée déformait ses traits – l'avait-il jamais vue autrement que soucieuse ? Il comprit la cause de sa crainte en suivant son regard sur sa propre main : des flammèches léchaient son poing crispé. Shouto les fit disparaître sitôt qu'il les aperçut.
Merde. Il n'était pas dans ses habitudes de perdre le contrôle de son alter.
– Qu'est-ce qui se passe ? reprit sa sœur, toujours inquiète.
– Rien. Je vais dans ma chambre.
Sans plus lui accorder un regard, l'adolescent retira ses chaussures, traversa le couloir puis s'enferma dans la seule pièce de la maison où il se sentait à sa place – son père n'entrait jamais ici. Il s'allongea sur le lit, les yeux fixés au plafond. Shouto s'astreignait à la plus parfaite immobilité, pour contenir tout ce qui palpitait et brûlait et bouillait et se consumait à l'intérieur de lui.
« Tu es comme lui. »
Pourquoi les mots d'Inasa faisaient-ils si mal ? Il détestait bien sûr qu'on le compare à son père, Shouto cherchait par tous les moyens à s'en détacher, rejetait en bloc toute part de lui qui pouvait rappeler Endeavor, parce qu'il refusait d'être son substitut – même s'il avait été spécifiquement conçu dans ce but, Shouto refusait cette vie qui ne lui appartenait pas. « Tu es comme lui. » Ce n'était pas la première fois qu'il entendait de tels mots, mais jamais encore ils ne l'avaient à ce point brûlé.
Qu'y avait-il de différent, aujourd'hui ? Était-ce à cause d'Inasa ?
Shouto l'appréciait. C'était un garçon amusant, gentil, à l'aise avec les autres. Inasa avait rajouté des couleurs et des bruits à la salle d'arcade. Shouto ne voyait auparavant ce lieu que comme un refuge à la présence de son père. Mais il s'enfermait dans une bulle de silence, une bulle en noir et blanc, où son attention se focalisait sur l'écran de son téléphone portable et rien d'autre. Puis Inasa était arrivé, si bruyant, si coloré ; il avait fait éclater la bulle et Shouto avait tout ressenti différemment, avec plus d'intensité : les lumières multicolores des bornes de jeux, la musique qui flottait au-dessus de leurs têtes, et les rires, surtout les rires – celui d'Inasa en fait, qui gonflait dans les airs, se répercutait contre les murs et résonnait jusque dans la poitrine de Shouto.
Ensuite, Inasa avait ramené Endeavor dans la salle d'arcade, le seul lieu où Shouto parvenait à l'oublier. Enfin, il ne l'avait pas ramené physiquement, mais son idée, sa présence, le poids qu'il faisait peser sur ses épaules peu importe tout ce que Shouto mettait en œuvre pour s'en débarrasser. C'était cela, plus que les mots d'Inasa, qui le faisaient brûler de colère.
Et quelque part, ça faisait mal qu'Inasa le voit seulement comme le fils d'Endeavor.
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Inasa rentra chez lui comme une furie. Les portes claquèrent, et pas seulement celles d'entrée et de sa chambre, mais toutes les portes de la maison, parce qu'il ne maîtrisait plus son alter. Ou peut-être qu'il le contrôlait parfaitement, en fait, et qu'il s'en servait pour évacuer la frustration qui crispait chacun de ses muscles.
Kochi et Hazure échangèrent un regard surpris, puis soupirèrent à l'unisson.
– C'est ton fils.
– C'est le tien aussi, je te signale.
Une esquisse de sourire amusé aux lèvres, les deux hommes cessèrent leur occupation et montèrent à l'étage voir ce qui troublait autant leur forte tête de fils pour qu'il fasse une entrée aussi fracassante. Kochi frappa deux fois à sa porte et demanda à entrer. Comme aucun grognement d'ours ne leur répondit, ils pénétrèrent dans la chambre d'Inasa.
L'adolescent était allongé sur son lit, le visage enfoncé dans l'oreiller. Un râle de frustration lui échappa et les feuilles de papier voletèrent sur son bureau. Elles s'apaisèrent toutefois lorsque Hazure et Kochi s'assirent au bord du matelas.
– Tout va bien ?
– Non.
– Tu veux en parler ?
– Non.
– Tu es sûr ?
