Chapitre 3 : Ouverture des hostilités

L'été ne se décidait pas à laisser la place à l'automne en ce septembre 1976. Le ciel était d'un bleu profond qu'aucun nuage ne venait troubler. La chaleur était accablante, et l'herbe d'ordinaire verte d'Ecosse avait été brûlée par la grande sécheresse qui sévissait cette année.

Les cours avaient toutefois repris normalement ces trois dernières semaines. Le manège auquel Severus avait assisté à l'intercours de Métamorphose se reproduisait quotidiennement. Les garçons se disputaient les faveurs de Mathilde ; sans aucun succès, d'ailleurs. Elle semblait vraiment très difficile. Pourtant, le choix ne manquait pas, et l'intégralité des femelles en rut de Poudlard se serait damnée pour n'avoir qu'une once de ses prétendants éconduits. En cette fin septembre, il était de notoriété publique qu'il n'en restait que six en lice : Black, Potter, Lupin (Pettigrow ayant été éjecté dans la première vague), un Serdaigle du nom de William Rose et un Poufsouffle nommé Daniel Sutcliff. Des rumeurs commençaient même à courir sur ses préférences sexuelles. Elles avaient probablement été lancées par les amoureux rejetés, mais plus certainement encore par les autres filles de l'école qui la snobaient complètement. Mathilde n'avait aucune copine, aucune amie qu'on connût. Mais il faut dire qu'en dehors des cours et des repas dans la Grande Salle, on ne la voyait jamais. Les élèves de Serdaigle disaient qu'elle ne rentrait que pour le couvre-feu, ne s'attardant guère dans la salle commune, montant directement se coucher. Certes, elle était fortement désirée par la gent masculine, mais personne ne semblait vraiment l'apprécier.

Sauf Severus. Il s'était secrètement pris d'affection pour celle qu'il avait considérée comme la pire pouffiasse de l'histoire au premier abord. Bien qu'elle eut du succès, elle était en fait solitaire ; tout comme lui. Il s'était établi entre eux une forme de communication non verbale. Mathilde semblait avoir compris que Severus était Legilimens, et elle usait de sa forme étrange de Légilimencie pour lui envoyer ses émotions. Mais leurs échanges s'arrêtaient là. Ils ne s'étaient jamais parlé. Severus n'avait jamais eu l'occasion de la voir seule, et de toute façon, il avait peur. Il n'était pas très doué pour les relations sociales, surtout avec les filles, et ne voulait pas ruiner cette discrète et fragile complicité.

Mais un lundi de la fin septembre, une occasion se présenta. Quand Severus arriva dans la salle de potions pour le cours double de la matinée, il vit que Mathilde était déjà assise à l'intérieur, à une table du premier rang, seule pour une fois, alors que Potter et sa bande étaient bien là mais occupés à recopier à la dernière minute le devoir de Lupin. D'autres élèves étaient présents, mais les filles ignoraient toujours Mathilde et les garçons faisaient partie des ex-futurs petits amis repoussés. Téméraire, Severus décida d'aller s'asseoir à côté d'elle. Prenant son courage à deux mains, il s'avança résolument dans l'allée centrale, les yeux droit devant lui, braqués sur les étagères encombrées de bocaux contenant toutes sortes de créatures étranges, afin de fixer son attention pour éviter de perdre son sang froid.

Mais lorsqu'il passa à hauteur de la table des Gryffondor, il se prit les pieds dans quelque chose (il soupçonna plus tard que ce fût les pieds de Potter) et s'affala lourdement, répandant ses affaires au sol, sa bouteille d'encre explosant sous le choc et souillant son matériel, ce qui déclencha l'hilarité générale. Il s'apprêta à sortir sa baguette pour répliquer, mais avant qu'il n'ait pu faire un geste, Potter lui marcha sur la main en disant d'une voix bien forte, sa baguette pointée sur lui :

- Où tu crois aller comme ça, Servilus ? C'est notre place, là. Tu devrais aller rejoindre tes semblables sur les étagères !

Tout le monde redoubla de rire, et bien entendu, ce fut à ce moment que Slughorn entra, empêchant Severus de répliquer, et lui assénant le coup de grâce en lui disant avec sa bonhomie habituelle :

- Eh bien, Monsieur Rogue, que vous arrive-t-il ? Je sais que je suis un bon professeur, mais il est inutile de vous prosterner devant moi !

