À l'extérieur, Sakura s'impatientait. Elle n'était guère inquiète, ayant compris que ses compagnons seraient assez matures pour ne pas dépasser les bornes en termes de rivalité, et entrevu un développement logique à toute cette affaire. Toutefois, ils mettaient du temps. Trop, beaucoup trop de temps. Et s'ils étaient tombés dans un piège ? Avaient rencontré, soyons fous, un ennemi dans ce lieu improbable ? Ils l'auraient vaincu, certes, elle les connaissait suffisamment pour savoir cela. Cependant, si c'était le cas, ils étaient sans doute tous les deux au sol, en train de se vider de leur sang parce qu'ils en avaient trop fait.
Elle avait attendu un peu, ne voulant pas leur faire croire qu'elle n'avait pas confiance en eux, puis elle avait rangé ses affaires, rajouté des pièges autour de l'entrée de la grotte, et elle était à présent campée devant l'ouverture, équipée de la tête aux pieds et hésitante. Ils tardaient. Elle avait bien le droit de venir les chercher, non ? Ils n'allaient pas se vexer pour si peu. Et si elle les trouvait en pleine activité ? Bof. Elle aurait de quoi alimenter ses fantasmes personnels. Elle les avait déjà observés nus l'un comme l'autre, après tout. Elle avait même vu leurs entrailles. Personne ne s'offusquerait de sa présence inopinée.
Poussant un soupir motivé, elle pénétra dans l'enceinte d'un pas de randonneuse.
Elle sentit presque immédiatement que quelque chose n'allait pas et regretta de ne pas avoir mieux encadré ses coéquipiers. Elle espérait que Sasuke était resté assez concentré pour le remarquer également, mais son ami perdait tout contrôle à proximité de Naruto, et la quantité astronomique de chakra, dans son corps, ne lui avait peut-être pas permis de comprendre la nature de ce lieu.
Sakura disposait d'une énergie extrêmement limitée et ne parvenait à suivre ses compagnons qu'en usant de palliatifs : grâce à sa maîtrise impeccable, elle ne gâchait pas une seule goutte du précieux fluide, et le sceau sur son front emmagasinait toujours des réserves supplémentaires, consacrées à ses activités de médic-nin. Ce furent ces capacités qui lui permirent de si bien comprendre et résister à l'influence de la montagne : elle bloqua ses tenketsu, contracta ses vaisseaux et confia son sort à l'endurance de ses muscles.
Ce constat, toutefois, généra en elle une véritable inquiétude. Sasuke avait beau, depuis son coming out, s'être comporté comme si de rien n'était, elle doutait qu'il fût aussi concentré que d'ordinaire. Naruto, lui, était infoutu de remarquer qu'on lui mangeait son chakra, tant il en avait. Tant il était capable d'en avoir. Les deux hommes étaient donc sans doute, effectivement, évanouis quelque part, en train de se vider de leur pouvoir comme de vulgaires civils.
Elle éprouva un instant de panique à l'idée que Kurama tente de briser la montagne pour les sauver. Bah, si c'était le cas, elle n'aurait qu'à attendre que l'orage passe avant de se frayer un chemin vers la sortie à coups de poing. Elle sentait le mince filin de chakra que le volcan – la source, sur le côté, était apparue depuis un moment – tentait de lui voler sans succès affleurer sur enveloppe, et elle espérait que le trajet jusqu'à ses complices ne serait pas trop long.
C'est à cet instant qu'elle perçut une vibration suspecte jaillissant des entrailles de la Terre. Elle se figea.
« Pfff… Krrrr… Pffffhuhuhuhuh… »
Elle fronça les sourcils.
« Pfffmphhuhuhu… Krr… Hmphphphphp… »
Le son était ponctué de bruits de reniflements, comme si le souffle manquait à la victime de ce… ce fou rire. Ce qu'elle entendait ne pouvait être qu'un fou rire particulièrement incontrôlable. Mais son scepticisme, et l'inquiétude nouvelle qui l'accompagna, provenait du fait qu'elle connaissait très bien la voix profonde et nasillarde qui perçait à travers les onomatopées incongrues. Elle ne fut certaine de ce qu'il se passait que lorsque deux formes se distinguèrent dans la pénombre, l'une d'elles si auréolée de rouge que nulle torche n'avait besoin d'éclairer leur chemin.
