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Chapitre n°39 :
De la tension dans l'air
Une odeur d'ozone brûlé emplit les archives, et vint chatouiller les narines de Githany, qui observait Bane mettre son dernier cours en pratique. La salle résonnait de craquements et de sifflements, tandis que Bane concentrait l'énergie de la Force en grands arcs électriques bleu-violet.
Githant se tenait aux côtés de Bane au milieu de ce maelström d'énergie. Un vent violent soufflait autour d'eux, faisant virevolter ses cheveux et les plis de sa robe. Les étagères tremblèrent, et plusieurs tombèrent au sol, leurs pages s'ouvrant sous sa force. L'air était chargé d'électricité, et sa peau la picotait.
Bane riait au milieu de ce tourbillon. Il leva les bras au ciel en signe de triomphe, et lança un nouvel éclair, qui rebondit sur le mur du fond. À chaque fois que Bane projetait un éclair, son intensité brûlait la rétine de Githany, qui devait alors se protéger de sa main. Elle réalisa cependant que Bane ne détournait pas le regard. Il avait les yeux grands ouverts, le flot de puissance leur conférant un air un peu fou.
Le tonnerre était assourdissant et la tempête ne cessait de grossir. Si Bane ne se montrait pas plus prudent, le bruit remonterait jusque dans les étages supérieurs et révélerait au reste de l'Académie où se trouvait leur salle d'entraînement secrète.
Githany tendit la main avec prudence et lui toucha le bras. Il tourna brusquement la tête dans sa direction, et la folie que recelait son regard faillit la faire reculer, mais elle lui sourit.
- C'est très bien, Bane ! lui cria-t-elle, le vacarme étouffant presque sa voix. Ça suffit pour aujourd'hui !
Elle retint son souffle jusqu'à ce qu'il acquiesce et baisse les bras. Instantanément, la force de la tempête se calma. En l'espace de quelques secondes, elle cessa totalement, le chaos qui régnait dans la bibliothèque témoignant tout de même de son passage.
- Je... Je n'avais jamais rien ressenti de tel, lui dit Bane en soufflant, son visage traduisant encore son euphorie.
- C'est une sensation incroyable, acquiesça-t-elle, mais tu dois prendre garde à ne pas t'y perdre.
Githany répétait les propos que le Seigneur Qordis lui avait tenus quelques jours plus tôt, lorsqu'il lui avait appris à invoquer des éclairs de Force. Elle n'avait cependant jamais invoqué d'éclairs de la puissance ou de la majesté de ceux de Bane.
- Tu dois garder le contrôle, ou alors tu te retrouveras pris au piège de la tempête avec tes ennemis, lui expliqua-t-elle en essayant d'imiter le ton calme et légèrement condescendant que les Maîtres employaient avec les apprentis.
Elle ne pouvait pas lui avouer qu'il l'avait déjà dépassée dans la maîtrise de ce nouveau talent, tout comme elle ne pouvait pas lui confesser la peur qu'elle avait ressentie quelques instants plus tôt.
Bane regarda autour de lui les étagères tombées par terre, les livres et les parchemins qui jonchaient le sol de la bibliothèque.
- On ferait bien de redisposer tout ça avant que quelqu'un n'entre et s'interroge sur ce qui vient de se passer.
Elle opina du chef, et ils se hâtèrent de ranger la bibliothèque. Pendant ce même temps, Githany se demandait si elle n'avait pas commis une erreur en s'alliant avec Bane.
Seuls les meilleurs apprentis étaient présents lorsque Qordis leur avait enseigné à utiliser le Côté Obscur pour corrompre la Force et invoquer une violente tempête. Lors de la première leçon, aucun d'entre eux – pas même Sirak – n'avait été capable de créer autre chose que de minces arcs électriques. Or, une heure seulement après qu'elle lui eut expliqué ce nouveau pouvoir, Bane était parvenu à invoquer suffisamment d'énergie pour ravager une salle entière.
Ce n'était pas la première fois que Bane dépassait le niveau de Githany lors de sa première tentative. Il était bien plus fort dans la Force qu'elle ne le pensait, et il semblait s'améliorer de jour en jour. Elle craignait maintenant de perdre tout contrôle sur lui.
Elle était évidemment prudente et ne lui révélait pas tout ce qu'elle apprenait auprès des Maîtres Sith. Cela ne semblait cependant pas suffisamment pour lui permettre de conserver l'ascendant sur son élève. Elle se demandait parfois si son étude des textes anciens ne lui conférait pas au final un atout supplémentaire. L'apprentissage auprès d'un Maître bien réel devait a priori être plus productif que la lecture d'œuvres théoriques rédigées des milliers d'années plus tôt – à moins que les Sith de l'époque moderne ne soient pas aussi parfaits.
