Note

Petit rappel que cette histoire reste de la fiction, et que vous pouvez sauter des passages si quelque chose vous gêne.

J'avais besoin de leur faire traverser une véritable épreuve pour créer de la tension narrative, et je trouvais intéressant qu'ils dépassent leurs limites dans ce cadre, comme ils le font d'ordinaire face à leurs ennemis. J'espère que cela vous plaira :).


« Pardon ? »

Il ne s'attendait pas à ce que Sasuke comprenne immédiatement. C'était si surprenant, si lunaire, si… hors de leurs possibilités…

Ils avaient franchi un premier pas en tentant les clones. Ils n'étaient pas si loin de la réalité, mais même cette option, désormais, ne leur était plus d'aucune utilité.

« Double pénétration », clarifia-t-il, bien qu'il vît la panique monter dans les yeux de Sasuke, qui commençait à assimiler le sens de leur conclusion.

Après ce qu'ils avaient traversé, et rien qu'aux pratiques proposées par le mode d'emploi de cette satanée grotte, ils auraient dû deviner que les limites de la norme hétérosexuelle les rattraperaient. Personne n'avait pensé qu'il puisse y avoir autre chose qu'un pénis et un vagin dans l'équation. Personne n'avait considéré que, s'ils étaient trois hommes – cis, avait dit Sasuke –, ils seraient incapables d'aller au bout de la manœuvre. Les gens qui avaient construit cet endroit n'avaient aucune ouverture d'esprit : ils s'adressaient exclusivement à des personnes qu'ils percevaient semblables à eux. Ils n'avaient pas même envisagé une seconde que d'autres paires, d'autres trios, étaient possibles.

Ils auraient dû y songer plus tôt, pourtant. Abandonner tout de suite. Ils auraient dû prendre cela en compte et s'éviter toutes ces épreuves… Bien que Naruto, jusqu'alors, ne regrettât aucune d'entre elles.

Sasuke poussa un lourd soupir qui se réverbéra jusque dans ses entrailles. En des circonstances plus plaisantes, il aurait adoré l'effet, sentant son pair appuyé sur lui de tout son poids. Il se résigna lui aussi.

« Bon, alors je suppose que c'est la fin ? »

Il posait la question parce qu'il ne voulait pas s'entendre abandonner lui-même. Il ne voulait pas être seul à envisager très sérieusement cette acmé et à la formuler. Il voulait le soutien de son compagnon.

Celui-ci releva la tête, l'air étonné.

« Euh, pourquoi ? »

Naruto se demanda à quel point son camarade pouvait s'enfoncer dans le déni.

« Ben, nous, on peut pas faire ça. On est fichus, là… »

Sasuke le fixa longuement, comme s'il scannait son cerveau à la recherche d'une connexion synaptique défaillante. Puis il poussa un autre gros soupir. L'effet fut immédiat en Naruto. Il en profita du mieux qu'il pouvait, cette fois, assez intrigué par ce que son coéquipier avait à dire pour oublier son désespoir.

« On peut, si. »

La synapse, dans l'esprit du blond, tressaillit, titillée par le constat. Sasuke était trop épuisé et trop sûr de lui pour mentir ou se moquer de lui. Elle se demanda comment deux hommes pouvaient effectuer cette pratique sur un troisième. Elle élimina la fellation, qui ne rentrait pas dans les critères de la mission. Elle chercha d'autres orifices exploitables, échoua, et revint au point de départ, désabusée. Alors, la lumière se fit tout à coup, grésillant tel un néon rappelé à la vie, et Naruto bafouilla :

« Mais… tu veux dire… deux dans le même… »

Sasuke hocha la tête, soupirant une troisième fois comme si l'idée même le contrariait d'avance. Naruto, lui, n'était pas encore en état de l'envisager.

« Mais déjà un, ça passe difficilement ! Comment c'est possible ? »

Sasuke marmonna plusieurs phrases confuses à propos d'habitude, de relaxation, de préparation laborieuse, et tout un tas d'autres choses que Naruto enregistra avec appréhension. Quand il eut terminé sa tirade, le blond resta silencieux un moment. Les synapses mal branchées, dans sa tête, s'agitaient à mesure qu'elles s'appropriaient le sens des informations glanées. Puis elles laissèrent place à une détresse psychologique sans précédent. Sasuke le fixait derrière ses mèches brunes, tête basse, l'air à bout de forces.

Naruto ne sut comment il eut la volonté de cracher sa réponse, mais malgré le faible volume sonore auquel elle avait été prononcée, il eut l'impression qu'elle résonna partout dans la salle grandiose, amplifiée par l'or et la brûlure cuisante que générait en lui la conscience de l'échec.