Ils n'étaient pas en mesure de tenir quoi que ce soit de la sorte, de toute façon : la silhouette incarnate avançait avec difficulté, trébuchant presque à chaque pas. Un son rauque et bestial s'échappait parfois des dents aux crocs saillants qui luisaient dans sa bouche, faisant écho au gloussement incongru. Entretemps, on entendait le timbre clair de Naruto pester tout ce qu'il pouvait. On aurait dit que les deux amis avaient échangé de personnalité. Sasuke, pour sa part, était affalé sur la nuque du blond. Ses pieds traînaient, touchant le sol de leur pointe. Régulièrement, ils le repoussaient à coups de plantes dans un ultime sursaut, comme si l'Uchiha avait besoin de se reposer plusieurs secondes avant de pouvoir de nouveau envoyer de l'énergie dans son corps. Le jinchûriki avait passé son bras sous ses aisselles, et constituait clairement l'unique raison pour laquelle son camarade n'était pas étalé par terre, aussi figé par l'effort physique que par son hilarité dévorante.
« Hé ! Si t'as la force de rire, marche tout seul ! »
Le ricanement reprit de plus belle. Le crâne sombre était baissé et dodelinait contre l'épaule contractée, à ses côtés.
« Ça se voit que c'est pas toi qu'a pris. »
Sakura déglutit à l'image qui venait de traverser son esprit.
« C'est pas moi qu'en ai redemandé, ouais », corrigea Naruto, coupé par le rire guttural de Kurama, qui semblait rôder en surface afin de soutenir son hôte à bout de forces.
Sakura dut faire un effort considérable pour ne pas saliver.
« Ta gueule.
— Ta gueule toi-même. Oh ! »
Elle avait décidé qu'il était temps de se manifester.
Naruto cria son nom, faillit lâcher son fardeau, qui protesta vertement, puis la rejoignit en titubant. Ils avaient l'air ivres, comme si le manque de chakra mêlé à des tentatives désespérées d'en produire avait généré en eux une sorte d'euphorie.
Lorsqu'ils furent enfin face à face, Sakura éteignit sa torche, rajusta son équipement et, professionnelle, avant même de demander ce qu'il leur arrivait, passa du côté droit de Sasuke pour le soulever sans difficulté. Il se laissa faire, mais persista à s'accrocher au cou de Naruto, quand bien même celui-ci ne portait plus le moindre poids.
Elle était soulagée : ils étaient vivants et ils s'engueulaient. Malgré le rire suspect de l'Uchiha, tout semblait aller aussi bien que possible au regard des circonstances. Tout à coup, alors qu'elle faisait un long pas énergique, elle remarqua l'étrange objet qui pendait sur le torse du blond.
« Hé ! Qu'est-ce que c'est que ce… truc… chose… autour de… Oh. Mes ancêtres ! »
La tête de Sasuke dodelina de plus belle et un autre pouffement s'en échappa. Sakura s'estima heureuse qu'il soit incapable de se redresser : elle ne voulait pas qu'il constate à quel point elle était embarrassée. Son sourire si rare la faisait fondre, et elle le trouvait toujours à tomber par terre. Comment ne pas rougir de sentir ces côtes contre les siennes dans un moment pareil ? Comment ne pas être excitée à l'idée de ce corps en mouvement charnel, brûlant, suant et rayonnant ?
Mais seul Naruto savait faire resplendir Sasuke de la sorte, et même ce fou rire n'était adressé qu'à lui. Elle garda pour elle ces réflexions et se concentra sur le choc qu'elle venait de subir, profitant de ce que le Kyûbi répondait comiquement à l'Uchiha – depuis quand ces deux-là étaient-ils capables de se supporter ?
« J'ai peur de deviner… »
Naruto, reprenant le contrôle de sa langue dans un clignement de paupières, lui jeta un coup d'œil désabusé qui aurait dû appartenir à Sasuke.
« Tu devines bien. Le pervers galactique qui nous a collé la mission voulait récupérer cette chose ridicule et inutile. »
Il fallait être un sacré obsédé pour que Naruto lui-même exploite une telle expression. Il semblait psychologiquement à bout. Sakura déglutit et décida de laisser Sasuke à son abandon perturbant.
« Naruto. Débriefe, s'il te plaît. »
Quand ils furent enfin sortis de la grotte, Sakura prit les choses en main. Elle déposa précautionneusement Sasuke sur son propre futon – Naruto lui avait fait comprendre qu'il était hors de question d'exploiter le leur, pour des raisons qu'il refusait de donner à voix haute, et elle n'avait pas insisté. Ce dernier se mit à rôder autour d'elle, comme à son habitude lorsqu'un de ses camarades était blessé. Elle dut lui confier plusieurs tâches accessibles à son cerveau distrait afin qu'il cesse de l'importuner.
