Au fond de son lit, Drago ressassait la gâchis de sa rencontre avec son père. Déstabilisé par la réaction de Lucius, il n'avait pas réussi à faire face et avait fait machine arrière. Il espérait avoir réussi à articuler une phrase intelligible avant de quitter le bureau. Mais il était loin d'en être sûr.
Il aurait dû être soulagé. D'une certaine manière, il l'était. Son père avait été égal à lui-même. Il n'avait pas dévoilé brutalement une facette inconnue de son caractère.
Mais d'un autre côté, une brûlante frustration parcourait ses veines. Il avait commis des actions répréhensibles pour obtenir des informations interdites, et tout ça pesait toujours sur sa conscience. Il aurait aimé se servir de ses sentiments pour allumer un brasier de colère dans lequel il les aurait brûlé un à un.
Mais la réaction de son père l'avait contrait à les garder enfermer en lui.
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Dans le bureau de Luna, Drago, d'une voix gênée, déballait ses envies pour leur prochaine rencontre.
– Un scénario un peu enfantin. Un parent mettant son enfant au coin parce qu'il a fait une bêtise, par exemple. Une bêtise assez grave, comme fouillée dans les affaires des adultes ou les espionner. Quelque chose dans ce goût-là. Tu vois ce que je veux dire ?
Luna l'écoutait avec attention. Elle avait la certitude que son scénario était bien plus proche de la réalité qu'il ne voulait l'admettre. Un sourire naquit en elle. Elle s'était comporté de la même manière quand elle avait décrit sa situation à Garrick Ollivander, quand elle lui avait demandé son aide, travestissant maladroitement des faits en supposition.
Mais elle interdit à ce sourire intérieur de se déployer sur ses lèvres. Elle ne voulait pas que Drago puisse croire qu'elle se moquait de lui. Quand quelqu'un se confiait à elle avant une cérémonie, elle avait pour règle de tout faire pour que la personne soit à l'aise, que rien n'entrave sa parole.
– Oui, je pense que je vois.
Drago lâcha un long soupir de soulagement. Il était heureux que Luna ait compris. Il avait la certitude que ses propos auraient été encore plus confus s'il avait dû les exposer à nouveau. S'il avait eu la force de les exposer à nouveau.
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Quelques jours plus tard, Drago attendait, au cœur du sanctuaire de dame Hécate, dans la position que Luna lui avait apprise lors de leur dernière entrevue. Nu, immobile, Drago trouvait le temps long. Luna finit par arriver, vêtue d'une longue robe sombre et d'une ample cape de même teinte. Elle semblait immense aux yeux de Drago. Le premier ordre claqua, martelée par la voix et les talons de la sorcière.
– Mets-toi debout, Drago. Et baisse les yeux. Je ne tolérerais aucune insolence de ta part.
Et Drago se leva et baissa les yeux.
– Je suis là, aujourd'hui, sur les ordres de tes parents.
Luna lui fit face, le dépassant de quelques centimètres. Elle le regardait de haut, imposante avec sa large cape à épaulettes. Elle se mit marcher autour de lui, le bruit de ses bottes ponctuant ses propos.
– Tes parents m'ont demandé de m'occuper de toi. Pas pour te dorloter, mais pour te punir. Je ne sais pas exactement ce qu'ils te reprochent. Ils ne me l'ont pas dit. Mais ils ne sont pas restés muets pour autant. Il y a un sentiment qu'ils ont beaucoup exprimés : la déception. Qu'est-ce qu'à bien pu faire de si horrible le petit Draguinouchet chéri pour autant décevoir ses nobles parents ?
Elle le fixa, attendant une réponse de sa part.
– J'ai... désobéi, dame Hécate.
– Tu es bien trop grand pour un enfant désobéissant, asséna Luna.
Elle s'empara d'une canne dont elle infligea un coup précis à Drago, l'obligeant à se mettre à genoux.
– À partir de maintenant, et jusqu'à nouvel ordre, interdiction de te mettre debout.
Elle l'envoya ensuite au coin. Le peau de Drago frotta sur le sol tandis qu'il se déplaçait gauchement.
Luna l'affubla d'un haut chapeau de papier pointu, surmonté d'une petite clochette dorée qu'elle fit tinter d'une pichenette.
