Rating : K+
Genre : Romance, Drama.
Destinataire : Coucou Tsu ! J'espère que ce petit ShinKami te plaira, je me suis assez amusée à écrire cette théorie dont je sais que tu es très fan ! Je te souhaites un Joyeux Noël !
Le marché de Noël
Hitoshi n'aimait pas le marché de Noël.
La foule s'y pressait de toute part, masse grouillante et imprévisible qui semblait sur le point de l'avaler lorsqu'il se risquait à y poser pied. Pas qu'il soit agoraphobe, mais la sensation était oppressante, désagréable.
Et puis, pendant très longtemps, il n'avait eu personne avec qui visiter de telles attractions populaires. Parce que ses parents avaient d'autre préoccupations que de l'emmener au marché de Noël, parce que son alter faussait toujours ses amitiés et que même ceux qui se disaient ses amis n'osaient en réalité passer trop de temps en sa compagnie. À cette époque, la vision des groupes d'amis, des familles réunies devant les chalets et les décorations le rendait malade, son ventre noué de frustration, d'aigreur, de jalousie.
C'était à nouveau le cas, aujourd'hui. Mais il n'en avait pas toujours été ainsi. Une fois, oui, une année, Hitoshi s'était rendu au marché de Noël et avait apprécié la visite, malgré la foule et le bruit.
Parce que Denki était avec lui.
Sa première année à Yuei avait été marquée par les déceptions et les espoirs brûlants. Il avait échoué à l'examen héroïque, mais il avait réussi à entrer en classe générale. Il avait perdu à l'occasion du tournoi sportif, mais il était parvenu à se faire remarquer d'un professeur, et pas des moindres, puisque Aizawa avait accepté non seulement de l'entraîner mais aussi d'appuyer sa demande de transfert. Et Hitoshi y avait cru, vraiment. À l'issue de l'entraînement commun des secondes A et B, les enseignants lui avaient promis qu'il pourrait passer en héroïque. Son rêve était enfin à sa portée. C'était aussi ce jour-là qu'il avait rencontré Denki.
Ils s'étaient vus auparavant, au tournoi sportif, au détour d'un couloir ou encore à la cantine, mais ils ne s'étaient jamais parlé. Leur première vraie interaction remontait à cet entraînement commun. Hitoshi s'était laissé apprivoiser – pas seulement par Denki, mais aussi par les autres élèves de classes héroïques. Peut-être que voir son objectif enfin accessible l'avait rendu plus souple, plus sociable, malgré sa volonté affichée de ne pas se faire d'amis.
Car Denki était devenu bien plus qu'un ami alors que les mois passaient.
Hitoshi était tombé amoureux. Follement. Irrationnellement. Et ils avaient vécu des semaines incroyables, si incroyables qu'elles lui paraissaient aujourd'hui irréelles, comme un rêve ou un fantasme soufflé par son imagination. Il se repassait les souvenirs en boucle, comme pour se convaincre que cela avait existé, qu'il avait vraiment été aussi heureux à un moment de sa vie.
Et ouais, Denki l'avait traîné sur le marché de Noël, parce qu'il adorait ça, lui. La foule, les gens, la musique, les chalets, les stands de crêpes et de marrons grillés, les décorations, les illuminations sur les murs, les toits, les jardins. Il trouvait ça magique, et il avançait avec un sourire de trois kilomètres, des étoiles pleins les yeux. Et rien que pour ça, Hitoshi avait apprécié le marché de Noël. Pour lui, pour Denki qui n'avait pas peur de marcher à ses côtés, qui l'aimait autant qu'Hitoshi l'aimait, qui lui faisait confiance. Et sa gorge se nouait à ces souvenirs, parce que c'étaient des putains de bons moments, peut-être les meilleurs de sa vie, mais c'était de l'histoire ancienne, ça. Une époque pas si lointaine mais déjà révolue.
Parce que Denki était un traître.
Parce que Denki était un vilain sous couverture depuis le début.