Sasuke allait miraculeusement bien : non content de lui avoir sauvé la vie, le chakra du senjutsu avait aussi imperméabilisé temporairement les différentes portes de son corps, et son énergie s'y agglutinait de nouveau avec plaisir. À présent qu'ils étaient sortis de la montagne, celle-ci commençait à filtrer dans ses canaux, irriguant ses tenketsu. Sasuke était déjà en train de guérir.
Elle ne s'étonna pas des douleurs que son coéquipier ressentait au bas ventre et au creux des reins. La porte de l'extase, trop sollicitée, refusait obstinément de dispenser ses bienfaits dans cette partie de l'anatomie, et Sasuke allait souffrir un moment. Naruto s'était abstenu du moindre détail pornographique lorsqu'il avait narré, dans un désordre affolant, leurs péripéties, mais Sakura connaissait ses compagnons par cœur. Sasuke avait dû prendre sur lui autant qu'il le pouvait, dans le but double de satisfaire son propre plaisir et de rester à la hauteur de sa machine d'amant. Et Naruto, s'il avait le malheur d'être provoqué par les jeux rivaux de Sasuke, était incapable de ne pas y répondre.
Leur coéquipier brun s'était calmé et somnolait tranquillement. Il avait l'air plus apaisé que jamais. Elle acheva de l'anesthésier en lui massant les tempes et se dirigea vers Naruto, qui avait terminé de laver des draps à la rivière et les étalait à proximité d'un large feu de camp. Il avait oublié qu'il était encore en caleçon et chaussures, ce qui fit pouffer Sakura. Il était trop mignon.
« Naruto ! C'est ton tour ! »
Il se retourna, l'air étonné.
« Je vais bien. Tu préfères pas le surveiller ? »
Sakura secoua la tête.
« Il dort. Il est en parfaite santé – grâce à toi, je n'en doute pas. Il a juste besoin de refaire ses réserves. Et d'arrêter d'être aussi… Euh. Excité. Sexuellement. »
Naruto fit la carpe.
« Il restait des traces d'aphrodisiaque dans son corps, mais il n'était clairement plus actif depuis longtemps, développa-t-elle. Vu ce que tu m'en as dit, ce n'est pas l'attirance qui vous a fait défaut.
— Il bandait même mourant, quand j'étais contre lui. »
Naruto paraissait choqué, comme s'il ne savait pas quoi faire du constat. Il avait pourtant eu toutes les occasions de confirmer que son compagnon était prêt à se jeter sur lui à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il hésita à en parler à Sakura. Il était étrange de se confier sur ce type de sujet, surtout s'agissant de Sasuke, et il ignorait si c'était quelque chose que son amie accepterait d'entendre.
« Allez, assis », ordonna celle-ci.
Il s'exécuta. Il s'avéra que Naruto avait tiré sur ses propres ressources bien plus que d'ordinaire. Sakura dut exiger une entrevue avec Kurama afin d'obtenir des détails et d'être certaine de ne pas faire d'erreur dans ses soins. Le démon renard lui répondit aimablement, lui assura qu'il gérait, et s'effaça en réclamant lui-même un tête-à-tête avec Yamanaka Ino. Naruto, de retour, fut forcé de lui expliquer la raison de cet intérêt. Sakura éclata de rire.
« Je suis sûre qu'il lui plairait ! »
Il hocha la tête, rouge et épuisé. Elle se posta face à lui tandis que le chakra brûlant terminait de se résorber. Naruto n'était pas blessé. Son corps s'en remettrait. En revanche, son âme traversait une vague de souffrances telle que Sakura n'en avait pas vu depuis longtemps.
« Naruto. »
Elle posa sa main sur sa joue rebondie, le forçant à la regarder dans les yeux.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? »
Alors, Naruto fondit en larmes.
Il lui raconta tout. Tout ce qui importait, tout ce qui s'était révélé, tout ce qu'il avait accepté, intégré, conçu. Tout ce qu'il avait avoué. Tout ce qu'il avait risqué. Tout ce que Sasuke avait extrait de lui sans le moindre effort et qu'il ne pouvait plus effacer de la surface.
« Et je sais pas ce qu'il va se passer, maintenant qu'on est sortis. Est-ce qu'il va faire comme si de rien n'était ? Est-ce qu'il va fuir ? Est-ce qu'il va me jeter parce que c'est trop pour lui ? Est-ce qu'il va se foutre de moi ? Je sais même pas ce qui serait le pire… »
Sasuke n'aurait jamais la cruauté de se moquer des sentiments de Naruto. Sakura le savait. Toutefois, elle comprenait l'inquiétude de son camarade : l'Uchiha avait été poussé dans ses retranchements physiques et psychologiques. Il était impossible de déterminer comment il était susceptible de réagir. Elle tenta pourtant de rassurer le blond.