– Ce son là, je ne veux pas l'entendre, sauf quand je te demande de te déplacer. Est-ce clair ?
Il acquiesça d'un mouvement de tête. Le cadre étant posé, dame Hécate pouvait débuter son œuvre. Luna invectiva longuement Drago, accompagnant ses mots les plus rudes de coups de canne sur ses bras et sur ses jambes.
– Que diraient tes parents, s'ils te voyaient ? Que ressentiraient-ils ?
– Honte, balbutia Drago. Ils auraient honte.
– Et auraient-ils raison d'avoir honte, Drago ?
– Oui. J'ai mal agi.
– Tu es un mauvais petit garçon ? La honte de la famille Malefoy ?
– Ou... Oui.
– Alors dis-le !
– Je suis la honte de la famille Malefoy.
La voix de Luna s'apaisa.
– C'est bien de l'admettre, Drago. Quelle malchance pour tes parents que tu sois leur seul enfant. Leur seul héritier. Qui voudrait d'un fils tel que toi ? Mais tant mieux pour toi. Ta médiocrité ne te fera pas perdre ton rang, si peu digne que tu en sois.
Drago frémissait, sous les insultes encore plus que sous les coups. Mais, étrangement, il ressentait aussi une forme de soulagement d'être traité ainsi. Car, au fond de lui, il le savait, il le méritait.
– Es-tu réellement capable de voir la réalité en face, Drago ? reprit Luna.
Elle le fit avancer jusqu'à un grand rideau de velours rouge sur lequel elle tira d'un coup sec, dévoilant un immense miroir.
Drago fit face à son reflet. À son corps nu, abîmé. Et attifé d'un chapeau ridicule.
L'espace d'un battement de paupières, son reflet devint celui de son père. Celui qu'il ne sera jamais capable d'être. Lucius le toisait avec le dédain qu'il destinait d'ordinaire à la plèbe.
Puis l'image disparut, laissant le jeune sorcier face à lui-même.
– Que vois-tu Drago ?
– Je me vois, moi.
– Vraiment ? demanda Luna avec une pointe de sarcasme. Car moi, quand je te regarde, voilà ce que je vois.
Elle abattit son poing au centre du miroir, le fissurant de part en part. Dans une pluie de verre, le reflet de Drago se retrouva fragmenté.
– Voilà qui me semble bien plus proche de la réalité.
Le jeune homme sursauta sous la violence du coup, faisant gaiement tinter la clochette de son couvre-chef et réveillant le courroux de dame Hécate.
– Es-tu donc incapable de rester immobile, Drago ? Incapable de respecter un ordre simple. Pourquoi ? Est-ce par goût de la contestation ? Par esprit de contrariété ? Par manque de discipline physique et mentale ? Est-ce par curiosité mal placée ?
Drago réagit à la mention de la curiosité mal placée, son dos se courbant et ses épaules s'affaissant. Luna sourit. Elle avait visé juste.
– Oh ! Voilà donc une partie de ton vilain petit secret. Tu as vue des choses que tu ne devais pas voir. Les enfants devraient rester gentiment dans leur chambre au lieu d'espionner les adultes par le trou de la serrure. Ça leur éviterait bien des cauchemars. Et bien des punitions.
Drago se mit à pleurer. D'une voix hachée, il bredouilla.
– Plus jamais. Je ne le ferai. Plus jamais. Je le promets.
Sa tristesse se propagea de son visage à ses pieds, ses larmes la répandant sur l'entièreté de son corps. Ses pleurs devinrent spasmes.
Il se sentait tellement sale. Tellement honteux. Tellement coupable.
Ployant sous la violence des émotions que le traversait, Drago se recroquevilla, la tête enfouie dans les genoux, ses bras enserrant convulsivement ses jambes
Tout son corps tremblait, terrasser par le chagrin.
Luna ne pouvait pas le laisser comme ça. Elle s'était engagée à ne pas le toucher. Sauf en cas d'urgence. Un cas comme celui-ci. Drago avait besoin d'une présence et il était hors de question pour Luna de l'abandonner.