« Je peux pas. »

Sasuke eut un mouvement de tête qui, d'ordinaire, aurait été violent et particulièrement sexy. La colère dans ses prunelles jaillit telle une étincelle. La volonté, l'entêtement, y flamboyaient comme jamais.

« Je pensais pas à toi. »

Naruto se demanda d'où son compagnon sortait une telle énergie. Il ne tenait plus sur ses jambes, avait à peine la force de rester droit, et il était capable de protester de la sorte…

Puis il comprit ce que Sasuke insinuait, et il n'eut d'autre choix que de se mettre en colère.

« Mais regarde dans quel état t'es ! Et on n'a pas le temps de se reposer, avec ce truc qui te pompe ton chakra ! Et je peux pas te faire ça ! Et tu peux même plus boug… »

Le poids qui pesait contre son flanc disparut soudain. Une seconde plus tard, dans un râle de bête blessée, Sasuke se jetait sur lui de toute sa masse. Naruto tomba à la renverse et eut la présence d'esprit de saisir le tronc qui tentait de l'écrabouiller : Sasuke avait sa pugnacité pour compenser sa faiblesse, mais celle-ci ne pouvait assumer les conséquences de sa fureur. Il évita de justesse que le menton pâle se fracasse contre le sol, au-dessus de son épaule. Un bras tremblant redressa le corps faussement amorphe, et Sasuke leva la tête pour planter ses pupilles rageuses dans les siennes.

« Arrête. De faire. Comme si j'étais en sucre. »

Il ne sut retenir une moue boudeuse. Il avait pourtant, lui semblait-il, bien montré à Sasuke qu'il ne le croyait pas si faible, non ? Il fallait encore plus ? Il fallait, pour cet homme trop fier et trop complexe, accepter de ne jamais lui faire remarquer ses limites, si impressionnantes soient-elles ? Naruto secoua la tête.

« T'es pas en sucre, Sasuke. Mais j'ai le droit de m'inquiéter pour toi, et j'ai le droit de mal interpréter ce que tu fabriques avec ton corps. Et je suis ninja, moi aussi. Je suis jônin comme toi. D'accord, j'ai eu cet examen dans une pochette surprise, mais on nous a dit de faire attention à nos coéquipiers. On nous a dit qu'on était responsables d'eux. Là, je suis responsable de toi autant que t'es responsable de moi.

« Et arrête d'essayer de me prouver quelque chose que je sais déjà, OK ? Si j'ai réussi à t'avouer que j'étais trop flippé pour pratiquer ça moi-même, tu peux mettre un peu ta fierté de côté et apprendre à être raisonnable et honnête vis-à-vis de moi, non ? »

Sasuke le fixait toujours, désarçonné par son calme. Naruto était prêt à confesser qu'il n'avait pas l'énergie de se battre s'il le fallait. Pourtant, le brun semblait perturbé par autre chose.

« C'est vrai. T'as dit que tu pouvais pas. »

Pour Sasuke, courir après la performance était devenu une seconde nature. Toutefois, même s'il le reprochait à son entourage, il était accoutumé à ce que celui-ci y soit moins attaché que lui-même. Naruto ne faisait pas exception, malgré tous ses efforts, en partie à cause de sa maladresse et de son incompétence chronique. C'était la raison pour laquelle il ne s'était pas rendu compte de cette concession. Celui-ci, surpris, haussa les sourcils et poursuivit :

« Toi, t'as l'air de savoir comment faire. T'as l'air d'avoir encore assez de volonté pour tenter le coup. D'accord. Moi, je te dis juste que ça me paraît pas une bonne idée, parce que j'ai l'impression que ton corps suivra pas. C'est tout. C'est juste un constat. Mais c'est important que tu acceptes que je fasse ce genre de remarque si… »

Il avala difficilement.

« Si on veut continuer notre… relation… après cette mission. »

Voilà. Il l'avait dit. Il avait prononcé ce mot improbable, ce nouveau statu quo que Sasuke n'avait peut-être pas envisagé tel quel. Ils comptaient continuer, mais comment ? Dans quelle mesure ? La confiance qu'ils s'accordaient était enfin assainie de toute sa puérilité. En revanche, la fierté de Sasuke, cette tendance qu'il avait à vouloir se débrouiller tout seul quoi qu'il en coûte, allait à l'encontre du besoin de Naruto de s'inquiéter pour les autres. Il en était parfaitement conscient. Il se l'était rappelé dès l'instant où Sasuke s'était jeté sur lui pour protester.