« Il a l'air de s'être complètement lâché avec toi, là-dedans. C'est plutôt bon signe. Même s'il se referme comme une huître, il ne pourra pas revenir en arrière. Peut-être qu'il va avoir besoin de temps, aussi, pour intégrer tout ça. Vu son comportement sur le trajet, il ne doit plus savoir où il en est. Il n'avait même pas l'air de s'attendre à ce que tu sois une option pour lui. Alors, que tu lui fasses ce genre de déclaration trois jours plus tard…
— Je sais même pas s'il m'a pris au sérieux… »
C'était impossible. Naruto avait une façon sans équivoque de dire aux gens qu'il les aimait. On ne pouvait pas croire à un mensonge, encore moins à la confusion d'un instant. Même lors d'un échange charnel. Naruto n'aimait pas les gens pour leur faire plaisir ou les rassurer. Il les aimait sans but, sans intérêt, d'une manière parfaitement empirique.
Sakura n'était pas même choquée d'une telle déclaration : malgré ses œillères, elle savait que rien ne vaudrait jamais le lien qui s'était créé entre ses coéquipiers. Elle savait que la nature de leur amour restait floue, peut-être différente, évolutive, mais toujours pure. Elle savait que même si, l'un comme l'autre, ils étaient prêts à donner leur vie pour les êtres qu'ils chérissaient, ils n'envisageaient cela comme une évidence que vis-à-vis de leur pair.
Que Naruto se rende compte de son attirance romantique et sexuelle pour Sasuke lui semblait donc une acmé tout ce qu'il y avait de plus logique.
Elle exposa ses conclusions à son ami. Naruto eut l'air surpris, mais il se rasséréna rapidement. Il n'était pas du genre à s'apitoyer trop longtemps sur son sort, lorsqu'on lui manifestait un soutien si inconditionnel. Cependant, pour ne pas lui donner de faux espoir et éviter de créer trop d'attentes affectives chez le blond, Sakura s'abstint de lui avouer ce qu'elle pensait avoir deviné : Sasuke, lui aussi, l'aimait depuis toujours, et il était impossible qu'il ne cherche pas à répondre à ces sentiments d'une façon ou d'une autre.
Ils soupirèrent tous deux, priant pour que le brun n'aille pas tout foutre en l'air en réagissant comme un adolescent terrifié. Il l'avait déjà fait, après tout.
« Tu devrais te poser tranquillement. Et te rhabiller, peut-être ? » suggéra la kunoichi en lui adressant un clin d'œil.
Alors, Naruto se rendit compte qu'il était à moitié nu, équipé de sa sacoche et de ses chaussures. Ensuite, seulement, il réalisa que Sakura avait compris son choix vestimentaire et avait deviné l'absence prolongée de son boxer durant une partie de leur épopée. Il rougit, puis éclata de rire. Elle l'imita.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, Sasuke se sentait plus reposé que jamais. Le drain de chakra avait cessé de l'affaiblir, et son corps malmené s'était presque entièrement remis. Il percevait une douleur lancinante à hauteur de la porte de l'extase, mais celle-ci n'était plus endommagée au point qu'il ne puisse plus marcher, comme cela avait été le cas sur le chemin du retour, dans la grotte.
Il entendait les voix de ses coéquipiers, à l'extérieur. Il se leva lentement, se redressa et sortit de la tente – celle de Sakura, visiblement. Il avait besoin de respirer un peu d'air frais, après en avoir été privé si longtemps.
La première chose qu'il remarqua fut l'expression à la fois inquiète, ravie et surprise de Naruto. Celle-ci le fit rire, bien qu'il prît garde à ne manifester que le pli au coin de sa bouche. Alors, Naruto rougit comme s'il avait lu en lui, et Sasuke pouffa de plus belle avec les prunelles.
Il se laissa examiner par Sakura et profita du repas que ses compagnons avaient préparé, en silence. La tente qu'il partageait avec Naruto avait été replantée et apparemment nettoyée. Il y jeta un coup d'œil, transféra son regard sur le blond qui le fixait, puis hocha la tête, tentant de lui montrer qu'il appréciait le geste. Naruto lui sourit en se grattant l'arrière du crâne. Toutes les peurs que Sasuke avait retenues en lui depuis son réveil se volatilisèrent à peine révélées, comme l'alcool éventé d'une vieille bouteille qu'on aurait ouverte par curiosité.