Malheureusement, elle ne savait comment mettre son hypothèse en pratique. Si elle se mettait subitement à étudier les manuscrits aux archives, Bane se poserait des questions, et il pourrait décider que les leçons qu'elle lui délivrait n'étaient pas aussi précieuses que ce qu'il pouvait apprendre dans les livres. Il pourrait choisir de l'abandonner. Or, s'ils venaient à s'affronter, elle n'était plus aussi certaine de pouvoir le vaincre.
Mais Githany s'enorgueillissait de sa faculté d'adaptation. Son projet initial de le conserver à ses côtés comme un apprenti servile n'était plus concevable. Elle ne voulait cependant pas perdre Bane, car il pourrait s'avérer un allié de poids – ne serait-ce que pour tuer Sirak.
Ils travaillèrent dans le silence une heure durant, redressèrent les étagères et y rangèrent les ouvrages. Lorsque la salle eut repris une apparence quasi-ordonnée, Githany avait mal au dos. Elle s'effondra sur une chaise, Bane lui adressant un sourire las.
- Je suis épuisée, lui lança-t-elle dans un soupir exagéré.
Il se dirigea vers elle, se positionna derrière son dos et posa ses grandes mains sur ses épaules, à la base de sa nuque. Il se mit à masser ses muscles, ses caresses étonnamment douces pour un homme aussi imposant.
- Hmmm... ça fait du bien..., reconnut-elle. Où as-tu appris à faire ça ?
- Le travail dans les mines de cortosis vous apprend des tas de choses sur la douleur et les maux, répondit Ban en pressant ses pouces sur ses omoplates.
Elle soupira, raidit son dos, puis se laissa aller, ses muscles se relâchant sous la pression de ses doigts.
Il parlait rarement de sa vie passée, mais à force de traîner ensemble, elle avait fini par réunir les différentes pièces du puzzle. En comparaison, elle protégeait bien mieux les informations la concernant.
- Tu m'as demandé, un jour, pourquoi j'avais quitté les Jedi, marmonna-t-elle en se laissant porter par le massage rythmé de ses doigts. Je ne t'en ai jamais parlé, n'est-ce pas ?
- Nous avons tous des parts de notre existence sur lesquelles nous ne préférons pas revenir, répondit-il tout en continuant de la masser. Je savais que tu le ferais lorsque tu serais prête.
Elle ferma les yeux et laissa sa tête basculer en arrière, Bane la massant toujours.
- Mon Maître était un Cathar, lui dit-elle doucement. Maître Handa. J'ai été son apprentie pendant presque toute mon enfance, mes parents m'ont donnée à l'ordre lorsque je commençais à peine à marcher.
- J'ai entendu dire que les Jedi se souciaient peu des liens familiaux.
- Ils se soucient uniquement de la Force, avoua-t-elle après quelques instants de réflexion. Les liens temporels – les amis, la famille, les amants – obscurcissent l'esprit avec des émotions et des passions.
Bane ricana, et Githany ressentit son rire grave et profond jusque dans l'extrémité de ses doigts.
- La passion mène vers le Côté Obscur. C'est du moins ce que j'ai entendu dire.
- Ce n'est pas une plaisanterie pour les Jedi, et surtout pas pour Maître Handa. Les Cathars sont réputés pour être des humanoïdes passionnés. Il nous mettait, Kiel et moi, en garde chaque jour contre le danger de s'abandonner à nos émotions.
- Kiel ?
- Kiel Charny. L'un des autres Padawans de Handa. Nous nous sommes souvent entraînés ensemble. Il avait un an de plus que moi.
- Un autre Cathar ? demanda Bane.
- Non, Kiel était humain, et nous nous sommes rapprochés au fil des années. Beaucoup rapprochés.
Les doigts de Bane exercèrent une pression un peu plus forte, ce qui lui indiqua qu'il avait saisi l'allusion. Elle fit semblant de ne rien remarquer.
- Kiel et moi étions amants, poursuivit-elle. Les Jedi ne sont pas autorisés à créer de tels liens. Les Maîtres craignent que ces dangereuses émotions n'obscurcissent nos esprits.
- Tu étais vraiment attirée par lui, ou c'était uniquement pour le plaisir de désobéir à ton Maître ?
Elle y réfléchit un long moment.
- Peut-être un peu des deux, finit-elle par reconnaître. Il était plutôt séduisant, et sa Force était grande. Nous avions une réelle attirance l'un pour l'autre.
Pour toute réponse, Bane se contenta de grogner. Il avait cessé de la masser et ses mains reposaient maintenant sur son cou.