Il avait menti, s'était fait passer pour le mec cool, sympa, mais un peu stupide de la classe, trop naïf pour qu'on puisse le soupçonner de quoi que ce soit. Il avait bien caché son jeu. Il s'était bien foutu de leur gueule, à tous.
Et alors que les activités de la Ligue des Vilains devenaient de plus en plus préoccupantes, secouant l'ordre établi et malmenant les fondations de leur société, Denki avait révélé sa véritable nature. Il avait quitté Yuei à la fin de leur première année. Il avait quitté sa classe, ses amis, ses professeurs. Il avait quitté Hitoshi.
Depuis ce jour, Hitoshi haïssait le marché de Noël.
Pourtant, il y venait chaque fois qu'il en avait l'occasion. Depuis trois ans, sans exception. Il marchait au milieu de la foule, l'humeur morose, évitant les groupes d'amis, les familles, les couples transis d'amour. Il regardait à peine les devantures des chalets, ne se souciait guère des décorations ou des animations proposées. Il venait juste pour s'oublier. Ou, au contraire, pour se remémorer. En vérité, le jeune homme ne savait pas trop ce qui le poussait jusqu'ici. Il finissait toujours par s'asseoir sur un banc public, sur la place centrale du marché. Il laissait les bruits, les conversations et la musique l'engloutir, effacer ses déceptions et ses désillusions. Hitoshi ne se sentait pas particulièrement à sa place, ici, mais c'était toujours mieux que partout ailleurs.
Ici, il pouvait presque imaginer que Denki était toujours avec lui.
– Les dangos de Noël, c'est vraiment de la balle ! s'exclama-t-il en s'asseyant à côté de lui, sur le banc public.
Hitoshi se figea, le cœur suspendu entre deux battements, le souffle verrouillé à ses lèvres. La tête baissée, il apercevait à peine sa silhouette du coin de l'œil, mais craignait de tourner le regard. Il avait une conscience accrue de sa présence, des bruits qu'il faisait en mangeant, de la chaleur de son corps juste à côté du sien, pourtant il ne parvenait pas à y croire. Il ne l'avait plus revu depuis sa trahison, depuis deux ans et demi. Presque trois.
C'était impossible. Denki était un vilain. Son visage avait fait la une des journaux pendant des mois. Alors il ne pouvait pas se montrer ainsi en public, à visage découvert, comme si de rien n'était, pas vrai ? Fébrile, il leva la tête, observant la foule autour de lui, s'attendant à des regards suspicieux, à des visages inquiets, voire paniqués... mais rien. Personne ne semblait se rendre compte que l'un des hommes les plus recherchés du pays était actuellement assis sur un banc, à côté de lui, en train de bouffer des dangos. Hitoshi ne le regardait toujours pas, mais il était certain que Denki s'en mettait plein les joues et les doigts.
C'était surréaliste. Et il ne savait pas s'il était heureux ou révolté de le revoir. Une part de lui avait juste envie de lui mettre son poing dans la figure, de lui hurler qu'il n'était qu'un putain d'imbécile qui avait piétiné sa chance d'être un héros, un connard qui avait trahi tout ce en quoi il croyait, un salaud qui lui avait brisé le cœur. Une autre part d'Hitoshi voulait comprendre, comprendre pourquoi, réclamer des explications, des justifications, dans l'espoir de retrouver le garçon dont il avait été si amoureux – et qu'il aimait encore en fait, parce qu'il ne pouvait s'en empêcher, malgré sa trahison, et cela le détruisait un peu plus chaque jour.
Au lieu de tout cela, Hitoshi tourna enfin les yeux vers Denki.
Il n'avait pas changé. Enfin, il était plus vieux, aujourd'hui âgé de dix-neuf ans, mais c'était toujours le même garçon, avec ses cheveux blonds en pagaille, sa mèche noire, son sourire si grand, si lumineux, si innocent. Comment un tel sourire pouvait-il être celui d'un vilain ? Cela n'avait aucun sens. Aucun. Putain. De. Sens.
Denki se tourna vers lui.
