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Chapitre n°11 :

Propagande Républicaine


- Alors, que disent les cartes aujourd'hui, sous-officier ? demanda une jeune femme au soldat que Dess venait tout juste de battre.

Elle prit place à ses côtés et posa une chope de bière corellienne devant lui.

- C'est pas génial, admit le sous-officier alors qu'un grand sourire se dessinait sur son visage au moment de troquer sa chope vide contre celle pleine. Je te payerai ce verre plus tard. Je n'ai pas eu beaucoup de chance cette nuit.

Il hocha la tête en direction de Dess.

- Fais attention à celui-là, il est aussi bon que le capitaine. Ou alors, il triche...

Il sourit rapidement pour indiquer que sa remarque n'était qu'une plaisanterie imbécile de plus. Dess l'ignora, car ce n'était pas la première fois qu'on l'accusait de tricher. Il savait que son étrange perspicacité lui conférait un certain avantage face aux autres joueurs. Si ce don était peut-être injuste, il ne le considérait pas pour autant comme une tricherie. Il ne savait pas ce qui allait se passer à chaque tour, il ne contrôlait pas son don. Il était simplement suffisamment astucieux pour savoir employer une vision lorsqu'elle lui apparaissait.

Le CardShark distribua des jetons aux nouveaux venus, et leur adressa un « bonne chance » pour la forme.

- Il semblerait que tu ne t'entendes pas très bien avec les autres mineurs, déclara la lieutenant en poursuivant la conversation précédente. Tu as déjà pensé à changer de métier ?

Dess grogna intérieurement. Lorsqu'il s'était joint à la table de jeu des officiers, ces derniers avaient abandonné leur baratin de recruteurs et s'étaient principalement intéressés à jouer au sabacc. Il venait maintenant de leur offrir une occasion de recommencer.

- Je ne suis pas intéressé par une carrière militaire, rétorqua-t-il en misant pour ouvrir le jeu.

- Ne sois pas aussi tranché, lui déclara-t-elle d'une voix subitement apaisante. La carrière de soldat de la République possède des avantages. Je suppose du moins que c'est un métier préférable au travail dans les mines.

- Une galaxie toute entière t'ouvre les bras, mon garçon, ajouta le capitaine. Et si mon propos ne te dérange pas, des mondes bien plus attirants que celui-ci.

Comme si je ne le savais pas, pensa Dess.

- Je ne projette pas de passer ma vie entière sur cette planète, rétorqua-t-il finalement. Mais lorsque je quitterai ce rocher, ce ne sera pas pour passer le reste de mon existence à éviter les tirs de blasters Sith sur les premières lignes.

- Nous ne combattrons plus les Sith très longtemps, mon garçon. Nous les avons même mis en fuite.

Le capitaine parlait avec une telle assurance que Dess fut tenté de le croire.

- Ce n'est pas ce que j'ai entendu dire, répliqua-t-il. On raconte que la Confrérie des Ténèbres a remporté un grand nombre de batailles. Et qu'elle contrôlerait aujourd'hui plus d'une douzaine de régions.

- Ça, c'était avant l'arrivée du Général Hoth, poursuivit l'un des autres soldats.

Dess avait entendu parler de Hoth sur l'HoloNet. Ce général était un véritable héros de la République. Victorieux d'une demi-douzaine de grandes batailles, le Général Hoth était un brillant stratège qui savait arracher la victoire même lorsqu'il se trouvait au bord de la défaite. Une chose peu surprenante au vu de ses antécédents.

- Hoth ? demanda innocemment Dess en regardant ses cartes.

Il se coucha, n'ayant pas un beau jeu.

- C'est un Jedi, n'est-ce pas ?

- En effet, répondit le capitaine en jetant un œil à ses propres cartes et en avançant une petite mise devant lui. Un Maître Jedi, pour être précis. Mais également un excellent soldat. Nous avons trouvé en lui l'homme de la situation pour mener l'effort de guerre de la République.