Il ne répondit pas. Une poignée de secondes s'écoula dans un silence troublant. Ils pouvaient presque sentir les vagues de colère émaner d'Inasa, mais n'esquissèrent aucun geste, ne prononcèrent aucun mot, connaissant assez leur fils pour savoir qu'il ne parvenait jamais bien longtemps à garder ses émotions pour lui – il fallait que l'ouragan sorte, explose, se libère de ses chaînes.
Et effectivement, Inasa finit par bondir de son lit, fulminant et faisant les cents pas dans la pièce, les feuilles de papier sur le bureau tremblant sous la frustration qu'il ne parvenait pas à gérer. Il leur parla de Shouto, l'ami qu'il avait récemment rencontré à salle d'arcade. Son discours était décousu, entrecoupé de grognements et de gestes agacés ; ses pères parvinrent toutefois à se faire une assez bonne idée de ce qu'il s'était passé entre les deux adolescents. Ils connaissaient bien sûr la rancœur qu'Inasa vouait à Endeavor – eux-même n'appréciaient guère la façon dont le héros numéro deux avait traité leur fils – et comprenaient mieux son état d'agitation actuel. Inasa était un fonceur, un trait de caractère bénéfique à certains égards, mais il oubliait un peu trop souvent de réfléchir avant d'agir.
– Qu'est-ce que tu lui reproches exactement ? demanda Kochi.
– Il m'a menti ! Shouto m'a caché qu'il était le fils d'Endeavor ! On n'a pas des secrets pareils pour ses amis !
– Tu lui as déjà parlé de nous ?
Inasa se figea et dévisagea son père, interloqué.
– Hein ? Euh... Je ne pense pas.
– Tu ne lui as pas parlé de tes parents, il ne t'a pas parlé des siens : un point partout, conclut Kochi.
– C'est différent ! s'énerva Inasa.
– En quoi ?
L'adolescent ouvrit la bouche, s'immobilisa, serra les dents, puis recommença à faire les cents pas. Il était toujours aussi fébrile, mais les feuilles de papier cessèrent de frémir sur son bureau. Plusieurs secondes s'écoulèrent, pendant lesquelles Kochi et Hazure observèrent leur fils tourner en rond dans sa chambre. Un pli s'était formé sur son front, preuve qu'Inasa réfléchissait.
Il s'arrêta brusquement.
– Il m'a regardé comme Endeavor, lâcha-t-il finalement, la voix blanche et les poings serrés. Il m'a regardé comme Endeavor, comme si je n'étais qu'une petite merde sur son chemin.
Kochi eut l'impulsion de prendre son fils dans ses bras pour le réconforter – son enfant, son bébé, Inasa serait toujours son bébé, même en grandissant – mais Hazure le retint discrètement. Kochi haussa un sourcil à son intention mais son époux ne réagit pas, les yeux toujours posés sur Inasa.
– Pourquoi t'a-t-il regardé ainsi, à ton avis ?
L'adolescent cligna des paupières puis se renfrogna :
– Comment je le saurais ?
– Tu le connais depuis un moment, non ? Et il ne t'avait jamais dévisagé comme ça avant. Alors que s'est-il passé, à ton avis, pour que son comportement change de cette façon ? insista Hazure.
– J'ai découvert qui il était vraiment, grogna Inasa.
– Et tu le lui as dit, je suppose ? Bruyamment, sans doute. Tu vis toujours les choses avec intensité. Ce n'est pas une mauvaise chose Na-chan, mais parfois tu t'emportes un peu trop vite. On en a déjà parlé ensemble.
Une moue boudeuse sur le visage, leur fils baissa les yeux, les mains au fond des poches de son pantalon. Mais il avait cessé de s'agiter en tout sens et de grogner. Inasa écoutait. Avec mauvaise foi, mais il écoutait.
– As-tu pensé à ce que pouvait ressentir Shouto ? reprit Hazure. Il vient seul à la salle d'arcade. Il ne parle jamais de sa famille. Et lorsque toi, tu en parles, attirant toute l'attention sur lui, il s'énerve et s'en va. Il n'avait peut-être pas envie d'aborder le sujet, surtout en public. Qu'est-ce qu'il en a pensé, à ton avis ?
Inasa releva légèrement les yeux, perdu.
N'y tenant plus, Kochi se leva et serra son fils dans ses bras.