Il avait effectivement de la farine de dango plein la bouche. Il s'essuya maladroitement, l'air penaud. Son sourire vacilla un peu.
– Tu me détestes ?
– Je...
Oui. Non. Hitoshi n'en savait fichtre rien.
– Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il à la place.
– J'avais envie de te voir.
Maintenant ? Après presque trois ans ? Après, après tout ce qu'il s'était passé, après ces années de silence et d'ignorance – mais qu'est-ce qu'il lui prenait tout à coup, pourquoi, pourquoi ? Et il le regardait de cet air ingénu, qui avait fait craquer Hitoshi il y a longtemps, et qui le faisait craquer à nouveau aujourd'hui – Hitoshi se détestait de ressentir ça. C'était un traître, rien qu'un traître, il ne pouvait pas être amoureux d'un traître, il avait trop souffert à cause de lui.
– En quel honneur ? marmonna-t-il, acerbe.
– Donc, tu m'en veux, soupira Denki. Je comprends. Je m'y attendais, en fait.
Le jeune homme finit ses dangos puis s'appuya contre le dossier du banc, le visage pensif. Ou bien nostalgique ? Chagriné ?
– Pourquoi tu es là ? répéta Hitoshi en détournant les yeux.
S'il continuait de le regarder, il allait lui mettre son poing dans la figure. Ou pire.
– Je suis désolé, dit Denki, ignorant sa question. Enfin, pas de m'être infiltré à Yuei et d'être du côté de Shigaraki. Je pense sincèrement que la société héroïque est vouée à l'échec, à l'effondrement. Qu'il faut construire autre chose à la place...
– En détruisant tout ce qui existe déjà ?
– Je reconnais que c'est une méthode radicale. Mais c'est aussi la plus efficace.
– De quoi tu t'excuses alors ? demanda Hitoshi, amer.
– De t'avoir menti.
Le jeune homme serra les poings, les yeux résolument baissés sur ses chaussures. Comment pouvait-il lui dire ça ?
– J'ai peut-être fait semblant avec tous les autres, mais j'ai jamais joué la comédie avec toi. J'étais vraiment amoureux de toi. Je le suis toujours, pour être honnête, même si j'imagine que tu ne veux plus entendre parler de moi. Je ne vais pas te déranger longtemps, promis. C'est juste que... que je suis sincèrement désolé que tu n'aies jamais pu entrer en héroïque. Je sais combien tu en rêvais. Et je, je me dis que c'est un peu de ma faute si ton transfert a été refusé...
Hitoshi ferma les yeux. Il avait envie de le frapper. Les larmes s'accumulaient derrière ses paupières closes mais il refusait de les laisser couler. Il ne voulait pas, il ne voulait pas...
Après la trahison de Denki et les violentes attaques de la Ligue des Vilains, la Commission de Sécurité Publique Héroïque était devenue beaucoup plus sévère et exigeante sur les admissions et transferts en classe héroïque. Malgré les demandes appuyées des professeurs et même du directeur Nezu, le changement de filière d'Hitoshi avait été refusé. Aizawa lui avait dit de ne pas abandonner, que la décision était politique et qu'il lui suffisait d'être patient, qu'ils finiraient par changer d'avis. Hitoshi avait alors renouvelé sa demande de transfert, encore et encore, en première, puis en terminale mais il n'avait essuyé que des refus et sa scolarité à Yuei s'était finalement achevée sans qu'il ne mette un seul pied en héroïque.
Il en avait pleuré de rage, plus d'une fois, au fond de son lit. Il s'était éloigné des élèves de classe A et B, trop empli de rancœur pour tolérer leur présence. Il s'était replié sur lui-même, s'isolant de ses camarades, parce qu'il ne savait pas gérer les problèmes autrement. Hitoshi était tellement, tellement en colère, contre cette société d'apparence qui jugeait son alter sans chercher à savoir ce qu'il pouvait offrir d'autre. On cataloguait les gens sans les connaître, les enfermant dans une case où ils devaient soigneusement rester parce qu'il était inadmissible qu'une personne se révèle différente de ce que l'on pensait... La vie n'était faite que de putains de mensonges et Hitoshi ne savait plus quoi penser, qui croire. Il était juste perdu.
