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Chapitre n°35 :

Githany


Githany ne prononça pas un mot en voyant l'homme large d'épaules évoluer dans la bibliothèque. Son physique était imposant, et ses muscles visibles malgré son ample robe. En se concentrant, un don acquis auprès de ses anciens Maîtres Jedi, elle parvint à détecter le pouvoir du Côté Obscur en lui. La Force était puissante chez cet homme. Il ne se comportait cependant pas comme quelqu'un possédant une telle force. Même dans ce lieu reculé, à l'abri des regards des autres résidents du temple, il marchait le dos voûté.

Elle comprit qu'elle avait sous les yeux le perdant du duel contre Sirak. Le Zabrak pourrait très bien lui faire endurer la même chose si elle l'affrontait. Githany avait la ferme intention de défier le meilleur élève de l'Académie, mais seulement lorsqu'elle serait assurée de pouvoir le vaincre dans le cercle.

Elle était venue rencontrer Bane pour lui parler de ses erreurs lors du duel. En le voyant aussi faible et brisé, elle réalisa qu'elle pourrait peut-être obtenir bien plus que de simples renseignements. D'ordinaire, elle hésitait à s'allier avec un autre élève, notamment un apprenti aussi puissant que Bane. Githany préférait travailler seule, car elle connaissait très bien les conséquences d'une trahison inattendue.

L'homme qu'elle avait devant elle lui parut vulnérable. Il semblait seul et désespéré, et il n'était pas en position de trahir qui que ce soit. Elle pourrait aisément le contrôler et le manipuler, puis se débarrasser de lui lorsqu'il ne lui serait plus d'aucune utilité.

Il prit un livre sur une étagère du bas et se dirigea lentement vers l'une des tables. Elle attendit qu'il soit assis et qu'il ait commencé sa lecture. Elle prit une profonde inspiration et baissa sa capuche, ses longues tresses tombant en cascade sur ses épaules. Un sourire séduisant apparut sur ses lèvres, puis elle avança vers lui.

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~oOo~

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Bane ouvrit avec soin les pages du volume qu'il avait choisi parmi les archives. Il s'intitulait « Les Rakatas et le Monde Inconnu », et était vieux de presque trois mille ans à en croire sa date de parution. Ce n'étaient ni son titre ni son sujet qui l'avaient attiré, mais plutôt le nom de son auteur : Darth Revan. L'histoire de Revan était bien connue des Sith et des Jedi. C'était l'emploi du titre Darth qui intriguait Bane.

Aucun des Sith actuels n'utilisait ce titre, ces derniers préférant l'appellation de Seigneur Noir. Si Bane avait toujours trouvé cela curieux, il n'avait jamais posé la question aux Maîtres. Il parviendrait peut-être à trouver dans ce livre la raison pour laquelle cette tradition avait disparu.

À peine avait-il achevé la lecture de la première page qu'il entendit quelqu'un approcher. Il leva la tête et découvrit la nouvelle apprentie de l'Académie, Githany, qui avançait à grands pas dans sa direction. Elle souriait, d'un sourire qui embellissait encore davantage ses traits déjà superbes. Jusqu'à maintenant, Bane ne l'avait vue que de loin. D'aussi près, elle lui coupa littéralement le souffle. Lorsqu'elle vint s'asseoir à côté de lui, l'odeur de son parfum lui chatouilla les narines et son cœur se mit à battre à la chamade.

- Bane, murmura-t-elle, alors qu'il n'y avait personne d'autre dans les archives pour entendre leur conversation. Je te cherchais.

Ses paroles le surprirent.

- Tu me cherchais ? Pourquoi donc ?

- J'ai besoin de toi, lui dit-elle en posant sa main sur son avant-bras. J'ai besoin de ton aide contre Sirak.

Sa proximité, le bref contact de sa main et son parfum enivrant lui firent tourner la tête. Il lui fallut quelques instants pour comprendre ses paroles et l'intérêt soudain qu'elle lui portait. Elle avait dû entendre le récit de son humiliation face au Zabrak. Elle était venue le voir en personne, avec l'espoir d'apprendre quelque chose qui lui permettrait de ne pas subir le même sort.

- Je ne peux pas t'aider contre Sirak, répondit-il en se détournant et en se replongeant dans son livre.

Sa main lui serra doucement le bras, et il releva de nouveau la tête. Elle s'était encore approchée davantage, et il plongea son regard dans ses yeux émeraude.

- Je t'en prie, Bane. Écoute simplement ce que j'ai à te dire.

Il acquiesça sans savoir s'il aurait été capable de lui parler en raison de la proximité. Il referma l'ouvrage et se tourna légèrement pour lui faire face. Githany poussa un soupir reconnaissant et se recula légèrement sur sa chaise. Il sentit une légère pointe de déception au moment où elle retira sa main de son bras.

