Bonjour à tous et Joyeux Noël !

Voici le second chapitre de cette petite fic sur Sanji. Nos deux cuisiniers vont donc se retrouver en cuisine pour un repas d'été. Les recettes évoquées sont de vraies recettes que j'ai trouvées sur internet. Si j'ai bonne mémoire, il s'agit d'un menu gastronomique « été » présenté sur le site Elle.

N'hésitez pas à me faire part de vos retours. Le pairing vous a-t-il surpris ? Vous semble-t-il crédible ? Les recettes vous ont-elles donné envie ? Tout commentaire est bienvenu, ça me fera vraiment plaisir !

Bonne lecture.

Chapitre 2 : En cuisine

Je déambule entre les étals, observant les produits. Du premier regard je repère les stands à éviter et ceux qui ont du potentiel. Finalement, je m'arrête devant un poissonnier. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir trouver d'intéressant ? Le type termine avec son client et vient vers moi. Il est plutôt souriant et avenant mais je ne réponds pas à sa bonne humeur, trop concentré.

« Passez moi des gants » je lui ordonne.

Il lève un sourcil, dubitatif, et quand je vais sortir la carte du Baratie pour justifier ma demande inhabituelle, je vois son regard glisser derrière moi et il hoche la tête avant de me tendre les objets demandés. Je glisse une œillade à Izou. Nous sommes au pied de chez lui et à côté de son restaurant, normal qu'il soit connu. Dans le marché où je m'approvisionne, j'ai le droit au même traitement… mais ça m'irrite quand même. J'attrape une sole, la retourne, hésite, la repose. Je passe sur les crevettes, ça ne m'intéresse pas. Je cherche l'inspiration. C'est ici que je trouverai le cœur de mon plat. Mes yeux accrochent les langoustes et les crabes. Pourquoi pas… Je sens une chaleur dans mon dos et j'essaie de ne pas sursauter trop fort.

« Du poisson ?
- Évidemment.
- Pourquoi ce choix ?
- Parce que c'est ta spécialité.
- Tu te mets la pression.
- Non, c'est juste… la seule occasion. »

La seule fois où je pourrais montrer mon travail, l'étendu de mon talent au seul cuisinier que je respecte assez pour vouloir l'égaler. Mais je ne peux pas vraiment lui expliquer ça sans rougir complètement. J'attrape une pièce de thon et une idée germe dans mon esprit. Mon œil est toujours attiré par le crabe…

« Tu veux juste un plat ou un menu ?
- Tu cherches à m'impressionner, Sanji ?
- Je… ce n'est pas… exactement ça…
- Mais un peu quand même… Fais comme tu veux. »

Alors ça sera un repas gastronomique à thème mais en restant sur des préparations assez simples pour ne pas noyer les goûts. Je soupèse le filet de poisson dans mes mains et en prends un autre pour comparer. Mmm… 300g, ça ira. Je tends mon choix au vendeur et pointe les crabes.

« Ce sont bien des royaux ?
- Oui monsieur.
- Mettez-en deux. »

Je retire mes gants et plonge ma main dans ma poche pour chercher mon porte monnaie mais une main chaude se pose sur mon épaule, arrêtant mon geste. Il passe devant moi en me souriant.

« Tu mets sur mon compte perso, Jacques, s'il te plaît. »

Il attrape le sac et me fait signe de continuer. Je le fusille du regard mais je sens bien qu'il ne va pas me laisser payer… Je tourne un peu et j'hésite entre deux maraîchers… finalement, je choisis la maraîchère et j'arrive vers elle avec des cœurs dans les yeux. Je la complimente sur sa bonne mine et sur la beauté de son étal puis, alors qu'elle rougit légèrement, je commence à faire mes choix. Je sélectionne chaque légume avec attention. Je choisis, je soupèse, j'observe attentivement chaque ingrédient des plats dont les recettes prennent forme dans mon esprit. Izou s'est mis légèrement en retrait, il me regarde faire en silence. Une partie de moi se dit qu'il m'évalue comme j'aurais aimé l'être un jour. Mais je sais que ça n'arrivera pas, je ne suis pas en train de passer un entretien d'embauche. Alors je me concentre sur ce que je sais faire et ce qui me plaît. J'attrape un morceau de gingembre et me tourne vers lui, tout à fait naturellement, le sourire aux lèvres.

« Tu en as ou j'en achète.
- Ail, oignon, échalote, gingembre, on a ce qu'il faut au resto, oui.
- Piment ?
- Prends-en, c'est plus sûr. »

J'acquiesce et retourne à mes sélections. J'ajoute deux bottes de persil avant de me tourner vers les fruits que je goutte avant de les choisir sans cesser de complimenter la jeune femme qui se met à glousser. Je prends le temps de réfléchir à mes idées et de m'assurer que je ne manquerai de rien avant d'acquiescer et de me tourner de nouveau vers la sirène qui me fait face pour lui indiquer que j'ai terminé mes sélections.

« Merci beaucoup, magnifique rayon de soleil. Vous pouvez mettre tout ça sur sa note, c'est lui qui régale…
- Vous êtes un nouvel apprenti dans l'équipe de Chef Izou, jeune homme ?
- Sanji n'a pas besoin d'être formé, Violette. » Il s'est approché de moi et sa main glisse le long de ma colonne vertébrale avant de caresser mes reins. Je suis certain qu'il ne manque pas le frisson qu'il me provoque. « C'est déjà un grand chef, il a son propre restaurant. »

Pitié, faites qu'elle interprète la rougeur sur mes joues comme une réaction à son compliment et qu'elle ne remarque pas la main sur mes fesses. Il attrape le sac et je m'éloigne précipitamment de lui, dans le brouhaha du marché, à la recherche d'un crémier valable. Il me suit mais je fuis son regard. Ses paroles tournent dans ma tête… Je dois penser à autre chose. Je trouve une herboriste à qui j'achète un peu de thé et de verveine sans manquer de la couvrir de compliments, comme d'habitude. Et quand je repars dans l'autre sens, évitant Izou, il m'arrête, les sourcils froncés… inquiet ?

« Qu'est-ce qu'il se passe Sanji ? J'ai fait quelque chose de mal ?
- A part me tripoter au milieu de la rue, tu veux dire ? »

Mon ton est inutilement dur, surtout que ce n'est pas pour ça que je me suis renfrogné. Je soupire et me détourne, gêné. Le temps semble s'étirer et un étrange silence pèse entre nous au milieu des conversations et des rires de la foule qui nous entoure. J'inspire un grand coup, profitant des odeurs, puis je soupire.