Chose rarissime, il mangea autant que Naruto. Puis, lorsqu'ils eurent terminé de tout ranger, Sasuke éprouva le besoin cuisant de se retrouver seul avec son camarade. Il savait qu'il avait recouvré une partie de ses masques, ne serait-ce que pour faire face à Sakura. Il savait que Naruto tentait par tous les moyens de cacher au monde sa nervosité, mais l'orage dans ses iris bleus ne le trompait pas – plus. Naruto voyait-il aussi bien à travers ses voiles sombres ? Et lui, interprétait-il correctement le comportement fébrile de son compagnon ?
Naruto lui avait dit qu'il l'aimait, après tout. Et Sasuke n'avait toujours pas répondu à cet appel. À présent qu'il était reposé, en sécurité, il se trouvait incapable de ne pas vouloir le rassurer. Lui annoncer sa propre vérité.
« Naruto », fut le premier mot qui sortit de sa bouche.
Celui-ci sursauta.
« On va se coucher. »
L'interpellé resta un moment la bouche ouverte, étonné par la tournure plurielle. Puis, Sakura lui donna un coup de coude, et il sortit de sa stupeur.
« OK. »
Du coin de l'œil, Sasuke remarqua qu'il se tournait une dernière fois vers leur coéquipière. Celle-ci lui adressa un signe victorieux de la main. Elle haussa un sourcil à son intention, et il ne put s'empêcher de secouer la tête. L'amitié entre ses comparses devenait attendrissante, maintenant qu'il ne s'en sentait plus exclu.
Ils allèrent se brosser les dents à la rivière dans un mutisme pesant. L'atmosphère resta tendue jusqu'à ce qu'ils soient tous deux allongés sur leur duvet, Naruto incertain, Sasuke angoissé. Était-ce à lui de briser le silence ? Son si bavard ancien rival ne semblait pas prêt à ouvrir la bouche.
« Naruto. »
Le corps mat sursauta. Naruto était certainement en train de se demander comment lancer une conversation et, trop occupé à relier ses synapses défaillantes, il ne s'attendait pas à ce que son partenaire maussade fasse le premier pas.
« C'est vrai, ce que tu m'as dit dans la grotte ? »
Il décida de tourner la tête et de plonger ses yeux dans les siens, pour lui montrer qu'il était prêt à entendre la réponse. N'importe laquelle.
Sasuke restait persuadé que son partenaire était capable de mal interpréter certains de ses sentiments en fonction du moment. Que c'était toujours trop beau pour être possible. Que même cet accord relationnel ne pouvait être le fruit que de l'enthousiasme d'un instant.
Naruto haussa ses deux sourcils. Sasuke se rappela ceux de Kurama, indépendants l'un de l'autre, sur le visage tordu de son ami.
« Y a rien de ce que je t'ai dit dans cette grotte qui soit pas vrai. »
C'était pire qu'il se l'imaginait : Naruto concédait l'entièreté de l'aventure. Quelques nœuds, dans ses entrailles, se défirent lentement, soulageant sa propre angoisse.
« Tu vas faire quoi, maintenant ? Tu vas me jeter ? Je m'y attends, hein. Je survivrai. Je veux pas que tu te mettes à déconner à cause de moi. »
Il était presque agressif. Sasuke le trouva plus adorable que jamais et se sentit démuni face à la fragilité que cette déduction, de la part de son compagnon, laissait filtrer.
Il n'était pas du genre à beaucoup parler, alors il se dit que, peut-être, il valait mieux montrer à Naruto ce qu'il ressentait par des gestes. C'était sa méthode préférée. Cela avait toujours fonctionné, plus ou moins bien, mais suffisamment pour rasséréner son pair.
Il se redressa et se plaça à quatre pattes au-dessus de son amant. Naruto déglutit comme s'il s'attendait à se faire égorger. Sasuke renifla en guise de gloussement et se pencha pour frotter son nez contre celui du blond. Il sentit l'air chaud d'un soupir passer les lèvres qu'il briguait et demanda calmement :
« Je peux ? »
Naruto tendit le cou. Il répondit à la bouche tremblante, accepta avec joie la paume qui caressa sa joue avant de relever l'une de ses mèches et de se caler contre son crâne. Ce baiser avait le même goût que leur tout premier, sous cette tente où ils avaient été pressés, maladroits, indécis. Quelque chose dans la gorge de Naruto ressembla à un sanglot, et Sasuke força davantage contre la langue avide pour bien montrer à son propriétaire qu'il n'était pas près de le lâcher. Encore moins de le rejeter.
Quand ils s'écartèrent, Sasuke ne résista pas à demander :
« Alors t'es vraiment bi, c'était pas juste pour la mission ? »
Naruto ricana. C'était le seul doute qu'il était en mesure d'accepter concernant son orientation sexuelle. Il choisit de répondre par la même question.