- Les Sith ne sont pas de simples soldats, tu sais, déclara avec sérieux le sous-officier d'une voix plus fort qu'auparavant. Certains d'entre eux savent utiliser la Force, comme les Jedi ! Nos blasters seuls ne suffisent pas à les vaincre.

Dess avait entendu maintes histoires rocambolesques de Jedi accomplissant des exploits extraordinaires grâce à la puissance mystique de la Force, mais il pensait que tout cela n'était qu'un tissu de légendes et de mythes. Ou d'exagérations. Il savait qu'il existait des puissances qui transcendaient le monde physique : ses propres prémonitions en étaient une preuve manifeste. Mais les récits des actions réalisées par les Jedi étaient tout bonnement inconcevables. Si la Force était une arme aussi puissante, pourquoi cette guerre s'éternisait-elle ainsi ?

- La simple idée de devoir en répondre devant un Maître Jedi ne m'enchante pas beaucoup, reprit Dess. J'ai entendu de drôles de choses concernant leurs croyances : aucune émotion, aucune passion. C'est comme s'ils désiraient tous nous transformer en droïdes.

De nouvelles cartes furent distribuées aux joueurs encore en lice.

- Les Jedi sont guidés par la sagesse, expliqua le capitaine. Ils ne laissent pas leur émotions, comme le désir ou la colère, guider leur jugement.

- La colère peut être utile, fit remarquer Dess. Elle m'a permis de me sortir de situations pour le moins dangereuses.

- Je pense qu'il faut éviter en premier lieu de se retrouver pris au piège dans de telles situations, répliqua la lieutenant de sa voix douce et féminine.

La partie se termina quelques tours de table plus tard. La jeune femme qui avait offert un verre à l'enseigne décrocha une main de vingt points – une main pour le moins décente. Elle fixa le capitaine lorsqu'il révéla ses cartes, et lui sourit en découvrant sa main de dix-neuf points. Mais son sourire disparut lorsque le sous-officier ivre révéla la sienne, qui s'élevait à vingt-et-un points. Lorsqu'il ramassa la mise, elle lui administra un coup de coude amical dans les côtes.

Tous les joueurs posèrent leur mise suivante, et le droïde distribua une nouvelle paire de cartes à chacun d'eux.

- Les Jedi sont les protecteurs de la République, poursuivit la lieutenant avec sérieux. Leurs méthodes peuvent paraître étranges aux yeux des personnes ordinaires, mais ils sont de notre côté. La paix est la seule chose qu'ils désirent ardemment.

- Vraiment ? lança Dess en regardant ses cartes et en avançant des jetons. Je croyais qu'ils voulaient éradiquer les Sith.

- Les Sith forment une organisation illégale, expliqua la lieutenant.

Elle se coucha après quelques instants d'intense réflexion. Il y a presque trois mille ans, peu de temps après que Revan et Malak eurent apporté la destruction dans toute la galaxie, le Sénat a fait voter une loi pour proscrire leur groupe.

- J'ai toujours entendu dire que Revan avait sauvé la République, s'exclama Dess.

Le capitaine prit part à la conversation.

- L'histoire de Revan est compliquée, commença-t-il. Mais les faits demeurent : les Sith et leurs enseignements ont été interdits par le Sénat. Leur existence même est une violation de la loi de la République, et pour une bonne raison. Les Jedi comprennent la menace que représentent les Sith. C'est pourquoi ils ont rejoint la flotte. Pour le bien de la galaxie, les Sith doivent être éliminés une bonne fois pour toutes.

Le sous-officier ivre remporta une nouvelle manche. La chance favorisait parfois les débutants.

- La République désire donc que les Sith soient éradiqués, rebondit Dess en misant sur la prochaine partie. Si ces derniers étaient au pouvoir, je parie qu'ils affirmeraient la même chose au sujet des Jedi.

- Tu ne dirais pas cela si tu connaissais la véritable nature des Sith, assura l'un des soldats. Je les ai combattus, ce sont des tueurs sanguinaires !

Dess ne put s'empêcher de rire.

- C'est sûr ! Comment peuvent-ils oser vouloir t'abattre au milieu d'un champ de bataille ? Ne savent-ils pas que tu essaies toi-même de les tuer ? Quelle impolitesse de leur part !