« Excuse moi… ça n'a rien à voir… c'est juste que… Tu sautes un peu trop vite aux conclusions, je suis loin d'avoir mon resto à moi…
- Tu ne vas pas reprendre le Baratie ?
- Je… Ce n'était pas mon ambition première mais je suppose que c'est comme ça que ça va se terminer, oui… Sauf qu'il n'est pas prêt de passer le relais, le vieux… J'en ai encore au moins pour 10 ans à l'entendre déprécier mon travail… Et encore, s'il veut bien laisser son trésor entre mes mains… Il est capable de mettre la clé sous la porte juste parce que ce que je cuisine est immangeable d'après lui…
- Je connais un peu le vieux Zeff, et je suis certain que si tu es son second, c'est pas parce que tu es son fils. C'est pas son genre, les traitements de faveur. Il apprécie ton travail.
- Parfois je me le demande… »

Je trouve la dernière échoppe que je cherchais, la crèmerie, et termine mes achats. Quand tout est bon, je me dirige, comme si j'étais sur mon propre terrain, vers l'entrée de service du All Blue, à quelques rues de là. Voulant détendre l'atmosphère, il tente une nouvelle approche… encore une fois catastrophique :

« Et c'était quoi, ton ambition première ? Tu veux ouvrir ta propre enseigne, cuisiner à ton nom ? »

Non… je n'ai jamais cru que je pouvais être capable de ça. Peut être que le vieux me critique tout le temps, me traitant d'incapable, pour que je me lance, par simple défi… mais ça fait l'effet inverse, je n'ose pas, je n'ai pas confiance en moi… Non, mon ambition n'a jamais été d'être Chef… je voulais juste rester second, mais ailleurs… Perdu dans mes pensées, je me suis arrêté sur le trottoir rêvant à mon avenir perdu. Ma gorge se serre et je me retrouve incapable de parler. Ça n'arrivera jamais, je n'évoluerai jamais, je resterai au Baratie jusqu'à ma mort à continuer de rêver à quelque chose d'impossible, englué dans mon incompétence et mes mauvais choix…

Les mains d'Izou se posent sur mes joues. Il a laissé les sacs à terre et me regarde, affolé. Je me rends compte que je pleure. Je suis tellement ridicule. Je baisse la tête et ferme les yeux. Dans quelques minutes, je vais entrer dans la cuisine du All Blue et mon rêve se réalisera pour quelques heures. Je devrais m'en réjouir, non ? Tout le monde n'a pas l'opportunité de toucher son objectif du doigt. Je le perdrai ensuite à jamais, mais juste pour quelques heures, je cuisinerai avec mon idole…

« Sanji ! Qu'est-ce qu'il y a ?
- Mon ambition ? Le rêve que je ne peux plus atteindre… Devine.
- Oh… »

Il a compris vite, dis donc… Il me serre alors contre lui et mon visage se colle contre son torse. Franchement, je me demande encore comment j'ai pu le prendre pour une femme… Je vais le réaliser, mon rêve… mais il aura juste un goût de trop peu. Après cette journée, je ne le reverrai plus, je serai totalement incapable de m'approcher de nouveau de lui. J'ai pris l'habitude de venir dîner au All Blue une fois pas mois, oserai-je m'y pointer à nouveau ? Je n'aurai pas non plus le courage de passer l'examen pour entrer dans son équipe parce que toujours j'aurai l'impression que mon cul sera la raison de sa décision. Négative parce que je le lui refuse ou positive dans l'espoir que je le lui cède. A quel moment, j'ai pu penser que c'était une bonne idée de l'approcher de cette manière ? Bourré ou non, j'ai été le dernier des cons !

« Je refuse de coucher pour atteindre mon rêve.
- Hey !
- Ose me dire que ça ne rentrerait jamais en ligne de compte si je me refuse à toi ? » Il m'a écarté de lui pour plonger son regard dans le mien et je le sens hésiter. « Laisse moi cuisiner pour toi. Même si ce n'est que pour quelques heures, j'ai envie que tu me vois autrement que comme une bonne baise… »

La gifle claque et résonne dans la ruelle vide. Il est en colère et me fusille du regard. Son visage est dur et je reconnais le personnage des magasines culinaires. Le chef Izou, sûr de lui et autoritaire, qui regarde les autres de haut. Je trouvais ça incroyablement sexy il y a encore quelques heures. Je me disais que c'était une femme de caractère, ce qui est nécessaire pour percer dans ce métier.

Je l'admirais.
Je viens de l'insulter.

Je baise les yeux alors qu'il se saisit de mes bras avec force. Je me sens tellement honteux. Le lien qui nous unit est tellement étrange. Il a des souvenirs que je n'ai pas, des sentiments que je ne comprends pas. Et moi, je suis perdu entre mes fantasmes, les réactions incontrôlables de mon corps et cette réalité qui ruine tous mes rêves…

« Désolé…
- Sanji ! Tu es bien plus que ça à mes yeux. Si… si ça n'était que ça, je n'aurais pas pris le risque que tu décides de tout arrêter.
- Excuse moi, j'ai été méprisable. Je n'aurai pas dû dire ça.
- Et toi, Sanji ? Que dois-je faire pour que tu cesses de me voir comme un pervers qui veut te sauter dessus ?
- C'est pas ce que tu es ?
- Putain, non ! Bien sûr j'ai envie de t'embrasser et de te faire l'amour. Mais c'est justement ça, le problème. Je ne veux plus baiser avec toi, je veux t'aimer. »

Il se redresse et se retourne, ne me laissant pas l'occasion de répondre. Il attrape les sacs, sort un trousseau de clé et déverrouille la porte, quelques mètres plus loin, avant de disparaître dans l'arrière cuisine du plus grand restaurant de la ville.

Quand j'entre dans le couloir derrière lui, je vois la cuisine devant moi et je reste interdit. Je connais bien la salle pour y venir régulièrement, mais je n'avais jamais aperçu l'envers du décors. C'est immense. Travailler ici chaque jour doit être un pied intégral. Mon cœur se serre. Ce bonheur ne sera pas pour moi. Izou a déposé les sacs sur un plan de travail mais je ne le vois pas. Je reste là, figé, n'osant pas entrer dans ce lieu sacré. Vais-je me montrer à la hauteur ?

J'entends un grincement sur ma droite et une porte s'ouvre. Izou a remplacé son kimono par sa tenue de travail et il a posé une toque sur son chignon. Je suis troublé par ce spectacle, il colle totalement à son image publique dans cette tenue et pourtant je n'arrive plus superposer l'idée féminine que je me faisais de lui. Il est impressionnant et, malgré son maquillage, très viril. Je n'arrive plus à bouger. Son visage est toujours fermé, je l'ai blessé et je m'en veux. Il se dirige vers une vasque près de l'entrée de son sanctuaire et se lave les mains sans y prêter attention. C'est un geste que nous répétons tellement de fois au cours d'un service qu'il est devenu automatique. Il ne me lâche pas des yeux, sa colère s'apaise. Je vois l'expression de son visage changer, c'est un spectacle incroyable. De dur, il devient triste, puis tendre et, enfin, il me sourit.

