.
Chapitre n°28 :
Convocation
Le lendemain matin, Bane ne se trouvait pas aux côtés des autres élèves sur le toit. Le Seigneur Qordis désirait s'entretenir avec lui, en privé.
Il avança à grands pas dans les couloirs presque vides de l'Académie pour rejoindre le Seigneur Sith. Il paraissait calme et confiant, mais intérieurement, c'était bien différent.
Durant toute la nuit, dans le silence et l'obscurité de sa chambre, il s'était repassé le duel dans son esprit. Avec le recul, il comprenait maintenant qu'il était allé trop loin. Il avait démontré sa supériorité sur Fohargh en l'immobilisant avec la Force, et il avait embrassé le Dün Moch. Le Makurth n'aurait alors jamais plus osé le défier. Mais pour une raison qui lui était inconnue, Bane n'avait pas pu se contenir. Il n'en avait pas ressenti l'envie.
Sur le moment, il n'avait éprouvé aucune culpabilité, aucun remord. Mais lorsque son sang avait fini de bouillir dans ses veines, une part de lui-même n'avait pu s'empêcher de penser qu'il avait mal agi. Fohargh avait-il vraiment mérité de mourir ?
Cependant, une autre partie de son esprit refusait d'accepter cette culpabilité. Il n'avait jamais ressenti aucune amitié pour le Makurth, aucun sentiment quel qu'il fût. Fohargh représentait simplement un obstacle sur le chemin de Bane – un obstacle qu'il avait supprimé.
En cet instant précis, il s'était complètement abandonné au Côté Obscur, et ce n'était pas simplement de la rage ou une soif de sang. C'était un sentiment plus profond, touchant le cœur même de son être. Il avait perdu toute raison et tout contrôle, mais cela lui avait semblé justifié.
Bane avait passé la nuit entière à tenter de concilier les deux émotions : le triomphe et le remords. Mais lorsque la convocation du Seigneur Qordis était arrivée ce matin, son conflit intérieur avait été balayé par des préoccupations plus immédiates.
La mort de Fohargh aurait des répercussions. L'entraînement au combat était supposé mettre à l'épreuve les apprentis, et endurcir leur résistance à travers la lutte et la douleur. Il n'était pas supposé les tuer. Chacun des disciples de l'Académie, de Sirak jusqu'à l'élève le moins doué, possédait la capacité de devenir un Seigneur. Chacun détenait un don extrêmement rare dans les voies du Côté Obscur, un don qui était censé être employé contre les Jedi, et non contre ses condisciples.
En tuant Fohargh, Bane avait éclairci les rangs des futurs Seigneurs Sith. Il avait infligé un coup sérieux à l'effort de guerre. Chaque apprenti de l'Académie avait plus de valeur qu'une division entière de troopers Sith. Il avait détruit un instrument précieux, et supposait qu'il allait le payer chèrement.
En se rendant au rendez-vous qui allait peut-être changer sa destinée, il tenta de chasser la peur et la culpabilité de son esprit. Il ne pouvait plus rien faire pour ramener Fohargh à la vie. Le Makurth était mort, mais Bane était toujours là. C'était un survivant. Il devait être fort. Il devait trouver le moyen de justifier ses actions face au Seigneur Qordis.
Il commença à rassembler divers arguments : Fohargh était faible, Bane ne l'avait pas simplement tué mais il avait révélé sa faiblesse, Qordis et les autres Maîtres encourageaient la rivalité et la dissension chez leurs élèves, ils comprenaient la valeur des épreuves et de la compétition. Ceux qui étaient prometteurs – les individus qui parvenaient à s'élever au-dessus des autres – étaient récompensés, ils recevaient des cours particuliers avec les Maîtres pour atteindre leur véritable potentiel. Ceux qui ne parvenaient pas à suivre se voyaient délaissés. Il en était ainsi de la voie du Côté Obscur.
La mort de Fohargh n'était rien d'autre qu'une extension naturelle de cette philosophie. Sa mort constituait l'échec ultime – son propre échec. Pourquoi Bane devrait-il être responsable de la faiblesse d'un autre ?
Il accéléra son allure dans les couloirs, ses mâchoires se crispant de frustration. Il n'était pas surprenant que ses émotions souffrent d'un tel conflit. Les enseignements de l'Académie étaient contradictoires. Le Côté Obscur n'autorisait aucune pitié, aucun pardon, mais les apprentis devaient cependant s'arrêter en plein duel lorsqu'ils avaient réussi à battre leurs adversaires. C'était illogique.
