Prévention : Un dilemme pas si cruel est une œuvre de fiction réalisée par des personnages professionnels. Bien qu'elle ait pour objectif de rester crédible, réaliste et safe, elle n'a pas pour vocation de faire votre éducation sexuelle. Ses contenus sont donc à prendre avec des pincettes, merci !
TW : Violence, PTSD, dépression, mention de discriminations, scènes de sexe explicites (j'ai mis du pluriel, vous êtes prévenu·e·s ;D).
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« C'est une espèce d'artefact. C'est pas censé être urgent, mais on a une prime si on ramène ce machin à notre client d'ici un mois. Vous partez immédiatement. Voici la doc. Je suis désolée de vous coller ça sur les bras alors que vous n'avez pas eu vos jours de repos réglementaires, mais vous êtes les seuls disponibles. Prenez-le comme des vacances, personne ne s'intéresse à cette vieillerie, aucun ennemi en vue, et le patelin est charmant, paraît-il. »
C'était tout ce que la Hokage leur avait dit avant de les congédier. Sasuke la détestait. Il détestait les missions mal préparées, il détestait les vacances, et il détestait devoir obéir à cette mémé qui avait bidouillé son cerveau sans son accord, occupait une place bien trop importante dans la vie de Naruto, et qui faisait son travail par-dessus la jambe. Bon sang, qu'il regrettait le troisième Hokage. C'était un vieux chnoque, lui aussi, mais l'enfance lui avait laissé un souvenir bien plus positif de ce personnage. Il s'était toujours refusé à croire que Naruto était capable de l'assommer avec une sexy méta. Cet incident n'était jamais arrivé.
Oui, il regrettait le troisième, ce même homme sous l'ère duquel on avait massacré son clan. À force qu'Itachi ressuscite par tout un tas de moyens plus farfelus les uns que les autres, il avait fini par parvenir à discuter calmement avec lui. Chacun s'en étonnerait sûrement, mais le dialogue et la communication étaient étrangement plus efficaces que de chercher à éviscérer son prochain sans réfléchir. Sasuke avait ainsi découvert qui étaient les instigateurs de ces horribles événements. Il avait compris que le troisième était en réalité de son côté, de celui qui avait souffert des pertes et qui aurait voulu que tout ceci n'advienne jamais.
En revanche, il n'avait jamais pardonné à son frère ses choix discutables. À chaque fois qu'il y repensait, il se disait qu'Itachi aurait eu besoin d'un Naruto à ses côtés pour prendre de meilleures décisions. Pour garder espoir.
La purge du gouvernement dont l'équipe sept s'était rendue responsable était restée dans les annales, bien que, pour éviter le scandale, les vieux aient simplement été forcés de démissionner. Mais si l'on avait discrètement exilé Koharu et son compagnon, Danzo avait été assassiné en bonne et due forme dans sa retraite, par un mystérieux ANBU à l'identité secrète. Lui, évidemment. À l'extérieur de la propriété où il avait sévi, Naruto, Sakura et Kakashi avaient été présents, surveillant les alentours, massacrant les sbires de la maisonnée puis enquêtant sur les complots que fomentait l'affreux personnage.
Ainsi Sasuke avait-il réglé ses comptes. Naruto l'avait convaincu de ne pas partir, Kakashi lui avait rappelé qu'être considérés comme traîtres à Konoha était la plus insultante des punitions pour des gens qui se croyaient du côté de la justice de leur pays, et surtout, Itachi lui avait fait comprendre que son clan avait lui-même précipité cette chute. Si les Uchiha avaient fait un effort, au lieu de s'isoler, de se reproduire entre eux en affichant leur mépris vis-à-vis de Konoha, et de prétendre être victimes d'un système qui commençait enfin à oublier les tensions d'autrefois, rien de tout ceci ne serait arrivé.
Sasuke s'était demandé à quel point il avait pu être aveugle à ce contexte. Pourquoi il n'avait pas remarqué que le comportement toxique de son père, à son égard et à celui d'Itachi, reflétait cette immonde réalité. Mais comme son frère le lui avait rappelé, il voyait ces souvenirs par le prisme déformant du passé. Il aimait sa famille, il aimait ces gens qui, si gentils avec lui, ne pouvaient pas laisser deviner leurs intentions néfastes. Itachi ne regrettait toujours pas son choix, pourtant, et cela rendait Sasuke furieux.
