I
« Sincèrement, Foyle, vous êtes un minable. » Les situations dans laquelle j'ai entendu cette phrase ont été nombreuses depuis le début de mon existence. Et c'est un peu normal, puisque j'en suis un. Je le suis depuis mon enfance, et je n'ai jamais vraiment cherché à changer les choses, ma lâcheté me seyant à ravir, il est vrai.
Mes parents, Demitrion et Susanna Foyle, m'abandonnèrent à la naissance, le premier parce qu'il ne m'aimait pas, la seconde parce qu'elle n'était pas en état de m'élever, un Doloris bien placé par un importun l'ayant réduite à l'état de légume, encore que les légumes ont pour la plupart de belles couleurs. Je fus donc placé dès mon enfance dans un bel Orphelinat pour sorciers, ne recevant plus aucune nouvelle de quelconque membre de ma famille, et allant voir mon légume de temps en temps. Oui, je sais, mes mots sont cruels, mais la vie ne l'est-elle pas ?
L'orphelinat était une véritable pitié pour moi, et il semble que j'étais aussi une véritable pitié pour les autres, puisque les plus grandes heures de ma vie passée là-bas se déroulèrent dans une extrême et pesante solitude. Enfin, la solitude n'était pas si solitude que ça, puisque l'on venait souvent me voir dans mon coin –pour me rire au nez, mais soyons positifs, on venait me voir, c'est déjà ça.
La délivrance de cet enfer avait pour moi un nom, un seul, un nom brillant, envoûtant, et enclin à mille rêveries. Ce nom : Poudlard, l'école pour sorciers, en effet, là où j'allais passer, et j'en étais certain, les sept plus belles années de ma pitoyable vie. Pour moi, Poudlard signifiait liberté, joie, plaisir de travailler, bonheur d'être entouré d'amis, allégresse de vivre ailleurs que dans ce misérable bourbier, de surcroît réservoir à imbéciles de la pire espèce.
Ce fut donc non sans jubilation que je quittai et je l'espérais pour toujours la demeure de mes dix premières années d'enfance pour intégrer l'univers chatoyant de Poudlard, bien décidé à réussir ma scolarité et à faire éclater au grand jour ma brillance intérieure.
Contrairement à toute attente, Poudlard ne changea en rien les habitudes du reste du monde face à moi. Mon entrée à la maison des Serpentards avait pourtant suscité en moi de vifs espoirs : Serpentard, un bien beau nom qui inspirait aux autres maisons le respect, la peur, la crainte. J'allais enfin imposer ma loi, faire partie des dominants, intégrer l'élite, et pouvoir tenir de belles conversations avec des personnes distinguées à propos du dernier cours de potions, au coin du feu et une tasse de thé vert à la main.
Au lieu de ça, je devins rapidement le dominé des dominants, souffre-douleur et sujet des pires railleries de la classe. Je n'étais pas le seul, un élève de la maison était dans le même cas que moi. « Six-Verrues » Rogue, comme tout le monde l'appelait, vivait dans la même bulle de solitude que moi, et pour une fois, je semblais comprendre pourquoi : ses cheveux gras, son teint blafard et son regard vicieux n'aidaient en rien les relations humaines avec lui. Lui-même, d'ailleurs, ne cherchait pas à développer sa sociabilité, j'en fis moi-même l'expérience lorsqu'un jour, pris de pitié pour lui (et moi), je m'avançai pour discuter un peu. Un simple « Va te faire voir, orphelin » m'expliqua à quel point ce jeune imbécile méritait sa solitude ambiante, et je ne retentai plus jamais de lancer une conversation avec lui, préférant le voir dépérir dans son coin, n'oubliant pas cependant que ce que je voyais était ce que je vivais, bien qu'il n'y ait pas de plus grande satisfaction de voir d'autres personnes souffrir en même temps que soi-même.
Malheureusement, je l'avoue, je devins également le dominé des dominés, me faisant bousculer, insulter voire cracher dessus dans les couloirs de l'école, le tout sans aucune réprobation des professeurs présents sur les lieux, préférant fermer les yeux sur un être tel que moi, inspirant tant le dégoût et la honte. C'est bien simple, il suffit de voir leurs commentaires à la fin de chaque trimestre :
« Foyle, vous êtes minable en potions. »
« Foyle, vous êtes un minable en divination. »
« Foyle, bon dieu, savez-vous que vous êtes un minable en métamorphose ? »
« Foyle, réveillez-vous, le cours de botanique est fini. Ah, au fait, vous êtes minable. »
« Foyle, l'enchantement n'est pas fait pour les minables. »
« Foyle, je vais être claire, vous êtes m…
-C'est bon, j'ai déjà donné. »
Ce fut sans surprise donc que j'échouai à tous mes examens, ne réussissant à obtenir aucun petit « A » à mon BUSE, ces rustres ne m'en ayant même pas accordé un par pitié. Je décidai donc de quitter Poudlard, havre de déceptions et de fausses joies, afin d'essayer de voler de mes propres ailes, à 16 ans et sans un sou ni contact extérieur.
« Voler de mes propres ailes » ne fut en vérité jamais le bon terme, « battre difficilement des ailes pour aller s'écraser lamentablement un peu plus loin » eût été une expression un peu plus appropriée. En effet, j'enchaînais dès ma sortie de l'école les petits boulots infructueux, où j'étais toujours viré pour moult et obscures raisons, telles que « restructuration du personnel », « redéfinition des rôles et des responsabilités », « excès de minablerie » et j'en passe. Je découvris ainsi que je n'avais aucun talent en plongeur dans un restaurant, vendeur de cravates Moldues, laveur de carreaux, agent d'entretien dans un grand magasin, vendeur de glaces, pour ne citer que les emplois m'ayant offert le plus d'argent, tout en restant très inférieurs à la moyenne des salaires.
Ce ne fut que quand je fus lassé de chercher continuellement à trouver un emploi de quelques semaines au mieux que je décidai par ma propre initiative d'aller toucher le fond. Je décidai tout d'abord d'arrêter d'éplucher les petites-annonces, après quoi je dépensai le peu d'argent que j'avais, pour entrer assez rapidement dans un état de débauche et de dégoût jamais atteint auparavant. Errant le jour dans les rues des villes que j'accostai au hasard des routes qui m'y conduisaient, je clamai ma haine du monde à qui voulait l'entendre, sans toutefois le crier trop fort, par crainte de gendarmes ou d'Aurors en excès de zèle, savait-on jamais ; et dormant la nuit dans des couches improvisées, le plus souvent dans toutes sortes de bâtisses abandonnées, ou au pire dehors, à la belle étoile et par une température de -15. Là commença ma folle équipée dans l'univers du sordide, de la dépravation et de la haine du prochain. C'est à cette époque-là que commencèrent mes rêves de destruction, de violence, de meurtres irréfléchis de stupides passants dans la rue, la dure réalité me tirant malheureusement de ma rêverie pour me rappeler que mes dons en sorcellerie dépassaient l'exécrable. Il m'était impossible d'accomplir le moindre sort : même le plus simple, le plus benêt, devenait un challenge pour moi et ma baguette, conservée précieusement sur moi depuis toujours et quasi-intacte car peu servie, de dépit. Elle restait le plus souvent dans la poche de ce qu'il restait de mon vieux manteau, attendant avec espoir de pouvoir un jour vomir sa haine sur le moindre fâcheux un peu trop gênant pour moi.
Une nuit, une seule, changea mon destin qui s'annonçait dans le meilleur des cas catastrophique.
