Note
C'est la rentrée, la publication reprend !
Ils avaient parcouru quelques kilomètres lorsqu'ils trouvèrent la quatrième porte. Visiblement, elles étaient réparties de façon aléatoire et n'obéissaient qu'aux lois des anfractuosités du roc. Sasuke, avide de reprendre leurs ébats – il ignorait ce qu'il se passait avec sa libido, il y avait définitivement quelque chose dans l'air –, se tourna vers son camarade.
Celui-ci le fixait, surpris, comme s'il avait la même envie empirique, comme s'il s'étonnait tout autant de cette alchimie si incontrôlable.
Un gargouillis résonna soudain, rebondissant sur la porte à peine luisante et repartant à vive allure dans les tréfonds de la grotte.
Sasuke gloussa. Naruto lui jeta un petit regard désolé, comme si un bruit correspondant spécifiquement à son caractère allait empêcher son compagnon de le trouver désirable. Celui-ci haussa les épaules, décidant qu'il était tout aussi sain de se reposer un peu au lieu d'enchaîner pour être complètement brûlé ensuite.
« Bon, si c'est l'heure de manger, allons-y. »
Naruto lui adressa un coup d'œil surpris.
« Hé, comment tu sais que c'est l'heure ? Sans référent visuel, je suis paumé, moi… »
Sasuke l'observa quelques secondes, le temps de réaliser que Naruto ignorait visiblement la fonction première de son système digestif : lui indiquer quand il fallait se sustenter.
« Ton estomac est monté comme une horloge, Naruto, répondit-il de mauvaise grâce. S'il gargouille, c'est qu'on est arrivé au repas. »
Naruto avait toujours eu l'impression que son estomac, puits sans fond, était plutôt du genre à râler à toute heure du jour ou de la nuit. Toutefois, il n'avait effectivement jamais de fringales nocturnes – elles avaient lieu à six heures du matin, horaire du petit déjeuner – et si ses camarades le faisaient souvent patienter en mission, c'était simplement le temps de trouver un endroit où camper. Ensuite, il fallait tout mettre en place, retardant le moment où son ventre cesserait de s'autodigérer.
« Ouais, je viens de comprendre que tu l'avais pas remarqué, crétin. »
Naruto entendit l'insulte comme un clin d'œil. Naruto vit le clin d'œil. Si distinctement, alors qu'il ne pouvait décemment pas être advenu, qu'il sentit une autre partie de lui déjà agitée se manifester. La personnalité de Sasuke s'étalait devant lui, assumée, tangible, et tout ce qu'il exprimait si maladroitement par son ton acerbe devenait saisissable et tout à fait attirant.
Naruto avait appris un grand nombre de choses sur Sasuke ces dernières heures. Le brun n'était pas vraiment acariâtre, juste très ronchon, et il y avait toujours une raison plutôt valable à cette humeur : on menaçait de le juger ou de le sous-estimer, on lui avait collé une mission stupide, il n'arrivait pas à transmettre ses sentiments et cela le frustrait… Sasuke était aussi un… chaud lapin ? Mais seulement avec lui.
L'expression le fit ricaner, alors qu'il aidait son compagnon à déplier un des rouleauception contenant leurs vivres.
Sasuke était du genre malicieux, en fait ; même facétieux, tout comme lui. Il n'aurait jamais volé lui-même le saké de Tsunade dans son bureau, mais l'idée lui paraissait sans doute hilarante et, si Naruto n'était pas si proactif en matière de farces, lui-même aurait certainement émis telle proposition… sans jamais la concrétiser. Ce petit clin d'œil le démontrait.
Sasuke était aussi une personne profondément gentille – il l'avait toujours su sans en avoir la preuve – capable de beaucoup d'empathie, au point qu'il accordait une sollicitude particulière à ses proches. Cela s'était manifesté autrefois par son indépendance extrême. Il ne voulait pas être un boulet ; il faisait tout, non pas pour être le centre de l'attention, comme Naruto l'en avait accusé, mais par souci d'efficacité. Une influence des credo ninjas, sans doute, qui lui imposaient d'être absolument utile. Un outil bien rodé pour le village. Mais Sasuke se rendait utile… pour les autres. C'était étrange de s'en rendre compte.