Mais ils avaient été pardonnés. Les arguments, il les connaissait par cœur à force que cette Tsunade qui l'agaçait tant les ait répétés. C'était en l'impliquant dans l'évincement des adversaires de Konoha – Orochimaru en tête de liste – qu'on l'avait fait passer pour un héros. En l'affichant aux côtés de Naruto qu'on l'avait justifié aux yeux du village. Ce n'était pas la première fois qu'on réintégrait un déserteur. À Konoha comme ailleurs. Ce n'était pas non plus la première fois qu'on mettait en place toute une mascarade pour éliminer des gens gênants.
Pourtant, malgré ces opérations politiques et aussi manipulatrices que celles de l'ennemi, Sasuke avait pris le parti de l'avenir, celui de Naruto et de Tsunade. Le parti juste. Il avait fini par comprendre que reproduire les erreurs de son frère ne servait à rien, que repartir à zéro ne déclencherait qu'une régression de guerre et de désespoir au sein du monde ninja. Il y avait pensé, oui, à tout raser pour créer de nouvelles bases plus solides et plus saines. Mais lui et Naruto étaient la preuve même que la destruction ne générait jamais rien de bon, et que seule l'évolution ouvrait des portes vers un futur meilleur.
Ils voulaient toujours se croire égaux, mais Sasuke percevait désormais en son pair une sorte de sagesse implicite qu'il n'avait jamais été capable de démontrer lui-même. La sensibilité de son coéquipier était responsable de tant de beautés et de résolutions heureuses... Comment pouvait-on lutter contre toutes ces évidences ?
Oh, il savait bien que dans d'autres circonstances, dans d'autres vies, sans la raison de ses amis et l'implication de son frère, il aurait plongé dans le déni absolu. Il était champion pour ce qui était de se voiler la face. Et il aurait aimé ça. Tout prendre sur ses épaules, faire semblant de ne pas comprendre, combattre Naruto une dernière fois, jusqu'à ce que son ami, de sa puissance solaire, le jette au sol à coups de conviction.
Rasséréné, il avait perçu l'acmé de ce futur-là avant qu'il n'advienne et l'avait évitée. À quoi bon chercher la difficulté quand tant de personnes vous ouvraient les bras et vous pardonnaient d'avoir été un sale con ?
Toutefois, à ses heures, Sasuke restait un sale con. Et en ce moment, il avait envie de hurler sur la Terre entière et de râler au sujet de tout ce qui pouvait lui passer par la tête.
Par exemple, au sujet de cette mission stupide dont le montant, soufflé à l'oreille, était bien trop élevé pour ne pas être suspect. Il y avait tout de même une raison pour laquelle Tsunade les avait envoyés, eux, l'une des meilleures équipes du village, en « vacances ». De plus, avec la précipitation, Sakura et lui devaient se partager le dossier et l'éplucher tout en courant. Il détestait lire en courant. L'endroit où reposait l'artefact se trouvait à des kilomètres et cela l'épuisait d'avance – il avait l'impression de faire un trajet pour rien. Ah, et Sakura venait de dire :
« Il y a des sceaux à briser, mais ce ne sont pas des sceaux ninja, il va falloir déchiffrer ces explications en vielle langue du Yamato pour voir en quoi ils consistent, et comment les défaire. »
Donc, le commanditaire, tout friqué qu'il était, n'avait pas pris la peine de recruter un linguiste pour leur faciliter le travail. Heureusement, Sakura parlait plusieurs langues, dont le vieux Yamato. Il comprenait mieux pourquoi la Cinquième les avait choisis. Il commençait même à se dire qu'avec un peu de chance, c'était la seule raison, et qu'il n'y aurait effectivement aucun sous-fifre impuissant pour leur barrer la route – c'était toujours comme ça : les autres sous-estimaient la force de frappe de Konoha et attendaient le dernier moment pour leur envoyer les vrais, les bons, ceux qui représentaient un minimum de challenge. Sasuke détestait les sous-fifres – aussi ; oui, Sasuke détestait beaucoup de choses.
