La Lance et le Marteau

Résumé

Aloy va aider Érend à retrouver sa soeur. Et si le fait de voyager en sa compagnie pendant un certain temps changeait un peu son point de vue ? Elle qui avait l'habitude de voyager seule se retrouve avec quelqu'un sur qui veiller... et surtout quelqu'un qui veille sur elle.

Notes

Ce chapitre est dans ma tête depuis que j'ai pris connaissance de l'Horizontober, ahah.

Et nous voici donc au jour 17 avec "Sputter", qui veut dire "crépitement".

Bonne lecture !


XV – Au coin du feu

Sputter (day 17)

Le lendemain matin, deux surprises trouvèrent Érend. L'une bonne, l'autre un peu moins.

La bonne surprise, c'est qu'à son réveil, il avait trouvé Aloy blottie tout contre lui et, par le feu et la braise, il n'aurait pu rêver mieux comme réveil ! Durant le sommeil, elle s'était rapprochée de lui et sans qu'il sache comment, son bras à lui avait glissé autour de ses épaules pour la tenir contre lui. La recherche de la chaleur, certainement.

Quand il la sentit remuer, sur le point de se réveiller, il feignit de dormir, ne voulant pas être celui qui briserait leur étreinte. Car il était bien là, dans un lit, sous des couvertures, avec Aloy dans les bras.

Aloy remua un peu plus et il l'entendit bâiller. Elle se sépara de lui et se leva du lit et aussitôt, Érend regretta sa présence. Il l'entendit mettre une bûche ou deux dans la cheminée et profita de cette excuse pour se "réveiller".

La deuxième surprise, un peu moins bonne, était que la tempête continuait à faire rage au-dehors. Et d'un commun accord, ils décidèrent de rester encore dans la cabane, le tas de bois laissé étant suffisant pour tenir encore au moins deux jours… Mais même s'il adorait passer du temps avec Aloy, il espérait que la tempête serait partie avant cela.

Ils passèrent le temps à préparer des munitions, Aloy excellant dans la fabrication des flèches. Lui s'occupa de son marteau de guerre. Ils discutèrent un peu de tout et de rien, des machines qu'Aloy avait appris à pirater, de Méridian.

Le soir, ils dînèrent d'un bouillon dans lequel Aloy avait jeté de la viande séchée. Ce n'était pas le meilleur des repas, mais c'était toujours mieux que rien. Après avoir terminé leur repas, ils paressèrent un peu, assis devant le feu, bercés par le crépitement des flammes. Le Capitaine de l'Avant-garde était toujours fasciné du jeu de couleurs des cheveux de la Nora quand elle était à proximité d'un feu… Parfois, elle était perdue dans ses lumières diffusées par son focus et il pouvait l'observer sans qu'elle s'en rende vraiment compte.

« Aloy ? » dit-il après une longue séance de mains gesticulant dans les airs, touchant des choses que lui ne pouvait voir.

« Oui ? »

« Euh… Comment dire… Tu te rappelles quand tu es arrivée à Méridian la première fois… ? »

Elle hocha simplement la tête en le regardant. Il déglutit péniblement sous son regard et il s'en voulait encore tellement de la façon dont il avait réagi. Autant profiter qu'ils étaient enfermés pour vider son sac, non ?

« Euh… Quand tu m'as parlé de la mort de Rost… J'ai eu… une réaction… pas très sympa… » Il fit une grimace. Il avait carrément fait preuve d'un manque de compassion innommable. Il se passa une main sur la nuque et soupira. « Et je tenais à m'en excuser… »

Elle ne dit rien, se contentant de l'observer de ses yeux verts tandis que lui reportait son regard sur le feu de la cheminée. Ça ne servait à rien de reporter la faute de son comportement sur l'alcool. Oui, c'est vrai, il était passablement ivre quand elle s'était montrée à Méridian, déclarant haut et fort qu'elle voulait lui parler. Mais lui, il était encore tellement sous le choc de la "mort" d'Ersa que rien ne pouvait le toucher… Pas même une jeune femme qui faisait preuve de compassion en lui confiant avoir perdu la seule personne qui ait jamais fait partie de sa vie…

« J'étais tellement obnubilé par mon propre chagrin… et écrasé par le poids de ce grade de Capitaine que je n'ai jamais voulu porter… que je me suis montré égoïste et bêtement blessant… »

