Note

Pour celleux qui veulent, la playlist Spotify est toujours accessible sur mon Linktree : link tr . ee / Tookuni (Enlevez les espaces pour avoir le lien) ^^.


Ce fut à Naruto de déglutir. Il était au milieu, après tout, et ce que Sasuke comptait offrir à sa copie allait forcément se répercuter en lui. Cependant, le clone les fixait toujours d'un air courroucé, écarlate, avide, et Naruto aurait donné n'importe quoi pour pouvoir se permettre de lâcher ses reins et lui coller quelques claques bien caressantes. Un jour. À la place, il s'imagina faire rougir les fesses grâce à l'impact des os de ses hanches. S'ils y allaient à fond comme on le leur avait demandé, leur victime allait écoper de très jolies marques de doigts. Naruto regretta presque que ce type de blessure ne revienne pas à son propriétaire.

Le clone lui jeta un regard méprisant, et il eut envie d'oublier le but de leur manœuvre à trois pour le dévorer tout cru sans plus s'occuper de ce qu'il se passait du côté arrière de son anatomie.

Dans un réflexe naturel qu'il n'avait jamais remarqué, un léger flux de chakra rouge filtra dans tout son corps, prenant sa source à l'intérieur de son ventre, juste au-dessus de la porte de l'extase. Dans ses oreilles, un rire bestial résonna, et il entendit le bruit d'une large langue léchant des babines affamées.

« Quand tu veux », rugit-il entre ses dents, en écho à la soif que ce pic d'adrénaline générait en lui.

Son coéquipier ronronna en réponse tout en raffermissant sa prise et murmura :

« Ensemble. »

Sasuke savait à présent que Naruto n'aimait pas être passif. Pas au sens figuré, certes, sans quoi ils ne se seraient pas trouvés dans cette position. Non, Naruto n'aimait pas être inactif, et cette proposition en disait long sur ce que le brun avait accepté de son caractère, de sa volonté de participer même lorsque cela n'était pas nécessaire.

Naruto sentit le corps auquel son dos collait s'éloigner, et il le suivit dans la manœuvre, s'extirpant de l'antre du clone demandant. Sasuke était toujours enfoncé en lui, ce qui lui permit de se concentrer sur la sensation autour de son pénis. Le double râla une fois de plus, mais le son mourut dans sa gorge, remplacé par un cri, lorsque Sasuke et Naruto, dans un parfait accord, donnèrent le même coup de reins entre les cuisses de leur camarade pénétré.

Naruto avait l'impression que ses mouvements ne lui appartenaient pas totalement, mais ceux-ci accélérant, l'origine des saccades se perdit dans l'empressement et le claquement des hanches contre diverses fesses plus ou moins malmenées. L'enchevêtrement de mains, vissées aux flancs du clone, retenait toujours le corps désormais soumis à leur bon vouloir et qui ne manifestait plus aucune résistance.

Les bruits obscènes mêlés aux gémissements restèrent brutaux, vifs et constants, et Naruto dut bientôt haleter :

« Je suis pas loin… »

Le clone acquiesça comme il pouvait. Un écho à sa voix rauque annonça que quelqu'un était prêt à maintenir le rythme aussi longtemps qu'il le faudrait. Le Sasuke à quatre pattes, autour de la verge de Naruto, se cambra davantage. Le blond tenta de répondre au mouvement, cherchant un moyen de se placer de façon à ce qu'il puisse atteindre cet étrange orgasme qui ne nécessitait pas d'éjaculation.

« Ne bouge plus ! » lança soudain le double, presque tordu sous la manœuvre.

Les mains du Sasuke de derrière, qui s'étaient desserrées avec les siennes pour laisser la copie se contrôler, s'agrippèrent de nouveau au corps et le maintinrent en position. Naruto eut l'impression qu'ils se penchaient tous deux en avant et écrasaient l'enveloppe de tout leur poids, écartant l'antre comme si les genoux qui la conservaient surélevée pouvaient s'enfoncer dans le sol.

Le clone émit un premier râle puissant, s'agita, cracha une espèce de sanglot comme si la stimulation était assez forte pour lui faire mal. Naruto réagit aux frémissements qui suivirent ces manifestations vocales et éjacula quelques secondes plus tard, avec la sensation que son sexe se transformait en une sorte de base nerveuse dont les filaments se mêlaient aux entrailles de la copie et rejoignaient son cerveau, prolongeant l'orgasme jusqu'à ce qu'il soit vidé de toute substance.

Dans son dos, Sasuke imposait le rythme, si bien qu'à peine revenu à lui, Naruto eut l'impression d'être mort un instant, écrasé entre deux entités qui absorbaient son énergie vitale comme des incubes insatiables.

« Je peux vous lâcher ? »

Sasuke était du genre élève modèle. Tant qu'il n'avait pas parfaitement exécuté sa tâche, il persistait et attendait qu'on lui attribue sa note pour relâcher sa vigilance, en toute circonstance. Naruto grogna un accord amusé, trop occupé à ne pas subir les contractions fantômes qu'il percevait encore autour de sa hampe.

« Alors, prends ça. »

Le blond reçut entre les sourcils un objet mauve qu'il eut toutes les peines du monde à ne pas faire tomber.

