« Merde ! »

Naruto rattrapa le corps avant qu'il ne touche terre et l'allongea religieusement sur le sol. Ses gestes étaient calmes, mais à peine eut-il lâché l'enveloppe immobile qu'il se prit les cheveux dans les mains et se mit à paniquer.

Putain ! Je fais quoi ? Ah, la boîte de premiers secours, peut-être ?

Il en profita pour jeter les préservatifs usagés hors du lit, au cas où Sasuke se réveillerait prématurément et ferait une crise de maniaquerie.

Mais le kit ne servit à rien. Naruto eut beau retourner son compagnon dans tous les sens, celui-ci ne comportait aucune marque suspecte, même à hauteur de l'anus – miraculeusement, d'après lui.

« C'est pas miraculeux, gamin, lança la voix gutturale du Kyûbi depuis son ventre. Il a dû utiliser inconsciemment ses dernières réserves pour lutter contre la douleur et les potentielles blessures. Il est à sec. Et si tu le sors pas vite d'ici… »

Naruto déglutit.

« … il va mourir. »

Il se sentit blanchir et répondit à voix haute :

« Mais… Juste parce qu'il a plus de chakra ?

Cet endroit continue de solliciter toutes les cellules de son corps et de les vider de leur contenu. C'est son énergie vitale qui commence à baisser en tentant de renflouer le stock de chakra. Chakra aussitôt évacué. Il faudrait trouver un moyen de stopper le processus, ou lui filer du rab, mais…

— Mais on a dit que sans chakra d'origine auquel se mélanger, le tien va juste lui cramer les canaux, c'est ça ?

C'est ça. »

Naruto consacra une seconde supplémentaire à la réflexion avant d'interroger :

« Tu arrives à savoir si j'ai le temps de le sortir d'ici en courant, genre, très très vite ? »

En même temps, il passa un boxer et un pantalon avant de ranger leur matériel, plus en bordel que jamais, décida que le pantalon était beaucoup trop chaud, le retira, enfila ses chaussures et fourra le vêtement avec le reste de leurs affaires. Ensuite, il roula le futon.

« Non. Tu tomberais aussi dans les pommes. Et même si je tente de prendre le relais, j'aurai fini de griller tes vaisseaux avant qu'on soit sortis de là. Tu t'en rends peut-être pas compte parce que ton chakra à toi se nourrit du mien et le convertit en permanence, mais t'es plus entamé que tu ne le crois.

— Mais d'habitude, tu me crames pas…

D'habitude, ton corps conserve une sorte de limite basse exclusive à son propre maintien. Tu vois le système des portes qu'utilisent les deux têtes de cloche ? »

Naruto n'avait jamais compris comment fonctionnait cette technique, ni n'en avait retenu autre chose que l'idée globale : on desserre des vannes dans son corps, et paf, ça fait plein d'énergie.

« Ouais. Ça débloque du chakra de je ne sais où ?

Exactement. Ça débloque du chakra. Un chakra qui est consacré, selon le nœud, aux muscles, à la guérison, à l'extase, etc. Ce chakra n'est pas accessible à la malaxation, sauf lors de l'ouverture d'une porte. En gros, c'est une quantité passive qui est là exclusivement pour que ton corps conserve son équilibre naturel. »

Kurama avait beau être un démon renard gouailleur, Naruto s'étonnait de sa capacité à enseigner aux ninjas dotés d'un fort trouble de l'attention. Mais peut-être le Kyûbi, au vu de son caractère, faisait-il face au même genre de problème ? Peut-être était-ce pour cela qu'il savait si bien s'y adapter ? On diagnostiquait ce genre de chose, maintenant, à l'hôpital. Il n'avait pas envie de s'y rendre, car il craignait de se sentir isolé, considéré comme trop différent, une fois de plus, mais il s'interrogeait sur certaines de ses réactions et celles de ses pairs, et finissait par se dire qu'il y avait une explication logique à tout cela. Il n'était pas stupide. Juste incapable de rester en place. Il n'était pas irresponsable. Juste très distrait. Toujours en train de décrocher des conversations ou de toutes ces activités qui ne l'intéressaient pas assez pour que son cerveau se soumette à leur aspect obligatoire. Et puis, parfois, comme c'était le cas lors de ses entraînements avec Sasuke, il oubliait tout. Le temps, la faim, la fatigue. Cela pouvait durer des heures. Et rien n'aurait su remplacer ces moments où il avait l'impression de transcender sa condition humaine.