« Tu étais triste, » dit-elle. « Quand Teersa m'a dit être désolée de la mort de Rost, je n'ai rien dit… mais j'avais juste envie de la gifler. » Elle haussa les épaules, ramenant ses genoux devant elle et les entourant de ses bras. « Pourtant, elle est celle qui a fait le plus preuve de gentillesse à mon égard… Mais voilà… Alors ne t'en fait pas, je comprends. »

« Même si c'est le cas, sache que je suis vraiment désolé… Et bon… Je me doute que tu n'en as peut-être pas envie, mais si tu veux me parler un jour de ce Rost, je serai tout ouïe… »

Un petit silence s'abattit sur la cabane.

« Je suis désolée, » dit-elle au bout d'un moment. « Pendant les funérailles d'Ersa… je… »

« Je sais, » dit-il d'un ton doux et affectueux. « J'ai l'impression que tu n'as pas eu l'occasion de pleurer sa disparition, encore… »

« Il a une tombe, apparemment… » dit-elle, la gorge nouée. « Mais… je ne suis pas encore allée… Je n'ai pas encore… »

Elle se passa une main rageuse dans ses cheveux et grogna presque. Puis elle poussa un soupir et regarda le feu, ses épaules se détendant légèrement.

« Aloy ? » demanda Érend d'une voix douce. « Comment est-il mort ? »

Elle fronça les sourcils et se tourna vers lui. Elle semblait hésitante et un peu surprise, comme si elle ne s'attendait pas à ce qu'on lui pose un jour la question. Elle ouvrit la bouche, la referma, puis l'ouvrit à nouveau pour la refermer sans avoir prononcé le moindre mot.

« Tu… tu veux vraiment… savoir… ? »

« Je veux essayer de comprendre ce par quoi tu es passée, » dit-il d'un ton sincère. « Je veux que tu partages ta peine avec moi, comme j'ai un peu partagé la mienne avec toi. »

Son regard s'assombrit un moment. Elle finit par prendre une profonde inspiration et alluma son focus. Elle fit bouger ses mains, concentrée pendant quelques minutes, puis éteignit son appareil pour le lui tendre.

« Tu sais comment ça fonctionne, maintenant… Si tu veux voir… Mais les images ne sont pas… faciles… »

Il prit l'appareil d'une main un peu hésitante. Mais il savait qu'il allait le faire.

« Tu as assisté à la mort d'Ersa, » dit-il. « Alors je regarderai… Mais tu as vraiment… enregistré ça… ? »

« Ce n'était pas volontaire, » dit-elle d'une voix lugubre. « Quand je me suis réveillée, après ma chute, j'ai vu que mon focus avait enregistré… Je ne l'ai regardé qu'une fois… Mais je n'ai pas eu le cœur de le supprimer… C'est mon dernier souvenir de Rost… La dernière image que j'ai de lui… »

Il hocha la tête, et installa le focus d'Aloy sur sa tempe. Il l'alluma et comme la dernière fois, vit un rectangle avec les symboles en-dessous. Il appuya sur le triangle et vit aussitôt ce qu'il ne pouvait appeler que chaos.

Il comprit rapidement qu'il assistait à la fin de l'Éclosion. Des corps de Noras jonchaient le sol. Une jeune fille à la peau sombre se faisait abattre par une de ces armes redoutables que possédait l'Eclipse.

-·- Vala, non ! -·-

C'était Aloy qui criait, mais pas seule. Un jeune homme blond criait lui aussi le nom de la pauvre victime. Il se précipita vers elle et se fit abattre lui aussi. Une voix lointaine disait que la rouquine devait mourir aussi. Aloy…

Dans l'enregistrement, elle était maintenant seule face aux ennemis. Mais elle se battit, ne baissa jamais les bras, car ainsi était Aloy. Elle tua tous ses adversaires, à coup de lance ou grâce à ses flèches.

Elle s'approcha ensuite de celui qui semblait être le chef et s'agenouilla près de lui. Elle constata alors qu'il avait un focus sur sa tempe. Elle le lui prit et le mit dans sa poche. Alors qu'elle se relevait et se retournait, certainement pour rejoindre le reste de sa tribu, elle tomba face à face avec un homme à la peau claire et aux yeux pâles. Aussitôt, il tendit un bras, l'attrapa à la gorge et la souleva, avançant en la tenant à bout de bras, jusqu'à ce qu'elle soit au-dessus de la falaise. S'il la lâchait…

Érend prit peur, puis se rappela qu'Aloy se tenait à ses côtés. Elle avait survécu à tout cela. Elle avait survécu… Mais par le feu et la braise, son cœur battait à tout rompre tout de même…

Aloy tentait de griffer son adversaire, mais il ne semblait pas se rendre compte de ses efforts. Il sortit un couteau de sa ceinture.