Après que la petite chose – qu'il reconnut entretemps comme la télécommande du proverbial plug dont Sasuke comptait vraisemblablement ne plus jamais s'éloigner – eut tressauté plusieurs fois contre sa paume malhabile, elle fut enfin stabilisée. Les mouvements confus, derrière lui, lui donnèrent une vague idée de ce que son compagnon était en train de faire et, vissé à l'intérieur du clone dont l'anus persistait à serrer son sexe de toutes ses forces, comme si la prostate associée était capable d'y capter encore un peu de stimulation, il put seulement jeter un coup d'œil aux activités de son ami.

Au bout d'un moment qui lui avait semblé une éternité, bien qu'il n'ait sans doute duré que quelques secondes, Sasuke donna un vif coup de reins entre ses fesses, lui rappelant que personne n'était sorti de personne pour le moment, et souffla :

« Tu la mets au maximum dans trois secondes. »

Naruto perçut la verge se déplacer légèrement. Un. Il s'attendait à ce que Sasuke se saisisse de ses hanches pour appliquer un mouvement plus complet, mais il sentit celui-ci lever les bras dans un geste déterminé.

Deux. Il n'était franchement pas fan de la pénétration. Même après avoir joui si fort, et ce malgré la lassitude qui commençait à s'emparer de lui, il n'avait pas l'impression que ce qu'il se passait dans sa chair changeait quoi que ce soit. C'était à peine un chatouillis paisible, une sorte de caresse qu'il aurait tout aussi bien préférée à l'extérieur de son corps. Il y avait tout de même moins contraignant que tout ce qu'il fallait faire pour être capable d'accueillir un pénis bandé sans souffrir…

Trois.

Pouf.

Naruto tourna la molette avant de comprendre d'où provenait cette sensation de vide et de détente soudaine autour de sa verge : le clone avait disparu.

Au même instant, Sasuke émit une longue plainte extatique, ponctuée de tremblements et de crispations plus fortes que tout ce qu'ils avaient pu vivre ensemble. Naruto se tordit le cou pour admirer le visage aux sourcils froncés, étudier en détail la façon dont les dents claquaient, grinçaient puis se désolidarisaient pour laisser échapper davantage de râles puissants et incontrôlés. Il se cambra légèrement, mais il réalisa que Sasuke ne sentait probablement plus un seul millimètre de son pénis sous tant de stimulation anale.

L'orgasme du clone était revenu en force en lui, tel un souvenir d'entraînement particulièrement pugnace. Naruto savait bien quel effet la disparition d'un double pouvait avoir sur un corps prêt à recevoir tout ce qu'il avait pu vivre. C'était comme retrouver une partie de soi que l'on ignorait avoir égarée. Recouvrer ses esprits devenait alors une plénitude, parfois douloureuse, parfois épuisante, parfois brutale et, dans le cas de Sasuke, plus exaltante que le résultat de toutes les dissipations pratiquées par Naruto depuis qu'il maîtrisait le multiclonage.

Pourquoi n'avait-il jamais songé à faire jouir une dizaine de ses semblables pour tous les annuler d'un coup et profiter ensuite de l'orgasme multiple qu'ils auraient généré ? Il était peut-être moins pervers qu'on le pensait. Ou moins créatif.

Non. Ce n'était pas lui le problème. C'était Sasuke qui était pervers. Sasuke était plus pervers que lui. Il aurait dû se rendre à l'évidence, depuis le temps, mais le caractère froid et composé de son ex-némésis l'avait induit en erreur. Sasuke n'était pas seulement un fantasme sur pattes. C'était aussi un être sexuellement très actif qui n'était jamais à court d'idées pour aborder de nouvelles expériences galvanisantes.

Un dernier grognement jaillit des lèvres tremblantes. Sasuke, qui arborait son expression de bon élève concentré, ouvrit les yeux et se laissa tomber en arrière. Avant de sentir le membre libérer son antre, Naruto eut le temps de plonger dans le lac aux brumes denses, luisantes et mystérieuses. L'eau trouble n'était même plus visible, et la plénitude de ce brouillard confirma une chose qu'il avait déjà acceptée depuis il lui semblait maintenant une éternité : il aimait cet homme.

Sasuke s'effondra, couina et s'empressa de retirer le plug. Naruto en fit de même avec son préservatif et ne put s'empêcher de se demander si son anus était aussi écarté qu'il l'avait cru durant ces longues minutes de pénétration. Hésitant, il décida que si Sasuke avait mis ses doigts, sa langue et son sexe à cet endroit, il pouvait bien le tâter lui-même. À sa grande surprise, le muscle paraissait à peu près normal, comme s'il s'agissait d'un élastique très résistant.

Si Sasuke avait été en état de parler, il lui aurait sûrement expliqué que c'était un peu le cas, la nature étant particulièrement bien faite. Mais son coéquipier était étalé sur le côté, à peine retenu par l'un de ses bras, et reprenait encore son souffle.

« Waouh », compléta Naruto, comme s'il avait besoin de vocaliser à la place de son pair ce qu'il venait de traverser.