Il tenta de charger son regard de la tendresse qui générait en lui ce besoin de couver ses pairs, et particulièrement Sasuke, dont la fragilité était la force. Malheureusement, le mouvement avait achevé de vider le brun de son énergie et son crâne s'était affaissé, trop bas pour qu'ils puissent se fixer. Naruto saisit les joues, conscient de profiter de l'immobilité de son compagnon pour outrepasser ses usuelles limites. Celui-ci fut obligé de se laisser faire, mais ne protesta pas verbalement. Peut-être son discours faisait-il son chemin dans son esprit ? Sasuke envisageait-il la même relation que Naruto visualisait si bien ? Ils étaient si différents, dans leur ressemblance… Rien ne disait à Naruto que Sasuke désirait ce type d'équilibre, encore moins qu'il était prêt à accepter que l'on s'inquiétât pour lui.

Les iris sombres semblaient fusionner avec leurs pupilles tant Sasuke était au bord de l'évanouissement. Dans le flou délicat, Naruto chercha la volonté de son amant. Il retrouva l'endroit où son image se cramponnait toujours à des lianes entêtées. Celles-ci le remontaient doucement, mais sûrement, et il soutint leur effort dès qu'il fut en mesure de grimper en rappel sur la paroi de la falaise. Sasuke vécut la scène à sa manière, forcé de constater la nécessité d'une concession, entre eux qui passaient leur temps à se sauver mutuellement.

Naruto relâcha la tension dans ses bras et laissa son visage tomber sur le sien dans le but de déposer un léger baiser sur ses lèvres. Les chairs sèches lui répondirent vaguement et s'écartèrent à peine, absorbant une brève seconde le même air. Lorsqu'il leva ses mains, qui soutenaient toujours les joues plissées par ses paumes, la nuit dans les yeux de Sasuke était emplie de feux d'artifice. Plusieurs bouquets étrangement roses se mêlaient au rouge, au jaune et au bleu, et Naruto se demanda comment un corps aussi épuisé pouvait être en mesure de bander si dur. Sasuke poussa un petit grognement déconfit : il se posait exactement la même question.

Naruto attendit patiemment que le final s'achève et que le propriétaire d'une telle fête daigne lui répondre. La langue acerbe claqua, agacée, dans la bouche déformée par le soutien de ses doigts.

« Je t'en voudrai pas de me dire que tu t'inquiètes si tu m'en veux pas de me vexer quand tu le fais. »

Oh. Ça, il pouvait faire. Ça, c'était possible : accepter que Sasuke s'énerve, car c'était dans sa nature et dans ses complexes, mais ne pas s'empêcher de s'exprimer et avoir conscience que, derrière son attitude revêche, le brun n'était pas vraiment en colère. Ils avaient le droit de rester eux-mêmes tant qu'ils savaient embrasser les réponses de leur pair et ne pas en prendre ombrage. Naruto, après tout, était incapable de ne pas s'inquiéter. Et Sasuke, lui, était incapable de ne pas se vexer.

« Ça me va. »

Naruto laissa retomber le crâne de Sasuke contre son épaule, se sentant agréablement écrasé. Il plaça la tête de façon à ce que son camarade puisse parler et demanda enfin, après avoir dégluti :

« Tu me guides ? »

Son compagnon émit un grognement agacé auquel leurs rires succédèrent. Le corps du brun était bien la seule chose amorphe de cette étape : si Sasuke était en mesure de râler, il était aussi en mesure de distribuer des ordres à Naruto. Celui-ci se rendit compte qu'il adorait ça. Un recoin pragmatique de son esprit réalisa en passant que cela allait sans doute lui permettre d'être, à l'avenir, plus discipliné auprès de son coéquipier, lorsque celui-ci prenait les devants en mission. Il secoua la tête pour se concentrer : si l'idée même que Sasuke se comporte en petit chef l'excitait autant, il risquait de ne plus être bon à rien à ses côtés.

Sasuke pouffa de plus belle. Il devait avoir senti l'érection conte sa cuisse.

« Redresse-moi, tu veux ? »

Il s'exécuta. Sasuke, dont les membres pendouillaient en tous sens, constata que s'asseoir relevait de l'impossible. Ses bras refusaient de lui répondre, ses cuisses le faisaient tant souffrir qu'il aurait voulu qu'on les détache de son tronc. Il avait l'impression d'être un pantin rouillé qu'un marionnettiste maladroit tentait d'apprivoiser. Il en rit.