« Gamin ? »

Kurama attendait patiemment qu'il revienne de son long voyage dans ce labyrinthe de synapses connecté de façon si originale. Il sursauta, consacra quelques secondes à fixer son coéquipier endormi, puis récupéra le sujet de conversation là où il l'avait laissé.

« C'est pour ça que les contrecoups sont si violents ?

Tout à fait. Tu comprends mieux pourquoi Kakashi était si en colère contre tête de cloche, quand il a découvert qu'il avait appris ça à son disciple, à peine âgé de quatorze ans ? Ce danger-là, c'est pas comparable à celui du Raikiri.

— Donc… Chez moi, ces portes gardent une réserve qui me permet de ne pas cramer carrément sous ton chakra. Ça fusionne, je suppose… Mais la grotte aspire aussi cette partie-là – sinon, Sasuke serait encore debout. Donc, je peux pas juste courir.

En effet. »

Naruto soupira, le cœur battant. Avisant son amant endormi, il décida que même mort, celui-ci préférerait être couvert, et lui passa un caleçon avec toutes les difficultés du monde.

Tous ces petits gestes lui avaient permis de garder l'affolement à l'écart. Cependant, il n'avait plus rien à faire, son compagnon gisait à côté d'un pantalon froissé et d'une paire de sandales aux semelles neuves empoussiérées, et il était seul, avec ses synapses atrophiées, sa ressource principale pratiquement épuisée, et…

Mais il était ninja, bordel de merde ! Il n'avait pas que le chakra pour ressource, si ? Pourtant, Rasenganer Sasuke n'allait pas lui sauver les miches, pas plus que de lui lancer des shuriken à la figure.

« Kurama… Ça tient toujours, la transformation suivie d'un bon gros coup de tête dans la montagne ? »

Le renard ne put s'empêcher d'éclater de rire.

« Désolé, gamin, mais dans un environnement aussi profondément chargé d'énergie naturelle… c'est un peu comme si j'essayais de manger mes ancêtres, et… »

Naruto ne put s'empêcher de trouver l'image à mourir de rire, mais il grogna :

« T'es d'une utilité flagrante, comme bijû, putain… »

Kurama répondit à son rire, puis se stoppa net.

« Gamin… »

Naruto était trop concentré sur son inquiétude pour réfléchir droit, sans quoi, il aurait depuis longtemps considéré cette option, songea le Kyûbi.

« Gamin, tu m'écoutes ?! »

Son porteur sursauta, épuisé et trop perturbé par les événements et l'urgence.

« Moi et mon chakra, on peut rien faire seuls. Mais toi, t'as un troisième chakra. Il est omniprésent, ici, et il ferait parfaitement l'affaire. »

Naruto mit plusieurs secondes à comprendre de quoi son hôte parlait. Il utilisait rarement le senjutsu, peu pratique lors d'un combat, puisque celui-ci nécessitait d'être concentré, immobile et à la merci des adversaires. Toutefois, ils se trouvaient au plus profond d'une grotte, au milieu de nulle part, et personne ne risquait de les agresser.

Il se positionna immédiatement, prêt à méditer. Rester en place n'était pas son fort, surtout lorsqu'il était nerveux.

« Mais… Ça va pas aussi lui cramer les cellules ? Ou pire, le changer en crapaud ? »

Kurama ruminait à ce sujet.

« Pas si tu la joues fine. Si tu lui insuffles exclusivement de l'énergie naturelle, comme il ne maîtrise pas le senjutsu et qu'en plus, il est inconscient, il ne pourra pas lutter contre la transformation. Il faut donc que tu malaxes ce chakra avec un autre type de chakra que tu as en toi.

— Le mien ?

Non. Je pense que ça suffirait pas. Le tien est habitué à faire écho à celui des ermites. En mode Sennin, seul mon chakra conserve son individualité. Il y a une raison pour laquelle tu as appris cette technique afin de te battre sans compter sur mon aide, à l'époque. »

Kurama prononçait ces paroles d'un ton à la fois contrit et contrarié. Naruto eut envie de lui caresser la tête. Il s'abstint.

« Est-ce que tu veux dire que je vais devoir mélanger moi-même ton chakra instable avec l'énergie naturelle tout aussi instable que j'utilisais pour le compenser, et insuffler cette espèce de bombe à retardement dans le corps de Sasuke ? Je vais pas le transformer en crapaud, je vais le faire imploser, à ce rythme… »

Kurama lui-même était capable de pratiquer le senjutsu, mais il paraissait évident que passer directement par son corps démoniaque n'aurait pas l'effet escompté.