- Espèce de sale Kath puant ! lança le soldat d'un ton brusque en se levant.

- Asseyez-vous, soldat ! aboya le capitaine.

Le soldat lui obéit immédiatement, mais Dess sentit de la tension dans l'air. Toutes les autres personnes de la table – à l'exception peut-être des deux officiers – le foudroyaient du regard.

Ce qui était parfait de l'avis de Dess. La dernière chose qu'ils avaient maintenant à l'esprit était leur jeu. Des individus énervés faisaient de bien piètres joueurs de sabacc.

Le capitaine sentit également la tension monter entre les soldats et le mineur. Il fit tout son possible pour détendre l'atmosphère.

- Les Sith suivent les enseignements du Côté Obscur, mon garçon, expliqua-t-il à Dess. Si tu avais pu voir les horreur qu'ils ont perpétrées pendant cette guerre... et pas seulement envers les autres soldats. Peu leur importe de faire souffrir des civils innocents.

Écoutant à peine le capitaine, Dess jeta un coup d'œil à ses cartes et misa.

- Je ne suis pas stupide, capitaine, répondit-il. Que la République le reconnaisse ou pas officiellement, vous êtes en guerre contre la Confrérie des Ténèbres. Et des choses pas très jolies se déroulent pendant ce genre de conflits, et ce, dans les deux camps. Alors, n'essayez pas de me convaincre que les Sith sont des monstres. Ce sont des individus, comme vous et moi.

De tous les joueurs assis à la table, le capitaine fut le seul à se coucher. Dess savait que certains soldats continuaient de jouer, en dépit de leur jeu lamentable, simplement dans l'espoir de le battre.

Le capitaine soupira.

- Tu as en partie raison. Les soldats ordinaires, ceux qui servent dans l'armée parce qu'ils ne savent pas qui sont vraiment les Maîtres Sith et la Confrérie des Ténèbres, sont de simples gens. Mais tu dois réfléchir aux véritables idéaux qui motivent cette guerre. Tu dois comprendre ce que représente et prône chaque camp.

- Alors, éclairez-moi, capitaine, répondit Dess.

Il prit un ton légèrement condescendant et avança d'autres jetons avec désinvolture en sachant que cela allait agacer encore davantage les autres soldats. Il fut satisfait de constater qu'aucun de ses adversaires ne décidait de se coucher. Il jouait avec eux.

- Les Jedi cherchent à préserver la paix, reprit le capitaine. Ils servent la cause de la justice. Ils utilisent leurs pouvoirs dès qu'ils en ont l'occasion pour aider ceux qui en ont besoin. Ils cherchent à servir, pas à diriger. Ils pensent que tous les êtres, quels que soient leur race ou leur sexe, naissent égaux. Tu peux sûrement comprendre une telle chose.

La dernière remarque de l'officier était davantage une affirmation qu'une question, mais Dess y répondit tout de même.

- Mais tous les êtres ne naissent pas égaux, non ? Je veux dire par là que certains sont plus rusés, d'autres plus forts... et d'autres encore meilleurs aux cartes.

Le capitaine esquissa un petit sourire, tandis que les autres joueurs se renfrognaient.

- C'est vrai, mon garçon. Mais n'est-il pas du devoir des plus forts d'aider les plus faibles ?

Dess haussa les épaules. Il ne croyait pas vraiment à l'égalité. Œuvrer pour que tous les êtres soient égaux offrait peu d'opportunités à un individu d'atteindre la perfection.

- Et la Confrérie des Ténèbres alors ? demanda Dess. En quoi croient ses membres ?

- Ils suivent les enseignements du Côté Obscur. Le pouvoir est la seule chose qu'ils recherchent. Ils pensent que l'ordre naturel de la galaxie doit être dirigé par les forts, qui avilissent les faibles.

- Une chose plutôt attirante quand on fait partie des forts, rétorqua Dess.

Il révéla ses cartes et remporta la cagnotte en savourant les grognements et les jurons étouffés des perdants. Dess afficha un large sourire devant tous les joueurs.