« Va te changer, je vais sortir tes achats, tu veux que je mette quoi au frais ?
- Le crabe et les laitages, s'il te plaît.
- Pas le thon ?
- Non, je vais commencer par ça… merci. »

Sur ce dernier mot, murmuré, je disparais. Un sourire étire mes lèvres quand j'entre dans le vestiaire, il m'a sorti une tenue de chef, pas de commis, pas de chef de rang, non, de chef cuisinier. Il me traite comme son égal et j'ai la furieuse impression d'être un imposteur. Mes doigts passent sur le tissus, pensif. Chef au All Blue… Je vais réaliser ce rêve pendant quelques heures avant de retrouver la réalité. Mon cœur bat fort, je dois mettre de côté tout ce qui peut interférer, je vais cuisiner pour lui et c'est tout ce qui compte. Je dois me montrer digne de cette chance et relever ce défi impossible : régaler ses papilles.

Quelques minutes plus tard, je sèche mes mains sur un torchon en laissant mon regard glisser dans la pièce. Il a étalé mes achats exactement comme je l'aurais fait, je ne peux m'empêcher de sourire. En quelques gestes, il m'indique les emplacements des postes stratégiques et des endroits où je trouverai les ingrédients manquants. J'avance vers le plan de travail et passe mes doigts sur les mangues qu'il n'a pas disposées avec les fruits rouges mais près des citrons verts avec les piments.

« As-tu déjà deviné ce que je vais cuisiner ?
- Non, mais je me suis dit que le citron te servirait à relever le goût du crabe. La mangue étant verte, elle n'a pas sa place avec tes fruits rouges donc je l'ai imaginée avec l'agrume de la même couleur. Le thon et le concombre, c'est un accord classique, je suis assez curieux de savoir ce que tu as en tête pour ça… Quant aux fruits rouges…
- Tu es presque juste. »

Avec un sourire en coin, j'attrape le sachet de cerises et le positionne près du thon. Il hausse un sourcils puis sourit à son tour. Je crois que mon audace lui plaît. Sans plus attendre, je me dirige vers les réserves pour prendre les condiments qu'il me manque. Je cherche un certain temps dans les épices et je note son intérêt quand il observe mes sélections. Oh ! Il a même de la sauce d'anchois, c'est une bonne idée, ça se mêlera très bien avec la sauce soja dans laquelle je compte faire mariner mes cerises. Je reviens vers le plan de travail avec mes trouvailles et commence à organiser mes préparations. D'abord le plat car il devra rester un moment au frais. Je trouve un couteau qui me plaît bien et j'humidifie la pierre pour l'aiguiser. Ces gestes sont naturels pour moi, je les fais sans y penser, mon esprit est tourné vers mes préparations. Il rit derrière moi et je lui lance un regard interrogateur.

« Tu as choisi mon préféré. »

Oh… Je m'y attendais pas à celle ci. Je regarde la lame entre mes mains. Je n'ai pas hésité longtemps, en plus, mes doigts ont été attirés par elle d'instinct j'ai su que c'était la meilleure. Je me mets au travail, plutôt silencieusement et il me regarde. Cuisiner me détend, je ne me sens jamais plus vivant que quand je crée des plats et que je les accorde. Seul le son de la lame résonne dans la pièce, c'est apaisant. Le parfum du persil embaume rapidement mon espace de travail. De temps en temps, je lui demande un ustensile ou un ingrédient et les préparations rejoignent petit à petit le frigo, en attente. Les tranches de thon, la gelée de concombres, la purée de persil, le concombre mariné. Je suis en train de râper le gingembre pour la marinade des cerises quand il pose une bouteille près de moi. Surpris, je lui lance un regard, je n'ai rien demandé, puis j'observe ce qu'il a trouvé pour moi. Du mirin, un alcool de riz sucré. Il ne dit rien et j'observe mes cerises en réfléchissant à l'alchimie entre mes ingrédients. C'est très ingénieux… Vraiment… La petite touche qui fera la différence, même. J'aurai aimé y penser moi même.

« C'est tricher…
- Tu n'es pas là pour un entretient d'embauche, Sanji. Juste pour me montrer qui tu es vraiment.
- Tu cherches à savoir si je suis trop fier pour reconnaître que ton idée est bonne… géniale, même… ou suffisamment humble pour l'accepter et l'intégrer à ma préparation ? Mais c'est biaisé. Venant de n'importe qui d'autre, j'aurais refusé la moindre intervention… »

Je soupire et attrape la bouteille pour la humer. Je sors une coupelle et goûte la boisson pour évaluer la quantité nécessaire. Je souris. De l'alcool… La cause de ma présence ici… Finalement, j'en ajoute une giclée à ma marinade avant de la mettre au frais. Je jette un œil à la pendule et grimace. On va déjeuner tard… mais le petit dej' était copieux, ça devrait aller. Je commence à fouetter ma crème alors qu'il se met à la plonge. Je fronce les sourcils.

« Tu n'as pas voulu que je la fasse ce matin mais là c'est moi qui ai cuisiné, c'est mon boulot…
- T'inquiète, tu peux même me mettre à contribution si tu veux, je serai ton commis.
- Hors de question ! Si tu t'ennuies, tu n'as qu'à mettre la table. On mange en cuisine ou en salle ?
- Ici, je veux te voir dresser les plats. »

Ça n'est pas un entretient d'embauche, hein ? Je souris pour moi même en mixant thé et verveine pour les réduire en une fine poudre odorante que je réserve. J'ai un instant d'hésitation avant d'attaquer les groseilles. Je m'occuperai des framboises au moment du service. Il m'observe en hochant la tête et attrape le bol de poudre pour le humer. Il sourit.

« Earl Grey ?
- Oui. Avec de la verveine.
- A quel moment as-tu eu l'idée du menu, Sanji ?
- Devant l'étal du poissonnier, pourquoi ?
- Et les accompagnements et assaisonnements ?
- Au fur et à mesure. »

Je fronce les sourcils, où veut-il en venir ? J'ai toujours fait comme ça. C'est d'ailleurs ce qui fait rager Zeff parce que je veux toujours faire une modification au menu du jour selon mon inspiration. Il dit que ce n'est pas professionnel et que si je ne peux pas garantir des plats identiques tous les jours je n'ai qu'à devenir traiteur… C'est vexant. Je mets les fruits au frais et attaque la mangue. Elle est verte, son odeur n'est pas forte mais je l'apprécie tout de même. Je commence à la débiter en julienne et en goûte un morceau alors qu'Izou dresse le couvert. Il s'éloigne un peu et reste un temps assez long devant la cave à vin. Je le laisse faire, ça n'est pas encore mon domaine. Zeff a refusé de m'enseigner plus que les bases tant que je n'étais pas majeur, je n'ai pu commencer à goûter les mariages mets-vins que très récemment. Je manque d'expérience. Il finit par sortir un blanc.

« Je ne coucherai pas avec toi.
- Heu… moui… pourquoi tu dis ça maintenant ?
- Range cette bouteille, tu ne me feras pas boire.
- Ah ah ! Sanji, je t'assure qu'il te faut plus de deux verres de vin pour te jeter sur moi. Tu peux savourer celui-ci sans t'inquiéter. »

Je me renfrogne en terminant ma sauce. C'est presque prêt, je finis d'émietter le crabe et je n'aurai plus qu'à dresser. Il m'apporte les assiettes pour les entrées. La vaisselle du All Blue est superbe, je ne sais pas où il l'a trouvée mais je prends le temps d'en admirer la finesse alors qu'il dépose celles pour le plat et le dessert un peu plus loin. Allez, c'est parti, le moment artistique du dressage. J'aime bien. Zeff est extrêmement exigeant à ce sujet, j'ai arrêté de compter le nombre de plats qu'il renvoie en cuisine pour un grain de quinoa mal placé. Le personnel crise à chaque fois. Du coup, quand on est en plein rush, c'est moi qui dresse. Au moins sur ça, il ne trouve généralement rien à redire. Je dépose les assiettes sur la table pendant qu'il remplit nos verres.