- Je sais ce qui s'est passé dans le cercle, commença-t-elle. Je sais que tout le monde pense que Sirak t'a brisé, et que cette défaite t'a retiré tous tes pouvoirs, et je vois que tu le crois également.

Son visage exprimait maintenant le chagrin mais, heureusement pour lui, pas la pitié. Bane n'acceptait la pitié de personne, et surtout pas de Githany. Sa peine semblait sincère.

Bane ne répondant rien, elle poursuivit :

- Ils ont tort, Bane. Tu ne peux pas perdre ta maîtrise de la Force de cette façon. C'est impossible. La Force fait partie de nous, de notre être. J'ai également entendu le récit de ton duel contre le Makurth. Tu as montré ce dont tu étais véritablement capable, tu as révélé ton véritable potentiel et tu as fait preuve d'un don puissant.

Elle s'arrêta un instant, le regard brillant d'une grande intensité.

- Tu crois peut-être que tu as laissé filer ce don, ou que tu l'as perdu, mais c'est faux. Je perçois un grand pouvoir en toi. Je le ressens. Il est toujours présent.

- Mon pouvoir est peut-être toujours là, mais j'ai perdu le moyen de le contrôler, répondit Bane en secouant la tête. Je ne suis plus celui que j'étais.

- C'est impossible, renchérit-elle d'une voix douce. Comment peux-tu croire une telle chose ?

Même s'il connaissait la réponse, il hésita avant de répondre. Il s'était posé cette question d'innombrables fois lorsqu'il flottait dans le liquide de la cuve de bacta. Après sa défaite, il avait eu maintes occasions d'y repenser, et il avait finalement réussi à en comprendre les raisons – mais pas y remédier.

Il n'était pas certain de vouloir partager ses réflexions personnelles avec une quasi-inconnue. Mais à qui d'autre en parler ? Pas aux autres élèves, et certainement pas aux Maîtres.

Et même s'il ne connaissait presque pas Githany, elle lui avait tendu la main. C'était la première à le faire.

Révéler ses faiblesses était une chose que seuls les imbéciles se risqueraient à faire à l'Académie. Mais Bane n'avait plus rien à perdre.

- Toute ma vie, ma colère m'a motivé, lui expliqua-t-il.

Il parlait lentement en fixant la table, incapable de la regarder dans les yeux.

- Ma colère me donnait de la force. Elle était mon lien avec la Force et le Côté Obscur. Lorsque Fohargh est mort – lorsque je l'ai tué –, j'ai réalisé que j'étais aussi responsable de la mort de mon père. Je lui ai ôté la vie grâce au pouvoir du Côté Obscur.

- Et tu te sens coupable ? lui demanda Githany en posant à nouveau sa main sur son bras.

- Non. Peut-être. Je ne sais pas.

Sa main était chaude, et il sentit sa chaleur à travers l'étoffe de sa manche.

- Mais je sais que cette prise de conscience m'a changé. La colère qui me motivait a disparu, pour être remplacée par... eh bien... rien du tout.

- Donne-moi ta main.

Le ton de sa voix était sérieux, et Bane n'hésita qu'un instant avant de la lui tendre. Elle la serra avec ses deux mains.

- Ferme les yeux, lui ordonna-t-elle en fermant également les siens.

Dans l'obscurité, il réalisa pleinement qu'elle lui serrait la main avec force, et il sentit même les battements de son cœur. Ces derniers étaient rapides et précipités, et le sien y répondit en s'accélérant également.

Il sentit un picotement dans ses doigts, une chose dépassant le simple contact physique. Elle entrait en contact avec lui par l'intermédiaire de la Force.

- Viens avec moi, Bane, lui murmura-t-elle.

Il eut la sensation soudaine de tomber. Non, ce n'était pas une chute, mais plutôt un plongeon. Un plongeons dans un abîme, la noire vacuité qui emplissait tout son être. La froide obscurité engourdit son corps, et il perdit toute sensation au niveau des mains. Il ne sentait plus les mains de Githany serrant la sienne. Il ne savait même pas si elle était encore assise à ses côtés. Il était seul dans ce vide glacial.

- Le Côté Obscur est lié aux émotions, Bane.

Ses mots lui parvenaient de très loin, faibles mais très nets.

- La colère, la haine, l'amour, le désir. Ces émotions nous rendent forts. La paix est un mensonge, seule la passion existe.

Ses paroles lui semblaient plus fortes désormais, elles parvenaient même à masquer les battements de son cœur.

- Ta passion est toujours là, Bane. Cherche-la. Revendique-la.

Comme pour répondre à son discours, ses émotions se mirent à bouillonner en lui. Il senti la colère, la fureur, une haine absolue – la haine envers les autres élèves qui l'avaient rejeté, la haine envers les Maîtres qui l'avaient abandonné, mais surtout la haine envers Sirak. Et cette haine s'accompagna d'une soif de vengeance.