Sasuke lui jeta un regard complice. En aurait-il eu la force, il lui aurait aussi adressé un clin d'œil fictif. Naruto ne résista pas une seconde de plus. Il se redressa juste assez pour s'effondrer sur Sasuke, qui émit un « Oumph » disgracieux, mais se laissa faire en bougonnant.

Le blond prit le temps de le caresser, de l'embrasser sur le front, le nez et la bouche avant de le serrer contre lui de toutes ses forces. D'ordinaire, son camarade aurait objecté physiquement, mais ses muscles vibraient de fatigue, et Naruto en profita outrageusement. Ces gestes, ces démonstrations d'amour ne pouvaient encore être exprimés par des paroles. Alors, Naruto glanait sa part autrement, et la lueur euphorique qui faisait chatoyer chaque goutte de brume, sur le lac de légende, lui conférait l'espoir fou qu'il en avait le droit et le devoir.

Il leur fallut plusieurs minutes de souffles saccadés, de fausses protestations et d'aveuglement sous la tempête visuelle de leur partenaire pour remarquer une anomalie dans leur routine. Le grondement désormais familier des portes roses ne s'était pas manifesté.


Dépités, ils avaient d'abord rampé jusqu'à une des piscines pour s'y plonger. Sasuke était si épuisé qu'il goutta à peine à l'agréable chaleur et à l'impression bien plus saine que sueur, salive, sperme et lubrifiant se décollaient enfin de sa peau.

Naruto lui jetait des coups d'œil inquiets. Il devait avoir une tête à faire peur. Certes, il avait profité de cet orgasme gigantesque, mais la composition puis la disparition de son clone l'avait amoindri plus que jamais. Il savait économiser son chakra et de ne pas injecter dans une telle technique un trop-plein quelconque. Cela n'empêchait pas le kage bunshin d'être extrêmement gourmand en énergie, raison pour laquelle rares étaient les shinobi capables d'en produire une cinquantaine d'un coup sans tomber dans les pommes. Et personne n'en avait jamais créé autant que Naruto.

Un an plus tôt, un obscur village ninja au énième chef machiavélique avait jeté une armée de marionnettes sur Konoha. Il avait fallu s'infiltrer dans la forteresse de l'ennemi dans le but d'éliminer l'antagoniste majeur, et leurs dirigeants s'étaient résignés à faire évacuer la ville en attendant que la manœuvre fût achevée. L'équipe sept avait pris la mission, mais Naruto avait débarqué avec ses gros sabots dans le bureau de Tsunade, arguant qu'il risquait d'y avoir des morts, que les pantins étaient déjà à leurs portes et que cela leur ferait une belle jambe si l'assassinat échouait. Ils s'étaient disputés devant la Hokage, Sasuke vexé que son rival mette en doute ses compétences.

« Tu penses pouvoir t'en charger tout seul ?! avait grondé le blond à son adresse, les dents serrées.

— Évidemment », avait été sa réponse sans réplique.

Sakura, à leurs côtés, avait fait craquer son poing pour signaler à Naruto qu'il ne serait pas seul. Plus jamais seul. Il avait perçu le bruit de déglutition dans la gorge de son ami, mais celui-ci s'était vite repris et avait alors scandé :

« Parfait, je sais ce qu'il me reste à faire. »

Puis il avait disparu.

Sakura et lui avaient reçu pour instruction de poursuivre leur quête. Lorsque Tsunade avait remarqué leurs visages interdits, elle avait haussé les sourcils, s'était versé du saké et avait grogné :

« Quand il est comme ça, ça sert à rien d'essayer l'arrêter. Faites ce que vous avez à faire. Il fera sa part à sa manière. »

En refermant la porte, ils l'avaient entendue jeter une bouteille vide contre un mur et hurler :

« Amenez-moi Kakashi ! Je veux une évac sur le premier kilomètre intérieur de la ville ! Rien de plus ! Shizune ! Tous les ninjas disponibles doivent être prêts à retenir les ennemis qui passeraient les enceintes sur la ceinture extérieure. Ils ont cinq minutes pour se positionner ! On se bouge ! »

Shizune les avait doublés dans le couloir, terrifiée.

Ils s'étaient eux-mêmes glissés hors de la tour, puis avaient suivi les indications de Kiba et Hinata pour se rendre au QG de l'antagoniste. En chemin, Sasuke avait eu le temps de jeter un coup d'œil à leurs défenses. Il ignorait si c'était un effet de son imagination, mais il était certain d'avoir aperçu, perché sur la porte principale de la muraille, la silhouette de son meilleur ami, le manteau rouge feu claquant au vent, la flamme fauve autour de son corps fluctuant au rythme de la brise matinale. Un instant plus tard, une marée de ninjas oranges s'était déversée sur l'armée qui s'apprêtait à attaquer la ville, la submergeant.

Lorsque Sakura et lui, au terme d'une bataille épique, avaient enfin vaincu leur adversaire, la dernière marionnette s'effondrait au sol, emportant Naruto, évanoui, dans sa chute.