Une fois qu'ils eurent achevé d'éplucher le dossier, ils le passèrent à Naruto. Le garçon avait beau aller sur ses vingt-deux ans, avoir vaincu une divinité ancestrale et survécu à l'extraction et la réintégration de son démon, il possédait encore ces petites parts de nullité que Sasuke avait fini, à son grand dam, par trouver attendrissantes. Par exemple, il captait difficilement le second degré – du moins pas immédiatement –, il ne savait pas lire entre les lignes d'un rapport de mission un peu tendu politiquement parlant, et il déchiffrait à deux à l'heure. Le brun comprenait mieux pourquoi son coéquipier avait eu autant de mal à l'école.
De temps à autre, rougissant un peu, Naruto se déportait vers Sakura, jetant à son rival des regards suspicieux, et lui demandait comment se transcrivait tel ou tel caractère. Alors qu'autrefois, elle l'aurait frappé et traité d'inculte, Sakura avait appris la pédagogie : elle essayait de les lui faire deviner par des moyens mnémotechniques.
Sasuke était un peu jaloux de cette nouvelle complicité entre ses deux coéquipiers, mais il savait ne pouvoir s'en prendre qu'à lui-même : c'était lui qui était parti, lui qui les avait abandonnés... Il avait bien fallu que leur relation évolue pendant son absence, s'ils voulaient parvenir à se soutenir dans la douleur, et créer des liens assez forts pour l'y emprisonner lorsqu'il reviendrait.
Ça avait fonctionné. Sasuke était étrangement heureux. Il avait l'impression d'être retourné à l'enfance, d'être redevenu ce petit garçon impétueux qui courait s'entraîner avec enthousiasme – parce qu'il appréciait l'activité, et non par nécessité. Il ne désirait rien d'autre que de rester aux côtés de son équipe, ces gens qui l'agaçaient un peu, parfois, car ils l'avaient trop bien pardonné, et qui lui avaient par ce biais montré toute l'étendue de leur dévouement.
En fait, Sasuke se sentait aimé. Profiter de ce privilège, après toutes ces années de sa vie à rejeter une affection dont il prétendait ne pas avoir besoin, représentait déjà beaucoup trop.
Ils campèrent tranquillement en bordure du pays du feu. Ils étaient près de la frontière, pas encore suffisamment pour devoir être sur leurs gardes. Lorsque la mission était longue, c'était leur petit rituel pour se détendre, avant que la guerre ne commence.
Sasuke aurait du mal à l'avouer, mais il adorait ces moments passés tous les trois, sans personne pour venir perturber la bulle de sécurité qui l'entourait, avec les deux seules âmes au monde en qui il avait une confiance aveugle. C'était doux, chaud, drôle. Cela ressemblait à une famille.
Il pouffa en voyant Naruto grimacer sur sa lecture. Lui-même avait terminé de monter les tentes et le campement. En général, ils laissaient Sakura cuisiner. Premièrement, parce qu'ils détestaient ça l'un comme l'autre, deuxièmement, parce que d'après elle, ils bouffaient « de la merde » et qu'elle tenait à ce qu'ils respectent un régime strict qui optimiserait leurs capacités guerrières. Fort heureusement, à la première bouchée, des années plus tôt, Sasuke lui avait demandé de goûter son plat dans le but de lui faire remarquer à quel point il était infect. Sakura avait rougi, s'était excusée, puis avait crié « Oh, bordel ! », avant d'expliquer à son ami que Naruto se forçait à manger ce genre d'horreur depuis plusieurs mois. Elle était allée le frapper. Pour lui apprendre à mentir. Puis elle avait pris des cours de cuisine. Sasuke ignorait si elle aimait cette pratique ou non, mais il n'allait pas s'en plaindre : les valeurs nutritionnelles étaient impeccables, le goût était devenu correct, et il préférait s'activer plutôt que de rester planté devant un bouillon.
Après leur repas, la kunoichi s'attaqua à la transcription de leur mystère archéologique. C'était Naruto qui avait trouvé le terme, leur rappelant qu'ils étaient tous deux des quiches en pop culture et qu'il leur faudrait vraiment regarder un jour Les aventuriers de l'Arche perdue. Sasuke voulait bien. Ça avait l'air drôle et plein d'action. Exactement comme Naruto.
