/!\ Ce one-shot est un préquel à la fanfiction "Le Bon, la Brute et le Protecteur". Lisez-la avant d'entamer ce récit. /!\

Une Visite à un Ange

Il compta une dernière fois sa récolte avant de se relever. Il avait ramassé les plus belles fleurs qu'il avait pu trouver dans le champ, mais aussi quelques-unes encore fermées. Son bouquet était à présent bien fourni, et c'est les mains pleines qu'il quitta la seule zone fleurie de l'île infernale pour se rendre sur la falaise de l'ouest, là où on pouvait admirer les plus beaux coucher de soleil. C'était là qu'elle reposait depuis deux ans, maintenant. Là où il allait la voir toutes les semaines.

Il lui avait fallu quelques minutes à peine pour rejoindre la tombe qu'il avait lui-même confectionnée avec ce qu'il avait sous la main. Deux morceaux de bois flotté, attachés entre eux avec une corde qu'il avait trouvée, avec son nom inscrit en grec dessus. Elle avait bien piètre allure, et il le regrettait tous les jours, mais il n'avait rien su faire de plus.

Il posa l'urne de son armure, puis s'assit en tailleur dans un soupir, juste entre elle et la tombe, avant d'étaler toutes ses fleurs devant lui.

"Bonjour, Esmeralda…"

Il ramassa deux de ses trouvailles et, avec toute la délicatesse dont il était capable malgré sa brutalité naturelle, entreprit de nouer les tiges entre elles sans les casser. Il prit ensuite une autre fleur et l'attacha aux premières avec une aisance qu'il avait pris au fur et à mesure du temps. Il lui avait fallu plusieurs essais pour y parvenir, et il se souvenait encore avec un rire jaune de ses premières couronnes : de véritables désastres. Celles-ci se démantelaient dès qu'il les offrait à Esmeralda. Si elle avait été là pour le voir, elle en aurait sans doute ri avec lui. Mais, depuis peu, elles rendaient enfin hommage à sa beauté.

"J'ai pris quelques fleurs fermées, cette fois. annonça-t-il calmement. J'espère que ta couronne tiendra plus longtemps, comme ça."

Il ramassa une autre fleur pour l'attacher.

"Cette fois, je ne vais pas revenir avant un certain temps… Je ne sais pas trop combien. précisa-t-il avant de lever les yeux. Mais je te jure sur mon armure que je reviendrai te voir."

Il regarda la tombe un instant, comme s'il attendait une réponse qui, il le savait, ne viendrait jamais, avant de revenir à son ouvrage. Il reprit son travail avec des gestes mécaniques, presque automatiques, à force.

"C'est le grand jour. chantonna-t-il presque. Je repars au Japon ce soir."

Il leva rapidement les yeux au ciel, semblant réfléchir.

"Quoique… puis-je vraiment dire « repars » alors que je n'y ai jamais mis les pieds, personnellement ?"

Il eut une seconde de réflexion, puis haussa les épaules et continua sa couronne.

"Peu importe. J'y vais. Je vais mettre un terme à tout ça."

Les secondes défilèrent dans le silence qui suivit. S'il n'y avait le son des vagues se fracassant sur la falaise, on aurait pu croire que le temps s'était arrêté pour le laisser profiter du calme de l'île. Un calme qu'il n'aurait jamais cru possible à son arrivée. À peine avait-il ouvert les yeux sur ce paysage désolé qu'il avait été confronté à la violence, le sang, la douleur et les larmes. Ses mains tremblèrent malgré lui à ce souvenir, manquant de peu de lui faire casser la tige de la fleur qu'il attachait. Il ferma alors les yeux un petit instant et inspira longuement, s'emplissant les poumons de l'air marin sentant le sel et la poussière. Il expira ensuite calmement et rouvrit les yeux sur la tombe.

"Je ne peux pas laisser le responsable de toute cette violence vivre tranquillement sa vie. Tu comprends, Esmeralda ?"

Nouveau silence, plus court, cette fois, juste le temps qu'il ajoute sa fleur à son œuvre.

"Je sais que tu désapprouves. L'autre aussi, il désapprouverait, vous étiez toujours du même avis."

Il leva sa main gauche devant ses yeux, ouvrant et fermant le poing.

"Mais il a disparu. C'est moi qui décide, maintenant."