« J'ai fait un menu sur le thème de l'été. Produits de saison et repas froid. On commence par un rougail de mangue et crabe royal. Bon appétit. »

Je m'assois après lui et accepte de trinquer mais après avoir bu une gorgée, je n'ose plus bouger, le verre toujours posé sur ma lèvre, je le regarde attraper sa fourchette et goûter. Il sourit et me dévisage un moment.

« Mange, c'est un plat qui ne doit pas attendre.
- Je…
- Tu as besoin que je te dise que c'est réussi ? Dis moi ce que tu en penses, toi ? »

Putain, il peut pas me donner un verdict clair, là, que j'arrête de stresser… J'attrape un peu du plat dans ma fourchette, observe un instant le mélange des couleurs, et goûte à mon tour. Aussitôt la voix de mon père résonne à mes oreilles et je fronce les sourcils.

« Les zestes sont trop gros et le piment trop fort, je n'aurai pas dû en mettre autant. Pourtant ça s'équilibre pas trop mal mais… Peut être la mangue n'est pas assez sucrée…
- Tu es dur avec toi. C'est un plat que je pourrais servir ici sans rougir je pense. »

Hein ? Woh ! Ça c'est du compliment ! Je n'ai pas l'habitude d'en recevoir et je me fige totalement, incapable de continuer à manger. Il se met à rire et continue à décortiquer mon plat, les choix que j'ai fait, les mariages qui marchent, les équilibres… Il démonte même mes propres arguments en disant que j'ai parfaitement compensé le manque de goût de la mangue en ajustant la quantité de sucre que j'ai mis dans la sauce. Sous son impulsion, je continue mon assiette sans un mot, toujours aussi rouge.

« Est-ce qu'on peut revenir sur le sujet qui t'a… ému… tout à l'heure… dehors ?
- Mmm ? Lequel ?
- Ton ambition.
- Ah… Il n'y a pas grand-chose à en dire. Les rêves ne sont pas faits pour être réalisés de toutes façons, non ?
- Je ne suis pas d'accord. Si tu ne vises pas haut, tu n'arriveras nulle part. Est-ce que tu me considères comme un rival à dépasser ?
- Non, même pas… » j'ai un petit rire jaune. « Tu es inatteignable à mes yeux… Mon rêve c'était… le poste de Thatch, être ton second.
- La place n'est pas libre.
- Je sais, et je n'essaierai même pas de l'atteindre. Je ne chercherai même pas à entrer dans ton équipe, ça n'est plus possible, je me suis coupé l'herbe sous le pied moi-même, comme un con.
- Que veux-tu dire ?
- Si tu m'acceptes dans l'équipe je ne me sortirais jamais de l'idée que j'ai couché pour y arriver ou que je dois offrir mon corps en remerciement… » Je le vois se raidir et froncer les sourcils et je fais un geste de la main pour qu'il me laisse terminer ma phrase. « Même si ce n'est pas le cas, même si tu es capable de prendre une décision sans y laisser interférer tes envies… ça restera toujours dans un coin de ma tête. »

Fuyant le malaise provoqué par mes paroles, je me lève et débarrasse les assiettes vides avant de m'attaquer au dressage du plat. Je sors mes préparations et commence à les assembler comme un puzzle. Purée de persil, tranches de thon, marinade aux cerises, les deux concombres… Izou s'est levé et me regarde faire, attentif. Je suis en train de poser les dernières touches quand il reprend la parole.

« Tu ne pourrais pas être mon second. »

Ça me fait l'effet d'une gifle et j'en lâche le bol de persil que j'avais dans les mains, il s'écrase au sol et se brise. Mes doigts se crispent sur le plan de travail et je sens les larmes me monter aux yeux. C'est cruel et je ne m'y attendais pas. J'ai l'impression qu'il vient de me piétiner sans aucun scrupule, me ramenant au niveau du cuisinier de bas étage que mon père s'obstine à dire que je suis… Ma respiration devient douloureuse et sans que je comprenne pourquoi, les bras d'Izou se referment sur moi et il pose un baiser sur ma joue, attrapant au passage une larme que je n'ai finalement pas pu retenir. Sa voix se fait douce.

« Hey ! Sanji ! Excuse moi, je n'aurai pas du dire ça comme ça… tu n'as pas compris ce que je voulais dire.
- C'était pourtant très clair…
- Non… Je ne peux pas envisager de prendre un cuisinier comme toi dans ma cuisine parce que tu me ferais de l'ombre. Tu ne peux pas être mon second parce que tu es trop ingénieux pour ça. Ça n'est pas ta place et je comprends que tu en baves à devoir te plier aux caprices de Zeff. Tu serais tellement mieux si tu ouvrais à ton propre nom. Tout ton talent pourrait alors s'exprimer, tu n'es pas fait pour rester dans l'ombre d'un autre. Pas même la mienne. »

Il pose d'autres baisers dans mon cou et les tremblements de mon corps s'apaisent peu à peu. Ses mains, sur mon ventre bougent légèrement, accrochent le tissus de ma chemise pour tirer dessus puis s'immobilise et s'aplatissent sur mes abdominaux. Il résiste à l'envie de me déshabiller. Pourquoi suis-je déçu ? Pourquoi n'aurais-je pas été contre sentir sa peau chaude sur mon ventre ? Je me dégoûte moi même d'avoir ce genre d'envies.

Finalement, ses bras s'ouvrent lentement et il attrape les deux assiettes dressées pour les mettre à table avant de me murmurer de venir manger. J'ai du mal à mettre de l'ordre dans mon esprit. Entre les paroles qu'il m'a dites qui sont un compliment incroyable et les gestes qu'il a faits pour me calmer, c'est le flou total. Il pense que je lui ferais de l'ombre ? C'est une blague…

Je n'arrive pas à accepter qu'il puisse apprécier mon travail alors que je n'ai pas mis une seule seconde ses mots en doute quand j'ai cru qu'il me disait que je ne valais rien. J'ai perdu tous mes moyens en un instant. Et la seule manière qu'il a trouvée pour me soutenir a été physique. J'ai reçu et accepté son étreinte, ses caresses et ses baisers comme s'ils étaient naturels. Je n'ai pas envisagé de le repousser ou que ça puisse être anormal ou dégouttant. C'est comme si c'était la bonne réponse, ce dont j'avais besoin. Et ça a été incroyablement efficace, aussi. Son étreinte m'a tout de suite calmé, ses baisers m'ont apaisé. L'effet qu'il a sur moi est vraiment incroyable et… dangereux !