« Pas si tu fais ça bien. »

Naruto commençait à comprendre que toute manœuvre pour réveiller son compagnon resterait risquée. Il n'avait pas le choix.

« OK. Comment on procède ? »


Sasuke errait dans un brouillard cotonneux au confort discutable. Il se sentait faible, avait la bouche pâteuse et l'impression d'être une plaie vivante. Quelque chose filtrait hors de lui sans discontinuer et lui donnait une profonde envie de s'allonger et de s'endormir.

En revanche, autre chose luttait contre ce filin désagréable et soignait lentement ses blessures et son apathie. Une brûlure agressive, une énergie accablante, une couleur chaude et iridescente. Puis un mantra. Sasuke. Sasuke. Putain. Sasuke. J'ai besoin de toi. Tu peux pas me lâcher maintenant. Sasuke ! Espèce d'enfoiré ! Sors-toi les doigts du cul ! Ah. Euh. C'est pas ce que je voulais dire. Kurama ! Je t'interdis de me faire penser à ça ! Sasuke ! L'écoute pas, OK ? Eh merde ! Voilà, t'as réussi. Je te crotte, Kurama. Sasuke, bordel ! M'abandonne pas avec cette espèce de pervers à poils ! Kurama, si je le gifle, ça pourrait l'aider ? Comment ça, le mordre ? Déclencher un processus de guérison « épidémrique »… ? Ah. É-pi-der-mique. Ah, d'accord. Je peux faire ça. Merci. Je regrette de t'avoir traité de pervers à poils. C'était pas dans un sens négatif. Sasuke… Désolé…

Une douleur fulgurante, à son épaule gauche, le fit hurler. Au même moment, il se rappela qu'il n'était pas censé se promener dans cette ouate désagréable. Il plongea dans un rêve instantané où des crocs érotiques lui dévoraient la nuque tandis que sa prostate réagissait à une stimulation inédite, se noya dans un orage, perçut un halo rose, puis l'odeur du patchouli. Dans un shlurp désastreux, un orbe azur échouait à le transpercer.

Il chuta une fois de plus, puis sentit sous son dos la dureté d'un sol métallique. Une humidité presque sale envahit ses narines. Quelque chose. Quelqu'un. Était sur lui. Non. Ils étaient plusieurs. Trois. Quatre, peut-être. Et ces auras diverses ne pouvaient pas être Naruto. Qu'était-il arrivé ? Ils étaient pourtant seuls, dans cette grotte.

« Merde, gamin. Prépare-toi à subir un choc.

— Pardon ?

— Je dis que tu vas subir un choc et que tu dois surtout pas bouger pour autant, d'accord ?! »

La voix rauque et menaçante lui parvenait pas bribes. La présence de Naruto était là, quelque part, en détresse, et il était immobilisé alors que quelqu'un le torturait. Il retrouva soudain l'usage de sa main. Bien. Il était désormais sorti de son cauchemar, assez reposé pour se battre. Il sentait l'angoisse de son pair partout autour de lui. Il devait y réagir. Il devait les sauver.

Un claquement, dans l'air, annonça sa technique favorite. Seul un habitué aurait pu la reconnaître à cette unique onomatopée.

« Oh, putain, me dis pas qu'il va… »

Chidori nagashi.

« Aaaaahhhgggh ! »

Le tiraillement sonore envahit l'espace avant que Sasuke comprenne ce qu'il venait d'entendre. Malgré l'attaque, le corps qui le surplombait ne bougea pas, contracté, figé par il ne savait quelle volonté inébranlable. Des dents crissèrent. Il se rappela qui était la seule personne au monde capable de rester gluée à lui au milieu de cette attaque.

« Sasuke… » gémit un timbre tendre, navré et souffrant.

Mince. Naruto était au-dessus de lui. Naruto avait reçu sa technique. Naruto venait de le mordre. Naruto tentait probablement de le réveiller par tous les moyens, même si pour cela il devait traverser les monts de sa stupidité ordinaire.

Il stoppa le flux d'électricité qu'il avait déchaîné autour de ses membres. Le soulagement le frappa immédiatement, comme si son corps avait passé ces quelques secondes à protester contre l'usage d'une telle extrémité. Il était vidé de ses forces, mais plus éveillé que jamais.

