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Vous vous souvenez du chapitre n°5, inspiré du flashback d'un chapitre du roman ? Eh bien, vous trouverez ledit flashback dans ce chapitre, et vous aurez donc l'occasion de voir se rejouer cette triste scène T_T


Chapitre n°29 :

Bien loin d'être le premier meurtre


La nuit même, dans l'intimité de sa chambre, Bane réfléchissait profondément pour trouver un sens aux événements des jours passés. Il chercha la sagesse inhérente aux paroles du Maître. Qordis avait dit que ses émotions, sa colère, lui avaient permis de trouver la force pour vaincre Fohargh. Il avait déclaré que la passion nourrissait le Côté Obscur. Bane l'avait ressentie suffisamment au cours de son existence pour savoir que Qordis disait vrai.

Il ne pouvait pas s'empêcher de croire qu'il y avait également autre chose. Il ne se considérait pas comme une personne cruelle. Il ne pensait pas être impitoyable ou sadique. Alors, comment expliquer ce qu'il avait fait au pauvre Makurth ?

C'était un meurtre, une exécution... et Bane avait du mal à l'accepter.

Il avait beaucoup de sang sur les mains, il avait tué des centaines, voire peut-être même des milliers de soldats de la République. Mais c'était la guerre. Lorsqu'il avait tué le sous-officier sur Apatros, c'était un acte de légitime défense. Toutes ces exécutions étaient une question de vie ou de mort, et il n'en éprouvait aucun regret.

À la différence de celle de Fohargh.

Il avait beau essayer, il ne parvenait pas à trouver le moyen de justifier son acte dans le cercle. Fohargh s'était moqué de lui, et ses railleries avaient nourri sa rage et sa fureur meurtrière. Mais il ne pouvait pas invoquer l'excuse d'avoir été emporté dans le feu de l'action, pas s'il désirait être honnête envers lui-même. Il avait senti ses émotions le submerger en puisant dans le Côté Obscur, et son action en elle-même avait été froide et délibérée – pour ne pas dire calculatrice.

Couché dans son lit, Bane se demandait constamment si la relation entre la passion et le Côté Obscur était plus complexe que ce que Qordis lui avait avoué. Il ferma les yeux en repensant au duel. Il prit de lentes et profondes inspirations afin de se calmer et de se couper du monde pour analyser ce qui avait mal tourné.

Il avait été humilié et embarrassé, et il y avait répondu avec toute sa colère. Cette colère l'avait fait invoquer le Côté Obscur pour vaincre son ennemi. Il se souvint d'un sentiment d'allégresse, de triomphe, lorsque Fohargh avait volé dans les airs. Mais il y avait autre chose – même victorieux, sa haine avait continué de grandir comme les flammes d'un incendie que seul un flot de sang aurait pu éteindre.

La passion nourrissait le Côté Obscur, mais était-il possible que le Côté Obscur nourrisse la passion en retour ? Les émotions conféraient du pouvoir, mais ce pouvoir augmentait l'intensité de ces émotions, qui à leur tour accentuaient encore davantage ce pouvoir. Dans des circonstances appropriées, cela donnerait naissance à un cycle qui s'achèverait uniquement lorsqu'un individu atteindrait les limites de sa capacité à maîtriser la Force – ou bien alors lorsque la cible de sa colère et de sa haine serait détruite.

Malgré la chaleur qui régnait dans sa chambre, un frisson lui parcourut le corps. Comment était-il possible de maîtriser ou de contrôler un pouvoir qui se nourrissait de lui-même ? Plus il apprendrait à utiliser la Force, puis il se laisserait diriger par ses émotions. Et au fur et à mesure que grandirait sa force, il deviendrait de moins en moins rationnel. C'était inévitable.

Non, songea-t-il. Quelque chose lui échappait, c'était évident. Si ce n'était pas le cas, les Maîtres inculqueraient aux élèves des techniques pour éviter cette situation. Ils leur apprendraient à s'éloigner de leurs propres émotions tout en les utilisant pour invoquer le pouvoir du Côté Obscur.

Mais aucune leçon de la sorte n'était enseignée dans leur entraînement, Bane devait donc faire fausse route, il ne pouvait pas en être autrement !

Quelque peu rassuré, il se laissa gagner par le sommeil.

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~oOo~

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- Tu me rends malade, lui cracha son père. Regarde tout ce que tu bouffes ! T'es pire qu'un satané porc zucca !

Dess tenta de l'ignorer. Il se ramassa sur son siège, et se concentra sur la nourriture dans son assiette en l'enfournant lentement dans sa bouche.

- Tu m'as entendu, fils ? lui lança son père d'un ton brusque. Tu crois que cette bouffe devant toi est gratuite ? Je paye pour cette bouffe, tu sais ! J'ai travaillé chaque jour de cette foutue semaine et je dois encore plus à la compagnie qu'au début de cette saloperie de mois !

Comme à l'accoutumée, Hurst était ivre. Ses yeux étaient vitreux, et il empestait l'humidité et la crasse des mines : il ne s'était même pas soucié de prendre une douche avant de s'emparer de la bouteille qu'il conservait sous les couvertures de sa couchette.