Elle se leva et retira d'un geste la couverture qui recouvrait le lit. Elle s'assit près de Drago, déposa le tissu moelleux sur ses épaules et l'emmitoufla. Sans jamais le toucher directement, usant de la couverture comme d'un intermédiaire entre elle et lui, Luna le serra dans ses bras, passa sa main le long de son dos et lui caressa la tête.
Drago finit par basculer sur le côté, se laissant tomber contre l'épaule de Luna et se blottissant contre son torse, toujours tremblant.
Elle le laissa déverser tous ses pleurs contre elle, sans un mot. Bouche close, elle chantonnait une berceuse improvisée dépourvue de paroles. Elle se balançait doucement, d'avant en arrière, petite barque paisible au milieu d'un océan de douleur.
Alors que les spasmes commençaient à s'espacer, la jeune femme coula un regard incertain vers le corps épuisé de Drago.
Elle lui avait apporté ce qu'il avait demandé, ce dont il avait besoin. Mais elle n'était pas sûre que ce soit le genre de choses qu'elle voulait donner.
Dame Hécate incarnait le plaisir par le supplice. Pas la détresse par la douleur.
Elle n'était pas très à l'aise avec ce qu'elle avait fait. Pas très à l'aise avec son résultat, surtout.
Mais au moins, elle le sentait, elle avait été utile. Pendant encore de longues minutes, les larmes coulèrent sur le visage de Drago.
L'abcès qui le gangrenait, enfin crevé, se vidait de son pus.
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Les deux mains appuyés sur les rebords d'un évier blanc, Drago se donnait encore un peu de temps avant de rejoindre Luna. Il avait pris une longue douche, brûlante, jusqu'à ce que son corps disparaisse dans la vapeur fumante. Il avait ensuite aéré la pièce pour lui rendre sa clarté, ouvrant la fenêtre sur l'air froid de la fin de l'automne. Mais son esprit, lui, était toujours embrumé.
Il se sentait vide. Vidé. Incapable de tenir la conversation cohérente que Luna allait attendre, exiger de lui. Alors il se donnait un peu de temps, encore un peu, pour retrouver un semblant d'esprit. Ou au moins ses capacités oratoires.
En attendant, il se concentrait sur une tâche difficile : respirer.
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Drago ne fut pas assailli de questions quand il entra dans le salon. Pendant qu'il s'installait dans un fauteuil, Luna lui servit une tasse d'un breuvage sombre et fumant, à l'odeur sucrée et épicée.
– Infusion de Gnomes au poivre, l'informa-t-elle.
Il la remercia, avant de boire une petite gorgée, vaguement méfiant. Le liquide chaud s'écoula le long de sa gorge, baignait sa bouche d'une douce fraîcheur de menthe, qu'un souffle chaud en provenance de son estomac dissipa d'un coup. Drago entrouvrit la bouche, laissant s'échapper une filet de fumée grise.
Un demi-sourire étira ses lèvres. La boisson était aussi délicieuse que réconfortante. Il congratula Luna d'un simple mais franc :
– Bon choix.
Elle hocha la tête. Elle avait senti qu'il aurait besoin de quelque chose d'à la fois doux et revigorant pour clore cette cérémonie. Le voir passer la porte avec ses traits tirés et ses yeux gonflés l'avait conforté dans son choix.
Et puis, au grand dam de son père, elle adorait les infusions aux bonbons.
Elle n'ouvrit pas la discussion par son traditionnel « Comment te sens-tu ? », mais par une question bien plus précise :
– Tu as vraiment espionner tes parents par le trou d'une serrure ?
Drago recracha sa boisson de surprise. Il toussa pour dégager ses bronches et s'essuya le visage avec la serviette la plus proche.
Évitant de lui donner une réponse, il rétorqua par une autre question :
– Pourquoi as-tu parlé précisément d'une serrure ?
Luna haussa les épaules.
– C'était juste une façon de parler. Une image.
Elle n'insista pas, considérant la question de Drago comme un aveu.
Un autre détail de leur séance interrogeait le sorcier.
– Pendant la cérémonie, tu as utilisé ce miroir... Pourquoi ?
– Je voulais te mettre fasse à toi-même.
– Pourquoi le briser ?