Sasuke était spécifiquement prévenant avec lui. Il était à l'écoute. Il était capable d'énormément de concessions pour que quelque chose fonctionne, et cela semblait être le cas lorsque ce quelque chose était une relation. Waouh. En fait, Sasuke était un être humain, avec des émotions et tout. Ça aussi, il en était conscient. Si Sasuke avait vraiment été un connard insensible, il serait soit mort, soit perdu depuis longtemps. Et Naruto ne se serait pas autant décarcassé pour le sauver et le rendre heureux.
Enfin, les masques de Sasuke faisaient partie de lui et étaient bien plus malléables qu'ils ne le paraissaient. Si l'on prouvait à Sasuke qu'il pouvait les enlever, que rien ne saurait le blesser, il s'en défaisait et exposait la beauté de son âme. Cette âme prétendument si sombre, comme une nuit sans nuages sous un tropique, loin de l'électricité polluante de la ville, nimbée d'étoiles plus brûlantes que le soleil, fraîche et poétique sous une lune dont les reflets feraient des milliers de lucioles vacillantes sur une mer sans marrée. Le lac de légende était là, obscur, mystérieux, dans sa majesté la plus parfaite, ainsi éclairé par la lumière nocturne. Au fond, on trouvait des cadavres, des ossements, des vaisseaux échoués. Sur les cadavres, pourtant, il y avait des algues et de la mousse. Les os formaient des coraux colorés, emplis de poissons et de créatures un peu difformes et un peu cocasses. Les bateaux fantômes débordaient de trésors engloutis et recelaient des murènes et des requins, prédateurs dans un fragile écosystème préservé par les barrières que Sasuke avait érigées sous leur forme agressive. Dans cette eau damnée, partout, il y avait la vie.
Et depuis ces derniers jours, Naruto avait sous les yeux, formidable, la raison pour laquelle il avait sauvé son ami. Et la raison pour laquelle il tenait si furieusement à lui.
Distrait par ses réflexions, il regardait le rouleau déplié sans le voir, alors que Sasuke lisait silencieusement le parchemin. Son doigt se posa automatiquement sur le seul mot qu'il aurait pu écrire les yeux fermés.
Râmen.
« Aaaah, non ! »
Bon, peut-être Sasuke n'était-il pas aussi gentil qu'il venait de le constater.
« T'en manges assez comme ça, prends autre chose ! »
Ou alors, si, et il s'inquiétait du fait que son camarade allait finir par se transformer en nouille s'il persistait à en manger autant ? Il y avait des tonnes de façons d'assaisonner les râmen, en plus, et une grande partie de la cuisine du pays impliquait des pâtes.
Au lieu d'argumenter de façon rationnelle, Naruto préféra, évidemment, rétorquer :
« Ça te regarde pas, je fais ce que je veux ! »
Sasuke marqua une pause, examina son coéquipier, plissa les yeux, puis marmonna dans sa barbe :
« C'est vrai. »
Naruto, à son tour, le fixa avec étonnement. Puis Sasuke reprit :
« Sauf quand c'est pas prévu en portions individuelles et que ça va me forcer à en manger. Comment tu fais pour pas en être dégoûté, à force, sérieux ? »
L'interrogation paraissait innocente, aussi Naruto consacra-t-il quelques secondes à la réflexion.
« Ben, c'est mon plat préféré… T'es pas censé pouvoir te lasser de ton plat préféré, en fait. T'as un plat favori, toi ? »
Questionner Naruto sincèrement avait fait avorter la dispute. Sasuke aurait dû savoir, désormais, que discuter valait mieux que de s'engueuler bêtement. Décidément, il n'apprenait pas…
Il prit un temps considérable avant de répondre : il ne s'était jamais interrogé sur quelque chose d'aussi trivial.