Avec le recul, Sasuke se rendait compte de la confiance absolue que Naruto lui avait accordée ce jour-là. Malgré la dispute, une simple assertion avait convaincu le blond qu'il n'avait pas besoin d'accompagner son équipe pour qu'elle parvienne à ses fins. Malgré le risque qu'il prenait, malgré le fait que tous ses efforts eussent été inutiles si sa némésis n'était pas à la hauteur, cette réponse, jetée là par provocation interposée, lui avait suffi.

Des plics plocs réguliers ramenèrent Sasuke à la réalité. À ses côtés, Naruto était propre, rafraîchi, et occupé à faire jaillir de petites fontaines entre ses poings. Son air concentré en disait long sur sa déception. La chaleur lui donnait les joues rouges. Sa bouche s'était tordue en une moue boudeuse. Il était adorable. Et toujours inquiet pour lui sans souhaiter montrer à quel point.

Il y avait de quoi. Sasuke avait l'impression de ne plus sentir certaines parties de son corps, et ce n'était pas lié au bain brûlant. Il ne percevait pas davantage son système d'irrigation de chakra, mais il était trop épuisé pour que ce constat le fasse paniquer.

« Naruto. »

Il lui en coûta d'extirper son camarade de sa transe. Il ne se sentait pas prêt à sortir de là, ni à faire le moindre mouvement supplémentaire. Rien que remonter les marches qui les avaient amenés dans l'eau allait lui demander un effort surhumain.

« Faut qu'on examine cette porte. »

Le blond leva les yeux. Il adopta une expression étonnée, comme si cette étape ne lui avait pas encore effleuré l'esprit – ce qui était sans doute le cas.

« OK. »

Le corps gras et musclé jaillit du bain avec une énergie, une dextérité et une esthétique que Sasuke lui envia. Il l'observa se déplier sur l'escalier à mesure qu'il y grimpait, parfaitement stable, puis il se retourna afin de l'imiter.

Il savait que sa méthode serait moins glorieuse, mais il ne s'attendait pas à ce que son bras se dérobe sous lui dès la première tentative de résistance. Il s'écroula contre les marches dans un splash indigne, cacha son embarras derrière ses mèches de cheveux, et se souleva sur son coude comme s'il s'agissait de son intention première.

Un bruit plus mesuré fit écho à sa chute, puis un autre et, lorsqu'il releva la tête, deux chevilles aux mollets saillants, constellées de poils blonds presque invisibles, étaient campées devant lui.

« Tu veux bien que je t'aide ? »

La question était délicate. Naruto savait que Sasuke ne demandait jamais d'aide. Qu'il revendiquait ne pas en nécessiter. Pourtant, ils étaient tous deux conscients qu'il avait ses limites et qu'il venait de les atteindre. Aussi le blond avait-il dû consacrer un moment à formuler sa proposition, afin que Sasuke ait le choix. Afin qu'il n'ait aucune chance de pouvoir répondre : « J'ai pas besoin de toi. »

Sasuke, à cet instant, préféra imaginer ce que cela aurait pu donner de se redresser sans le soutien de son amant. Remonter lentement pour admirer les genoux, les cuisses épaisses, puis l'entrejambe qu'il aurait sans doute effleuré ou léché au passage. Merde. Pourquoi avait-il l'impression que son seul membre encore opérationnel était, contre toute attente et toute logique, sa bite ? Pourquoi ne pouvait-on pas se soulever rien qu'avec cette partie de l'anatomie ? Pourquoi ne pouvait-on pas convertir son excitation sexuelle en chakra ? Il en aurait à revendre jusqu'à la fin des temps.

« OK. »

Il avait fait cette concession par frustration, certes, mais un coin de son esprit lui soufflait qu'il se sentait désormais capable d'accepter le soutien de Naruto sans en prendre ombrage. Il se savait entier. Il savait que Naruto ne le rabaisserait pas. Et, enfin, encore plus profondément en lui, il prenait conscience qu'il avait envie d'accueillir cette aide. Qu'il commençait à la désirer autant que tout le reste de la personne que constituait le blond. Naruto était si fiable… Il était… Il devait être si facile et si confortable de se laisser aller dans ce cocon de puissance et de ne plus penser à rien…

Une main ferme saisit la sienne. Il aurait voulu répondre à cette invitation et serrer les doigts entre les siens, mais ils étaient tout aussi amorphes que ses avant-bras. Le jinchûriki le souleva de l'eau d'une simple impulsion, et Sasuke dut retenir le besoin de se débattre de toutes ses forces en se sentant si vulnérable. Il pendouilla une brève seconde contre le corps mat avant que ses pieds ne retrouvent leur capacité à se poser à plat. Naruto resta là, immobile, attendant qu'il recouvre ses appuis. Sasuke parvint à s'accoler au pilier brûlant, qui ne broncha même pas sous son poids, et émit un grognement de rage et de frustration en comprenant que ses jambes refusaient de le porter. Le peu d'endurance conservé s'était envolé avec le temps passé dans le bain, sans doute essoré pendant qu'il roulait pitoyablement jusqu'à l'eau sur le mètre qui la séparait de leur lit improvisé.