Bane se trouvait devant la porte de Qordis. Il hésita un instant entre la peur de la punition qui l'attendait, et la colère que lui inspirait la situation impossible à laquelle lui et tous les autres apprentis étaient confrontés chaque jour.
En définitive, la colère serait meilleure conseillère.
Il frappa d'un coup sec à la porte, puis l'ouvrit une fois que Qordis l'eut invité à entrer. Le Maître Sith était agenouillé au centre de la pièce et plongé dans un état méditatif. Bane était déjà venu ici de nombreuses fois auparavant, mais il ne put s'empêcher de s'émerveiller de l'extravagance de la décoration. Les murs étaient ornés de belles tapisseries et de riches tentures. Des braseros et des encensoirs dorés étaient éparpillés au hasard dans la pièce, et la baignaient d'une faible lueur et d'un léger voile de fumée. Un grand lit luxueux se trouvait dans un coin. Dans un autre se tenait une table d'obsidienne aux gravures complexes, sur laquelle était posé un petit coffre.
Le coffre était ouvert et révélait son fastueux trésor : des colliers et des chaînes en métaux rares, des anneaux en or et en platine ornés de grosses pierres précieuses. Qordis se donnait beaucoup de mal pour s'entourer de biens matériels et de richesses, et davantage encore pour que les autres remarquent son opulence. D'une certaine manière, Bane soupçonnait que le Seigneur Sith ressentait du plaisir, et même de la puissance, devant la jalousie et la cupidité que ses possessions inspiraient chez les autres.
Toutefois, Bane n'était nullement intéressé par tous ces artifices. Il était plus impressionné par les manuscrits et les ouvrages qui s'alignaient sur les étagères au mur, chaque volume possédant une couverture en cuir estampillée de feuilles d'or. La plupart de ces livres étaient vieux de plusieurs milliers d'années, et il savait qu'ils contenaient les secrets des anciens Sith.
Le Seigneur Qordis finit par se relever. Il surplombait son élève et le fixait de ses yeux gris et enfoncés.
- Kas'im m'a rapporté les événements d'hier matin. Il m'a dit que tu étais responsable de la mort de Fohargh.
Le ton du Seigneur Sith ne révéla rien de ses émotions.
- Je ne suis pas responsable de sa mort, répondit calmement Bane.
Il était en colère, mais il n'était pas stupide. Il choisit ses mots avec soin afin de convaincre le Seigneur Qordis et d'éviter de l'énerver.
- C'est Fohargh qui a baissé sa garde. Il a révélé sa vulnérabilité dans le cercle. J'aurais fait preuve de faiblesse si je n'en avais pas profité.
Son propos n'était pas tout à fait exact, mais il se rapprochait de la réalité. L'une des premières leçons qu'enseignait Kas'im à ses élèves était d'édifier autour d'eux un bouclier protecteur au cours des combats pour empêcher leur adversaire d'utiliser la Force contre eux.
L'utilisation de ce bouclier était devenue instinctive chez tous les apprentis, presque comme une seconde nature. Dès que le sabre était dégainé, le bouclier devait être déployé. Se protéger des pouvoirs de Force de l'ennemi et dissimuler ses propres intentions requéraient autant de concentration et d'énergie que d'améliorer son talent physique ou d'anticiper les actions de son adversaire. C'était cette part invisible du combat, une bataille opposant la volonté des deux adversaires, et non celle qui impliquait la mêlée des corps et des lames, qui décidait le plus souvent de l'issue du duel.
- Kas'im m'a expliqué que Fohargh n'avait pas baissé sa garde, répliqua Qordis. Il a ajouté que tu l'avais tout simplement percée et déchirée. Ses défenses ne pouvaient rien face à ton pouvoir.
-Maître, êtes-vous en train de me dire de me contenir ou de me maîtriser face à un adversaire plus faible ?
Sa question était bien évidemment lourde de sens. Qordis ne se soucia même pas d'y répondre.
- C'est une chose de battre un adversaire dans le cercle. Mais même lorsqu'il était à terre, tu as continué à l'attaquer. Tu l'avais vaincu bien longtemps avant de le tuer. Ce que tu as fait n'est pas très différent de frapper un adversaire inconscient avec sa lame, une chose interdite dans le cercle d'entraînement.
Les paroles de Qordis touchèrent profondément Bane, et firent ressortir sa culpabilité qu'il avait essayé de chasser en arrivant à cette entrevue. Qordis se tut, attendant la réponse de Bane, qui se devait d'en trouver une. Mais la seule réponse qui lui venait à l'esprit était une question qui l'avait taraudé toute la nuit.
- Kas'im savait ce qui était en train de se passer. Il voyait ce que je faisais. Pourquoi ne m'a-t-il pas arrêté ?