Il adorait observer le jeune homme. C'était devenu son loisir le plus satisfaisant : Naruto était vivant. Il criait, d'une voix un peu plus rauque qui s'était débarrassée de son aigu crispant, il tombait, se blessait bêtement, puis faisait le con, et ça amusait Sasuke au plus haut point. Parfois, le brun le traitait d'imbécile. L'expression sur le visage de Naruto était alors fantastique, mélange d'énervement et de joie, comme si c'était un compliment dont il devait être gêné ou comme s'il ignorait s'il fallait s'en vexer ou le prendre bien de la part d'un Uchiha.
Sasuke considérait qu'il pouvait le prendre bien. Ce n'était pas une gentillesse, mais il le disait sans le penser, pour rire avec lui et s'incruster un peu dans son monde coloré au lieu de rester simple spectateur. Parfois, il l'autorisait à prendre les commandes juste pour le plaisir de le voir avancer, se frayer un chemin à travers des embûches que d'autres auraient aisément évitées, et tout balayer sur son passage malgré tout. Après cela, Sakura le frappait, plus doucement que son expression hargneuse le laissait croire, et Sasuke l'observait glisser sa main dans ses cheveux ébouriffés d'un air contrit.
D'ordinaire, c'était donc Sakura qui aidait Naruto à déchiffrer les kanji trop compliqués. Mais Sakura était occupée avec sa traduction et l'imbécile galérait. Il jetait à la jeune fille des regards pleins de doute, ayant certainement peur de la déranger. Elle marmonnait, consultait un tas de parchemins qu'elle stockait dans des rouleaux d'invocation, puis retournait à son texte. Le pauvre garçon n'avait pas tourné la page depuis un bon moment et Sasuke n'en pouvait plus d'imaginer les points d'interrogation qui s'agglutinaient au-dessus de son crâne.
Soudain, Naruto lui jeta un coup d'œil, ses sourcils haussés, comme s'il était pris d'un doute. Puis il détourna la tête, se ravisant. Sasuke était persuadé qu'il avait eu l'intention de lui parler. Ensuite, le blond adopta cette adorable petite moue des instants où il faisait mine de se vexer – bien que Sasuke n'était pas censé la voir, cachée derrière le briefing de mission.
« T'as un problème ? »
Il n'avait jamais réussi à être aimable avec son camarade. C'était de sa faute. Il aurait dû faire un effort, tenter autre chose. Mais il avait peur que Naruto réagisse bizarrement s'il s'y essayait. Et il avait aussi peur d'être trop... amical, trop étrange lui-même, s'il sortait de son rôle d'éternel ronchon. C'était sa façon à lui de demander à Naruto s'il avait effectivement voulu dire quelque chose. Et fort heureusement, Naruto comprenait toujours sans s'en rendre compte ce qui se cachait derrière la mauvaise humeur de Sasuke.
« Ouais, je pige que dalle. »
La vulgarité laissait transparaître un peu d'agressivité, un moyen de l'informer qu'il n'avait pas intérêt à se moquer.
« Ça te regarde ? »
Naruto le fusillait à présent du regard. Sasuke apprécia beaucoup trop cette sensation d'exister pour se laisser abattre.
« Ouais, on dirait que t'as honte de demander », le provoqua-t-il.
Il savait pertinemment que c'était le cas. Son coéquipier n'avait plus peur de s'adresser à Sakura. Montrer à Sasuke qu'il n'était pas à la hauteur, par contre, c'était une autre paire de manches.
« À qui tu veux que je demande, connard ?! » rétorqua Naruto, faisant de grands gestes vers Sakura pour signifier l'indisponibilité de la kunoichi.
Sasuke ricana. Parfois, il se dégoûtait un peu lui-même de faire ainsi tourner en bourrique son... meilleur ami.
« Tu sais que je sais lire, moi aussi, hein ? »
Naruto fit une grimace d'incompréhension. C'était beaucoup trop drôle et Sasuke ne put retenir un petit gloussement. La grimace se transforma en masque revêche. Il décida que son sacrifice, pour la santé mentale du groupe, était nécessaire : si Naruto s'énervait davantage, il allait, de toute façon, déranger Sakura ; et si jamais elle levait les yeux et constatait que le blond n'avançait pas à cause du manque de coopération du brun, elle allait les frapper – et il préférait tout de même éviter son poing douloureux. Il ne revenait jamais du fait qu'elle ose le frapper. En même temps, le visage railleur de Naruto, dans ces moments-là, valait tout l'or du monde.