Il avait déjà pris conscience d'à quel point il faisait aveuglément confiance à Naruto. Cependant, traiter de façon si badine son incapacité à se mouvoir n'était pas dans ses habitudes, et attribuer tant de nonchalance à la présence de son pair, à son attention, à leur relation, relevait d'un tout autre cadre. Il voulut se pencher pour l'embrasser, mais il craignit que sa nuque, à peine revigorée par le soutien temporaire de son ami, ne supporte pas un tel effort. Alors, il décida d'embrasser Naruto par des paroles.

« Tu vois, là, je pourrais me vexer. »

Naruto tentait sans succès de se placer de façon à ce que la masse pâle ne s'affaisse d'aucun côté. Il leva les yeux, étonné, et Sasuke termina :

« Mais c'est toi. »

Les lèvres du blond frémirent. Il crut entendre son cœur s'arrêter quelques secondes, puis reprendre ses battements à un rythme effréné. L'azur, dans les iris, luisit d'une teinte solaire avant d'être conquis par des nuages d'orage et des gouttes de pluie bien réelles. Sasuke retrouva cette envie empirique de saisir les larmes et de conserver leur préciosité dans un bocal d'où jailliraient en permanence des rayons chamarrés de cobalt et d'or.

Il avait parfaitement conscience de ce qu'il venait de concéder. Tout ce qu'il avait envisagé d'avouer « un jour » à Naruto se résumait en ces quelques mots, en cette minuscule phrase qui hissait son ex-rival sur son piédestal inégal, qui l'élevait sur la roche la plus haute, anfractuosité semblant faite pour lui, estrade de deux centimètres exactement. Ainsi, l'homme qu'il aimait accédait aux parties de son âme qu'il avait jusqu'à présent conservées masquées. Il n'avait pas à lever la tête ni le menton pour pénétrer dans son regard. Il pouvait tout visiter de cette jungle, serrant dans ses mains une boussole aux teintes rouge et noir, tournoyant tel le Sharingan dans sa prunelle.

À quoi bon laisser dressée une seule de ses barrières quand Naruto faisait tant de concessions, fournissait tant d'amour et embrassait enfin tous ces décors obscurs au lieu de s'entêter à les changer ? Sasuke était de nature bien plus infernale que son pair. Il le savait. Et Naruto devait l'accepter comme il avait accepté sa propre horreur tout en apprenant à y voir des brins d'espoir, de joie et de salubrité. Sasuke était moins certain que ses démons fussent si inoffensifs, mais le futur Hokage, face à lui, était la preuve vivante qu'il avait le droit d'y croire, et qu'y croire lui donnait le droit de les exposer au grand jour.

Il n'avait plus de corps pour exprimer à son compagnon ce qui le rongeait inconsciemment depuis tant de temps. Il n'avait plus que ses yeux et sa bouche et, si incongru soit-il, il apprécia de communiquer si directement son sentiment. Il se promit de réitérer l'expérience plus souvent. Il se promit d'essayer d'être plus ouvert. Il se le promit dans la certitude qu'un tel effort de sa part pouvait rendre son partenaire heureux. Peut-être en était-il capable, alors ? Les prunelles bercées de tempêtes fabuleuses qui caressaient sa cornée à la recherche de son amour n'étaient-elles pas la preuve que ses tentatives ne resteraient pas infructueuses ? Peut-être Naruto avait-il compris la façon d'aimer de Sasuke, cassée et tordue de toutes parts, trop physique, trop sévère, trop silencieuse. Peut-être avait-il compris à quel point il pouvait en coûter à son pair de formuler ces affects. Peut-être Naruto pouvait-il recevoir cette passion détraquée, cette vénération cachée, par tous les expédients dont Sasuke usait pour compenser son caractère introverti ? Mais de quoi Naruto n'était-il pas capable ?

Sasuke ne cessait jamais de sous-estimer son coéquipier. En revanche, il n'eut pas le temps de s'en vouloir : l'astre de lumière avait chassé les nuages dans les pupilles qui répondaient aux siennes, et une détermination nouvelle y trônait. Il sut qu'elle était à son propos avant même que Naruto commence à bafouiller. Il eut l'impression d'en entendre la teneur alors qu'elle n'avait pas encore passé les lèvres du blond.

« Sasuke, je… »

Il n'avait pas l'énergie de poser sa main sur cette bouche afin de l'empêcher de continuer. Il ne voulait pas recevoir cette déclaration brûlante dans une situation où il se sentait incapable d'y réagir. Il y avait des limites à ce qu'il pouvait laisser échapper par la parole. Son instinct avait déjà saisi ce que Naruto était prêt à révéler.

