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Chapitre n°8 :

Conséquences


Assis à l'arrière du véhicule qui transportait les mineurs depuis les mines jusqu'à la seule ville d'Apatros, Dess se sentait épuisé. Il ne désirait qu'une seule chose : rejoindre sa couchette dans les logements miniers, et dormir. L'adrénaline du combat l'avait quitté, et il était désormais pleinement conscient de la raideur de son corps endolori. Il se laissa aller dans son siège et balaya du regard l'intérieur du speeder.

En temps normal, vingt autres mineurs auraient dû s'entasser à ses côtés, mais exception faite du conducteur et de lui-même, le véhicule était vide.

Après son altercation avec Gerd, le chef d'équipe avait immédiatement suspendu Dess sans compensation financière, et avait donné l'ordre au pilote du transporteur de le ramener à la colonie.

- Ces bagarres se sont trop souvent répétées, lui avait déclaré le contremaître en fronçant les sourcils. Cette fois-ci, nous allons te punir pour l'exemple. Tu ne pourras revenir travailler à la mine que lorsque Gerd sera guéri et de retour, lui aussi.

Ce qui signifiait, en fin de compte : Tu ne toucheras aucun crédit jusqu'au retour de Gerd. Mais il devrait bien évidemment continuer de payer sa pension à la compagnie.

Chaque journée à ne rien faire augmentait sa note, et s'ajoutait à la dette qu'il tentait désespérément d'effacer en travaillant dur.

Dess estimait devoir attendre quatre ou cinq jours avant que Gerd puisse à nouveau utiliser un marteau-piqueur hydraulique. Le médecin de la compagnie avait probablement rattaché le pouce à l'aide d'un vibroscalpel et de peau synthétique. Quelques journées d'injection de kolto et de prise de médicaments antalgiques bon marché permettraient de le remettre d'aplomb.

Des soins au bacta auraient pu le soigner en une journée seulement, mais le bacta coûtait cher et la COMBE n'y avait pas recours, à moins que Gerd ne possède une assurance... ce dont Dess doutait grandement.

La plupart des mineurs ne se préoccupaient jamais des polices d'assurance proposées par la compagnie. Tout d'abord, elles étaient onéreuses. Avec la pension complète et le coût des transports entre la colonie et la mine, ils reversaient déjà suffisamment de leur paie si durement gagnée à la COMBE, sans devoir encore y ajouter le coût de l'assurance.

Mais il ne s'agissait pas uniquement d'une question d'argent. C'était comme si les hommes et les femmes qui travaillaient dans les mines de cortosis refusaient d'admettre les dangers auxquels ils étaient exposés chaque jour. Contracter une assurance les contraindrait à regarder la vérité en face.

Peu de mineurs atteignaient l'âge béni de la retraite. Les tunnels ôtaient la vie d'un grand nombre d'entre eux, retenant leurs corps prisonniers dans des éboulements, ou bien en les brûlant vifs lorsqu'ils venaient à rencontrer une poche de gaz explosif dans la roche. Et même ceux qui parvenaient à sortir des mines et à accéder à la retraite ne survivaient pas très longtemps. Les mines ébranlaient sérieusement leur santé. Des hommes de soixante ans en paraissaient quatre-vingt-dix, leurs corps brisés par des décennies de dur labeur et d'exposition aux polluants qui s'insinuaient à travers les filtres de médiocre qualité de la COMBE.

Lorsque Hurst mourut – en ne possédant, évidemment, aucune assurance –, Dess reçut pour seul héritage les dettes contractées par son père au cours de son existence de misère. Hurst avait davantage passé son temps à boire et à jouer qu'à travailler dans les mines. Pour payer sa pension complète, il avait souvent été contraint de souscrire des crédits à la COMBE à un taux d'intérêts qui aurait été considéré comme criminel partout ailleurs que dans la Bordure Extérieure.

Ses dettes s'étaient accumulées, mois après mois, année après année, et Hurst n'avait pas semblé s'en soucier. Il était père célibataire, élevait un fils à l'égard duquel il ne nourrissait que du ressentiment, était prisonnier d'un emploi misérable qu'il méprisait, et avait abandonné tout espoir de quitter Apatros de nombreuses années avant que sa crise cardiaque ne le foudroie.

Hurst, ce rejeton de Hutt, se serait probablement satisfait de savoir que son fils haï avait hérité de ses dettes.

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~oOo~

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À l'exception du vrombissement incessant des moteurs, le véhicule filait sans bruit sur les plaines rocailleuses et désolées de la petite planète. Le paysage désert et monotone défilait rapidement par la fenêtre, et se transforma bientôt en un voile grisâtre informe. L'effet s'avéra même hypnotique. Dess sentit son corps et son esprit épuisés s'impatienter de sombrer dans un profond sommeil.