Mais déchiffrer ces foutus caractères était plus important que de déchiffrer le faciès de Naruto dans un de ses instants de bonheur. Alors, il se leva, traînant les pieds pour bien montrer qu'il agissait à contrecœur. Puis il s'affaissa à côté de Naruto et siffla entre ses dents :
« Je te préviens, je suis pas aussi gentil qu'elle. »
« Putain, mais t'es vraiment trop con !
— Ta gueule, t'es même pas foutu de m'expliquer correctement !
— J'aurais jamais dû venir t'aider !
— Je t'avais rien demandé ! »
Sakura se laissait bercer par la litanie usuelle de ses coéquipiers. Cela la détendait beaucoup, surtout au regard de la traduction abominable qu'elle était en train de fournir. Quelque chose lui échappait dans ce rituel. Un vocabulaire dont elle ne comprenait pas le sens, des verbes d'action qui ne correspondaient pas à ce qu'elle attendait d'un sceau, fût-il non-ninja.
Ils avaient beau chuchoter, ses amis parlaient suffisamment fort pour qu'elle devine le sujet de leur querelle – comme toujours : la bêtise de l'un et le manque de coopération de l'autre. Heureusement, ces chamailleries anodines étaient agréables à entendre. Elles lui disaient que tout était redevenu comme avant. En mieux, même, car Sasuke ne dégageait plus cette amertume toxique qui le suivait partout lorsqu'il avait treize ans. Il était toujours ronchon, toujours un peu sur les nerfs, il avait toujours l'air de détester jusqu'à la plus minuscule parcelle de son existence, mais à travers cette façade, elle voyait filtrer le bonheur d'être en vie et de s'être recomposé une famille.
Elle l'avait surpris à fixer Naruto, un petit quelque chose d'attendri au milieu de son expression revêche ou désespérée. De plus, il l'observait trop longtemps, malgré ces expressions peu amènes, pour ne pas apprécier les scènes du blond se débattant avec les problèmes qu'il se créait tout seul.
Naruto aussi allait mieux. Comment était-ce possible ? Elle l'ignorait. Il était simplement encore plus sûr de lui, encore plus absolu, plus droit, plus efficace et plus solaire que jamais. Et elle savait parfaitement que tout ce qui avait déclenché pareil épanouissement, c'était la présence de Sasuke.
Parfois, elle était jalouse de la transformation supplémentaire qui s'était opérée en Naruto depuis le retour du brun. Elle avait l'impression, comme toujours, d'avoir été laissée à la traîne, incapable de les atteindre : elle, elle n'avait pas tant changé au retour de leur ami. Peut-être avait-elle déjà suffisamment mûri ? Peut-être n'avait-elle plus besoin de l'attention de Sasuke comme moteur pour aller de l'avant ? Elle avait pris son indépendance. Si elle jouait encore à ses jeux rivaux avec Ino, elles s'étaient réconciliées et passaient davantage leur temps à partager leurs états d'âme, leurs secrets et leurs fantasmes.
Si elle avait cru que Sasuke, à son retour, ferait autant partie de sa vie qu'auparavant, elle s'était trompée. Elle n'avait que faire de la reconnaissance de l'Uchiha. Elle savait qui elle était, elle se l'était déjà assez prouvé à elle-même. Au fond, n'avait-elle pas désiré ce garçon simplement car elle voyait en lui un faire-valoir, une façon d'asseoir sa supériorité féminine sur les autres kunoichi, parce qu'il était cool, beau gosse et intelligent ?
Sasuke n'était pas un trophée. Peut-être l'âge lui avait-il appris à faire la différence entre ce qu'elle avait ressenti pour lui et ces caprices d'enfants. Oui, elle l'avait aimé. Après avoir dépouillé son affection de toute considération superflue, elle avait continué de l'aimer, plus fort encore à présent qu'elle connaissait ses défauts, ses ombres, son égoïsme. Mais le béguin s'était estompé par la suite. Il n'y avait pas si longtemps, d'après ce qu'elle avait analysé. Il avait disparu sans qu'elle s'en rende compte, douché par le regard que Sasuke posait sur Naruto, et qu'il ne posait jamais sur elle. C'était un de ces coups de cœur d'adolescent qu'on présente souvent comme une passade. Elle doutait que ce soit toujours le cas, mais pour elle, c'en avait été une. Une très, très longue passade.