Il songea enfin à ouvrir les yeux et la bouche. L'air s'engouffra dans sa gorge comme s'il en avait manqué plusieurs minutes. La lumière agressa ses prunelles. Il dut résister de toutes ses forces au besoin d'allumer le Sharingan pour voir plus vite. Il se sentait vulnérable. En danger.

« Sasuke. Tout va bien », murmura une voix essoufflée contre son oreille.

C'était l'accent à la fois aigu et guttural de son compagnon de toujours. Il poussa un soupir de soulagement. Inspira et expira plusieurs fois. Cligna des yeux jusqu'à discerner le plafond doré de leur lieu de séjour. Son enveloppe charnelle, mal en point, refusait de répondre à ses demandes. Il ne pouvait pas se redresser.

Par contre, il sentait distinctement tous les endroits où la peau de Naruto était plaquée contre la sienne. Entre la sueur et l'aura brûlante, il perçut tout à coup le flux qui l'avait tiré de son errance spirituelle. Surtout au niveau de son bas ventre.

« Naruto… gémit-il, désespéré. Pourquoi tu bandes encore ? »

Le blond, blotti contre son crâne, émit un petit râle contrarié.

« T'occupe. C'est la faute à Kurama. »

Sasuke ne chercha pas à comprendre et traita son coéquipier d'imbécile.

« Et toi ? s'énerva celui-ci. Pourquoi tu bandes alors que t'es presque mort ? »

Sasuke en aurait eu la force, il aurait baissé la tête pour vérifier. Puis il se rappela les éléments érotiques de son rêve, décida que l'excitation de Naruto était suffisante pour déclencher des réflexes conditionnés dans son aine, et rétorqua, laconique :

« T'occupe. C'est ta faute. »

Il jura avoir fait rougir son ami, mais il n'eut pas le temps de se moquer.

« Sasuke, il va falloir que tu m'aides. »

Il n'avait toujours pas très bien compris pourquoi Naruto était allongé sur lui, ni qui étaient les trois ou quatre autres personnes autour d'eux. Toutefois, une nouvelle inquiétude montait à présent dans son cerveau oxygéné.

« Comment ça, presque mort ? »

Un grognement blasé se fit entendre, suivi du pouffement de son pair à son oreille.

« Je t'expliquerai plus tard. Pour l'instant, est-ce que tu me sens ? »

Le propriétaire de la voix qui grondait éclata de rire.

« Je voulais dire… balbutia le blond, dont les épaules étaient désormais carmin, il le voyait. Je voulais dire : est-ce que tu sens le… l'énergie que je te transmets ? Enfin. Pas comme ça non plus. Ta gueule, toi ! C'est pas vraiment du chakra. C'est un mélange de trucs qui ressemble pas tout à fait à du chakra. L'autre clown dit que ton corps est pas habitué, et que du coup il… genre, il rejette la… la pénétration. Car c'est un fluide étranger. »

Le fou rire reprit de plus belle à la droite de Sasuke. Dans des circonstances moins pressantes, il aurait trouvé les explications tout aussi hilarantes.

« Et donc… poursuivit Naruto, qui essayait de rester concentré, tu dois l'accepter consciemment. Sinon, on pourra pas bien te soigner. »

Oh. Il comprenait mieux d'où provenait cette impression que quelqu'un tentait de le droguer par chakra interposé. C'était Naruto… sans être tout à fait Naruto. Sans même être tout à fait le Kyûbi, dont il avait appris à reconnaître le flux caustique.

« Je t'expliquerai plus tard, je te dis, insista Naruto, qui devait imaginer les rouages s'agiter dans son crâne. Détends-toi et essaie de me laisser passer. »

Le claquement jovial, à sa droite, retentit de plus belle avant de se faire tancer inefficacement par son amant. Sasuke ne put retenir la commissure de sa lèvre, qui remonta légèrement. Il était détendu, c'était le moins qu'on puisse dire.

Alors, il se concentra, tenta de malaxer ce fluide qui n'était pas le sien. Il l'avait fait instinctivement, une minute plus tôt, pour produire une technique de rang A. Il pouvait recommencer.

Quelque chose dans ce chakra était vert, terre et translucide. Cela modifiait la nature de l'énergie bleue presque jaune dont disposait Naruto. Il fronça les sourcils. Un autre flux, plus sauvage, se mélangeait difficilement aux deux premiers. Étrangement, il ne remontait pas du ventre arrondi qui l'étouffait presque. Il venait d'ailleurs. Puis, à la jonction entre sa peau et celle de Naruto, toutes ces denrées convergeaient, se heurtaient pour fusionner avant de s'écarter tels des positrons indomptables.