Il lâcha la couronne de fleur sur ses genoux pour passer ses doigts sur le bracelet de cuir qui ornait son poignet. Le poids du bijou avait toujours quelque chose de rassurant. Il avait le sentiment qu'elle était toujours à ses côtés, quand il le portait, et il ne l'ôtait jamais.

"Il n'a pas supporté ton départ. murmura-t-il dans la brise. Moi non plus, d'une certaine manière."

Il serra le poing, se rappelant encore de son visage pâlissant à vue d'œil, sa voix s'éteignant dans un murmure, et la sensation de son corps froid dans ses bras quand il l'avait enterrée. Parfois, ces images lui revenaient, la nuit, et ravivait toute sa haine et sa rage, mais aussi la douleur de sa perte. Elle était si vive et violente qu'elle lui donnait envie de hurler jusqu'à ce qu'elle s'éteigne.

"Je regrette de ne pas avoir su te protéger, Esmeralda. Tu ne vas sans doute pas comprendre mais… j'aurais aimé intervenir plus tôt. Si j'avais su réagir plus tôt, j'aurais pu tenir ma promesse… Je…"

La douleur se raviva dans son cœur, si brutale et soudaine qu'il dut serrer les dents pour ne pas se laisser aller à ses émotions. Son poing se serra, et il se retint de toutes ses forces de l'abattre sur le sol de pierre. "Pas de violence devant elle. Pas devant elle. Contiens-toi." se répétait-il comme un mantra. Et pourtant, c'était tentant d'évacuer sa rage et sa peine. Là, maintenant, tout de suite.

"Je suis… désolé… articula-t-il avec peine. Je t'avais promis de te faire quitter cet Enfer… je regrette tellement…"

Il serra ses bras autour de lui, la tête baissée, le dos voûté et les yeux fermés. Ses ongles se plantèrent dans sa peau, comme si cette douleur pouvait contrer celle qui l'étouffait. Ça faisait si mal… Si mal qu'il était incapable de savoir combien de temps il resta dans cette position. Il entendait à peine les vagues affronter la pierre, à quelques mètres seulement de lui, et était même incapable de sentir ses cheveux se balancer au gré du vent. Quand il desserra enfin sa prise, il croyait toujours sentir ses doigts enfoncés dans ses bras. Il inspira longuement, puis expira malgré sa gorge serrée.

"Si seulement c'était mon seul regret, Esmeralda… Si seulement. Mais ce que je regrette le plus… c'est…
– Maître ?"

Il se redressa, serrant les poings si fort qu'ils en tremblèrent. Qui avait l'audace de l'interrompre dans un moment pareil ?! Serrant les dents, il se retourna d'une traite vers l'imprudent qui avait osé le déranger. Le Phénix noir qui se tenait à quelques mètres de lui eut un sursaut et recula, visiblement effrayé.

"Je suis désolé… ! s'excusa-t-il aussitôt, les mains levées. Mais j'ai senti votre cosmos qui-...
– Rappelle-moi quel est l'ordre, quand je suis ici, le coupa-t-il sèchement.
– De… De ne pas vous déranger, Maître…
– Et que viens-tu de faire ?"

Le Phénix Noir recula encore. C'est que son Maître pouvait être vraiment effrayant, malgré son jeune âge. À seulement onze ans, il avait massacré Jango, leur ancien chef qui gardait l'armure du Phénix, la vraie, après avoir tué Guilty de ses mains. Les quatre chevaliers noirs les plus puissants lui avaient aussitôt juré allégeance, reconnaissant sa puissance et sa valeur. Deux ans s'étaient écoulés, et le jeune garçon y avait passé ses journées à s'entraîner avec ses hommes, qui lui servaient parfois simplement de défouloir. Ils le craignaient tous un peu, et craignaient davantage ses colères.

"Je… Je vous ai… dérangé, Maître… Toutes mes excuses…
– Retourne immédiatement à l'embarcadère."

L'ordre claqua si brutalement que le Phénix tourna les talons et s'enfuit, sans demander son reste. Le jeune garçon le regarda un petit instant, avant de reporter son attention sur la tombe. Il ferma les yeux et inspira longuement pour se calmer.

