.
Chapitre n°6 :
Provocation
Dessel était absorbé par la difficulté de sa tâche, à peine conscient de son environnement. Ses bras le faisaient souffrir en raison des secousses incessantes du marteau-piqueur hydraulique. En creusant la paroi de la caverne, de petits éclats de roche ricochèrent sur ses lunettes de protection et lui entaillèrent le visage, ainsi que ses mains dénudées. Des nuages de poussière emplissaient l'air et lui masquaient la vue, la plainte stridente du marteau-piqueur envahissait la caverne, étouffant tous les autres sons. Centimètre après centimètre, l'outil forait lentement l'épaisse veine de cortosis qui courait dans la pierre.
Résistant à la chaleur et à l'énergie, le cortosis était très prisé dans la fabrication d'armures et de blindages, à la fois par les sociétés commerciales et par l'armée, notamment avec la galaxie en guerre. Très résistants aux tirs de blasters, les alliages de cortosis pouvaient même supporter la lame d'un sabre-laser. Malheureusement, les propriétés qui le rendaient si précieux faisaient également de son extraction une tâche des plus difficiles. Les torches à plasma se révélaient presque inutiles, car des jours entiers paraissaient nécessaires pour brûler ne serait-ce qu'une petite section de roche veinée de cortosis. La seule méthode efficace était de l'extraire en utilisant la force brute de marteaux-piqueurs hydrauliques martelant sans cesse les veines afin d'en extraire le cortosis morceau par morceau.
La force des coups répétés endommageait rapidement les têtes des marteaux-piqueurs, et les émoussait jusqu'à les rendre inutilisables. La poussière de roche encrassait les pistons hydrauliques et finissait par les bloquer. L'extraction du cortosis était éprouvante pour le matériel... et plus encore pour les mineurs.
Dess travaillait sans relâche depuis presque six heures standard. Le marteau-piqueur pesait plus de trente kilos, et l'effort qu'impliquait de le soulever et de le presser contre la paroi rocheuse amenuisait progressivement ses forces. Ses bras tremblaient de fatigue. Ses poumons recherchaient l'air, et les petits nuages de poussière minérale que libérait la tête du marteau le faisaient tousser. Même ses dents lui faisaient mal, les vibrations et les chocs lui donnaient la sensation qu'elles allaient bientôt se déchausser.
Mais les mineurs d'Apatros étaient rémunérés en fonction de la quantité de cortosis extraite. Si Dess s'arrêtait maintenant, un autre mineur le remplacerait aussitôt en s'attaquant à la même veine... et ce dernier s'emparerait d'une part de ses bénéfices.
Or, Dess n'aimait pas partager.
La plainte du compresseur du marteau-piqueur se fit plus aiguë et se transforma en un gémissement perçant que Dess ne connaissait que trop bien. La seule façon d'enrayer le problème aurait été de le nettoyer et de le réviser régulièrement, mais la Compagnie Minière de la Bordure Extérieure préférait acheter du matériel bon marché et le remplacer, plutôt que de perdre des crédits dans l'entretien. Dess savait donc exactement ce qui allait se produire... et la suite des événements lui donna raison.
Le compresseur explosa une seconde plus tard.
La partie hydraulique émit un horrible grincement et l'arrière du marteau-piqueur cracha un nuage de fumée. Maudissant la COMBE et sa politique, Dess relâcha son effort et laissa choir l'outil désormais hors d'usage sur le sol.
- Bouge de là, gamin, lui lança une voix.
Gerd, un des autres mineurs, s'avança et tenta d'écarter Dess d'un coup d'épaule afin de se mettre au travail sur la veine avec son propre marteau-piqueur. Gerd œuvrait dans les mines depuis bientôt vingt années standard, et ce dur labeur avait transformé son corps en une masse compacte de muscles noueux.
Mais Dess travaillait lui-même dans la mine depuis l'adolescence, et il était tout aussi robuste que son aîné – et même un peu plus grand. Il ne bougea pas.
- Je n'en ai pas terminé ici, déclara Dess. Mon marteau est mort, c'est tout. Passe-moi le tien pour que je bosse encore un peu.
- Tu connais le règlement, gamin. Si tu t'arrêtes de bosser, quelqu'un d'autre peut prendre ta place.
En théorie, Gerd avait raison. Mais personne ne profitait jamais d'une telle aubaine en raison d'une panne de matériel.
À moins que cette personne ne cherche la bagarre.
Dess jeta un coup d'œil autour de lui. La caverne était vide, à l'exception des deux mineurs qui se tenaient à cinquante centimètres à peine l'un de l'autre. Rien d'étonnant à cela, car Dess choisissait généralement des cavernes éloignées du réseau de tunnels principal. Gerd n'était pas là par hasard.
Pour autant qu'il s'en souvienne, Dess connaissait Gerd depuis toujours. Cet homme, dans la quarantaine, avait été ami avec Hurst. Lorsque Dess avait commencé à travailler dans les mines, les autres mineurs l'avaient souvent maltraité. Si son père avait été le pire de tous ses tortionnaires, Gerd s'était révélé l'un des principaux instigateurs en dirigeant maintes railleries, insultes et bagarres contre Dess.