Finalement, je me détourne du plan de travail. Il est déjà à table et déguste une gorgée de vin en attendant que je le rejoigne. Je m'installe sans un mot et guette sa réaction. Il prend le temps de tester chaque élément séparément puis ensemble avant de décréter avec un regard complice :

« Le mirin, dans la marinade des cerises, brillante idée. »

Je ris. Encore une fois, j'étais tétanisé et il a réussi à me détendre. Je me sens bien en sa compagnie et ses mots m'encouragent. Ouvrir mon propre restaurant… Je suis certain que c'est ce que Zeff veut pour moi. Il ne cesse de dire qu'il est pressé que je dégage de sa cuisine mais je sais que ce n'est pas vraiment un rejet, c'est qu'il veut me pousser à me surpasser. Brusquement, je me mets à parler, d'une voix basse, sans réfléchir à ce que je dis…

« Zeff n'est pas mon père. Il m'a adopté quand j'avais 7 ans. À ce moment là, son précédent restaurant avait coulé, il était au fond du trou. Et c'est là qu'il m'a trouvé, parce que c'est là que j'étais… à errer dans la misère. Je n'ai pas trop de souvenirs de ma vie avant ça. J'ai eu une famille violente, je me suis enfui et j'ai erré pendant plusieurs mois… J'ai crevé la dalle. Vraiment. Avoir faim, je sais ce que c'est… Zeff m'a sorti de mon caniveau et m'a collé dans une cuisine. À 10 ans, j'avais mon poste de commis sur les services du midi, il ne voulait pas que je bosse le soir. D'après lui je faisais de la merde quand j'étais crevé et il voulait pas que j'assaisonne ses plats avec mon sang… Il m'a laissé des rôles plus intéressants quelques années plus tard. J'ai fait tous les postes possibles en cuisine, il voulait que j'aie tout testé. Moi, je n'avais qu'une idée en tête : créer, inventer mes propres recettes, imaginer des assiettes originales… Le jour où il a mis l'un de mes plats à la carte, j'ai cru mourir de bonheur. Il m'a fait redescendre sur terre en me disant que je n'étais qu'un petit prétentieux et que je me contentais de pas grand-chose. Il m'a balancé un magazine qui parlait de l'ouverture du All Blue en me disant quelque chose du genre : ça c'est un vrai cuisinier, prends en de la graine… Et je suis tombé amoureux… Amoureux d'une femme qui n'existait pas… J'ai fait de toi mon rêve, mon objectif à atteindre, tu as pris toute la place dans ma tête d'adolescent bourré d'hormones… j'avais 15 ans… Alors finalement, c'est pas surprenant que je me sois jeté sur toi quand je t'ai vu… »

Il ne dit rien, se contente de me regarder en dégustant mon plat et en savourant son vin. Il doit sentir que je n'ai pas fini… Je prends moi aussi le temps de manger un peu et je me dis que j'ai voulu faire trop sophistiqué. Ça ne me ressemble pas vraiment. Un menu gastronomique, c'est le genre de choses qui sont servies ici, au All Blue… mais si j'y réfléchis vraiment, ce n'est pas là dedans que je me reconnais. Je ne veux pas faire du haut de gamme, du luxe. Je veux pouvoir faire goûter ma cuisine au plus grand nombre…

« Finalement, je n'avais rien compris. Il ne me disait pas voilà ce que tu dois faire mais voilà de quoi tu dois t'inspirer. Avec juste quelques années de plus que moi, tu ouvrais un restaurant à ton image et tu avais un succès immédiat. Tu étais toi même, tu ne te conformais pas aux stéréotypes ni aux attendus… Et moi, j'ai continué à vouloir me cacher derrière un autre. A chaque fois que je veux modifier un plat à la carte, Zeff pique une crise pas possible. Il me dit que j'ai qu'à me faire traiteur… Ne ris pas ! J'aime cuisiner, j'aime prendre les matières brutes et en faire quelque chose de nouveau… Mais je m'ennuie assez vite à répéter toujours les mêmes plats, j'ai l'impression de stagner… Je me disais que dans un restaurant comme le All Blue, les défis seraient plus intéressants mais c'est probablement pareil, non ?
- Oui… en encore plus rigide probablement… tu es un créatif, Sanji. Il te faut ton resto avec une carte quotidienne différente. Ce que tu as fait aujourd'hui, flâner sur le marché et choisir ton menu en fonction des ingrédients disponibles, sans contraintes, c'est ce qui te plaît. Alors oui, une brasserie, c'est moins prestigieux mais as-tu besoin d'être étoilé ?
- Probablement pas… Parfois, il y a des pauvres gars qui viennent frapper à l'arrière du resto pour demander des restes… Je leur cuisine un plat de pâtes, un truc tout simple… Mais leur sourire quand ils se mettent à manger vaut plus que des étoiles Michelin. »

Le silence retombe et il se lève pour desservir et me sortir tous les ingrédients afin que je dresse le dessert. J'écrase les framboises, y ajoute les groseilles puis je recouvre de ma crème fouettée au yaourt. Blanc sur rouge. Enfin je saupoudre de thé et de verveine. J'annonce mon fontainebleau aux fruits rouges et je lui demande enfin :

« Et toi ?
- Moi quoi ?
- Je sais que tu as été formé au lycée Moby Dick par ce taré de Newgate. Les rumeurs disent que tu as couché avec l'un des profs pour y entrer…
- Et toi, tu en penses quoi ?
- Ça ne m'a jamais semblé te correspondre… trop fier.
- Ah ah, c'est pas faux… Et pourtant je suis bien entré par piston parce que j'avais une relation particulière avec l'un des profs…
- Hein ?
- Mon vrai nom est Izou Kozuki, je suis le fils d'Oden Kozuki.
- Mais ce type est complètement barjot, non ?
- Ah ah… oui… Probablement autant que Zeff vu qu'il m'a aussi adopté pour me sortir de la fange. J'avais 10 ans et mon frère 8. On dansait en tenues de filles dans la rue pour gagner de l'argent. J'allais atteindre l'âge où on allait me forcer à utiliser mon corps d'une autre manière… Et j'y étais résigné pour protéger Kiku, mon frère. C'est là qu'Oden a débarqué. Il nous a donné à manger et on s'est quelque peu accrochés à lui. Il a fini par nous adopter et m'a permis de suivre son exemple et d'entrer au lycée Moby Dick.
- C'est pour ça, que tu as pensé au Mirin, tu as des affinités particulières avec la cuisine japonaise.
- Oui. Mais je n'égalerai jamais Oden donc je me suis spécialisé sur autre chose. »

Nous continuons à manger en silence, chacun réfléchissant probablement à tout ce qu'il vient d'apprendre de l'autre. Nous avons bien plus de points communs que je le pensais, en fait. Il se lève et attaque la plonge pendant que je range et nettoie les plans de travail.