"Pardonne-moi, Esmeralda… murmura-t-il en frottant des mains tremblantes. Je ne voulais pas que tu assistes à ça…"

Il se le jura, le Phénix Noir ne s'en sortirait pas si facilement, pas après l'avoir surpris dans un moment de faiblesse. S'il se montrait faible une seule seconde, un autre chevalier noir tenterait de reprendre le contrôle sur les autres en le tuant. C'est comme ça que Jango avait accédé au commandement : c'était la loi du plus fort, sur cette île. Il ne doutait pas un seul instant qu'il saurait remporter un duel contre l'un d'eux, non. Il était même persuadé de pouvoir venir à bout de chacun d'eux sans aucune difficulté. Mais ils étaient fourbes, et useraient de coups bas déloyaux pour se débarrasser de lui, c'était certain.

Après un long soupir, il reprit sa couronne de fleurs et se remit au travail, les yeux baissés, si concentré qu'il en oublia un temps où il se trouvait. Il aurait encore pu être dans son volcan que ça ne changerait rien pour lui : le bruit des vagues ou celui du magma en ébullition était tout aussi apaisant. Les fleurs blanches, parfois légèrement roses, s'enchaînaient entre ses mains, alors qu'il levait parfois les yeux sur la tombe devant lui.

Au bout d'interminables minutes, il noua délicatement les deux extrémités de sa couronne, avant de la lever devant ses yeux. En la voyant si large, il se dit qu'elle tenait davantage du collier de fleur que de la couronne. Il avait peut-être ramassé trop de fleurs. Tant pis. Il se leva et ôta la vieille couronne fanée encore posée sur la tombe, avant de mettre la nouvelle à sa place, avec délicatesse.

"J'espère qu'elle tiendra le coup jusqu'à mon retour…"

Il regarda ensuite l'horizon, inspira longuement… puis, d'un grand geste, lança la couronne fanée à la mer, comme il en avait lancé des dizaines d'autres avant. Il la regarda se poser doucement sur la surface de l'eau avant qu'une vague ne l'emporte. C'était son rituel, une façon de dire adieu à toutes les émotions qu'il avait déversées ici. Il parlait, soulageait sa peine, puis la jetait au loin pour s'en débarrasser jusqu'à sa prochaine visite.

Quand la vieille couronne disparut sous l'eau, il se retourna et fit quelques pas pour ramasser l'urne de son armure, qui l'attendait sagement outil l'avait laissée. Il la chargea sur son dos puis revint à la tombe, s'agenouilla t juste devant.

"Esmeralda… reprit-il sur le ton de la confidence. Ce que je regrette le plus… c'est… c'est de ne pas t'avoir dit plus tôt ce que je ressentais… Orgueil ou lâcheté… je sais pas, et je m'en fous…"

Il serra les dents et le poing, baissant les yeux. Pendant des années, il avait craché sur Shun et son manque de courage, alors qu'il ne valait pas mieux que lui, au fond. Si ça avait été le genre de ce gamin, et s'il avait été là, il rirait bien de lui, à ce moment.

"Je… Je t… Je t'aime… Esmeralda…" avoua-t-il la gorge nouée, son cœur pulsant si vite dans sa poitrine que ça lui faisait mal. "J'aurais voulu te le dire avant que tu ne partes… Peut-être que… tu m'aurais au moins… autorisé à… t'embrasser… avant que je ne te perde…"

Il passa une main sur son visage, sentant ses joues brûlantes sous ses doigts. Il inspira longuement, puis expira. C'était bien plus difficile qu'il ne le croyait. Shun avait pourtant une telle aisance à exprimer ses sentiments, alors pourquoi c'était si dur, pour lui ?

Il rouvrit les yeux, regardant la tombe quelques secondes dans le silence, avant de porter ses doigts à ses lèvres. Il les posa ensuite sur le nom gravé dans le bois.

"Je t'aime…" répéta-t-il avec plus de conviction. "Je reviendrai quand tout sera fini…"

Il se releva ensuite et recula de quelques pas, avant de saluer la tombe et de tourner les talons pour rejoindre l'embarcadère sans un regard en arrière.


Bonjour à tous !

Comme promis, voici le one-shot bonus, préquel à "Le Bon, La Brute et le Protecteur". J'avais envie de partager ce petit moment de douceur, où Phénix montre une nouvelle part de lui, plus délicate et vulnérable, en profitant pour donner quelques précisions sur sa vie entre l'obtention de l'armure et l'attaque du Colisée.

J'espère que ça vous a plu.

J'attends vos reviews avec impatience.

À la prochaine !