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Chapitre n°7 :
Sans même un remords
Gerd le chargea sans attendre, et lui décocha un violent uppercut. Dess tendit sa main gauche et sa paume absorba le coup. De son autre main, il saisit Gerd sous le poignet droit, le tira à lui et le frappa à la poitrine avec un coup d'épaule. Utilisant la force de son adversaire, Dess se redressa subitement et tira d'un coup sec sur le poignet de Gerd, le projetant en l'air avant de retomber au sol sur le dos.
Le combat aurait dû se terminer ainsi, Dess se baissant pour presser son genou contre la poitrine de son adversaire, lui coupant le souffle et l'immobilisant à terre, tout en le martelant de ses poings. Pourtant, il n'y parvint pas. Son dos, malmené après avoir soulevé pendant des heures le marteau-piqueur, l'élança subitement.
La douleur s'avéra insupportable. Dess se redressa instinctivement, ses doigts pressant ses muscles lombaires noués. Gerd en profita pour rouler au sol et se relever.
Dess parvint néanmoins à reprendre sa position initiale, les jambes écartées, les poings tendus. Son dos hurla en signe de protestation, et il se tordit de douleur, comme si des pics lui vrillaient le corps. Gerd vit sa grimace et s'esclaffa.
-Des crampes, mon garçon ? Tu ne devrais pas te battre après six heures de boulot.
Gerd le chargea une nouvelle fois. Il ne serra pas les poings et choisit plutôt de porter une attaque plus directe sur son adversaire, en le griffant et en l'entravant. Dess tenta de reculer tant bien que mal, mais ses jambes étaient trop raides et courbaturées pour y parvenir. Une main le saisit à la chemise, l'autre à la ceinture, et Gerd l'entraîna au sol, les deux hommes tombant à terre.
Ils luttèrent, leurs deux corps enchevêtrés sur le sol de pierre inégal de la caverne. Gerd enfonça son visage dans la poitrine de Dess pour se protéger et l'empêcher de lui lancer un coup de coude ou un coup de tête. Une main toujours agrippée à sa ceinture, Gerd frappait à l'aveuglette à l'endroit où devait se trouver le visage de Dess. Ce dernier approcha ses bras de ceux de Gerd pour l'empêcher de lui porter la moindre attaque.
Leurs membres ainsi immobilisés, toute stratégie ou technique de combat paraissait bien inutile. Leur combat s'était transformé en une épreuve de force et d'endurance, les deux adversaires s'épuisant l'un contre l'autre peu à peu. Dess tenta de faire rouler Gerd sur le dos, mais son corps épuisé le trahit une nouvelle fois. Ses membres étaient lourds et gourds, et il ne parvint pas le retourner. Gerd réussit cependant à libérer une de ses mains alors que son visage était toujours pressé contre la poitrine de Dess.
Ce dernier n'eut pas la même chance... son visage se retrouva exposé, à la portée du moindre coup. Gerd le frappa de sa main libre sans fermer le poing. À la place, il enfonça son pouce dans la joue de Dess, à quelques centimètres à peine de sa véritable cible. Il recommença, cherchant à aveugler son adversaire.
Dess finit par comprendre ce qui se passait, son esprit fatigué étant aussi lent et maladroit que son corps. Il se détourna juste à temps, le pouce de Gerd s'enfonça violemment dans le cartilage supérieur de son oreille.
Une rage sourde envahit Dess, une explosion de passion non contenue qui dépassa toute fatigue physique et mentale. Il recouvrait progressivement ses esprits. Il se sentit à nouveau fort et solide, et sut ce qu'il devait faire. Le plus important, c'était qu'il comprit également ce que Gerd était sur le point de faire, lui aussi.
Il ne pouvait expliquer comment il savait une telle chose. Parfois, il parvenait à anticiper l'action d'un adversaire. Certains auraient appelé cela de l'instinct. Dess sentait cependant qu'il s'agissait là d'une toute autre chose. Cette sensation était bien trop précise – bien trop spécifique – pour n'être qu'une simple intuition. Cela ressemblait davantage à une vision, à un bref aperçu du futur. Et lorsque Dess la ressentait, il savait toujours comment réagir, comme si quelque chose le guidait, dirigeait ses actions.
Lorsque Gerd l'attaqua à nouveau, Dess était fin prêt. Il anticipa précisément l'attaque du vieux mineur, sachant parfaitement quand et où Gerd allait frapper. Il tourna la tête dans la direction de son adversaire... et ouvrit la bouche. Il la referma avec rage au moment précis où Gerd approchait son poing, et ses dents s'enfoncèrent profondément dans son pouce crasseux.
Gerd cria de douleur, les dents de Dess sectionnant ses tendons et frôlant l'os. Dess se demanda s'il pouvait lui trancher le doigt de cette façon et, son interrogation se transformant en action, il coupa le pouce de Gerd.
Les cris du mineur se transformèrent en hurlements, tandis qu'il se retirait et s'écartait de Dess en roulant sur le sol. Sa main valide se referma sur son membre mutilé. Un flot de sang s'écoula entre ses doigts, sa main libre tentant de le contenir.
Dess se releva lentement et cracha le pouce par terre. Le goût du sang de son adversaire imprégnait sa langue et son palais. Il sentit son corps revigoré, comme si une grande force coulait dans ses veines. Son adversaire avait perdu toute véhémence combative. Dess pouvait maintenant faire ce qu'il voulait de Gerd.
Ce dernier se tortillait au sol, sa main mutilée pressée contre sa poitrine. Il gémissait et sanglotait, suppliant Dess de l'aider et de se montrer miséricordieux.
Dess secoua la tête avec dégoût. Gerd était entièrement responsable de son sort. Le combat avait commencé comme une simple bagarre. Le perdant aurait dû s'en tirer avec un coquard et quelques ecchymoses, rien de plus. Mais le vieux mineur avait fait basculer le combat en tentant de l'aveugler, et Dess s'était défendu. Il savait depuis longtemps qu'il ne fallait jamais intensifier la violence d'un combat – à moins d'être prêt à payer le prix fort si d'aventure il venait à perdre. Gerd venait aujourd'hui de l'apprendre à ses dépens.
Assurément, Dess avait du tempérament, mais il n'était pas homme à frapper un adversaire sans défense. Sans un regard pour le vieux mineur vaincu, il quitta la caverne et remonta le tunnel pour avertir l'un des chefs d'équipe des événements et dépêcher quelqu'un afin de soigner la blessure de Gerd. Ainsi, il ne pourrait pas être accusé de non-assistance à personne en danger, si Gerd était découvert vivant par quelqu'un d'autre.
Dess ne se souciait pas des conséquences. Les médecins réussiraient à rattacher le pouce de Gerd, et lui-même serait condamné à payer une amende d'un montant équivalent à un ou deux jours de travail. La compagnie minière ne se préoccupait pas vraiment du comportement de ses ouvriers, tant que ces derniers venaient chaque jour extraire le cortosis. Les bagarres étaient coutumières entre mineurs, et la COMBE fermait presque toujours les yeux, peu importe que le combat ait été plus brutal que les autres et qu'il se soit achevé d'une façon plus sanglante.
L'existence était ainsi faite sur Apatros.