Il usa de la force recouvrée dans sa nuque pour fondre sur les lèvres et stopper l'aveu. Il embrassa longuement, forçant les chairs à s'écarter et à répondre à sa fougue. Il chargea ce baiser de tous ses regrets et de toute sa frustration. Lorsqu'il s'éloigna, Naruto le fixait, éperdu, incapable de comprendre pourquoi son vis-à-vis avait empêché sa déclaration en lui en faisant une à sa manière.

« Je t'interdis de terminer cette phrase tant que je suis dans cet état, Naruto. »

Au lieu de se briser définitivement, la fibre perturbée, dans l'esprit du blond, se raffermit.

« De quoi j'ai l'air, moi ? » acheva Sasuke dans le but de se justifier.

Ensuite, elle devint aussi solide que le platine et il l'observa s'enrouler gracieusement autour de la statue de marbre où leurs poings et leurs doigts s'entrecroisaient avec hargne et délicatesse.

Naruto sourit. Sasuke l'imita, sentant le pli au creux de ses lèvres protester de tant d'usage répété. Il faudrait qu'il s'y fasse.

Il n'avait qu'une hâte, pourtant : être en état d'entendre ce que son amant avait à lui dire. Et être en état d'y répondre.

Alors, il se concentra sur ce qu'ils avaient à faire avant d'être libérés de leur devoir, et considéra qu'il était d'autant plus en mesure d'apprécier tout cela désormais. Il se laissa tomber en arrière et jeta un coup d'œil provocateur à Naruto.

« Il va falloir que tu me prépares, pour commencer. T'es prêt ? »

Naruto avait observé sa chute comme un affamé verrait une pitance inespérée s'écarter de lui. Sasuke admira sa gorge qui se contractait autour d'une déglutition. Il admira du coin de l'œil les crispations de ce corps surentraîné et presque difforme, la façon dont le ventre se gonfla en un gros pli lorsque le blond se pencha pour étaler à portée de main tout ce dont ils avaient besoin.

Sasuke tenta de contenir sa frustration. Dans d'autres circonstances, il aurait hyperventilé à l'idée même d'être privé de sa mobilité. Au moins, il pouvait râler.

Naruto se campa entre ses jambes, les ouvrit et les releva légèrement, puis il enfonça un doigt lubrifié dans son anus. Le mouvement fut rapide, efficient, précis. Le membre glissa aisément en lui : il s'était passé peu de temps depuis la précédente pénétration, et l'excitation avait généré des contractures délicieuses entre ses fesses. Son compagnon profita de la simplicité de la tâche pour se placer au-dessus de lui et venir l'embrasser. Il répondit, avide de participer à la hauteur de ce qu'il pouvait. Naruto semblait étrangement concentré, et Sasuke supposa qu'il appréhendait la suite. Lui aussi. Il n'était même pas sûr de pouvoir y arriver, et il avait conscience que son camarade risquait d'avoir trop peur de lui faire mal pour aller au bout.

Il rassura son pair comme il le put, avec quelques coups d'œil et de langue, avec quelques gémissements étouffés. Lorsque le blond releva la tête, il avait ce regard lointain, où l'extase se mêle à la passion, qu'il lui avait si souvent vu ces dernières vingt-quatre heures.

Sasuke sentit un deuxième doigt le pénétrer. Jusque-là, tout allait bien. Tout était normal.

« Dis, tu sens quelque chose, au moins ? »

La question le prit de court, et Naruto dut élaborer.

« D'habitude, je te sens te replacer et contracter volontairement. Là, c'est des réflexes physiologiques, mais j'arrive pas à savoir si c'est ton corps qui réagit tout seul ou si tu reçois la stimulation. »

Sasuke ouvrit la bouche, surpris. Puis il la referma. Il n'aurait pas cru que son amant ait déjà repéré toutes ces petites techniques qui lui permettaient d'ordinaire de garder la main sur leurs ébats. La plupart de ses partenaires ne l'avaient pas remarqué et resteraient persuadés toute leur vie que c'étaient eux qui l'avaient fait jouir et non le contraire. Mais bien sûr, Naruto n'était pas comme ça. Non seulement Naruto le connaissait par cœur et avait toujours dû se douter qu'il était actif, indépendant dans son plaisir, mais Naruto était plus à l'écoute et plus attentionné que quiconque. Son comportement n'aurait su passer sous son radar à efforts.

Il pouffa. Son partenaire fit une petite moue boudeuse et tenta de titiller sa prostate, sans trop de succès. Le mouvement lui arracha toutefois un frisson.

« Je peux pas bouger, Naruto. Mais je sens encore tous mes membres. »

Son vis-à-vis poussa un soupir de soulagement. Cela leur aurait fait une belle jambe, si Sasuke ne pouvait même plus ressentir quoi que ce soit.

