II

Je me promenais dans un bois au patronyme totalement immémorable, et dans un état d'ébriété digne de ce nom, que Bacchus même n'aurait pas renié. La nuit était tombée depuis deux bonnes heures, et je n'y avais même pas prêté attention, ma préoccupation principale étant de trouver au mieux un buisson confortable pour passer la nuit et, accessoirement, dessouler un peu.

Sans que je ne m'en sois aperçu, j'avais emprunté un étroit sentier qui s'enfonçait au plus profond de ce rassemblement d'âmes sylvaines que les simples mortels tels que moi appellent plus communément « forêt ».

Je ne faisais que regarder les étoiles, les yeux baignant dans le mauvais alcool et la tête d'une lourdeur insoutenable, lorsque tout à coup j'heurtai de plein fouet une énorme masse que je n'avais pas remarquée jusqu'alors.

Affalé au sol, je relevai la tête pour découvrir la nature de mon inquiétant oppresseur…

…Une maison.

Une petite chaumière, pour être plus précis. Je décidais d'en faire le tour pour déceler un éventuel indice qui aurait pu m'indiquer si elle était actuellement habitée.

Bredouille et après avoir enfin remarqué la mousse cohabitant avec le moisi sur les murs et le trou dans le toit, je jugeai bon de devenir l'hôte de cette fort coquette bâtisse pour la nuit, en attendant le lendemain, pour repartir vers de nouveaux cieux propices à se bourrer la gueule gratuitement.

L'intérieur de la maison était dans un meilleur état que la façade extérieure. Si l'on faisait fi des feuilles mortes qui s'amoncelaient un peu partout au sol et de certaines parties rongées par le moisi, le tout semblait fort acceptable. Je dis bien « semblait », parce que la seule lumière active aux alentours était le rayon de la Lune qui passait par la petite fenêtre, en face de l'unique porte, la porte d'entrée. Je ne pus donc qu'à moitié apprécier la fort banale décoration des murs, composée en général de rien du tout, il est bon à préciser, et de la grande vétusté du mobilier : une vieille chaise, un petit meuble de cuisine ridicule et son évier du même acabit, un placard tout ce qu'il y a de plus normal, et enfin une maudite table, pour ne citer que l'essentiel.

Maudite table, en effet, la faible lumière de la Lune et l'alcool qui me montait au cerveau s'étant ligués contre moi, je ne pus que violemment enfoncer mon gros orteil gauche dans un de ses pieds.

Rien à dire, ça réveille. Et ça fait très mal, surtout. De rage, j'hurlai le plus fort possible, ma voix exprimant les souffrances de mon pied gauche, tandis que j'enfonçais violemment mon poing dans le mur à proximité. Le meilleur moyen de ne plus avoir mal quelque part, c'est de déplacer la douleur. Ainsi, en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, j'oubliais mon pied et me centrais alors sur ma main, qui j'en suis sûr devait être en train d'envoyer des demandes d'explication à mon cerveau et de lui demander « Pourquoi tant d'affliction ? » (mes mains sont cultivées), et sur certaines phalanges qui s'ouvraient et déversaient leur flot de sang.

Je massais et soufflais sur ma main fébrile et ensanglantée quand je remarquais alors le trou qu'avait fait mon poing dans le mur.

A vrai dire, ça n'était pas vraiment le mur, mais l'endroit où étrangement se trouvaient deux planches clouées là sans aucune raison apparente. J'avais plus précisément brisé celle du dessus, ne tenant plus que grâce aux maigres clous rouillés aux extrémités. On voyait d'ailleurs sur l'une de ces dernières un peu de sang, le mien.

A y regarder de plus près, je découvris alors que ces deux morceaux de bois abritaient un trou, un renfoncement, une sorte de niche dans la cloison toute de fissures vêtue.

Avec ma main restante, j'entrepris de défaire le morceau de bois restant. Malgré les apparences, le clou était encore solide, et bien décidé à ne pas quitter facilement son mur. J'avais beau forcer le plus possible avec mon membre valide, il ne bronchait que très peu, oscillant de temps en temps sur la gauche ou la droite, et comblant j'en suis sûr avec un certain plaisir mon exaspération grandissante.