Leur harcèlement avait cessé peu de temps après le décès de Hurst, foudroyé par une violente crise cardiaque. Ils n'avaient pas renoncé en raison d'une quelconque tristesse à l'égard du jeune orphelin.
Lorsque Hurst avait trouvé la mort, le mince et grand adolescent qu'ils aimaient brutaliser s'était transformé en une montagne de muscles aux mains puissantes et au tempérament violent. Le métier de mineur était extrêmement pénible, presque autant que les travaux imposés aux forçats dans les colonies pénitentiaires de la République. Toute personne travaillant dans les mines d'Apatros développait une carrure impressionnante – et Dess était devenu le plus imposant d'entre eux.
Une demi-douzaine de coquard, d'innombrables nez en sang et une mâchoire brisée en l'espace d'un mois suffirent à faire comprendre aux vieux amis de Hurst que le temps où ils l'importunaient était révolu.
Ils lui reprochaient presque la mort de son père, et il arrivait que l'un d'entre eux tente à nouveau de le brutaliser de temps à autre. Gerd s'était toujours montré suffisamment intelligent pour garder ses distances... jusqu'à maintenant.
- Je ne vois aucun de tes amis dans les parages, vieil homme, lui lança Dess. Alors, arrête ça tout de suite et personne ne sera blessé.
Gerd cracha par terre, aux pieds de Dess.
- Tu n'as même pas la moindre idée du jour qu'on est, hein, gamin ? Tu devrais te sentir foutrement honteux !
Ils étaient maintenant si proches que Dess pouvait sentir l'haleine chargée de whisky corellien de Gerd, une odeur des plus aigres. L'homme était ivre. Suffisamment pour venir chercher la bagarre, mais pas assez pour engager le combat.
- Ça fait cinq ans aujourd'hui, déclara Gerd en secouant la tête avec tristesse. Cinq ans que ton père est mort, et tu ne t'en souviens même pas !
En effet, Dess ne pensait plus que très rarement à son père. Il n'avait pas été attristé par sa disparition. Ses souvenirs les plus anciens évoquaient la brutalité et les coups de son père. Il ne se souvenait même pas des raisons pour lesquelles son père le frappait ainsi. De toute manière, Hurst avait rarement besoin d'une véritable raison pour le brutaliser.
- Visiblement, je ne peux pas dire que Hurst me manque autant qu'à toi, Gerd.
- Hurst ? grogna Gerd. Il t'a élevé seul après la mort de ta maman, et tu n'arrives même pas à l'appeler papa ? Espèce de sale rejeton de Kath ingrat !
Dess foudroya Gerd du regard, mais ce dernier était trop imbibé d'alcool et trop indigné pour se laisser intimider.
- Ça ne m'étonne pas de la part d'un sale morveux comme toi, poursuivit Gerd. Hurst répétait sans cesse que tu étais un bon à rien. Il savait que quelque chose clochait chez toi... Bane.
Dess plissa les yeux, sans toutefois mordre à l'hameçon. Hurst l'appelait ainsi lorsqu'il était saoul. Bane. Le fléau. Il lui avait toujours reproché la mort de sa femme... et le fait d'être cloué sur Apatros. Il considérait son unique enfant comme le fléau de sa propre existence, une chose qu'il avait l'habitude de vociférer au cours de ses colères d'ivrogne.
Bane. Ce terme représentait toute la rancune, la malveillance et la méchanceté que lui vouait son père. Et il touchait au cœur même de toutes les peurs enfantines : la peur de la déception, la peur de l'abandon, la peur de la violence.
Lorsqu'il était enfant, ce simple mot lui faisait bien plus mal que tous les coups que lui infligeaient les poings musclés de son père.
Mais Dess n'était plus un enfant. Il avait appris à ignorer ce mot avec le temps, tout comme les paroles haineuses qui sortaient de la bouche de Hurst.
- Je n'ai pas de temps à perdre, grommela Dess. J'ai du pain sur la planche.
D'une main, il se saisit du marteau-piqueur de Gerd, et posa son autre main sur son épaule pour le repousser. Le mineur ivre recula en titubant, avant de se prendre les pieds dans une pierre et de tomber violemment par terre.
Il se releva en grondant, les poings serrés.
- Ça fait bien trop longtemps que ton papa est parti, gamin. Tu as besoin que quelqu'un te fasse la leçon !
Gerd avait beau être ivre, Dess comprit qu'il n'était pas fou. Dess était plus grand, plus fort, plus jeune... mais il avait passé les six dernières heures à creuser la roche. Il était couvert de saleté, et son visage dégoulinait de sueur. Sa chemise était trempée. La tenue de Gerd, quant à elle, était encore relativement propre : ni crasse, ni trace de transpiration. Il avait dû prévoir cette rencontre depuis le début de la journée, et s'était reposé pendant que Dess s'épuisait au travail.
Mais Dess n'allait pas déclarer forfait. Il jeta le marteau-piqueur de Gerd au sol et se voûta, les jambes écartées et les poings tendus devant lui.