« OK, ça a l'air bon. Je mets un troisième doigt ? »

Sasuke le fixa, pâlit tout à coup, puis réclama de but en blanc :

« Fais voir la taille de ta main ? »

Il avait admiré les poings de Naruto de très près à moultes occasions, depuis leur fracas sur son visage jusque dans leur innocence, le matin, lorsque le blond gigotait et étalait ses phalanges sur ses côtes. Toutefois, il n'avait jamais pris le temps de les examiner sous un jour sexuel, surtout pour les comparer à autre chose.

Naruto leva le bras qui le soutenait et plaça sa paume sous ses yeux.

« Serre les doigts. »

Son camarade s'exécuta, étonné.

« Qu'est-ce que tu cherches à savoir ? »

Merde, Naruto avait des doigts calleux, solides et musclés. C'était très joli, et il comprenait soudain beaucoup mieux d'où provenait la rigidité de son poing. La puissance se lisait dans chacune de ses veines. La peau était moite à cause de la chaleur. Il eut envie d'embrasser ce membre qui l'avait soutenu tant de fois, secouru, soulevé de terre, qui avait porté sa détresse en silence et n'avait jamais réclamé de contrepartie.

Sasuke se reconcentra et loucha sur les appendices. Il sentait ceux de la main droite s'agiter en lui et commençait à s'impatienter. Il aurait voulu qu'une pénétration leur succède directement. Il se savait capable de jouir rien qu'en percevant ce sexe gonflé et désormais adulé le pilonner de l'intérieur. Mais il ne pouvait pas se permettre ce caprice. Pas maintenant.

« Je cherche à savoir combien de tes doigts il faudrait pour que je me sente prêt à en recevoir deux comme toi ensuite », soupira-t-il.

Comme il s'y attendait, son vis-à-vis pâlit. Il ricana, attendri par la peur qui se lisait dans ses yeux. Naruto l'avait pris à sec en le plaquant contre un mur parce qu'il le lui avait demandé. Naruto l'avait mordu de ses crocs saillants parce qu'il le lui avait demandé. Et Naruto, malgré ses réticences et ses inquiétudes, allait pratiquer sur lui cette double pénétration parce qu'il allait le lui demander. Le lui ordonner. En faire un caprice de fou du sexe qui ne saurait s'empêcher de vouloir tester tout ce qui peut être physiquement réalisable avec son amant beaucoup trop impétueux. Car Sasuke venait de comprendre une chose que son ami était jusque-là parvenu à lui cacher, à travers leurs jeux rivaux et leurs provocations érotiques : Uzumaki Naruto était incapable de lui résister.

« Je… Ça suffira même pas, hein ? »

Il ignorait comment Naruto pouvait passer si rapidement et si fréquemment du blanc au rouge, puis du rouge au blanc, mais il trouva cela drôle et pouffa de plus belle.

« C'est sûr qu'il faut que tu mettes un troisième doigt, déjà. »

Le blond s'exécuta. Ils n'avaient jamais eu besoin de plus. Sasuke supposa à juste titre que Naruto faisait le calcul dans sa tête : trois, c'était bien pour préparer la pénétration d'un seul pénis de sa taille. Mais une main ne comportait que cinq doigts, et même en les serrant très fort, il avait sûrement du mal à s'imaginer comment cela pourrait constituer un équivalent à une épaisseur double.

« Il va falloir que tu mettes les autres, l'aida Sasuke. Ce sera toujours ça. Pour la suite, de toute façon, tu devras forcer. »

Le sang disparut entièrement du visage rond, mais Sasuke sentit ses chairs s'écarter au passage d'un auriculaire. Il grimaça. Naruto suait, moins que lui, mais grinçait des dents bien davantage. Il fallait remédier à cette gêne, cette impression que Sasuke percevait, dans son regard contrit, comme s'il faisait quelque chose de répréhensible.

« Naruto. »

Le blond sursauta.

« Tu veux que j'arrête ? »

Sasuke pouffa de plus belle, grimaça encore et souffla :

« Va plus profond. Tu pourras jamais mettre le pouce, sinon. »

Puis, voyant l'hésitation gagner son compagnon, toujours incapable de bouger pour lui montrer ce qu'il souhaitait, il concéda :

« Tu devrais savoir, maintenant, que j'aime quand c'est intense. »

Le rouge reprit le dessus sur le visage de son coéquipier ; la pomme d'Adam monta et redescendit. Naruto eut l'air de grommeler quelque chose, puis il se replaça afin de mieux voir ce qu'il faisait. Il saisit de sa main gauche le sexe pâle dressé paresseusement, le caressa, frôla l'aine, les bourses, la peau au-dessus de l'anus malmené. Il sembla fasciné par cette prouesse corporelle.