-·- Regarde le Soleil en face, fillette. -·-

Il tendit le couteau vers son cou, dans le but plus qu'évident de l'égorger, alors qu'elle tentait de retenir sa main de la sienne. Puis, du sang gicla, venant tant d'Aloy que de l'épaule de l'ennemi qui venait de se faire transpercer par une flèche. Il lâcha Aloy, mais pas dans le vide, heureusement. Et c'est alors qu'un Nora entra en scène, tirant des flèches vers celui qui avait failli tuer Aloy.

Rost, comprit Érend.

L'homme était grand et vêtu d'habits typiquement noras. Quand il comprit que les flèches n'avaient pas beaucoup d'effet sur son adversaire, il s'empara de sa lance et se battit au corps à corps avec lui. Et il se battait bien, devait admettre Érend. Il n'aurait clairement pas aimé se retrouver face à lui. Sa maîtrise de la lance était redoutable. Il comprit d'où Aloy tirait ses compétences.

Malheureusement, cela n'empêcha pas le Carja de l'Ombre de poignarder Rost au niveau de l'abdomen. Bien qu'Érend s'attendait à ce que le Nora se fasse battre, cela resta un choc. Et dire qu'Aloy avait assisté à tout cela sans pouvoir intervenir…

Il y eut un moment de noir et l'Oseram comprit que c'était parce qu'Aloy avait perdu connaissance. Mais si l'image n'était pas là, le son lui parvenait tout de même. Des voix disant de tout brûler. Un chariot qu'on faisait rouler. Le bruit de quelqu'un se déplaçant dans la neige.

-·- Aloy ! -·-

C'était certainement la voix de Rost, à en juger par l'inquiétude qui transperçait.

L'image revint. Rost, penché sur Aloy. Il était visiblement mal en point, mais il semblait tellement inquiet pour celle qu'il avait élevé toute sa vie. Il regarda un moment derrière lui puis reporta son attention sur elle.

-·- Tu vas vivre ! -·- dit-il d'une voix déterminée.

Il la fit glisser le long de la falaise. Elle tendit une main vers lui, et lui vers elle. Son visage apparaissait alors qu'elle tombait, puis fut remplacée par une gerbe de feu et le bruit assourdissant d'une explosion… Celle que lui-même avait entendue alors qu'il était dans le village, avec les autres.

Cette explosion qui avait affolé tant les Noras que les étrangers présents pour l'Éclosion. L'explosion qui avait coûté la vie à Rost.

Érend vit la chute d'Aloy et sentit son cœur se serrer. Ensuite, ce fut fini. L'enregistrement prit fin sans qu'il ait besoin d'appuyer sur le petit carré. Et cette fois-ci, il ne chercha pas à regarder plus. Il appuya sur la croix, comme la dernière fois, et retira le focus pour le rendre à sa propriétaire.

« Aloy… » dit-il d'une voix étranglée. « Je… je suis désolé… »

« Merci, Érend, » dit-elle. Elle reprit le focus mais ne le mit pas sur sa tempe, se contentant de le garder en main. « Tu sais… après être sortie de la Montagne de la Toute-Mère, j'ai interrogé Teersa… Je lui ai demandé pourquoi il avait été banni de la tribu… »

« Et… t'a-t-elle répondu ? » s'enquit le Capitaine.

« Oui… Oui, elle l'a fait… Et elle m'a tout dit… » Elle prit une profonde inspiration et regarda le focus qui était posé au creux de sa paume. « Il avait une femme et une fille. Elles ont été tuées par des bandits… Et… Il est devenu Cherche-mort pour… partir à la recherche de ces douze hommes… et les tuer. »

« Par la forge… » souffla Érend. Il s'attendait à beaucoup de choses, mais pas à ça. Puis il se dit que la souffrance d'un homme face à la perte de sa famille devait être insupportable pour en arriver à de telles extrêmes. Rost avait décidé de tout sacrifier pour sa vengeance. Dervahl était prêt à raser une ville pour les mêmes raisons. Olin avait trahi pour sauver sa famille...