Il fallait d'ores et déjà mêler énergie physique et spirituelle pour malaxer du chakra. Qui d'autre que Naruto, anomalie improbable, aurait été capable de se constituer accélérateur de particules, communiquant toutes ces formes différentes de carburant à ses cellules malmenées ?

Sasuke ouvrit les vannes, rendant ses canaux perméables, dilatant ses pores humides, entrebâillant ses huit portes. À commencer par celle de l'extase, la plus facile, au regard de leur posture. Un second pli ironique, à ses lèvres, remonta délicieusement. Il se sentit sourire.

Bientôt, il recouvrit l'usage de ses bras. Ensuite, ses genoux vibrèrent. Son cœur battait la chamade, ses poumons se gonflaient d'un air nouveau. Il leva les mains avec nostalgie, puis caressa le dos de l'homme qui lui rendait son intégrité. Enfin, lorsqu'il comprit que le processus allait se stabiliser, il serra de toutes ses forces la taille de ce génie innocent qui dispensait, à travers ses soins, son amour solaire.

Pour la première fois de sa vie, il avait la certitude qu'existait en ce monde une chose si pure, si précieuse et si puissante qu'il était incapable de la souiller. L'affection de Naruto était absolue, et elle allait se déverser en lui à l'image de cette nature complice dont il avait besoin pour survivre.

Naruto se redressa légèrement pour l'embrasser. Un râle de jalousie se fit entendre sur sa gauche. Sasuke tourna la tête. Il avait enfin une vision claire de ce qui l'entourait. Surpris, il découvrit deux clones assis en tailleur, concentrés, et devant eux un troisième qui semblait créer une jonction physique entre ces deux sages et le Naruto – sans doute le vrai – qui le surplombait.

« Tu avais vraiment besoin de tous ces clones ? »

Ce fut ce double qui répondit tandis que l'original s'affalait sur lui.

« Oui. J'ai mis un temps fou à apprendre à capter l'énergie naturelle dans cet endroit. Il en est tellement gorgé que j'ai failli me transformer en crapaud à plusieurs reprises. Et le drain permanent n'a rien arrangé : je suis affaibli et je peux pas compenser de la même façon que d'habitude. C'était tout un dosage à revoir. »

Sasuke fronça les sourcils.

« Kurama est pas censé aider, pour ce genre de situation ? »

On lui raconta comment l'aura du renard seule les aurait brûlés de l'intérieur, au regard des circonstances. On ajouta que, même si le bijû était désormais en paix avec le senjutsu, son chakra rebelle s'y mêlait trop difficilement sur le long terme.

« C'est comme l'huile et l'eau. Le côté huileux qui aime l'eau se place vers l'eau, le côté phobique se met dans l'autre sens – il m'a expliqué. Ça l'empêche pas de rassembler ce chakra, parce que quand on l'utilise, on le malaxe, donc on l'agite comme dans une bouteille. Mais dès qu'on arrête, les essences se séparent à nouveau.

— Donc, toi, là, conclut Sasuke en donnant une petite claque à l'épaule du Naruto qui l'écrasait, tu convertis et mélange toutes les énergies en permanence pour qu'elles arrivent équilibrées dans mes canaux. »

Le Naruto qui faisait jonction, à sa gauche, haussa les sourcils, toujours étonné qu'il soit si perspicace.

« Exact. Sinon, soit tu crames, soit tu te transformes en crapaud, soit tu es mort parce que j'ai plus assez de mon chakra normal pour t'aider. Et en plus, comme on n'a pas les mêmes affinités, ton corps prenait de quoi se soigner, mais il faisait pas de réserves. Là, tu commences tout juste à en faire, donc on va devoir rester comme ça encore un moment.

— Comme si ça te dérangeait », ironisèrent en même temps Sasuke et l'inflexion sauvage, du côté droit.

Sasuke sursauta et tourna la tête, réalisant enfin pourquoi cette présence le perturbait autant. Assis dans une posture nonchalante, le dernier clone de Naruto semblait brûler. Une flamme incarnate l'englobait, tirant ses traits vers sa version animale. La copie différait. Elle avait les cheveux plus longs, les yeux plus étroits, la silhouette plus haute et plus sèche. Les ordinaires crocs et griffes saillaient en place des canines et des ongles, mais c'était la première fois que Sasuke remarquait des poils roux sur le torse et les bras de son compagnon.