« C'est dommage que je puisse pas te stimuler de l'intérieur, comme ça. Je comprends que tu trouves ça chiant, la préparation. Pour arriver à choper ta prostate, il faudrait limite que ma main soit entièrement à… »

Il se stoppa net. Sasuke décida que cette teinte carmin, sur ses joues, était beaucoup trop indécente et que Naruto commençait à ressembler à une écrevisse chevelue. Pour faire bonne mesure, il râla :

« Je t'interdis de penser à me faire ce à quoi tu viens de penser.

— Je viens de m'interdire de penser à te faire ce à quoi je viens de penser. »

Le blond avait rétorqué du tac au tac et Sasuke rit intérieurement. C'était mignon.

« Que ça ne t'empêche pas d'enfoncer ton pouce. »

Il s'impatientait. Il avait mal, il le savait, mais il avait aussi conscience que ses entrailles se détendaient autant que possible.

La présence du pouce, entre les autres membres, ne se fit sentir que par le besoin d'enfoncer plus profondément le reste de la main. Sasuke s'indigna que quiconque ait pu avoir l'idée saugrenue et hautement douloureuse de faire pénétrer l'ensemble du poing. Il fallait être sacrément masochiste pour apprécier cela. Mais pourquoi pas ? Si tout le monde était consentant et communiquait sainement ? Il était un peu maso lui-même, après tout. Il n'avait pas à juger. Cependant, il était certain qu'il n'aurait jamais l'envie d'aller jusque-là. Son trip à lui, ce n'étaient pas les gros machins ni la torture à outrance. Il aimait la violence dans son plaisir, les souffrances n'étant qu'une sorte de dommage collatéral qu'il acceptait avec joie parce qu'elles intensifiaient toutes les autres sensations. Son trip à lui, cela restait la stimulation prostatique, par tous les moyens possibles. Et Naruto, qui était loin d'avoir un pénis de pornstar, fort heureusement, était le candidat parfait pour ce genre de pratique : attentionné, docile, avide de bien faire. S'ils poursuivaient leurs ébats, Sasuke ne doutait pas une seconde qu'il allait finir par le connaître par cœur et apprendre à orienter ses reins de façon à soutenir sa recherche de l'extase.

Naruto interrompit ses pensées d'une question hésitante :

« Je peux te demander si ça va ? »

En eût-il eu la force, Sasuke se serait jeté sur lui pour l'embrasser, le serrer contre lui et ne plus jamais le lâcher. À la place, il dut se contenter de la parole et forcer hors de lui davantage de mots.

« Tu peux si tu veux. Mais si ça ne va pas, je te le dirai, d'accord ? »

Naruto secoua la tête. Il ne semblait pas satisfait de la réponse, ce qui ne l'empêchait pas de tenter de détendre son anus tout ce qu'il pouvait.

« Je me suis mal exprimé. Je pense que ça me rassurerait de savoir ce que tu traverses, en fait. Comment tu sens les choses. »

Sasuke fit un o avec sa bouche. Naruto lui en demandait beaucoup. Mais il comprenait. Le blond devait déjà énormément prendre sur lui. Être conscient de ce qu'il faisait subir à son pair devait constituer une véritable torture pour cet être composé entièrement du besoin de cajoler les autres. Il lui faudrait du temps pour admettre que son compagnon appréciait d'être aimé par des biais brutaux, tant qu'ils étaient remplis de la même attention salvatrice. C'était la raison pour laquelle les coups de Naruto lui avaient toujours paru si faibles. Ils ne l'étaient pas, le blond trop respectueux de sa puissance pour ne pas se jeter à corps perdu dans la bataille, mais Sasuke ne pouvait s'empêcher de percevoir, à travers chaque toucher et chaque heurt, l'étendue de l'affection que son ami éprouvait pour lui. C'était ainsi qu'il profitait de la douceur de son camarade, et bien qu'il appréciât également la tendresse dans le regard bleu, la légèreté de la paume qui caressait son ventre et la retenue sexuelle de ce corps pourtant si capricieux, Sasuke adulait la façon dont cette passion protectrice se manifestait jusque dans l'ire et l'impétuosité qu'il provoquait chez son coéquipier. Comment pouvait-on aimer de rage ? Comment était-il possible qu'un coup de poing puisse porter autant d'intentions salubres ? Comment Naruto avait-il fait pour entretenir autant de gentillesse avec pour graines le rejet, pour outil la solitude et pour terreau la haine ?