« Et toi, t'es gay pour la mission ? »
Sasuke pouffa avant de tourner la tête de droite à gauche. Naruto l'imita. La tension palpable, l'angoisse dans leurs entrailles, commençaient à s'estomper.
« T'es vraiment plus amoureux de Sakura, ou de Hinata, ou… »
La tête blonde persista dans son mouvement de balancier.
« Est-ce que… euh. Ça a dû être difficile, pour toi, Haku. Si tu t'étais attaché à lui… comme ça. »
Cette fois, le visage ouvert grimaça.
« Je m'en étais pas rendu compte. Même si ça m'a pas fait moins mal pour autant, à cause de son contexte à lui.
— C'est vrai. T'as trop d'empathie, pleurnichard. »
Il lui adressa un clin d'œil du fond de ses pupilles, histoire de lui signifier qu'il ne se moquait pas. Naruto avala de travers et sembla luter pour ne pas se laisser hypnotiser.
« Et t'aimes vraiment que je te traite d'imbécile ? »
Son vis-à-vis éclata de rire.
« J'aime que tu me traites de vide cosmique ambulant, parce que c'est très drôle. Encore plus quand c'est mon clone qui prend. Et même que tu me traites d'imbécile, ouais. Parce qu'on dirait que c'est car tu t'inquiètes pour moi. »
Sasuke fut soulagé d'apprendre que ses intentions perçaient à travers ses paroles agressives.
« Donc, c'est quelque chose que tu peux accepter ? Que je m'énerve, que je sois… tout le temps en colère contre tout le monde ? Et trop exigeant. Et trop intense ? »
Naruto haussa les sourcils, surpris. Un élément, dans la chaleur solaire de son for intérieur, venait de se briser en mille morceaux et de se reconstruire immédiatement dans une pluie de verre précieux.
« T'es pas tout le temps en colère, Sasuke. Et j'aime que tu sois exigeant. Et j'aime que tu sois si intense. »
Une lueur maligne flouta le bleu assombri par l'obscurité.
« Ça me fait bander », ajouta son compagnon en ricanant.
Sasuke répondit au geste, soupira et souffla :
« C'est vrai, tu préfères les bruns un peu tarés. »
Un silence confortable s'installa tandis qu'ils intégraient ces nouvelles conclusions. Sasuke s'étala sur le torse de son camarade, incapable de lui faire face plus longtemps. C'était encore trop beau.
« Tu saurais reconnaître, quand je sabote un truc à cause de mon tempérament autodestructeur ? »
Il n'était pas prêt à poser cette question, mais Naruto avait commencé à caresser son dos, et le geste l'apaisait.
« Genre, ce que tu risques de faire dans les minutes qui suivent si cette conversation se passe pas parfaitement bien ? »
Sasuke frissonna, puis grogna. Il détestait toujours autant être percé à jour.
« À moi », glissa la voix claire et rauque à son oreille.
Son estomac décida que c'était le moment de paniquer. Naruto avait-il pire à avouer que ce qu'il avait déjà fait jaillir de lui dans la grotte ? Comment allait-il être en mesure de répondre à ces nouvelles déclarations ?
« À quel point ça va être un problème que je mange des râmen devant toi, maintenant ? »
Il renifla, ironique. Ouf. Si Naruto partait dans ce sens, l'interrogatoire serait plus aisé que le sien.
« Tant que tu en assumes les conséquences… »
Il sentit une main descendre le long de sa colonne vertébrale et saisir sa fesse droite.
« Tu comptes encore te balader en mission sans capote ?
— Plus jamais. »
Il entendit Naruto sourire contre son crâne.
« On… On est toujours d'accord pour une… relation ? »
Son compagnon était sur le point de dire quelque chose qu'il n'était pas tout à fait prêt à accepter. Du moins, il le croyait, jusqu'à ce que celui-ci complète :
« Ou tu flippes ? »
Sasuke se redressa immédiatement et s'assit sur le ventre de Naruto, furieux.
« Je flipperai pas. »
C'était ce que son amant voulait entendre.
« Moi non plus », rétorqua-t-il comme une évidence.
Ils ricanèrent chacun à leur façon, puis Sasuke se rallongea dans son futon, rasséréné, tandis que Naruto passait ses bras derrière sa tête.
« Dis… »
Naruto était toujours bavard et incapable d'apprécier un instant de silence confortable. Mais Sasuke aimait aussi cette part de lui, qui refusait de se taire et exprimait sans mal la moindre bribe de sa personnalité.
« Est-ce que tu marques vraiment au point où Sakura peut voir des bleus le lendemain ? »
Il trouva la question particulièrement hors de propos.