- Tu veux que je travaille deux fois plus pour te nourrir, fils ?! lui cria-t-il.

Sans lever la tête de son assiette, Dess lui marmonna :

- Je travaille tout autant que toi.

- Hein ? lui lança Hurst, sa voix prenant un ton menaçant. Qu'est-ce que tu viens de me dire ?!

Au lieu de se mordre les lèvres, Dess releva la tête et plongea son regard dans les yeux rouges et troubles de son père.

- Je viens de dire que je travaillais tout autant que toi. Et j'ai seulement dix-huit ans.

Hurst se leva de table en repoussant son siège derrière lui.

- Dix-huit ans, mais encore trop stupide pour savoir quand la fermer !

Il secoua la tête d'un côté vers l'autre pour exagérer son mécontentement.

- Tu es vraiment la malédiction de ma chienne de vie ! reprit-il. Un fléau !

Dess jeta sa fourchette dans son assiette et se leva lui aussi brutalement. Il était plus grand que son père, et son corps se musclait chaque jour davantage en raison du travail dans les mines.

- Tu vas encore me battre ? cracha-t-il à son père. Tu vas me donner une bonne leçon ?

- Qu'est-ce qui ne va pas chez toi, fils ? lui demanda Hurst, les yeux écarquillés.

- J'en ai marre de tout ça, répliqua Dess d'un ton brusque. Tu m'accuses de tous les maux, mais c'est toi qui dépenses tous nos crédits en alcool. Si tu buvais moins, on pourrait peut-être quitter cette satanée planète ?

- Espèce de sale gamin impoli et grande gueule ! beugla Hurst en soulevant la table pour la projeter contre le mur.

Il bondit sur Dess et le saisit aux poignets, son étreinte aussi puissante qu'une paire de menottes en duracier. Le jeune homme tenta de se libérer, mais son père faisait vingt kilos de plus que lui, dont la moitié en muscles.

Voyant que son action était vaine, Dess cessa de gigoter après quelques secondes. Mais il n'allait pas se mettre à trembler et à pleurer. Pas cette fois.

- Si tu me bats ce soir, lui lança-t-il, sache que ce sera peut-être la dernière fois, vieil homme. Tu ferais bien de m'étendre pour de bon.

Et Hurst l'écouta. Il frappa son fils avec toute la sauvagerie d'un homme désespéré et amer. Il lui cassa le nez, tabassa son visage, et lui fit deux yeux au beurre noir. Il lui cassa également deux dents, lui fendit la lèvre et lui fractura deux côtes. Dess ne prononça toutefois aucune parole et ne versa aucune larme.

Cette nuit-là, Dess s'étendit sur sa couchette, le corps trop contusionné et gonflé pour parvenir à dormir, une seule pensée occupant son esprit comme bien trop souvent et étouffant les ronflements avinés de son père.

Je veux te voir mort... mort... mort.

Il n'avait jamais détesté son père autant qu'en cet instant. Il imaginait une main géante serrer le cœur cruel de Hurst.

J'espère que tu vas mourir, mourir, mourir.

Il ne pensait qu'à cela, et se le répétait sans cesse comme si sa seule volonté pouvait exaucer son vœu.

J'espère que tu vas mourir... mourir... mourir...

Les larmes qu'il avait retenues pendant que son père le rossait finirent par couler, des larmes chaudes inondant son visage violacé et gonflé.

J'espère que tu vas mourir... mourir... mourir...

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~oOo~

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Bane se réveilla subitement, le cœur battant à la chamade et le corps trempé de sueur. Il s'agita pour se débarrasser des couvertures qui lui emprisonnaient les jambes. L'espace d'une seconde, il crut se trouver sur Apatros, dans la petite chambre qu'il partageait avec Hurst et son odeur omniprésente d'alcool. Puis, il réalisa où il se trouvait, et le cauchemar commença à disparaître. Il comprit alors une chose terrible.

Hurst était effectivement mort, cette nuit-là. Les autorités avaient conclu à une mort naturelle, une crise cardiaque provoquée par son alcoolisme, son travail dans les mines et le surmenage d'avoir failli tuer son propre fils à mains nues. Elles ne soupçonnèrent jamais la véritable cause de sa mort. Ni Bane, d'ailleurs – jusqu'à maintenant.

Tremblant légèrement, il se retourna en sachant qu'il ne retrouverait pas le sommeil de la nuit.

Fohargh n'était pas le premier individu qu'il avait assassiné avec l'aide de la Force, et il ne serait probablement pas le dernier. Bane était suffisamment malin pour le comprendre.

Il secoua la tête pour chasser le souvenir de la mort de Hurst. Son père n'avait mérité aucune pitié ni aucune clémence. Les faibles seraient toujours écrasés par les forts. Si Bane désirait survivre, il devait faire partie des forts. Voilà pourquoi il se trouvait à l'Académie. C'était sa mission. Il en était ainsi de la voie du Côté Obscur.

Cette prise de conscience ne parvint pas à faire taire son sentiment de malaise, et lorsqu'il ferma les yeux, le visage de son père reparut.


Pour accompagner ce chapitre, retrouvez la Chronique égarée n°15 dans le recueil correspondant :)