« Salut, Uchiha. »

L'être incongru lui adressa un signe de la main, et il sentit que quelque chose poussait la cheville de Naruto contre la sienne. Sans doute le pied par lequel passait un autre genre d'énergie.

« Le Kyû… Kurama ? »

Le démon sembla grandement apprécier qu'on l'appelle par son patronyme et non par son qualificatif. Après tout, l'appeler « neuf queues » revenait à traiter tous les humains de « zéro queue ».

« C'est moi. Ravi de te revoir de ma propre volonté. La prochaine fois que tu veux me menacer, je t'invite à réclamer cette option, au lieu de squatter dans ma piaule sans prévenir. »

Sasuke estima qu'il était plus aisé de menacer les gens après avoir utilisé un dôjutsu héréditaire et défoncé leur porte d'entrée, plutôt que de leur demander gentiment un rendez-vous.

Il devina sans peine que cette ombre-là se concentrait sur l'énergie démoniaque et la transmettait également à cette sorte de convertisseur occupé à le soigner.

« Tu nous as fait peur, tu sais ? »

Le ton était sarcastique. Le renard ricanait toujours. Mais son air prédateur, arboré sous quelques traits de son hôte, l'horripilait moins qu'auparavant. Il avait la sensation vague et étrange qu'il serait capable d'avoir une conversation avec cette version de la bête.

« Je suis resté assommé combien de temps ? »

Les clones se jetèrent des œillades soucieuses.

« Ne flippe pas, mais ça fait plusieurs heures. T'avais même arrêté de respirer. »

Sasuke accusa le coup. Il allait poser la seule question douteuse qui lui passa par la tête lorsque la voix de Kurama gronda :

« T'inquiète pas, Uchiha. Personne t'a fait de bouche-à-bouche. »

Il poussa un soupir de soulagement. Embrasser était une chose agréable. Savoir qu'on avait joué avec ses lèvres, son air ou son manque d'air, pendant un moment d'inconscience, c'était autre chose. Il l'aurait vécu comme une humiliation. Le clone de son coéquipier qui n'était pas concentré, à sa gauche, faisait sa tronche de merlan frit. Un type comme Naruto devait être incapable de comprendre ce qu'il y avait d'embarrassant à subir cela de la part d'une personne qui tentait de vous sauver la vie, surtout un proche. Après tout, Naruto avait eu droit au massage cardiaque le plus littéral de toute l'histoire ninja.

« Bien. Merci. »

Il se souvint qu'il parlait au neuf queues. Analysa trois secondes la façon dont ils étaient liés, à travers Naruto, et leur tendance à réfléchir exactement de la même façon. Il remarqua soudain tous ces points qu'il possédait en commun avec l'être d'exception : irascibilité, curiosité, sarcasme. À présent que le voile de la jalousie ne déformait plus ses émotions, il trouvait en Kurama un allié surprenant.

« Sasuke, au fait. Pas Uchiha. Juste Sasuke. »

Le Naruto de gauche sursauta, tout comme celui qui lui faisait office de couverture. Kurama haussa un unique sourcil – chose que Naruto était incapable de faire, le deuxième sourcil suivant automatiquement le premier, dans son cas –, éclata d'un rire sauvage qui aurait terrifié n'importe quel autre shinobi, puis scanda :

« D'accord, Sasuke. Quelque chose me dit que cette péripétie va changer notre manière de nous confronter au monde ! »


« Bordel, j'en peux plus… »

Sasuke tapota le corps tremblant qui écrasait toujours le sien. Cela faisait une heure qu'ils étaient allongés ainsi, et la concentration et l'endurance de Naruto étaient mises à rude épreuve. Cette version du ninja s'était départie du chakra démoniaque, qui bouillonnait à côté d'eux. Kurama, d'ailleurs, commençait à bâiller allègrement.

« C'est bon, je sens jusqu'à mon petit orteil. Arrête d'insister. »

Tout en se redressant à contrecœur, Naruto soupira.

« T'es pas en sucre, mais t'as tes limites, Sasuke. On aurait jamais dû faire ça. »

Il grimaça. Il n'avait pas l'impression de regretter quoi que ce soit. Rien de tout cela n'avait consisté en une mauvaise expérience, même s'il était certain de ne jamais vouloir recommencer. Cependant, il n'avait pas envie d'exposer ces pensées à Naruto sur le champ, aussi se contenta-t-il de détourner la conversation.