« Je marque pas plus qu'une autre personne avec ma carnation, concéda-t-il toutefois. Tu tapes fort. »
Il avait répondu honnêtement, considérant que l'inquiétude, dans la voix de son compagnon, méritait l'aveu. Ce n'était pas comme si lui-même frappait à moitié lorsqu'il se disputait avec Naruto.
« Il faudrait qu'on arrête de faire ça. »
Cette fois, Sasuke sentit un vent de terreur le parcourir. Qu'allait-il devenir, s'il ne pouvait plus se battre contre son meilleur rival ?
« Je veux dire… de se taper dessus quand on est en colère contre l'autre, ou de prendre la mouche dès qu'on se taquine. On peut pas construire quelque chose en continuant de se frapper. Même en tant qu'amis, c'est pas sain, tu sais.
— Je sais. »
Naruto avait raison. Il ne s'était pas posé la question, mais toutes ces joutes, toutes ces frustrations étaient susceptibles de persister dans la vie de couple qu'ils envisageaient, et ils étaient tous deux conscients que les résoudre par les poings n'était plus une option. Que leur lien soit bancal, c'était une chose. En revanche, à présent qu'ils avaient la sensation d'avoir ouvert une nouvelle voie, il n'était plus temps de compenser par la violence ce qu'ils pouvaient exprimer par leurs muscles, leurs lèvres, leur regard, et l'abandon de ces masques qui les avaient si bien camouflés l'un à l'autre, jusqu'à présent.
Sasuke déglutit. Il chérissait Naruto plus que tout au monde. Si lui seul conservait les traces de leurs rixes sur son corps, cela n'empêchait pas son ami d'en avoir souffert également et de savoir quelle colère et quelle frustration l'avaient traversé pendant qu'ils se disputaient. Sasuke avait découvert qu'il était capable de ne pas blesser son pair. Mieux : qu'il existait des moyens à sa portée qui puissent le guérir lorsque c'était nécessaire. Il n'avait pas à être aussi expressif que Sakura. Juste un peu plus ouvert. Il n'avait pas à rester calme et composé. Il pouvait s'énerver et se chamailler avec son compagnon autant qu'il le voulait : le cerveau du blond recevrait les messages subliminaux, décortiqués et ordonnés, dans le sens qu'il leur avait donné à l'intérieur de son âme tordue. Il n'avait plus besoin de violence crue pour transmettre à son pair à quel point il l'aimait.
« Naruto… »
Il sentit la tête blonde se tourner vers lui.
« Ouais ? »
Il déglutit difficilement.
« Je te promets que je te frapperai plus jamais. »
Son vis-à-vis le fixait intensément. Il n'eut pas besoin de croiser le regard solaire pour deviner à quel rythme les rouages tournoyaient dans le crâne malmené. Il savait que son ami allait mettre plusieurs secondes à comprendre de quoi il voulait parler – si seulement il comprenait.
« Sasuke, on s'entraîne ensemble… »
Et voilà. Il avait tout pris de travers. C'était presque chou.
« Pas comme ça, je veux dire… »
Naruto le fixait intensément. Il lui jeta un coup d'œil et remarqua à quel point son faciès était rieur. Le blond se fichait de lui.
« Tu vois ce que je veux dire, imbécile ! Me fais pas chier ! »
Le gloussement, dans la gorge puissante, fut communicatif. Puis les iris ciel d'orage se figèrent, le visage dépourvu de maquillage grimaçant resta ouvert, et l'expression le couva. Il eut l'impression que son coéquipier avait envie de le prendre dans ses bras. Il n'aurait pas refusé.
« Quoi ? » lança-t-il à la place, conservant son caractère susceptible.
Naruto se rapprocha légèrement, détourna la tête et marmonna d'un air boudeur :
« Si je te le dis, tu vas déjà rompre ta promesse.
— Essaie, pour voir. »
Il n'était pas du genre à nier ses engagements, encore moins vis-à-vis d'une personne aussi fidèle que l'était Naruto, mais il n'était effectivement pas prêt à ce que celui-ci se mette à pouffer, rougir, et murmure :
« Je trouve que t'es très mignon, en fait. »
Le réflexe conditionné parla de lui-même : Sasuke se jeta sur Naruto. Mais celui-ci était prêt et plaça ses bras devant sa tête dans un geste défensif. Sasuke attrapa les deux poignets et les força à s'écarter. Il avait des réactions empiriques, mais il les contrôlait toujours rapidement. Il était passé maître dans l'art de l'inexpression. Il pouvait bien transformer ses tendances brutales en autre chose quand il s'agissait de son compagnon. Il le voulait.