« Izou ?
- Oui ?
- Pourquoi tu ne m'as pas rejeté la première fois que je t'ai… abordé ?
- Parce que tu es particulièrement mignon, Sanji.
- Mais je suis un homme !
- Ça n'a… jamais été un problème, pour moi.
- Ah… heu… Mais… j'étais bourré.
- Et terriblement entreprenant. Sanji… Je ne t'ai pas repoussé parce que je n'en ai pas eu envie. Pas plus que les fois suivantes, d'ailleurs… »

Je rougis en me disant qu'il ne le voit pas puisqu'il a les mains dans l'évier mais quand je me tourne vers lui, je croise son regard. Il avait fini. Est-il possible de rougir encore plus que je le fais actuellement ? Il s'approche de moi et sa main s'avance vers mon visage avant de s'y poser délicatement. Il se penche vers moi et au moment où il va m'embrasser, il se détourne en s'excusant. Mon corps agit avant que mon cerveau ne s'en rende compte, j'attrape son poignet, l'attire vers moi et colle mes lèvres aux siennes. Ses doigts se perdent dans mon dos, glissant sous ma chemise et m'arrachant des frissons que je refuse d'analyser. Sa langue joue avec la mienne, ses dents mordillent mes lèvres alors que mes mains enserrent sa nuque pour que ce baiser ne se termine jamais. Soudain, ses doigts glissent sous la ceinture de mon pantalon et mon cerveau se reconnecte. Je m'éloigne brusquement de lui, le souffle haletant, le regard trouble. Putain, qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce qui m'a pris ?

« Je… désolé…
- Ne le sois pas. Ce ne me dérange pas du tout. Au contraire…
- Bien sûr que si ! Je ne peux pas faire ça ! Je ne veux pas… je ne peux pas répondre à tes attentes… Alors… je… si je te donne de l'espoir pour te repousser après… c'est… cruel… je… je suis désolé.
- Tu avais envie de m'embrasser en étant sobre, Sanji… Alors oui, j'espère… mais surtout ne t'en préoccupe pas, ne te réfrène pas. Même si ce n'est qu'une fois, même si ce n'est qu'aujourd'hui. Si tu veux m'embrasser, fais le. Si tu veux me toucher, fais le aussi. »

Oui, je l'ai embrassé et je ne suis pas ivre. Je ne peux pas accuser ces deux verres de vin, ils n'y sont pour rien. Mais je ne comprends pas… Je ne veux pas comprendre, peut être aussi. Il me sourit et s'approche de moi pour déposer un baiser chaste sur mes lèvres. C'est doux et tellement rapide que j'ai l'impression qu'il s'agit juste d'une caresse. Il plonge son regard dans le mien et demande :

« Bon, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- Je ne vais pas cou… »

Son doigt se pose sur ma lèvre pour me faire taire et son regard se fait amusé.

« Arrête de répéter ça en boucle, c'est toi que tu cherches à convaincre, là. »

Hein ? La surprise dois marquer mon visage car il rit doucement en passant ses doigts dans mes cheveux. Pourquoi est-ce que je chercherai à me convaincre que je ne vais pas coucher avec lui ? J'en suis convaincu. J'y crois très fermement… n'est-ce pas ? Est-ce que j'hésite ? Est-ce que je doute ? Ai-je peur de m'abandonner à lui ? De quoi ai-je peur ? Est-ce que ça serait mal, si c'est lui ? De toutes façons je l'ai déjà fait… de nombreuses fois… même si je ne m'en souviens pas… Alors, une fois en m'en souvenant… juste pour être sûr ? Est-ce que ça serait si grave ? Est-ce que ça serait me trahir ? Il est doux, il ne me fera pas de mal, il… Oh putain ! Mais à quoi je pense ?

Je quitte la cuisine d'un pas rapide et me dirige vers les vestiaires pour remettre mes vêtements. Il entre alors que je suis en boxer et je sursaute en criant. Je me sens ridicule. Il me sourit en retirant sa toque puis déboutonne son haut. Je suis figé, à moitié à poil devant lui et mes yeux n'arrivent pas à quitter ses doigts qui ouvrent lentement sa chemise. Est-il en train de faire exprès ? Il va trop lentement, putain, bien sûr qu'il fait exprès. Il me fait un strip-tease et je n'ai même pas la présence d'esprit de regarder ailleurs. Je fais un pas en arrière jusqu'à me retrouver en appui sur les casiers et je commence à avoir incroyablement chaud. Quand son pantalon tombe à terre, mon regard se fige sur la bosse qui déforme son boxer et je mets quelques secondes à réaliser que je suis complètement focalisé sur son érection. Je suis en train de regarder sa bite, putain ! Je crains à mort. Je détourne les yeux en bafouillant.

« T… Tu…
- Toi aussi. »

Hein ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il… Oh merde ! Moi aussi, effectivement. Quelle honte. Je me retourne et il rit en me faisant remarquer que lui offrir la vue de mon cul ne va pas l'aider à se calmer. Je me sens tellement mortifié que je ne sais plus où me mettre. Il fait tomber son kimono sur mes épaules et ramasse ma tenue blanche pour aller la mettre dans le linge à laver. Je lui suis reconnaissant de m'avoir évité une humiliation trop longue et de m'avoir couvert. Je serre les pans du tissus contre moi et je tombe assis sur un banc, la tête basse, tremblant. Je reste là, serré dans les pans du vêtement féminin, incapable du moindre mouvement. Je l'ai regardé se déshabiller et ça m'a fait bander ! Son regard sur moi m'a totalement déstabilisé et je ne sais plus où me mettre… Je me sens ridicule, j'ai envie de disparaître sous terre.

Je ne le vois pas mais je l'entends bouger dans le pièce et comme j'ai son kimono sur mon dos, je suppose qu'il est toujours en boxer, et mon excitation se fait plus grande. Comment est-ce que je peux réagir ainsi ? Izou n'est pas une femme, il est loin d'avoir les attributs que je lui imaginais quand je me branlais en pensant à lui il y a quelques années. Alors pourquoi son corps MASCULIN me fait cet effet. Que dois-je faire pour que mon cerveau comprenne qu'il y a un truc qui cloche et pour qu'il se remette à fonctionner normalement ?

J'entends un bruit d'eau et je relève la tête, il est en train d'asperger son visage. Je vois toujours le profil de son entre-jambe dressée et j'ai un mal fou à en détourner les yeux. Ça m'impressionne et ça me met mal à l'aise… mais je ne ressens pas de dégoût. Est-ce normal ? Je reporte mon attention sur ce qu'il fait et je réalise qu'il est en train de retirer son maquillage. L'homme caché sous l'épaisse couche blanche réapparaît. Il n'avait pas vraiment disparu mais quand il relâche son chignon et que ses longs cheveux noirs se mettent à cascader sur ses épaules jusqu'au milieu de son dos, je ne peux m'empêcher de le trouver beau. Et viril. N'est-ce pas contradictoire ? Visiblement non… Je me mords la lèvre pour retenir une étrange envie de le toucher et je croise son regard.