Au bord de la crise de nerfs, la bave suintant le long de mes lèvres et les yeux injectés de sang, je fis fi de la douleur et empoignai la planche avec mes deux mains et la tirai vers moi dans le but d'extirper cette pourriture métallique qui m'avait suffisamment nargué comme ça. Oubliant les échardes qui s'enfonçaient lentement dans mes paumes, j'arrachai violemment mais triomphalement ce bous de bois, manquant de justesse de m'effondrer au sol.

J'avais vaincu l'ennemi, j'allais maintenant explorer son butin.

D'une main hésitante, je parcourai à tâtons l'intérieur du trou, cherchant quelques éventuelles pièces des monnaies, médaillons, Saint-Graals ou bouteilles d'alcool.

Ma pêche fut d'une infructuosité décourageante. Mes doigts n'étaient ressortis avec rien qui ne soit en or, qui ne brille ou qui ne soit parfumé à l'éthanol.

Non, ce qu'ils m'avaient ramené, c'était un livre. Un vulgaire livre rongé par les mites et les moutons de poussière.

…Cruelle déception. La richesse et le luxe n'allait pas encore être pour aujourd'hui.

Malgré tout, je décidai de mettre ma mauvaise foi de côté et de jeter un bref coup d'œil à mon… ahem, « butin ».

L'ouvrage était assez consistant, et faisait à vue d'œil une petite cinq-centaine de pages, ce qui lui valait un poids assez imposant : je devais le tenir à deux mains (comprenez ma douleur).

La première de couverture était totalement sobre, dénuée de toute lettre, de tout dessin ou de tout motif. Elle n'était que d'un cuir vert sombre, ma foi assez agréable au toucher, et dont j'aurais pu assurément toucher un assez bon prix. Et c'était pareil pour la quatrième.

Pour en connaître la véritable identité, j'en conclus donc qu'il fallait que je l'ouvre.

Le papier intérieur était totalement jauni, semblable à du vieux parchemin. Il était rongé par les mites par endroits, et possédait l'odeur particulière qu'ont les vieux livres dont les pages ne sont pas assez exposées à l'air libre. De plus, ce papier était très fragile, et il suffisait de le tirer légèrement pour l'arracher, précaution était donc de mise.

La première page comportait enfin quelque chose d'autre que du vide. Un titre y avait été somptueusement écrit à la plume. La calligraphie était assez jolie, pleine de pleins et avec des litres de déliés, ce qui indiquait que l'auteur n'était pas le dernier des analphabètes.

Ce titre, justement. Etrange titre que voilà.

TRAITE SIMPLIFIE DE MAGIE NOIRE A L'USAGE DES MINABLES

Pour vous exprimer ce que je ressentis à ce moment-là, je vais être bref : Etonnement, Fascination, Mal aux mains.

Sans même réfléchir, je tournai avec excitation pour lire la page suivante.

Telle ne fut pas ma surprise et ma déception de voir que la page avait été mangée dans sa quasi-intégralité par quelconques rats, ou toujours ces mites, raaah j'ai toujours haï les mites. Les rares choses que je pouvais ainsi lire étaient

Ami Lecteur,

C

Le reste de la page était arraché jusqu'en bas, excepté un infime petit morceau ayant survécu à la faim des vermines :

voir l

Joie. Le schéma se répétait évidemment au dos de la page :

En haut à droite : vrir

En bas à droite : age 442

Quel bonheur. De l'introduction, pour récapituler, je ne connus donc que « Ami Lecteur, C voir l vrir age 442 ». Les deux premiers mots me donnaient au moins la certitude de faire partie du cercle intime de l'auteur, inconnu cependant.

Mais, à vrai dire, ces quelques restes d'introduction me donnaient également une autre et utile information. age 442 pouvait sans aucun doute être affublé d'un p au début, donnant ainsi page 442 et indiquant qu'il y avait un truc super-top crucial à voir à la page 442.

Et en effet, quelque chose de crucial m'attendait à la page 442 :

ANNEXE

SORTS ET ENCHANTEMENTS DE BASE

(non relatifs à la magie noire)