– J'ai cru comprendre que tu étais entré dans une fac de droit, reprit Denki d'une voix hésitante. Tu t'y plais ?
Non. Hitoshi détestait cet endroit.
Il détestait cette ville, ce monde qui ne voulait pas de lui, il détestait sa vie. Il avait juste envie de partir et tout foutre en l'air.
– Tu le pensais vraiment ? demanda-t-il tout à coup.
– De quoi ?
– Que je pouvais devenir un héros.
– Oui. Enfin, je veux dire... ça me foutait hyper mal, parce que je savais que ça ferait de nous des adversaires, expliqua Denki. Mais c'était ce que tu voulais vraiment et j'aurais jamais imaginé me mettre en travers de ça. Parce que tu es quelqu'un de génial, Hitoshi. Et quoique tu veuilles être plus tard, tu seras forcément génial. Je suis vraiment désolé que tu ne puisses pas être un héros comme tu en rêvais. Mais ça ne change pas qui tu es.
Pourquoi est-ce que les paroles d'un vilain le réconfortaient-elles plus que tous les encouragements d'Aizawa et des autres ? Peut-être parce que Denki ne le voyait ni comme un héros, ni comme un vilain, mais juste comme il était réellement, sans étiquettes, sans cases, sans jugement prédéterminé. Cela lui réchauffait le cœur, pour la première fois depuis longtemps.
Hitoshi se redressa, essuyant les traces humides au coin de ses yeux qu'il n'avait pas laissé couler.
– Merci.
– Je t'en prie.
– Et maintenant ?
Denki le regarda du coin de l'œil, comme s'il hésitait à poursuivre.
– Qu'est-ce que tu veux faire, Hitoshi ?
– J'en sais rien.
Pourtant sa main vint timidement chercher celle de Denki sur le banc. Ce dernier eut un léger sursaut mais aussitôt après serra fort ses doigts au creux de sa paume. Ils restèrent silencieux un moment, suspendus hors du temps, hors du monde. Le marché de Noël, ses lumières et ses chansons s'étaient effacés autour d'eux, les laissant dans une bulle où rien d'autre n'existait.
– Tu pourrais venir avec moi, lâcha finalement Denki sans oser le regarder.
La gorge d'Hitoshi se noua. Pourquoi l'idée ne paraissait-elle pas aussi absurde qu'elle devrait l'être ? Il s'était toujours révolté contre l'idée d'être un vilain, contre cette étiquette qu'on lui apposait de force, sans lui demander son avis. Pour contre-balancer, il avait voulu s'afficher comme un héros, mais Hitoshi avait lamentablement échoué.
Alors que lui restait-il, aujourd'hui ?
Il baissa les yeux sur leurs mains liées et son cœur se serra. Est-ce que cela avait vraiment un sens, au fond ? Héros ou vilains, quelle différence ? Chacun n'essayait-il pas seulement de faire entendre sa voix dans une société trop étouffante pour se soucier des individus ? Les vérités se fracassaient sous son crâne, la seule certitude qu'Hitoshi conservait, c'était cette main au creux de la sienne, ce garçon – cet homme – dont il n'avait jamais cessé d'être amoureux. Il allait arrêter de vivre en fonction de ce que les autres pensaient de lui. Il devait faire ses propres choix à présent.
– Je pourrais.
Hitoshi se pencha pour l'embrasser. Il perçut sa surprise, mais Denki ne tarda pas à répondre au baiser, glissant ses bras autour de sa nuque. Peut-être était-ce une mauvaise décision, une monumentale erreur, mais peu importe, décida Hitoshi. Il verrait ça plus tard. Il en assumerait les conséquences si nécessaire. Pour le moment, seul comptait Denki, sa présence et sa chaleur.
Il n'y avait qu'avec lui, après tout, qu'Hitoshi appréciait les marchés de Noël.
Alors il serait un vilain, pour le meilleur comme pour le pire.