« Un truc que si tu pouvais pas en manger régulièrement, ça te manquerait ? tenta Naruto, qui semblait avoir deviné son problème – Naruto le connaissait vraiment trop bien, en fin de compte.
— Tsukemono », décida finalement Sasuke.
Ces légumes coupés, frais, marinés dans le vinaigre ou le miso, étaient son péché mignon. C'était la raison pour laquelle il préférait les petits déjeuners traditionnels, riches en tsukemono. Leur aigreur, leur amertume, lui plaisaient étrangement, bien qu'il ne la supportât pas dans les alcools. Le mélange croquait, grinçait, piquait, puis glissait lorsque les touches sucrées ou salées envahissaient la bouche. Il en existait une telle variété qu'il serait incapable de s'en lasser.
« Oooh ! Même dans les râmen, donc ? »
Sasuke soupira.
« Même dans les râmen. »
C'étaient souvent des algues, du gingembre ou du radis jaune décorant sporadiquement la soupe, mais c'était toujours délicieux. Naruto le fixait avec espoir, comme si, à présent qu'il avait repéré le mot sur la liste, il en avait une envie qu'il était hors de question de ne pas satisfaire. Sasuke avait envie de saumon grillé… avec beaucoup de tsukemono, maintenant. Bordel.
« Bon, d'accord, céda-t-il. Mais à trois conditions.
— Youpiii ! » scanda Naruto sans le laisser finir.
Avant qu'il n'ait pu ajouter quoi que ce soit, le blond se mordit le pouce pour invoquer les râmen et extirper quelques ustensiles des rouleauception de Sakura. Au moins, ce n'étaient pas des nouilles instantanées dégoûtantes, mais des ingrédients qu'il fallait cuisiner. Il observa son camarade aligner leur attirail dans un ordre précis, presque chirurgical, et ferma les yeux, désespéré.
« Petit un, je te laisse préparer ça tout seul, puisque tu as l'air si sûr de toi. »
Naruto lui fit une grimace de chien battu, mais ne protesta pas.
« Petit deux, je choisis le repas de ce soir. »
Naruto parut trouver le compromis raisonnable.
« Petit trois, je choisis aussi le petit déjeuner demain matin. »
Cette fois, le blond se mordit l'intérieur de la lèvre, mais il finit par concéder :
« OK, ça me va. De toute façon, j'aime bien les petits déj traditionnels aussi. Même si ça manque de sucre. »
Sasuke sentit son nez remonter sur son visage et eut l'impression qu'il grimaçait. Ce n'était qu'une impression : il était en train de sourire.
Il profita que Naruto galérait avec les ingrédients pour s'adosser à la porte, désormais vidée de toute énergie rose, et somnoler un peu. L'odeur du miso chaud le tira de sa sieste. Lorsqu'il ouvrit un œil, il aperçut son coéquipier en train de remuer un mélange d'apparence étrangement comestible. Ouf, même s'il n'avait pas l'air d'aimer cuisiner, Naruto savait à peu près se nourrir normalement.
Le service se fit silencieusement, Sasuke ayant remarqué que le blond avait passé un certain temps à choisir et disposer ses douceurs préférées sur les nouilles brûlantes. Naruto était trop mignon.
Cette fois, son expression se figea. Erk. Il voulait bien être dingue de Naruto, c'était une évidence, OK. Mais craquer pour lui au point de le trouver mignon, c'était hors du champ des possibles. Définitivement.
Sauf que oui, cela lui faisait plaisir que son camarade soit si attentionné et si maladroit à la fois. Preuve en était le regard suspicieux qu'il lui adressait, comme s'il s'attendait à ce que Sasuke lui jette son repas au visage ou fasse un commentaire hostile. Sasuke était-il si désagréable d'ordinaire ?