Il jeta un coup d'œil à Naruto, rongé de honte. Celui-ci arborait son air soucieux des situations délicates. Pourtant, lorsqu'il croisa le mélange d'inquiétude, de désir et d'amour dans les prunelles cerclées d'azur, tout sentiment de malaise disparut et il ne persista plus, dans ses entrailles, qu'une certitude inhabituelle : il n'avait pas à être gêné. Naruto et lui étaient différents, et il était déjà incroyable qu'il soit encore en mesure de réfléchir à ce stade de l'aventure. Il avait toujours été capable de rester à la hauteur de Naruto, malgré les avantages dont disposait son compagnon, et que même le sharingan n'égalerait jamais.

« Je dois étudier la porte avec le sharingan », formula-t-il immédiatement à voix haute, saisi d'une soudaine inspiration.

Naruto s'étrangla, déglutit et prit l'initiative de glisser son bras amorphe autour de ses épaules tannées. Elles étaient humides, poissaient un peu et possédaient une texture à la fois douce et ferme qui donna envie à Sasuke de les caresser. Il en était bien incapable, aussi préféra-t-il pousser un soupir de soulagement, signifier à son pénis qu'il n'était pas obligé, lui, d'être si vaillant, et accepter que son amant place son autre membre sous ses aisselles. Naruto fit mine de croire qu'il était encore en état de marcher et le traîna ainsi jusqu'au dernier obstacle, presque à bouts de bras. Sasuke était furieux contre lui-même, mais le nouveau lien de confiance qu'ils avaient construit l'empêcha de passer sa rage sur son coéquipier lorsque celui-ci souffla, après avoir dégluti :

« Comment tu comptes faire ? »

Je compte posséder ton corps, voler ton démon et filer avec pour ne jamais avoir à revivre pareille humiliation. Voilà. Ça, c'était un bon plan. Sauf que Naruto ne risquait pas de se laisser faire, que le Kyûbi était hébergé en lui de manière absolument consentante, et qu'il doutait de sa volonté à changer d'hôte. Surtout pour lui.

N'y avait-il aucun moyen pour récupérer un peu d'énergie ? Ne serait-ce qu'une goutte de chakra ? Juste assez pour faire vibrer un peu de filtre rouge dans son regard et analyser cet objet de malheur…

Oh. Mais bien sûr !

« Passe-moi un peu du chakra de Kurama. »

Naruto sursauta. Il devait avoir songé à cette solution, car il protesta immédiatement :

« Mais… Sakura dit qu'il faut pas l'utiliser sur un ninja qui n'a plus assez de chakra. Il est trop puissant, maintenant qu'il a refusionné : il détruit les réserves restantes et menace de faire éclater les tenketsu… Ça va juste t'achever et te brûler de partout, dans ton état… C'est seulement en dernier recours… »

Pour Sasuke, c'était une situation de dernier recours. Il lui fallait être honnête avec son pair.

« Je suis déjà vraiment à sec. Je me repose pas sur toi pour le plaisir. Enfin, auss… »

Non. Il allait dire quelque chose que son sexe tenait absolument à lui dicter. S'il en avait eu la force, il aurait frappé la maligne entité.

« Bref. Si tu injectes seulement une petite quantité, je pourrai le consommer tout de suite. Ça devrait éviter tout effet secondaire. Et même si tu devais mettre davantage, je te fais assez confiance pour savoir que tu ne me feras pas exploser de l'intérieur avec un mauvais dosage. J'ai connu des chakra autrement plus toxiques que celui du Kyûbi, Naruto. »

Il faisait référence au flux noir que le sceau sur son épaule générait. Il n'y avait presque jamais recours, désormais, et ses amis en étaient soulagés, car une telle expérience avait déjà raccourci son espérance de vie. Chaque utilisation diffusait dans son corps une sorte de poison qui, s'il accélérait de façon exponentielle la production de chakra, n'en était pas moins mauvais pour sa santé. Le sang noir qu'il avait parfois craché après de trop longues périodes sous cette forme en disait assez sur la nature artificielle et dangereuse de cet expédient.

Toutefois, loin de le fragiliser, cette exposition régulière avait renforcé ses canaux, les épaississant telle une peau calleuse suite à trop de pratique. Ils avaient découvert cette capacité lors d'un entraînement particulièrement intense avec Hinata. Naruto, qui débordait de chakra en permanence, était sensible à la technique et devait puiser dans ses ressources pour guérir ses pores trop perméables. Sasuke, lui, y était presque immunisé. Hinata avait dû faire montre d'un entêtement, d'une précision et d'une hargne implacables pour l'affaiblir. Sasuke supposait, sans doute à juste titre, qu'elle s'était défoulée sur sa personne à cause de son passif avec son compagnon. Il avait blessé son ami, physiquement et psychologiquement, à une profondeur où lui seul était capable d'aller. Il n'y voyait plus qu'une vague cicatrice, désormais saine et oubliée, mais Hinata n'avait peut-être pas encore fait ce deuil-là. Si timide d'ordinaire, elle s'était comportée avec professionnalisme, mais il n'avait pu s'empêcher de remarquer la façon dont elle le regardait quand il tenait tête à Naruto. Lui-même jaloux, à l'époque, ne s'était pas gêné pour s'accaparer le blond. Hinata ne semblait pas possessive, en revanche, et la seule chose qui l'avait réellement agacée était le mépris avec lequel il avait traité son pair lorsque celui-ci, épuisé par l'entraînement et les tenketsu bouchés, s'était effondré contre un arbre.