« Ta gueule. Regarde : la porte est descellée. »

Naruto, qui n'avait pas senti le tremblement au milieu de sa panique, haussa les – deux – sourcils. Ils avaient réussi. Le blond tituba vers l'ouverture, distrait, et Sasuke dut lui rappeler qu'il ferait peut-être mieux de rapatrier ses clones. Le jinchûriki s'exécuta avec appréhension. Il ignorait si les effets de ce recouvrement allaient terminer de l'achever, ou si retrouver le chakra familier du démon renard allait, au contraire, soutenir son corps éprouvé. Malaxer du chakra était épuisant. Malaxer un chakra étranger l'était encore plus. Malaxer trois chakras différents pour les diffuser à quelqu'un d'autre relevait du niveau d'un sannin, et Sasuke oubliait souvent qu'ils avaient atteint pareille apogée. Son camarade avait rarement besoin de puiser dans ses retranchements, aussi sa résilience n'était-elle plus que difficilement perceptible. Sasuke étudia son état et se dit qu'il n'était pas trop mal placé non plus. S'il avait été incapable de répondre à la puissance de Naruto, ils auraient échoué, ou il serait mort. Il fallait une volonté de fer pour entrouvrir ainsi les portes de son corps. Naruto lui-même ne devait pas savoir faire cela. Naruto avait besoin d'être entouré lorsqu'il apprenait. Lui était du genre autodidacte. Ce qu'il souhaitait, il le prenait, l'apprivoisait, le faisait sien.

Les clones disparus, son coéquipier pâlit. Puis, il grimaça, se concentra, et alla chercher au fond de son ventre l'énergie qui lui faisait défaut. Le Kyûbi se prêta au jeu avec complaisance, le chakra rouge envahissant le corps fatigué. Sasuke se lécha les lèvres. Bordel. Il fallait qu'il cesse de baver ainsi sur son compagnon. Cela allait finir par se voir.

Le temps qu'il ravale ses appétits, Naruto avait atteint une sorte d'immense autel dont la couleur dorée constituait presque un trompe-l'œil, ton sur ton avec le mur tout aussi brillant.

« Euh. »

Sasuke s'avança également, étonné du scepticisme de son ami. Il se sentait reposé, comme s'il avait pu profiter d'une véritable nuit de sommeil, prendre une bonne douche fraîche et manger quelques fruits après ses exercices matinaux. Ce chakra senjutsu était incroyable. Il fut d'un bond aux côtés de son compagnon, intrigué.

Là, sur l'autel, la chose la plus improbable, la plus énorme et la plus navrante qu'ils aient jamais vue trônait, soutenue par de grands supports ambrés qui auraient dû servir à exposer un katana. C'était un pénis. Un pénis gigantesque, dont la longueur faisait celle de son bras et la périphérie l'épaisseur de sa cuisse. Il était tout aussi scandaleusement doré que le reste de l'endroit.

Naruto tendit la main et le poussa du doigt, incapable de se rendre à l'évidence et croyant sans doute qu'il s'agissait d'un dernier piège. Le phallus se contenta de répondre avec un petit « poc ». Le blond déglutit. Il se tourna vers Sasuke, hésitant, puis s'enhardit lorsque celui-ci lui adressa un coup de tête en guise de confirmation.

Naruto saisit l'objet et le souleva avec toutes les précautions du monde. Sasuke trouva le mouvement ridicule et commença à ricaner. Un tintement se fit entendre. Une chaîne délicatement ciselée avait été glissée à la garde de la relique. Son ancien rival l'examina, puis décida qu'il serait moins dégoûté s'il passait son poignet pas là au lieu de tenir cette chose par la hampe. Comme si le pénis pouvait lui exploser à la figure, Naruto fit un grand geste afin de l'éloigner de l'autel.

Enfin, il loucha dessus. Déglutit. Pâlit. Rougit. Puis pâlit de nouveau, et hurla :

« Attends, on a fait des kilomètres sous terre, on a dû niquer douze fois, on a failli mourir… Tout ça pour ce truc moisi ?! »

Un éclat rouge et malicieux, dans les prunelles de son coéquipier, informa Sasuke que son hôte démoniaque trouvait la situation follement divertissante. Il ne put s'empêcher de répondre à l'expression par un petit sourire en coin.

« Vu la nature de cette mission, on aurait dû deviner », constata-t-il, soulagé que l'artefact semble si léger et si… inoffensif.