C'était de cette façon que la COMBE parvenait à ses fins. En vous faisant travailler jusqu'à l'épuisement, engourdissant vos sens et votre esprit pour vous soumettre... jusqu'à ce que vous acceptiez votre sort et gâchiez votre vie dans la crasse et la poussière des mines. Et tout cela pour servir la COMBE. Il s'agissait cependant d'un piège étonnamment efficace, qui fonctionnait très bien avec des hommes comme Gerd ou Hurst.

Mais Dess refusait de se laisser piéger de la sorte.

Malgré la dette colossale de son père, il savait qu'il parviendrait un jour à rembourser la COMBE pour quitter cette existence de misère. Il semblait destiné à mener une vie bien différente de celle-ci, petite et insignifiante. Il en était persuadé, et cette certitude lui donnait la force de persévérer, en dépit du caractère pénible et parfois désespérant de ce travail. Cela lui donnait la force de se battre – même lorsqu'une partie de lui-même souhaitait abandonner.

Pour le moment, il était suspendu et ne pouvait travailler à la mine, mais il existait d'autres moyens de gagner des crédits. Il lutta farouchement contre la somnolence et se força à se lever de son siège.

Le sol tangua sous ses pieds, le speeder réajustant constamment son altitude de croisière à cinquante centimètres du sol. Il lui fallut un court instant pour s'accoutumer au roulis incessant du véhicule, puis il s'avança vers le conducteur en titubant à moitié entre les deux rangées de sièges. Il ne reconnut pas le pilote, mais tous se ressemblaient : des traits sévères, des yeux ternes et une expression qui semblait dire qu'ils souffraient d'un mal de tête épouvantable.

- Salut, lança Dess en adoptant un ton nonchalant. De nouveaux arrivants dans le spatioport aujourd'hui ?

Le pilote n'avait aucune raison véritable de fixer son attention sur la route. Le voyage de quarante minutes entre les mines et la colonie était une simple ligne droite traversant une plaine déserte – certains pilotes en profitaient même parfois pour faire la sieste. Celui-ci refusa cependant de se tourner vers Dess pour lui répondre.

- Un vaisseau-cargo s'est posé il y a quelques heures, répondit-il d'une voix pleine d'ennui. Un vaisseau militaire de la République.

- Et ils restent longtemps ? demanda Dess en souriant.

Le pilote ne répondit pas, se contentant de grogner et de secouer la tête devant la stupidité de la question. Dess opina du chef et repartit en titubant vers son siège à l'arrière du transporteur. Il connaissait lui aussi la réponse.

Le cortosis était utilisé dans la fabrication de toutes les coques, que ce fut celle des chasseurs comme celle des gros vaisseaux de guerre, mais aussi dans celle des armures des soldats. La guerre contre les Sith s'éternisant, la République avait un besoin permanent de cortosis. Toutes les deux ou trois semaines, un vaisseau-cargo se posait donc sur Apatros. Il repartait le jour suivant, ses soutes remplies du précieux minerai.

Dans l'intervalle, l'équipage – officiers comme simples soldats – n'avait rien d'autre à faire que d'attendre. De son expérience passée, Dess savait que ces soldats qui avaient quelques heures à tuer aimaient généralement jouer aux cartes.

Et quelque soit le lieu où ce déroulaient ces parties, il y avait toujours de l'argent à se faire.

Se laissant une nouvelle fois aller dans son siège, Dess décida qu'il n'était peut-être pas encore temps pour lui d'aller se coucher.

Lorsque le véhicule finit par atteindre les abords de la colonie, le corps tout entier de Dess était parcouru de petits picotements d'excitation. Il se dirigea d'un pas nonchalant vers son logement, en réprimant son impatience et son désir de courir. Il s'imaginait déjà les soldats et leurs crédits aux tables de jeu dans la seule cantina de la colonie.

Cela ne servait cependant à rien de s'y précipiter. L'après-midi touchait à sa fin, et le soleil commençait à se coucher au nord. À cette heure, la plupart des mineurs de l'équipe de nuit étaient réveillés. La majorité d'entre eux se trouvait déjà à la cantina pour passer le temps en attendant de rejoindre les mines. Durant les deux prochaines heures, Dess savait qu'il lui serait difficile de trouver une place assise, notamment aux tables de pazaak et de sabacc. Et il lui faudrait encore attendre plusieurs heures avant le retour de l'équipe de jour. Dess serait alors à la cantina bien avant eux.

Arrivé dans sa chambre, il retira son bleu de travail crasseux et couvert de sang pour pénétrer dans les douches communes désertes, où il se débarrassa de la sueur et de la poussière de roche qui lui collaient à la peau. Il enfila des vêtements propres, et se dirigea lentement vers la cantina qui se trouvait à l'autre bout de la ville.