Severus ramassa rageusement ses affaires, et gagna la seule table qui restait libre, au fond de la classe. Il jeta brièvement un sort pour enlever l'encre de son devoir de potions tout en fulminant contre cette infâme saloperie de Potter. Un jour, il se vengerait. Il paierait, TOUS paieraient le mal qu'ils lui avaient fait. Slughorn leur donna alors le sujet de préparation du jour : le délicat Elixir de Capillarité. Délicat… Pour tous ces crétins, sûrement, mais pas pour lui. Il se concentra sur son travail de préparation théorique, mais ne pouvait s'empêcher de jeter des regards envieux du côté de la table de Mathilde, Potter et Black. Elle semblait très absorbée par son travail tandis que les deux imbéciles ne cessaient de lui parler (le cours de potions était en effet très propice aux bavardages). Il ruminait encore le coup qu'ils lui avaient fait, et cherchait un moyen de se venger. Il lui sauta aux yeux en voyant la liste des ingrédients : mandragore, ellébore, pulpe de sureau, racine d'hibiscus japonais et pistil d'edelweiss. Une fève tonka par-dessus devrait bien arranger ses affaires…

Il fila vers l'armoire aux ingrédients pour prendre ce dont il avait besoin, prenant au passage le coude de Black dans les côtes en regagnant sa place. Il profita de ce que Potter et Black étaient dans la file d'attente devant l'armoire pour jeter subrepticement la fève tonka qu'il avait subtilisée dans le chaudron de Potter. Mathilde le vit faire, et quand il croisa son regard, il en profita pour lui envoyer l'image mentale de ce qui allait se passer dans peu de temps. Elle lui répondit par un sourire complice, et il regagna sa table d'humeur particulièrement guillerette.

Et il attendit…

Une heure et demie après, la potion de Severus avait la belle teinte orangée et la consistance crémeuse qu'il fallait. Mais celle de Potter commença à émettre des sifflements et des crachouillis inquiétants, et les volutes de fumerolles roses s'en échappant commençaient à alourdir l'atmosphère du cachot. Soudain, le contenu du chaudron explosa, répandant son contenu visqueux rose bonbon sur Potter et Black, qui virent instantanément leurs cheveux et autres poils pousser à une vitesse fulgurante. Mathilde, quant à elle, avait eu la bonne idée d'aller porter un tube de sa potion à Slughorn à ce moment-là. Bien entendu, la risée fut générale, mais pour une fois Severus n'en était pas l'objet. Cependant, cela ne sembla pas toucher Black et Potter dans leur amour propre de se voir transformés en yetis. Ils prirent la chose à la rigolade, réussissant à retourner la situation à leur avantage. Ces deux-là avaient décidément la tête si enflée qu'elle leur servait de bouclier. Malgré la réussite de son plan, Severus sentit l'amertume l'envahir. Ces deux cons s'en tiraient toujours d'une pirouette. Mais un jour, il saurait leur faire passer l'envie de rire. Quand quelques instants plus tard ils passèrent devant Severus pour se rendre à l'infirmerie, ils lui firent bien comprendre qu'ils savaient de qui venait ce coup bas et qu'il comprendrait sa douleur bien assez tôt.

La fin du cours sonna. Severus rangeait soigneusement ses affaires de cours dans son sac quand Mathilde passa à sa hauteur. Il ne put réprimer l'envie irrésistible de la regarder, et se sentit récompensé de son audace quand elle lui adressa un sourire radieux avant de s'éloigner. Ce fut donc de fort bonne humeur qu'il gagna la Grande Salle où le repas était déjà servi. Il se confectionna deux casse-croûte, prit une pomme et fila dans le parc encore désert, toujours généreusement ensoleillé en cette fin septembre, comptant profiter de l'après-midi libérée pour se détendre, tous ses devoirs étant faits (il ferait celui de potion ce soir). Il s'installa au bord du lac, adossé à un gros chêne, lisant avidement le livre d'E.A. Poe qu'il avait reçu le matin même tout en avalant son frugal repas.

Le parc se remplissait peu à peu. Certains se faisaient bronzer au bord du lac, jouaient au frisbee, d'autres se reposaient ou flirtaient au son de « Silly Love Song » des Wings qui passaient sur les magnétophones à piles des enfants de moldus. Severus était toujours absorbé par son livre quand tout à coup, la voix honnie se fit entendre en même temps que quatre pieds apparaissaient dans son champ de vision.

- Alors, Servilus, on prend l'air ? lui lança nonchalamment Potter.

- Dis-moi, Sevichou, c'est quoi le nom de ton shampoing ? Huile de Vidange pour Homme ? renchérit Black d'une voix bien forte.

Severus leva la tête et les vit plantés devant lui, baguette au poing, Pettigrow et Lupin en retrait. Il remarqua également que les élèves du parc regardaient avidement dans leur direction, espérant sans doute assister au même genre de scène qu'en juin.

- Dégage, pauvre con, va donc lisser tes poils.

- Ouh la, quelle répartie! ricana Potter. Qu'est ce que tu lis ? Un manuel de drague ? Au lieu de t'acheter des livres, tu ferais mieux d'économiser pour te payer une nouvelle tête ! Ou alors pour faire un procès à tes parents !

Severus bondit, la main sur sa baguette, mais avant qu'il ait pu faire un geste, Potter cria « Expelliarmus ! » Sa baguette lui échappa des mains retombant mollement dans l'herbe jaunie quelques mètres plus loin.

- Sale prétentieux arrog… aaannnhhh !