« Merci », concéda-t-il en se plaçant devant son plat, se sentant coupable de son comportement négatif.
Le blond sembla rassuré, puis il digéra le mot et l'observa, choqué. Sasuke l'imagina poser sa main sur son front pour vérifier qu'il n'était pas malade, mais Naruto décida que cette blague-là était dépassée. Il s'assit à son tour, sagement, et entama avec entrain son large bol, qui ressemblait davantage à… un saladier. Le con.
Il pouffa intérieurement et imita son pair. Sempiternellement bavard et curieux, celui-ci choisit cet instant pour mettre fin au silence confortable. Sasuke devait reconnaître que le silence n'allait pas vraiment à Naruto, comme si son ami risquait de dépérir s'il ne passait pas chaque seconde de sa vie à exprimer, convoyer et dispenser ses sentiments salvateurs.
« Dis, tu râles tout le temps, quand on fait des râmen. T'aimes pas ça ? »
Cette suspicion était-elle la raison pour laquelle son compagnon s'était tant appliqué à charger son repas de tous les tsukemono qui avaient pu lui tomber sous la main, notamment certains qui n'avaient absolument rien à faire dans un bol de nouilles chaudes au miso ?
Pour éviter une telle débâcle – d'accord, c'était quand même bon, mais certains mélanges étaient à proscrire –, il répondit sincèrement :
« Si, si, j'aime beaucoup, même. C'est complet, ça se mange vite, ça a du goût…
— Donc, tu râles juste pour m'emmerder, en fait ? »
Touché. Sasuke ne se cachait jamais du fait qu'emmerder Naruto était, et de façon réciproque, son sport favori. Il adressa à son compagnon un petit rictus mesquin, sentant son nez remonter étrangement. Il réalisa qu'il le sentait autant parce qu'il n'avait pas l'habitude de sourire si fréquemment. C'était agréable, pourtant. Et l'expression de Naruto, quand il s'épanchait ainsi, était tellement plus fascinante que lorsqu'il se grattait la tête d'un air contrit en le regardant, après une quelconque boulette… Ou que toutes ces fois où Sasuke ne pouvait que reconnaître sa suprématie. Ou que tous ces moments où, fier de ses records, Naruto lui jetait un coup d'œil, comme pour obtenir une approbation dont il n'aurait pas dû avoir besoin. Ces expressions-là comportaient toujours une touche de doute, une preuve que Naruto ne se trouvait jamais parfaitement légitime.
Ces derniers jours, pourtant, Sasuke l'avait remarqué : à chaque fois qu'il lui répondait si naturellement, que ce fût dans le cadre d'une mesquinerie ou d'un véritable instant de bonheur, son coéquipier rayonnait plus que jamais. Naruto était si beau, ainsi : à sa place, respecté, choyé.
Sasuke réalisa alors pourquoi il paraissait si entier quand il lui souriait de la sorte : Naruto sentait qu'il était aimé et cela le rendait heureux. Bien sûr, Naruto avait besoin d'amour. Naruto avait besoin d'amour pour un siècle, tant il en avait manqué durant son enfance, et que cet affect provînt si directement de sa chère némésis devait lui être aussi doux que ce bol de râmen maladroit, aux légumes cassés et à la soupe forte et brûlante, préparé avec soin pour le seul plaisir de donner, l'était au goût de Sasuke.
L'héritier Uchiha conserva son sourire goguenard, laissant, dans ses yeux, percer toute la satisfaction puérile qu'il éprouvait à faire tourner son pair en bourrique, et appuya son faciès limpide d'une réponse intraitable :
« Ouais. »
Le corps mat rayonna davantage – c'était ridicule, Naruto aurait tout aussi bien pu lui apparaître auréolé de rose, encadré de petites fleurs et accompagné d'une cacophonie de moineaux en rut. Sasuke dut se gifler mentalement pour ne pas penser que c'était la réalité, que c'était normal parce qu'il était amoureux de Naruto, et que cette attirance le faisait complètement dérailler. Même amoureux, un Uchiha ne pouvait décemment pas dérailler à ce point.