Ils se regardèrent, regardèrent l'objet qui pendouillait, tenu à bouts de bras par le jinchûriki, et commirent l'erreur de se regarder à nouveau. Alors, Naruto pouffa. Puis, Sasuke, qui se serait attardé sur ses crocs dans d'autres circonstances, répondit au pouffement. Ensuite, Naruto acheva d'éclater de rire, et Sasuke l'imita. Enfin, tandis que son coéquipier courbait le ventre, le brun fut obligé de s'appuyer sur son épaule. Ce faisant, il toucha par inadvertance le pénis doré, qui semblait être composé de bois laqué. Il eut un frisson, ce qui fit redoubler la crise d'hilarité de Naruto.

« Je te le dis, juste au cas où… commença Sasuke, qui se sentait aussi léger que cette matière aérienne, gloussant de manière incontrôlable. Si par hasard on veut nous forcer à nous servir de ce machin sur le chemin du retour, on casse tout. Et on ira l'apporter nous-mêmes à l'espèce d'obsédé qui a commandé la mission. Et c'est lui qui prendra. »

Naruto dut mettre sa main devant sa bouche pour ne pas postillonner dans tous les sens.

Ils firent le tour de la pièce, étudiant chaque réduit, fouillant derrière l'autel, afin de vérifier qu'ils n'avaient rien omis. L'examen terminé, ils durent se rendre à l'évidence : le pénis géant était la raison de leur visite. Ils pouffèrent de plus belle. Sasuke sentait des larmes au coin de ses yeux.

À présent certains que l'horreur qu'ils venaient de lever était bien leur cible, ils se rendirent compte qu'ils étaient dégueulasses. Ils fixèrent avec envie les bassins d'eau brûlante, hésitant entre fuir au plus vite ces lieux maudits et se prélasser quelques secondes dans le liquide sain.

Naruto jeta un coup d'œil mutin à Sasuke. Sasuke déglutit. Le chakra rouge flirtait toujours avec l'épiderme mat et les iris bleus. Mais le blond n'avait aucune intention charnelle. Prenant appui sur ses mollets, il serra les dents, sourit – Sasuke dut contrôler une pâmoison impromptue –, et beugla :

« Le dernier à l'eau est une poule sèche ! »


Lorsqu'ils ressortirent des piscines, Naruto massait son nez, qu'il s'était cassé en glissant sur le sol lisse après que Sasuke s'était jeté sur sa cheville pour l'empêcher d'arriver en premier. Son compagnon, se sentant coupable, s'était chargé de le lui replacer. Kurama y fixait désormais les os, hilare.

Naruto n'était toujours pas résigné à remettre ses vêtements, aussi fut-il prêt plus rapidement que son camarade.

Tandis qu'il enfilait son pantalon, Sasuke entendit le blond grogner :

« Sasuke, il veut pas rentrer. »

Il leva la tête, soudain inquiet de ce que son partenaire fabriquait avec leur butin.

« Naruto… T'as pas dit ça. »

L'interpellé rougit jusqu'aux oreilles, éclata de rire et compléta sa phrase.

« Regarde, il veut pas que je le mette dans un rouleau. Et il tient pas dans ma sacoche. »

Le phallus laqué contrait effectivement tous les sorts d'invocation. Naruto étant un peu distrait, Sasuke tenta lui-même de révoquer l'objet, mais celui-ci refusait obstinément de disparaître à la suite de leur matériel. Il se frotta l'arête du nez.

« Je suppose que, comme cet endroit, ce machin est un peu magique et ne supporte pas les techniques ninja. »

Naruto poussa un soupir. Il se frotta le menton, examinant leurs minuscules sacoches remplies de merdier, puis loucha sur le corps de Sasuke avant de revenir sur lui-même.

« Bon. »

Ils étaient prêts. Ils n'avaient plus qu'à charger quelque part l'horrible relique. Aussi, comme toujours, Naruto surprit-il Sasuke : il souleva le pénis par sa chaîne ouvragée et, déterminé, la passa autour de son cou. L'aberration pendouilla sur son torse, frappant légèrement le creux de ses pectoraux et désignant sans équivoque, de son gland gigantesque, l'entrejambe couvert d'un caleçon orange.

« On peut y aller », statua-t-il d'un air professionnel.

Sasuke, qui croyait ne pas être capable de davantage maltraiter ses zygomatiques par trop sollicités, ne sut retenir l'éclat de rire empirique qui jaillit de ses entrailles.

Note

Je savais depuis le début ce que serait cette relique, et j'avais vraiment hâte qu'ils découvrent la nature de cette chute trollesque. J'espère que vous n'êtes pas déçu·e·s non plus ! :D