Severus se retrouva alors suspendu dans les airs, comme si un géant l'avait saisi par une cheville. Ces salauds lui avaient lancé un Levicorpus… Un sort de son invention, en plus…

- Vous êtes toujours aussi courageux ! Laissez-moi descendre et battez-vous en duel, on verra bien qui s'en sortira, vociféra Severus, empêtré dans sa robe de sorcier qui lui était tombée sur la tête, dévoilant ses longues et fines jambes pâles.

- Tu nous soûles, Servilus. Bastalatchatche ! lança calmement Potter.

Severus se retrouva alors dans l'incapacité de produire un son, ses lèvres étant comme collées. Il continuait vainement à s'agiter dans les airs, sorte de pantin grotesque désarticulé.

- Dis donc, Tache d'Huile, tu aurais pu changer de caleçon depuis le mois de juin ! On va te l'enlever pour le nettoyer ! railla Potter d'une voix bien forte, ce qui enchanta la foule des élèves du parc qui rigolaient sans retenue.

- Tiens, regardez qui voilà… dit Black d'une voix suave.

Severus tourna un peu la tête et aperçut Mathilde s'avancer nonchalamment vers Potter. Elle l'ignora complètement, et s'approcha du Gryffondor, le sourire radieux, la mine réjouie. Il était au bord de la nausée : son estomac était à l'envers, le sang commençait à lui monter à la tête, il étouffait sous les plis de sa robe qui était passé par-dessus sa tête. Mais surtout, il était écœuré par le comportement de celle qu'il considérait comme une sorte de complice. La traître… Elle n'était tout compte fait que la garce qu'il avait soupçonnée le premier jour…

- Salut, James, dit-elle d'une voix langoureuse en se collant à lui. Alors là, je dois dire que je te trouve nettement plus intéressant… J'aime les mecs qui en ont…

- RHÂ !

BOUM !

Severus mit quelques secondes pour réaliser ce qui venait de se passer. Il était soudainement tombé face contre terre. Son nez saignait, son poignet gauche lui faisait atrocement mal. Mais ce n'était pas lui qui hurlait de douleur. C'était Potter. Il vit alors pourquoi. Mathilde lui avait empoigné l'entrejambe et semblait sur le point de lui broyer les bourses. Il vit Black pointer sa baguette sur elle, mais hésiter avant de lancer un sort, probablement de peur de toucher Potter, toujours collé à elle. Severus en profita pour bondir sur sa baguette et désarmer Black, puis pour tenir Lupin et Pettigrow en respect. Mathilde lâcha alors Potter sans ménagement. Ce dernier d'effondra dans l'herbe grillée, plié en deux sous le coup de la douleur. Mathilde sortit alors sa baguette qu'elle pointa sur lui en disant :

- J'ai dit que j'aime les mecs qui en ont. Manifestement, c'est loin d'être ton cas ! dit-elle sèchement avec un air de dégoût, tout en reculant pour se mettre à hauteur de Severus. Foutez le camp, hors de ma vue… Vous me faites vomir !

Pettigrow et Lupin se précipitèrent alors vers Potter pour l'aider à se relever, lançant des regards perplexes à Mathilde. Black s'approcha à son tour, la regarda d'un œil noir et lui dit :

- T'es complètement malade…

- Oui, tu as raison… C'est vous qui me rendez malade ! Dégage, pauvre mec, et toi et ta bande de lopettes, foutez-moi la paix, maintenant !

Les quatre Gryffondor s'éloignèrent enfin, et le lourd silence qui régnait dans le parc depuis le début de la rixe fut progressivement rompu par les bavardages des élèves qui avaient assisté à la scène. Ils regardaient tous Mathilde avec des yeux réprobateurs, voire apeurés. Celle-ci semblait s'en moquer royalement. Elle pointa sa baguette sur Severus en disant :

- Episkey.

Son saignement de nez s'arrêta aussitôt.

- Finite Incantatem, enchaîna-t-elle, libérant Severus de son mutisme forcé, qui bien que libéré du sort, ne dit mot.

Elle rangea alors sa baguette, lui octroya un grand sourire et un clin d'œil malicieux avant de s'éloigner tranquillement. Severus était un peu perdu, et un peu honteux aussi. Elle avait réussi à mettre la bande de Potter en déroute, alors que lui, en cinq ans, n'y était jamais parvenu. Et elle avait pris sa défense. Par pitié sans doute. Il fallait qu'il en ait le cœur net.

- Mathilde ! s'exclama-t-il d'une voix rauque.

Elle s'arrêta et se retourna vers lui. Il plongea immédiatement dans ses grands yeux gris, et fut submergé par un intense sentiment de triomphe et de compréhension. Nulle pitié ne venait entacher ses pensées. Elle avait fait ça autant pour elle que pour lui.

- Merci, bredouilla-t-il.

- Pas de quoi ! répondit-elle joyeusement avant de repartir.

Severus la regarda s'éloigner autant qu'il put. Quand elle eut disparu de son champ de vision, il rangea ses affaires, le cœur léger. Désormais, il n'était plus seul.