Un jour, elle avait osé demander à Sasuke pourquoi il avait pris l'habitude de lui coller cette pichenette sur le front. Il avait dit que son frère lui faisait la même chose, autrefois, pour signifier en même temps sa distance et son affection.
Elle avait pleuré. Non pas car cette explication la renvoyait au rang de membre d'une famille bancale, mais bien parce que c'était un véritable honneur, à ses yeux, qu'il la considère avec autant d'égards. Sasuke lui donnait la valeur qu'Itachi lui avait portée. Alors il l'aimait donc ? Il l'aimait assez pour le lui dire à travers ce geste de personne qui ne sait pas comment manifester ses sentiments, mais qui tient tout de même à rassurer ses pairs ? Il l'aimait à sa façon tordue, avec ses projections, ses malédictions et son passé ineffaçable…
Entendant un bruit de claque, elle leur jeta un coup d'œil ravi. Ils étaient très proches physiquement, tous les deux, sans doute à force de se taper dessus. Ils étaient beaux ensemble, l'aura radieuse de Naruto donnant au monde sombre autour de Sasuke d'étranges reflets de bonheur. Et Sasuke, aux côtés de Naruto, magnifiait cette étoile comme la nuit dévoile des milliers de lointains soleils. Elle glissa un dernier regard affectueux dans leur direction et retourna à sa transcription. Il lui restait une page entière. Elle s'arrachait les cheveux.
Sasuke avait l'air de s'amuser comme un petit fou. C'était, du moins, la façon dont Naruto percevait les choses, à présent qu'il était installé tout près de lui et qu'il râlait à la moindre de ses incartades.
Il avait appris à déchiffrer son pair. Si quelque chose l'ennuyait réellement, il fuyait. La fuite avait toujours été sa meilleure défense psychologique. Dès qu'il était confronté à ses sentiments, il détournait la tête. Présentement, Sasuke était avachi à côté de lui, ses cheveux dressés lui grattant parfois la joue, et il fulminait.
Faire fulminer Sasuke était une des activités préférées du blond. Évidemment, cela pouvait être mauvais pour son moral : l'actuelle supériorité de l'héritier Uchiha n'était pas à prouver et, malgré son amusement, Naruto éprouvait un mal de chien à le reconnaître.
Il avait toujours été nul avec les études. Cela incluait autant les chiffres que les lettres, et le japonais possédait, d'après Sakura, un des alphabets les plus complexes en usage. Naruto songeait parfois qu'il n'était pas né dans le bon pays. Puis il écoutait Sakura s'exprimer en langue de la Foudre à il ne savait quel correspondant, et il se ravisait. Le monde ninja, à quelques exceptions près, parlait japonais. Il aurait donc fallu qu'il ne soit pas shinobi pour s'éviter toute cette souffrance. Et se priver de la souffrance de Sasuke, qui le faisait doucement rire.
Naruto avait aussi fini par accepter le fait qu'il n'était pas comme les autres. Sa différence était devenue une force, une écrasante prédominance que ses faibles capacités intellectuelles ne pouvaient rabaisser. Et puis, il se savait plus malin qu'il n'y paraissait. Ce n'était pas de sa faute s'il n'avait pas de culture. Bon, si. Un peu. Il aurait dû écouter Iruka à l'école. Mais quelque chose, dans la méthode d'enseignement, lui disait que même en faisant plus d'efforts encore, il n'aurait pas mieux réussi. Sakura avait parlé de neurodivergence, de TD quelque chose, et de tout un tas d'autres mots compliqués – il avait décroché en cours de route. Au final, il ne regrettait rien : son amie lui apprenait les choses à sa façon et c'était toujours très agréable de passer du temps avec la jeune femme. Il louait sa patience.
Lorsqu'il avait vu qu'elle était occupée, il avait longuement hésité avant de jeter un coup d'œil suspicieux à Sasuke. C'était la seule personne disponible pour lui expliquer ce que signifiait ce foutu caractère qu'il ne savait pas déchiffrer – et qui l'empêchait de comprendre tout le reste de la phrase, parce qu'évidemment, c'était le verbe. Les rapports avaient également tendance à user de kanji plutôt archaïques qui dépassaient son entendement. À quand une écriture standardisée, franchement ? se demandait-il.
