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Chapitre n°9 :

Une soirée à la cantina


En traversant les quelques centaines de mètres qui séparaient les abords de la colonie de la porte de la cantina, Dess entendit de plus en plus distinctement les bruits de l'établissement : la musique forte, les rires, les bavardages et les tintements de verres. Il était presque 16 heures désormais. L'équipe de jour allait bientôt rentrer, mais la cantina était encore bondée de mineurs de l'équipe de nuit qui désiraient boire un verre ou dîner avant de prendre les navettes en direction des mines.

En entrant, Dess ne reconnut personne – les équipes de jour et de nuit se croisaient rarement. Les clients étaient principalement humains, mais il y avait aussi quelques Twi'leks, Sullustains et Céréens ici et là. Dess fut surpris d'y voir également un Rodien. L'équipe de nuit était visiblement plus tolérante à l'égard des aliens que celle de jour.

La cantina ne recourait aux services d'aucune serveuse ou danseuse. Groshik était l'unique employé. Quiconque désirant boire un verre devait se diriger vers l'imposant bar, au fond de l'établissement, pour passer sa commande.

Dess se fraya un chemin au milieu des clients. Groshik l'aperçut et disparut un bref instant derrière son bar, avant de réapparaître avec une chope de bière Gizer à la main.

- Tu arrives bien tôt, aujourd'hui, lui dit Groshik en posant lourdement la chope sur le comptoir.

Sa voix grave et râpeuse était difficilement perceptible dans le vacarme de la cantina. Il avait un ton guttural comme s'il parlait uniquement en émettant des raclements de gorge.

Dess ne savait pas pourquoi, mais le Neimoidien l'aimait bien. Peut-être parce qu'il le connaissait depuis l'adolescence – à moins qu'il ne soit désolé que Dess ait eu à subir un père aussi minable.

Quelle que soit la raison, il existait un arrangement de longue date entre les deux individus : Dess ne payait pas sa consommation si Groshik lui versait un verre spontanément.

Dess accepta donc la bière avec gratitude et la but à grandes gorgées.

- J'ai eu quelques ennuis avec Gerd, répondit-il finalement en s'essuyant les lèvres. Je lui ai arraché le pouce, alors ils m'ont libéré plus tôt.

Groshik pencha la tête sur le côté et posa ses gros yeux rouges sur le mineur. L'expression revêche de son visage à moitié amphibien ne s'altéra pas. En revanche, son corps fut agité par un léger tremblement.

Dess le connaissait suffisamment pour comprendre qu'il riait.

- C'est mérité, déclara Groshik d'une voix rauque en remplissant de nouveau la chope.

Cette fois, Dess ne siffla pas son verre comme le précédent. Groshik lui en offrait rarement un second, et il ne désirait pas abuser de la générosité du patron.

Il reporta son attention sur la clientèle. Les visiteurs de la République étaient aisément reconnaissables : quatre humains (deux hommes et deux femmes) et un Ithorien, vêtus d'uniformes impeccables de la Marine. Ce n'était toutefois pas uniquement leur tenue qui permettait de les distinguer au milieu de la cantina, mais également leur attitude. Ils se tenaient tous bien droits, alors que la plupart des mineurs avaient tendance à se tenir voûtés comme s'ils portaient un lourd fardeau.

Dans un coin de la salle principale, un petit espace était séparé par une cordelette du reste de la cantina. C'était le seul endroit où Groshik ne pouvait pas intervenir. La COMBE autorisait les paris sur Apatros, mais elle s'occupait seule des tables de jeu. Officiellement, c'était pour empêcher toute tricherie, mais tout le monde savait que la véritable préoccupation de la compagnie minière était de garder un contrôle sur les paris. Elle ne voulait pas qu'un de ses employés gagne tellement qu'il soit en mesure de rembourser ses dettes en une seule soirée. En limitant au minimum les paris, la COMBE s'assurait qu'il était plus intéressant pour un mineur de travailler à l'extraction du cortosis plutôt que de miser aux tables de jeu.

Dans cette section des jeux, se trouvaient quatre autres soldats de la Marine en uniforme, ainsi qu'une douzaine de mineurs. Une Twi'lek avec le grade de quartier-maître jouait au pazaak. Un jeune sous-officier de deuxième classe était assis à une table de sabacc, et s'adressait à tous ceux qui l'entouraient d'une voix forte – mais ces derniers ne paraissaient cependant pas l'écouter. Deux autres officiers (deux humains, un homme et une femme) se tenaient à la même table. La femme portait le grade de lieutenant, et l'homme de capitaine de frégate.

- Je vois que tu as remarqué nos recruteurs, grommela Groshik.

La guerre contre les Sith – même si ce n'était, officiellement, qu'une série de combats militaires prolongés – avait constamment besoin de jeunes élèves officiers enthousiastes pour rejoindre ses premières lignes. Pour une raison inconnue, la République s'attendait toujours à ce que les habitants des mondes de la Bordure Extérieure sautent sur l'opportunité pour les rejoindre. À chaque fois qu'une unité de l'armée visitait Apatros, les officiers tentaient de recruter de nouveaux soldats. Ils offraient quelques verres, et en profitaient généralement pour parler de la vie héroïque et glorieuse des soldats de la République. Ils insistaient parfois sur la brutalité des Sith, ou ils promettaient une meilleure existence au sein de l'armée, tout en affichant une attitude amicale et bienveillante à l'égard des habitants de la planète visitée, dans l'espoir d'en recruter quelques uns.