Sasuke se rappela comment le blond percevait leurs rixes et décida de faire des efforts, lui aussi. Tout ce qu'il pouvait. Tout ce qu'il était en mesure de surmonter. Tout ce qu'il était déterminé à dépasser pour être digne de la confiance de son compagnon. Il devait commencer immédiatement.

« D'accord. Déjà, je dirais que ça va. Je suis beaucoup plus perturbé par le fait de sentir mon corps sans pouvoir le bouger que par les horribles tiraillements autour de tes doigts. »

Naruto hocha la tête, soulagé.

« Moi, je suis perturbé parce que je découvre à quel point ce machin a l'air extensible, en vrai. J'aurais pas cru…

— Tes références pornographiques ne t'ont pas appris ça ? gloussa Sasuke.

— Ben, c'est pas très réaliste. Y a des trucs qui peuvent le sembler, mais ça… Je dirais que c'est comme les cascades faites par des professionnels, tu vois ? Ça paraît pas accessible aux gens normaux. »

Sasuke ne résista pas à rétorquer, amusé :

« Je croyais que tu n'étais pas normal, d'après le Kyûbi ? »

Naruto bougea légèrement, mal à l'aise.

« Je triche. »

Sasuke le fixa, étonné qu'il ne profite pas de l'instant pour se vanter un peu. Naruto faisait-il également un complexe vis-à-vis des capacités que lui conférait son démon ?

« Tu ne peux pas tricher sur quelque chose que tu as autant mérité, Naruto. Tu ne peux pas croire que tu triches parce que tu es toi. »

Loin de s'humidifier dans un premier temps, les prunelles auréolées d'azur s'agrandirent puis s'effilèrent tout à coup, dardant leur sauvagerie sur lui, pulsant de teintes orangées assoiffées de sang. Un éclat de rire démoniaque claqua tel un bruit d'orage dans les yeux écarquillés, puis Kurama disparut, laissant Naruto reprendre sa place. Celui-ci semblait profondément troublé, plus que d'ordinaire.

Sasuke l'entendit renifler, mais l'antre du renard l'avait assez isolé pour qu'il ne s'épanche pas davantage.

Le blond, alors, parut saisi d'une détermination nouvelle. Sasuke sentit la main s'enfoncer dans ses entrailles, siffla de douleur, fronça les sourcils, puis les lèvres de son compagnon furent sur lui. Partout. Elles furent comme une caresse multiple sur ses joues, ses yeux, son front, ses commissures, bien sûr, sa nuque et son torse. Elles furent langues chaudes et éparses sur sa peau. Elles l'enserrèrent autant que Naruto aurait souhaité pouvoir le faire à cet instant, alors que ses bras étaient trop occupés ailleurs.

« Sasuke… »

Il tourna la tête pour venir chercher la bouche gorgée d'émotion, y glissa la langue et garda le contrôle du baiser aussi longtemps que son énergie le lui permit.

« Sasuke… » gronda encore son partenaire entre deux inspirations.

À la domination qu'il avait l'impression d'assurer sur Naruto, avec son corps immobilisé, cette main qui écartait ses chairs et cet amour qui l'enveloppait et le vissait au sol, il ajouta ses propres affects. Il répondit « Naruto… » d'une voix rauque, comme si prononcer ce nom stabilisait toutes ces parts affolées de sa conscience. Il donna des coups de tête et contracta sa mâchoire comme pour dévorer son ex-némésis et lui faire comprendre à quel point il l'adulait. Il se découvrit la force de soulever son bras et de saisir le crâne ébouriffé d'une poigne de fer, effleurant la joue striée dans le mouvement.

La seule chose qu'il désirait, c'était de montrer à Naruto à quel point il était parvenu à tout accepter de lui, à quel point il était désormais incapable de lui mentir. À quel point il le savait entier, avec son besoin maladif de chérir, son indéfectible maladresse, ses démons incorruptibles et ses terreurs salvatrices.

Lorsqu'ils se séparèrent, Sasuke sentit son bras retomber comme une loque, mais Naruto empêcha celui-ci de s'écraser sur le sol doré dans un craquement douloureux. Il le déposa doucement le long de son corps, le pressant faiblement. Il avait l'air sérieux.

Le brun réalisa à cet instant qu'il n'y avait plus de membre parasite entre ses jambes. Il haussa un sourcil. Naruto lui adressa un petit sourire contrit, plaça un très léger baiser sur ses lèvres, puis fixa ses pupilles dans les siennes et se confia au lac noir de ce ton rauque, sans réplique, qui précédait dans son ciel l'apparition d'un orage.

« Sasuke, je t'aime. »