Alors, au lieu de frapper le visage carmin, amusé mais méfiant, Sasuke pencha la tête et en saisit les lèvres. Il embrassa longtemps, jusqu'à décider que la remarque de son partenaire n'était pas importante, pas grave. Pas vexante. Plutôt flatteuse, au final, quand on tenait à savoir que l'on était capable d'attendrir l'objet de tous ses désirs. Sasuke n'aimait pas paraître mignon. Approchable. Vulnérable, en un sens. Mais Naruto le trouvait mignon à cause de ça. Naruto adulait cette férocité et la plaçait en haut de la liste des choses qui le fascinaient chez son pair. Naruto avait pris le risque de le lui avouer.
Sasuke décida qu'il n'y aurait pas de meilleure occasion. Qu'il pouvait bien cracher, enfin, après ces journées d'horreur et de doute, la réalité qui le rongeait et qu'il avait tenté de rejeter dans cette grotte, à un moment où il sentait son âme trop chancelante pour y répondre. À présent, Naruto avait assez concédé. Naruto avait prouvé que tout était possible entre eux. Et Naruto lui avait dit qu'il voulait de cette relation. De ce couple. De cet affect tout entier.
Lorsqu'il s'écarta du blond qui tendit le cou à sa suite, comme à regret, Sasuke ne prit pas le temps de se racler la gorge et articula, la voix rauque et étranglée :
« Je t'aime. »
Alors, quelque chose sur le visage de Naruto sembla recouvrir l'épiderme brut avant d'en nettoyer une dernière couche morte. Son pair resplendit soudain dans l'obscurité, ses pupilles sombres se chargeant de cette couleur indicible mais bien réelle que Sasuke adorait chez lui : la certitude d'être aimé.
Il ne sut retenir un gloussement.
« Toi aussi, t'es mignon. »
Il prit le blond dans ses bras, roula sur le dos et l'emporta à sa suite. Puis il l'embrassa encore, sur les cheveux, dans le cou, jusqu'à ce que celui-ci soit en état de parler à nouveau.
Il avait coupé la chique à Naruto. Il n'en revenait pas.
Aussi, comme cet état sidéré ne convenait toujours pas à son ancien rival, il éprouva le besoin d'ajouter une bêtise :
« Si jamais je me mets en colère, tu pourras me calmer avec du sexe. Ça a l'air de marcher. »
Il entendit une carotide monter et redescendre.
« Du vrai angry sex ? Comme dans les films ? » tenta Naruto, encore sous le choc, pour se stabiliser dans une réalité moins surprenante.
« C'est pas ce qu'on a passé la moitié du temps à faire, dans cette foutue grotte ? »
Naruto soupira et se laissa aller contre lui.
« Arrête, ça va m'exciter.
— Tu sais que ça me dérangerait pas.
— Quoi ? Toi aussi ?
— Tu m'as dit que t'étais excité.
— Il t'en faut peu.
— Toi aussi.
— C'est ta faute.
— Pareil. »
Dans d'autres circonstances, il aurait fondu sur le membre chaud qu'il sentait contre sa cuisse, mais il n'avait ni l'envie ni l'énergie pour de telles activités. Leur expérience dans cette grotte avait généré un mélange de désirs inarrêtables et de trop-plein de sensations. Il aspirait au calme, à présent, bien qu'il comptât également réitérer avec son partenaire dès qu'ils auraient tous deux laissé cette mission ridicule derrière eux.
Naruto, toujours bandé, commençait à s'endormir contre lui. Lorsqu'il grommela un minuscule « Je t'aime aussi, Sasuke. », ce dernier le serra plus fort dans ses bras et ferma les yeux.
Note
Plus que l'épilogue et c'est la fin… ToT Je suis un petit peu triste, mais bon, une fin signifie aussi le commencement de nouvelles aventures !
Si vous voulez suivre mes projets, vous pouvez me retrouver sur Facebook et Instagram sur les comptes « Tookuni ». Je poste une fois par semaine, soit sur l'apparition d'un chapitre, soit sur l'avancée de mes projets.
Ma prochaine histoire est une comédie romantique originale, qui commence par la rencontre cocasse entre deux hommes à la recherche des cacas de leurs chiens respectifs. Elle est titrée Pour une petite crotte, et je ne devrais pas mettre trop longtemps à l'écrire.
Si vous voulez lire des choses un peu différentes, il y a aussi Merveille, sur mon profil Wattpad. C'est un low fantasy dramatique, dont les personnages doivent lutter contre leur nature et leurs sentiments pour sauver leur pays. Si vous aimez les héros atteints du syndrome de l'imposteur et les chevaleresses badass, c'est pour vous :).
Merci à tout le monde de m'avoir lue. À la semaine prochaine pour l'épilogue !