« Ça avait coulé et je n'ai pas pris de quoi faire les retouches. Ça ne te dérange pas ?
- Je… en fait je crois… que… je préfère… »

Je détourne aussitôt le regard en rougissant. Encore ! Putain, on dirait une adolescente ! Je n'ai rien contre les jeunes demoiselles, au contraire, j'admire leur grâce et leur sensibilité à fleur de peau… mais pas sur moi ! Pas moi. Je suis un mec, pas une jeune femme. Je sens Izou approcher dans mon dos et il s'installe à califourchon sur le banc avant de poser ses mains sur mes épaules. Mes tremblements s'accentuent. Lentement et avec délicatesse, il me guide pour que je m'installe comme lui, une jambe de chaque côté du banc, mon dos contre son torse. Je suis totalement amorphe, je me laisse faire sans opposer la moindre résistance. Ses bras se referment sur moi alors que je tiens fermement les pans du kimono sur moi. J'ai l'impression d'avoir les cuisses écartés et mon érection exposée malgré le tissus qui me camoufle. Ses mains me maintiennent contre lui mais elles restent au niveau de mes bras. Il se colle un peu plus à moi et je sens son sexe se presser contre mon dos.

« J'ai besoin que tu m'expliques où est le problème, Sanji.
- J'aime les femmes.
- Et moi les hommes. Ça ne m'empêche pas, parfois, de trouver une femme belle. Même si je n'envisage pas d'explorer la chose, il m'arrive de vouloir toucher une peau douce ou une chevelure ondulée… Voir même un petit cul musclé… Alors… Explique moi, pourquoi as-tu honte des réactions de ton corps ? Est-il interdit d'apprécier ce qui est beau sous prétexte que tu dois aimer les femmes.
- Ça va, tes chevilles ?
- Je ne te plais pas ?
- Ce n'est pas la question.
- Ah si, c'est justement le nœud du problème. Est-ce que je te plais, Sanji ? Est-ce que tu aimes me regarder ?
- … Ou… Oui… je crois.
- Est-ce mal ?
- Je… je ne sais pas… ce n'est pas… naturel…
- Me trouves-tu amoral ou monstrueux d'être attiré par toi ?
- Non, ça n'a rien à voir, c'est…
- C'est pareil, Sanji ! Pourquoi aurais-je le droit d'aimer te regarder et pas toi ?
- Je… je ne sais pas…
- L'hétérosexualité est-elle une prison qui empêche de profiter d'autre chose ?
- Je ne sais pas…
- Sanji… Je vais passer ma main dans le kimono et toucher ton torse, d'accord ?
- Hein ? Quoi ? Non ! »

J'étais totalement perdu dans mes pensées à chercher à démêler le sens de ses paroles, et… Pourquoi me dit-il ça ? J'étais en train de me dire que ça n'était pas forcément honteux mais là… Qu'il mette sa main sur ma peau… Bordel ! J'en ai envie mais je ne peux pas accepter, c'est… Il n'a pas bougé, toujours dans mon dos, ses bras autour de moi, son visage dans mon cou, il m'embrasse doucement. Il attend que j'accepte. C'est ça, il veut que je sois d'accord… Je le suis mais je ne peux pas le dire, c'est impensable… Il soupire.

« Je ne regarde pas, d'accord ? Je glisse juste mon bras mais tu gardes le kimono fermé. Ferme les yeux, si tu veux. »

Son souffle sur ma peau m'hypnotise complètement. Il a conscience que je n'arriverai pas à le repousser et il ne veut pas me forcer. J'ai compris, ça. Il espère qu'après cette journée je reviendrai vers lui mais ça n'arrivera pas. C'est une journée étrange, hors du temps… la seule et unique fois… C'est du moins ce que je veux croire. Je ferme les yeux et laisse ma tête tomber en arrière sur son épaule. Lentement, très lentement, il déplace son bras et vient glisser sa main entre les deux pans du kimono que je tiens toujours fermement fermés sur moi. Il accompagne ses gestes de paroles, il ne veut pas me prendre par surprise.

« Ça pourrait être ta main qui se promène sur ton corps. Mais c'est toujours plus grisant que ça soit celle d'un autre parce qu'on ne sait pas ce qu'elle va faire. Va-t-elle effleurer le flanc, jouer avec un téton, caresser un abdominaux ? Serra-t-elle un toucher plein, la main à plat, ou juste un effleurement du bout des doigts ? »

Un gémissement m'échappe. Sa main fait ce que dit sa voix basse et lente, il me guide en douceur et je me sens complètement chavirer. Mes doigts sont crispés sur les bords du tissus et je sens ma verge tendue. Je me rends compte que j'ondule quand sa main descend le long de mon corps, comme si je cherchais ses caresses à un autre endroit. Et quelque chose me dit qu'il n'ira pas. Toucher mon torse est déjà une énorme avancée dans ce que je lâche depuis ce matin alors qu'il aille par là… Mon souffle s'accélère et un soupir de frustration m'échappe. J'ai bien conscience de ce dont j'ai envie et je n'ose pas le dire, j'ai l'impression d'être un dépravé, un pervers et j'en ai honte même si c'est terriblement bon.

« Notre peau est couverte de nerfs, Sanji. Ils te permettent de sentir si je te caresse, si j'appuie bien ma main sur ton corps ou si je le frôle en un souffle… Ils permettent de sentir si je te pince ou si mes ongles griffent doucement ta peau… Ils transmettent l'information de la douleur, et ça ne pose pas de problème de valeur morale. Ils transmettent aussi le plaisir et ça, ça dérange plus. Pourtant c'est le même chemin qui est emprunté. Pourquoi pourrais-je te faire mal mais pas te donner de plaisir ? Pourquoi ne serait-ce autorisé qu'aux femmes de toucher un homme de cette façons ? N'ai-je pas le droit de vouloir être doux avec toi ? De te guider sur un chemin de plaisir différent ? Est-ce ce que fait ma main qui pose un problème ou ce qu'il se passe dans ta tête ? Ton cerveau a-t-il le droit de te priver de ce qui te fait envie si ça ne te nuit pas ?
- Tais toi… touche moi… »

Un gémissement m'échappe encore et il murmure mon nom à mon oreille avant que sa main ne s'oriente de manière plus certaine vers mon bas ventre. Ses doigts effleurent l'élastique de mon boxer et je me tends vers sa main, ondulant contre son torse. J'ai la tête en arrière, les yeux clos, la bouche entrouverte, je m' abandonne à ses caresses. Il hésite, pourquoi ? J'en ai envie, j'accepte ses mots, j'accepte son toucher, j'accepte ses caresses. Alors quoi ? L'une de mes mains lâche le kimono qui glisse le long de mon flanc alors que j'attrape sa nuque. Mes doigts s'emmêlent dans ses longs cheveux défaits si soyeux. Et je me cambre pour lui prendre un baiser. Quand nos lèvres se trouvent, sa main entre en mouvement et un cri de surprise meurt dans ma bouche quand ses doigts s'enroulent sur mon sexe.