Puis, il ressentit autre chose. Une étincelle de lumière et de chaleur au milieu de la froide obscurité. Son esprit s'approcha de cette étincelle et s'en empara. L'espace d'un instant, il sentit le formidable pouvoir de la Force brûler à nouveau en lui. Githany lui lâcha la main et cette étincelle disparut – soufflée comme si elle n'avait jamais existé. Mais ce n'était pas le cas. Elle était bien réelle. Il l'avait vraiment perçue.

Il ouvrit les yeux avec méfiance, comme un homme s'arrachant à un rêve qu'il craignait d'oublier. En découvrant l'expression sur le visage de Githany, il comprit qu'elle avait dû elle aussi ressentir quelque chose.

- Comment as-tu fait ça ? lui demanda-t-il en tentant vainement de dissimuler le ton désespéré de sa voix.

- Maître Handa me l'a enseigné lorsque j'étudiais avec lui au sein de l'Ordre Jedi, lui avoua-t-elle. Tout comme toi, j'ai jadis perdu tout contact avec la Force. Je n'étais encore qu'une jeune fille, mon esprit ne parvenait pas à saisir un concept aussi vaste et infini. C'est pourquoi il s'est créé une barrière pour se protéger.

Bane acquiesça en silence pour inviter Githany à poursuivre.

- Ta colère est toujours présente en toi. La Force aussi. Tu dois maintenant abattre les murs que tu as édifiés autour de la Force. Tu dois tout recommencer de zéro et réapprendre à te lier à la Force.

- Et comment dois-je m'y prendre ?

- L'entraînement, rétorqua-t-elle comme s'il s'agissait d'une évidence. Comment faire, sinon ?

Le mince espoir que sa révélation avait fait naître en lui disparut aussitôt.

- Les Maîtres ne m'entraîneront plus, marmonna Bane. Qordis l'a interdit.

- Je t'entraînerai, lui répondit Githany avec un air faussement timide. Je veux bien partager avec toi tout ce que j'ai appris sur la Force auprès des Jedi, ainsi que ce que me communiqueront les Maîtres sur le Côté Obscur.

Bane hésita. Githany n'était pas un Maître, mais elle avait reçu un entraînement Jedi pendant des années. Elle connaissait probablement plus de choses sur la Force que lui. Au moins, il s'instruirait davantage avec son aide que sans. Quelque chose continuait cependant de le déranger concernant sa proposition.

- Pourquoi souhaites-tu m'aider ? demanda-t-il.

Elle lui adressa un sourire sournois.

- Tu ne me fais toujours pas confiance ? C'est parfait. Car tu ne devrais pas. Je fais ça uniquement pour moi. Seule, je ne peux pas vaincre Sirak. Il est trop fort.

- Ils prétendent qu'il est le Sith'ari, grommela Bane entre ses dents.

- Je ne crois pas aux prophéties, répliqua-t-elle, mais il a de puissants alliés, et les autres apprentis Zabraks lui sont entièrement dévoués. Si je le défie un jour, j'ai besoin de quelqu'un dans mon camp. Quelqu'un de puissant dans la Force. Quelqu'un comme toi.

Ses raisons étaient sensées, mais une chose continuait de le troubler.

- Le Seigneur Qordis et les autres Maîtres n'approuveront jamais cela, l'avertit-il. Tu prends de grands risques à vouloir m'aider.

- C'est la seule façon de décrocher des récompenses, lui dit-elle. Et puis, je ne me soucie pas de l'avis des Maîtres. En définitive, les survivants sont ceux qui savent se débrouiller seuls.

Cela prit une seconde à Bane pour réaliser pourquoi ses paroles lui semblaient si familières. Puis, il se souvint de la dernière chose que Groshik lui avait dite avant de quitter Apatros : En fin de compte, tout le monde est seul dans l'existence. Les survivants sont ceux qui savent se débrouiller seuls.

- Tu m'aides à recouvrer mon lien avec la Force, et je t'aide dans ton combat contre Sirak, déclara Bane en lui tendant la main.

Elle la lui serra et se releva pour prendre congé. Bane la retint cependant et la contraignit à s'asseoir. Un éclair jaillit dans son regard, mais il ne la lâcha pas.

- Pourquoi as-tu quitté les Jedi ? lui demanda-t-il.

Son expression s'adoucit et elle secoua la tête. Elle tendit sa main libre et la posa doucement sur sa joue.

- Je ne pense pas être encore prête à t'en parler.

Il opina du chef. Il n'avait pas besoin de la presser pour le moment. En outre, il n'avait pas encore acquis ce droit.

Elle retira sa main et il la laissa partir. Elle lui lança un dernier regard, puis se leva et s'éloigna d'un bon pas. Elle ne se retourna pas, mais Bane se satisfit de contempler son magnifique déhanchement jusqu'à ce qu'elle sorte de son champ de vision.


Un Sith, peut-être, mais un homme, assurément u.u'