Sasuke se demanda un instant si Itachi était susceptible de se retrouver dans cet état. Oui. En fait, c'était évident : ce type avait été capable de massacrer son clan tout entier par amour pour son village natal. Même s'il était toujours à côté de la plaque et que Shisui n'aurait jamais pu être à la hauteur de Naruto et l'empêcher de passer du côté obscur – qui arrivait seulement à la cheville de Naruto ? –, l'esprit de cet enfoiré de pacifiste extrémiste devait ressembler à un putain de Poney Land. Avec des fleurs mignonnes et odorantes, des câlinours roses et bleu pastel, et des symboles hippies pendus à des arbres arc-en-ciel remplis de petites fées à paillettes. Les symboles hippies étaient couverts de sang et les fées vampires, mais Itachi refusait de le voir, emporté dans son délire.
Sasuke espéra un instant que son aîné ne tomberait jamais amoureux. Vu sa vision des choses, cela risquait de mal finir. Il ne souhaitait cela à personne. Puis, Naruto lui rendit son sourire, et il ne put s'empêcher de se dire que l'épique description du cerveau de son frère ferait doucement rire son ami.
« Connard. »
L'insulte porta exactement là où elle devait arriver : en plein cœur, comme une caresse, une déclaration masquée. Le mystère de Naruto résidait dans le sens que prenait ce genre de terme à ses oreilles. Toutefois, ce n'était pas sa perception qui était biaisée : Naruto mettait dans l'offense une intonation différente, et faisait en sorte qu'elle soit palpable à qui souhaitait y être réceptif. Il le disait sur un ton qui permettait l'interprétation. Alors, les lettres se déformaient en chemin et parvenaient aux tympans sous la forme d'une douce mélodie. Connivence, ardeur. Amour.
L'instant était trop beau pour le gâcher, malgré son torse en feu, aussi Sasuke s'apprêta-t-il à répondre une réplique de son cru, bien sentie, bourrée d'affection. Mais au même moment, Naruto aspira ses nouilles.
Sasuke dut prendre garde à ne pas déglutir, de peur que les pâtes s'engagent du mauvais côté de son œsophage. Merde. Pourquoi ce geste innocent devenait-il soudain si érotique ? D'ordinaire, les bruits de bouche le dégoûtaient plus qu'autre chose, et il n'avait jamais compris pourquoi sa culture s'échinait à prétendre qu'en foutre partout et mâcher en onomatopées permettait d'exprimer à quel point l'on appréciait un plat. Il n'était pas du genre bavard, mais il aurait préféré pouvoir simplement dire « C'est délicieux » plutôt qu'on le considère comme un glaçon ambulant parce qu'il détestait faire du bruit en mangeant.
Naruto aspira encore, coupant court à ses réflexions. Oh. Naruto aspirait ses nouilles. Dans un mouvement de lèvres et de joues qui lui rappelait par trop ce que le blond lui avait fait à la porte précédente.
Était-ce parce que Naruto mangeait des râmen cinq fois par semaine qu'il était si doué en fellation ? Non, c'était stupide, cela n'avait aucun rapport. On ne dévorait pas sa nourriture comme on enfournait un sexe voué à ressortir… Un autre flash de la scène écrasa la logique de Sasuke tandis que Naruto aspirait encore. Il déglutit, sans se rendre compte qu'il fixait son ami d'un air à la fois sidéré et très sceptique – à l'image des réflexions décousues de son esprit.
« Quoi ? »
Merde. Il le dévisageait trop intensément. Il fallait trouver quelque chose, l'insulter, n'importe quoi.
La question de Naruto ne l'avait pas pour autant stoppé dans sa dégustation de saladier. Il émit un autre « slurp » particulièrement sonore tout en conservant son regard dans le sien, curieux.