– Pour te montrer ce que je vois. Suite à nos différentes rencontres, j'ai acquis une certitude. Quand l'image que tu as de ton père s'effondre, tu t'effondres. Tu ne peux pas vivre en te contentant d'être une extension de ton père, Drago. Être l'héritier de la famille Malefoy, ça ne t'interdit pas d'être toi.
Cette tirage plongea Drago dans une profonde réflexion. Être soi. Cela faisait écho à une autre discussion, qu'il avait eu au même endroit, avec la même personne.
– Luna, tu avais raison, l'autre fois. Au moins en partie. Quand tu as dit que je ne savais pas ce que j'aimais ou non. En effet, je ne sais pas.
Drago releva la tête, plongeant ses yeux gris dans ceux de Luna.
– Mais je veux le découvrir. Je veux revenir ici pour en apprendre plus sur moi. Pour découvrir des sensations que je ne connais pas, pratiquer des choses dont personne ne m'a jamais parlé auparavant. Me faire mon propre avis. Neuf.
Il ne dit pas les mots « avec toi » mais Luna les entendit. Son visage s'illumina. Avant de redevenir sérieux.
– T'es-tu déjà opposé à ton père, Drago ?
Drago réfléchit longuement.
– Pas vraiment.
– Pourtant, tous les enfants doivent passer par là pour devenir des adultes.
Drago ouvrit de grands yeux.
– C'est toi qui dit ça ? Toi qui défends, toujours, en toute circonstances, les élucubrations les plus grotesques de ton père ?
Luna fronça les sourcils, avant de finalement, au grand étonnement de Drago, éclater de rire.
– Ce n'est pas parce que nous sommes d'accord sur l'existence des Ronflaks Cornus que nous sommes d'accord sur tout !
– J'ai vraiment du mal à t'imaginer t'opposer à lui.
– Et pourtant. Ils nous aient arrivés plus d'une fois de nous écharper. Une fois, ça a même dégénéré en bataille de bouses de dragon !
– Quel genre de sujet peut vous amener à ça ? s'exclama Drago.
Luna pencha la tête, une mèche libre venant lécher avec légèreté le creux de son cou. Tenant sa tasse à deux mains, elle réfléchissait. Elle prit finalement une longue rasade de son infusion avant de se lancer.
– Par exemple, papa ne voulait pas que je retourne à Poudlard. Pour la grande bataille, celle qui a mis fin à la guerre. Il avait eu tellement peur de me perdre quelques mois auparavant. Il ne voulait plus que je prenne le moindre risque. Mais je ne pouvais pas rester chez moi, à attendre, pendant que tout le monde risquait sa vie. C'était hors de question. Ça n'a pas été facile. Mais j'avais pris ma décision. Rien de ce que papa a dit ou fait n'y a rien changé. Je suis partie et j'ai combattu.
Drago se retrouva brutalement ramener dans le passé, quand Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom avait installé son quartier général au manoir, transformant son chez-lui en un chez-eux bien moins accueillant. Quand Luna avait été emprisonnée sous ses pieds.
Il ne se sentait pas particulièrement coupable pour cela – après tout, il n'avait rien à voir avec sa capture – mais le fait de se retrouver face à Luna, avec ce souvenir sous-entendu flottant entre eux deux, ce lien ineffaçable, cela le mit soudain mal à l'aise.
Aurait-il été capable de s'opposer aux Mangemorts à cette époque ? À leur chef ? À son père ?
Et pendant que Luna faisait face à Xenopilius, que faisait-il, lui ? Il décidait de poursuivre Potter, dans l'espoir de le livrer au Seigneur des Ténèbres.
Mais qu'aurait-il pu faire d'autre ? Trahir sa cause ? À quel prix ?
Non, non, ce n'était pas comparable. Il aurait risqué sa vie en faisant ça. Les Mangemorts auraient voulu sa peau et, Drago en était persuadé, rares étaient les membres de l'Ordre du Phénix qui auraient été aussi magnanimes que l'avait été Potter ce jour-là.
Luna, face à son père, n'avait finalement pas pris tant de risque...
La voix de la jeune femme le sortit de ses réflexions.
– Un jour, je suis sûre que tu trouveras quelque chose pour lequel tu auras envie de te battre. Pour lequel tu seras prêt à faire face à ton père.