– Je sais que tu détestes Endeavor, chuchota-t-il. Mais être son fils n'est pas un crime. Ne projette pas ta colère sur Shouto, du moins pas sans le connaître mieux. Sa place n'est peut-être pas la plus enviable.
Inasa nicha son visage contre son torse, dissimulant quelques larmes, alors qu'Hazure se levait à son tour pour rejoindre leur étreinte. Ils n'insistèrent pas plus, s'assurant que leur fils n'avait besoin de rien avant de le laisser dans sa chambre. Il aurait besoin de temps et de calme pour réfléchir à sa dispute avec le fils Todoroki.
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Plusieurs jours passèrent avant qu'Inasa retourne à la salle d'arcade.
Cela le prit d'un coup – enfin, pas tout à fait, l'idée lui trottait dans la tête depuis un moment mais la décision de le faire vint subitement, comme ça, et il la suivit sans se poser plus de questions. Il descendit en trombe les escaliers, lança un « Je sors ! » à ses pères sans écouter leur réponse et claqua la porte de la maison. Un épais manteau blanc recouvrait le paysage urbain. Après un début de vacances étonnamment doux, les températures avaient brusquement chuté et il neigeait à gros flocons, sans discontinuer, depuis presque deux jours. Inasa se félicita d'avoir pris son blouson et en referma le zip avec précipitation.
Puis il partit en direction de la salle d'arcade, la neige craquant sous ses bottes. Une exclamation de surprise lui échappa lorsqu'il trouva les portes de la boutique fermées. Merde, on était déjà dimanche ? Il n'avait pas fait attention aux jours – mais eh, il était en vacances après tout ! Inasa hésita un instant à faire demi-tour mais il voulait toujours voir Shouto. L'idée de rentrer comme ça lui laissait un goût amer d'échec, aussi se mit-il à déambuler au hasard des rues, n'espérant même pas que la chance le guide jusqu'à son ami (ça n'arrivait que dans les films, ça) et ressassant les mêmes pensées qui se tortillaient en boucle sous son crâne.
Ses pères avaient raison.
Il s'emballait trop vite, trop fort, sans réfléchir, et il enchaînait les boulettes. Pas étonnant, en fait, que Shouto se soit barré de la salle d'arcade. Inasa l'avait jugé trop vite. Non, c'était même pas ça. Il avait laissé sa colère contre Endeavor effacer tout ce qu'il savait de Shouto. Il avait oublié son humour si particulier, son amour pour le Cola, sa faculté incroyable de progression sur des jeux qu'il découvrait pourtant, sa gentillesse aussi – Shouto ne jugeait jamais personne, il était cool. Il respectait les autres, lui.
Inasa avait oublié tout ça, pour coller le visage d'Endeavor sur celui de son camarade.
C'était Inasa qui avait été un mauvais ami, ce jour là.
Il devait s'excuser. Il voulait revoir Shouto et s'expliquer. Il refusait de perdre son amitié. Alors il reviendrait dès demain à la salle d'arcade, en espérant que Shouto y soit. Et s'il n'y était pas, Inasa reviendrait le lendemain. Et le jour d'après. Et le jour d'encore après aussi. Il viendrait tous les jours de la semaine jusqu'à ce qu'il revoie Shouto – Putain, pourquoi n'avaient-ils jamais pensé à s'échanger leurs numéros ? Inasa n'avait même pas réussi à le trouver sur les réseaux sociaux. Son téléphone n'affichait que les messages de ses pères mais il n'avait pas envie de leur parler alors il avait coupé la sonnerie et glissé l'appareil au fond de sa poche, préférant ruminer en donnant des coups de pied dans la neige.
La nuit commençait à tomber même s'il n'était pas encore très tard, Inasa se résigna à rentrer chez lui. Mais il se figea en reconnaissant tout à coup le visage de Shouto en face de lui. Merde, qu'est-ce qu'il foutait là ? Inasa jeta un coup d'œil autour de lui mais ne reconnut pas le quartier : il n'avait aucune idée d'où il se trouvait.
– Je...
– Que fais-tu ici ? demanda Shouto.
L'agacement perçait dans sa voix habituellement neutre et cela blessa Inasa plus qu'il ne l'aurait cru.
– Je suis désolé ! s'exclama-t-il bruyamment en s'inclinant si bas que son front heurta le sol.