Si Sasuke avait eu un for intérieur, il aurait été en train de se griffer le visage d'un air désespéré. Mais comme il n'avait rien de tout cela pour servir de défouloir, il dut tenter de garder contenance tout en extériorisant son état mental. Si une telle gymnastique était complexe, il était passé maître dans son accomplissement.
« Tu fais trop de bruit. »
Naruto se contenta de lui tirer la langue puérilement. Ce n'était pas la première fois que Sasuke lui reprochait un tel comportement, et il était accoutumé à ignorer son compagnon, dont il était persuadé que la remarque ne venait pas d'un réel agacement dû aux chuintements – si crispants, pourtant, pour l'Uchiha –, mais d'un simple désir de l'emmerder, comme c'était le cas quatre-vingt-dix pour cent du reste du temps.
Sasuke, lui, ne vit dans ce geste qu'une provocation de plus. Une provocation sexuelle, évidemment.
À la réaction attendue de Naruto succéda alors une autre, où le jeune homme décida qu'il serait spirituel d'accentuer les bruits qu'il faisait ainsi, redoublant d'inventivité afin de produire le plus de sons dégoûtants possibles.
En Sasuke, le for intérieur inexistant se frappait la tête contre les murs. Il avait l'impression d'être retourné dans la forêt, au moment où il avait démontré sa supériorité quant à sa capacité à exciter sexuellement le blond. Naruto pouvait le suivre, certainement pas le surpasser. En revanche, et cela aurait dû être une évidence, Naruto le surpassait lorsqu'il s'agissait d'innocence. Il ne faisait pas exprès. Seule l'imagination de Sasuke associait des mouvements à d'autres et superposait des éléments qui n'auraient pas dû l'être. Et son compagnon, aveugle à sa propre suprématie, continuait d'aspirer ses nouilles comme s'il n'avait besoin de rien d'autre dans son existence.
Oh. Peut-être y avait-il là matière à réflexion. Sasuke ignorait pourquoi il mettait tant d'application à détester les instants où Naruto appréciait son plat favori. En réalité, une fois de plus, ce n'était pas qu'il n'aimait pas cette denrée, ce n'était pas que son pair était trop gourmand, qu'il faisait trop de bruit ou en réclamait trop souvent. Non. C'était que Naruto ne prêtait plus attention à lui face à des nouilles. Bordel. Il allait vraiment devoir consulter.
Ou pas. En cet instant, il trouvait la présence de râmen particulièrement sympathique, tout comme ce que Naruto leur faisait avec sa bouche. C'était stupidement sexy – ça n'aurait pas dû, surtout avec la soupe en train de dégouliner sur son menton. De plus, avec la chaleur humide ambiante, le blond était toujours torse nu. Même sale et bruyant, même dans les instants les plus ridicules ou les plus anodins, Naruto était beau.
Sasuke allait devoir lui dire. Son compagnon ne pouvait pas continuer à sucer ainsi le contenu entier de son saladier sans qu'il lui fasse remarquer à quel point cela l'excitait. Quel meilleur moyen pour choquer Naruto ? Lui rendre sa grimace puérile en le narguant sur un terrain où Sasuke se savait supérieur ? Quelle plus belle façon de rediriger l'attention de son coéquipier sur lui, à tel point que plus jamais, lorsqu'il mangerait son plat préféré, il ne pourrait s'empêcher de penser à quelque chose de sexuel ? Quelque chose qui aurait un rapport avec lui.
Et puis… provoquer Naruto était si tentant, si drôle, si… tendre.
Celui-ci était toujours en train de slurper comme un damné tout en le fixant ostensiblement, dans l'unique but de lui montrer à quel point il l'emmerdait profondément. Sasuke craqua :
« Je crois deviner pourquoi tu suces si bien. »
Et peu importait si c'était un compliment, en soi, car la réplique fit mouche : son ami s'étrangla sur sa bouchée.
Bien fait.