C'était la première fois que Sasuke se souvenait de cet épisode en toute conscience de ses affects, et il regretta autant son comportement puéril que cet incontrôlable besoin de se savoir le centre d'attention de Naruto. Il l'avait toujours été et Hinata, malgré toute sa volonté, n'aurait jamais pu rivaliser avec lui. Il avait été mesquin, borné et égoïste.

Heureusement, Naruto n'avait jamais rien remarqué, et Sasuke constatait déjà de nombreuses améliorations à son caractère. Par exemple, dans le fait qu'il était parvenu sans aucun détour à dire à Naruto qu'il avait confiance en lui. Bordel. Il l'avait dit. Vraiment dit. Comme si c'était la plus évidente des choses, sans y penser. Prochaine étape : lui expliquer tout aussi naturellement qu'il ne voulait plus jamais se séparer de lui. Qu'il voulait… quoi ? Que vouloir de plus que de rester ventousé à son pair comme une bernacle sur son rocher ? Être heureux avec lui ? Partager leur vie ? Faire leur vie ? À deux, comme Sakura qui rêvait de fonder une famille avec un beau shinobi au regard un peu torturé ?

Il n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses réflexions : Naruto, sidéré par la déclaration, réagissait enfin.

« D'accord. Quand tu veux. »

Sasuke supposa que son partenaire avait consacré ces quelques secondes de flottement à intégrer les informations transmises, à les analyser et à décider d'une réponse appropriée. Réponse qui consistait à sous-entendre : « Je te fais confiance aussi, donc je te suis. »

Naruto était pivoine, et Sasuke prit conscience qu'il n'était pas le seul à rabrouer mentalement ses parties génitales afin qu'elles cessent de revendiquer leur priorité sur la situation. Il ne put s'empêcher de fixer le phallus frémissant, juste assez de temps pour son vis-à-vis s'en rende compte. Lorsqu'il releva les yeux, la rougeur se diffusait sur la nuque dorée et sur les oreilles auréolées de mèches paille. Il ne sut retenir un pouffement. Naruto se décontracta immédiatement et ricana en réponse. Sasuke lui adressa un hochement de tête qu'il acheva en direction de la porte scellée. Il était prêt.

Ils étaient si proches qu'il ne sentit même pas le flux lorsqu'il apparut par-dessus la chaleur du corps de Naruto. Plus rouge que jamais, celui-ci se fraya un chemin direct jusqu'à ses yeux, déposant un filtre brun sur sa vue d'ordinaire si précise. Il se retint de penser, de malaxer du chakra, de faire quoi que ce soit qui puisse déporter cette légère aura loin de son lieu d'utilisation. Il se contenta d'allumer le Sharingan dans ses prunelles, dans ce réflexe conditionné qu'il avait développé depuis son adolescence. Le filtre brun disparut et, avec lui, l'aura démoniaque.

À la place, la vision laser de ses iris se dévoilait. Il jeta des coups d'œil à tous les angles du matériau d'or rose. Il analysa toutes les couches, espéra passer au travers comme le faisaient les Hyûga… Rien. Il se concentra sur les rouages supposés, fit un effort pour tourner la tête. Rien.

Bientôt, l'impression de pouvoir zoomer et prédire les choses d'un simple regard commença à s'estomper, telle une ampoule électrique agonisante, puis l'effet disparut. Si Naruto ne l'avait pas maintenu avec conviction, Sasuke se serait effondré.

« C'est fini ? »

Il hocha la tête, dépité. Tout ce cirque n'avait servi à rien. Ils étaient coincés. Il allait s'évanouir, Naruto allait paniquer, vouloir le sauver, et ce serait l'échec assuré.

« On retourne étudier ce stupide briefing. »

Naruto, docile, se déplaça jusqu'au futon. Durant toute la manœuvre, il fit semblant de ne pas remarquer qu'il traînait son pair avec lui. Dans une impulsion reconnaissante et affectueuse, Sasuke eut envie de le serrer dans ses bras, mais il n'en avait pas davantage la force. Ce serait pour plus tard.

Il fut satisfait de constater qu'il lui restait assez de volonté pour se tenir en tailleur, même si le corps de Naruto, à ses côtés, lui servait encore de support. Ils se saisirent du document à contrecœur, dans un geste empreint de méfiance. On aurait dit que l'objet allait se transformer en mygale et se mettre à leur ramper dessus avant de disparaître dans un bassin. Sasuke secoua la tête. C'était toujours la même chose. Cet objet allait finir par les rendre fous.

Ils relurent la phrase, le passage, le briefing en entier, dont les pages à peu près classées par la maniaquerie de Sasuke n'avaient toutefois pas échappé à l'atmosphère saturée des lieux et à quelques taches blanches dont personne ne savait comment elles avaient pu atterrir là. C'était le cadet de ses soucis. Pour la première fois de sa vie, il prenait un malin plaisir à imaginer le visage défait de Tsunade lorsqu'elle récupérerait sa paperasse. Un contenu aussi dégoûtant ne pouvait décemment pas rester vierge durant la mission associée. Et ce serait bien fait pour elle si elle profitait des visions parasites qui l'accompagnaient.