Il s'interrogea brièvement... Si un jour il devait perdre la femme qu'il aime et son enfant, jusqu'où serait-il prêt à aller… ?

« Il les a tous retrouvés… » continua Aloy. « Mais il a été blessé. Il a été sauvé… Cela n'aurait pas dû se passer comme cela, alors il a pu rester sur les Terres Sacrées à condition d'être un Paria. Et puis… elles m'ont confié à lui… » Elle eut un petit rire un peu sec qui étonna Érend. « Elles ont confié un nourrisson à un homme qui venait de perdre sa fille... N'est-ce pas un peu cruel de leur part ? »

Érend fronça les sourcils. L'était-ce ? Si Rost n'avait pas été là et s'il n'avait pas accepté, que serait-il advenu d'Aloy ?

Elle ne laissa pas le temps à Érend de répondre et se leva, étira ses bras au-dessus de sa tête. Il se leva aussitôt.

« Le vent s'est calmé, » dit-elle. « On devrait aller dormir, ainsi on reprend la route demain. »

Elle se tourna vers le lit avec l'intention de s'y diriger, mais Érend lui prit doucement la main et la retint. Elle leva les yeux vers lui et il nota qu'elle avait une expression la plus neutre possible. De son autre main, il souleva son menton et jeta un coup d'œil à son cou. La cicatrice faite par le couteau du chef de l'Éclipse était bien visible...

« Il ne t'a pas ratée, » commenta-t-il. « Et je ne pense pas que c'était de la cruauté de la part des Matriarches de te confier à Rost, » continua-t-il. « Cela lui a peut-être tout simplement donné une nouvelle raison de vivre. » Il lâcha son menton. « Et tu sais, dans le souvenir que tu m'as montré, le regard inquiet qu'il t'a lancé, ce n'est pas celui qu'un mentor lancerait à son protégé, mais bien celui qu'un père lancerait à sa fille. C'est ainsi que je le vois, en tout cas. »

Elle ne dit rien mais il la vit se mordre la lèvre. Et il comprit qu'elle tentait de retenir sa peine.

« Et je ne pense pas qu'il ait un jour regretté de t'avoir eu dans sa vie. »

Une larme coula. Puis une autre. Elle les essuya brusquement, comme si elle s'en voulait. Elle détourna le visage, comme pour éviter qu'Érend ne la voie pleurer. Alors, tout doucement, il l'attira à lui et la prit dans ses bras, afin que son visage soit contre son torse et qu'elle puisse pleurer, à l'écart de son regard.

« J'aurais dû me douter qu'il ne me laisserait pas tomber, » dit-elle dans un sanglot. « Qu'il me suivrait et qu'il m'observerait de loin. Malgré tout ce qu'il disait, je suis sûre qu'il a toujours fait pareil, même quand il m'a envoyée contre ce Dent de scie… Je suis sûre qu'il serait intervenu si… et c'est à cause de moi… Il est… »

« Ce n'est pas de ta faute, » dit-il en lui caressant doucement les cheveux. « Ce sont les membres de l'Éclipse, les responsables… et surtout ce type aux yeux pâles... »

« Hélis… » souffla Aloy.

Érend ne dit rien. Hélis… le champion du Roi Jiran…

« Je suis désolée… » renifla-t-elle. « Je suis en train de mouiller ta tunique… »

« Bah, elle séchera, » dit Érend d'un ton léger. « Pleure, il faut que cela sorte, sinon tu vas devenir folle. »

Et elle pleura, mouillant encore et encore la tunique d'Érend. Quand ses larmes se furent taries, elle s'excusa encore et Érend lui tendit un mouchoir pour son nez qui avait pris une petite teinte rouge. Puis, tournant le dos à Aloy, il retira sa tunique et en enfila une autre, sèche. Quand il se retourna, il crut voir les yeux d'Aloy sur lui et ses joues roses. Elle se détourna rapidement et se glissa dans le lit.

Il s'installa aussi et cette fois-ci, elle chercha le réconfort de ses bras, qu'il fut bien assez heureux de lui offrir.

Quand tout serait terminé, quand ils auront enfin un peu de temps à eux, Érend se promit de lui raconter ce qui s'était passé le soir de son retour à Méridian.