- Pour le bien de la République, j'espère que vous êtes tous de bien meilleurs soldats que joueurs de sabacc.

- Espèce de foutu lâche ! cria le sous-officier en se levant d'un bond et en renversant sa chope sur le sol. Si nous n'étions pas là, les Sith auraient envahi depuis longtemps ce trou puant qui vous sert de planète !

Un mineur aurait tenté de frapper Dess, mais le sous-officier, bien que dans un état d'ébriété avancée, possédait suffisamment de discipline militaire pour ne pas lever les poings.

Un regard sévère du capitaine le contraignit à se rasseoir en marmonnant de plates excuses. Dess était impressionné – et un peu déçu.

- Nous savons tous pourquoi la République se soucie d'Apatros, renchérit-il en empilant ses jetons d'une façon faussement nonchalante.

En réalité, il observait les autres joueurs afin de se prémunir contre une éventuelle attaque.

- Vous utilisez le cortosis dans la fabrication des coques de vos vaisseaux, vous l'utilisez dans celle de vos armes et vous l'utilisez même dans vos armures. Sans nous, vous n'auriez pas la moindre chance dans cette guerre. Alors ne prétendez pas nous aider, vous avez autant besoin de nous que nous avons besoin de vous.

Personne n'avait avancé la première mise de la partie suivante, chacun ayant les yeux rivés sur la scène et sur la conversation qu'entretenaient le mineur et le capitaine. Le CardShark hésita même un instant, sa programmation limitée ne lui permettant pas de faire face à la situation. Dess savait que Groshik les observait de l'autre côté de la cantina, sa main à quelques centimètres du blaster paralysant rangé derrière le bar. Il doutait cependant que le Neimoidien en ait véritablement besoin.

- C'est vrai, reconnut le capitaine en finissant par miser, rapidement imité par tous les autres. Mais au moins, nous vous payons le cortosis que nous utilisons. Les Sith se contenteraient de s'en emparer sans payer.

- Non, le corrigea Dess en examinant ses cartes. Vous payez la COMBE pour le cortosis. Et les gars comme moi ne voient jamais la couleur de ces crédits.

Il se coucha mais poursuivit sa conversation.

- Et c'est bien là le problème avec les République. Tout va bien dans le Noyau, les gens sont en bonne santé, riches et heureux. Mais la vie n'est pas aussi simple ici, dans la Bordure. Je travaille dans les mines depuis, me semble-t-il, une éternité, et je dois encore à la COMBE une somme de crédits qui pourrait à elle seule remplir les soutes d'un cargo. Pourtant, je n'ai jamais vu aucun Jedi venir pour me tirer de cette mauvaise passe.

Personne ne put lui répondre, pas même le capitaine. Dess en avait assez de parler politique, il désirait désormais se concentrer sur la cagnotte de sabacc qui s'élevait à deux mille crédits pour la remporter. Il poursuivit cependant son discours pour leur asséner le coup de grâce.

- N'essayez donc pas de me vendre vos Jedi et votre République, car c'est précisément ça : votre République. Vous dites que les Sith ne respectent que la force brute ? Ici, dans la Bordure, c'est de cette façon dont les choses se passent. Il faut se préoccuper de soi-même car personne d'autre ne le fait pour vous, et c'est la raison pour laquelle les Sith trouvent sans cesse de nouvelles recrues pour leur armée. Les individus qui ne possédaient rien n'ont rien à perdre, en fin de compte. Et si la République ne le comprend pas rapidement, la Confrérie des Ténèbres finira par gagner cette guerre – et cela, quel que soit le nombre de Jedi à la tête de votre armée.

- Nous devrions peut-être nous en tenir uniquement aux cartes, suggéra le lieutenant après un long silence.

- Ça me convient, répondit Dess. Sans rancune ?

- Évidemment, déclara le capitaine en se forçant à sourire.

Quelques-uns des soldats marmonnèrent en signe d'assentiment, mais Dess savait qu'ils lui tenaient rigueur de ses paroles. Il avait justement tout fait pour s'en assurer.