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Chapitre n°32 :
Un défi perdu
Bane savait qu'il devait réagir. Sa situation devenait désespérée. Il continuait de patauger, incapable d'invoquer le pouvoir qu'il avait utilisé pour détruire Fohargh. En outre, sa faiblesse était maintenant connue de tous.
Au cours de la session d'entraînement de la veille au soir, il avait demandé à Kas'im d'autres cours individuels, en espérant pouvoir sortir de sa léthargie. Le Maître bretteur avait refusé, avant de reporter son attention sur l'un des autres apprentis. Le message était clair pour tout le monde : Bane était vulnérable.
Tandis que les élèves se rassemblaient en cercle sur le toit du temple après les exercices du matin, Bane sut ce qu'il devait faire. Sa réputation l'avait jusqu'à présent protégé de tout duel. Cette réputation n'étant plus, il ne pouvait pas attendre passivement qu'un autre élève le défie et triomphe de lui. Il devait prendre l'initiative et provoquer un duel. Il devait être le premier à pénétrer à l'intérieur du cercle.
Il était évident que s'il mettait au défi l'un des élèves inférieurs de l'Académie, cela confirmerait la faiblesse qu'il tentait de dissimuler. Il n'y avait qu'un seul moyen pour lui de se racheter au yeux de l'école et des Maîtres. Il ne pouvait provoquer en duel qu'un seul apprenti.
Plusieurs des apprentis traînaient en essayant de trouver une bonne place pour assister à l'action de ce matin. Il était de coutume d'attendre que tout le monde soit installé pour annoncer un duel, mais Bane savait qu'il lui serait encore plus difficile de le faire s'il attendait. Il pénétra avec assurance dans le cercle, sous le regard curieux des autres élèves. Kas'im le fixa avec désapprobation, mais Bane essaya de le chasser immédiatement de son esprit.
- Je lance un défi, annonça-t-il. J'appelle Sirak.
Un brouhaha d'excitation parcourut le cercle des apprentis, mais Bane ne l'entendait quasiment pas en raison de son cœur qui battait à la chamade. Sirak combattait rarement. Bane ne l'avait même jamais vu en action, mais il avait entendu d'autres élèves parler de ses prouesses martiales dans le cercle, raconter des histoires incroyables sur ses capacités imbattables. Depuis leur conversation dans les escaliers du temple, Bane l'avait observé pendant les sessions d'entraînement afin de se préparer à cette confrontation. D'après ce qu'il avait vu, les récits démesurés concernant ses prouesses n'avaient, en réalité, rien d'exagéré.
À la différence de la majorité des apprentis, Sirak préférait combattre avec un sabre à double-lame d'entraînement, au lieu d'un sabre à une lame traditionnel. À l'exception de Kas'im lui-même, Sirak était le seul qu'il ait vu manier cette arme étrange avec talent. Dans l'œil inexpérimenté de Bane, sa technique semblait même quasiment parfaite. Il avait l'air de maîtriser toutes ses actions, et attaquait sans cesse. Même au cours de simples exercices, sa supériorité était évidente. Alors que la majorité des élèves apprenait une nouvelle séquences en deux ou trois semaines, Sirak n'avait besoin que de quelques jours.
Et Bane allait maintenant l'affronter dans le cercle.
Le Zabrak accepta le défi. Il quitta le groupe d'apprentis et avança à la fois lentement et gracieusement. Sa démarche même semblait menaçante. Il brandit son arme nonchalamment en s'approchant, les deux lames en duracier décrivant de longues courbes dans l'air.
Bane le regardait avancer, et son cœur et sa respiration s'accélérèrent, son corps libérant de l'adrénaline pour se préparer au combat. Bane ne ressentit cependant aucun changement dans son esprit. Il s'était attendu à ressentir de la peur et de la colère en voyant son adversaire avancer, des émotions qu'il aurait pu utiliser pour déchirer le voile invisible qui le séparait du Côté Obscur, mais sa léthargie l'enveloppait toujours, tel un suaire grisâtre.
- J'aurais aimé que tu me mettes au défi plus tôt, murmura Sirak à son attention. La semaine qui a suivi la mort de Fohargh, ils étaient nombreux à te croire mon égal, et j'aurais gagné du prestige en te vainquant. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Sirak s'était immobilisé à plusieurs mètres de Bane. Son sabre à double-lame d'entraînement continuait de danser lentement dans les airs. L'arme se mouvait comme une créature vivante pressée de combattre et trop excitée pour demeurer immobile.
- Je ne vais pas tirer grand-chose de ta défaite, poursuivit le Zabrak. En revanche, je vais prendre un réel plaisir à te voir souffrir.
Derrière Sirak, Bane aperçut Llokay et Yevra, les deux autres apprentis Zabraks, s'avancer pour mieux voir leur champion. Le frère affichait un large sourire cruel, et la sœur, une expression d'attente sanguinaire. Bane fit de son mieux pour oublier l'excitation lisible sur leurs visages rouges, les laissant se mêler aux autres spectateurs.
Sa concentration toute entière était fixée sur les mouvements fluides de l'arme spécifique que Sirak serrait dans ses mains. Bane avait essayé de mémoriser les séquences sur lesquelles ce dernier travaillait durant les entraînements. Il recherchait des indices au niveau de la position de ses mains, pour deviner par quelle séquences il allait commencer. Si Bane parvenait à la prévoir, il pourrait contre-attaquer et peut-être mettre fin au combat dès la première passe. C'était là sa meilleure chance de réussite, car sans le pouvoir de la Force, il n'avait quasiment aucune possibilité de déterminer les séquences qu'il emploierait.