- En effet, pourquoi ? Rétorqua Qordis d'un ton doucereux. Le Seigneur Kas'im voulait voir ce qui allait se passer. Il voulait connaître ta réaction dans cette situation. Il voulait savoir si tu te montrerais miséricordieux... ou si tu te montrerais fort.
Bane réalisa subitement qu'il n'avait pas été convoqué dans les appartements du Seigneur Sith pour recevoir un quelconque châtiment.
- Je... je ne comprends pas. Je croyais qu'il était interdit de tuer un autre apprenti.
Qordis opina du chef.
- Nous ne pouvons pas permettre que les élèves s'attaquent les uns les autres dans les couloirs, car nous voulons que votre haine soit dirigée contre les Jedi, pas contre vos frères apprentis.
Ces paroles faisaient écho à la question que Bane se posait encore quelques minutes plus tard. Il n'avait cependant pas prévu la suite de leur conversation.
- Malgré tout, la mort de Fohargh peut s'avérer une perte mineur si elle te permet de t'accomplir et d'atteindre ton potentiel. Il est possible de faire une exception pour ceux qui possèdent de grands pouvoirs dans le Côté Obscur.
- Comme Sirak ? demanda Bane sans réfléchir.
Heureusement, la question parut davantage amuser le Seigneur Qordis que l'offenser.
- Sirak a compris la nature du pouvoir du Côté Obscur, lui rétorqua-t-il en souriant. La passion nourrit le Côté Obscur.
- La paix est un mensonge, il n'y a que la passion, marmonna Bane par habitude. Par la passion, je gagne la puissance.
- Exactement.
Qordis semblait se satisfaire de la réponse de l'apprenti, même s'il était difficile de déceler ce qu'il ressentait.
- Par la puissance, je gagne le pouvoir. Par le pouvoir, je gagne la victoire.
- Par la victoire, mes chaînes sont brisées, récita Bane consciencieusement.
- Il faut que tu comprennes cela, que tu le comprennes vraiment, et tes pouvoirs seront alors illimités !
Qordis fit un petit signe de la main pour congédier l'apprenti, puis il se rassit sur son tapis de méditation. À la porte, le jeune homme s'arrêta cependant, et se retourna.
- Qu'est-ce que le Sith'ari ? demanda-t-il.
Qordis pencha la tête sur le côté.
- Où as-tu entendu ce nom ?
- Je... J'ai entendu d'autres élèves l'employer, au sujet de Sirak. Ils disent qu'il pourrait être le Sith'ari.
- Certains textes anciens citent le Sith'ari, répondit lentement Qordis en désignant les livres ornant ses murs avec l'un de ses doigts chargés de bagues. Ils racontent que les Sith seront un jour dirigés par un être parfait, un individu incarnant remarquablement le Côté Obscur et toutes nos doctrines.
- Sirak est cet être parfait ?
Qordis haussa les épaules.
- Sirak est l'élève le plus puissant de cette Académie. Pour l'instant. Il se peut qu'avec le temps, il surpasse Kas'im, moi-même et les autres Seigneurs Sith, mais ce n'est pas non plus une certitude.
Il s'arrêta un bref instant.
- De nombreux Maîtres ne croient pas à la légende du Sith'ari, poursuivit-il. En ce qui le concerne, le Seigneur Kas'im n'en tient pas compte. Elle va à l'encontre de la philosophie de la Confrérie des Ténèbres.
- Et vous, Maître, croyez-vous à cette légende ?
Qordis réfléchit à sa réponse. Bane crut attendre une éternité.
- Ce sont là des questions dangereuses à poser, finit-il par déclarer. En tous cas, si le Sith'ari n'est pas qu'une simple légende, il ne viendra pas au monde comme l'incarnation directe de tous nos enseignements. Il, ou elle, devra forger son caractère dans les épreuves et les combats de l'existence pour atteindre une telle perfection. Certains pourraient dire qu'un tel entraînement est l'objectif même de cette Académie, mais je répliquerais que nous entraînons nos apprentis pour qu'ils puissent rejoindre les rangs des Seigneurs Sith, et ainsi se tenir aux côtés de Kaan et du reste de la Confrérie.
Réalisant qu'il n'obtiendrait pas d'autre réponse, Bane acquiesça et quitta les appartements du Maître. Il avait été absous de son crime et pardonné en raison de sa puissance et de son potentiel. Il aurait dû se sentir triomphant et jubilant, mais la seule chose à laquelle il pensait en gravissant les étages pour rejoindre les autres élèves sur le toit était les gargouillis et les halètements d'agonie de Fohargh.