Naruto, tandis qu'il ruminait ses basses velléités de vengeance, fronçait les sourcils et tapotait certains mots d'un air perturbé. Il semblait perdu dans ses pensées et présent à la fois, comme dans tous ces moments où il dialoguait avec son démon au sujet de leur réalité. Une partie de lui, hypervigilante, le guidait dans l'espace et l'empêchait de se figurer à l'intérieur de son propre ventre. L'autre, à l'écoute de son compagnon, était comme tirée en arrière dans l'antre rougeâtre.

« Sasuke, on a la version originale ? »

Il hocha la tête et laissa son camarade plonger dans le foutoir qu'il s'était résigné à laisser dans leurs affaires. Il fallait bien saboter cette mission l'air de ne pas y toucher, et confier à Naruto la gestion de leur matériel faisait partie des méthodes d'exception pour atteindre cet objectif sans le moindre effort.

Il leur fallut plusieurs minutes pour retrouver l'objet, coincé entre un rouleau de nourriture et élimé par un kunai hors d'usage. Il tenta de ne pas se demander comment il était arrivé là.

« Pourquoi, en fait ? » interrogea-t-il tandis que l'objet glissait entre les doigts mats et poisseux.

Naruto n'avait pas fait montre d'une grande science concernant la lecture du rapport, et Sasuke doutait qu'il pût faire quoi que ce soit avec une version originale dont les caractères étaient proches du chinois – littéralement.

« Parce que… Ah. Bon, alors attends. »

Le jinchûriki joignit ses mains et composa quelques sceaux paresseux. Sasuke les reconnut immédiatement : c'était l'enchaînement pour faire remonter le Kyûbi à la surface. Pas assez pour que son camarade disparaisse, suffisamment pour que le renard puisse voir à travers les yeux de son hôte. La flamme rouge dans les prunelles du blond s'intensifia jusqu'à ce que l'iris se fende distinctement.

« Parce que je connais cette langue », gronda la voix de Kurama dans la bouche de Naruto.

Le timbre animal résonna dans la grande salle comme un rugissement de bête agitée. Sasuke eut un mouvement de recul mental, surpris. Malheureusement, son corps était trop mal en point pour que l'information, dans son cerveau, aille plus loin que : « Il faudrait s'écarter. J'envoie un signal. Écarte-toi. Ah. On peut pas ? Ah-ben-oui. Bon, bah au moins, on aura essayé de suivre notre instinct de survie. Je ferme la boutique, salut. Te fais pas bouffer. »

Le temps que son esprit se remette de l'apparition soudaine, il eut l'occasion de raccorder quelques neurones et de s'énerver :

« Comment ça, tu connais cette langue ?! Sakura a passé une soirée entière à la traduire n'importe comment et tu connais cette langue ?! »

L'œil injecté de sang l'observa un instant, comme si son propriétaire hésitait entre le rire et le désir bestial de le gober séance tenante. Sasuke frissonna. Il aurait aimé que Naruto le regarde ainsi.

« Un peu, ouais. C'est ma langue natale. »

Il eut envie d'enfoncer ses ongles dans ses propres joues et de tirer de toutes ses forces. Ils avaient perdu un temps phénoménal à ne pas comprendre ce briefing, cette traduction, cette mission, et l'autre sac à puces lisait couramment aussi bien que vulgairement le vieux yamato !?

« Et tu ne pouvais pas le dire plus tôt, espèce de bijû inutile ?! »

Un éclat bleu jaillit dans la lueur rouge, et la voix claire et rauque de Naruto résonna en réponse, comme si celui-ci savait qu'il devait se manifester expressément afin d'éviter que son camarade se fasse becqueter par son colocataire.

« À son époque, ça s'appelait pas comme ça. Il a pas fait le lien. »

Sasuke se rasséréna immédiatement. La présence de Naruto, en contrôle, était rassurante. Ses justifications plus recevables que tout ce que le renard aurait pu formuler lui-même. Il était capable de pardonner Naruto autant de fois qu'il le faudrait. Il acceptait ses défauts, ses erreurs. Même dans les moments les plus critiques, il considérait que Naruto était d'assez bonne volonté pour n'avoir jamais fait aucune boulette sciemment. De toute façon, son amant assumait toujours ses actes, jusqu'aux plus stupides, et c'étaient ceux-ci qui le rendaient si inatteignable, si surprenant. Si génial, au fond.

Les deux entités étaient reparties dans un débat intérieur intense. Naruto désigna au Kyûbi la phrase problématique, la tapota plusieurs fois du doigt. Les yeux brûlants suivaient le mouvement, donnant au visage poupin une expression concentrée qui ne lui seyait guère. Dans la bouche fermée, les dents s'étaient sans doute allongées, plus pointues que d'ordinaire, et cela la faisait gonfler d'une façon peu naturelle. Sasuke ne reconnaissait plus son ami dans ces traits tirés et sauvages, dans cette aura ancestrale pourvue d'expérience, mais de bien peu de sagesse.

« Oh, mais ! »

C'était la voix de Naruto qui avait crié.