Sirak leva son sabre à double-lame au-dessus de sa tête, et le fit tourner si rapidement dans l'air qu'il disparut presque, puis il se fendit d'une attaque en avant. Une des extrémités de l'arme frappa Bane au visage, mais il la para facilement. Ce mouvement n'était toutefois qu'une feinte, la seconde lame frappant Bane à la taille. Ne reconnaissant la manœuvre qu'au dernier moment, Bane ne put que reculer en effectuant une roulade arrière et éviter l'attaque de justesse.
Son adversaire le chargea avant même qu'il n'ait pu se relever, les lames jumelles fendant l'air en rythme : gauche, droite, gauche, droite. Bane les bloqua, fit une nouvelle roulade, se contorsionna et bloqua une fois de plus Sirak en repoussant le barrage de frappes. Il essaya de faire chuter son adversaire avec un balayage au sol, mais Sirak anticipa son mouvement et bondit, laissant juste le temps à Bane de se redresser.
La série d'attaques qui suivit obligea Bane à reculer encore et encore, mais il réussit à empêcher Sirak de gagner l'avantage en lui cédant du terrain et en utilisant uniquement des séquences défensives de base. Il essayait toujours de trouver une ouverture en observant les mouvements de son ennemi. À un moment, Sirak parut utiliser les coups et les frappes du Vaapad, la plus agressive et la plus directe des sept formes traditionnelles. Toutefois, au milieu d'une séquence, le Zabrak adopta subitement les attaques puissantes du Djem So. Bane recula en chancelant malgré ses parades. Les mouvements rapides des deux lames contraignaient toujours Bane à se replier un peu plus.
L'action s'interrompit un bref instant, les deux combattants repensant leurs stratégies, chacun respirant bruyamment. Sirak mania son sabre en une séquence rapide et complexe, le bloqua sous son bras droit, le fit passer dans son dos puis sur son épaule gauche et enfin devant lui. Il sourit et répéta cette même séquence, mais à l'envers.
Bane observa ses mouvements extravagants avec un certain malaise. Sirak jouait avec lui depuis le début du duel, et faisait traîner le combat afin que sa victoire paraisse plus impressionnante. Il révélait maintenant son véritable talent martial, et utilisait des séquences qui mêlaient plusieurs formes, en les changeant rapidement, d'une manière complexe et inconnue de Bane.
La supériorité du Zabrak était manifeste. Si Bane tentait d'associer différentes formes dans une seule et même séquence, il finirait probablement par se crever un œil ou par se blesser au crâne. Il était nettement inférieur à son adversaire, son seul espoir était donc que Sirak se montre imprudent et commette une erreur.
Sirak avança à nouveau, son sabre d'entraînement se déplaçant si rapidement que Bane n'entendait qu'un léger grésillement tandis que l'arme fendait l'air. Bane bondit en avant en invoquant le pouvoir du Côté Obscur afin d'anticiper et de bloquer les deux lames qu'il ne parvenait même plus à distinguer. Il sentit la Force l'envahir, mais elle lui sembla lointaine et vide, car le voile était toujours là. Il parvint à tenir à distance les lames paralysantes du sabre de Sirak, mais dut concentrer toute son attention sur la maîtrise de sa propre lame – et se retrouva par conséquent vulnérable devant la véritable attaque du Zabrak.
Le crâne de Bane lui sembla exploser lorsque le front de Sirak le frappa violemment au visage. La douleur lui brouilla la vue. Les os de son nez se brisèrent, et un flot de sang jaillit. Aveuglé et hébété, il réussit à parer d'instinct l'attaque suivante, la Force le soutenant très légèrement, mais Sirak se retourna tandis que son sabre fendait l'air, et lança brutalement son pied dans le genou de Bane, le fracassant.
Bane s'effondra à terre en hurlant, sa main libre heurtant le sol pour amortir sa chute. Sirak lui écrasa les doigts d'un coup de botte et les broya sur le toit de pierre du temple. Puis, il lui donna un coup de genou au visage, lui fracturant la mâchoire dans un horrible craquement.
Désespéré, Bane tenta d'utiliser la Force pour repousser son adversaire. Sirak détourna facilement son attaque avec le bouclier de Force dont il s'était entouré au début du duel. Puis, il se rapprocha pour achever son adversaire avec son sabre. Le premier coup frappa Bane au poignet droit, avec la force d'un véhicule heurtant un mur, et le lui brisa. Le sabre d'entraînement lui échappa des mains. Le coup suivant le frappa à l'épaule droite et la lui délogea.
Un nouveau coup de pied au visage lui fit perdre plusieurs dents, sa mâchoire déjà brisée lui raviva cette douleur déchirante. À peine conscient, il s'écroula. Sirak recula d'un pas en baissant son sabre, puis agrippa Bane par le cou pour l'étrangler avec le pouvoir de la Force. Il leva le bras et souleva Bane comme s'il s'agissait d'un simple enfant, puis il le projeta à plusieurs mètres à l'intérieur du cercle.
Bane sentit un nouvel os se briser dans son corps en s'écrasant à terre. Il n'éprouva toutefois aucune douleur, car son corps était désormais trop brisé pour ressentir la moindre sensation. Il gisait au sol, immobile et mutilé. Il cracha du sang, et fut pris d'une quinte de toux, ses côtes brisées s'entrechoquant.
Puis, le monde entier devint flou. Il aperçut une paire de bottes ensanglantées s'approcher de lui, et Bane s'abandonna aux ténèbres.
Mais quel idiot... * facepalm *