En attendant, Sasuke lui avait fait l'insigne honneur de son aide, et Naruto prenait un malin plaisir à se faire plus stupide qu'il ne l'était. Cela cachait d'autant mieux ses lacunes, tant Sasuke comprenait bien, parfois, qu'il se fichait de lui. Mais le blond avait le don de l'agacer, à tel point que son discernement ordinaire se laissait vaincre par l'impatience. Il ne restait rien du self-control légendaire de l'Uchiha, qui lui dictait tous ses kanji sans plus chercher à se foutre de lui.
Bordel, c'était jouissif.
En réalité, Naruto adorait obtenir l'attention de Sasuke. C'était une sorte de baume au cœur, une éternelle dispute de mecs virils qui s'aiment trop pour se le dire en face et qui préfèrent se toucher en se frappant pour ne pas avoir l'air d'être en couple. Naruto trouvait ce comportement particulièrement stupide : Kiba faisait ça avec tout le monde, et lui-même appréciait les câlins, de façon générale. Il n'y voyait là rien de plus qu'une démonstration d'affection primaire et innocente.
Mais Sasuke ne risquait pas de supporter les démonstrations d'affection traditionnelles. Alors, Naruto obtenait sa dose autrement. C'était chaud et étrangement agréable, ces endroits où Sasuke lui collait des tartes. Pas des vraies. Des tartes qui de sa part étaient presque des caresses.
Naruto se demandait parfois ce que Sasuke dirait s'il savait comment il percevait leurs joutes, comment chaque insulte était un mot doux, chaque pincement un baiser du bout des doigts, chaque étranglement une étreinte. Il n'avait lui-même pas tant réfléchi à cette question. Il était bien comme ça, à profiter de ses êtres chers à sa façon et à la leur.
« Et voilà ! »
Un bloc-notes gribouillé apparut sous leur nez. Contre toute attente, Sakura écrivait comme un cochon. Naruto s'abstint de tout commentaire, car les coups de Sakura faisaient autrement plus mal que ceux de Sasuke – un véritable comble. Ce dernier plissa les yeux. Ils avaient presque terminé de lire le rapport général, aussi jeta-t-il celui-ci derrière lui, considérant que Naruto en savait assez.
« Je vous laisse le lire tous les deux. Je ne comprends pas un traître mot de ce que j'ai traduit et j'ai besoin d'un traitement pour la migraine, je reviens. »
Ils passèrent dix bonnes minutes à décortiquer le début du texte, qui évoquait surtout l'emplacement exact de l'artefact, listait le nombre de portes à franchir et quelques éléments historiques sur les lieux. Rien de concret. Puis, on parla enfin des sceaux.
Sakura réapparut au moment où Naruto pouffait grassement.
« Hé, Sakura ! Pourquoi t'as écrit "pénétration", là ? »
Sasuke, qui était arrivé à cet endroit, n'avait pas compris le caractère dans ce sens. Cependant, la prononciation était correcte. Blasé, il leva les yeux vers leur coéquipière. Le poing allait frapper. Il en était certain. Naruto osait s'arroger l'aide de ses camarades pour ses problèmes de lecture, et il savait parfaitement déchiffrer tout ce qui avait trait au cul. Il n'aurait même pas dû s'en étonner.
À la grande satisfaction du brun, Sakura s'approcha de Naruto d'un air furieux. Et le frappa.
Il cria. Puis elle commença à lui hurler dessus à peu près tout ce que Sasuke venait de penser, et cela fit à l'Uchiha un bien considérable. Naruto geignait sous le poing puissant. Sasuke ricana ostensiblement.
Mais tout à coup, Sakura se figea. Blanchit. Leur arracha le papier des mains. Elle retourna à son poste, là où elle avait laissé la version originale du texte. Elle la parcourut des yeux, rédigea de rapides corrections sur son torchon. Lorsqu'elle releva la tête vers eux, elle n'était plus blanche. Elle était rouge. Très rouge. Le genre de rouge qu'elle arborait quand Naruto la taquinait à propos de ses fantasmes sur les couples d'hommes. Tout cela ne lui disait rien qui vaille.
NDA : Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, mais il m'a pris. J'espère que cette fanfiction, qui mêle humour et cul, vous plaira. Je me suis beaucoup amusée à l'écrire :D.