- Quand nous sommes devenus amants, Maître Handa n'a pas tardé à le découvrir. Il était furieux, car ce n'était pas faute de nous avoir avertis des dangers que constituaient nos émotions. Il nous a ordonné de mettre nos sentiments de côté et nous a interdit de poursuivre de notre relation. Bane émit un nouveau grognement.
- Il croyait vraiment que cela serait aussi simple ?
- Les Jedi considèrent que les émotions font partie de notre nature primitive. Ils pensent que nous devons transcender nos instincts primaires. Or, je sais que c'est la passion qui nous rend forts. Les Jedi la craignent, car elle est capable de rendre leurs Padawans imprévisibles et incontrôlables. La réaction de Maître Handa m'a permis de percevoir la vérité. Tout ce que les Jedi pensent de la Force était une déformation de la réalité, un mensonge. J'ai finalement compris que je ne m'accomplirais jamais complètement auprès de Maître Handa. C'est à ce moment que je me suis détournée de l'Ordre et que j'ai commencé à projeter de rejoindre les Sith.
- Et Kiel Charny ? demanda Bane, qui avait repris son massage de façon un peu plus dynamique.
- Je lui ai demandé de m'accompagner, avoua-t-elle. Je lui ai signalé que nous devions faire un choix : les Jedi, ou notre couple. Il a choisi les Jedi.
La tension dans les mains de Bane se relâcha quelque peu.
- Il est mort ?
- Tu me demandes si je l'ai tué ? lui dit-elle en riant. Non, il était encore en vie la dernière fois qu'on m'a parlé de lui. Il est peut-être mort en luttant contre les Sith sur Ruusan, mais je n'ai pas éprouvé le besoin de le tuer moi-même.
- Alors, je suis d'avis que tes sentiments à son égard n'étaient pas aussi forts que tu le croyais.
Githany se raidit. Cela aurait pu être une plaisanterie, pourtant, elle reconnut une certaine forme de vérité dans les paroles de Bane. Kiel lui avait été utile. Même s'il existait une véritable attirance physique, il était davantage devenu un ami à cause des circonstances de leur rencontre, c'est-à-dire étudier jour et nuit à ses côtés avec Maître Handa, respecter les idéaux irréalistes des Jedi, et être prisonnière de la guerre interminable qui se jouait sur Ruusan.
Bane serra son cou de ses mains solides. Il se pencha vers elle et lui murmura quelque chose à l'oreille. La chaleur et la proximité de son souffle la firent frissonner.
- Lorsque tu finiras par me trahir, j'espère que tu éprouveras le désir de me tuer toi-même.
Elle bondit de sa chaise, retira ses mains et se retourna. L'espace d'un instant, elle discerna une expression d'auto-satisfaction sur son visage. Puis, cette dernière laissa place à un air inquiet et contrit.
- Je suis désolé, Githany. Il s'agissait simplement d'une plaisanterie. Je ne voulais pas te contrarier.
- Je t'ai révélé une partie douloureuse de ma vie, Bane, lui déclara-t-elle avec méfiance. Je ne veux pas que tu prennes mes propos à la légère.
- Tu as raison, répondit-il. Je... Je vais y aller.
Elle le regarda quitter la bibliothèque. Il semblait ennuyé de lui avoir dit une telle chose, comme s'il regrettait de l'avoir blessée. Tout s'était déroulé à merveille. Elle était parvenue à obtenir l'influence affective qu'elle recherchait sur lui – si ce n'était qu'elle y avait perçu autre chose.
Bane parti, elle secoua la tête pour réfléchir à la situation. Il avait beau ressembler à une grosse brute, le front large et le crâne chauve de Bane dissimulaient sagesse et ruse.
Elle se remémora ces vingt dernières minutes, afin de déceler à quel moment elle avait perdu le contrôle de la situation. Comme elle s'y était attendue, une attirance certaine était née entre eux deux. Bane n'avait rien fait pour lui cacher son désir, elle en avait ressenti la chaleur lorsqu'il la massait. Cependant, quelque chose lui avait échappé au cours de son plan de séduction si savamment orchestré.
Était-il possible qu'elle éprouve quelque chose pour lui ?
Githany se mordit la lèvre inférieure sans s'en rendre compte. Bane était puissant, intelligent et intrépide. Elle avait besoin de lui pour éliminer Sirak. Mais il avait également le don de la surprendre. Il ne cessait de la mettre à l'épreuve et de surpasser ses attentes.
Elle devait admettre qu'elle le trouvait fascinant. Bane était tout ce que Kiel n'avait jamais été : ambitieux, imprévisible, impulsif. En dépit de ses intentions, une part d'elle-même était attirée par lui. Et cela, plus que n'importe quoi, faisait de lui un allié très dangereux.