Ses pères avaient également raison au sujet de sa manie à vivre les choses trop intensément. Mais peu lui importait au fond, Inasa était honnête, dans ses joies et ses peines, dans ses raisons comme ses torts. Il tint la pose une poignée de secondes avant de se relever d'un bond. Shouto le regardait d'un air perplexe.
– Je suis désolé de t'avoir comparé à Endeavor, reprit-il tout aussi bruyamment. J'étais en colère parce que je déteste Endeavor, mais c'est pas ta faute, ça. Je sais que tu n'es pas comme lui.
Les yeux de Shouto s'écarquillèrent et Inasa se demanda s'il n'avait pas encore fait une boulette.
– Tu le penses vraiment ?
– De quoi ?
– Que je ne suis pas comme lui ?
– Bien sûr !
– Et tu détestes vraiment Endeavor ?
– Oui ! Il m'a jeté au sol quand j'ai voulu l'approcher pour lui demander un autographe ! C'est un connard prétentieux et égoïste, il est tout ce qu'un héros ne doit pas être, il est l'anti-thèse du héros ! s'égosilla Inasa.
Il ne réalisa qu'après-coup qu'il aurait dû mesurer ses paroles. Même s'il pensait chacun de ses mots, Shouto restait le fils d'Endeavor et il n'aimerait sans doute pas entendre parler ainsi de son père, sauf que...
Shouto éclata de rire.
Et Inasa réalisa que c'était la première fois. Il l'avait vu sourire, avoir des reniflements amusés, ricaner en silence, mais il ne l'avait encore jamais entendu rire. C'était un son doux, apaisant, même si Inasa ne comprenait pas trop ce qui le faisait rire. Il venait pourtant d'insulter son père, non ? Au beau milieu de ses excuses en plus – Inasa n'était pas doué pour les excuses.
– Je suis totalement d'accord avec toi, finit par dire Shouto.
Il avait cessé de rire, mais un sourire lumineux éclairait toujours son visage. Il était craquant.
– Ah ?... Oh ! comprit Inasa.
À sa grande surprise, Shouto ne tarissait pas de reproches et d'insultes au sujet d'Endeavor. Ils passèrent un moment à décrire combien il était un mauvais héros et Inasa comprit entre les lignes que Todoroki Enji attendait de Shouto qu'il devienne comme lui, déposant un poids bien trop pesant sur les épaules de son fils. Inasa se sentit encore plus stupide de sa réaction à la salle d'arcade, mais était heureux de s'être réconcilié avec son ami. Ce fut sans hésitation que Shouto accepta de lui donner son numéro.
En sortant son téléphone, Inasa écarquilla les yeux devant le nombre de messages laissés par ses pères. C'est alors qu'il percuta la date, pourtant inscrite en haut de son écran : 24 décembre 2021.
– Merde, c'est la veille de Noël ! s'exclama-t-il.
– Tu n'avais pas remarqué ?
– Mes pères vont me tuer, gémit-il. Je ferais mieux de rentrer. Mais, et toi ? Tu n'es pas avec ta famille ?
Shouto se pinça les lèvres.
– Je me suis encore disputé avec mon père. Mais je vais rentrer.
– Mince, ça va aller ?
– Oui, j'ai l'habitude.
Inasa insista encore, allant même jusqu'à lui proposer de passer le réveillon avec lui et ses pères – même si ces derniers allaient le massacrer, non seulement il avait disparu toute la journée sans aider aux préparatifs, mais si en plus il rentrait en retard avec un invité surprise... Shouto déclina toutefois son offre, et Inasa ne sut pas très bien s'il en était déçu ou soulagé.
Ils promirent de se revoir très vite à la salle d'arcade, puis se séparèrent.
Inasa accéléra le pas en se préparant mentalement à la soufflante qu'il prendrait à son retour à la maison.
Son téléphone, le mode sonnerie de nouveau activé, laissa échapper un son d'alerte.
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De : Shouto, le 24/12/2021 à 18h23.
Joyeux Noël, Inasa.
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De : Moi, le 24/12/2021 à 18h24.
Joyeux Noël, Shouto.
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Inasa rangea son téléphone, sourire aux lèvres et le cœur tout chaud au fond de sa poitrine.
Peut-être bien qu'il était en train de tomber amoureux, en fait.