Dess soupçonnait ces officiers de recevoir une sorte de prime à chaque fois qu'une nouvelle recrue s'engageait. Malheureusement pour eux, ils ne trouveraient pas beaucoup de volontaires sur Apatros. La République n'était pas très populaire dans la Bordure car ses habitants, Dess y compris, savaient que les Mondes de Noyau exploitaient les petites planètes éloignées comme Apatros pour leur propre profit. Les Sith, en revanche, possédaient de nombreux partisans anti-République à la périphérie de l'espace civilisé, ce qui expliquait que leurs rangs ne cessaient de grossir dans cette guerre interminable.

En dépit de leur mécontentement envers les Mondes du Noyau, les habitants de la Bordure auraient pu accepter de rejoindre leurs rangs si les recruteurs de la République n'étaient pas si prompts à obéir aux ordres. Quiconque désirait quitter Apatros et échapper aux griffes de la COMBE devait régler un autre problème : les dettes contractées auprès de la compagnie n'étaient pas annulées, même pour les nouvelles recrues protégeant la galaxie de la menace Sith. Si un individu devait de l'argent à une compagnie légitime, la flotte de la République versait son solde à cette dernière jusqu'à ce que ses dettes soient complètement remboursées.

Et peu de mineurs s'enthousiasmaient à l'idée de rejoindre l'armée et de devoir livrer bataille pour ne toucher finalement aucune rémunération.

Certains mineurs méprisaient les officiers et leurs beaux discours qui incitaient de jeunes hommes et femmes naïfs à se joindre à leur cause. Mais cela ne dérangeait pas Dess. Tant qu'ils jouaient aux cartes, il acceptait de les écouter jacasser toute la nuit. C'était un maigre prix à payer pour s'emparer de leurs crédits.

Son impatience à les rejoindre devait se voir sur son visage, car Groshik l'interpella.

- Tu savais qu'un équipage de la République allait se poser ici ? C'est pour ça que tu t'es battu avec Gerd pour rentrer plus tôt ?

- Non, répondit Dess en secouant la tête. C'est une simple coïncidence. Et que déclament-ils, cette fois ? La gloire de la République ?

- Non, ils essayent de nous prévenir des dangers et des horreurs de la Confrérie des Ténèbres, déclara Groshik d'un ton neutre. Et ça ne se passe pas vraiment bien.

En matière de politique, le propriétaire de la cantina gardait ses opinions pour lui. Ses clients étaient libres de parler de tout, mais Groshik refusait toujours de prendre position – et cela, même si leurs discussions devenaient houleuses.

Un mineur s'approcha du bar en jouant des épaules et commanda un verre. Comme Groshik s'éloignait, Dess se retourna pour observer la zone de jeux. Aucun siège n'était libre à la table de sabacc, et il devrait se contenter d'un rôle de spectateur pour le moment.

Une longue heure durant, il étudia les parties et les paris des joueurs, en s'intéressant notamment aux officiers. Ils étaient généralement meilleurs que les soldats, probablement parce qu'ils avaient davantage de crédits à perdre.

Sur Apatros, les règles du sabacc étaient une sorte de variante de la version de Bespin. Les règles de base étaient tout aussi simples : se constituer une main la plus proche possible de vingt-trois points, sans toutefois les dépasser. À chaque tour, un joueur devait miser pour rester en jeu, ou se coucher. Les joueurs qui choisissaient de continuer pouvaient tirer une nouvelle carte, en défausser une ou la placer dans le champ d'interférence pour figer sa valeur.

Le sabacc n'était pas un simple jeu de hasard. Il nécessitait de la stratégie et du style, et il fallait savoir à quel moment bluffer et quand se coucher, ainsi que s'adapter aux valeurs des cartes qui changeaient sans cesse. Il était aussi largement possible de déceler la nature d'un joueur rien qu'en l'observant : trop prudent, ou bien trop incisif ?

Par exemple, le sous-officier était clairement novice au sabacc. Au lieu de se coucher, il continuait de jouer malgré ses mains plutôt faibles. Il ne se satisfaisait pas de ses bonnes cartes pour ramasser la cagnotte de mise. De ce fait, il obtenait constamment des « bombes » et devait payer des pénalités, mais cela ne semblait pas ralentir ses paris.

Il possédait davantage de crédits que de bon sens, une chose qui convenait parfaitement à Dess.

Pour être un savant joueur de sabacc, il fallait savoir contrôler une table. Dess comprit rapidement que le capitaine de frégate faisait partie de ceux-là. Il savait miser gros et contraindre les autres joueurs à se coucher avec des mains gagnantes. Dess dut admettre, en l'observant, que le capitaine était bien meilleur que la plupart des joueurs de la République qui visitaient Apatros. En dépit de son apparence charmante, il se montrait impitoyable et remportait cagnotte après cagnotte.

Dess avait cependant un bon pressentiment. Parfois, il était simplement persuadé qu'il ne pouvait pas perdre ce soir. Cette nuit, il allait gagner... et gagner gros.

Un des mineurs poussa un grognement à la table de jeu.

- C'est fini pour moi, déclara-t-il en reculant. Je suis raide !

- Voilà l'occasion pour toi de joueur, murmura Groshik en versant un nouveau verre à Dess. Bonne chance.

Je n'en aurai pas besoin ce soir, pensa-t-il. Il traversa la cantina, et franchit la cordelette en nanosoie pour entrer dans la salle de jeux contrôlée par la COMBE.