Ooooh ! J'en avais tellement envie que je manque de perdre pied à ce simple contact. Mon bassin bouge doucement, exprimant mon désir et il commence à me caresser, à bouger sa main de haut en bas en me tenant fermement. Mes doigts dans son cou se crispent alors que je n'arrive plus à me concentrer sur le baiser que nous échangions. Mes yeux fermement clos, la bouche entrouverte dans un cri muet, le corps cambré vers son contact, je savoure ce qu'il m'offre. Comment est-ce que ça peut être aussi bon ?

Alors qu'il est occupé à me branler avec régularité tout en n'étant pas trop rapide pour ne pas me faire venir trop vite, sa seconde main qui me tenait contre lui, glisse elle aussi sur ma peau. Elle monte à ma gorge et dessine mes lèvres entrouvertes. Puis, elle redescend sur mon ventre pour venir agripper ma cuisse qu'elle griffe légèrement avant de revenir vers mon flanc et se diriger dans mon dos. Je perds le contact et je comprends ce qu'il fait quand un gémissement parvient à mes oreilles. Il se touche aussi. Je sens le mouvement de son bras contre mon dos, au même rythme que ce qu'il imprime sur ma verge. Il se branle en même temps qu'il me donne du plaisir… Et ça m'excite encore plus ! Pourquoi est-ce que je ne trouve pas ça dégueulasse ? Je veux le sentir encore plus et ma seconde main lâche le kimono pour accrocher sa cuisse. Entre ses jambes et sous ses doigts, mon bassin suit son mouvement. Je suis totalement inconscient de combien je m'expose à son regard sous les néons crus des vestiaires.

Je cris, je gémis, je m'agrippe, je me frotte contre lui alors qu'il referme encore plus sa prise sur moi en accélérant le mouvement. Je sens que ses deux mains sont toujours synchrones, il se donne le même plaisir que celui qu'il m'offre et cette harmonie entre nous me paraît être une évidence. Un soupir s'échappe de ses lèvres et son souffle sur mon cou me fait frissonner. Je sens ses dents accrocher la peau près de ma clavicule et ses lèvres se refermer pour aspirer et mordiller mon épiderme. Il va me laisser une marque et ma tête tourne encore plus. Je perds pieds, une chaleur commence à se répandre dans mon corps depuis mon ventre et le plaisir s'empare de moi. J'éjacule dans ses doigts en criant et je l'entends grogner et se tendre contre mon dos… il partage l'orgasme que je ressens.

Mes muscles se relâchent et mes bras retombent. Je suis affalé contre lui, les bras ballants, jambes écartés autours du banc, la bite à l'air et mon propre sperme sur mon ventre. Mes yeux sont toujours clos et mon souffle haletant. J'imagine l'apparence d'abandon total que je dois avoir et je ne veux surtout pas ouvrir les yeux et me voir… je ne veux pas savoir. Il se met à bouger et s'éloigne en m'étendant sur le banc. Je me laisse faire, immobile, j'attends. Va-t-il en profiter, tenter d'aller… plus loin ? La question ne m'apporte plus la même angoisse, probablement parce que je flotte encore dans les restes de ma jouissance… J'entends de l'eau couler puis une serviette humide vient essuyer mon torse. Je remarque qu'il me rhabille, remettant mon boxer comme il faut puis il dépose quelque chose sur mes jambes avant de se pencher vers moi. Il dépose un baiser chaste sur mes lèvres et je réalise que sa respiration n'a pas encore retrouvé tout son calme.

« Merci, Sanji… je t'aime… »

Il dit ces mots dans un souffle et s'éloigne de nouveau. L'eau coule encore, je suppose qu'il nettoie son propre sperme. Je ne sais même pas si son kimono est tâché, j'étais collé à lui, je n'y ai pas pensé. J'avais le tête ailleurs, il faut dire. Et je mets un temps fou à redescendre. Finalement, la voix encore rauque d'avoir crié mon plaisir, je demande :

« Pourquoi est-ce que tu… me remercies.
- Pour m'avoir fait confiance. J'ose supposer que l'abandon dont tu viens de faire preuve n'est pas… dans tes habitudes.
- Il ne l'est pas…
- Est-ce que tu… regrettes ?
- Non. C'était… je ne regrette pas… Mais j'ai l'impression de… te tromper, de… me servir de toi…
- Surtout n'y pense pas, je suis totalement consentant. »

Il rit doucement et revient passer sa main dans mes cheveux et cette caresse m'apporte un bien être incroyable. Et si j'acceptais… juste une fois… juste pour savoir… Je suis toujours sûr de ma décision, cette journée sera unique, sans suite, je ne le reverrai plus. Alors pourquoi pas… une fois… Mais… ça serait lui donner un espoir, le faire souffrir… Et je ne le veux pas. Je ne suis pas si… cruel. N'est-ce pas ? Alors que viens-je de faire, à l'instant ?

« Comment peux-tu être si sûr que tu m'aimes ?
- Ça me travaille depuis plusieurs semaines, déjà… J'ai du mal à penser à autre chose, tu occupes mon esprit tous les jours, tout le temps… C'est pour ça que j'ai voulu… savoir, te rencontrer vraiment… Et tout ce que je découvre de toi ne fait que renforcer ce sentiment. Je suis irrémédiablement totalement fou de toi, Sanji… Et plus le temps passe, plus je sens la panique monter… » j'entends un bruit de casier qui s'ouvre mais je ne bouge toujours pas. « Une part de moi est vraiment heureux d'avoir fait ce choix, d'avoir un peu forcé le destin pour passer ce temps avec toi. Mais l'autre a peur, regrette presque parce que… je pense que je vais te perdre. J'ai l'impression que tu vas disparaître, Sanji. »

J'ouvre doucement les yeux, sa voix m'a donné l'impression de se briser. La lumière m'éblouit, je me redresse et réalise que ce sont mes vêtements sur mes genoux. D'un geste automatique je passe ma chemise en le cherchant du regard. Il a sorti des vêtements nettement plus passe-partout que son kimono. Il a donc du change ici ? Mes yeux s'attardent sur son visage et j'ai l'impression qu'il pleure. Il n'y a pas de larmes sur sa peau mais la tristesse que je lis est éloquente… et me fait douter. Pourquoi le voir souffrir me fait autant mal ? Il tente un sourire moyennement convainquant et demande :

« Tu veux qu'on continue à cuisiner ou on va se balader ?
- Tu en penses quoi ?
- Sanji… si cette journée est la dernière qu'il m'est donné d'avoir avec toi, j'ai juste envie de la passer au lit dans tes bras alors…
- D'accord. »

Il est aussi surpris que moi par mes mots et je tremble un peu en réalisant ce que je viens de dire. Il est certain que si on va chez lui, on ne va pas juste discuter et que ce qu'il vient de se passer n'était qu'un avant goût de ce qu'il a en tête. Est-ce que je viens d'accepter… ça ? Fébrile, je me relève et j'ai un mal de chien à fermer la boucle de ma ceinture tellement mes mains tremblent. Quand je suis prêt, je lui tends son kimono et nos doigts se frôlent et se caressent un instant. Mon regard se trouble, qu'est-ce que je fais ?

« Sanji ?
- Allons-y. »

Vite, avant que je ne change d'avis.