Sasuke ne résista pas au sourire qui montait sur son visage. Naruto passa plusieurs secondes à tousser. Quand il releva la tête, il était rouge et avait les larmes aux yeux. Le brun lui adressa son plus bel air vainqueur. Le blond donna l'impression de vouloir le mordre, mais autre chose de plus sauvage encore brûla soudain dans son regard.
« Quoi ? T'en veux encore ? »
Ce disant, son meilleur ennemi s'était penché en avant, suffisamment pour que Sasuke, lorsqu'il l'imita en réponse, ait son front collé au sien. Ils savaient tous les deux quelle allait être sa réplique.
« Ouais. »
Alors, contre toute attente, Naruto se contenta de reculer et recommença à engloutir son repas. Entre deux bouchées, Sasuke entendit vaguement :
« On finit cha et on ch'y met. »
Entre deux bouchées moins gracieuses que d'habitude, il confirma :
« Ça me va. »
Une autre lampée et le jinchûriki mâchonna :
« Sauf si tu préfères que je te suce, là, tout de suite ?
— Ça n'ouvrirait pas la porte, crétin. Il faut encore une pénétration. Anale, donc, pour notre cas », rétorqua Sasuke, pragmatique.
Naruto ne perdit pas une seconde à réfléchir, et la première chose qui lui passa par la tête sortit également de sa bouche pleine :
« Et alors ? Tu veux pas un extra ? »
C'était une provocation, mais Sasuke ne la comprit pas comme telle. Cette proposition officialisait ce qu'il espérait, ce qu'il savait déjà : ils recommenceraient. Pour rien, pour le plaisir, loin de cette mission stupide. Naruto en était tout aussi conscient et l'évidence était telle qu'il l'avait formulée innocemment, sans douter un seul instant que Sasuke puisse envisager la situation autrement.
Celui-ci avait envie de dire oui. De foutre par terre les nouilles – même si Naruto serait trop scandalisé pour assumer son offre après cela. De se jeter sur son compagnon pour qu'il lui réponde avec ardeur et recommence à l'aimer comme il savait si bien le faire, quelle que soit la nature de cet affect déjà trop beau pour l'Uchiha.
Toutefois, il se retint de rétorquer quoi que ce soit. Ils avaient un long chemin à parcourir, un grand nombre d'épreuves, et il craignait que l'épuisement sexuel n'ait raison de lui. Il fallait être en forme pour apprécier les pénétrations prescrites par les rituels d'ouverture des portes. Il ne voulait pas se forcer, encore moins avec Naruto. Il ne voulait pas que tout ceci se réduise à la mission. S'il cédait à ses pulsions, parviendraient-ils jusqu'au bout ? Était-il seulement capable d'avoir autant d'orgasmes en si peu de temps ?
Cette exigence, découverte par Naruto, changeait tout pour eux. Il fallait se ménager, économiser ses forces. Cette mission si simple d'apparence aurait pu paraître insurmontable, désormais qu'ils avaient sous les yeux l'ampleur de la perversion des lieux. S'ils ne finissaient pas dans les délais estimés par Sakura, il leur faudrait se rationner. S'ils restaient trop longtemps, elle allait s'inquiéter, les chercher, décider de les arrêter. Ou bien ils devraient rebrousser chemin puis repartir pour réessayer, en espérant que les portes ne se referment pas derrière eux…
Pire : abandonner.
Non, tout cela ne convenait pas à Sasuke. Alors, la minuscule part de raison qui subsistait en lui l'emporta et il ne répondit pas. Savoir que rien ne les empêcherait jamais de poursuivre leurs ébats hors de la grotte était suffisant pour le moment. Ils auraient largement l'opportunité de rattraper ces occasions manquées.
Note
J'aime toujours parler de nourriture, dans ce que j'écris. Pour moi, le rapport des personnages à la nourriture en dit beaucoup sur eux, et ça permet toujours de mettre un peu de légèreté dans une histoire. Qu'en pensez-vous ? :D