« Non, c'est pas possible…

— Si, morveux. C'est exactement ça. C'est le seul sens acceptable. Bien joué. »

Sasuke ne s'attendait pas à être témoin d'un tel dédoublement de personnalité, mais il profita de cette nuance comme il profitait à outrance, bien que discrètement, de tout ce qui constituait Naruto de près ou de loin.

« Mais c'est… Bon. Je te range, OK ? Merci de ton aide.

— OK, de rien. À plus, Uchiha. »

Les pupilles rouges se dissipèrent, non sans avoir adressé un clin d'œil malicieux à Sasuke. Celui-ci déglutit et se demanda une fois de plus pourquoi son désir n'en faisait qu'à sa tête. La nuance bestiale, dans l'aura de Naruto, était toujours aussi bandante…

« Bon. »

Il eut l'impression que son amant s'était réapproprié une sorte de combiné téléphonique intérieur. Cependant, le blond était livide, et l'heure n'était pas aux comparaisons hasardeuses. Il le fixa, attendant qu'il trouve les mots pour exprimer sa visible détresse.

« Je… Comment dire… »

À défaut de pouvoir poser sa main sur le genou mat, il s'appuya plus fort contre l'épaule de son ami.

« Tu te doutes que j'ai dû lire tous les volumes que… que Jiraiya écrivait. »

Ah. Il comprenait mieux le malaise de son pair. Jiraiya était toujours un sujet sensible, pour Naruto. À défaut de pouvoir se serrer davantage contre lui, Sasuke hocha la tête et planta ses prunelles dans celles de son coéquipier. Il voulait lui dire qu'il était là, qu'il ne le jugerait pas, qu'il était normal de perdre ses moyens lorsqu'on évoquait la disparition traumatisante d'un proche. D'un mentor. Et, pour Naruto, d'un père.

« Il avait tendance à utiliser des caractères anciens. Ça m'est revenu quand Kurama a lu le parchemin. La prononciation, et le contexte… Je suis désolé. Je sais pas pourquoi j'y ai pas pensé plus tôt. »

Sasuke venait de s'énerver contre le Kyûbi parce qu'il ne s'était pas manifesté lorsqu'ils avaient mentionné le vieux yamato. Il était normal que Naruto ait peur de sa réaction. Pourtant, ce n'était pas de la faute de Naruto, pour une fois, si son esprit entraîné avait isolé les images de Jiraiya dans un tiroir verrouillé, décoré de draps noirs, et avait jeté la clef. Sasuke, mieux que quiconque, était capable de comprendre à quelle profondeur les traumatismes se compartimentaient dans l'âme d'un ninja. C'était au point où ses souvenirs d'enfance étaient déformés par sa naïveté, mais aussi par sa propre volonté de n'en percevoir que ce qui l'arrangeait. S'il n'avait été si borné, si furieux, si désespéré, s'il n'avait été si aveuglé par les sentiments qu'Itachi avait intentionnellement falsifiés en lui, il se serait rappelé plus tôt des larmes que son frère versait à son départ. Il aurait compris. Mais à l'époque, il n'y avait pas de thérapies pour les shinobi, pas plus que de diagnostics, et personne ne l'avait aidé à se reconstruire. À l'époque, on croyait normal que tous les ninjas fussent habités de cauchemars et de syndromes post-traumatiques.

Si les gens de l'hôpital l'avaient d'abord agacé au sujet de son suivi psychologique, à son retour, il ne pouvait s'empêcher de considérer que la campagne prosanté mentale de Tsunade, soutenue par Sakura, Naruto, Kakashi et même Hibiki, était la meilleure chose qui soit arrivée au système médical de Konoha ces dernières années.

« C'est normal. T'inquiète. »

La réplique était sortie toute seule, comme une évidence. Sasuke ne regretta pas cet aveu d'empathie lorsque les pupilles ciel d'orage semblèrent vibrer. Le blanc se brouilla de larmes et le noir se cramponna à lui comme jamais. Il voulut serrer Naruto contre lui, mais ne parvint pas à lever le moindre membre. Naruto le comprit pourtant à son regard, à la façon dont les lianes, dans sa jungle inhospitalière, s'agitaient, tourmentées, à la recherche d'une main tannée et griffue dont le propriétaire chutait du haut d'une falaise sans fond. Les appendices saisirent le poignet, dans l'œillade émue du blond, et celui-ci s'y agrippa de toutes ses forces.

Un reniflement peu gracieux se fit entendre. Naruto avait la gorge nouée lorsqu'il reprit la parole, mais il n'avait plus l'air vulnérable d'un rongeur acculé par la peur et la souffrance. Sasuke se félicita de son geste : pour une fois, il avait choisi la bonne chose à faire.

« Kurama dit qu'à l'époque, ils avaient des façons différentes de compter en caractères. C'était assez abstrait, et ils confondaient souvent addition avec multiplication à cause de ça. Dans les livres de… Dans les Icha Icha, quand on tombe sur ce caractère… »

Cette fois, Sasuke s'alarma réellement. Naruto n'était pas seulement triste. Il ne traversait pas seulement quelques secondes de souvenirs endeuillés. Naruto était en train de paniquer.

« … C'est pas deux. C'est double. »